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DISCOURS SUR LE PSAUME CXXII.SERMON AU PEUPLE.LE CIEL PAR LAMOUR.
Lamour monte au ciel, ou descend dans labîme : il ne saurait monter au ciel que par le Christ qui, seul, en est descendu, seul y peut remonter. Cest à lui quil faut nous unir ; et il est uni à nous sur la terre, puisque cest lui que lon persécute dans ses membres, nous lui sommes unis dans le ciel par la charité qui espère Cest lhéritage du Christ ou de lEglise qui, dans lexil, pousse des cris et lève les yeux vers le Dieu du ciel. Cest à lui que nous montons par le coeur ou par lamour et par la pensée ; mais lorgueilleux nayant damour que pour lui-même, ne saurait faire ses délices de Dieu, ni monter, à coins davoir son péché devant les yeux, et den détourner loeil de Dieu par laveu quil en fera. Le ciel ou la demeure de Dieu est formé des saints, ou qui le voient face à face, ou qui le voient par lespérance ; non que nous soutenions le Seigneur, mais cest lui qui nous soutient. Le Prophète lève leu yeux vers celui qui est le maître, comme le serviteur sur les mains du maître, la servante sur la main de sa maîtresse, jusquà ce quil nous prenne en pitié; car nous sommes condamnés au châtiment et Adam souffre dans toute sa postérité. Tous ceux qui appartiennent à lEglise ou à la servante devenue épouse, sentent leurs plaies et demandent miséricorde. Ici-bas les incrédules nous méprisent, se rient de notre foi. Le riche nous insulte, lui qui ne tient que pour un moment ce quil possède ; le pauvre nous insulte dans notre foi, lui qui se croit juste. Le riche reconnaîtra son erreur, mais trop tard. Ici-bas, tandis que nous navons ni la santé du corps, ni la sainteté de lâme, aspirons à la cité du bonheur véritable.
1. Jai entrepris, mes frères, dexposer a votre sainteté, chacun à son rang, les cantiques des degrés, cantiques de celui qui aime et qui sélève, qui sélève parce quil aime. Tout amour monte ou descend. Lamour du bien nous élève à Dieu, comme lamour (29) du mal nous entraîne à labîme. Mais comme un désir dépravé nous a déjà fait tomber il nous reste, si nous connaissons celui qui est, non point tombé, mais descendu vers nous, à nous attacher à lui pour nous relever, ce qui nous est impossible par nos propres forces. Notre-Seigneur Jésus-Christ la dit lui-même : « Nul nest monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de lhomme qui est au ciel 1 ». Il semble ne parler ainsi que de lui seul. Les autres sont donc demeurés ici-bas, puisque celui-là seul est remonté, qui seul était descendu. Que doivent faire les autres? Sunir à son corps, afin de ne faire quun même Christ, qui est descendu, puis remonté. La tête est descendue, elle remonte avec le corps; le Christ sest revêtu de son Eglise, quil a rendue sans tache et sans ride 2. Seul donc il est remonté. Mais lorsque nous sommes unis àlui de manière à devenir ses membres, il nest plus avec nous quun même Christ, un et toujours un. Lunité nous joint à celui qui est un. Il ny a donc, pour ne point monter avec lui, que ceux qui nont point voulu sunir à lui. Maintenant que ce chef est au ciel, quil est immortel après avoir ressuscité cette chair qui la un instant assujéti à la mort, et que dans le ciel il nest plus en butte aux persécutions, ni aux violences, ni aux outrages, comme il a daigné sy soumettre sur la terre, il a pris en pitié son corps militant sur la terre, et a dit « Saul, Saul, pourquoi me persécuter 3? » Nul ne le touchait, et cependant il criait du ciel quil souffrait persécution. Ne nous décourageons donc point, raffermissons au contraire notre confiance, puisque, sil nous est uni sur la terre par la charité, cette même charité nous unit à lui dans le ciel. Nous avons montré comment il est avec nous sur la terre; nous avons fait retentir ce cri du ciel : « Saul, Saul, pourquoi mie persécuter? » Comment pouvons-nous montrer que nous sommes avec lui dans le ciel ? Par le témoignage du même saint Paul, qui nous dit : « Si vous êtes ressuscités avec le Christ, cherchez ce qui est en haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu ; ayez du goût pour les choses du ciel, et non pour celles de la terre, car vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ 4». Jésus-Christ donc est encore sur la terre, et
