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DISCOURS SUR LE PSAUME CXXX.SERMON AU PEUPLE.LHUMILITÉ CHRÉTIENNE.
La foi unit en Jésus-Christ tous les fidèles qui sont les pierres vivantes de son temple ; et cest dans ce temple seulement que nous sommes exaucés quant à la vie éternelle. Quand Jésus chassait les vendeurs du temple, il faisait un acte symbolique. Ce temple est la figure de lEglise, dans laquelle nous voyons des acheteurs et des vendeurs, ou des chrétiens qui cherchent leurs intérêts ; ils en seront chassés avec un fouet de cordes, ou le fouet de leurs péchés. Les vendeurs ne renversèrent point le temple, ni les pécheurs ne renverseront lEglise, maison de notre prière. Cest donc lEglise qui chante ce psaume, et sous pouvons juger que nous sommes de lEglise, si nous le chantons en vérité. Linterlocuteur ne sest point enorgueilli, et dès lors il a offert le sacrifice qui plaît à Dieu, celui de lhumilité. Mais Simon le magicien, sans vouloir de lhumilité comme les Apôtres, voulait faire descendre lEsprit-Saint, trafiquer de la colombe, et Pierre le chassa. Si tous ne font pas des miracles, ils nen sont pas moins à Dieu ; loeil nest pas la main, et tous les membres cependant se prêtent un mutuel secours ; de même dans lEglise ceux qui font des miracles prêtent leur autorité aux autres. Les dons de Dieu pourraient nous enorgueillir ; saint Paul, qui avait dabord été persécuteur, a plus travaillé que les antres, mais pour contre-poids il fut souffleté par Satan, qui sévit aussi contre Job, contre Jésus-Christ, et qui perdit ainsi ceux que le sang du Calvaire a rachetés. Ne cherchons dans lEglise que linscription de notre nom au ciel. Le Prophète, sil nest humble, fait des imprécations contre lui-même, et veut être comme lenfant que lon sèvre dans les bras de sa mère. A sa naissance, il lui faut le lait de sa mère, et non du pain. De même le chrétien peu instruit ne saurait contempler le Verbe qui est le pain des auges il doit grandir par la foi au Verbe fait homme, crucifié, ressuscité, monté an cieL Cest le lait que Dieu nous a préparé. Prétendre raisonner, cest imiter les hérétiques qui ont vu linégalité dans les personnes, et ont été sevrés die lait de 1Eglise leur mère. Dautres ont dit que tout orgueil déplaît à Dieu sans doute, mais que lhomme néanmoins doit sélever par la méditation, afin de passer du lait de lenfance ta la nourriture de lhomme fait. Cette explication a linconvénient de ne point rendre limprécation du Prophète qui ne voit dans le sevrage de lenfant trop jeune quun châtiment de son orgueil : car le sevrer quand il est trop jeune ou faible encore, cest lui donner la mort. Quil grandisse donc par le lait de sa mère, par lhumilité de la foi ; quil cherche, et vous aussi, ce qui est devant nous, en se reposant sur le Seigneur.
1. Ce psaume nous recommande lhumilité du fidèle serviteur de Dieu, qui le chante, et qui est le corps entier du Christ. Souvent, en effet, jai fait remarquer à votre charité que ce nest point un seul homme qui parle, mais tous ceux qui forment le corps du Christ. Et comme ils sont tous réunis dans ce même corps, ce nest en quelque sorte quun seul homme qui parle, et ce seul homme est en même temps plusieurs; car, quoique plusieurs en eux-mêmes, ils sont un en celui qui est un. Or, cest lui qui est ce temple de Dieu, dont lApôtre a dit : « Le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple 1 » cest-à-dire tous ceux qui croient en Jésus-Christ, et qui croient en lui de manière à laimer. Car croire au Christ, cest aimer le Christ : non comme les démons croyaient 2, mais sans laimer; et cette foi néanmoins ne les empêchait point de dire « Quy a-t-il entre « vous et nous, ô Fils de Dieu 3? » Pour nous, que notre foi soit de nature à croire en lui, à laimer, sans dire « Quy a-t-il entre vous et
