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SERMONS DE SAINT AUGUSTIN

QUATRIÈME SÉRIE

DISCOURS SUR LES PSAUMES.

DISCOURS SUR LE PSAUME CXIX.

LES ASCENSIONS DU CHRÉTIEN.

 

Voici un cantique des degrés, et les degrés servent à s’élever et à descendre. On s’élève de cette vie, on s’élève par le coeur, et on s’élève à la félicité incomparable. Cette vallée est le symbole des humiliations, et de cette vallée nous devons nous élever jusqu’au Christ ou jusqu’au Verbe de Dieu qui est la montagne. Lui-même s’est abaissé afin de nous aider à monter, et l’on ne monte qu’à la condition de passer par la vallée des larmes ; les deux disciples ne pourront s’asseoir à la droite et à la gauche du Sauveur, qu’en buvant au calice de ses humiliations. Sur l’échelle de Jacob, les uns s’élèvent et figurent ceux qui avancent dans la piété, les autres descendent, et figurent ceux qui demeurent en arrière. Néanmoins le Christ, sans tomber comme Adam, est descendu afin de se mettre à notre portée, comme Paul s’abaisse pour nous parler du Christ, comme Isaïe descend de la sagesse à la crainte il s’est fait chair, a été crucifié, afin que nous puissions le voir. Ainsi donc, dans l’Eglise ceux qui sont avancés dans les choses spirituelles, descendent afin d’aider à monter ceux qui étaient faibles ; et ceux-là montent, qui font des progrès en sainteté.

Mais quiconque veut s’élever a pour antagonistes les méchants qui le dissuadent, en lui persuadant que la vie chrétienne est impossible. Or, le Prophète a crié vers Dieu, qui l’a placé sur les degrés afin qu’il pût s’élever ; qui lui a donné la flèche ou la parole du prédicateur, et le charbon brûlant ou l’exemple de ces hommes, jadis morts pour le bien, et qui ont aujourd’hui l’ardeur du feu, et embrasent tout ce qui est contraire au bien. Repousser les langues trompeuses, c’est donc le premier degré. Mais ici-bas nous avons l’exemple des méchants, le bon grain est mélangé avec la paille. Le bon grain figure les saints qui sont dans l’Eglise, et l’Eglise de la terre soupire après la Jérusalem du ciel. Les deux fils d’Abraham Ismaël et Isaac, ou l’alliance terrestre et l’alliance spirituelle, subsistent maintenant encore. Les uns veulent s’élever, les autres les abaissent. Un jour le van passera dans l’aire. Mais en attendant, paix avec les hérétiques, ou avec les ennemis de la paix.

 

1. Le psaume que nous venons d’entendre chanter et auquel nous avons répondu, est court, mais très-utile. Il vous en coûtera peu de l’écouter, et la peine de le pratiquer vous sera payée avec usure. Comme l’indique son titre, c’est un cantique des degrés, en grec anabatmon.  Des degrés s’élèvent ou descendent, mais des legrés, dans le langage des psaumes, désignent une ascension. Comprenons-les afin de monter, et ne nous effrayons pas de monter avec nos pieds et d’une manière charnelle, mais comme il est dit dans un autre psaume : « Il a préparé des ascensions dans son coeur, dans cette vallée des larmes, dans le lieu qu’il a marqué 1 ». Où sont donc ces ascensions ? dans le coeur. D’où faut-il nous élever? de la vallée des pleurs. Mais, pour désigner l’endroit où il faudra monter, la parole humaine fait défaut

 

1. Ps. LXXXIII, 6, 7.

 

2

 

en quelque sorte ; on ne saurait le dire, ni peut-être le penser. Vous avez entendu tout à l’heure ce passage de saint Paul, que «l’oeil n’a point vu, que l’oreille n’a pas entendu, et qu’il n’est pas monté au coeur de l’homme 1 ». Si cela n’est point monté au coeur de l’homme, que le coeur de l’homme s’élève jusque-là. Donc, si « l’oeil n’a point vu, si l’oreille n’a point entendu, si cela n’est pas monté jusqu’au coeur de l’homme », comment dire où nous devons monter? Aussi, dans son impuissance, le Prophète nous dit-il : « Dans le lieu marqué ». Que pourrais-je vous dire de plus, nous dit cet homme en qui parlait le Saint-Esprit? Est-ce en tel lieu, ou en tel autre? Quelles que soient mes expressions, vos pensées sont terrestres, se traînent sur la terre, la chair nous pèse, car le corps corruptible appesantit l’âme, et cette habitation terrestre abat l’esprit capable des plus hautes pensées 2. A qui le dirai-je? Qui voudra l’entendre ? Qui comprendra le lieu Où nous serons après cette vie, si l’on y monte par le coeur ? Puisque nul ne le saurait coin prendre, espère quelque chose d’ineffable, une incomparable félicité que nous a préparée Celui qui a disposé dans ton coeur de saintes ascensions. Mais où les a-t-il disposées ? Dans la vallée des larmes. Une vallée est le symbole de l’humilité, comme la montagne est le symbole de l’élévation ; or, la montagne qu’il nous faut gravir est une élévation spirituelle. Mais quelle est cette montagne qu’il nous faut gravir, sinon Jésus-Christ Notre-Seigneur ? C’est lui qui, par ses souffrances, nous a tait une vallée des larmes, comme il nous a fait par son séjour une montagne que nous devons gravir. Qu’est-ce que cette vallée des larmes ? « Le Verbe s’est fait chair et a demeuré parmi nous 3 ».Qu’est-ce que cette vallée des pleurs ? Il a présenté sa joue à ceux qui le frappaient, et a été rassasié d’opprobres 4. Qu’est-ce encore que cette vallée des pleurs ? Il a été souffleté, couvert de crachats, couronné d’épines, cloué à la croix. C’est de cette vallée des pleurs qu’il nous faut monter plus haut. Mais monter où ? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu 5». « C’est ce Verbe qui s’est fait chair et qui a demeuré parmi nous ».  Il est descendu vers