1. Jean, III, 13. 2. Eph. V, 27 3. Act. IX, 4. 4. Coloss. III, 1-3.
déjà nous sommes dans le ciel. Il est ici-bas par une charité compatissante, nous sommes en haut par la charité qui espère. « Car cest lespérance qui nous sauve ». Mais, comme notre espérance est certaine, ce qui nest encore quun avenir saffirme à notre sujet comme sil était accompli. 2. Quil monte alors, celui qui chante notre psaume. Mais quil chante dans le coeur de chacun de vous, et que chacun de vous soit cet homme. Quand chacun de vous le récite, comme vous ne formez quun seul homme en Jésus-Christ, cest un seul homme qui parle; aussi nest-il point dit : « Seigneur, nous avons levé les yeux vers vous », mais bien: « Seigneur, jai levé les yeux vers vous 2». Il faut donc vous figurer que cest chacun de vous qui parle, mais que le principal interlocuteur est cet homme répandu dans lunivers entier. Cest cet homme unique qui a dit ailleurs: « Jai crié vers vous des confins de la terre, alors que mon coeur était dans langoisse 3». Qui donc pousse des cris des confins de la terre? Quel est cet homme unique répandu jusquaux extrémités de la terre ? Chaque homme peut crier vers le Seigneur, de lendroit où il se trouve; mais le peut-il des confins de la terre? Or, lhéritage du Christ, dont il est dit: « Je vous donnerai les nations pour héritage, et les extrémités de la terre pour votre possession 3 », cet héritage pousse maintenant des cris: « Des confins de la terre, jai crié vers vous, quand mon coeur était dans langoisse ». Que notre coeur soit donc dans langoisse, et quil pousse des cris. Doù viendra notre angoisse? Non point des maux quen. durent les méchants eux-mêmes, comme des pertes qui nous arrivent. Serait-il autre que la cendre, si de pareils sujets linquiétaient? Quy a-t-il de si grand que ton coeur soit dans langoisse, parce quil a plu à Dieu de tenlever quelquun des tiens? Les infidèles néprouvent-ils pas ces sortes dangoisses, ceux qui ne croient pas encore en Jésus-Christ? Quest-ce donc qui afflige un coeur chrétien? Cest de ne point vivre encore avec le Christ. Quest-ce qui afflige un coeur chrétien? Cest derrer ici-bas, de soupirer après la patrie. Si cest là pour ton coeur un sujet de tristesse, tu gémiras quand même tu serais heureux selon le monde; en vain tu posséderais tous les biens, en vain le monde aurait de toutes
1. Rom. VIII, 24. 2. Ps. CXXII, 1. 3. Id. LX, 3. 4. Id. II, 8.
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parts des sourires pour toi, tu gémiras de te voir dans lexil; tu sens que tu es heureux aux yeux des insensés, mais non selon les promesses du Christ. Tu recherches ces promesses par tes gémissements, tu les recherches par tes désirs, et tes désirs te font monter ; et en montant tu chantes le cantique des degrés, et en chantant ces cantiques des degrés, tu dis: « Je lève mes yeux vers vous, ô Dieu qui « habitez le ciel ». 3. Où pouvait doue lever les yeux cet homme qui sélève, sinon vers le lieu où il tend et où il désire arriver? Car il sélève de la terre au ciel. Voilà ici-bas la terre que nous foulons aux pieds, voilà bien haut le ciel que nous voyons de nos yeux ;et en nous élevant nous chantons : « Je lève mes yeux vers vous, ô Dieu qui habitez dans les cieux». Où sont donc les échelles ? il y a de si grands intervalles entre le ciel et la terre, une telle séparation, de si vastes espaces ; nous voulons y monter, et ne voyons aucune échelle. Sommes-nous dans lerreur, en chantant ce cantique des degrés, cest-à-dire ce cantique de lascension? Cest monter au ciel que penser à Dieu, qui a placé les degrés dans notre coeur. Quest-ce que monter par le coeur? Savancer vers Dieu. De même que lâcher pied cest tomber et non descendre; de même avancer cest monter, si toutefois lon avance sans orgueil, si lon sélève de manière à ne point tomber; car, savancer avec orgueil, cest monter pour tomber. Mais pour ne point senorgueillir, que faut-il faire ? Lever les yeux vers Celui qui habite dans les cieux, et non les lever sur soi-même. Tout orgueilleux se considère lui-même et se croit quelque chose de grand, dès lors quil est lobjet de ses complaisances. Mais, se complaire en soi-même, cest là le délire; car il faut être fou pour mettre en soi ses complaisances. Celui qui plaît à Dieu peut seul être satisfait de soi-même. Or, qui est-ce qui plaît à Dieu? Celui dont Dieu fait les délices. Dieu ne saurait se déplaire : quil te plaise donc, afin que tu lui .sois agréable. Mais: Dieu ne saurait te plaire quà la condition que tu te déplairas à toi-même. Et si tu te déplais, détourne de toi tes regards. A quoi bon les arrêter sur toi? En te considérant bien, tu trouveras en toi quelque chose qui te déplaira, et tu diras à Dieu: « Mon péché est toujours devant mes yeux 1»,