1. I Cor. III, 17. 2. Jacques, II, 19. 3. Matth. VIII 29.
« nous, ô Fils de Dieu? » mais de manière à dire : Nous sommes à vous, qui nous avez rachetés. Tous ceux qui ont cette foi sont comme des pierres vivantes, qui forment le temple de Dieu 1 ; comme ces bois incorruptibles dont fut façonnée cette arche que ne purent submerger les eaux du déluge 2. Cest dans ce temple, cest-à-dire dans ces hommes, que lon offre à Dieu des prières quil exauce. Quiconque prie le Seigneur hors de son temple, nest point exaucé en ce qui regarde la paix de la Jérusalem den haut, bien quil soit exaucé quelquefois quant aux biens temporels, que Dieu donne même aux païens. Les dénions aussi furent exaucés, et purent entrer dans les pourceaux 3. Mais être exaucé quant à la vie éternelle est bien différent, et Dieu naccorde cette faveur quà ceux qui prient dans le temple de Dieu. Or, celui-là prie dans le temple de Dieu, qui prie dans la paix de lEglise, dans lunité du corps du Christ, et ce corps du Christ est formé de tous ceux qui ont la foi sur toute la surface de la terre; et 1. I Pierre, II, 5. 2. Gen. VI, 11. 3. Matth. VIII, 31, 32.
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il est exaucé précisément parce quil prie dans son temple. Car il prie en esprit et en vérité, puisquil prie dans la paix de lEglise 1, et non dans un temple matériel qui nen est que la figure. 2. Il y avait une figure, en effet, quand le Seigneur chassa du temple ces hommes qui cherchaient leurs intérêts, et ny entraient que pour vendre et acheter 2. Or, si ce temple était une figure, il devient évident que le corps de Jésus-Christ, qui est le véritable temple, et dont cet autre nétait que la figure, renferme aussi des vendeurs et des acheteurs, ou des hommes qui recherchent leurs intérêts, et non pas ceux de Jésus-Christ 3. Mais un fouet de cordes va les en chasser. La corde en effet signifie les péchés, comme il est dit par un Prophète : « Malheur à ceux qui traînent leurs péchés, comme une longue chaîne 4 ». Or, cest traîner ses péchés comme une longue chaîne quajouter péchés sur péchés; que recouvrir un péché que lon vient de commettre par un autre que lon commet ensuite. De même en effet, que pour faire une corde on joint filasse à filasse, et quon la tord au lieu de la tirer en droite ligne, de même, ajouter lune à lautre des actions perverses et qui sont des péchés, aller de faute en faute et enrouler péché sur péché, cest en composer une longue chaîne. « Leurs voies sont contournées, leurs démarches tortueuses 5». Mais à quoi servira cette corde, sinon à leur lier les pieds et les mains pour les jeter dans les ténèbres extérieures? Vous savez ce que dit lEvangile à propos de certain pécheur : « Liez-lui les pieds et les mains, et jetez-le dans les ténèbres extérieures; cest là quil y aura pleur et grincement de dents 6 ». Il ny aurait pas moyen de lui lier les pieds et les mains, si lui-même ne sétait fait une corde. De là ce mot si clair dun autre endroit : « Chacun est garrotté par les liens de ses péchés 7 ». Cest donc parce que les hommes sont frappés par les cordes de leurs péchés que le Seigneur se fit un fouet avec des cordes, et quil chassa du temple ceux qui cherchaient leurs intérêts, et non ceux du Christ 8. 3. Tel est donc le temple qui parle dans notre psaume. Cest dans ce temple, ai-je dit,
1. Jean, IV, 21-24. 2. Id. II, 15. 3. Philipp. II, 21. 4. Isa. V, 18. 5. Job, VI, 18. 6. Matth. XXII, 13. 7. Prov. V, 22. 8. Jean, II, 15; Philipp. II, 21.