 

1. I Cor. II, 9. — 2. Sag. IX, 15 3. Jean, I, 14 4. Thren. III, 30. — 5. Jean, I, 1.

 

Toi, de manière cependant à demeurer en lui-même : il est descendu vers toi, afin de devenir pour toi la vallée des pleurs ; il est demeuré en lui-même, afin d’être pour toi une montagne à gravir. « Et voilà », dit Isaïe « que dans les derniers jours se manifestera la montagne du Seigneur, dominant le sommet des montagnes 1 ». C’est là qu’il faut nous élever. Mais parce que l’on parle des montagnes, loin de toi toute pensée terrestre, toute hauteur visible : et quand il est question de pierre ou de rocher, ne te figure point quelque corps dur, non plus que la férocité quand on parle de lion, ni l’animal de l’étable quand il est question d’agneau. Le Christ en lui-même n’est rien de tout cela, et il s’est fait tout cela pour toi, C’est d’ici-bas qu’il faut s’élever, c’est jusque-là qu’il faut monter; de son exemple à sa divinité. Il est devenu ton modèle dans ses abaissements; et ceux qui n’ont point voulu s’élever de cette vallée des pleurs, ont senti le poids de son bras. Ils voulaient s’élever à contre-temps, ils rêvaient de grands honneurs, sans penser à la voie de l’humilité. Que votre charité comprenne ceci, nies frères. Deux disciples du Sauveur demandaient à s’asseoir aux côtés de Jésus, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche 2. Jésus vit qu’ils renversaient l’ordre, qu’ils étaient prématurément ambitieux des honneurs, tandis qu’il leur fallait d’abord apprendre à s’humilier avant d’être élevés, et il leur dit « Pouvez-vous boire le calice que je boirai moi-même 3 ? » Car dans cette vallée des larmes il devait boire le calice de sa passion ; mais eux, sans faire attention à l’humilité du Christ, ne voulaient comprendre que sa grandeur. Il les rappelle dans la voie comme des hommes qui s’égarent, non pour leur refuser ce qu’ils désiraient, mais pour leur montrer par où ils doivent y arriver.

2. Chantons donc, mes frères, ce cantique des degrés, mais chantons-le en nous élevant par le coeur, car c’est pour nous élever que le Christ est descendu jusqu’à nous. Jacob vit une échelle, et sur cette échelle il vit les uns monter, les autres descendre : voilà ce qu’il vit. Dans ceux qui montaient nous pouvons voir à notre tour ceux qui s’avancent dans la piété ; et dans ceux qui descendaient ceux qui demeurent en arrière. C’est en effet ce

 

1. Isa. II 2. — 2. Matth. XX, 21. — 3. Id. 22. — 4. Gen. XXVIII,12.

 

3

que nous retrouvons dans le peuple de Dieu; les uns s’avancent, les autres demeurent en arrière. Tel est peut-être le sens des échelles, et pourtant on pourrait ne voir que des bons sur ces échelles, et ceux qui montent, et ceux qui descendent. Car ce n’est pas sans raison qu’on ne dit point qu’ils tombaient, mais qu’ils descendaient. Tomber et descendre sont bien différens. Adam tomba 1, et c’est pourquoi le Christ descendit. Le premier donc est tombé, mais le second est descendu; l’un tomba par orgueil, l’autre descendit par miséricorde. Mais ce n’est point Jésus-Christ seul qui est descendu du ciel; beaucoup d’autres saints descendent vers nous sur ses traces, et sont descendus vers nous. L’Apôtre était dans une habituelle exaltation du coeur, lui qui disait : « Soit que nous ayons des ravissements, c’est pour Dieu 2 ». Ainsi ses ravissements d’esprit étaient des ravissements en Dieu. S’élevant en effet au-dessus de toute fragilité humaine , de tous les siècles qui finissent, de tout ce qui ne vient au monde que pour s’évanouir par la mort, de tout ce qui passe, son coeur fixé en Dieu habitait autant qu’il lui était possible dans une indicible contemplation , dans laquelle « il ouït », dit-il, « des paroles ineffables, que l’homme ne saurait répéter 3 ». Mais, nonobstant l’impuissance de ses paroles, il n’en voyait pas moins en quelque manière ce qu’il ne. pouvait nous redire. Toutefois, s’il eût voulu demeurer dans ce qu’il voyait sans pouvoir le redire, il n’aurait pu s’élever à cette hauteur et te faire voir ce qu’il voyait lui-même. Qu’a-t-il donc fait? Il est descendu. Car il a dit au même endroit « Soit que nous ayons des extases, c’est pour Dieu; soit que nous soyons plus calmes, c’est pour vous ». Or, qu’est-ce à dire que nous soyons plus calmes? que nous parlions de manière à être compris par vous, Car le Christ en sa naissance et en sa passion s’est fait tel que les hommes pussent parler de lui, puisqu’un homme parle facilement d’un autre homme. Mais parler de Dieu dans son essence divine, comment un homme le pourrait-il? Un homme parle donc facilement d’un homme, et dès lors, afin que ceux qui sont élevés en grandeur pussent descendre vers les petits, sans toutefois leur rien dire que de grand, celui qui est grand par excellence s’est fait