1. Ps. L, 5.
Que ton péché soit sous tes yeux, et non sous les yeux de Dieu; et toi, au contraire, ne sois point lobjet de tes regards, mais des regards de Dieu. De même que nous demandons à Dieu de ne détourner point de nous sa face, de même nous lui demandons de la détourner de nos péchés ; car telle est la double prière quon lui fait dans les psaumes: « Ne détournez point de moi votre visage ». Ainsi dit le psaume, ainsi disons-nous. Et le même interlocuteur qui dit: « Ne détournez point de moi votre face », vois ce quil dit ailleurs: « Détournez votre face de mes péchés». Si donc tu veux quil détourne sa face de tes péchés, commence par détourner de toi-même ton visage, sans toutefois le détourner de tes péchés. Car, si tu nen détournes pas ta face, tu entreras en colère contre ces mêmes fautes. Mais ne pas détourner sa face de ses propres fautes, cest les reconnaître, cest les avouer, et alors Dieu les pardonne. 4. Cesse donc de te considérer, pour lever les yeux vers Dieu, et lui dire : « Jai levé mes regards vers vous, ô mon Dieu, qui habitez dans les cieux ». Le ciel, mes frères, si nous lentendons dans un sens matériel et de manière à le voir de nos propres yeux, nous tomberons dans une erreur grossière, au point de croire que nous ne saurions y monter, sans le secours déchelles ou de machines; mais si notre avancement est spirituel, le ciel aura pour nous uti sens spirituel; et si nous montons par lamour, le ciel est dans la justice. Quest-ce donc que le ciel de Dieu ? Toutes les saintes âmes, toutes les âmes justes. Car les Apôtres étaient le ciel, bien que leur corps fût sur la terre; car le Seigneur siégeait en eux, afin de parcourir le monde. Dieu donc habite le ciel. Et comment ? Comme il est dit dans un autre psaume: « Cest dans les saints que vous habitez, ô gloire dIsraël 1 ». Celui qui habite le ciel, habite le Saint. Or, quel est ce saint, sinon son temple? « Car le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple 2». Mais tous ceux qui sont encore faibles, et qui marchent selon la foi 3, sont par la foi le temple de Dieu: et un jour seulement ils seront son temple dans la claire vue. Combien de temps seront-ils le temple de Dieu par la foi? Aussi longtemps que par la foi le Christ habitera en eux, ainsi que la dit lApôtre: « Cest par la foi que le Christ
1. Ps. XXI, 4. 2. I Cor. III, 17. 3. II Cor. V, 7.
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habite en vos coeurs 1 ». Mais il y a déjà des cieux en qui Dieu habite par la claire-vue, et qui le voient face à face ; tels sont tous les Anges, toutes les saintes Vertus, les Puissances, les Trônes, les Dominations, et toute cette Jérusalem céleste, dont léloignement nous fait gémir, et vers laquelle tendent nos prières ; cest là quhabite le Seigneur. Cest là que le Prophète lève les yeux, cest là quil monte par lamour, par ses brûlants désirs; et ces désirs lui font purifier son âme de toutes souillures, en laver toutes les taches, de sorte quelle est elle-même le ciel, élevant ses yeux vers Celui qui habite dans les cieux. Car, si nous plaçons le sanctuaire de Dieu dans ce ciel corporel que nous voyons de nos yeux, cette habitation de Dieu passera, puisque le ciel et la terre passeront 2. Et puis, avant que Dieu eût fait le ciel et la terre, où habitait-il ?Mais, dira-t-on encore, où habitait-il avant quil eût fait les saints? Il habitait en lui-même ; cest en lui-même quil est Dieu. Et quand il daigne habiter dans les saints, les saints ne sont pas tellement sa demeure, quil doive tomber si cette même demeure venait à manquer. Nous habitons nos maisons dune tout autre manière que Dieu habite les saints : tu habites une maison de manière à nen plus avoir, si elle vient à manquer; mais Dieu habite les saints de telle sorte queux tomberaient sil venait à se retirer. Quiconque dès lors porte Dieu, de manière àêtrn le temple de Dieu, ne doit point simaginer quil porte Dieu de manière à lui faire peur, sil venait à se retirer. Malheur au contraire à lhomme dont Dieu se retire li! tombe inévitablement, mais Dieu demeure toujours en lui-même. Les lieux que nous habitons nous contiennent,tandis que Dieu contient ceux quil habite. Voyez quelle est la différence entre la demeure de Dieu et la nôtre, et que lâme sécrie: « Jai levé les yeux vers vous, ô Dieu qui habitez le ciel » ;quelle comprenne que Dieu na pas besoin du ciel pour lhabiter, mais que le ciel a besoin dêtre lhabitation de Dieu. 5. Que dit donc ensuite le Prophète qui a levé les yeux vers Celui qui habite le ciel? De quelle manière, ô saint roi, as-tu levé les yeux ? « Comme les serviteurs tiennent les yeux attachés sur leurs maîtres, une servante sur sa maîtresse, ainsi nos regards
