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DISCOURS SUR LE PSAUME CXXIII.SERMON AU PEUPLE.LA DÉLIVRANCE.
LEglise chante sa délivrance, ou des persécutions par la bouche des martyrs, ou des dangers de la vie présente par la bouche de tout chrétien qui meurt en Dieu. Elle a ses espérances du ciel lesquelles sont la vérité ou le Verbe en Dieu, ici-bas la voie qui y conduit ou le Verbe fait homme. En jetant un coup doeil sur les obstacles, ces bienheureux sécrient : Si le Seigneur neût été avec nous Combien de difficultés de la part des hommes, et ces hommes ont succombé ; mais si Dieu neût été avec nous, ils nous eussent dévorés tout vivants. LEglise, pour nous absorber, tue en nous les inclinations mondaines, afin de nous faire ce que nous nétions pas, et nous sommes mangés par la foi en Dieu. Etre dévoré tout vivant, cest connaître la vanité de lidolâtrie, et néanmoins offrir de lencens aux idoles ; ou nous laisser détourner de Dieu par les langues trompeuses. La victoire nous vient par celui qui a vaincu le monde. Par lui nous traversons les eaux qui nous eussent absorbés. Les eaux sont celles du torrent, ou de la persécution qui ne doit durer quun moment. Cest là qua bu notre Chef qui est dans le ciel. Il est à peine croyable que nous ayons pu franchir cette eau, appelée eau sans substance, parce quelle est leau du péché ; et par le péché nous dissipons notre substance comme le prodigue. Elle est sans substance encore, parce quelle nous dépouille des biens réels. Le Seigneur seul est la véritable substance ; seul il nous fait échapper aux amorces de la vie, comme loiseau aux pièges du chasseur.
1. Vous savez, mes frères bien-aimés, quun cantique des degrés nest autre que le cantique de noire ascension, et que cette ascension ne se fait point avec nos pieds, tamis par les élans du coeur. Nous vous lavons dit souvent, et nous nen parlerons plus, afin de nous occuper de ce qui na pas encore été dit. Donc, le psaume que vous venez dentendre est intitulé « Cantique des degrés». Tel est son titre, et il est chanté par ceux qui montent, lesquels chantent souvent comme chanterait un seul, et souvent comme plusieurs; car plusieurs ne font quun, puisquil ny a quun seul Christ, et que tous les membres ne font en Jésus-Christ et avec Jésus-Christ quun même corps, et de tous ces membres, la tête est au ciel. Le corps souffre encore sur la terre, et nest pas néanmoins séparé de la tête, qui veille den haut sur le corps et le préserve. Sil ne veillait sur ce corps, il neût point crié à Saut qui le persécutait, et nétait point encore Paul: « Saul, Saul, pourquoi me persécuter 1? » Vous savez tout cela, on vous en a souvent parlé. Et toutefois, que le souvenir de ces paroles ne fatigue point ceux qui ne les ont point oubliées, afin que, grâce à leur patience, elles puissent revenir à la mémoire de ceux qui les avaient perdues. Ce sont des paroles salutaires, et quil faut souvent répéter. Quil ny ait donc en notre psaume quun
1. Act. IX, 4.
seul interlocuteur, ou quil y en ait beaucoup; plusieurs ensemble ne forment quun seul homme, et se rangent dans lunité, et le Christ nest quun, avons-nous dit, et tous les chrétiens sont les membres du Christ. 2. Dès lors, que chantent ceux-ci? Que chantent ces membres du Christ? Car ils aiment, et cest par amour quils chantent, cest lamour qui chante en leurs transports. Parfois, la douleur les fait chanter, et parfois lallégresse, quand ils chantent leurs espérances. Car nos tribulations ne sont que pour cette vie, et notre espérance est pour le siècle à venir; et si lespérance du siècle futur ne nous soutenait dans les maux de cette vie, nous péririons sans ressource. Donc, mes frères, notre joie nest point réelle encore, mais elle entre déjà en espérance; or, cette espérance est aussi certaine que si nous jouissions déjà de la réalité. Nous navons, en effet, rien à craindre quand cest la vérité qui nous fait des promesses. Car la vérité ne peut ni se tromper, ni tromper les autres; il nous est bon de nous y attacher, puisquelle nous délivre si nous demeurons fermes dans sa parole. Nous croyons maintenant, nous verrons alors; avec la foi, notre espérance est en ce bas monde; avec la claire vue, nous aurons la réalité dans le siècle à venir. « Nous verrons Dieu face à face 1». Et nous le verrons face