 

1. Gen. III, 5. — 2. II Cor. V, 13. — 3. Id. XII, 14.

 

petit, afin que les grands parlassent de lui aux petits. Vous venez d’entendre dans la lecture de saint Paul la vérité de cette parole ; car ainsi s’exprimait l’Apôtre, si vous y avez pris garde : « Je n’ai pu vous parler comme à des e hommes spirituels, mais seulement comme à des hommes charnels 1 ». C’est donc dans les hauteurs qu’il parle aux hommes spirituels, et il s’abaisse pour parler aux hommes. Et pour vous montrer que quand il s’abaisse, il parle de celui qui s’est abaissé, voici commue saint Jean parle du Christ demeurant en lui-même « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Voilà ce qui était en Dieu, au commencement. Toutes choses ont été faites par lui, et rien n’a été fait sans lui 2 ». Saisis, si tu le peux ; prends, c’est là ton pain. Mais, diras-tu, c’est là un pain, je l’avoue, et cependant je ne suis qu’un enfant qui ai besoin de lait pour devenir capable de prendre une plus solide nourriture. Donc, parce qu’il te faut du lait, et que le Verbe est une nourriture solide, voilà qu’au moyen de la chair cette nourriture passe par ta bouche. De même qu’au moyen de la chair, la nourriture d’une mère devient un lait qu’elle transmet à son enfant; de même le Seigneur, qui est la nourriture des anges, le Verbe s’est fait chair 3 pour devenir un lait. Et l’Apôtre a dit : « Je vous ai nourris de lait, et non de viandes solides, que vous n’eussiez pu supporter ; à présent même, vous ne le pouvez encore 4». Mais pour donner ce lait à des enfants, l’Apôtre est descendu à leur niveau, et, en s’abaissant ainsi, il leur a donné celui qui s’est abaissé. Car il s’écrie : « Me suis-je vanté au milieu de vous de savoir autre chose que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié 5? » S’il eût dit simplement Jésus-Christ, ce Jésus-Christ est aussi dans sa divinité le Verbe qui était en Dieu, Jésus-Christ est le Fils de Dieu; mais à ce point de vue les enfants ne sauraient l’atteindre. Comment donc pourront l’atteindre ceux qui ne sont capables que de lait ? Jésus-Christ, dit l’Apôtre, et Jésus Christ crucifié. Sucez ce qu’il a daigné se faire pour vous, et vous croîtrez en ce qu’il est lui-même. Dans l’Eglise donc, les uns montent, les autres descendent ; et c’est par ces échelles qu’ils montent, par elles qu’ils descendent. Qui sont-

 

1. I Cor III, 1. — 2. Jean, I, 1, 2. — 3. Id. 14. — 4. I Cor. III, 2. — 5. Id. II, 2.

 

ils, ceux qui montent? Ceux qui font des progrès dans l’intelligence des choses spirituelles. Et ceux qui descendent, qui sont-ils? Ceux qui ont le goût et l’intelligence des choses spirituelles, autant que le peuvent des hommes, et qui néanmoins s’abaissent au niveau des petits, afin de leur tenir un langage proportionné à leur faiblesse, de les nourrir de lait, jusqu’à ce qu’ils deviennent assez forts pour prendre une nourriture spirituelle. Isaïe, mes frères, fut lui-même un de ceux qui s’abaissèrent à notre niveau : on voit facilement par quels degrés il est descendu. En parlant de l’Esprit-Saint : « Sur lui», dit-il, « reposera l’Esprit de sagesse et d’intelligence, l’Esprit de conseil et de force, l’Esprit de science et de piété, l’Esprit de crainte du Seigneur 1 » ; il commence par. la sagesse, et descend jusqu’à la crainte. De même que celui qui enseigne descend de la sagesse à la crainte, toi qu’il enseigne, élève-toi de la crainte à la sagesse. Car il est écrit que le commencement de la sagesse est la crainte du Seigneur. Ecoutez maintenant le psaume: représentons-nous un homme qui va monter 2. Où seront ses degrés? Dans son coeur. D’où s’élèvera-t-il? De l’humilité ou de la vallée des pleurs. Où va-t-il s’élever? A ce je ne sais quoi d’ineffable, que dans son impuissance le Prophète appelle « le lieu qu’il a disposé 3 ».

