PSAUME CXXII
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DISCOURS SUR LE PSAUME CXXII.

SERMON AU PEUPLE.

LE CIEL PAR L’AMOUR.

 

L’amour monte au ciel, ou descend dans l’abîme : il ne saurait monter au ciel que par le Christ qui, seul, en est descendu, seul y peut remonter. C’est à lui qu’il faut nous unir ; et il est uni à nous sur la terre, puisque c’est lui que l’on persécute dans ses membres, nous lui sommes unis dans le ciel par la charité qui espère C’est l’héritage du Christ ou de l’Eglise qui, dans l’exil, pousse des cris et lève les yeux vers le Dieu du ciel. C’est à lui que nous montons par le coeur ou par l’amour et par la pensée ; mais l’orgueilleux n’ayant d’amour que pour lui-même, ne saurait faire ses délices de Dieu, ni monter, à coins d’avoir son péché devant les yeux, et d’en détourner l’oeil de Dieu par l’aveu qu’il en fera. Le ciel ou la demeure de Dieu est formé des saints, ou qui le voient face à face, ou qui le voient par l’espérance ; non que nous soutenions le Seigneur, mais c’est lui qui nous soutient. Le Prophète lève leu yeux vers celui qui est le maître, comme le serviteur sur les mains du maître, la servante sur la main de sa maîtresse, jusqu’à ce qu’il nous prenne en pitié; car nous sommes condamnés au châtiment et Adam souffre dans toute sa postérité. Tous ceux qui appartiennent à l’Eglise ou à la servante devenue épouse, sentent leurs plaies et demandent miséricorde. Ici-bas les incrédules nous méprisent, se rient de notre foi. Le riche nous insulte, lui qui ne tient que pour un moment ce qu’il possède ; le pauvre nous insulte dans notre foi, lui qui se croit juste. Le riche reconnaîtra son erreur, mais trop tard. Ici-bas, tandis que nous n’avons ni la santé du corps, ni la sainteté de l’âme, aspirons à la cité du bonheur véritable.

 

1. J’ai entrepris, mes frères, d’exposer a votre sainteté, chacun à son rang, les cantiques des degrés, cantiques de celui qui aime et qui s’élève, qui s’élève parce qu’il aime. Tout amour monte ou descend. L’amour du bien nous élève à Dieu, comme l’amour (29) du mal nous entraîne à l’abîme. Mais comme un désir dépravé nous a déjà fait tomber il nous reste, si nous connaissons celui qui est, non point tombé, mais descendu vers nous, à nous attacher à lui pour nous relever, ce qui nous est impossible par nos propres forces. Notre-Seigneur Jésus-Christ l’a dit lui-même : « Nul n’est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est au ciel 1 ». Il semble ne parler ainsi que de lui seul. Les autres sont donc demeurés ici-bas, puisque celui-là seul est remonté, qui seul était descendu. Que doivent faire les autres? S’unir à son corps, afin de ne faire qu’un même Christ, qui est descendu, puis remonté. La tête est descendue, elle remonte avec le corps; le Christ s’est revêtu de son Eglise, qu’il a rendue sans tache et sans ride 2. Seul donc il est remonté. Mais lorsque nous sommes unis àlui de manière à devenir ses membres, il n’est plus avec nous qu’un même Christ, un et toujours un. L’unité nous joint à celui qui est un. Il n’y a donc, pour ne point monter avec lui, que ceux qui n’ont point voulu s’unir à lui. Maintenant que ce chef est au ciel, qu’il est immortel après avoir ressuscité cette chair qui l’a un instant assujéti à la mort, et que dans le ciel il n’est plus en butte aux persécutions, ni aux violences, ni aux outrages, comme il a daigné s’y soumettre sur la terre, il a pris en pitié son corps militant sur la terre, et a dit « Saul, Saul, pourquoi me persécuter 3? » Nul ne le touchait, et cependant il criait du ciel qu’il souffrait persécution. Ne nous décourageons donc point, raffermissons au contraire notre confiance, puisque, s’il nous est uni sur la terre par la charité, cette même charité nous unit à lui dans le ciel. Nous avons montré comment il est avec nous sur la terre; nous avons fait retentir ce cri du ciel : « Saul, Saul, pourquoi mie persécuter? » Comment pouvons-nous montrer que nous sommes avec lui dans le ciel ? Par le témoignage du même saint Paul, qui nous dit : « Si vous êtes ressuscités avec le Christ, cherchez ce qui est en haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu ; ayez du goût pour les choses du ciel, et non pour  celles de la terre, car vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ 4». Jésus-Christ donc est encore sur la terre, et

 

1. Jean, III, 13.— 2. Eph. V, 27 —3. Act. IX, 4.— 4. Coloss. III, 1-3.

 

déjà nous sommes dans le ciel. Il est ici-bas par une charité compatissante, nous sommes en haut par la charité qui espère. « Car c’est l’espérance qui nous sauve ». Mais, comme notre espérance est certaine, ce qui n’est encore qu’un avenir s’affirme à notre sujet comme s’il était accompli.