1. Ephés. III 17. 2. Matth. XXIV, 35.
sont fixés sur le Seigneur notre Dieu, jusquà ce quil ait pitié de nous 1 ». Nous sommes les serviteurs, nous sommes les servantes, et Dieu est pour nous le Seigneur, la maîtresse. Que veulent dire ces paroles, mes frères, quel est le sens de ces comparaisons ? Que votre charité veuille bien écouter. Rien détonnant que nous soyons les serviteurs, et Dieu notre maître; mais ce qui peut nous étonner, cest que nous soyons la servante, et Dieu la maîtresse. Et toutefois, rien détonnant que nous soyons la servante, puisque nous sommes lEglise, et rien détonnant non plus que le Christ soit la maîtresse, puisquil est la sagesse et la vertu de Dieu. Ecoute ce mot de lApôtre: « Quant à nous, nous prêchons le Christ crucifié, qui est un scandale pour les Juifs, une folie pour les Gentils; mais pour ceux qui sont appelés des Juifs et des Gentils, le Christ est la vertu de Dieu, la sagesse de Dieu 2 », Tu lentends, dès lors le peuple est un serviteur, lEglise une servante, et le Christ est la vertu et la sagesse de Dieu ; tu as entendu lun et lautre, la vertu de Dieu, la sagesse de Dieu. A ce nom du Christ, lève les yeux sur les mains de ton Seigneur ; quand on lappelle vertu et sagesse de Dieu, lève les yeux sur les mains de ta maîtresse: car tu es tout à la fois serviteur et servante : serviteur, car tu es peuple; servante, car tu es Eglise. Or, la servante a obtenu de Dieu une éminente dignité, elle est devenue épouse. Néanmoins, jusquà ce quelle arrive aux divins embrassements, à la paisible jouissance de Celui quelle a aimé, quta été lobjet de ses soupirs, pendant un si long exil, elle est une fiancée qui a reçu pour gages précieux le sang de son fiancé, quelle appelle de ses voeux en toute confiance. On ne lui dit point: Réprimez votre amour, comme on le dit à la jeune fille, simplement fiancée et qui nest point encore épouse. A celle-ci on dit avec raison: Réprime ton amour ; quand tu seras épouse, aime selon ton devoir: cest un autour mal réglé, un amour précipité, un amour peu chaste, celui quelle accorde à lhomme qu elle nest point certaine dépouser. Il est possible en effet quun homme soit le fiancé, et un autre lépoux. Mais que lEglise aime en toute assurance, parce quil nest aucun autre époux que lon puisse préférer au Christ; quelle laime avant dêtre unie a lui, quelle soupire
1. Ps. CXXII, 2 - 4. 2. I Cor. I, 23, 24,
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vers lui dans ce lointain exil. Lui seul sera lépoux, parce que seul il a pu donner de tels gages. Qui peut en effet épouser, de telle sorte quil meure pour celle quil veut épouser? Car sil veut mourir pour elle, il nen sera point lépoux. Or, Celui-ci na point hésité à mourir pour celle quil devait épouser après sa résurrection. Toutefois, mes frères, en attendant ce moment, soyons comme les serviteurs et comme la servante. Il est dit, sans doute: « Je ne vous traiterai point en serviteurs, mais en amis 1». Mais nétait-ce peut-être quà ses disciples que le Seigneur parlait ainsi ? Ecoutez ce que dit saint Paul: « Aucun de vous nest donc plus esclave, mais fils; et sil est fils, il est héritier par la grâce de Dieu 2 ». Ainsi disait-il au peuple, à tous les fidèles. Déjà rachetés au nom et par le sang du Christ, purifiés dans son bain, nous sommes ses enfants, nous sommes son fils; quoique nous soyons en effet plusieurs, nous sommes un en Jésus-Christ. Doù vient quaprès cette grâce nous parlons encore comme des serviteurs ? Maintenant que desclaves nous sommes devenus des fils, pouvons-nous avoir dans lEglise un mérite égal à celui de lapôtre saint Pan!? Et pourtant, que dit-il dans ses lettres? « Paul, serviteur de Jésus-Christ 3 ». Si ce prédicateur de lEvangile se dit encore serviteur, combien plus nous autres devons-nous considérer notre condition, afin que la grâce augmente en nous? Il a dabord fait des serviteurs de tous ceux quil a rachetés. Car son sang, qui était la rançon des esclaves, était aussi les arrhes de lEpouse. Convaincus de notre condition, enfants par la grâce, il est vrai, mais serviteurs comme créatures, puisque toute créature est soumise aux ordres de Dieu, disons avec le Prophète: « Comme le serviteur tient les yeux attachés sur son maître, une esclave sur sa maîtresse, ainsi mes regards sont fixés sur le Seigneur notre Dieu, jusquà ce quil ait pitié de nous ». 6. Le Prophète nous dit aussi pourquoi nos yeux sont fixés sur le Seigneur, comme les yeux du serviteur sur les mains de son maître, et de la servante sur les mains de la maîtresse; et comme si on lui demandait pourquoi? « Jusquà ce quil nous prenne en pitié », répond-il. Quels sont, mes frères, les serviteurs que nous devons comprendre