3. Dès lors que l’homme a ainsi disposé son ascension, ou, plus clairement, dès lors qu’un chrétien songe sérieusement à s’avancer dans la vertu, il est en butte aux langues de ses adversaires. Quiconque n’a point encore essuyé ces attaques, n’a fait encore aucun progrès, et quiconque n’en souffre point, n’essaie point de s’avancer. Veut-il comprendre ce que nous disons? qu’il fasse l’expérience de ce que nous allons entendre. Qu’il commence à marcher, qu’il conçoive le désir de s’élever, le désir de mépriser tout ce qui est terrestre, fragile, temporel, de regarder comme rien une félicité passagère, de ne penser qu’à Dieu seul, de n’être sensible à aucun avantage, abattu par aucun revers, le désir de tout vendre pour le donner aux pauvres et suivre Jésus-Christ : voyons commuent s’élèveront contre lui les langues des méchants, quelles contradictions il va souffrir, et ce qui est plus grave, en le détournant du

 

1. Isa. X, 2,2. — 2. Prov. I, 7. — Ps. LXXXIII, 7.

 

salut, sous prétexte de lui donner des conseils. Qu’un homme donne des conseils, il le fait pour le bien, il le fait pour le salut, mais ceux-ci détournent du salut. Comme donc, sous le manteau de la bienveillance, ils cachent un venin mortel, ils sont appelés dans l’Ecriture des langues trompeuses. Donc,avant de s’élever, le Prophète implore le secours de Dieu contre ces langues perfides, et s’écrie : « Seigneur, dans mes tribulations j’ai crié vers vous, et vous m’avez exaucé 1 ». Comment Dieu l’a-t-il exaucé? En le plaçant sur les degrés pour s’élever.

4. Et comme il va monter parce qu’il est exaucé, que va-t-il demander? « Seigneur, délivrez mon âme des lèvres injustes et des langues trompeuses 2 ». Qu’est-ce qu’une langue trompeuse? Une langue fourbe, qui a l’apparence de nous conseiller, et la perfidie de nous nuire. Tels sont les hommes qui nous disent : Et toi aussi, tu feras ce que nul ne saurait faire; seul, tu seras chrétien. Que si nous leur prouvons que beaucoup d’autres avant nous ont agi de la sorte; si nous leur lisons dans l’Evangile le Précepte que nous en fait le Seigneur, ou les Actes des Apôtres, que nous répondent leurs langues fourbes, leurs lèvres trompeuses? L’entreprise est bien difficile, et tu n’en viendras pas à bout. Les uns nous détournent par leurs défenses, les autres font de leurs louanges une persécution plus violente encore. Comme cette vie chrétienne s’est répandue dans le monde entier, l’autorité du Christ y est si grande que les païens n’osent plus élever la voix contre lui. On lit cette parole de celui qu’on ne saurait contredire : « Allez, vendez tout ce que vous avez, distribuez-le aux pauvres, et suivez-moi ». On ne saurait contredire le Christ, ni contredire l’Evangile, ni blâmer ses paroles; alors la langue trompeuse élève un obstacle par ses louanges. O langue, si tu as des louanges, exhorte, du moins; pourquoi détourner par des flatteries perfides? Le blâme serait préférable à de fausses louanges. Que pourrais-tu dire dans tes invectives? Loin de nous une telle vie, elle est honteuse, elle est criminelle. Mais, comme tu sais qu’en parlant de la sorte l’autorité de 1’Evangile t’imposerait silence , tu prends d’autres détours, afin d’éloigner les hommes de la vie chrétienne, et par une fausse louange

 

1. Ps. CXIX, 1 2.  Id. 2. —  3. Matth. XIX, 21.

 

5

 

tu me ravis la véritable gloire; et en louant Jésus-Christ , c’est de Jésus-Christ que tu m’éloignes. Qu’est-ce que cette vie, me dis-tu? Tel en est venu à bout,mais toi, tu ne le pourras pas. Tout en essayant de monter tu tomberas. Il semble t’avertir, et c’est un serpent, une langue trompeuse, pleine de venin. Défends-toi d’elle par des supplications, et dis au Seigneur: « Délivrez mon âme, ô mon Dieu, des lèvres injustes et des langues trompeuses ».

5. Et le Seigneur te répond: « Que te donnerai-je, que mettrai-je devant toi contre la langue trompeuse »; c’est-à-dire, quelles sont tes armes contre la langue trompeuse, que peux-tu lui opposer, comment t’en défendre? « Que te donnerai-je, que mettrai-je devant toi? » Il nous interroge pour appeler notre attention, car c’est lui qui va répondre à sa question ; et il le fait aussitôt, quand il ajoute: « Les flèches du puissant sont aiguës, comme des charbons dévastateurs 1», ou « désolateurs»; mais «dévastateurs» ou « désolateurs », car on trouve l’une et l’autre expression dans les différents exemplaires; elles ont le même sens. Voyez : on les appelle des charbons dévastateurs, parce qu’ils nous conduisent facilement à la désolation, en nous ravageant et en nous dévastant. Quels sont ces charbons? Que votre charité veuille comprendre d’abord quelles sont les flèches. « Ces flèches aiguës du puissant» sont les paroles de Dieu. Qu’on les lance, elles pénètrent les coeurs. Mais ces flèches, en traversant les coeurs, y allument un vif amour au lieu d’y apporter la mort. Le Seigneur sait attiser l’amour avec ces flèches,.et nul ne lance une flèche d’amour mieux que celui qui lance la flèche de la parole; il perce le coeur de l’amant, afin de l’aider à aimer davantage ; il le perce, afin de l’embraser d’amour. Or, ces flèches sont les paroles saintes. Mais quels sont ces charbons désolateurs? C’est peu que la parole pour agir contre les langues trompeuses, les lèvres de l’iniquité, c’est peu que la parole, il faut l’exemple. L’exemple est donc le charbon qui désole. Que votre charité veuille bien écouter pourquoi il est appelé désolateur. Voyez d’abord comment on agit par l’exemple. Leur langue trompeuse ne sait que dire, et dès lors elle en est plus trompeuse encore; prends garde qu’une telle vie ne soif