2. Qu’il monte alors, celui qui chante notre psaume. Mais qu’il chante dans le coeur de chacun de vous, et que chacun de vous soit cet homme. Quand chacun de vous le récite, comme vous ne formez qu’un seul homme en Jésus-Christ, c’est un seul homme qui parle; aussi n’est-il point dit : « Seigneur, nous avons levé les yeux vers vous », mais bien: « Seigneur, j’ai levé les yeux vers vous 2». Il faut donc vous figurer que c’est chacun de vous qui parle, mais que le principal interlocuteur est cet homme répandu dans l’univers entier. C’est cet homme unique qui a dit ailleurs: « J’ai crié vers vous des confins de la terre, alors que mon coeur était dans l’angoisse 3». Qui donc pousse des cris des confins de la terre? Quel est cet homme unique répandu jusqu’aux extrémités de la terre ? Chaque homme peut crier vers le Seigneur, de l’endroit où il se trouve; mais le peut-il des confins de la terre? Or, l’héritage du Christ, dont il est dit: « Je vous donnerai les nations pour héritage, et les extrémités de la terre pour votre possession 3 », cet héritage pousse maintenant des cris: « Des confins de la terre, j’ai crié vers vous, quand mon coeur était dans l’angoisse ». Que notre coeur soit donc dans l’angoisse, et qu’il pousse des cris. D’où viendra notre angoisse? Non point des maux qu’en. durent les méchants eux-mêmes, comme des pertes qui nous arrivent. Serait-il autre que la cendre, si de pareils sujets l’inquiétaient? Qu’y a-t-il de si grand que ton coeur soit dans l’angoisse, parce qu’il a plu à Dieu de t’enlever quelqu’un des tiens? Les infidèles n’éprouvent-ils pas ces sortes d’angoisses, ceux qui ne croient pas encore en Jésus-Christ? Qu’est-ce donc qui afflige un coeur chrétien? C’est de ne point vivre encore avec le Christ. Qu’est-ce qui afflige un coeur chrétien? C’est d’errer ici-bas, de soupirer après la patrie. Si c’est là pour ton coeur un sujet de tristesse, tu gémiras quand même tu serais heureux selon le monde; en vain tu posséderais tous les biens, en vain le monde aurait de toutes

 

1. Rom. VIII, 24. — 2. Ps. CXXII, 1. — 3. Id. LX, 3. — 4. Id. II, 8.

 

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parts des sourires pour toi, tu gémiras de te voir dans l’exil; tu sens que tu es heureux aux yeux des insensés, mais non selon les promesses du Christ. Tu recherches ces promesses par tes gémissements, tu les recherches par tes désirs, et tes désirs te font monter ; et en montant tu chantes le cantique des degrés, et en chantant ces cantiques des degrés, tu dis: « Je lève mes yeux vers vous, ô Dieu qui « habitez le ciel ».

3. Où pouvait doue lever les yeux cet homme qui s’élève, sinon vers le lieu où il tend et où il désire arriver? Car il s’élève de la terre au ciel. Voilà ici-bas la terre que nous foulons aux pieds, voilà bien haut le ciel que nous voyons de nos yeux ;et en nous élevant nous chantons : « Je lève mes yeux vers vous, ô Dieu qui habitez dans les cieux». Où sont donc les échelles ? il y a de si grands intervalles entre le ciel et la terre, une telle séparation, de si vastes espaces ; nous voulons y monter, et ne voyons aucune échelle. Sommes-nous dans l’erreur, en chantant ce cantique des degrés, c’est-à-dire ce cantique de l’ascension? C’est monter au ciel que penser à Dieu, qui a placé les degrés dans notre coeur. Qu’est-ce que monter par le coeur? S’avancer vers Dieu. De même que lâcher pied c’est tomber et non descendre; de même avancer c’est monter, si toutefois l’on avance sans orgueil, si l’on s’élève de manière à ne point tomber; car, s’avancer avec orgueil, c’est monter pour tomber. Mais pour ne point s’enorgueillir, que faut-il faire ? Lever les yeux vers Celui qui habite dans les cieux, et non les lever sur soi-même. Tout orgueilleux se considère lui-même et se croit quelque chose de grand, dès lors qu’il est l’objet de ses complaisances. Mais, se complaire en soi-même, c’est là le délire; car il faut être fou pour mettre en soi ses complaisances. Celui qui plaît à Dieu peut seul être satisfait de soi-même. Or, qui est-ce qui plaît à Dieu? Celui dont Dieu fait les délices. Dieu ne saurait se déplaire : qu’il te plaise donc, afin que tu lui .sois agréable. Mais: Dieu ne saurait te plaire qu’à la condition que tu te déplairas à toi-même. Et si tu te déplais, détourne de toi tes regards. A quoi bon les arrêter sur toi? En te considérant bien, tu trouveras en toi quelque chose qui te déplaira, et tu diras à Dieu: « Mon péché est toujours devant mes yeux 1»,

 

1. Ps. L, 5.

 

Que ton péché soit sous tes yeux, et non sous les yeux de Dieu; et toi, au contraire, ne sois point l’objet de tes regards, mais des regards de Dieu. De même que nous demandons à Dieu de ne détourner point de nous sa face, de même nous lui demandons de la détourner de nos péchés ; car telle est la double prière qu’on lui fait dans les psaumes: « Ne détournez point de moi votre visage ». Ainsi dit le psaume, ainsi disons-nous. Et le même interlocuteur qui dit: « Ne détournez point de moi votre face », vois ce qu’il dit ailleurs: « Détournez votre face de mes péchés». Si donc tu veux qu’il détourne sa face de tes péchés, commence par détourner de toi-même ton visage, sans toutefois le détourner de tes péchés. Car, si tu n’en détournes pas ta face, tu entreras en colère contre ces mêmes fautes. Mais ne pas détourner sa face de ses propres fautes, c’est les reconnaître, c’est les avouer, et alors Dieu les pardonne.