que lon prie le Seigneur; cest là, et non dans le temple matériel, quil nous exauce en esprit et en vérité. Car le temple de Jérusalem nétait quune figure qui annonçait lavenir; et voilà pourquoi il est tombé; mais la maison de notre prière est-elle tombée ? Loin de là; car ce nest point ce temple qui est tombé que lon pouvait appeler maison du Seigneur, et dont il est dit « Ma maison sera appelée chez tous les peuples une maison de prière ». Vous entendez en effet cette parole de Notre-Seigneur Jésus-Christ : « Il est écrit », nous dit-il, « que ma maison sera appelée chez tous les peuples une maison de prière, et vous en avez fait une caverne de voleurs 1». Mais ceux qui ont pu faire de la maison de Dieu une caverne de voleurs, ont-ils bien pu détruire ce même temple 2 7 De même ceux qui dans lEglise catholique ont unie vie déréglée, font de la maison de Dieu une caverne de voleurs, autant quil est en eux; mais ils nen renversent point le temple. Un temps viendra quils en seront chassés par le fouet de leurs iniquités. Or, ce temple de Dieu, ce corps du Christ, cette assemblée des fidèles na quune même voix, et chante notre psaume comme un seul homme. Déjà nous avons entendu sa voix dans bien des psaumes, écoutons-la encore dans celui-ci. Cest notre voix, si nous le voulons; si nous le voulons encore, écoutons de loreille et chantons du coeur, Si nous refusons, au contraire, nous serons dans ce temple comme des vendeurs et des acheteurs, cest-à-dire, cherchant nos propres intérêts. Nous entrerons dans lEglise, non pour y chercher ce qui est agréable aux yeux de Dieu. Que chacun de vous, dès lors, examine sa manière découter, sil écoute pour tourner en dérision, sil écoute pour négliger ce quil entend, sil écoute pour correspondre, cest-à-dire, sil reconnaît sa propre voix et sil joint la voix de son coeur à la voix quil entend. Notre psaume néanmoins ne laisse point de chanter: que ceux-là sen instruisent qui le peuvent, et même qui le veulent; pour ceux qui ne le veulent point, quils ne soient un obstacle pour personne. Que lon nous prêche lhumilité; cest ainsi quil commence 4. « Seigneur, mon coeur ne sest point élevé ». Linterlocuteur a offert un sacrifice. Comment prouver quil a offert un sacrifice? Cest quil y a sacrifice dans lhumilité du
1. Matth. XXI, 12, 13. 2. Jean, II, 19.
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coeur. Il est dit dans un autre psaume: « Si vous eussiez voulu un sacrifice, je vous leusse offert 1». Le Prophète voulait alors satisfaire à Dieu pour ses péchés, lapaiser et en recevoir le pardon de ses fautes. Et comme sil se fût demandé comment il lapaiserait : «Si vous eussiez voulu un sacrifice», dit-il, «je vous leusse offert; mais les holocaustes ne vous seront point agréables ». Cest donc en vain quil cherchait, pour apaiser le Seigneur, des béliers, des taureaux, ou toute antre victime. Quoi donc! parce que le Seigneur nagrée pas les holocaustes, ne recevra-t-il point le sacrifice, et sans sacrifice pourra-t-on lapaiser? Sil ny avait aucun sacrifice, il ny aurait aucun prêtre. Et toutefois, nous avons un prêtre qui intercède pour nous auprès de son Père 2. Car il est entré dans le Saint des Saints, dans lintérieur du voile, où le grand prêtre entrait en figure une fois lannée seulement, comme Notre-Seigneur na été offert quune fois dans le cours des temps. Cest lui-même qui sest offert, lui le prêtre, lui la victime, qui est entré une fois dans le Saint des Saints, qui ne meurt plus; la mort naura plus dempire sur lui 3. Nous sommes donc en sûreté, puisque nous avons ce grand prêtre dans le ciel; offrons aussi une victime. Et toutefois, voyons quel sacrifice nous devons offrir : car notre Dieu naime point les holocaustes, comme il est dit dans le psaume, lequel néanmoins nous désigne aussitôt le sacrifice que nous devons offrir : « Le sacrifice agréable à Dieu est une âme brisée de douleur; vous ne rejetterez pas, ô Dieu, un coeur contrit et humilié 4 ». Si donc le coeur humilié est un sacrifice à Dieu, il a offert ce sacrifice celui qui a dit : « Seigneur, mon coeur ne sest point élevé » .Vois encore ailleurs quil offre un sacrifice, quand il dit à Dieu : « Voyez mon humiliation et mon labeur, et pardonnez-moi tous mes péchés 5». 5. « Seigneur, mon coeur ne sest point enorgueilli, mes yeux ne se sont point élevés en haut, je nai point marché sur les hauteurs, ni sondé les merveilles qui me surpassent ». Expliquons plus clairement, et que lon comprenne. Je nai pas été superbe, ni cherché à me faire connaître des hommes par des merveilles, ni rien affecté qui surpassait mes forces pour me faire valoir auprès