1. Cor. XIII, 12.
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à face quand nos coeurs seront purifiés. « Bienheureux ceux dont le coeur est pur, parce quils verront Dieu 1 ». Or, comment nos coeurs seront-ils purifiés, sinon par la foi, selon cette parole de saint Pierre dans les Actes des Apôtres : « Cest par la foi quil purifie leurs coeurs 2 ». Et la foi purifie nos coeurs afin de les disposer à la claire vue. Car nous vivons dans la foi, et non dans la claire vue, comme dit lApôtre : « Tant que nous sommes dans un corps, nous sommes éloignés du Seigneur». Quest-ce à dire, « nous sommes éloignés?» « Car nous marchons dans la foi», ajoute le même Apôtre, et non dans la claire vue 3 ». Donc, celui qui est dans lexil, qui marche dans la foi, nest point encore dans sa patrie, il est seulement dans la voie qui y conduit; tandis que lhomme qui na pas la foi nest ni dans la patrie, ni dans la voie pour y arriver. Marchons, dès lors, comme si nous étions dans la voie, parce que le roi de cette patrie en est lui-même devenu la voie. Le roi de notre patrie est Notre-Seigneur Jésus-Christ. Cest là quest la vérité, ici-bas est la voie. Où allons-nous? A la vérité. Par où y aller? Par la foi. Où allons-nous? Au Christ. Par où y aller? Par le Christ qui, lui-même, nous a dit: « Je suis la voie, la vérité et la vie 4 ». Or, auparavant, il avait dit à ceux qui croyaient en lui : « Si vous demeurez en ma parole, vous serez véritablement nies disciples, et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous délivrera 5». Vous connaîtrez la vérité, nous dit le Sauveur, mais à la condition de demeurer dans ma parole. Dans quelle parole? « Dans la parole de foi que nous prêchons 6 », a dit lApôtre. Tout dabord donc, cest la parole de la foi, et si nous y demeurons, nous connaîtrons la vérité, et la vérité nous délivrera. La vérité est immortelle, la vérité est immuable, la vérité, cest le Verbe dont il est dit : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Et qui peut voir cela, sinon lhomme au coeur pur? Quest-ce qui purifie nos coeurs? « Et le Verbe sest fait chair, et il a demeuré parmi nous 7 ». Le Verbe donc, demeurant en soi, est la vérité vers laquelle nous nous dirigeons; mais ce Verbe de la foi que lon prêche, et dans lequel Dieu nous ordonne de demeurer,
1. Matth. V, 8. 2. Act. XV, 9. 3. II Cor. V, 6. 7. 4. Jean, XIV, 6. 5. Id. VIII, 31, 32. 6. Rom, X, 8. 7. Jean, I, 1, 14.
afin de connaître la vérité, cest le Verbe fait chair et qui a demeuré parmi nous. Tu crois dabord au Christ né dans sa chair, et tu arriveras au Christ né de Dieu, et Dieu en Dieu. 3. Cest donc avec transport que se chantent les psaumes que nous lisons; les membres du Christ chantent notre psaume dans leur allégresse. Mais qui peut se réjouir sinon dans lespérance, comme nous lavons dit? Que notre espérance soit donc ferme, et chantons avec joie. Car tous ceux qui chantent ne nous sont point étrangers, autrement ce psaume ne serait point le cri de notre âme. Ecoutez donc, comme si vous vous entendiez vous-mêmes ; écoutez comme si vous vous regardiez dans le miroir des Ecritures. Quand vous prenez le miroir des Ecritures, votre face en devient plus sereine; et quand la joie de lespérance te montrera que tu ressembles à plusieurs membres du Christ qui ont chanté ce psaume, toi-même tu seras parmi ces membres, et tu le chanteras à ton tour. Pourquoi donc ceux qui chantent le font-ils avec joie? Parce quils ont échappé au péril. Donc, lespérance les fait chanter. Tant que nous sommes ici-bas, et comme étrangers, nous ne sommes pas délivrés. Sans doute, quelques membres de ce corps auquel nous appartenons nous ont précédés, et peuvent chanter en toute vérité. Les martyrs ont chanté ce cantique, ils sont délivrés et tressaillent avec le Christ, qui leur redonnera incorruptibles ces mêmes corps quils ont eu dans la corruption, et dans lesquels ils ont tant souffert: ils seront pour eux des ornements de justice. Soit donc que les martyrs chantent ce cantique dans la réalité de leur bonheur, soit que nous le chantions par lespérance, et que nous unissions nos transports à leurs couronnes, en soupirant après cette vie que nous navons pas et que nous ne pourrons avoir, si nous ne lavons désirée ici-bas, chantons avec eux et disons : « Si le Seigneur neût pas été avec nous 1 ». Voilà quils ont jeté les yeux sur les quelques tribulations quils ont endurées, et du lieu de bonheur et de sûreté où ils sont établis, ils regardent par où ils ont passé, et où ils sont arrivés; et comme il était difficile déchapper à tant de maux sans la main du libérateur, ils redisent avec joie: « Si le Seigneur neût été
