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CHAPITRE VII. Ce que doit apprendre le religieux novice ou lermite grossier.
18. En premier lieu donc, l'habitant du désert encore grossier doit apprendre, selon la réglé tracée par l'Apôtre, à faire de « son corps une hostie vivante, sainte, plaisant à Dieu et lui soumettant sa raison. » (Rom. XII, 4.) Pour dompter la recherche précipitée et curieuse qu'éprouve à légard des choses spirituelles et divines, dans la ferveur de son commencement, lhomme animal qui ne saisit pas encore les choses de Dieu, le même Apôtre ajoute: « Je le dis par là grâce de Dieu qui m'a été donnée, à tous ceux qui sont parmi vous, de n'être pas plus sages qu'il ne faut, mais de l'être avec sobriété. » (Ibid, 3.) Parce que la réforme de (homme animal roule en tout, ou du moins en très-grande partie sur son corps et sur son agencement extérieur, il faut lui apprendre en premier lieu à fortifier raisonnablement son coite et ses membres qui sont sur la terre; à tenir un juste équilibre de raison et de discernement entre la chair et l'esprit qui luttent sans-cesse sans relâche, sans avoir de partialité pour l'un ou l'autre. Il faut lui enseigner à traiter son corps comme un malade qu'on lui a recommandé, à qui il faut refuser, malgré ses vifs désirs, les choses inutiles, et faire prendre de force celles qui- liai sont salutaires. A se servir de lui, non comme s'il lui appartenait, mais comme étant de celui qui nous a acheté à grand prix, afin que nous le glorifions dans notre chair. (I Cor. VI 20.) Il faut encore linstruire à éviter ce que le Seigneur reproche par, son Prophète, au peuple pécheur : «Vous m'avez rejeté derrière votre dos.» (III. Reg. XIV, 9.) Aussi, il faut beaucoup prendre garde de laisser, en vue des besoins ou des avantages temporels de la vie présente, son esprit s'écarter du droit chemin ou s'abaisser en quoi que ce soit de sa dignité, et descendre à aimer ou à honorer le corps auquel il est uni. C'est pourquoi il faut traiter ce corps avec dureté,,pour qu'il ne se révolte point et ne fasse pas l'insolent: de manière cependant a ce qu'il soit en état de servir, car il a été donné à l'homme pour être le serviteur de l'âme. Il ne faut pas l'avoir comme si nous devions vivre pour lui, mais comme un instrument sans lequel nous ne pouvions pas vivre. Car l'alliance que nous avons avec le corps, nous ne sommes pas libre de la rompre quand nous voudrons : il nous faut attendre avec patience la fin légitime de ce combat, et en observer fidèlement les clauses. 19. Nous devons conséquemment vivre ou nous tenir avec lui comme si nous n'avions pas à rester longtemps en sa société; de sorte que s'il en arrive autrement, nous ne soyons pas pressés de le quitter. Sur ce point il y aurait bien des scrupules à éprouver, ou bien des dangers à courir; mais la règle de l'obéissance, qui s'applique aussi à la cellule, en donnant une fois la forme parfaite de l'observance commune en ce qui regarde le vivre, le vêtement, le travail et le repos, le silence et la solitude, et tout ce qui se rapporte au soin extérieur de l'homme ou à ses nécessités, rend le frère obéissant, patient et tranquille; et précautionné pour le reste, en le mettant à l'abri. Tout y est si bien précisé, le superflu si sagement retranché, tout le nécessaire si justement renfermé dans les bornes du suffisant et d'une retenue universelle, qu'il y a de quoi laisser désirer aux forts, sans éloigner les faibles, que la quantité accordée ne peut blesser en rien la conscience de ceux qui en usent avec actions de grâces, et que la partie retranchée ne doit pas tenter le serviteur de Dieu bien réglé, et bien élevé. En ces prescriptions, comme le dit Salomon : « Qui marche simplement marche avec confiance : » (Prov. X, 9.) «qui a l'esprit dur tombera dans le mal. » (Ib. XXVIII, 14.) Car encore qua l'ordre nécessaire de la maison soit distribué de telle sorte qu'il n'y a lieu à aucune plainte, et que tout superflu, soit retranché, si cependant , soit en public, soit en particulier, il y a quelque chose à ajouter ou à ôter, tout est remis au jugement du Prieur, sans scrupule et sans danger pour ceux qui lui obéissent. 20. Il faut donc habituer le nouvel ermite à dompter, en suivant la règle commune, les concupiscences de sa chair, en faisant une pénitence continuelle pour ses péchés passés, et à se mépriser lui-même pour mépriser tout le reste. Il faut aussi le prémunir avec soin contre les tentations qui ont coutume de fatiguer davantage le novice solitaire, car elles ne cessent de solliciter le serviteur de Dieu qui sert le Seigneur, et d'exciter ses sentiments vicieux eu lui offrant des délectations qui les satisfassent, le diable y ajoutant ses suggestions, la chair, ses désirs et le siècle, ses images qui enflamment la concupiscence. C'est ainsi que nous éprouve le Seigneur notre Dieu, pour savoir si nous l'aimons, oui ou non : non qu'il ne le sache pas, mais afin que la tentation nous soit une occasion de le mieux remarquer en nous-mêmes. Les tentations sont facilement vaincues, et on marche à leur rencontre avec succès, quand elles sont suspectes, ou lorsque dès le premier abord, on les reconnaît pour mauvaises. Quant à celles qui s'introduisent sous l'apparence du bien, on les discerne avec plus de difficulté, et on les introduit dans l'âme avec plus de danger. Car, de même qu'on garde très-difficilement une mesure dans ce que l'on croit bon, de même tout désir du bien n'est pas toujours sûr et sans danger.
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