1. Jean, XV, 15. 2. Galat. IV, 7. 3. Rom. I, 1.
ici, qui ont les yeux sur les mains de leurs maîtres; et quelles servantes ont les yeux sur les mains de leur maîtresse, jusquà ce que cette maîtresse les prenne en pitié? Quels sont donc ces serviteurs et ces servantes qui ont ainsi les yeux sur les mains de leurs maîtres, sinon ceux qui sont condamnés au châtiment? « Nos yeux sont tournés vers le Seigneur, jusquà ce quil nous prenne en pitié ». Comment cela? Comme les yeux de lesclave sur les mains de son maître, et comme les yeux de la servante sur la main de sa maîtresse. Donc les uns et les autres les tiennent fixés, jusquà ce que le maître ou la servante les prenne en pitié. Supposons un maître qui fait fouetter un esclave; on frappe ce malheureux qui gémit sous les coups, et tend les yeux fixés sur les mains du maître, jusquà ce quil dise : Cest assez. Car la main ici a le sens de pouvoir. Que disons nous donc, mes frères? Nous sommes condamnés au châtiment par le Seigneur notre maître, par la sagesse de Dieu, notre maîtresse; et nous sommes frappés en cette vie, et toute cette vie mortelle nest pour nous quune longue plaie. Ecoute la voix du psaume : « Vous instruisez lhomme par le châtiment, à cause de son iniquité, et vous faites sécher mon âme comme laraignée 1 ». Voyez, mes frères, combien est faible une araignée; le moindre choc la brise et lui donne la mort. Et de peur que nous nen venions à croire que cette mortelle faiblesse natteint que notre chair, le Prophète ne dit point: Vous mavez desséché, de peur quon nappliquât cette expression à la chair, mais: Vous avez desséché mon âme comme laraignée. Rien de plus faible, en effet, que notre âme au milieu des tentations du monde, au milieu des gémissements, et comme des douleurs de lenfantement; rien de plus faible quelle, jusquà ce quelle sattache fortement à la solidité du ciel, quelle soit dans le temple de Dieu, doù elle ne puisse tomber; car, avant darriver à cette faiblesse et à cette langueur, elle est devenue infirme comme laraignée, et a été chassée du paradis. Alors lesclave a été condamné au fouet. Voyez, mes frères, depuis quel temps nous souffrons. Adam souffre, et dans tous ceux qui sont nés à lorigine du genre humain, et dans tous ceux qui vivent aujourdhui, et dans tous
1. Ps. XXXVIII, 12.
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ceux qui nous suivront. Adam, ou le genre humain, est châtié, et beaucoup sont endurcis au point de ne pas sentir leurs plaies. Mais ceux do la race humaine, qui sont devenus enfants de Dieu, ont recouvré le sentiment de la douleur; ils sentent quon les frappe, ils savent qui les fait frapper; ils lèvent les yeux vers lui, qui habite les cieux; ils fixent les yeux sur les mains du Seigneur, jusquà ce quil les prenne en pitié, comme Les serviteurs sur les mains de leurs maîtres, comme la servante sur les mains de sa maîtresse. Vous voyez en ce monde quelques heureux qui rient et sapplaudissent; ils ne sont point frappés, ou plutôt, ils sont châtiés plus sévèrement, et dautant plus sévèrement quils le sentent moins. Quils séveillent, et soient frappés, quils sentent quon les frappe, quils le sachent, et quils se plaignent dêtre frappés. « Car, celui qui multiplie la science, multiplie la douleur 1», a dit lEcriture. De là cette parole du Seigneur dans lEvangile: « Bienheureux ceux qui pleurent, parce quils seront consolés 2 ». 7. Ecoutons donc 1a parole dun homme que lon châtie, et nous-mêmes parlons par sa bouche, quand même nous serions heureux. Qui ne sent point quon le châtie, quand il est malade ou en prison, quand il est dans les chaînes, quand il tombe entre les mains des voleurs? Il se sent frappé quand les méchants lui suscitent quelque chagrin. Cest un grand sentiment qui nous fait comprendre que nous sommes frappés, lors même que nous sommes heureux. LEcriture ne dit point au livre de Job que la vie humaine est pleine de tentations, mais bien : « La vie de lhomme sur la terre nest-elle pas une tentation 3?» Cest donc la vie tout entière quil appelle une tentation. Donc ta vie entière, ici-bas, ce sont là tes plaies. Pleure donc tout le temps que tu vis ici-bas, soit dans la prospérité, soit dans quelque tribulation dis alors : « Jai levé mes yeux vers vous, ô Dieu qui habitez le ciel ». Tiens-les fixés sur cette main du Seigneur qui ta condamné au châtiment, et à qui tu dis dans un autre psaume « Vous avez châtié lhomme u à cause de son iniquité, et vous avez fait sécher mon âme comme laraignée 4 ». Crie vers la main qui te frappe, et dis
