HOMÉLIE LXXXV
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HOMÉLIE LXXXV.

ALORS DONC PILATE LE LEUR ABANDONNA POUR ÊTRE. CRUCIFIÉ. — AINSI ILS PRIRENT JÉSUS, ET L'EMMENÈRENT. — ET PORTANT SA CROIX, IL VINT AU LIEU APPELÉ DU CALVAIRE, QUI SE NOMME EN HÉBREU GOLGOTHA : OU ILS LE CRUCIFIÈRENT. (VERS. 16, 17, 18, JUSQU'AU VERS. 9 DU CHAP. XIX.)

 

ANALYSE.

 

533

 

1. Jésus est crucifié entre deux voleurs. — A quoi devait servir l'inscription de la croix de Jésus-Christ.

2. Tunique de Jésus-Christ sans couture. — Pourquoi Jésus-Christ recommande sa mère à son disciple.

3. La mort de Jésus-Christ n'est point une honte, mais une gloire.

4. Ardent amour de Marie-Madeleine.

5. Saint Chrysostome condamne le faste et la pompe des funérailles et la dépense qu'on y fait. — Description de ces sortes d'excès. — On expose les morts à demeurer nus sur la terre et sans sépulture. — Ne point mêler les choses saintes avec les choses profanes. — Ceux qui tint répandu de riches parfums sur le corps de Jésus-Christ n'avaient point encore de connaissance de la résurrection. — Jésus-Christ n'a point dit : Vous ne m'avez point enseveli, mais : Vous ne m'avez point donné à manger, etc. Rendre aux morts les derniers devoirs, et prescrire le faste et les dépenses superflues. — Faux et vrais témoignages de compassion pour les morts : les aumônes leur sont utiles et profitables. — Le superflu défendu aux vivants, à plus forte raison à l'égard des morts. — Dans le deuil et dans les funérailles, se conduire par la raison, c'est ce qui attire des louanges et des couronnes. —- Vertu, puissance de Jésus-Christ crucifié, d'avoir persuadé à ceux qui meurent que la mort n'est point une mort. — Troupe de pleureuses aux enterrements. — Ensevelir les morts de manière que cela tourne à la gloire de Dieu : répandre pour eux de grandes aumônes. — Mettre Jésus-Christ au nombre de ses héritiers, c'est se faire à soi et à eux une grande protection. — Une âme qui sort de ce monde nue et destituée de la vertu, est plus déshonorée que le corps qu'on a laissé sans sépulture et qu'on a jeté par terre.

 

1. La prospérité perd et égare facilement ceux qui ne sont pas vigilants et attentifs sur eux-mêmes; ainsi les Juifs, sur qui Dieu régnait (I Rois, VIII, 7), voulurent se gouverner selon les moeurs et les coutumes des gentils; et, après avoir mangé la manne dans le désert, se souvenant encore des oignons de l'Égypte, ils les regrettaient; de même maintenant ils refusent Jésus-Christ pour leur roi, et ils demandent César avec instance et à grands cris. C'est pourquoi le Seigneur leur donna un roi selon leurs désirs. Pilate ayant entendu leur demande et leurs cris, leur abandonna Jésus pour être crucifié, mais par la plus grande injustice qui fût jamais. Il devait s'informer si Jésus avait aspiré à la royauté; la terreur toute seule lui fait prononcer sa sentence, lors même que Jésus-Christ, pour l'en empêcher, l'avait prévenu en lui déclarant que « son royaume n'était pas de ce monde ». Ce juge se livre entièrement aux choses présentes et sa philosophie n'allant pas plus loin; il ne pense, il ne voit rien au-dessus; cependant le songe de sa femme aurait .dû l'épouvanter. (Matth. XXVII, 19.) Mais rien de tout cela ne put le changer; il ne leva point les yeux au ciel, et il abandonna Jésus.

Les Juifs voyant donc Jésus condamné le chargèrent de la croix; ayant ce bois en abomination, ils ne voulurent même pas y toucher. Mais ce que nous voyons aujourd'hui, une figure l'avait prédit et annoncé ; Isaac avait porté le bois pour son sacrifice. (Gen. XXII, 6.) Ce sacrifice alors n'a eu son accomplissement que dans la volonté du Père, parce qu'il était seulement la figure de ce qui devait arriver; mais aujourd'hui la chose s'accomplit , comme la réalisation de la figure. « Et il vint au lieu appelé du calvaire ». Quelques-uns disent que c'est là qu'Adam est mort et repose, et que Jésus-Christ a élevé un trophée sur le lieu même où la mort a régné et exercé son empire ; car Jésus portait sa croix en trophée contre la tyrannie de la mort. De [534] même que les vainqueurs portent les marques de leur victoire, ainsi le Sauveur portait sur ses épaules le symbole de son triomphe. Et qu'importe à la vérité que ce soit dans d'autres vues que les Juifs aient chargé Jésus-Christ de la croix? cela n'y change rien.

