CHAPITRE VI
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PRÉFACE
AVERTISSEMENT
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CHAPITRE XIII
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CHAPITRE XV
CHAPITRE XVI

CHAPITRE VI. Dieu a donné à l'homme une intelligence capable d'apprendre les arts et les sciences; les uns en usent bien et les autres mal.

 

15. En cette créature en qui l'animalité et la raison se trouvent conjointes, dans l'âme humaine, le Créateur bon a laissé l'intelligence et l'esprit, et dans l'esprit, l'art; par là, Dieu a établi l'homme au-dessus de toutes ses oeuvres, et a placé sous ses pieds toutes les choses terrestres: dans l'animal superbe, ce don est un témoignage de sa dignité naturelle et une trace de l'image du Seigneur qu'il a perdue ; dans celui qui est humble et simple, il est un recours pour retrouver sa dignité et maintenir sa ressemblance avec l'auteur de son être. (Rom. I, 19.) En cela, le Créateur est estimé par ses dons qui se montrent dans ses créatures. En cela, se manifeste -la justice de Dieu : parce que ceux qui opèrent le bien méritent de vivre, et ceux qui font le mal, sont dignes de mort. La créature qui nous sert spontanément est soumise à la nature et lui est coordonnée pour se plier à la nécessité qui vient du péché, à la volonté et à la jouissance de l'homme. Aussi, tout le monde voit facilement comment bons et méchants ont tiré et tirent tous les jours de cette source les aliments nécessaires à la vie, les moyens qui servent au bien et au mal, toutes choses très-belles en leur genre. De ce même principe, dans les lettres, dans les travaux manuels, dans les constructions, les hommes, par leurs inventions innombrable, ont fait sortir tant de modes d'études, tant d'espèces de professions, les subtilités, les sciences recherchées, les arts, l'éloquence, les dignités, la variété des emplois, les innombrables recherches qui se pratiquent dans le siècle, dont usent pareillement, soit pour leur nécessité, soit pour leur utilité, et ceux qu'on appelle sages de ce siècle, et ceux qui sont simples et enfants de Dieu. Mais les premiers en abusent pour satisfaire leur curiosité, leur volupté et leur superbe , les autres les emploient à titre de nécessité, trouvant ailleurs la délectation qu'ils désirent. Les premiers, serviteurs de leurs sens et esclaves de legs corps, se voient entourés îles fruits de la chair qui sont « la fornication, l'impureté, l'orgueil, la luxure, les inimitiés, les contentions, les jalousies, les colères, les rixes, les dissensions, l'envie, les repas copieux, l'ivresse et autres excès de ce genre : quiconque s'en, rendra coupable, n'obtiendra pas le royaume de Dieu. » Les autres recueilleront les fruits de l'Esprit qui sont « la charité, la joie, la paix, la patience, la bénignité, la longanimité, la bonté, la mansuétude, la foi, la modestie, la continence, la chasteté et la piété qui possède les promesses de la vie présente et de la vie future. (Gal. V, 19 et seq.)