 

1. Ps. CXIX, 4.

 

supérieure à tes forces, n’est-ce point trop entreprendre? Mais tu connais le précepte de l’Evangile; c’est là ta flèche, et toutefois tu n’as pas les charbons. Il est à craindre que la flèche seule ne soit trop faible contre la langue trompeuse, prends aussi les charbons. Voilà que le Seigneur te vient dire : Tu ne saurais faire cela? Pourquoi donc celui-ci l’a-t-il pu? celui-là encore? Seras-tu plus mou que ce sénateur? plus faible de santé que cet homme, ou que cet autre? Serais-tu plus débile qu’une femme? Des femmes l’ont pu, des hommes ne le pourront? Des pauvres ne pourraient ce qu’ont pu des riches efféminés? C’est vrai, diras-tu, mais, pour moi, je suis un grand coupable, j’ai beaucoup péché. On vous montre de grands pécheurs, qui ont d’autant plus aimé qu’on leur a plus pardonné ; c’est le mot de l’Evangile: « Celui à qui on pardonne peu, aime peu ». Après cette énumération, et quand le Seigneur a désigné par leur nom ceux qui ont triomphé, l’homme, percé au coeur par une flèche, brûlé par ces charbons qui désolent, sent la ruine dans ses terrestres pensées. Qu’est-ce àdire la ruine? Qu’elles sont dévastées chez lui. Une funeste végétation s’était faite en son âme, végétation de pensées terrestres, d’affections mondaines; voilà ce que brûlent ces charbons dévastateurs, afin que ce champ se déblaie et se purifie, et que Dieu puisse y construire son édifice. Où le diable n’avait fait qu’une ruine, le Christ y bâtira une demeure solide; tant que (hure, en effet, le séjour du démon, le Christ ne saurait être édifié. Ces charbons désolants viennent donc détruire ce qui avait été si malencontreusement édifié, et quand ce lieu est déblayé, s’élève alors l’édifice de l’éternelle félicité.

Voyez: pourquoi ce nom de charbons? C’est parce que, revenir au Seigneur, c’est passer de la mort à la vie. Vous allumez ces charbons; mais, avant qu’ils fussent allumés, ils étaient éteints. Mais un charbon éteint s’appelle un charbon mort; il est vif, au contraire, quand il est allumé. L’exemple de ces pécheurs nombreux, qui sont revenus au Seigneur, est appelé un charbon. Tu entends parfois des hommes dire avec surprise : J’ai connu un tel, quel ivrogne, quel scélérat! Quel homme passionné pour le cirque et l’amphithéâtre! Quel fripon ! Aujourd’hui

 

1. Luc, VII, 47.

 

quelle ferveur dans le service de Dieu h quel innocence dans sa vie! Qu’y a-t-il d’étonnant c’est un charbon. Tu le pleurais éteint, et tu le vois rallumé avec plaisir. Mais en louant ce charbon vif, si tu peux le faire sagement, mets-le près d’un charbon éteint; c’est-à-dire, voilà un homme lent à suivre Dieu approche de lui un charbon autrefois éteint, prends la flèche de la parole de Dieu et ni charbon désolant pour t’opposer aux lèvre injustes et à la langue trompeuse.

6. Qu’arrive-t-il, ensuite ? Cet homme reçu les flèches ardentes, qu’il reçoive encore les charbons dévastateurs. Il a repoussé la langue trompeuse, les lèvres iniques; il a fait un pas, il commence à marcher, mais il est encore au milieu des méchants, des hommes  d’iniquité; le van n’a point encore passé dans l’aire: le froment est formé sans douter mais est-il dans les greniers ? Il faut qu’il soit renfermé sous des monceaux de paille, el plus il avance, plus il voit de scandales dans le peuple de Dieu. Car, à moins d’avancer, il ne voit point les iniquités; à moins d’être un véritable chrétien, il ne peut remarquer ceux qui n’en ont que l’apparence. Jésus-Christ, en effet, nous l’apprend par la parabole du bon grain et de l’ivraie : « Après que l’herbe u eut poussé et produit son fruit, on découvrit aussi l’ivraie 1 » : c’est-à-dire, que nul homme ne découvre les méchants, si lui-même n’est devenu bon, puisque « l’ivraie ne parut que quand l’herbe eut poussé et produit son fruit». Notre interlocuteur s’avance donc, il voit les méchants et bien des désordres qu’il ne découvrait point auparavant, et il s’écrie vers le Seigneur : « Malheur à moi ! car mon exil a été prolongé 2 ». Je me suis beaucoup éloigné de vous, ô mon Dieu; mon séjour ici-bas est bien prolongé! Je ne suis point encore dans cette patrie où je ne verrai aucun méchant ; je ne suis point encore dans cette société des anges où je ne craindrai plus de scandales. Pourquoi n’y suis-je point encore? C’est que u mon pèlerinage s’est prolongé ici-bas ». Mon séjour est un exil. Ou appelle exilé celui qui habite une terre autre que sa patrie. « Mon exil », dit le Prophète, « est devenu bien long ». Pourquoi si long? Quelquefois, mes frères, un homme, qui se trouve en pays étranger, rencontre des hommes plus dévoués qu’il n’en trouvait