1. Ps. CXXIII, 1.
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avec nous ». Tel est le commencement de leur cantique; ils nont point dit encore doù ils sont délivrés, tant est grande leur joie : « Si le Seigneur neût été avec nous ». 4. « QuIsraël dise maintenant : Si le Seigneur neût été avec nous 1 ». Quil le dise, maintenant quil est délivré. Le Psalmiste, en effet, nous met sous les yeux ceux qui se délivrent, ou plutôt ceux qui sont délivrés. Que notre coeur nous les montre comme triomphants, et nous-mêmes avec eux, ainsi quil est dit dans le psaume précédent: « Nos pieds étaient affermis dans les parvis de Jérusalem ».Ils ny étaient point encore arrivés, mais ils étaient sur la voie ; et telle était leur joie et leur précipitation, telle était leur espérance darriver, que même en chemin et sous le poids du labeur, ils sy croyaient déjà établis. De même représentons-nous ce futur triomphe du siècle à venir, lorsque nous insulterons à la mort déjà vaincue, déjà détruite, et que nous lui dirons : « Où donc, mort, est ton empire? Où donc, mort, est ton aiguillon 3? » alors que nous serons unis aux anges, et que nous triompherons avec notre roi, qui a voulu ressusciter le premier, quoiquil ne soit point mort le premier de tous. Car beaucoup sont morts avant lui, et toutefois, nul avant lui nest ressuscité pour la vie éternelle. En triomphant donc avec lui, établis avec lui de coeur et despérance, parce que nous sommes délivrés, pensons à cette délivrance, aux scandales, aux tribulations du monde, aux persécutions si nombreuses des païens, aux fourberies des hérétiques, aux suggestions du diable, au combat si opiniâtre des passions. Qui pourrait échapper à tout cela, « si le Seigneur neût été avec nous? QuIsraël dise maintenant» ; car Israël peut le dire en sûreté: « Si le Seigneur neût été avec nous ». Quand? « Lorsque les hommes sélevaient contre nous». Ces hommes ont été vaincus; ne ten étonne pas, ô chrétien, ils étaient des hommes; mais ce nétait pas un homme qui était avec nous, cétait le Seigneur ; et des hommes sélevaient contre nous. Toutefois, des hommes pourraient opprimer dautres hommes, si ces hommes qu lon na pu opprimer neussent eu avec eux non pas un homme, mais le Seigneur même 5. Donc, « si le Seigneur neût été avec nous, quand les hommes sélevaient contre
1. Ps. CXXIII, 2. 2. Id. CXXI, 2. 3. I Cor. XV, 55.
Nous ». Queussent pu faire contre vous les hommes, quand vous chantiez avec allégresse, et que vous aviez lassurance de la vie éternelle? Que vous eussent fait les hommes en sélevant contre vous, si le Seigneur neût été avec vous? « Peut-être nous eussent-ils dévorés tout vivants 1» Dévorés tout vivants! sans même vous tuer pour vous dévorer ensuite! O cruauté! ô barbarie! Ce nest pas ainsi quen use lEglise; il fut dit à Pierre: « Tue et mange 2»; mais non: Dévore-les tout vivants. Comment donc Pierre ou lEglise peut-il tuer et manger? Et comment ceux qui se sont élevés contre nous nous eussent-ils dévorés tout vivants, si le Seigneur neût été avec nous? Parce que nul nentre dans le corps de lEglise sans mourir tout dabord. Il meurt à ce quil était, ,afin dêtre ce quil nétait pas. Autrement lhomme qui ne meurt point, qui nest point ainsi mangé par lEglise, peut bien faire partie de ce peuple que lon voit des yeux, mais faire partie de ce peuple qui est connu de Dieu, et dont lApôtre a dit: « Le Seigneur connaît ceux qui lui appartiennent 3»; il ne le peut sil nest mangé, et il ne saurait être mangé si tout dabord il nest tué. Voilà un païen qui vit encore dans lidolâtrie, et qui veut être admis parmi les membres du Christ. Pour y entrer, il doit être mangé; mais sil nest tué dabord, lEglise ne saurait le manger. Pour lui, renoncer au siècle, cest mourir; et croire en Dieu, cest être mangé. Comment donc nos adversaires nous eussent-ils dévorés tout vivants, si le Seigneur neût été avec nous? Il séleva jadis contre lEglise de nombreux persécuteurs, et il nen manque pas aujourdhui encore. Ils sélèvent les uns après les autres, et souvent ils absorbent tout vivants ceux-là toutefois qui nont point le Seigneur avec eux. Cest pourquoi nos interlocuteurs ont dit avant tout : « Si le Seigneur neût été avec nous»; car il en est beaucoup qui sont dévorés, parce quils nont point le Seigneur avec eux. Voilà ceux qui sont absorbés tout vivants, qui connaissent le mal, et y consentent par leur langage. Il sest donc élevé certains persécuteurs, qui ont dit aux hommes Offrez de lencens aux idoles, ou bien la mort. Ceux-ci, aimant la vie, cédèrent aux douceurs quils y trouvaient, et ne mirent pas les promesses de Dieu au-dessus de tout ce quils goûtaient sur la terre. On leur ordonnait de