1. Jean, L, 18. 2. Hébr. IX, 12. 3. Rom. VI, 9. 4. Ps. L, 19. 5. Id. XXIV, 18.
des ignorants. Que votre charité redouble dattention, la question est importante. Vous savez comment Simon le Magicien voulait marcher dans des merveilles bien supérieures à lui 1: ce qui le flattait, cétait la puissance des Apôtres, bien plus que la justice des chrétiens. Mais il dit que par limposition des mains des Apôtres, et à leurs prières, Dieu envoyait lEsprit-Saint sur les fidèles, et que cet avènement de lEsprit-Saint se manifestait par des merveilles, comme de parler des langues que navaient nullement apprises ceux en qui lEsprit-Saint était descendu. Nen concluons pas toutefois que lon ne reçoit pas lEsprit-Saint aujourdhui, parce que les fidèles ne parlent plus diverses langues. Ils devaient alors parler diverses langues, afin de montrer que toutes les langues devaient croire au Christ. Or, à cette vue, Simon voulut faire de semblables merveilles, mais non ressembler aux Apôtres 2. Il voulut même, comme vous savez, acheter lEsprit-Saint à prix dargent. Il était donc du nombre de ces hommes qui entraient dans le temple pour vendre et acheter; il voulut acheter ce quil pensait revendre. Simon donc était réellement dans ces dispositions, et il les apportait en se joignant aux Apôtres. Or, le Seigneur chassa du temple ceux qui vendaient des colombes 3, et la colombe est le symbole de lEsprit-Saint; Simon donc voulut acheter la colombe, et revendre ensuite la colombe et Jésus, qui habitait en Pierre, vint, le fouet à la main, et chassa de son temple ce vendeur impie 4. 6. Il est donc des hommes qui veulent faire des miracles, et qui exigent des miracles de ceux qui se perfectionnent dans lEglise; et ceux qui simaginent avoir fait quelques progrès, prétendent faire des miracles semblables et ne croient appartenir à Dieu quà la condition den faire. Or, le Seigneur notre Dieu, qui sait donner à chacun ce quil doit, afin de conserver la paix et lunion dans son Eglise, leur tient ce langage par son Apôtre: « Loeil ne saurait dire à la main: Je nai pas besoin de vous; non plus que la tête aux pieds Vous ne mêtes point nécessaires; si tout le corps était oeil, où serait louïe? et sil était tout ouïe, où serait lodorat 6 ?» Il est donc visible que dans le corps humain chaque membre a sa fonction particulière.
1. Act. VIII, 18. 2. Ibid. 3. Matth. XXI, 12. 4. Act. VIII, 18. 5. Jean, II, 15, 16. 6. I Cor. XII, 17 - 21.
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Loeil voit, mais nentend point, loreille entend et ne voit point; la main agit, sans voir ni entendre; le pied marche, sans entendre, sans voir, sans agir comme la main. Mais quand le corps est en santé, les membres nont aucun litige lun contre lautre: loreille voit au moyen de loeil, et loeil entend au moyen de loreille: et lon ne saurait reprocher à loreille de ne point voir, ni lui dire Tu nas rien, tu es en défaut : pourrais-tu voir et discerner les couleurs comme le fait loeil? Pour se maintenir en paix dans le corps, loreille doit répondre et dire : Je suis où est loeil, dans le même corps. Par moi je ne vois point, mais je vois par celui qui maccompagne. De même que loreille dit : Loeil voit pour moi, loeil peut dire: Loreille entend pour moi, et tous deux, loeil et loreille, diront: La main agit pour nous; et les mains diront : Les yeux et les oreilles entendent et voient pour nous; et les yeux, les oreilles, et les mains diront : Les pieds marchent pour nous; et lorsque tout agit dans le corps, sil y a dans les membres union et santé, tous se réjouissent et se communiquent leur joie1. Et si quelque membre vient à souffrir, les autres, loin de labandonner, souffrent avec lui. Bien que dans le corps le pied soit très-éloigné de loeil (car lun est tout en haut, et lautre tout en bas), loeil abandonne-t-il le pied? quand on marche sur une épine, ne voyons-nous pas tout le corps se courber, lhomme sasseoir, et sincliner afin de chercher cette épine, qui sest enfoncée à la plante du pied? Tous les membres sefforcent de tirer cette épine du lieu le plus bas et le moindre de tout le corps. Ainsi donc, mes frères, quiconque, dans le corps mystique du Christ, ne peut ressusciter un mort, ne doit point chercher à le faire, mais seulement à se mettre en harmonie avec tout le corps. Ainsi loreille qui voudrait voir, serait un désaccord. Car elle ne saurait faire ce qui nest point dans ses fonctions. Mais que lon vienne vous dire : Si vous étiez juste, vous ressusciteriez les morts, comme la fait saint Pierre; répondez que les Apôtres paraissent avoir fait au nom du Christ des miracles Plus grands que ceux de Jésus-Christ lui-même 2. Mais dans quel but? Etait-ce donc pour donner aux branches la prépondérance sur la racine? Comment donc Paraissent-ils avoir fait
