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CHAPITRE X. Offices et exercices du religieux dans sa cellule.
28. Osez aussi quelquefois désirer et goûter des grâces meilleures, et soyez vous à vous-même un motif d'édification. Autre est votre cellule extérieure, autre votre cellule intérieure. L'extérieure, c'est la maison qu'habite votre âme avec votre corps : l'intérieure, c'est votre conscience qui doit habiter avec votre âme, Dieu qui est plus intérieur que tout ce qu'il y a d'intime en vous. La clôture extérieure est la marque de la circonspection qui règne au-dedans de même que la clôture extérieure empêche les sens du corps de se répandre au-dehors, ainsi celle qui est au-dedans retient toujours dans l'âme les sens intérieurs. Aimez donc votre cellule extérieure, aimez votre cellule intérieure, et donnez à chacune le soin qu'elle réclame. Que celle du dehors vous abrite sans vous cacher : non pour pécher plus secrètement, mais pour vivre avec plus de sûreté. Car vous ne savez point, ô grossier habitant, ce que vous devez non-seulement à votre cellule, si vous ne considérez comment, en y résidant, vous êtes guéri de vos vices, mais de plus comment vous n'avez pas à lutter contre ceux des autres. Vous ne savez pas l'honneur que vous devez rendre à votre conscience, si vous n'y éprouvez pas la grâce dit Saint-Esprit et la douceur de la suavité qu'il y répand. Rendez-donc à cette double cellule l'hommage qui lui est dû, et exigez-y pour vous la première place. Apprenez à vous y gouverner selon les lois communes de l'institut, à régler votre vie, à disposer vos moeurs, à vous juger, à vous accuser devant vous, à vous condamner souvent, et à ne pas manquer de vous punir. Que la justice siège sur le tribunal : que la conscience comparaisse comme coupable et s'accusant elle-même. Personne ne vous aime davantage, personne ne vous jugera avec plus de fidélité. 29. Le matin, rendez-vous compte de la nuit qui vient de s'écouler, et prenez vos précautions pour bien passer le jour qui arrive. Le soir, examinez le jour terminé et jetez un regard de prévoyance sur la nuit qui survient. En vous tenant ainsi serré par ces examens, vous ne pourrez jamais faire d'écart fâcheux. A chaque heure, selon la règle de la communauté, placez quelque exercice, à celle qui veut les spirituels, les spirituels; les corporels, au moment qui veut les corporels : et de la sorte, l'esprit donnera à Dieu tout ce qu'il lui doit,.et le corps en fera autant par rapport à l'esprit ; s'il y a quelque omission ou quelque imperfection, trouvez toujours moyen de la punir ou de la compenser dans son mode, dans son lieu ou dans son temps. Eu ceci, hors de ces heures dont le Prophète dit : « sept fois le jour j'ai chanté vos louanges» (Ps. CXVIII, 164.), il faut s'appliquer surtout au sacrifice du matin et du soir, ét à celui du milieu de la nuit. Ce n'est pas en vain que le Prophète s'écrie : « le matin je me présenterai devant vous et je verrai » (Ps. V, 6), parce qu'alors nous sommes comme à jeûn des soucis extérieurs, et encore : « que ma prière se dirige comme l'encens en votre présence l'élévation de mes mains, c'est le sacrifice du soir» (Ps. CXL, 2), parce qu'alors nous sommes délivrés, par une sorte de digestion spirituelle, de tous les empêchements qu'ils causent. Poursuivant la suite de l'ordre qui règle cette louange, dans nos veilles nocturnes (quand nous nous levons au milieu de la nuit pour célébrer le nom du Seigneur), le même Prophète s'écrie : « au jour de ma tribulation, j'ai cherché le Seigneur en tendant mes mains vers lui, et je n'ai point été déçu dans mon attente. » (Ps. LXXVI, 3.) C'est à ces moments surtout que nous devons nous placer devant Dieu comme face à face, examiner toute chose à la lumière qui jaillit de son visage, trouver en nous un sujet de douleur et de chagrin, invoquer le nom du Seigneur en purifiant notre esprit jusqu'à ce qu'il s'enflamme : concevant de saints désirs au souvenir de l'abondance de sa douceur, jusqu'à ce qu'il nous la fasse éprouver lui-même dans notre cur. C'est alors surtout qu'il faut faire ce qu'a dit l'Apôtre : « J'aime mieux qu'on dise une parole seulement dans le sens que j'indique, que dix mille sans les comprendre. » (I. Cor. XIV, 19.) Et encore : «je chanterai d'esprit, je chanterai de cur. (Ib. XIV, Ib.) C'est alors qu'il faut ramasser pour l'esprit et pour le cur, les fruits qu'ils ont produits, afin qu'ensuite ou bien nous entrions dans le repos de la nuit qui répare dans l'abondance de la bénédiction dé Dieu, ou bien, qu'en nous levant pour chanter les louanges du Seigneur, tout le mouvement de notre activité soit formé dans son principe et vivifié dans son développement, par la ferveur de ces saintes louanges. C'est pourquoi, pour prévenir les vigiles de la nuit, il n'est pas expédient d'écraser l'intelligence du poids d'un grand nombre de Psaumes, et d'épuiser ou d'éteindre l'esprit. Mais quand l'âme est. calme, il lui faut faire éprouver des sentiments de piété, et la diriger vers Dieu par sa voie naturelle, jusqu'à ce que, son amour se dilatant, elle se mette à courir jusqu'au bout de l'uvre du Seigneur, ayant ainsi le mode qui règle sa ferveur et la suite qui la fait persévérer, à moins qu'une grande négligence ne vienne en interrompre le mouvement, ou qu'une misère volontairement commise ne l'étouffe entièrement. 