 

1. Matth. XIII, 26 2. Ps. CXIX, 5.

 

dans sa patrie ; mais il n’en est pas ainsi quand nous sommes hors de cette Jérusalem du ciel. L’homme qui change de patrie se trouve quelquefois mieux dans l’éloignement; il trouve au loin des amis dévoués qu’il n’aurait pu rencontrer chez lui, Des ennemis l’ont banni de sa patrie, et sur la terre étrangère il trouve ce qu’il n’avait point trouvé dans sa patrie. Il n’en est pas ainsi de notre patrie, qui est Jérusalem ; on n’y rencontre que des justes; quiconque est en dehors est parmi les méchants, dont il ne peut se séparer, qu’en rentrant dans la société des anges, qu’en retournant au lieu qu’il avait quitté. C’est là que sont tous les justes et tous les saints qui jouissent de la parole de Dieu; sans la lire au moyen de caractères, fis découvrent sur la face de Dieu ce que nous trouvons sur les pages de nos livres. Admirable patrie ! O grande patrie, combien il est malheureux d’en être éloigné !

7. Mais ce cri du Prophète: « Bien long est mon exil ici-bas », c’est surtout le cri de l’Eglise qui souffre sur cette terre; c’est le cri de celle qui dans un autre psaume dit à Dieu:

« Des confins de la terre j’ai crié vers vous 1 ». Qui de nous pousse des cris des confins de la terre ? Ce n’est ni celui-ci, ni toi, ni moi mais c’est l’Eglise entière, c’est l’héritage entier du Christ qui crie vers Dieu des confins de la terre, car l’Eglise est l’héritage du Christ, et c’est de l’Eglise qu’il est dit : « Demande-moi, et je te donnerai les nations en héritage, et les confins de la terre pour ton empire ». L’héritage du Christ embrasse les confins de la terre, et l’héritage du Christ embrasse tous les saints, et tous les saints ne forment qu’un seul homme en Jésus. Christ, puisque c’est dans Jésus-Christ que se trouve l’unité; et cet homme unique s’écrie « Des confins de la terre j’ai crié vers vous, quand mon coeur était dans l’angoisse ». Cet homme donc trouve son exil bien long parmi les méchants. Et comme si on lui demandait : Chez quels hommes demeurez-vous, pour gémir de la sorte? « Mon pèlerinage est bien long », répond-il. Mais, direz-vous, s’il est avec des bons ? S’il était avec les bons, il ne dirait point: Malheur à moi ! Ce mot « hélas »,ou «malheur», désigne l’affliction, la misère ; et néanmoins il n’est point sans espérance dès lors qu’il a appris à gémir.

 

1. Ps. LX, 3. —  2. Id. II, 8.

 

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Beaucoup sont malheureux, et sans gémir ils sont en exil refusant de retourner. Mais, dans son impatience de retourner, notre interlocuteur comprend le malheur de son exil ; et parce qu’il l’a senti, il revient; il commence à monter, parce qu’il commence à chanter le cantique des degrés. Où donc gémit-il, au milieu de quoi demeure-t-il ? Il demeure dans les tentes de Cédar, Mais peut. être ne comprenez-vous point cette expression, qui vient de l’hébreu. Que signifie: «J’ai habité parmi les tentes de Cédar? » Le mot Cédar, autant que je me souvienne des étymologies hébraïques, signifie « ténèbres ». On dit tenebrae, en traduisant Cédar en latin. Or, vous connaissez les deux fils d’Abraham, dont nous entretient saint Paul, en nous disant qu’ils sont la figure des deux Testaments : l’un était né de la servante, et l’autre de l’épouse libre. De la servante était né Ismaël 1, de Sara ou de la femme libre était né Isaac, conçu par la foi contre toute espérance. Tous deux étaient issus d’Abraham, sans être néanmoins héritiers tous deux. L’un est fils, mais non héritier d’Abraham ; l’autre fut héritier; non-seulement fils, mais héritier encore. En Ismaël sont tous ces hommes qui n’ont pour Dieu qu’un culte charnel, et ils appartiennent à l’Ancien Testament, d’après ce mot de saint Paul : « Vous qui voulez être « sous la loi, n’entendez-vous point la loi ? Il est écrit, en effet, qu’Abraham eut deux fils, l’un de l’esclave, et l’autre de la femme libre, c’est là une allégorie, car ce sont les deux alliances 2 ». Quelles sont ces deux alliances? L’ancienne et la nouvelle. L’ancienne alliance vient de Dieu, comme la nouvelle vient de Dieu, de même que d’Abraham étaient issus Ismaël et Isaac. Mais Ismaël appartenait au royaume terrestre, et Isaac au royaume céleste. De là vient que l’Ancien Testament a des promesses terrestres, une Jérusalem de la terre, une Palestine de la terre, un royaume de la terre, un salut de la terre, ou la victoire sur les ennemis, des familles nombreuses, des récoltes abondantes. Mais tout cela tient aux promesses terrestres, qui étaient néanmoins la figure des promesses spirituelles; la Jérusalem de la terre figurait la Jérusalem du ciel, et le royaume terrestre figurait le royaume céleste. Ismaël était l’ombre, et Isaac la lumière. Mais si Ismaël

