GUILLAUME ABBÉ DE SAINT-THÉODERIQ, PRÈS REIMS, ET ENSUITE MOINE DE SAIGNELAY.
LETTRE OU LIVRE AUX FRÈRES DU MONT-DIEU.
PRÉFACE.
Aux très chers Frères et Seigneurs, H..., prieur et aux autres Religieux, W..., désire un Sabbat bienheureux.
1. C'est chose presque imprudente, c'est chose qui dépasse toute convenance que ma bouche s'ouvre pour vous parler, ô mes très-chers frères dans le Christ : je ne puis garder le , silence, Dieu le sait. Pardonnez-moi, car mon coeur s'est dilaté. Dilatez-vous pareillement, vous aussi, dans vus entrailles, et saisissez-nous : parce que je suis tout à vous en celui dans le coeur de qui nous vous aimons et désirons réciproquement. Aussi, depuis que je vous ai quittés jusqu'à cet instant, j'ai voulu dédier mon travail de chaque jour, quelque chétif qu'il soit, non à vous qui n'en avez nul besoin, mais au frère Etienne et ses compagnons, les frères plus jeunes que lui, ainsi qu'aux novices qui vous arrivent, dont Dieu seul est le maître : qu'ils prennent cet opuscule et qu'ils le lisent ; peut-être y trouveront-ils quelque consolation qui charmera leur solitude, quelque motif qui les poussera à bien être fidèles à leur sainte résolution. J'offre ce qui est en mon pouvoir, la bonne volonté; de mon côté, je la réclame de vous avec les fruits qu'elle produit. David plut au Seigneur en dansant, non à cause de sa danse, mais à raison de son amour. (II. Reg. VI, 24.) Pareillement, la femme qui oignit les pieds du Seigneur fut louée par Jésus-Christ, non pour cette onction, mais en vue de la charité qui la faisait faire ; et parce qu'elle accomplit ce qui était en son pouvoir, elle fut justifiée. (Luc. VII, 47.)
2. J'ai aussi pensé à vous dédier un autre opuscule que j'ai entrepris pour consoler l'âme de quelques-uns de nos frères, et pour venir en aide à leur foi, bien qu'assurément il y ait plus de crainte que de danger dans l'état de besoin où ils se trouvaient. Leur tristesse a coutume de me causer beaucoup de joie, mais je ne les puis voir livrés à ses atteintes. Car l'excès de leur foi, et surtout lardeur de leur amour, leur fait détester à un tel point tout ce qui offense la vérité, que, si même légèrement, l'esprit de blasphème ou les impressions de la chair atteignent leur âme ou lémeuvent, au premier bruit, à la moindre approche, ils croient que la pureté de leur âme est blessée et ils se pleurent eux-mêmes comme réprouvés. Quand ils passent des ténèbres du siècle aux exercices d'une vie plus pure, ils éprouvent un coup semblable à celui que ressentent les personnes qui abandonnent brusquement, et quittent de longues ténèbres pour une subite lumière. De même qu'en les frappant soudain, la lumière qui doit tout leur faire voir blesse leurs yeux trop faibles ; de même, ces âmes novices, à la première clarté de la foi, sont aveuglées, et ne peuvent soutenir les rayons inaccoutumés d'une lumière nouvelle, tant que l'amour lui-même de cette clarté ne les a pas habituées à en supporter l'éclat.
3. Cet opuscule se divise en deux petits livres; j'ai résolu de donner au premier, parce qu'il est facile et aisé, le titre de « Miroir de la foi ; » pour l'autre, parce qu'il semble contenir les raisons et les formules de la foi selon les paroles et le sentiment des docteurs catholiques, et se trouve un peu plus obscur, je lui ai réservé le nom « d'Énigme de la foi » : je me suis plus attaché, en m'occupant de ce travail, à fuir l'oisiveté, qui est si ennemie de l'âme (car la vieillesse et la souffrance font que je ne prends plus part aux travaux communs, non comme émérite, mais comme paresseux et inutile), qu'à instruire les autres. La doctrine, en effet, n'est pas belle dans la bouche du pécheur, et elle ne convient qu'à celui qui confirme par sa vie ce qu'il a planté par ses paroles. Le premier apprend au disciple ignorant où il doit aller, le second lui montre avec quelle; précaution il doit marcher. Car c'est cet ordre qu'indiquent les paroles du Seigneur: «et vous savez où je vais et vous connaissez le chemin. » (Joan. XIV, 4.) D'où le Prophète : c les richesses du salut sont la sagesse et la science. » Et dans les Psaumes d'abord : « le jour adresse la parole au jour, et ensuite la nuit apprend la science à la nuit. » (Ps. XVIII, 3.)