4. Cesse donc de te considérer, pour lever les yeux vers Dieu, et lui dire : « J’ai levé mes regards vers vous, ô mon Dieu, qui habitez dans les cieux ». Le ciel, mes frères, si nous l’entendons dans un sens matériel et de manière à le voir de nos propres yeux, nous tomberons dans une erreur grossière, au point de croire que nous ne saurions y monter, sans le secours d’échelles ou de machines; mais si notre avancement est spirituel, le ciel aura pour nous uti sens spirituel; et si nous montons par l’amour, le ciel est dans la justice. Qu’est-ce donc que le ciel de Dieu ? Toutes les saintes âmes, toutes les âmes justes. Car les Apôtres étaient le ciel, bien que leur corps fût sur la terre; car le Seigneur siégeait en eux, afin de parcourir le monde. Dieu donc habite le ciel. Et comment ? Comme il est dit dans un autre psaume: « C’est dans les saints que vous habitez, ô gloire d’Israël 1 ». Celui qui habite le ciel, habite le Saint. Or, quel est ce saint, sinon son temple? « Car le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple 2». Mais tous ceux qui sont encore faibles, et qui marchent selon la foi 3, sont par la foi le temple de Dieu: et un jour seulement ils seront son temple dans la claire vue. Combien de temps seront-ils le temple de Dieu par la foi? Aussi longtemps que par la foi le Christ habitera en eux, ainsi que l’a dit l’Apôtre: « C’est par la foi que le Christ

 

1. Ps. XXI, 4. — 2. I Cor. III, 17. — 3. II Cor. V, 7.

 

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habite en vos coeurs 1 ». Mais il y a déjà des cieux en qui Dieu habite par la claire-vue, et qui le voient face à face ; tels sont tous les Anges, toutes les saintes Vertus, les Puissances, les Trônes, les Dominations, et toute cette Jérusalem céleste, dont l’éloignement nous fait gémir, et vers laquelle tendent nos prières ; c’est là qu’habite le Seigneur. C’est là que le Prophète lève les yeux, c’est là qu’il monte par l’amour, par ses brûlants désirs; et ces désirs lui font purifier son âme de toutes souillures, en laver toutes les taches, de sorte qu’elle est elle-même le ciel, élevant ses yeux vers Celui qui habite dans les cieux. Car, si nous plaçons le sanctuaire de Dieu dans ce ciel corporel que nous voyons de nos yeux, cette habitation de Dieu passera, puisque le ciel et la terre passeront 2. Et puis, avant que Dieu eût fait le ciel et la terre, où habitait-il ?Mais, dira-t-on encore, où habitait-il avant qu’il eût fait les saints? Il habitait en lui-même ; c’est en lui-même qu’il est Dieu. Et quand il daigne habiter dans les saints, les saints ne sont pas tellement sa demeure, qu’il doive tomber si cette même demeure venait à manquer. Nous habitons nos maisons d’une tout autre manière que Dieu habite les saints : tu habites une maison de manière à n’en plus avoir, si elle vient à manquer; mais Dieu habite les saints de telle sorte qu’eux tomberaient s’il venait à se retirer. Quiconque dès lors porte Dieu, de manière àêtrn le temple de Dieu, ne doit point s’imaginer qu’il porte Dieu de manière à lui faire peur, s’il venait à se retirer. Malheur au contraire à l’homme dont Dieu se retire li! tombe inévitablement, mais Dieu demeure toujours en lui-même. Les lieux que nous habitons nous contiennent,tandis que Dieu contient ceux qu’il habite. Voyez quelle est la différence entre la demeure de Dieu et la nôtre, et que l’âme s’écrie: « J’ai levé les yeux vers vous, ô Dieu qui habitez le ciel » ;qu’elle comprenne que Dieu n’a pas besoin du ciel pour l’habiter, mais que le ciel a besoin d’être l’habitation de Dieu.