Ils le crucifièrent avec deux voleurs; accomplissant malgré eux la prophétie, car ce que faisaient les Juifs pour couvrir Jésus d'ignominie, servait à montrer la vérité et à vous faire mieux connaître et sa force et sa vertu. En effet, longtemps auparavant le prophète avait prédit ces choses : « Il a été mis », dit-il, « au nombre des scélérats ». (Isaïe, LIII, 12.) Le démon a donc voulu obscurcir le triomphe du Sauveur, mais il ne l'a pu; des trois qui ont été crucifiés en même temps, Jésus seul a brillé, pour vous apprendre que c'est sa vertu qui a tout fait. Trois on été crucifiés, il s'est fait des miracles, mais nul de ces miracles n'a été attribué à d'autre qu'à Jésus ;  tant étaient faibles les embûches et les artifices du diable, qui se sont entièrement tournés à sa honte et à sa confusion ; puisqu'un de ceux mêmes qui ont été crucifiés avec Jésus-Christ a obtenu le salut ! Donc, non-seulement le crucifiement de ces voleurs n'a point terni la gloire de Jésus crucifié avec eux, mais au contraire il n'a pas peu contribué à la relever. Il n'était ni moins grand ni moins admirable de convertir un voleur, étant attaché sur une croix, et de le faire entrer dans le paradis, que de faire trembler le sol et de briser les pierres.

« Pilate fit une inscription (19) ». Il la fit tant pour punir les Juifs, que pour justifier Jésus-Christ. Les Juifs l'avaient livré entre ses mains comme un méchant, et s'étaient efforcés de faire prévaloir cette idée, en mettant Jésus-Christ dans la compagnie de ces voleurs. De peur que personne ne pût faire à Jésus ce reproche, et le traiter comme un méchant et un scélérat, Pilate par cette inscription leur ferma la bouche, ainsi qu'à tous ceux qui voudraient mal parler de lui; et pour montrer qu'ils s'étaient soulevés contre leur propre roi, il fit écrire des paroles sur la croix comme sur un trophée, et des paroles qui se faisaient clairement entendre, qui publiaient hautement sa victoire et sa royauté, quoiqu'elles ne la fissent pas connaître tout entière. Au reste, cette inscription, Pilate ne la fit pas mettre en une, mais en trois différentes langues; parce que, ne doutant point que la fête de Pâques n'eût attiré à Jérusalem des gens de toutes les nations, il voulut que personne n'ignorât cette justification; et pour cela il flétrit la fureur des Juifs dans toutes les langues. Car les Juifs portaient encore envie à Jésus-Christ, après même qu'ils l'eurent fait crucifier.

Mais, ô Juifs, en quoi cette inscription pouvait-elle vous blesser ou vous nuire? En rien. Si Jésus était mortel, faible, impuissant, et si la mort devait l'anéantir, pourquoi craigniez-vous une inscription portant qu'il était roi des Juifs? Mais que disent-ils à Pilate? « Ne mettez pas dans l'inscription : roi des Juifs, mais qu'il s'est dit roi des Juifs (21) ». Maintenant tout le monde pense et croit communément qu'il est roi des Juifs, mais ajoutez « Il s'est dit », ce sera l'accuser d'effronterie et d'insolence : et néanmoins Pilate ne changea point, mais il demeura ferme. Cette dispensation providentielle eut un effet d'une importance incomparable. Le bois de la croix fut caché dans la terre, et personne alors ne songeait à l'en tirer, soit par crainte, soit parce que les fidèles étaient occupés à d'autres affaires pressantes: cependant on devait un jour chercher cette croix, et les trois croix devaient être vraisemblablement enterrées ensemble; de peur donc qu'on ne fût dans le doute et qu'on ne s'y méprît, la croix du Seigneur a été reconnue, premièrement, parce qu'elle était au milieu ; en second lieu, grâce à l'inscription, les croix des voleurs n'en ayant point.

Les soldats se partagèrent les vêtements, mais non pas la tunique. Remarquez encore ici, mes frères, que la méchanceté des Juifs et des soldats sert partout à l'accomplissement des prophéties. Ce qui se passe ici avait été prédit longtemps auparavant : d'ailleurs ils étaient trois crucifiés , mais les prédictions trouvent leur accomplissement en Jésus-Christ seul. Et, en effet, pourquoi les soldats et les Juifs ont-ils fait à Jésus-Christ, uniquement, ce qu'ils n'ont point fait aux autres? Pour vous, mes frères, je vous prie de considérer l'exactitude de la prophétie. Le prophète ne dit pas seulement ce qu'ils ont divisé, mais encore ce qu'ils n'ont point divisé : ils ont divisé les vêtements, ils n'ont point divisé la tunique, mais ils l'ont jetée au sort.

2. Ce n'est pas sans raison qu'il est marqué que la tunique « était d'un seul tissu depuis [535] le haut jusqu'en bas (23) ». Les uns disent que c'est une allégorie, parce que ce crucifié n’ était pas purement homme, mais qu'il était Dieu avant de s'être revêtu de l'humanité d'autres, que l'évangéliste décrit la forme de cette robe, et que, comme il était d'usage dans la Palestine; de composer les tuniques de deux pièces jointes ensemble, saint Jean voulant marquer que celle de Jésus-Christ était le même, dit : « Elle, était, d'un seul tissu depuis le haut jusqu'en, bas ». Pour moi; il me semble que l'évangéliste fait cette remarque pour faire connaître que les vêtements de Jésus-Christ étaient de fort bas prix; et que, comme il recherchait en toutes choses ce qu'il y avait de plus commun et de plus vil, il en usait de même pour ses vêtements.