4. Il existe plusieurs autres opuscules de moi. Ce sont deux traités, le premier de « la Contemplation de Dieu ; » l'autre « de la Nature et de la dignité de l'amour; » un petit écrit sur « le sacrement de l'autel » des « méditations » qui jusqu'à ce jour n'ont pas été sans bon résultat pour former les âmes des novices à la prière : et un commentaire sur le Cantique des Cantiques, jusqu'à ces paroles : « quand je les eus un peu dépassés, j'ai trouvé celui que mon coeur aime. » Car mon livre, «contre Pierre Abeilard » m'a empêché de l'achever : (je n'ai pas pensé, en effet, qu'il me fût libre de me livrer au-dedans à des loisirs si doux, quand au-dehors, un glaive dégainé portait le ravage dans les régions de notre foi) ; ce que j'ai écrit contre lui, je l'ai puisé aux sources des saints Pères, comme je lai pratiqué aussi dans les commentaires sur l'épître aux Romains et en d'autres ouvrages dont je parlerai plus bas, dans lesquels on ne trouve rien ou presque rien de moi; il vaut donc mieux, si ce parti ne déplait pas, en ôter mon nom, et les laisser parmi les anonymes, plutôt que de paraître, ainsi que je l'ai dit, rassembler ce que je n'ai pas produit. Car j'ai tiré des écrits de saint Ambroise tout ce qu'il a dit sur le Cantique des Cantiques, ouvrage grand et remarquable. J'ai agi de même envers saint Grégoire, lui empruntant plus abondamment que Bède ne l'avait fait. Car le même Bède comme vous le savez, a indiqué cet emprunt à la fin de ses autres ouvrages, tires sentences sur la foi, » que j'ai tirées des uvres de saint Augustin, sont fortes et solides; si vous voulez les transcrire, elles vont mieux avec l'opuscule déjà indiqué, à qui j'ai donné le titre « d'Enigme de la Foi. » Il existe un autre opuscule de « la nature de l'âme, » écrit sous le nom de Jean à Théophile : dans lequel, pour traiter (ainsi que cela me paraissait convenable) de l'homme tout entier, j'ai placé d'abord quelques réflexions sur le corps, extraites des livres de ceux qui en soignent les maladies; j'ai tiré pareillement ce que j'enseigne sur les âmes des écrits de ceux qui veillent à leur salut. Lisez tous ces ouvrages, et s'il ne vous plait pas de lire les premiers, parcourez du moins, si cela vous parait bon, les derniers : et s'ils tombent entré les mains de ceux qui, ne faisant rien, critiquent tout ce que font les autres, moi aussi, comme Isaac devenu vieux et caduc (Gen. XXVII, 1.), caduc, non à cause de la faiblesse de mes jambes, mais à cause de mon peu de sens, je ne pourrai éviter leurs traits. Je préfère, si on les trouve inutiles, que d'après le jugement ou même le conseil de mes amis, on les jette au feu, que de les voir déchirés par les morsures de ceux qui les attaqueraient. Dieu nous a appelés à la paix, et il faut chercher ce qui est bien, non-seulement devant lui, mais encore devant les hommes (Rom. XII, 17), afin que, s'il est possible, de notre côté du moins, nous ayons la paix avec tous. Car c'est là surtout ce que l'Apôtre nous recommande, de veiller soigneusement, à ne pas donner de scandale à nos frères. (Ibid. XIV, 13.) Si quelqu'un les lit dans un but d'édification, il n'y trouvera rien qui doive l'offenser et le révolter contre un présomptueux. Et sans parler d'édification, celui qui aura le coeur ami supportera mon peu de sagesse, s'il s'en rencontre en ceci; il n'interprétera pas ma simplicité dans un mauvais sens; surtout à cause du motif que j'ai exposé plus haut, parce que ne me trouvant nullement au courant des travaux du dehors, et déjà brisé non-seulement par l'âge, mais encore par les infirmités, si je n'avais pas recouru à la protection que m'a accordée cette étude, je n'aurais pu éviter la tyrannie de l'oisiveté, qui, aux termes de l'Ecriture, « apprend beaucoup de mal. » (Eccli. XXXIII, 29.)
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