1. Ps. CXXIII, 3. 2. Act. X, 13. II Tim. II, 19.
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croire en ce quils ne voyaient pas encore, taudis quils voyaient ce quils aimaient. Alors, sattachant davantage à ce quils voyaient, ils ont banni Dieu de leurs coeurs; et comme le Seigneur nétait point en eux, ils ont été dévorés tout vivants. Quest-ce à dire, dévorés tout vivants? En offrant de lencens à des idoles, quand ils savaient que lidole nest rien. Car, sils eussent cru que lidole fût quelque chose, ils eussent été morts avant dêtre absorbés ; mais croire que lidole nest rien, que le culte des Gentils nest quune folie, cest vivre; et quand néanmoins ils obéissent aux injonctions des persécuteurs, ils sont absorbés tout vivants. Mais ils sont absorbés tout vivants, précisément parce que le Seigneur nétait pas avec eux. Ceux en qui habite le Seigneur peuvent bien être tués, mais ne meurent point. Ceux qui, après avoir consenti à ces sacrilèges, vivent encore, sont absorbés tout vivants, et, une fois absorbés, ils meurent. Ceux, au contraire, qui souffrent sans succomber à la violence, tressaillent et disent : « QuIsraël chante maintenant », quil chante dans sa joie, quil chante avec sécurité : « Si le Seigneur neût été avec nous, quand les hommes se soulevaient contre nous, peut-être nous eussent-ils dévorés tout vivants ». 6. « Quand leur fureur sallumait contre nous ». Vous savez, mes frères, que dans un des psaumes précédents, à lentrée même de ces cantiques des degrés, un homme, qui commençait à monter, demandait du secours contre la langue trompeuse, et sécriait : « Seigneur, délivrez mon âme des lèvres injustes et de la langue trompeuse 1 ». Quand un homme, en effet, commence à sélever et à faire des progrès, au premier pas il rencontre les langues trompeuses, caressantes pour le perdre, caressantes pour lui persuader le mal: Que fais-tu, lui dit-on? Pourquoi vivre de la sorte? Ne peut-on vivre autrement? Ne peut-on autrement servir Dieu? Tu es le seul pour vouloir être ce que les autres ne sont point. Mais si tu en trouves pour vivre comme toi, que dit alors cette langue flatteuse et fourbe? Ceux-là ont pu, il est vrai; mais toi, pourras-tu? Tu entreprends pour abandonner ensuite; mieux vaudrait ne rien entreprendre, que perdre courage après avoir commencé. Langue trompeuse, et flatteuse jusque-là. Mais si la fermeté vient à déjouer ses flatteries