1. Ecclés. I , 18. 2. Matth. V, 5, 3. Job, VII, 1. 4. Ps. XXXVIII, 12.
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« Ayez pitié de nous, Seigneur, ayez pitié de nous ». Nest-ce point là le cri de lhomme que lon frappe : « Ayez pitié de nous, Seigneur, ayez pitié de nous?» 8. « Car depuis longtemps nous sommes sous le poids du mépris. Notre âme est étrangement accablée , insultée par le riche, regardée den haut par lorgueilleux ». Or, regarder de haut, cest mépriser. Mais tous ceux qui veulent vivre pieusement dans le Christ, doivent souffrir persécution de la part de ceux qui dédaignent de vivre dans la piété, et dont tout le bonheur est sur la terre. On sent de ceux qui appellent bonheur ce quils ne sauraient voir des yeux, on leur dit : A quoi bon croire, ô insensé? As-tu vu ce que tu crois? Quelquun est-il revenu doutre-tombe te dire ce qui sy passe? Pour moi, je vois ce que jaime, et jen jouis. On te méprise, ô chrétien, parce que tu crois ce que tu ne vois point, et celui-là te méprise qui tient en quelque sorte ce quil voit. Mais écoute sil le tient réellement: ne te trouble point, vois sil le tient en effet; quil ne tinsulte pas ; et de peur quen le croyant heureux ici-bas tu ne viennes à perdre le bonheur éternel; ne te trouble pas, vois sil le tient. Ou ce quil tient lui échappe, ou il échappe à ce quil tient. Car il faut, de toute nécessité, ou quil échappe à ses biens, et quil passe, ou que ses biens lui échappent. A qui les biens échappent-ils? A celui quj eu est dépouillé pendant sa vie. Qui est-ce qui échappe à ses biens? Celui qui meurt au milieu des richesses; car, en mourant, il ne les emporte point avec lui au-delà du tombeau. Un homme dit fièrement : Ma maison est à moi. Quelle maison, lui dis-tu? Celle que mon père ma laissée. Et lui, doù avait-il cette maison? de mon aïeul qui la lui a laissée. Va jusquau bisaïeul, jusquaux ancêtres, et bientôt tu ne saurais plus dire tant de noms. Nes-tu pas effrayé de voir que cette maison a passé par tant de maîtres, et que nul ne la emportée avec soi dans la demeure éternelle? Ton père la laissée ici-bas, il a passé en elle, et toi, tu passeras de même. Ainsi donc, vous ne faites que passer par votre maison, qui est lhôtellerie des passants, non lhabitation de ceux qui demeurent. Et cependant, parce que nous espérons ce qui est à venir, et que nous aspirons à un bonheur futur, et que ne paraît point encore ce que nous devons être un jour, bien (34) que nous soyons déjà fils de Dieu 1, car notre vie est cachée en Dieu avec le Christ 2 : « Nous sommes regardés den haut », cest-à-dire accablés de mépris par ceux qui cherchent où qui possèdent leur félicité ici-bas. 9. « Notre âme est étrangement accablée, en butte aux opprobres du riche, aux dédains de lorgueilleux ». Nous cherchons quels sont les riches, et le Prophète nous lexplique en désignant les orgueilleux. Or, lopprobre est identique au dédain, et le riche identique à lorgueilleux. Il y a donc une répétition dans cette phrase : « lopprobre du riche, le dédain de lorgueilleux ». Comment les orgueilleux sont-ils riches? Parce quils veulent être heureux ici-bas. Quoi donc! sont-ils riches, même dans la misère? Peut-être que dans le malheur ils ne nous insultent pas. Que votre charité veuille mécouter. Les riches nous insultent quand ils sont heureux, quand ils étalent fastueusement leurs richesses, quand ils sélèvent dans la vanité de leurs faux honneurs; cest alors quils nous insultent, quils semblent nous dire: voilà que tout me réussit, je jouis des biens de cette vie: loin de moi quiconque me promet ce quil ne saurait montrer; je possède ce qui est visible, je jouis de ce que je vois, et vive le bonheur de cette vie! Pour toi, ô mon frère, tiens-toi plus assuré; car le Christ est ressuscité, et ta enseigné ce quil te donnera dans lautre vie; sois certain quil te le donnera. Mais celui qui Possède minsulte, diras-tu : supporte ses railleries, et un jour tu riras, quand il gémira; car un temps viendra où ces railleurs diront à leur tour: « Ce sont donc là ceux que nous avons tournés en dérision». Ainsi est-il écrit au livre de la Sagesse, car lEcriture a soin de nous préciser ce que diront alors ceux qui nous raillent aujourdhui, qui nous méprisent, ceux qui nous accablent dopprobres et de dédain, le langage quils tiendront quand la vérité les dédaignera; Ils verront en effet briller à la droite ceux qui vivaient méprisés au milieu deux; car alors saccomplira cette Parole de saint Paul : « Quand le Christ, qui est votre vie, apparaîtra, alors aussi vous apparaîtrez avec lui dans la gloire 3 »; et ils diront : « Voilà donc ceux que nous avions en mépris, et qui étaient lobjet de nos outrages! Insensés que nous étions ! nous regardions
