CHAPITRE VIII
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CHAPITRE VIII. Le religieux, surtout le solitaire, doit éviter avec tout le soin possible l'oisiveté, et quelles occupations lui conviennent.

 

21. L'oisiveté est la source de toutes les tentations et de toutes pensées mauvaises et inutiles. Ce qui occasionne le plus de mal à l'âme, est l'oisiveté inerte. Que le serviteur de Dieu ne soit jamais oisif, même lorsqu'il prend quelque relâche de ses exercices religieux. Ne donnons point un nom si louche, si vain et si mou à une chose si certaine, si sainte et si auguste. S'appliquer à Dieu n'est pas oisiveté, c'est l'affaire des affaires. Celui qui, dans sa cellule, ne s'y livre pas avec ferveur et avec fidélité, quoiqu'il fasse, s'il n'agit pas pour la grande affaire de servir Dieu, il est oisif en ce qu'il fait. Il est ridicule de se livrer à l'oisiveté, sous prétexte d'éviter l'oisiveté. Celui-là est oiseux qui n'a pas d'utilité ou quelque intention d'utilité. II ne faut point en agir ainsi, pour que le jour du repos s'écoule avec quelque charme pour nous, ou du moins sans grand ennui; mais pour que le repos laisse toujours dans notre conscience quelque chose qui tourne au profit de l'âme, pont que, chaque jour, quelque bien s'amasse dans le trésor du coeur. Et le bon habitant de la cellule ne doit pas croire qu'il a vécu, le jour où il n'a pratiqué aucune des choses pour lesquelles on vit dans la cellule.

22. Vous demandez ce que vous avez à faire, et à quoi vous avez à vous occuper? D'abord, outre le sacrifice quotidien de vos prières ou l'étude des livres, il ne faut pas refuser une partie de la journée à l'examen de conscience de chaque jour, à la correction et à l'amélioration de vos mœurs. Ensuite, il faut se livrer au travail des mains, ce qui est prescrit, non tant pour délasser l'esprit durant une heure, que pour conserver et augmenter son goût pour les occupations spirituelles; pour que l'âme se repose un moment, et non pour qu'elle se dissipe de sorte que, lorsqu'elle verra qu'il faut revenir à elle-même, elle se dégage sans opposition de la volonté attachée à son occupation, sans influence du plaisir qu'elle a goûté en s'y livrant, et sans que la mémoire lui en rappelle l'image par la suite. « Car l'homme n'est pas pour la femme, mais la femme pour l'homme. » (I. Cor. XI, 9.) Les exercices spirituels ne sont point pour les exercices corporels, mais ceux du corps sont pour ceux de l'âme. C'est pourquoi l'homme, après sa création, reçut, pour en tirer secours, un être semblable à lui, formé de sa propre substance; de même lorsque les exercices corporels sont nécessaires pour aider aux exercices spirituels, tous cependant, ne semblent pas convenir également à ce but, mais ceux surtout qui ont avec eux plus d'affinité et de ressemblance : ainsi il sert beaucoup, pour l'édification spirituelle, de méditer ce qui est écrit, ou d'écrire ce qui est lu. Quant aux exercices et aux opérations qui se font en plein air, de même qu'ils distraient les sens, de même ils font perdre l'esprit intérieur, à moins que, dans les rudes travaux de la campagne, le brisement du corps n'aille jusqu'à humilier et briser aussi le coeur. Par la grandeur de la lassitude qu'ils causent, ils expriment souvent le sentiment d'une dévotion plus ardente. Effet qui se produit bien des fois et manifestement dans les jeûnes, les veilles et tout ce qui afflige le corps.