5. Que dit donc ensuite le Prophète qui a levé les yeux vers Celui qui habite le ciel? De quelle manière, ô saint roi, as-tu levé les yeux ? « Comme les serviteurs tiennent les yeux attachés sur leurs maîtres, une servante sur sa maîtresse, ainsi nos regards

 

1. Ephés. III 17. —  2. Matth. XXIV, 35.

 

sont fixés sur le Seigneur notre Dieu, jusqu’à ce qu’il ait pitié de nous 1 ». Nous sommes les serviteurs, nous sommes les servantes, et Dieu est pour nous le Seigneur, la maîtresse. Que veulent dire ces paroles, mes frères, quel est le sens de ces comparaisons ? Que votre charité veuille bien écouter. Rien d’étonnant que nous soyons les serviteurs, et Dieu notre maître; mais ce qui peut nous étonner, c’est que nous soyons la servante, et Dieu la maîtresse. Et toutefois, rien d’étonnant que nous soyons la servante, puisque nous sommes l’Eglise, et rien d’étonnant non plus que le Christ soit la maîtresse, puisqu’il est la sagesse et la vertu de Dieu. Ecoute ce mot de l’Apôtre: « Quant à nous, nous prêchons le Christ crucifié, qui est un scandale pour les Juifs, une folie pour les Gentils; mais pour ceux qui sont appelés des Juifs et des Gentils, le Christ est la vertu de Dieu, la sagesse de Dieu 2 », Tu l’entends, dès lors le peuple est un serviteur, l’Eglise une servante, et le Christ est la vertu et la sagesse de Dieu ; tu as entendu l’un et l’autre, la vertu de Dieu, la sagesse de Dieu. A ce nom du Christ, lève les yeux sur les mains de ton Seigneur ; quand on l’appelle vertu et sagesse de Dieu, lève les yeux sur les mains de ta maîtresse: car tu es tout à la fois serviteur et servante : serviteur, car tu es peuple; servante, car tu es Eglise. Or, la servante a obtenu de Dieu une éminente dignité, elle est devenue épouse. Néanmoins, jusqu’à ce qu’elle arrive aux divins embrassements, à la paisible jouissance de Celui qu’elle a aimé, quta été l’objet de ses soupirs, pendant un si long exil, elle est une fiancée qui a reçu pour gages précieux le sang de son fiancé, qu’elle appelle de ses voeux en toute confiance. On ne lui dit point: Réprimez votre amour, comme on le dit à la jeune fille, simplement fiancée et qui n’est point encore épouse. A celle-ci on dit avec raison:

Réprime ton amour ; quand tu seras épouse, aime selon ton devoir: c’est un autour mal réglé, un amour précipité, un amour peu chaste, celui qu’elle accorde à l’homme qu’ elle n’est point certaine d’épouser. Il est possible en effet qu’un homme soit le fiancé, et un autre l’époux. Mais que l’Eglise aime en toute assurance, parce qu’il n’est aucun autre époux que l’on puisse préférer au Christ; qu’elle l’aime avant d’être unie a lui, qu’elle soupire

 

1. Ps. CXXII, 2 - 4. — 2. I Cor. I, 23, 24,

 

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vers lui dans ce lointain exil. Lui seul sera l’époux, parce que seul il a pu donner de tels gages. Qui peut en effet épouser, de telle sorte qu’il meure pour celle qu’il veut épouser? Car s’il veut mourir pour elle, il n’en sera point l’époux. Or, Celui-ci n’a point hésité à mourir pour celle qu’il devait épouser après sa résurrection. Toutefois, mes frères, en attendant ce moment, soyons comme les serviteurs et comme la servante. Il est dit, sans doute: « Je ne vous traiterai point en serviteurs, mais en amis 1». Mais n’était-ce peut-être qu’à ses disciples que le Seigneur parlait ainsi ? Ecoutez ce que dit saint Paul: « Aucun de vous n’est donc plus esclave, mais fils; et s’il est fils, il est héritier par la grâce de Dieu 2 ». Ainsi disait-il au peuple, à tous les fidèles. Déjà rachetés au nom et par le sang du Christ, purifiés dans son bain, nous sommes ses enfants, nous sommes son fils; quoique nous soyons en effet plusieurs, nous sommes un en Jésus-Christ. D’où vient qu’après cette grâce nous parlons encore comme des serviteurs ? Maintenant que d’esclaves nous sommes devenus des fils, pouvons-nous avoir dans l’Eglise un mérite égal à celui de l’apôtre saint Pan!? Et pourtant, que dit-il dans ses lettres? « Paul, serviteur de Jésus-Christ 3 ». Si ce prédicateur de l’Evangile se dit encore serviteur, combien plus nous autres devons-nous considérer notre condition, afin que la grâce augmente en nous? Il a d’abord fait des serviteurs de tous ceux qu’il a rachetés. Car son sang, qui était la rançon des esclaves, était aussi les arrhes de l‘Epouse. Convaincus de notre condition, enfants par la grâce, il est vrai, mais serviteurs comme créatures, puisque toute créature est soumise aux ordres de Dieu, disons avec le Prophète: « Comme le serviteur tient les yeux attachés sur son maître, une esclave sur sa maîtresse, ainsi mes regards sont fixés sur le Seigneur notre Dieu, jusqu’à ce qu’il ait pitié de nous ».