1. I Jean, III, 1. 2. Colos. III, 3. 3. Id. 4.
leur vie comme une folie, et leur fin un opprobre. Comment sont-ils comptés parmi les enfants de Dieu, et leur partage est-il entre les saints? » Et ils ajouteront en continuant leur plainte : « Cest donc nous qui avons erré loin de la voie de la vérité ; la lumière de la justice na pas lui à nos yeux, et le soleil ne sest point levé pour nous. De quoi nous a servi notre orgueil, et que nous revient-il de lostentation de nos richesses 1? » Là ce nest point toi qui les méprises, mais eux-mêmes. Jusque-là, mes frères, levons les yeux vers Celui qui habite dans les cieux ; ne détournons point nos regards, jusquà ce quil nous prenne en pitié et quil nous délivre de toute tentation, de tout opprobre, de tout dédain. 10. Ajoutez à cela que, souvent, ceux-là mêmes qui se trouvent sous le coup des maux de cette vie, veulent nous insulter. Voilà un homme jeté en prison, chargé de chaînes pour ses crimes, ou par un secret jugement de Dieu, ou par une punition visible, il ne laisse pas de nous outrager. Quon lui dise Pourquoi navoir pas été plus sage? Voilà où vous amène une vie peu réglée. Pourquoi donc, répondra-t-il, ceux qui vivent saintement subissent-ils les mêmes peines ? Mais ceux-là souffrent parce que Dieu les éprouve, les exerce par la tentation, afin quils marchent dans la vertu sous le fouet de ces châtiments ; « car le Seigneur frappe celui quil reçoit au nombre de ses enfants 2». Et sil a livré à la flagellation son Fils unique, qui était sans péché , sil la livré pour nous tous 3, combien est-il plus juste que nous soyons châtiés, nous qui avons mérité le châtiment? A cette réponse, ils sélèvent de nouveau dans lorgueil de leur malheur même affligés sans en être plus humbles, ils nous disent: Voilà les contes frivoles de ces chrétiens qui croient ce quils ne voient pas. Si nous sommes insultés par ces hommes, est-ce bien là, mes frères, ce que rappelle notre psaume : « Lopprobre des riches, le dédain des orgueilleux ? » Car les chrétiens sont injuriés, même par ceux qui ne sont pas dans labondance. mais dont la misère, mais dont le malheur ne font point cesser les insultes. Il est donc vrai que nous sommes un opprobre pour les riches; mais ne sest-il jamais trouvé un homme sous le poids du malheur pour
1. Sag. V, 3-8. 2. Hébr. XII, 6. 3. Rom, VIII. 32.
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nous insulter? Le larron crucifié avec le Sauveur ne lui a-t-il pas insulté 1? Si donc ceux-là aussi qui ne sont point dans labondance ont aussi des insultes pour nous, comment le psaume nous dit-il: « Nous sommes lopprobre de ceux qui sont dans labondance? » Mais, à bien prendre les choses, ils sont aussi dans labondance. Quelle abondance? Sans cette abondance, ils ne seraient point orgueilleux. Pour lun, cest labondance de largent, et de là son orgueil ; pour lautre, cest labondance des honneurs, et de là son orgueil ; un troisième se croit riche en justice, ce qui est pire encore, et de là son orgueil. Ceux que lon voit dépourvus des biens de ce monde simaginent quils ont contre Dieu des trésors de justice ; et dans le malheur ils se justifient, en accusant Dieu lui-même, et en disant : Quai-je fait, où est ma faute? Tu leur réponds : Examinez si vous navez fait aucune faute, rentrez en vous-mêmes. A ces paroles, la conscience de cet homme est émue, il rentre en lui-même, il pense aux fautes quil a commises; et néanmoins, après y avoir pensé, il refuse encore davouer quil a ce quil mérite. Sans doute, jai beaucoup péché, nous dit-il, mais jen vois dautres et en grand nombre, plus coupables que moi, et néanmoins épargnés. Le voilà juste contre Dieu il est donc dans labondance, son coeur est plein de sa propre justice, il simagine que Dieu lafflige sans sujet, quil souffre injustement. Donne à cet homme un vaisseau à gouverner, il fera naufrage avec son vaisseau il veut néanmoins ôter à Dieu la direction de ce monde, gouverner lui-même la création, et distribuer à tous les joies et les douleurs, les châtiments et les récompenses. Âme infortunée ! et quy a-t-il détonnant? elle est dans labondance, mais abondance de malice, abondance diniquités ; elle est plus riche en iniquités quelle ne se croit riche de justice. 11. Or, un chrétien ne doit pas être dans labondance, mais reconnaître quil est pauvre; et sila des richesses, il doit comprendre assez quelles ne sont point les richesses véritables, et en désirer dautres. Car, celui qui convoite les fausses richesses, ne recherche point les véritables, et celui qui recherche les véritables est encore pauvre, et peut dire en toute vérité : « Je suis pauvre et affligé 2 ». Ensuite,
1. Luc, XXIII, 39, 40. 2. Ps. LXVLII, 30