1. Ps. CXIX, 2-4.
artificieuses, elle prend le ton de la violence ouverte : elle te flattait pour te séduire , elle va menacer pour tentraver. Mais site Seigneur est en toi, si dans ton coeur tu nas pas abandonné le Christ, de même que tu as vaincu les langues trompeuses,avec tes flèches aiguës, tes charbons dévorants, cest-à-dire par les paroles de Dieu qui avaient transpercé lori coeur, par les exemples des justes qui, de la mort sont revenus à la vie, du péché à la justice, comme des charbons éteints qui se rallument : de même quau moyen de flèches et de charbons dévorants tu as pu vaincre ces trompeurs séduisants, ces flatteurs artificieux, de même tu vaincras ces hommes violents, qui ont recours à la menace après avoir échoué dans les séductions. Vaincus dans leurs flatteries, quils soient aussi vaincus dans leurs menaces. Mais comment les vaincre, « si le Seigneur nest avec nous?» Evidemment ce nest point toi qui peux vaincre, mais Celui qui est en toi. Tu portes dans ton cur un tel capitaine, et tu serais vaincu ? Nest-ce point Celui qui est en toi qui a dit : « Jai vaincu le monde 1? » Na-t-il pas le premier vaincu le diable en mourant, parce quil était toujours supérieur à toute créature, puisque le Verbe est Dieu en Dieu? Pourquoi cette victoire, sinon pour tapprendre à combattre le diable? Et néanmoins, bien que tu saches déjà, tu seras vaincu si tu nas en toi Celui qui le premier a vaincu pour toi. « Si le Seigneur neût,été avec nous, quand les hommes se soulevaient contre nous, peut-être nous eussent-ils dévorés tout vivants. Quand leur colère sallumait contre nous » ; voilà des colères, des violences ouvertes. « Peut-être leau nous eût-elle submergés 2 ». Cette eau désigne les peuples pécheurs; la suite va nous montrer quelles sont ces eaux, car elles eussent englouti quiconque aurait consenti aux suggestions des hommes. Il fût mort comme les Egyptiens sans pouvoir traverser comme les Israélites. Vous savez, mes frères, que le peuple dIsraël traversa les eaux, et que ces mêmes eaux engloutirent le peuple égyptien 3. «Leau nous eût engloutis », dit le Prophète. 7. Mais quelle est- cette eau? Cest un torrent qui sélance avec impétuosité, mais qui passera. On appelle torrents ces courants que grossissent tout à coup les pluies de lhiver,
1. Jean, XVI, 33. 2. Ps. CXXIII, 4. 3. Exod. XIV, 22-29.
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qui sélancent avec fracas, entraînent celui quils rencontrent, mais en qui nest pas le Seigneur; pour lhomme, en effet, qui a en lui le Seigneur, son âme traverse le torrent. Ce torrent coule encore, mais lâme des martyrs la déjà traversé. Ce torrent est toujours torrent, tant quil roule des hommes par la naissance et par la mort : de ce torrent viennent les persécutions. Cest là qua bu, le premier, notre chef dont il est dit dans un psaume : « Il boira, en chemin, de leau du torrent 1».Cest des eaux de ce torrent, qui désigne le peuple persécuteur, qua -bu celui qui dit à ses disciples : « Pouvez-vous boire du calice que je boirai moi-même 2 ? Il « boira en chemin de leau du torrent ». Quest-ce à dire, « boire en chemin ? » Boire en passant, et sans sarrêter. Il a bu en chemin, sans doute, parce quil est dit de lui : « Il ne sest point arrêté dans la voie des pécheurs 3 ». Il a bu en passant. Que dit ensuite le Prophète ? « Cest pour cela quil élèvera la tête. Il a bu en chemin de leau du torrent, aussi élèvera-t-il la tête ». Déjà notre chef est élevé, parce quil a bu en chemin de leau du torrent; car Notre-Seigneur a souffert. Si donc la tête est dans les cieux, comment le corps peut-il redouter le torrent? Parce que la tête est élevée, le corps dit sans hésitation : « Notre âme a franchi le torrent ; notre âme aurait-elle peut-être franchi des eaux sans substance 4?» Telle est leau dont le Prophète a dit: « Les eaux nous eussent peut-être submergés». Mais quest-ce que cette eau sans substance ? Que signifie « sans substance ? » 8. Et dabord, pourquoi ce « peut-être? »« Notre âme aurait-elle peut-être franchi des eaux sans substance? » Les latins ont rendu comme ils ont pu, par forsitan, le mot ara des Grecs. On trouve, en effet, dans les exemplaires grecs, lexpression ara, qui marque un doute, et que lon a voulu rendre par fortasse, qui ne la rend point complètement. Nous pouvons lexprimer par un mot qui nest pas latin, mais qui peut aider vos intelligences. Ce que les Carthaginois expriment par jar, non pour signifier le bois, mais le doute, les Grecs lexpriment ara, et les Latins par Putas, penses tu; ainsi : Penses-tu que jaie franchi ? Mais en disant: Forsitan evasi, peut-être ai-je franchi, on nexprime pas le même sens; et toutefois le putas qui est familier, nest point