 

1. Gen. VI, 5. — 2. Galat. IV, 22-24.

 

était l’ombre, rien d’étonnant qu’il y eût là des ténèbres, puisque les ténèbres ne sont que l’ombre devenue plus épaisse. Ismaël était donc dans les ténèbres, et Isaac dans la lumière. Tous ceux qui, aujourd’hui dans l’Eglise, ne savent demander à Dieu qu’une félicité temporelle, appartiennent à Ismaël . Ce sont eux qui s’opposent par leurs contradictions aux hommes spirituels qui s’avancent dans la vertu, qui en médisent, qui ont des lèvres iniques, des langues menteuses. C’est à l’encontre de tous ces. contradicteurs que celui qui s’avance implore le secours de Dieu, et on lui a donné des charbons désolants, et les flèches perçantes du fort. Il vit au milieu d’eux jusqu’à ce que le van ait passé dans l’aire, et alors il s’écrie : « J’ai habité sous les tentes de Cédar ». Car, on appelle tentes de Cédar, les tentes d’Ismaël. C’est ainsi qu’on lit dans la Genèse que Cédar appartient à Ismaël 1. Isaac est donc avec Ismaël; c’est-à-dire que ceux qui appartiennent à Isaac vivent au milieu de ceux qui appartiennent à Ismaël. Les uns veulent s’élever, et les autres s’efforcent de les abaisser. Nous lisons en effet dans saint Paul: « Et comme alors celui qui était né u selon la chair persécutait celui qui était né « selon l’Esprit, il en est encore de même aujourd’hui: l’homme spirituel est persécuté par l’homme charnel». Mais que dit l’Ecriture? « Chassez l’esclave et son fils, car le fils de l’esclave ne sera point héritier avec le fils de la femme libre, avec mon fils Isaac 2 ». Or, ce mot, chassez, quand sera-t-il exécuté? Quand le van passera dans l’aire. Nais maintenant, avant qu’il soit chassé, « malheur à moi, parce que mon exil est prolongé! c’est parmi les lentes de Cédar que je suis contraint d’habiter ». Le Prophète nous montre ensuite ceux qui appartiennent à Cédar.

8. « Mon âme a été longtemps étrangère ». Ce n’est point là un exil corporel, puisque c’est l’âme qui est en exil. Le corps est en exil par l’éloignement des lieux, l’âme par les affections. Si tu aimes la terre, tu es éloigné de Dieu: aimer Dieu, c’est monter vers lui. Exerçons-nous dans l’amour de Dieu et du prochain, afin de revenir à l’amour. Tomber sur la terre, c’est aller au dépérissement, à la corruption. L’interlocuteur était tombé, une main est descendue jusqu’à lui, afin de le relever. En considérant le temps de son exil,

 

1. Gen. XXV, 13 2. Id. XVI, 15; XXI, 2, 3, 10; Gal. IV, 21—30.

 

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voilà qu’il se dit étranger parmi les tentes de Cédar. Pourquoi? Parce que « mon âme a été longtemps exilée ». Elle est étrangère dès qu’elle doit monter. Ce n’est point le corps qui est en exil, puisque le corps ne monte pas. Mais où faut-il monter? « C’est dans le coeur», dit le Prophète, « que sont les degrés ». Si donc on s’élève par le coeur, il n’y a pour s’élever par les degrés du coeur que l’âme exilée. Mais jusqu’à ce qu’elle arrive, « mon âme est longtemps étrangère ». Où? parmi « les tentes de Cédar ».

