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CHAPITRE III. Il faut pratiquer la vertu avec ferveur, pour l'exemple de ceux qui viendront après nous.
7. Opérez donc plutôt avec crainte et tremblement votre salut, qui est aussi celui des autres. Considérez, non ce qu'ils sont, mais ce qu'il est en votre pouvoir de les rendre par votre influence; considérez non-seulement ceux qui existent présentement, mais ceux qui vivront après vous, et que vous aurez pour imitateurs dans votre sainte carrière. Car, de vous, de votre exemple, de votre autorité, dépend dans ce pays toute la prospérité de votre ordre sacré. Vos successeurs, en vous respectant comme ils le doivent et en vous imitant, vous appelleront leurs pères et leurs fondateurs. Tout ce que vous aurez réglé, tout ce que votre manière de faire aura établi comme coutume, vos successeurs le recueilleront et le maintiendront; il ne sera permis d'y rien changer. Il en sera de ces règles chez vous, comme chez nous des lois immuables de la souveraine et éternelle vérité; il est expédient que tous les apprennent et les scrutent, personne néanmoins n'a licence pour les juger. Rendons grâce à Dieu, parce qu'il ne sera ni indigne de vous, ni inutile pour vos successeurs, de pratiquer vos règles avec force et d'imiter avec fidélité en vous ce que vous pratiquez vous mêmes. Et s'il faut aussi faire la part à d'autres idées sages, Dieu vous le manifestera. Car, sans blesser en rien la sainteté de la chartreuse, sans porter atteinte au respect plein d'estime qui lui est dû, dans les froids rudes et continuels des Alpes, bien des choses sont nécessaires aux religieux qui y pratiquent la pauvreté volontaire en se bornant à ce qui suffit, qui ne le sont pas au même degré dans les régions que nous habitons. 8. Vous comprenez ce que je dis : le Seigneur vous en donnera l'intelligence. Je me réjouis en vous, et bien qu'absent de corps mais présent d'esprit et considérant votre ordre, la ferveur de son esprit, (abondance de la paix qui y règne, la grâce de la simplicité, la fidélité aux règles, la suavité même du saint Esprit qui se fait sentir dans la charité qui lie les religieux, le modèle parfait de piété qui reluit dans la vie que vous menez,` à ce souvenir du Mont-Dieu, je tressaille d'allégresse et j'adore avec amour ces prémices du saint Esprit et le gage de la grâce accordée à cet ordre religieux qui grandit en luit promettant de si heureux fruits. Car, ce nom même de Mont-Dieu est d'un bon augure; il marque, comme le Prophète le dit de la montagne du Seigneur, que sur ses hauteurs habite la race de ceux qui cherchent Dieu, de ceux qui cherchent la face du Dieu de Jacob, de ceux qui ont les mains innocentes et le coeur pur, et qui n'ont pas reçu leur âme en vain. (Ps. XXXIII, 4.) Car, voilà bien votre profession, chercher ce Dieu de Jacob, non à la façon ordinaire des autres hommes, mais chercher la face de Dieu, cette face que vit Jacob, lorsqu'il dit : « J'ai vu le Seigneur face à face, et mon âme a été sauvée. (Gen. XXXII, 30.) Rechercher la face de Dieu, c'est chercher à le connaître à visage découvert, comme le vit Jacob et comme le dit aussi l'Apôtre alors je connaîtrai comme je suis connu : à présent, nous voyons dans un miroir et par reflet; mais alors, nous le verrons face à face, comme il est : » (I Cor. XIII, 12.) c'est cette vision après laquelle nous devons courir sans relâche sur la terre par l'innocence des mains et la pureté du coeur, comme l'enseigne « la piété,» qui, aux termes de Job, est le culte de Dieu. » (Job. 28 selon les LXX). Celui qui n'a pas cette piété, « a reçu son âme en vain, » c'est-à-dire, il vit inutilement, ou il ne vit pas entièrement, en ne vivant point de cette vie pour laquelle son âme lui avait été donnée.
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