6. Le Prophète nous dit aussi pourquoi nos yeux sont fixés sur le Seigneur, comme les yeux du serviteur sur les mains de son maître, et de la servante sur les mains de la maîtresse; et comme si on lui demandait pourquoi? « Jusqu’à ce qu’il nous prenne en pitié », répond-il. Quels sont, mes frères, les serviteurs que nous devons comprendre

 

1. Jean, XV, 15. —  2. Galat. IV, 7. — 3. Rom. I, 1.

 

ici, qui ont les yeux sur les mains de leurs maîtres; et quelles servantes ont les yeux sur les mains de leur maîtresse, jusqu’à ce que cette maîtresse les prenne en pitié? Quels sont donc ces serviteurs et ces servantes qui ont ainsi les yeux sur les mains de leurs maîtres, sinon ceux qui sont condamnés au châtiment? « Nos yeux sont tournés vers le Seigneur, jusqu’à ce qu’il nous prenne en pitié ». Comment cela? Comme les yeux de l’esclave sur les mains de son maître, et comme les yeux de la servante sur la main de sa maîtresse. Donc les uns et les autres les tiennent fixés, jusqu’à ce que le maître ou la servante les prenne en pitié. Supposons un maître qui fait fouetter un esclave; on frappe ce malheureux qui gémit sous les coups, et tend les yeux fixés sur les mains du maître, jusqu’à ce qu’il dise : C’est assez. Car la main ici a le sens de pouvoir. Que disons nous donc, mes frères? Nous sommes condamnés au châtiment par le Seigneur notre maître, par la sagesse de Dieu, notre maîtresse; et nous sommes frappés en cette vie, et toute cette vie mortelle n’est pour nous qu’une longue plaie. Ecoute la voix du psaume : « Vous instruisez l’homme par le châtiment, à cause de son iniquité, et vous faites sécher mon âme comme l’araignée 1 ». Voyez, mes frères, combien est faible une araignée; le moindre choc la brise et lui donne la mort. Et de peur que nous n’en venions à croire que cette mortelle faiblesse n’atteint que notre chair, le Prophète ne dit point: Vous m’avez desséché, de peur qu’on n’appliquât cette expression à la chair, mais: Vous avez desséché mon âme comme l’araignée. Rien de plus faible, en effet, que notre âme au milieu des tentations du monde, au milieu des gémissements, et comme des douleurs de l’enfantement; rien de plus faible qu’elle, jusqu’à ce qu’elle s’attache fortement à la solidité du ciel, qu’elle soit dans le temple de Dieu, d’où elle ne puisse tomber; car, avant d’arriver à cette faiblesse et à cette langueur, elle est devenue infirme comme l’araignée, et a été chassée du paradis. Alors l’esclave a été condamné au fouet. Voyez, mes frères, depuis quel temps nous souffrons. Adam souffre, et dans tous ceux qui sont nés à l’origine du genre humain, et dans tous ceux qui vivent aujourd’hui, et dans tous

 

1. Ps. XXXVIII, 12.

 

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ceux qui nous suivront. Adam, ou le genre humain, est châtié, et beaucoup sont endurcis au point de ne pas sentir leurs plaies. Mais ceux do la race humaine, qui sont devenus enfants de Dieu, ont recouvré le sentiment de la douleur; ils sentent qu’on les frappe, ils savent qui les fait frapper; ils lèvent les yeux vers lui, qui habite les cieux; ils fixent les yeux sur les mains du Seigneur, jusqu’à ce qu’il les prenne en pitié, comme Les serviteurs sur les mains de leurs maîtres, comme la servante sur les mains de sa maîtresse. Vous voyez en ce monde quelques heureux qui rient et s’applaudissent; ils ne sont point frappés, ou plutôt, ils sont châtiés plus sévèrement, et d’autant plus sévèrement qu’ils le sentent moins. Qu’ils s’éveillent, et soient frappés, qu’ils sentent qu’on les frappe, qu’ils le sachent, et qu’ils se plaignent d’être frappés. « Car, celui qui multiplie la science, multiplie la douleur 1», a dit l’Ecriture. De là cette parole du Seigneur dans l’Evangile: « Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés ».

7.         Ecoutons donc 1a parole d’un homme que l’on châtie, et nous-mêmes parlons par sa bouche, quand même nous serions heureux. Qui ne sent point qu’on le châtie, quand il est malade ou en prison, quand il est dans les chaînes, quand il tombe entre les mains des voleurs? Il se sent frappé quand les méchants lui suscitent quelque chagrin. C’est un grand sentiment qui nous fait comprendre que nous sommes frappés, lors même que nous sommes heureux. L’Ecriture ne dit point au livre de Job que la vie humaine est pleine de tentations, mais bien : « La vie de l’homme sur la terre n’est-elle pas une tentation 3?» C’est donc la vie tout entière qu’il appelle une tentation. Donc ta vie entière, ici-bas, ce sont là tes plaies. Pleure donc tout le temps que tu vis ici-bas, soit dans la prospérité, soit dans quelque tribulation dis alors : « J’ai levé mes yeux vers vous, ô Dieu qui habitez le ciel ». Tiens-les fixés sur cette main du Seigneur qui t’a condamné au châtiment, et à qui tu dis dans un autre psaume « Vous avez châtié l’homme u à cause de son iniquité, et vous avez fait sécher mon âme comme l’araignée 4 ». Crie vers la main qui te frappe, et dis

 

1. Ecclés. I , 18. — 2. Matth. V, 5, —  3. Job, VII, 1. — 4. Ps. XXXVIII, 12.

 

33

 

« Ayez pitié de nous, Seigneur, ayez pitié de nous ». N’est-ce point là le cri de l’homme que l’on frappe : « Ayez pitié de nous, Seigneur, ayez pitié de nous?»