Voilà ce que firent les soldats (24). Mais Jésus-Christ, crucifié recommande sa mère à son disciple, pour nous apprendre que, jusqu'au dernier soupir, nous devons avoir un grand soin de notre père et de notre mère. Lorsque sa mère vint à contre-temps demander un miracle; Jésus lui répondit : « Femme, qu'y a-t-il de commun entre vous et moi ? » (Jean, II, 3.) Et : « Qui est ma mère? » (Matth. III, 48. ) Mais maintenant il lui témoigne un grand amour et il la recommande au disciple qu'il aimait. Saint Jean cache encore ici son nom par modestie : s'il eut voulu se glorifier, il aurait dit la raison pour laquelle il était aimé, raison qui ne pouvait .être que grande et admirable. Pourquoi Jésus-Christ ne dit-il que cette seule parole à Jean et ne le console-t-il pas, le voyant si triste. et si afflige? Parce que ce n'était point là le temps défilé consoler. Et. de plus, ce n'était pas peu de, chose que l'honneur qu'il recevait, d'être dès lors récompense de sa persévérance.

Mais vous, mes, chers frères, considérez ce divin crucifié, voyez gomment il fait toutes choses sans se troubler, voyez. avec quelle tranquillité il parle à son disciple de sa mère, il accomplit les prophéties, il donne de bonnes espérances au larron, quoique, avant d'être attaché à la croix, il parût suer, tomber en agonie, craindre. Qu'est-ce, donc que ceci, quel est ce prodige. Nul doute, nulle incertitude avant le crucifiement, l'infirmité de la nature s'est montrée, maintenant éclate la grandeur de sa puissance. Ajoutons que, par ces deux choses, par sa faiblesse et par sa puissance, il nous apprend qu'encore que nous, nous troublions avant que le mal arrive, il ne faut pas pour cela' reculer et fuir, et que, lorsqu'une fois entrés dans la carrière, nous sommes en plein combat, alors il faut tout regarder comme aisé et facile, et ne penser qu'à la victoire.

Ne craignons donc point la mort; l'amour de la vie est né avec nous, il est fortement attaché à notre nature, mais il est en notre pouvoir, ou de rompre cette chaîne et d'affaiblir ce .désir, ou de serrer ce lien et de rendre cet amour plus fort et plus violent. Nous portons en nous la concupiscence de la chair, mais si noms sommes sages, nous' savons en réprimer la tyrannie; il en est de même du désir de la vie. Comme la concupiscence charnelle a été mise, en nous pour la conservation de notre espèce, parce que Dieu a établi la propagation sans nous empêcher néanmoins de suivre une voie plus élevée et plus excellente, celle de la continence ; de même , il a mis en nous l'amour de la vie, nous défendant de nous tuer nous-mêmes, et ne nous défendant pourtant, pas de mépriser la vie présente. Cette connaissance, mes frères, 'doit régler notre conduite ; nous ne devons pas volontairement nous précipiter à la mort, encore que nous soyons accablés de mille maux; et aussi nous ne durons point la craindre ni la refuser, lors; qu'il plaît à Dieu de nous ôter la vie pour des raisons qui lui sont connues. Il faut alors marcher au-devant de la mort avec confiance, et préférer la vie future à la vie présente.

« Cependant des femmes se tenaient auprès de la croix:(25) ». Le sexe le plus faible se montra le plus fort; ainsi alors tout était renversé. Mais Jésus, recommandant sa mère, dit : « Voilà votre fils (26) ». Oh! quel honneur ne fait-il pas à son disciple? Comme il s'en allait, il charge son disciple du soin de sa mère. Comme il n'y avait nul doute qu'étant mère, elle était accablée de douleur, et qu'elle avait besoin de secours et de protection ; comme; de juste, ce divin Fils la recommande à son disciple, en disant : « Voilà votre mère (27) ». Par là, il les unit et les lie d'un amour tendre et mutuel; le disciple le comprenant bien, prit Marie chez lui, et la regarda comme sa mère.

Mais pourquoi le Sauveur ne fit-il mention d'aucune autre femme, quoiqu'il y en eût encore auprès de sa croix ? Pour nous apprendre à avoir un soin particulier de nos [536] mères. Comme nous ne devons même pas connaître nos pères et nos mères, lorsqu'ils nous nuisent dans les choses spirituelles, et nous empêchent d'avancer dans la vertu; de même, lorsqu'ils n'y mettent aucun obstacle, il faut leur rendre tous nos devoirs et les préférer à toute autre personne, parce qu'ils nous ont donné la vie, qu'ils nous ont élevés, et qu'ils ont souffert pour nous bien des peines et des incommodités. Par ce soin et cette recommandation, Jésus-Christ réprime l'impudence de Marcion: S'il n'était pas né de Marie selon la chair, si elle n'était pas sa mère, pourquoi a-t-il eu un si grand soin d'elle seule

« Après cela, Jésus sachant que toutes choses étaient accomplies (28) » ; C'est-à-dire, qu'il ne manquait rien à la dispensation de l'Incarnation, le Sauveur prenait grand soin de faire connaître, par tout ce qu'il faisait et ce qu'il disait, que sa mort était une mort tonte nouvelle. En effet, celui qui mourait tenait tout en son pouvoir, et la mort n'est advenue à son corps que lorsqu'il l'a voulu; or, il l'a voulu, lorsqu'il a accompli toutes choses. C'est pour cela qu'il avait dit : « J'ai le pouvoir de quitter la vie, et j'ai le pouvoir de la reprendre » (Jean, X, 18.) « Jésus, sachant donc que toutes choses étaient accomplies, dit : J'ai soif ». En quoi il accomplit encore une prophétie.