1. I Cor. XII, 26. 2. Jean, XIV, 12.
des miracles supérieurs à ceux du Christ lui. même? Ce fut la voix du maître qui ressuscita les morts, tandis que Pierre ressuscita les morts de son ombre seulement 1. Lun semble plus grand que lautre. Seulement le Christ pouvait opérer sans Pierre, mais non Pierre sans Jésus-Christ : « Car sans moi vous ne pouvez rien faire 2 ». Aussi, quun homme qui avance dans la piété entende cette abjecte calomnie dans la bouche de quelques païens, dhommes qui ne savent ce quils disent; quil réponde, en se tenant dans lunion du Christ : Toi, qui me dis : Tu nes pas juste, puisque tu ne fais aucun miracle; pourrais-tu dire à loreille: Tu nes pas dans le corps humain; puisque tu ne vois pas? Fais des miracles, me dis-tu, comme saint Pierre en faisait; mais cest pour moi que Pierre opérait ces miracles, puisque je suis dans ce même corps doù Pierre les faisait. Je puis en lui ce quil pouvait, puisque je ne suis point séparé de lui : si je puis moins, il compatit à ma faiblesse; sil peut davantage, jen partage la joie 3. Le Christ au nom de tout son corps na-t-il pas crié du haut des cieux : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter 4? » Et pourtant, nul ne le touchait; mais la tête criait den haut pour le corps qui souffrait sur la terre. 7. Si donc, mes frères, chacun fait avec justice tout ce quil peut, sil ne porte aucune envie à celui qui peut davantage, sil lui en témoigne de la joie, parce quil est avec lui dans un même corps ; il chante avec le psaume: « Seigneur, mon coeur ne sest point enorgueilli, mes yeux ne se sont point élevés, je nai point marché sur les hauteurs, ni sondé les merveilles qui me surpassent ». Ce qui est au-dessus de mes forces, dit le Prophète, je ne lai point cherché : je ne my suis point avancé, je ny ai point cherché ma gloire. Rien, en effet, nest à craindre comme cette élévation du coeur, qui provient des dons de la grâce : que nul donc ne senorgueillisse des dons du Seigneur, mais que chacun se maintienne dans lhumilité, quil suive ce précepte de lEcriture : « Plus tu es grand, plus il faut thumilier en tout, afin de trouver grâce devant le Seigneur 5 ». Il faut donc de plus en plus insister auprès de votre charité , pour lui montrer combien est à craindre lorgueil qui vient des dons du