8. « Car depuis longtemps nous sommes sous le poids du mépris. Notre âme est étrangement accablée , insultée par le riche, regardée d’en haut par l’orgueilleux ». Or, regarder de haut, c’est mépriser. Mais tous ceux qui veulent vivre pieusement dans le Christ, doivent souffrir persécution de la part de ceux qui dédaignent de vivre dans la piété, et dont tout le bonheur est sur la terre. On sent de ceux qui appellent bonheur ce qu’ils ne sauraient voir des yeux, on leur dit : A quoi bon croire, ô insensé? As-tu vu ce que tu crois? Quelqu’un est-il revenu d’outre-tombe te dire ce qui s’y passe? Pour moi, je vois ce que j’aime, et j’en jouis. On te méprise, ô chrétien, parce que tu crois ce que tu ne vois point, et celui-là te méprise qui tient en quelque sorte ce qu’il voit. Mais écoute s’il le tient réellement: ne te trouble point, vois s’il le tient en effet; qu’il ne t’insulte pas ; et de peur qu’en le croyant heureux ici-bas tu ne viennes à perdre le bonheur éternel; ne te trouble pas, vois s’il le tient. Ou ce qu’il tient lui échappe, ou il échappe à ce qu’il tient. Car il faut, de toute nécessité, ou qu’il échappe à ses biens, et qu’il passe, ou que ses biens lui échappent. A qui les biens échappent-ils? A celui quj eu est dépouillé pendant sa vie. Qui est-ce qui échappe à ses biens? Celui qui meurt au milieu des richesses; car, en mourant, il ne les emporte point avec lui au-delà du tombeau. Un homme dit fièrement : Ma maison est à moi. Quelle maison, lui dis-tu? Celle que mon père m’a laissée. Et lui, d’où avait-il cette maison? de mon aïeul qui la lui a laissée. Va jusqu’au bisaïeul, jusqu’aux ancêtres, et bientôt tu ne saurais plus dire tant de noms. N’es-tu pas effrayé de voir que cette maison a passé par tant de maîtres, et que nul ne l’a emportée avec soi dans la demeure éternelle? Ton père l’a laissée ici-bas, il a passé en elle, et toi, tu passeras de même. Ainsi donc, vous ne faites que passer par votre maison, qui est l’hôtellerie des passants, non l’habitation de ceux qui demeurent. Et cependant, parce que nous espérons ce qui est à venir, et que nous aspirons à un bonheur futur, et que ne paraît point encore ce que nous devons être un jour, bien (34) que nous soyons déjà fils de Dieu 1, car notre vie est cachée en Dieu avec le Christ 2 : « Nous sommes regardés d’en haut », c’est-à-dire accablés de mépris par ceux qui cherchent où qui possèdent leur félicité ici-bas.

9. « Notre âme est étrangement accablée, en butte aux opprobres du riche, aux dédains de l’orgueilleux ». Nous cherchons quels sont les riches, et le Prophète nous l’explique en désignant les orgueilleux. Or, l’opprobre est identique au dédain, et le riche identique à l’orgueilleux. Il y a donc une répétition dans cette phrase : « l’opprobre du riche, le dédain de l’orgueilleux ». Comment les orgueilleux sont-ils riches? Parce qu’ils veulent être heureux ici-bas. Quoi donc! sont-ils riches, même dans la misère? Peut-être que dans le malheur ils ne nous insultent pas. Que votre charité veuille m’écouter. Les riches nous insultent quand ils sont heureux, quand ils étalent fastueusement leurs richesses, quand ils s’élèvent dans la vanité de leurs faux honneurs; c’est alors qu’ils nous insultent, qu’ils semblent nous dire: voilà que tout me réussit, je jouis des biens de cette vie: loin de moi quiconque me promet ce qu’il ne saurait montrer; je possède ce qui est visible, je jouis de ce que je vois, et vive le bonheur de cette vie! Pour toi, ô mon frère, tiens-toi plus assuré; car le Christ est ressuscité, et t’a enseigné ce qu’il te donnera dans l’autre vie; sois certain qu’il te le donnera. Mais celui qui Possède m’insulte, diras-tu : supporte ses railleries, et un jour tu riras, quand il gémira; car un temps viendra où ces railleurs diront à leur tour: « Ce sont donc là ceux que nous avons tournés en dérision». Ainsi est-il écrit au livre de la Sagesse, car l’Ecriture a soin de nous préciser ce que diront alors ceux qui nous raillent aujourd’hui, qui nous méprisent, ceux qui nous accablent d’opprobres et de dédain, le langage qu’ils tiendront quand la vérité les dédaignera; Ils verront en effet briller à la droite ceux qui vivaient méprisés au milieu d’eux; car alors s’accomplira cette Parole de saint Paul : « Quand le Christ, qui est votre vie, apparaîtra, alors aussi vous apparaîtrez avec lui dans la gloire 3 »; et ils diront : « Voilà donc ceux que nous avions en mépris, et qui étaient l’objet de nos outrages! Insensés que nous étions ! nous regardions

 

1. I Jean, III, 1. —  2. Colos. III, 3. — 3. Id. 4.

 

 leur vie comme une folie, et leur fin un opprobre. Comment sont-ils comptés parmi les enfants de Dieu, et leur partage est-il entre les saints? » Et ils ajouteront en continuant leur plainte : « C’est donc nous qui avons erré loin de la voie de la vérité ; la lumière de la justice n’a pas lui à nos yeux, et le soleil ne s’est point levé pour nous. De quoi nous a servi notre orgueil, et que nous revient-il de l’ostentation de nos richesses 1? » Là ce n’est point toi qui les méprises, mais eux-mêmes. Jusque-là, mes frères, levons les yeux vers Celui qui habite dans les cieux ; ne détournons point nos regards, jusqu’à ce qu’il nous prenne en pitié et qu’il nous délivre de toute tentation, de tout opprobre, de tout dédain.