Pour vous, considérez, je vous prie , mes frères, la barbarie et la scélératesse de ceux qui sont autour de Jésus. Nous, quelque grand nombre d'ennemis que nous ayons, quelques outrages et quelques maux qu'ils nous aient fait subir, si nous voyons qu'on les fasse mourir, nous les plaignons et nous les pleurons; mais ces misérables, rien n'a pu les fléchir : les douleurs, les tourments qu'endure Jésus ne les ont point attendris ; au contraire, toujours plus cruels, plus furieux, ils inventent de nouvelles moqueries, ils emplissent une éponge de vinaigre et la lui présentent à la bouche; ils lui donnent à boire, comme on le faisait pour ceux qui étaient condamnés à mort, car c'est pour cela qu'ils lui présentent ce bâton d'hyssope.

« Jésus ayant donc pris le vinaigre, dit :

 

1. Sur ces paroles de Jésus-Christ : « Femme, qu'y a-t-il de commun entre vous et moi? . Marcion, les Montanistes, les Manichéens, les Valentiniens, et leurs sectateurs, soutenaient que la sainte Vierge n'était pas la mère de Jésus-Christ, et qu'il ne s'était pas véritablement incarné; mais que tout ne s'était [ait qu'en apparence, etc.

 

« Tout est accompli ». Vous le voyez, mes frères., Jésus, sans se troubler, sans s'émouvoir, fait tout avec autorité, ce qui suit le montre évidemment : « Car toutes choses étant accomplies, baissant la tête » (car il n'y avait point de clous qui la retinssent), « il rendit l'esprit», c'est-à-dire, il expira. Cependant, ce n'est pas après qu'on a baissé la tête qu'on expire ; mais ici, c'est tout le contraire : Jésus n'a pas baissé la tête après avoir expiré, comme cela se voit généralement ; mais après avoir baissé la tête, il a expiré. Par toutes ces circonstances, l'évangéliste montre que ce crucifié était le Seigneur et le Maître de l'univers.

3. Mais les Juifs qui filtraient un moucheron et qui avalaient un chameau (Matth. XXIII , 24), ces Juifs qui n'ont pas craint de commettre un sacrilège si énorme, sont inquiets sur la fête, et se consultent sur ce qu'ils feront , pour n'en pas violer la sainteté. « Or, de peur que les corps ne demeurassent à la croix le jour du sabbat, parce que c'en était la veille et la préparation, les Juifs prièrent Pilate qu'on leur rompit les jambes (31) ». Remarquez-vous combien la vérité est forte et puissante? Le soin et la précaution des Juifs servent à l'accomplissement de la prophétie, et une autre prédiction s'accomplit aussi. « Car il vint des  soldats qui rompirent les jambes des autres (32) », mais celles de Jésus, ils ne les rompirent pas (33). Cependant ces mêmes soldats, par complaisance pour les Juifs, ouvrirent son côté. avec une lance (34), et ne craignirent point d'outrager jusqu'à son cadavre. O action infâme et exécrable ! Mais, mes chers frères, ne vous troublez point, ne vous abattez point. Ce que viennent de faire les Juifs, par une mauvaise intention et une horrible méchanceté, établit et confirme la vérité de la prophétie, qui disait : « Ils verront celui qu'ils ont percé (37, et Zach. XII, 10) ». Et cette action impie a servi non-seulement à l'accomplissement de la prophétie, mais encore à prouver dans la suite aux incrédules, comme à Thomas et à d'autres, la vérité du crucifiement et de la résurrection de Jésus. De plus encore , par là s'accomplit un grand et ineffable mystère : car « il en sortit du sang et de l'eau (34) ». Ce n'est point sans sujet ou par hasard que ces deux sources ont coulé de l'ouverture du sacré côté du Sauveur : c'est d'elles que l'Eglise a été formée. Ceux qui [537] sont initiés, ceux qui ont reçu le saint baptême, entendent bien ce que je dis : eux qui ont été régénérés par l'eau, et qui sont nourris de ce sang et de cette chair. C'est de cette heureuse et féconde source que coulent nos mystères et nos sacrements, afin que, lorsque vous approcherez de notre redoutable coupe, vous y veniez de même que si vous deviez boire à ce sacré flanc.

« Celui qui l'a vu en rend témoignage, et a son témoignage est véritable (35) ». C'est-à-dire, je ne l'ai pas appris des autres, mais je l'ai vu de mes yeux, étant présent, et mon témoignage est véritable. Rien. de plus juste : ce disciple raconte l'outrage qu'on a fait à son Maître; il ne vous rapporte pas quelque chose de grand et d'admirable que vous puissiez révoquer en doute et soupçonner de faux; mais, considérant le trésor que renferment. et produisent ces sources, il fait en détail le récit de ce qui s'est passé : par où il ferme la bouche aux hérétiques; il prédit et annonce les mystères qui doivent s'opérer dans la suite.