comment peut-on dire quun homme soit dans labondance, quand il est pauvre et plein de malice ? On le dit, parce que sa pauvreté lui déplaît, et quil croit son coeur plein dune justice quil oppose à la justice de Dieu. Et quelle abondance de justice pouvons-nous avoir? Quelque grande que puisse être notre justice, elle nest quune goutte de rosée auprès de cette inépuisable source, une miette auprès de ce rassasiement ineffable, et cette miette adoucit notre vie, nous aide à supporter le châtiment de nos fautes. Aspirons à boire aux pleines eaux de la justice; aspirons à nous rassasier de cette abondance, dont il est dit dans le psaume : « Ils seront enivrés de labondance de votre maison, vous les ferez boire au torrent de vos voluptés 1». Mais, tant que nous demeurons sur la terre, nous devons nous croire pauvres et dépourvus, non-seulement de ces richesses qui ne sont point les richesses véritables, mais aussi de celles du salut. Et même, avec la santé, reconnaissons que nous sommes faibles. Tant que ce corps a faim et soif, tant quil est fatigué de veiller, fatigué dêtre debout, fatigué de marcher, fatigué dêtre assis, fatigué de manger, quelque part quil se tourne pour soulager une fatigue, il rencontre une fatigue nouvelle: lhomme na donc point ici-bas une santé parfaite, pas même en son corps. Il na donc point les richesses, mais la mendicité et plus on possède ces biens, plus saccroît en nous la pauvreté et lavarice. Ce nest donc point là pour le corps la santé, mais bien la langueur. Chaque jour nous viennent de Dieu des remèdes adoucissants, puisque nous buvons et que nous mangeons; ce sont là des remèdes que nous prépare sa bonté. Et si vous voulez, mes frères, connaître lintensité de notre maladie, quun homme demeure àjeun pendant sept jours, et la faim le tuera. Cette faim est donc en nous, et nous ne la sentons point, parce que nous y apportons chaque jour le remède: notre santé nest donc point parfaite. 12. Que votre charité veuille bien écouter comment nous devons entendre notre pauvreté, de manière à lever nos regards vers Celui qui habite les cieux. Les richesses de la terre ne sont point de véritables richesses, puisquelles augmentent les désirs chez ceux qui les possèdent. La santé du corps nest
1. Ps. XXXV, 9.
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point une véritable santé; partout, en effet, nous portons une infirmité toujours prête à défaillir, et qui nous trahit partout. Nul secours ne nous rend plus fermes ; on se lasse debout, on veut sasseoir, mais peut-on demeurer toujours assis? Ce que lon choisit pour soulager une fatigue devient fatigue à son tour. Las de veiller, on vent dormir; mais dormir ne deviendra-t-il pas une fatigue? Fatigué de jeûner, on veut manger; mais lexcès dans un repas nous rend plus malades. Notre faiblesse ne saurait persévérer dans aucune position. Quest-ce que la justice? Quelle justice pouvons-nous avoir au milieu des tentations? Nous pouvons éviter lhomicide, ladultère, le larcin, le parjure, la fraude ; mais pouvons-nous éviter les pensées dépravées? Pouvons-nous éviter les suggestions des abjectes convoitises? A quoi donc se réduit notre justice? Ayons donc toujours faim, ayons toujours soif, et des véritables richesses, et de la véritable santé, et de la véritable justice. Quelles sont les véritables richesses? La demeure dans la céleste Jérusalem. Quel est lhomme que lon appelle riche sur la terre ? Que dit-on dun homme riche quon veut louer? Il est bien riche, rien ne lui manque. Cest une louange véritable pour celui qui loue ; mais elle est fausse quand on dit que rien ne manque. Voyez en effet si rien ne manque à cet homme riche. Sil ne désire plus rien, il ne manque de rien; mais, sil désire de plus grands biens quil nen possède, ses richesses nont grandi que pour grandir sa pauvreté. Or, dans cette cité bienheureuse, nous aurons les richesses véritables, puisque nous ne manquerons de rien; aucune jouissance ne nous fera défaut, et notre santé sera parfaite. Quelle est la véritable santé ? « Quand la mort sera absorbée dans sa victoire, quand ce corps corruptible sera revêtu dincorruption, et ce corps mortel revêtu dimmortalité 1 », alors notre santé sera véritable, notre justice véritable et parfaite, nous serons dans limpossibilité, non-seulement de faire le mal, mais encore den avoir la pensée. Maintenant que nous sommes nécessiteux, pauvres, indigents, nous soupirons dans nos douleurs, nous gémissons, nous prions, nous levons les yeux vers le Seigneur: puisque les heureux de ce monde nont pour nous que le dédain, ils sont en effet dans labondance ; et que ceux qui sont dans le malheur en cette vie nous méprisent encore, eux aussi sont dans labondance, leur coeur est plein de justice, mais dune fausse justice et comme ils sont enfles de cette fausse justice, ils narriveront point à la véritable. Mais toi, sois pauvre et mendiant à légard de la justice, afin darriver à la justice véritable écoute lEvangile : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce quils seront rassasiés 2. »
1. I Cor. XV, 53-54 . 2. Matth. V, 6.
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