23. Cependant l'esprit sérieux et prudent se prépare à toute sorte de travail, il ne s'y dissipe point, au contraire il en tire moyen de se recueillir davantage; ayant toujours devant les yeux, non point tant ce qu'il fait, que le but qu'il se propose en agissant, le terme où aboutit toute chose : plus il se repose sur ce but, plus ses mains travaillent avec ferveur et fidélité, et il soumet tout son corps à l'empire de cette grande persuasion. Car tous les sens qui se rapportent à la manifestation de la bonne volonté se réunissent en ce point; il ne leur est point permis de se soustraire au poids du travail, et en obéissant à l'esprit humilié et soumis lui aussi, ils apprennent à lui devenir conformes en partageant ses labeurs, et en espérant les consolations qui lui seront données plus tard. Car, troublée par le péché et sortie de son état de rectitude, la nature, si elle se convertit et retourne à Dieu, recouvre promptement selon la mesure de la crainte et de l'amour qu'elle éprouve pour lui, tout ce qu'elle avait perdu en le quittant, et quand l'esprit commence à être reformé à l'image de son créateur, bientôt, sous l'influence de sa volonté, la chair elle-même se transforme et devient semblable à l'âme. Car tout ce qui plait à l'âme lui plaît pareillement, même contre ses propres sentiments. Bien plus, éprouvant pour Dieu une soif multipliée à cause des nombreux défauts que le péché a laissés en elle pour sa punition, parfois elle s'efforce de marcher en avant de l'esprit qui la guide. Car nous ne perdons pas les jouissances, nous les changeons quand nous les transportons du corps à l'âme, des sens à la conscience. Du pain de son, de l'eau pure, et des légumes très-ordinaires, ne sont pas chose très-suave; mais il est très-agréable, pour l'amour de Jésus-Christ, et dans le désir de goûter les délices intérieures, d'en contenter un corps docile et bien réglé. Que de milliers de pauvres, qui satisfont la nature en ne lui donnant qu'une partie de ces aliments! Il serait très-facile et fort doux de vivre selon la nature, en mêlant à ce régime peu pénible, le condiment de l'amour de Dieu, si notre folie nous le permettait : cette folie guérie, de suite la nature sourit à tout ce qui est nature: Il en est de même du travail. L'habitant de la campagne a les nerfs vigoureux, les bras puissants : l'exercice en est la cause. Qu'il reste dans l'inaction, il s'amollit. En tout travail la volonté amène l'acte, l'acte, l'exercice, et l'exercice développe les forces.

24. Mais revenons à notre première pensée. Qu'en toutes manières, et le travail et le repos s'harmonisent de telle sorte que jamais nous ne soyons oisifs, et que toujours notre occupation soit de réaliser parfaitement en nous ce que dit l'Apôtre, s'adressant à ceux qui commencent et qui sont à l'état animal : « Je tiens, à cause de l'infirmité de votre chair, ce langage bien humain. De même que vous avez fait servir les membres de votre corps à l'impureté et à l'iniquité pour commettre le péché, de même à présent, faites-les servir à la justice pour votre propre sanctification » (Rom. VI 49.) Qu'il entende ces accents, l'homme animal, jusqu'à présent esclave de son corps qu'il a commencé de soumettre à l'esprit, qu'il se mette résolument à comprendre ce qui appartient à Dieu et à briser, par la force de la foi, le joug de la servitude et les habitudes dominatrices de sa chair. Qu'il se fasse nécessité contre nécessité, coutume contre coutume et affection contre affection, jusqu'à ce qu'il mérite davantage d'éprouver délectation contre délectation; que, selon le conseil de l'Apôtre, il trouve au moins autant de plaisir à se priver des jouissances de la chair et du monde, qu'il en trouvait auparavant à les goûter : qu'il soit aussi content de faire servir les membres de son corps à la justice pour se sanctifier, qu'il l'était de les faire servir à l'impureté et à l'iniquité pour se souiller de péchés. Voici la perfection du novice qui commence, ou de l'homme qui se trouve dans l'état animal : ayant détruit ce qu'il y a en lui d'animal ou d'humain, s'il ne regarde pas en arrière, s'il s'élance fidèlement vers ce qui s'étend devant lui, il parviendra vite aux réalités divines et commencera à saisir comme il est saisi, à connaître comme il est connu. Ce travail n'est pas l'oeuvre du moment de la conversion, ni celle d'un seul jour; il y faut beaucoup de temps, beaucoup de peine, beaucoup de sueur, avec la grâce de Dieu qui fait miséricorde, et avec le zèle de l'homme qui vient et qui court.

 

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