10. Ajoutez à cela que, souvent, ceux-là mêmes qui se trouvent sous le coup des maux de cette vie, veulent nous insulter. Voilà un homme jeté en prison, chargé de chaînes pour ses crimes, ou par un secret jugement de Dieu, ou par une punition visible, il ne laisse pas de nous outrager. Qu’on lui dise Pourquoi n’avoir pas été plus sage? Voilà où vous amène une vie peu réglée. Pourquoi donc, répondra-t-il, ceux qui vivent saintement subissent-ils les mêmes peines ? Mais ceux-là souffrent parce que Dieu les éprouve, les exerce par la tentation, afin qu’ils marchent dans la vertu sous le fouet de ces châtiments ; « car le Seigneur frappe celui qu’il reçoit au nombre de ses enfants 2». Et s’il a livré à la flagellation son Fils unique, qui était sans péché , s’il l’a livré pour nous tous 3, combien est-il plus juste que nous soyons châtiés, nous qui avons mérité le châtiment? A cette réponse, ils s’élèvent de nouveau dans l’orgueil de leur malheur même affligés sans en être plus humbles, ils nous disent: Voilà les contes frivoles de ces chrétiens qui croient ce qu’ils ne voient pas. Si nous sommes insultés par ces hommes, est-ce bien là, mes frères, ce que rappelle notre psaume : « L’opprobre des riches, le dédain des orgueilleux ? » Car les chrétiens sont injuriés, même par ceux qui ne sont pas dans l’abondance. mais dont la misère, mais dont le malheur ne font point cesser les insultes. Il est donc vrai que nous sommes un opprobre pour les riches; mais ne s’est-il jamais trouvé un homme sous le poids du malheur pour

 

1. Sag. V, 3-8. —  2. Hébr. XII, 6. — 3. Rom, VIII. 32.

 

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nous insulter? Le larron crucifié avec le Sauveur ne lui a-t-il pas insulté 1? Si donc ceux-là aussi qui ne sont point dans l’abondance ont aussi des insultes pour nous, comment le psaume nous dit-il: « Nous sommes l’opprobre de ceux qui sont dans l’abondance? » Mais, à bien prendre les choses, ils sont aussi dans l’abondance. Quelle abondance? Sans cette abondance, ils ne seraient point orgueilleux. Pour l’un, c’est l’abondance de l’argent, et de là son orgueil ; pour l’autre, c’est l’abondance des honneurs, et de là son orgueil ; un troisième se croit riche en justice, ce qui est pire encore, et de là son orgueil. Ceux que l’on voit dépourvus des biens de ce monde s’imaginent qu’ils ont contre Dieu des trésors de justice ; et dans le malheur ils se justifient, en accusant Dieu lui-même, et en disant : Qu’ai-je fait, où est ma faute? Tu leur réponds : Examinez si vous n’avez fait aucune faute, rentrez en vous-mêmes. A ces paroles, la conscience de cet homme est émue, il rentre en lui-même, il pense aux fautes qu’il a commises; et néanmoins, après y avoir pensé, il refuse encore d’avouer qu’il a ce qu’il mérite. Sans doute, j’ai beaucoup péché, nous dit-il, mais j’en vois d’autres et en grand nombre, plus coupables que moi, et néanmoins épargnés. Le voilà juste contre Dieu il est donc dans l’abondance, son coeur est plein de sa propre justice, il s’imagine que Dieu l’afflige sans sujet, qu’il souffre injustement. Donne à cet homme un vaisseau à gouverner, il fera naufrage avec son vaisseau il veut néanmoins ôter à Dieu la direction de ce monde, gouverner lui-même la création, et distribuer à tous les joies et les douleurs, les châtiments et les récompenses. Âme infortunée ! et qu’y a-t-il d’étonnant? elle est dans l’abondance, mais abondance de malice, abondance d’iniquités ; elle est plus riche en iniquités qu’elle ne se croit riche de justice.