1. Ps. CIX, 9. 2. Matth. XX, 22. 3. Ps. I, 1. 4. Id. CXXIII, 5.
latin. Jai pu, néanmoins, lemployer en vous parlant; car souvent jemploie des termes qui ne sont pas latins, afin daider votre intelligence. Ou na pu mettre cette expression dans lEcriture, parce quelle nest pas latine, et le latin se trouvant en défaut, on a pris une expression qui navait pas le même sens. Voici donc comme il faut comprendre : Notre âme aurait-elle bien pu franchir une eau sans-substance? Pourquoi ce putas douteux? Parce que la grandeur du péril rend ce passage à peine croyable. Ils ont enduré de grands tourments, fait face à deffroyables périls. Ilsont été pressés de telle sorte, que peu sen est fallu quils ne succombassent pendant leur vie, quils ne fussent absorbés tout vivants. Mais quand enfin ils sont échappés-, quand ils sont en sûreté, ils disent au souvenir de ces dangers: «Notre âme a-t-elle bien pu traverser cet abîme sans fond? » 9. Quelle est cette eau sans substance, sinon leau sans substance des péchés? Car les péchés nont aucune substance. Ils ont la pauvreté, mais aucune richesse, aucune substance; lindigence, mais aucune substance. Cest dans cette eau sans substance que le plus jeune des deux fils dissipa tout son bien. Car-, vous le savez, il sen alla et dit àson père : « Donnez-moi la portion de la substance qui me revient ». Pourquoi demander ? Elle est mieux conservée entre les mains de ton père; elle est à toi, et tu veux la dissiper, tu veux ten aller au loin. «Donnez-moi», oui, «donnez-moi ». Et le père la lui donna. Puis il sen alla dans un pays lointain et prodigua toute sa substance en vivant avec des prostituées ; puis il demeura pauvre, fit paître les pourceaux, et dans son indigence se ressouvint des richesses de son père 1. Sans lindigence qui le saisit, il neût pas désiré dêtre rassasié de ces biens. Que tous donc considèrent leurs péchés, et voient si ces péchés ont une véritable substance. Pourquoi le pécheur a-t-il irrité Dieu 2? Si tu ne vois ta faute avant de la commettre, vois-la du moins quand elle est commise. La douceur de cette vie a maintenant quelque attrait, et plus tard elle se changera en une grande amertume. Voilà que tu as commis une faute, et cette faute a produit un gain. Quest-ce que ce gain que tu as fait? Pour faire un gain, tu as offensé Dieu. Pour accroître tes
1. Luc, XV, 2-17. 2. Ps. IX, 13.
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possessions, ta foi était en baisse, et ton or en hausse. Quas-tu perdu, et quas-tu gagné? Ce que tu as gagné sappelle de lor, ce que tu as perdu sappelle la foi : compare ta foi à lor; si la foi se vendait sur les marchés, quel prix la ferait-on? Ta pensée est occupée de tes gains, et non de tes pertes ? Ton coffre te réjouit, ton coeur ne safflige point ? Tu vois je ne sais quoi de plus dans ton coffre, mais vois quelle diminution dans ton coeur. En ouvrant ton coffre, tu y trouves un argent qui ny était pas. Cest bien, tu te réjouis dy voir ce qui ny était point. Mais ouvre le coffre de ton coeur, la foi y était, elle ny est plus. Si tu te réjouis dune part, pourquoi ne pas pleurer dautre part? Tu as perdu beaucoup plus que tu nas gagné. Veux-tu voir ce que tu as perdu? le naufrage même neût pu te lenlever ; car plusieurs ont perdu leur fortune dans la mer et en sont sortis dépouillés. Beaucoup firent naufrage avec Paul 1 :ceux qui aimaient le monde firent naufrage, et tout fut perdu pour eux ; ils perdirent ce quils avaient dextérieur, et ils trouvèrent vide jusquau tabernacle de leur coeur. Mais Paul portait dans son coeur lhéritage de sa foi que nul flot, nulle tempête ne pouvait lui enlever; il sen alla dépouillé, et néanmoins il sen allait riche. Telles sont les richesses quil nous faut chercher. Mais je ne les vois point, me dis-tu. Ame en délire, tu ne les vois point des yeux de la chair, mais aie loeil du coeur et tu les verras. Tu ne vois point la foi, dis-tu ? Pourquoi donc la vois-tu dans un autre? Pourquoi donc pousser des cris quand on te manque de foi, si tu ne vois pas la foi ? Quon te manque de foi, tu cries. Si donc tu lexiges des autres, tu as des yeux pour la voir, tu nen a plus dès quon lexige de Loi ? Oui, si tu te récries, quand un homme est parjure à ton égard, pleure aussi dêtre parjure à légard dun autre. Comprends alors que la faute quetu commets est aussi sans substance. Car il ny a nulle substance dans tout ce que lon acquiert par le péché, et cela même ne sacquiert pas. Celui-là a de lor, qui sait en user; mais lhomme qui ne sait point en user, est plus tenu quil ne tient, plus possédé quil ne possède. Soyez maîtres, et non esclaves de votre or; car, Dieu qui a fait lor, ta fait aussi supérieur à lor ; il a fait lor pour tes besoins, et toi à son image. Vois ce