9. «Avec ceux qui haïssent la paix, j’étais pacifique ». A vrai dire mes frères bien-aimés, vous ne pouvez comprendre la vérité de ce que vous chantez, si vous ne commencez à le pratiquer. Tant qu’on puisse le dire, de quelque manière qu’on l’expose, et avec quel choix d’expressions, cette parole n’entre point dans un coeur qui ne la pratique point. Commencez donc à pratiquer, puis écoutez ce que nous dirons. C’est alors que chaque parole du psaume fera couler des larmes, alors que vous le chanterez avec joie et que le coeur pratiquera ce que chante la voix. Hélas ! combien chantent de la voix quand le coeur est muet! Combien aussi de lèvres silencieuses quand le coeur pousse des cris d’amour ! Or, c’est au coeur de l’homme qu’est l’oreille de Dieu; de même que l’oreille de l’homme entend la voix du corps, l’oreille de Dieu entend la voix du coeur. Dieu en exauce beaucoup dont la bouche est fermée, et beaucoup d’autres avec leurs grands cris ne sont point exaucés. C’est donc par le coeur que nous devons prier et dire : « Mon âme a été longtemps étrangère avec ceux qui haïssent la paix, j’étais pacifique ». Que disons-nous autre chose à ces hérétiques, sinon, connaissez la paix, aimez la paix. Vous vous dites justes. Si vous l’étiez, vous gémiriez comme le bon grain mélangé à la paille. Comme il y a aussi de bons grains, de véritable froment dans l’Eglise catholique, ils tolèrent la paille jusqu’à ce que le van passe dans l’aire, et c’est parce qu’il y a de la paille, qu’ils s’écrient : « Hélas ! mon exil est bien prolongé, j’habite parmi les tabernacles de Cédar ». J’habite avec la paille, dit le Prophète; mais de même que d’un monceau de paille il sort beaucoup de fumée, il sort de Cédar d’épaisses ténèbres. « J’ai habité parmi les tabernacles de Cédar; mon âme a été longtemps étrangère». Tel est le cri du bon grain qui gémit parmi la paille. Ainsi disons-nous à ceux qui haïssent la paix, et nous leur répétons : « J’étais pacifique avec ceux qui haïssent la paix ». Qui donc hait la paix? Celui qui brise l’unité. Ils demeureraient dans l’unité, s’ils ne haïssaient point la paix. Mais c’est parce qu’ils étaient justes qu’ils ont fait schisme et afin de n’être point mêlés avec les injustes. Ou bien, c’est nous qui parlons ici par la bouche du Prophète, ou bien ce sont eux. Choisissez. L’Eglise catholique s’écrie qu’il ne faut point rompre l’unité, ni faire de schisme dans l’Eglise du Christ; que Dieu jugera plus tard les bons et les méchants; que s’il est impossible aujourd’hui de séparer les bons des méchants, il faut tolérer cela pour un temps ; que les méchants peuvent bien être mélangés avec nous dans l’aire, mais qu’ils n’y seront point dans les greniers célestes; que s’ils paraissent mauvais aujourd’hui, demain peut-être ils seront bons, et que ceux qui s’enorgueillissent aujourd’hui de leur bonté peuvent demain être méchants. Quiconque dès lors supporte un moment les méchants arrivera au repos éternel. Ainsi dit l’Eglise catholique. Que disent maintenant nos adversaires, qui ne savent ni ce qu’ils disent, ni ce qu’ils affirment 1: « Ne touchez à rien d’impur 2 » ; et encore : « Quiconque touchera quelque chose d’impur sera impur lui-même 3». Séparons-nous; point de mélange avec les méchants. Aimez la paix, disons-nous à notre tour, aimez l’unité. Ignorez-vous de combien de justes vous vous séparez, quand vous semblez ne vous en prendre qu’aux méchants? A cette réponse, les voilà qui s’emportent, qui bondissent de colère, qui cherchent à nous donner la mort. Souvent nous avons vu leurs violences, découvert leurs embûches. Dès lors que nous vivons au milieu de leurs piéges, et qu’ils s’irritent quand nous leur disons : Aimez la paix, nous revendiquons pour nous cette parole du Prophète: « Avec ceux qui haïssent la paix, j’étais pacifique, et quand je leur parlais, ils m’attaquaient sans motif ». Qu’est-ce à dire, mes frères, « ils m’attaquaient ? » Et c’est peu encore; le Prophète ajoute « sans sujet ». Dire à ces rebelles : Aimez la paix, aimez le Christ, est-ce donc leur dire : Aimez-nous et honorez-nous? Non, mais honorez le Christ; point d’honneur pour nous, mais tout

 

1. Tim. I, 7. — 2. Isa LII, 11. — Lévit. XXII, 5.

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honneur à Jésus-Christ. Qui sommes-nous en effet auprès de l’apôtre saint Paul? Et que disait-il néanmoins à ces petits que des méchants, que des maîtres perfides voulaient séparer de l’unité et jeter dans le schisme, que leur disait-il? « Est-ce que Paul a été crucifié pour vous, ou bien est-ce au nom de Paul que vous êtes baptisés 1 ? » C’est aussi ce que nous leur disons: Aimez la paix, aimez Jésus-Christ. Car, aimer la paix, c’est aimer le Christ; et leur dire : Aimez la paix, c’est leur dire : Aimez le Christ. Pourquoi? C’est que l’Apôtre a dit du Christ qu’il est

 

1. I Cor. I, 13.

 

notre paix, lui qui de deux peuples n’en a fait qu’un seul 1. Si donc le Christ est la paix parce qu’il a réuni deux peuples en un seul, pourquoi d’un seul peuple en faites-vous deux? Comment seriez-vous amis de la paix, vous qui d’un seul peuple faites deux peuples, quand Jésus-Christ de deux peuples n’en a fait qu’un seul ? Mais, tenir ce langage à ceux qui haïssent la paix, c’est être pacifique, et pourtant, quand nous leur parlons de la sorte, ces ennemis de la paix nous attaquent sans sujet.

 

1. Ephés. II, 14.

 

 

 

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