De même, cette prophétie : « Ils ne briseront aucun de ses os (36; Exod. XII, 46) », a trouvé son accomplissement. Car, quoique cela ait été dit de l'agneau de la pâque des Juifs, ce n'était là pourtant qu'une figure destinée à précéder la vérité , à la prédire, et qui a eu son parfait accomplissement en Jésus-Christ : c'est pourquoi l'évangéliste cite la prophétie. Dans la crainte que s'il s'était donné partout pour témoin, il n'eût pas paru digne de foi, il apporte le témoignage de Moïse, pour insinuer que cela ne s'est point fait par hasard , mais que longtemps auparavant il avait été prédit dans l'Ecriture, où il est dit : « Vous ne briserez aucun de ses os ». Et en même temps il donne une autorité nouvelle à la parole du prophète : j'ai rapporté ces choses, dit-il, pour vous apprendre et vous faire connaître qu'il y a un grand rapport et une grande liaison entre la figure et la vérité. Ne voyez-vous pas, mes frères, quelles mesures, quelles précautions prend ici l'évangéliste, pour faire croire ce qui paraît honteux. et ignominieux? Car, qu'un soldat eût fait un outrage à ce corps , c'était quelque chose de pire et de beaucoup plus infamant que de l'avoir attaché à une croix; et néanmoins, je l'ai rapporté, et avec beaucoup de soin, « afin que vous le croyiez ». Que personne donc ne refuse de le croire; que la honte ne pousse personne à rejeter ce témoignage, au détriment de notre cause. Car ce qui paraît le plus honteux et le plus ignominieux, est ce qui nous élève à une plus grande gloire, et la, source de tous les biens que nous recevons.

« Après cela vint Joseph d'Arimathie, qui était disciple de Jésus (33) ». Non des douze, mais peut-être des soixante-dix. Ces disciples, croyant que la croix avait apaisé la haine et la colère des Juifs, furent librement demander le corps à Pilate, et eurent soin de l'ensevelir. Joseph fut donc trouver Pilate; il le pria de lui permettre d'enlever le corps de Jésus, et Pilate lui accorda cette grâce ; pourquoi la lui aurait-il refusée? Alors Nicodème se joignit à Joseph d'Arimathie , et l'aida à détacher et à porter le corps , et ils l'ensevelirent avec magnificence. Car ils ne voyaient encore en Jésus-Christ rien autre chose qu'un homme. Ils mirent le corps dans des linceuls avec des aromates des plus forts et des plus précieux, tels qu'ils pouvaient sûrement le conserver longtemps , et l'empêcher de se corrompre aussitôt; en quoi ils montraient bien qu'ils n'avaient pas de lui cette haute opinion qu'ils en devaient avoir; mais, néanmoins, ils lui donnaient des marques d'un grand amour.

Mais pourquoi aucun des douze ne fut-il à cette sépulture, ni Jean, ni Pierre, ni aucun autre des plus remarquables? Le disciple qui a écrit cette histoire ne le cache point. Si l'on dit que c'est par crainte des Juifs, on répondra que ceux-ci les craignaient aussi : l'évangéliste rapporte de Joseph qu'il était disciple de Jésus, mais en secret, parce qu'il craignait les Juifs. Et l'on ne saurait dire qu'il agit de la sorte par mépris pour les Juifs, puisque nous voyons au contraire qu'il ne vint pas sans crainte. Mais Jean lui-même, qui s'était tenu debout auprès de la croix de son Maître, et qui l'avait vu expirer, ne parut point et ne fit rien de semblable : que faut-il donc dire? 11 me semble que Joseph était des plus qualifiés et des plus illustres d'entre les Juifs, comme il y paraît par la dépense qu'il fit pour ces funérailles : qu'il était connu de Pilate, et que c'est pour cela qu'il obtint le corps et qu'il l'ensevelit, non comme un condamné, mais comme les Juifs avaient coutume d'ensevelir un grand et une personne de considération.

 

538

 

4. Et comme le temps les pressait (Jésus étant mort vers la neuvième heure (1)), Joseph ensuite ayant été chez Pilate, de là lui et Nicodème étant allés détacher et prendre le corps, il y a toute apparence que le soir approchait; et alors, la fête commençant, il n'était point permis de travailler : comme donc le temps les pressait, ils déposèrent le corps dans le tombeau le plus proche. Et il arriva, par une disposition de la divine Providence, que ce corps fut déposé dans un sépulcre tout neuf , où personne n'avait encore été mis, afin qu'on ne crût pas que c'était un autre mort enseveli avec lui qui était ressuscité : et afin que les disciples pussent facilement y aller et assister à l'événement, ce lieu étant proche de la ville : et encore, afin que non-seulement les disciples de Jésus, mais aussi ses ennemis fussent témoins de sa résurrection. En effet; la précaution qu'avaient prise les Juifs de s'assurer du sépulcre, d'en sceller la pierre et d'y mettre des soldats pour le garder (Matth. XXVII, 66), était un témoignage bien sûr que Jésus y était enseveli. Jésus-Christ n'eut pas moins de soin que sa sépulture fût publiquement reconnue que sa résurrection. Les disciples aussi s'attachent fortement à établir et à confirmer cette vérité, que Jésus était véritablement mort; car,-dans la suite des temps la résurrection devait être suffisamment prouvée. Mais si l'on eût pu répandre des doutes et des ténèbres sur la mort, et même si elle n'eût été tout à fait certaine et évidente, les preuves de la résurrection auraient été obscurcies. Ce n'est donc pas pour ces raisons seulement que le corps fut enseveli dans ce lieu voisin de la ville, mais encore afin que le bruit, que les disciples l'avaient furtivement enlevé, se montrât absolument faux.