16. Tant que ces hommes agissent, on voit au-dehors des actions pareilles, mais Dieu discerne les volontés et les intentions. Mais quand on rentre dans son intérieur, chacun trouve les conséquences de ce qu'il a voulu, que lui présente comme nourriture sa propre conscience. Chacun pourtant n'y revient pas également : personne n'aime à revenir en soi après son action, quand il n'en est point parti avec bonne intention. Qui y retourne sans avoir vaincu sa concupiscence, il trouve, venant de cette même concupiscence, ou d'agréables délectations, ou de cuisants remords, et aussi il multiplie ses réflexions. Quant à celui qui a déjà triomphé de sa concupiscence, sans que néanmoins un désir plus grand, ou une jouissance plus vive du véritable bien se soit emparée de son esprit, il souffre, avec une volupté désagréable, les imaginations qui résultent de ce qu'il a fait ou entendu: aussi ses reins seront remplis des illusions de ses délectations, et quand il faudra contempler les choses divines et spirituelles, la lumière de ses yeux ne sera plus avec lui : celui qui combat contre les passions, souffre des ennuis, parce qu'il ne parvient point à surmonter entièrement les impressions qu'il en éprouve. Celui qui aspire à la liberté ne peut éloigner de lui les imaginations de ses impressions, et les pensées nuisibles, pénibles ou oisives qui s'élèvent de toutes parts. De là, au temps de la psalmodie ou de l'oraison et des autres exercices spirituels, dans le coeur du serviteur de Dieu, malgré ses refus et ses luttes, les imaginations et les fantômes des vaines pensées, qui, semblables à des oiseaux immondes posés ou voltigeants, viennent enlever le sacrifice de dévotion des mains de celui qui le tient, ou le souillent souvent jusqu'à arracher des larmes à celui qui l'offre. Dans cette âme infortunée éclate une triste et inégale division, l'esprit et la raison d'un côté réclamant la volonté et l'intention du coeur avec la prompte obéissance du corps; la grossièreté animale s'emparant, d'un autre, avec violence, de l'intelligence et de la volonté, et souvent par là l'esprit reste sans produire de fruits. De là vient que dans les âmes faibles, et en qui les concupiscences de la chair et du siècle ne sont pas encore parfaitement mortifiées, le vice de la curiosité commence à faire de forts grands ravagés. De là résulte que l'on cherche ces consolations déréglées et ennemies d'une règle de solitude et de silence, ces diversions furtives où la volonté se trouve à l'écart dans la voie royale d'une vie commune, le dégoût de ce que l'on fait tous les jours, le sentiment qui fait voir de bon oeil toutes les nouveautés. Ces sortes de remèdes semblent calmer pour un moment, en le soulageant, ce prurit et cet ennui de l'âme, mais ils la réchauffent et l'enflamment en augmentant par la suite ses tristes ardeurs et ses déplorables démangeaisons. De là cette regrettable inconstance par laquelle tous les jours on s'adonne à des occupations nouvelles, à de nouvelles pratiques et à de nouveaux travaux; qui porte à faire des lectures variées, non pour édifier l'âme, mais pour tromper la monotonie pesante d'un joie trop lent à s'écouler : en sorte que le solitaire, après avoir condamné tout ce qui est ancien, tout ce qui se pratique d'ordinaire, n'éprouve plus, quand le nouveau est épuisé, que la haine de sa cellule, et le besoin d'en sortir promptement.

17. C'est pourquoi, l'homme simple et nouveau dans la vie religieuse et solitaire, qui n'a pas de raison pour le conduire, de sentiment pour l'entraîner et de discernement pour le modérer, mais qui se sert envers lui-même de la force que l'ouvrier emploie envers l'objet qu'il élabore, doit être façonné par les mains d'autrui dans la loi des commandements de Dieu, et formé en toute patience à la roue mobile et docile de l'obéissance, au feu de l'épreuve, soumis aux ordres et au gré de celui qui le dirige. Quoiqu'il ait du génie, de l'art et de l'intelligence à un degré supérieur, il n'importe, ces dons peuvent servir d'instruments aussi bien au vice qu'à la vertu. Qu'il ne refuse pas d'apprendre à utiliser pour le bien, ce qui peut être consacré au mal, car c'est là le propre dé la vertu. Que le génie assouplisse le corps, que l'art forme la nature, que l'intelligence ne rende pas l'âme superbe, mais docile. Car on a reçu gratuitement le génie, l'art, l'intelligence et les autres dons de ce genre; il n'en est pas ainsi de la vertu. La vertu veut être apprise avec humilité, cherchée avec travail, possédée avec amour. Car, comme elle est digne de toutes ces richesses, elle ne peut être apprise, cherchée ou possédée d'une autre manière.

 

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