1. Act. XXVII, 41.
qui est au-dessus de toi, afin de fouler aux pieds ce qui est au dessous. Où est donc ton acquisition ? Veux-tu voir que cest une eau sans substance? Emporte avec toi dans la tombe ce que tu as acquis. Que vas-tu faire? Tu as acquis de lor et perdu la foi; dans peu de jours tu sortiras de cette vie, et tu ne saurais emporter avec toi cet or acquis au détriment de ta foi; ton coeur sans foi sen va au supplice, lui qui, plein de foi, sen irait au triomphe. Ce que tu as fait nest donc rien, et pour ce rien tu as offensé Dieu. Elle est donc sans substance, leau qui ta submergé. Que revient-il au pécheur davoir irrité Dieu ? Quils soient confondus ceux qui commettent vainement linjustice 1. Car nul ne commet linjustice sans la commettre en vain; et nul ny pense. 10. Cependant les hommes sen vont, ils écoutent ce proverbe vulgaire, tandis que les proverbes de Dieu les endorment. Quel est ce proverbe quils écoutent ? Mieux vaut tiens, que tu lauras. Insensé, que tiens-tu donc? Mieux vaut tenir, dis-tu; tiens donc, mais de manière à ne point perdre ; et dis alors Mieux vaut tenir. Mais si tu ne tiens pas de la sorte, pourquoi ne pas tenir ce que tu ne saurais perdre ? Que tiens-tu? De lor. Tiens-le donc bien, et quon ne te lenlève pas malgré toi. Mais si ton or tentraîne où tu ne veux pas aller, et qualors un larron plus fort en cherche un moins fort que lui, te voilà sous la griffe de laigle, parce que tu as tout dabord pris un lièvre; tu as fait ta proie dun moins fort, et tu deviens la proie dun idus fort, Voilà ce que ne voient point les hom mes, tant la cupidité les aveugle. Chose étonnante, mes frères, que ne voient q uavec horreu r ceux qui la considèrent ! Le plus fort cherche le plus faible, et na dautre raison de lopprimer que le bien quil peut lui enlever; il voit dans quelles tortures il le met, sans autre motif que les richesses que celui-ci possède, et il sapproprie ce bien quil voit être pour lautre la cause de ses douleurs. Il ne considérait rien de tout cela pendant quil le persécutait. Cet homme senfuyait, il était dans langoisse, il était dans la crainte, il ne savait où se cacher; et pourquoi endurait-il ces maux, sinon parce quil avait des richesses? Quil tapprenne du moitis ce que tu dois faire ; car ce bien qui a été son tourment, et
1. Ps. XXIV, 4.
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pour lequel tu las persécuté, va te tourmenter aussi, par la crainte quun autre persécuteur ne le ravisse. Tu considères combien cet homme est riche ; mais si tu le poursuis parce quil est riche, crains à Ion tour de tenrichir, de peur dêtre la proie dun autre. Tout cela est donc vain. Cherches-en la fin, tu ne verras que ténèbres ; cherche la cause, et tu ne trouveras rien. 11. Que ceux-là donc se réjouissent, quils tressaillent dans le Seigneur, ceux qui disent: « Notre âme a traversé une eau sans substance», et quils recouvrent leur substance. Ils lont perdue en vivant dans la profusion, mais leur père en est-il appauvri ? Quils reviennent, et ils retrouveront près de lui ces richesses quils ont dissipées au loin avec les prostituées ; quils échappent à leau sans substance et quils disent: « Béni soit le Seigneur qui ne nous a pas livrés à leurs dents comme une proie 1». Nos persécuteurs étaient des chasseurs qui avaient couvert leurs piéges dun appât. De quel appât? Des plaisirs de cette vie, afin que ces plaisirs nous fissent donner tête baissée dans liniquité, et prendre aux pièges. Mais ce ne sont point ces hommes, en qui était le Seigneur, ceux qui disaient : « Si le Seigneur neût été avec nous», qui sont pris aux piéges. Que le Seigneur soit avec toi, et toi non plus tu ne seras point pris dans ces filets; crie bien haut : « Béni soit le Seigneur qui ne nous a point livrés à leurs dents comme une proie ». 12. « Notre âme, semblable au passereau, sest échappée du piège des chasseurs 2». Car en cette âme était le Seigneur, et dès lors, semblable au passereau, elle a pu sarracher au piége. Pourquoi comme le passereau? Avec limprudence du passereau elle était tombée dans les rêts, et dès lors elle pouvait dire: Que Dieu veuille me pardonner. Oiseau inconstant, repose ton pied sur la pierre, ne va pas au piége tendu. Te voilà pris, épuisé, broyé. Que le Seigneur te soit en aide, et il te délivrera de menaces plus effrayantes, du piège des chasseurs. On voit quelquefois limprudent oiseau se poser sur le piège, alors on fait du bruit pour len chasser ; ainsi en était-il des martyrs, dont quelques-uns penchaient vers les douceurs de la vie; le Seigneur, qui était en eux, faisait retentir le bruit de lenfer, et le passereau séchappait du piège des