« Le premier jour de la semaine», c'est-à-dire le dimanche, « au premier point du jour et dès le matin, Marie Madeleine vint au sépulcre, et elle vit que la pierre avait été ôtée du sépulcre ». (Chap. XX, 1.) Jésus-Christ était ressuscité, et la pierre et les sceaux étaient là exposés aux yeux du public. Et comme il fallait que les autres aussi fussent persuadés de la résurrection, le sépulcre fut ouvert, et par là on reconnut ce qui venait d'arriver. La vue de ce sépulcre ainsi ouvert toucha Marie, qui aimait si ardemment son

 

1 C'est-à-dire, sur les trois heures après midi.

 

Maître : le jour du sabbat étant passé, elle n'eut point de repos qu'elle n'eût été au sépulcre, et elle y vint au point du jour, pour recevoir quelque consolation du lieu : et l'ayant vu, et ta pierre renversée, elle n'entra point, elle ne regarda point dedans, mais brûlant d'amour, elle courut vers les disciples, parce qu'elle avait un très-grand désir d'apprendre au plus tôt ce qu'était devenu le corps. Sa course et ses paroles le marquaient et le déclaraient hautement.

« On a enlevé mon Maître, et je ne sais où on l'a mis ». Ne voyez-vous pas que Marie n'avait point encore une claire connaissance de la résurrection, et qu'elle pensait qu'on, avait transporté le corps die son Maître? n'entendez-vous pas aussi avec. quelle ingénuité elle raconte aux disciples ce qu'elle vient de voir ? Mais l'historien n'a pas manqué de lui donner toutes les louanges qu'elle méritait, et n'a pas cru se déshonorer en faisant connaître que c'était d'elle, qui avait été de nuit au sépulcre, qu'ils avaient appris les premières nouvelles de la résurrection : ainsi se montre ,et éclate en tout on amour pour la vérité. Marie étant donc venue et ayant rapporté ces choses, les disciples courent aussitôt au sépulcre, et ils voient les linceuls qui y étaient, comme une marque et un témoignage de la résurrection (3, 4, 5, 6). Si l'on eût, emporté le corps, on ne l'aurait pas dépouillé; auparavant; et si on l'avait dérobé, on ne se serait pas donné le soin ni la peine d'ôter le linceul, de le plier et de le mettre en un endroit, mais on l'aurait emporté comme il était. C'est pourquoi l'évangéliste n'a tant d'empressement et de soin de marquer que le corps avait été enseveli avec beaucoup de myrrhe, substance qui colle et attache le linge au corps comme le plomb, qu'afin qu'ayant appris que les linceuls étaient pliés en un lieu, il part, vous n'écoutiez pas ceux qui disent qu'on avait enlevé le corps par. fraude. Un voleur n'aurait pas été assez fou pour employer tant de temps à une chose inutile. Pour quelle raison aurait-il laissé les linceuls? Comment se serait-il arrêté à les détacher du. corps, sans qu'on s'en fût aperçu? Il fallait pour cela bien du temps, et s'il eût ainsi tardé, il n'aurait guère pu manquer d'être pris sur le fait.

Mais pourquoi les linceuls. étaient-ils là séparément, et le suaire plié en un lieu à part? Peut vous montrer que, cela ne s'était pas fait [539] à la hâte et tumultueusement, puisque les linceuls et le suaire étaient séparés et pliés à part : en un mot, cela s'est fait ainsi, afin que les disciples crussent la résurrection. C'est pourquoi Jésus-Christ leur apparut ensuite, comme étant déjà persuadés de la résurrection par ce qu'ils avaient vu.

Considérez ici, je vous prie, mes frères, combien l'évangéliste est éloigné du faste et de la vanité : examinez le soin qu'il a de certifier que Pierre fit une exacte recherche. Etant arrivé le premier au sépulcre et ayant vu les linceuls qui y étaient, il ne chercha rien de plus, et il se retira. Mais Pierre, qui était vif et bouillant, entra dans le sépulcre, examina tout avec attention, et fit une nouvelle découverte; alors il appela Jean, afin qu'il vînt aussi voir. Jean étant donc entré après Pierre, vit de même les linges qui avaient servi à ensevelir le corps, séparés et pliés en un lieu à part. Or, ces linges ainsi séparés, pliés et mis en un lieu à part, prouvent visiblement que celui qui les avait rangés de cette manière n'était ni pressé ni troublé, mais qu'il était tranquille et attentif à ce qu'il faisait.