11. Or, un chrétien ne doit pas être dans l’abondance, mais reconnaître qu’il est pauvre; et s’ila des richesses, il doit comprendre assez qu’elles ne sont point les richesses véritables, et en désirer d’autres. Car, celui qui convoite les fausses richesses, ne recherche point les véritables, et celui qui recherche les véritables est encore pauvre, et peut dire en toute vérité : « Je suis pauvre et affligé 2 ». Ensuite,

 

1. Luc, XXIII, 39, 40. — 2. Ps. LXVLII, 30

 

comment peut-on dire qu’un homme soit dans l’abondance, quand il est pauvre et plein de malice ? On le dit, parce que sa pauvreté lui déplaît, et qu’il croit son coeur plein d’une justice qu’il oppose à la justice de Dieu. Et quelle abondance de justice pouvons-nous avoir? Quelque grande que puisse être notre justice, elle n’est qu’une goutte de rosée auprès de cette inépuisable source, une miette auprès de ce rassasiement ineffable, et cette miette adoucit notre vie, nous aide à supporter le châtiment de nos fautes. Aspirons à boire aux pleines eaux de la justice; aspirons à nous rassasier de cette abondance, dont il est dit dans le psaume : « Ils seront enivrés de l’abondance de votre maison, vous les ferez boire au torrent de vos voluptés 1». Mais, tant que nous demeurons sur la terre, nous devons nous croire pauvres et dépourvus, non-seulement de ces richesses qui ne sont point les richesses véritables, mais aussi de celles du salut. Et même, avec la santé, reconnaissons que nous sommes faibles. Tant que ce corps a faim et soif, tant qu’il est fatigué de veiller, fatigué d’être debout, fatigué de marcher, fatigué d’être assis, fatigué de manger, quelque part qu’il se tourne pour soulager une fatigue, il rencontre une fatigue nouvelle: l’homme n’a donc point ici-bas une santé parfaite, pas même en son corps. Il n’a donc point les richesses, mais la mendicité et plus on possède ces biens, plus s’accroît en nous la pauvreté et l’avarice. Ce n’est donc point là pour le corps la santé, mais bien la langueur. Chaque jour nous viennent de Dieu des remèdes adoucissants, puisque nous buvons et que nous mangeons; ce sont là des remèdes que nous prépare sa bonté. Et si vous voulez, mes frères, connaître l’intensité de notre maladie, qu’un homme demeure àjeun pendant sept jours, et la faim le tuera. Cette faim est donc en nous, et nous ne la sentons point, parce que nous y apportons chaque jour le remède: notre santé n’est donc point parfaite.

12. Que votre charité veuille bien écouter comment nous devons entendre notre pauvreté, de manière à lever nos regards vers Celui qui habite les cieux. Les richesses de la terre ne sont point de véritables richesses, puisqu’elles augmentent les désirs chez ceux qui les possèdent. La santé du corps n’est

 

1. Ps. XXXV, 9.

 

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point une véritable santé; partout, en effet, nous portons une infirmité toujours prête à défaillir, et qui nous trahit partout. Nul secours ne nous rend plus fermes ; on se lasse debout, on veut s’asseoir, mais peut-on demeurer toujours assis? Ce que l’on choisit pour soulager une fatigue devient fatigue à son tour. Las de veiller, on vent dormir; mais dormir ne deviendra-t-il pas une fatigue? Fatigué de jeûner, on veut manger; mais l’excès dans un repas nous rend plus malades. Notre faiblesse ne saurait persévérer dans aucune position. Qu’est-ce que la justice? Quelle justice pouvons-nous avoir au milieu des tentations? Nous pouvons éviter l’homicide, l’adultère, le larcin, le parjure, la fraude ; mais pouvons-nous éviter les pensées dépravées? Pouvons-nous éviter les suggestions des abjectes convoitises? A quoi donc se réduit notre justice? Ayons donc toujours faim, ayons toujours soif, et des véritables richesses, et de la véritable santé, et de la véritable justice. Quelles sont les véritables richesses? La demeure dans la céleste Jérusalem. Quel est l’homme que l’on appelle riche sur la terre ? Que dit-on d’un homme riche qu’on veut louer? Il est bien riche, rien ne lui manque. C’est une louange véritable pour celui qui loue ; mais elle est fausse quand on dit que rien ne manque. Voyez en effet si rien ne manque à cet homme riche. S’il ne désire plus rien, il ne manque de rien; mais, s’il désire de plus grands biens qu’il n’en possède, ses richesses n’ont grandi que pour grandir sa pauvreté. Or, dans cette cité bienheureuse, nous aurons les richesses véritables, puisque nous ne manquerons de rien; aucune jouissance ne nous fera défaut, et notre santé sera parfaite. Quelle est la véritable santé ? « Quand la mort sera absorbée dans sa victoire, quand ce corps corruptible sera revêtu d’incorruption, et ce corps mortel revêtu d’immortalité 1 », alors notre santé sera véritable, notre justice véritable et parfaite, nous serons dans l’impossibilité, non-seulement de faire le mal, mais encore d’en avoir la pensée. Maintenant que nous sommes nécessiteux, pauvres, indigents, nous soupirons dans nos douleurs, nous gémissons, nous prions, nous levons les yeux vers le Seigneur: puisque les heureux de ce monde n’ont pour nous que le dédain, ils sont en effet dans l’abondance ; et que ceux qui sont dans le malheur en cette vie nous méprisent encore, eux aussi sont dans l’abondance, leur coeur est plein de justice, mais d’une fausse justice et comme ils sont enfles de cette fausse justice, ils n’arriveront point à la véritable. Mais toi, sois pauvre et mendiant à l’égard de la justice, afin d’arriver à la justice véritable écoute l’Evangile : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés 2. »

 

1. I Cor. XV, 53-54 . — 2. Matth. V, 6.

 

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