1. Ps. CXXIII, 6. 2. Id. 7.
chasseurs: « Notre âme, semblable au passereau, séchappait du piège des chasseurs ». Eh quoi donc! Ce filet doit-il demeurer éternellement ? Ce piège était la douceur de cette vie: sans se laisser prendre au piège, ils ont enduré la mort ; et cette mort a brisé le piège; et la vie na plus eu pour les prendre aucun attrait qui pût les charmer : le piège était brisé; mais loiseau létait-il aussi? Point du tout, car il nétait plus dans le filet: « Le piège a été rompu et nous avons été délivrés ». 13. Quils chantent maintenant leur délivrance, quils volent vers Dieu, quils triomphent dans ce même Dieu qui les a délivrés; car le Seigneur était en eux pour les délivrer du piége. Pourquoi le lac est-il rompu, et sommes-nous délivrés? Veux-tu savoir pourquoi? Cest que « notre secours est dans le nom du Seigneur qui a fait le ciel et la terre 1 ». Si notre secours nétait en lui, le filet neût point duré toujours sans doute, mais le passereau une fois pris eût été broyé. Car cette vie doit passer, et tous ceux qui se seront laissé prendre à ses attraits, et qui dès lors auront péché contre Dieu, passeront avec cette vie : ce piège sera donc brisé, soyez-en certains, toute la douceur de cette vie disparaîtra, quand finira le temps marqué pour sa durée: ayez donc soin de ne point vous y attacher maintenant, afin quà la rupture du filet vous puissiez chanter avec joie: « Le lac est rompu et nous voilà délivrés ». Mais ne timagine pas que tu le puisses par les forces; vois plutôt de qui tu as besoin pour être délivré (car lorgueil te jettera dans le piège), et dis alors: « Notre secours est dans le nom du Seigneur, qui a fait le ciel et la terre ». 11. Notre psaume est terminé, et autant que le Seigneur a daigné maider, il est expliqué. Mais demain nous devons prêcher encore, votre charité le sait très-bien; revenez donc, et soutenez-moi de vos prières. Vous vous souvenez en effet de ma promesse, et je ne vous dirais point davance le sujet de mon discours, si je navais besoin du secours de votre foi et de vos prières. Je vous ai promis, il vous en souvient, de vous expliquer ces paroles de lEvangile: « La loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ 2 ». Les hérétiques, et surtout les Manichéens, jettent le blâme sur la loi,
1. Ps. CXXIII, 8. 2. Jean, I, 17.
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et nous disent que Dieu ne la point donnée. Il nous faut donc expliquer ce passage, afin que lon sache bien que Dieu a donné la loi, et que cette loi a été promulguée par Moïse, mais non pour sauver, et cela pour des raisons particulières. La loi ne sauvait point, afin que lon désirât le législateur, le chef, qui pardonnât aux pécheurs; et quainsi la loi fût donnée par Moïse, la grâce et la vérité par Jésus-Christ. Voilà le sujet que je propose à votre attention. Dieu me soutiendra de sa grâce, non point à cause de mues mérites, mais par le mérite de vos désirs; non point que je le puisse de moi-même, tout viendra de labondance de ses dons. Ce point de doctrine, fort nécessaire aux hommes qui vivent dans le Nouveau Testament, sera exposé de manière à déloger lennemi de toutes ces obscurités où il se cache pour tromper les fidèles.
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