30. Quiconque a le sentiment du Christ sait aussi combien il est expédient pour la piété chrétienne, combien il convient et il est utile à un serviteur de Dieu, à un serviteur de la Rédemption de Jésus-Christ, au moins à quelque heure du jour, d'honorer avec plus d'attention les bienfaits de la passion et de la Rédemption du Seigneur, pour en jouir suavement dans sa conscience et les graver fidèlement dans sa mémoire c'est là manger spirituellement le corps du Christ et boire son sang en mémoire de lui : ce qu'il a commandé par ces paroles à tous ceux qui croient en lui : « Faites ceci en souvenir de moi. » (Luc. XXII, 19.) Si on n'est pas obéissant à cette prescription, il devient manifeste aux yeux de tous, combien il est impie pour l'homme d'oublier un amour si excessif de Dieu : c'est un crime, en effet, de perdre le souvenir d'un ami absent, rappelé par un gage qui a été laissé. Car il est permis au peu d'hommes à qui a été confié ce saint mystère, d'en célébrer sacramentellement la mémoire sainte et vénérable, dans des lieux, dans des temps et dans des manières fixées : quant à la chose du sacrement, et à l'esprit du mystère à toute heure, en tout lieu de l'empire du Seigneur, tous peuvent facilement les réaliser, les toucher et s'en nourrir, comme il a été expliqué, c'est-à-dire avec le sentiment de la piété nécessaire, pour leur. propre salut; c'est à ces fidèles qu'il a été dit : « vous êtes une race choisie, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple d'acquisition, pour annoncer les prodiges opérés par celui qui vous a appelés des ténèbres à l'admirable lumière de sa connaissance. » (I. Petr. II, 9.) Pour ce qui est du sacrement, de même que le juste le reçoit pour la vie, de même le pécheur le mange pour sa condamnation : quant à la chose du sacrement, personne n'y participe que celui qui est digne et préparé. Le sacrement sans la chose du sacrement, est la mort de celui qui le prend : la chose du sacrement, même hors du sacrement, est la vie éternelle pour qui la reçoit. Si donc vous le voulez, si vous le voulez vraiment, à toutes les heures du jour et de la nuit, vous avez ce grand don de Dieu à votre disposition dans votre cellule. Toutes les fois qu'en vous rappelant, celui qui a tant souffert pour vous, vous éprouverez à ce souvenir des sentiments de tendre piété, vous mangerez son corps et vous boirez son sang. Tant que par la charité vous demeurez en lui, et que lui réside en vous par l'opération de la justice et de la sainteté , vous êtes compté au nombre de ses membres. 31. Il faut aussi vaquer à la lecture à certaines heures marquées. Car une lecture variée, faite au hasard et comme rencontrée par accident, en un lieu puis en un autre, n'édifie pas, mais rend l'esprit inconstant; et, faite avec rapidité et sans application, elle s'échappe vite de la mémoire. Il faut s'attacher à certains esprits et accoutumer son âme à leur genre. Les saintes Ecritures veulent être lues dans l'esprit qui les a dictées. Jamais vous n'entrerez dans le sens de saint Paul, si, par la bonne intention qui vous le fera lire, et par l'application d'une méditation- assidue, vous ne vous pénétrez point de son esprit. Comprendrez-vous David, si l'expérience elle-même ne vous a pas fait éprouver les impressions que redisent ses Psaumes? Il en est ainsi des autres livres sacrés. Et pour toute l'Ecriture, entre l'étude et la lecture, il y a la même différence qui sépare l'amitié de l'hospitalité, une affection de connaissance, d'un salut échangé par hasard. De plus, il faut confier à la mémoire un passage du livre qu'on lit chaque jour, pour qu'elle le digère avec plus de facilité et le rumine plus souvent : un passage qui convienne aux résolutions qu'on aura prises, qui serve à diriger l'intention et qui fige l'esprit et l'empêche de se livrer à dés pensées étrangères. Dans le cours de la lecture, il est nécessaire de puiser de pieuses affections, et d'en former des oraisons jaculatoires qui interrompent cette occupation, qui l'interrompent sans la suspendre et qui, chose préférable, rendent l'esprit plus pur et le mettent ainsi en état d'en mieux comprendre la suite. La lecture sert et facilite l'intention. Si en lisant, l'âme cherche véritablement Dieu, tout ce qu'elle lit lui tourne à bien, le sens de celui qui parcourt le livre est captivé, et il soumet tout ce qu'il y trouve et comprend à l'obéissance due à Jésus-Christ. Que si celui qui entreprend cette lecture éprouve un sentiment différent, ce sentiment entraîne tout après lui : il n'est rien de si saint et de si pieux dans les Ecritures que par vaine gloire, par gloses détournées ou par fausse intelligence, on ne fasse servir à la malice ou à la vanité. La première disposition pour lire les Ecritures doit être la crainte du Seigneur; c'est sur elle que doit se baser l'intention qui la prend en main, c'est elle qui doit la diriger, elle aussi qui donnera le sens et l'intelligence de ce livre sacré.
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