5. Vous l'avez entendu, mes frères : le Seigneur est ressuscité nu; gardez-vous donc de ces folles dépenses qu'on fait aux enterrements. A quoi sert une vaine et folle dépensé, dommageable aux parents du mort, sans être d'aucun avantage au mort lui-même; ou plutôt qui, si l'on veut avouer la vérité, est très-ruineuse pour ceux-là et très-dommageable pour ceux-ci. Souvent la magnificence,. la somptuosité. avec laquelle on ensevelit les morts, a été cause que les voleurs lés ayant déterrés et dépouillés, les ont laissés nus et sans sépulture : mais, ô vaine gloire t tu portes ta tyrannie jusques sur les deuils et les enterrements, et quelle folie n'inspires-tu pas? Plusieurs, en effet, pour empêcher ce .malheur, découpent et déchirent de très-belles et très-précieuses toiles, et, après les avoir remplies de beaucoup d'aromates, ils les enterrent, afin que de cette manière elles soient inutiles aux voleurs. N'est-ce pas là l'action d'un furieux et d'un insensé; faire éclater son faste et sa vanité, et en détruire aussitôt la matière? Oui, disent-ils, c'est l'expédient que nous avons trouvé, afin que nos morts soient en sûreté, et que ce que nous leur donnons leur demeure. Quoi donc ! Si les voleurs n'emportent pas ces draps, les teignes et les vers ne les mangeront-ils pas? Et si les vers et les teignes les épargnent, le temps et la pourriture ne les détruiront-ils pas?

Mais supposons que ni les vers, ni les teignes, ni le temps, ni aucun autre accident ne détruise ces choses, qu'on ne touche point au corps, et que tout se conserve dans sa fraîcheur, sa solidité, sa finesse, les morts en seront-ils plus avancés et plus riches? Le corps ressuscitera nu , ces dépouilles resteront dans le sépulcre , et ne nous serviront de rien pour rendre notre compte. Pourquoi donc, direz-vous, a-t-on enseveli le corps de Jésus-Christ dans ces linceuls pleins de précieux aromates? Ah ! gardez-vous de mêler les choses saintes avec les choses profanes: gardez-vous de confondre ce qu'on a fait pour le Seigneur avec ce que l'on fait pour des hommes: témoin les parfums répandus par la femme débauchée sur lés pieds sacrés du Sauveur. S'il en faut parler, nous dirons d'abord que ceux qui ont fait ces choses n'avaient point encore de connaissance de la résurrection; c'est pourquoi l'évangéliste dit : « Selon que les Juifs ont accoutumé d'ensevelir ». (Jean, XIX, 41.) Ceux qui. honoraient ainsi Jésus-Christ n'étaient pas de ses douze disciples, mais de ceux qui ne l'honoraient qu'à moitié : ce n'est pas de cette sorte que les douze apôtres font honoré, mais en souffrant la mort. pour lui, en s'exposant pour lui à mille périls et à mille morts. L'honneur que lui ont rendu ceux dont je parle, était véritablement un honneur, mais de beaucoup inférieur à celui-ci. Dé plus, comme j'ai dit, nous parlons maintenant des hommes, et c'est du Seigneur qu'il s'agissait alors.

Mais afin que vous sachiez qu'il ne se souciait pas de ces choses , écoutez ce qu'il dit « Vous m'avez vu avoir faim , et vous m'avez donné à manger: avoir soif, et vous m'avez donné à boire :  nu, et vous m'avez revêtu ». (Matth. XXV, 35, 36, 37.) Jamais il n'a dit: vous m'avez vu mort, et vous m'avez enseveli. Je ne vous dis pas ceci pour vous détourner de .rendre aux morts les devoirs de la sépulture. A Dieu ne plaise! mais afin que vous proscriviez le luxe et les dépenses fastueuses et mal placées.

Ce sont là, direz-vous, des témoignages de notre douleur, de notre affection pour le mort. Non, ne vous y trompez pas, mes frères; non, ce n'est point là de l'affection pour le mort, [540] mais de la vanité. Vous voulez lui marquer votre compassion? Je vais vous montrer des funérailles d'une autre espèce, et vous apprendre comment vous le couvrirez de vêtements qui le rendront illustre : de vêtements que ni les vers, ni le temps ne consumeront point, et que les voleurs n'emporteront point. Quels sont-ils? C'est le manteau de l'aumône; ce manteau ressuscitera avec lui : l'aumône demeure imprimée comme un sceau. Ils brilleront par leurs vêtements, ceux à qui, en ce jour redoutable, on dira: « J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger ». Ce sont là les vêtements qui rendent célèbres et illustres ceux qui en sont revêtus: ce sont là les vêtements qui nous mettent en sûreté. Ceux que l'on fait maintenant sont une vaine et folle dépense, qui ne sert qu'à nourrir les teignes et les vers.

Encore une fois, je ne dis point ces choses pour empêcher les funérailles, mais seulement je veux que vous n'excédiez point les bornes, que vous vous contentiez de couvrir le corps et de ne point le mettre nu en terre. S'il est prescrit à ceux mêmes qui vivent d'avoir uniquement de quoi se couvrir, c'est la même chose, à plus forte raison, pour les morts. En effet, un mort n'a pas tant de besoin de vêtements qu'un homme qui vit et qui respire. Lorsque nous vivons, les habits nous sont nécessaires , tant pour le froid que pour la pudeur : les morts, exempts de ces nécessités, demandent seulement que leur corps ne soit pas mis nu dans la terre: sans compter qu'ils sont déjà très-bien couverts par la terre elle-même, linceul parfaitement approprié à leur nature. Si donc , ici -bas même , où nous sommes sujets à tant de besoins et de nécessités , il ne faut rien rechercher de superflu ; à bien plus forte raison, là où il n'y en a point autant, la vanité et le faste sont-ils blâmables et hors de propos.

6. Mais, direz-vous, si on le voit, si on le sait, on rira, on se moquera de nous. Certes, il ne faut point tant se soucier de ces ris, que de l'extrême folie des rieurs. Et croyez-moi, il se trouvera plutôt bien des gens qui nous admireront, et qui loueront notre philosophie et notre vertu. Ce n'est point là ce qui est digne de risée, mais c'est ce que nous faisons: nos excès, nos pleurs, nos gémissements, s'ensevelir avec les morts, voilà ce qui est digne des ris et du supplice. Mais philosopher, mais se conduire par la raison et dans le deuil et dans la manière de vêtir les morts, c'est sûrement ce qui nous procurera des couronnes et des louanges. Tous nous applaudiront, tous admireront la vertu de Jésus-Christ, et diront: Ah! combien est grand le pouvoir de Jésus-Christ ! Il a persuadé à ceux qui doivent nécessairement mourir que la mort n'est point une mort voilà pourquoi ils n'agissent point comme créatures périssables , mais comme s'ils envoyaient les leurs les précéder dans un meilleur séjour. Il leur a persuadé que ce corps corruptible et terrestre sera revêtu de l'incorruptibilité, parure bien plus précieuse que les habits d'or et de soie. Et c'est pour cela qu'ils ne s'attachent pas à faire de si pompeuses funérailles, regardant une bonne vie comme le plus somptueux des enterrements.

Voilà ce qu'ils diront , s'ils nous voient philosopher de la sorte et nous conduire avec sagesse : mais s'ils nous voient tristes et abattus, s'ils apprennent que nous menons autour du corps une troupe de pleureuses, ils se riront de nous, ils nous diffameront, ils nous diront des injures, et ils blâmeront la vaine et superflue dépense que nous faisons. Car c'est là sur quoi tous s'écrient et nous font des reproches, et certes ils ont raison. En effet, où peut être notre excuse , quand nous parons un corps que la pourriture et les vers vont consumer, et qu'au contraire nous négligeons, nous méprisons Jésus-Christ qui a soif, qui est nu dans ces rues , et sans logement? Cessons donc de nous donner ces soins et ces peines superflues: ensevelissons les morts, mais de manière que, et dans eux et dans nous, cela tourne à la gloire de Dieu. Répandons pour eux de grandes aumônes, munissons-les de bonnes provisions pour leur voyage. Si la mémoire des grands hommes qui sont morts est utile et avantageuse à ceux qui vivent (car le Seigneur dit: « Je protégerai cette ville à cause de moi et de mon serviteur David ») (IV Rois, XIX, 34), à plus forte raison l'aumône attirera-t-elle ces avantages et cette protection aux morts. En effet, l'aumône, oui, l'aumône ressuscite les morts : c'est elle qui a ressuscité Dorcas (Act. IX, 36, 39), lorsque les veuves, entourant saint Pierre, lui montrèrent les habits que ses mains leur avaient faits.

Lors donc que quelqu'un est près de mourir, que son plus proche parent prenne soin de ses funérailles; qu'il conseille au mourant [541] de laisser quelque chose aux pauvres; qu'il l'envoie dans l'autre monde avec ces vêtements, qu'il l'engage à constituer Jésus-Christ son héritier. Si les rois, en instituant des héritiers, créent à leur famille une forte garantie ; celui qui laisse Jésus-Christ héritier avec ses enfants, quelle bienveillance n'attire-t-il pas, et sur lui-même , et sur toute sa famille ? Telles sont les belles funérailles : voilà celles qui sont profitables et aux vivants et aux morts. Si nous avons de pareilles funérailles, nous sortirons du tombeau, au jour de la résurrection , tout brillants et couverts de gloire. Mais si, ayant soin de notre corps , nous négligeons noire âme, nous aurons beaucoup à souffrir dans l'autre monde , et nous nous attirerons de grandes risées et de grandes moqueries. Ce n'est pas une petite infamie que de sortir de ce monde dénué de vertu : un corps privé de la sépulture et jeté par terre n'est pas si déshonoré que l'est une âme qui n'est point parée de vertu.

Revêtons-nous donc de la vertu, couvrons-nous de ce manteau. Si, par malheur, nous l'avons négligée durant notre vie , soyons sages du moins à la mort, et ayons grand soin de nous faire des amis et des protecteurs par nos aumônes. Forts de ces secours réciproques , puissions-nous comparaître au divin Tribunal avec cette pleine confiance que je vous souhaite, mes frères, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la gloire, l'empire, l'honneur, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

 

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