1. Act. V, 15. 2. Jean, XV, 5. 3. I Cor. XII, 15, 16. 4. Act. IX, 4. 5. Eccli. III, 20.
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Seigneur; je le fais dautant plus volontiers que ce psaume très-court nous permet de nous étendre. Bien que lapôtre saint Paul ait été persécuteur avant dêtre prédicateur, Dieu bénit ses travaux apostoliques beaucoup plus que ceux des autres Apôtres; afin de montrer que ce don vient de Dieu, et non de lhomme. De même que cest sur des malades désespérés que les médecins peuvent montrer la puissance de leur art; de même Notre-Seigneur Jésus-Christ, notre Sauveur et Médecin, fit éclater dans un homme désespéré, dans un persécuteur de son Eglise, la puissance de son art, puisquil en fit non-seulement un chrétien, mais un Apôtre, et non-seulement un Apôtre, nnais un Apôtre qui a travaillé plus que tous les autres, comme il la consigné lui-même. Il avait donc reçu une grâce par excellence. Aussi vous voyez, mis frères, la faveur dont jouissent dans lEglise les Epîtres de saint Paul 1, bien plus que celles des autres Apôtres. Les uns nont point écrit, mais seulement prêché dans 1Eglise. Car les écrits que les hérétiques publient sous leur nom, ne sont point à eux; lEglise les désapprouve et les rejette. Pour les autres qui ont écrit,ils ne lont fait ni autant, ni avec tant de grâce. Comme donc il avait reçu une telle grâce, et mérité de Dieu des dons si extraordinaires, que dit-il dans un certain endroit? « De peur que la grandeur de mes révélations une mélève ». Ecoutes, mes frères, voici de quoi nous faire trembler. « De peur que la grandeur de mes révélations ne me donne de lorgueil, nous dit-il, il ma été donné un aiguillon de la chair, un ange de Satan, pour me souffleter 2 ». Quest-ce à dire, mes frères? De peur que cet Apôtre ne sélève comme un jeune homme, on le soufflette comme un enfant. Qui le soufflette? Un ange de Satan. Quest-ce à dire? Que lApôtre sentait en son corps une douleur violente; or, les douleurs corporelles nous viennent presque toujours par les anges de Satan ; mais ils ne peuvent rien sans la permission de Dieu. Cest à cette épreuve que fut mis Job, tout saint quil était 3. Il fut permis à Satan de léprouver; et il le frappa dune telle plaie que son corps sen allait en pourriture avec les vers. Lesprit impur avait ce pouvoir afin déprouver cette âme sainte. Le diable ne sait point quels grands biens il fait, même dans ses fureurs.
1. I Cor. XV, 10. 2. II Cor. XII, 7. 3. Job, II, 6, 7.
Ce fut dans sa fureur quil pénétra dans le coeur de Judas, dans sa fureur quil livra le Christ 1, dans sa fureur quil le mit en croix; et ce fut par la croix que Jésus racheta le monde. Cest ainsi que la fureur du démon nuisit au démon et devint utile pour nous. Et cette fureur lui a fait perdre ceux quil tenait sous sa puissance, et qui ont été rachetés par ce sang du Seigneur, que sa rage lui a fait répandre. Sil eût connu la perte quil allait faire, il neût point répandu sur la terre ce prix infini qui a racheté le monde. Cest ainsi encore quil fut permis à lange de Satan de souffleter saint Paul. Mais comme ce remède appliqué parle Médecin, était insupportable au malade, celui-ci pria le Médecin de lenlever. Quelquefois un médecin applique., sur les entrailles dun malade, un remède cuisant et insupportable, et qui doit cependant guérir ces entrailles gonflées : brûlé bientôt par ce remède, le malade prie le médecin de lenlever; mais voilà que le médecin console son malade, lencourage à la patience parce quil connaît lutilité de son remède. Cest ce que saint Paul nous fait voir dans la suite. Après avoir dit : « Il ma été donné un aiguillon de la chair, un ange de Satan pour me souffleter » ; il en montre la cause : « De peur », dit-il, « que la grandeur des révélations ne vînt à menorgueillir, il ma été donné un aiguillon de la chair, un ange de Satan pour me souffleter. Trois fois», dit-il encore, «jai prié le Seigneur de men délivrer 2 ». Cest bien là dire : Jai prié le médecin de me délivrer de ce remède fâcheux quil mavait appliqué. Mais écoute la réponse du médecin : « Et le Seigneur ma dit : Ma grâce te suffit; car la vertu se perfectionne dans linfirmité ». Je connais le remède appliqué, je connais la cause du mal, je sais ce qui te guérira. 8. Ainsi, mes bien-aimés, la grandeur des révélations eût pu enorgueillir saint Paul, sil neût eu un ange de Satan pour lui donner des soufflets; dès lors, qui peut être en sûreté sur son propre compte? Il semble que celui qui a moins reçu marche avec plus dassurance, pourvu que, dans sa folie, il ne cherche point ce que Dieu lui a refusé dans sa sagesse. Quil cherche ce qui lui est nécessaire pour être dans le corps du Christ, et sans quoi il ne saurait y être que mal. Un doigt qui est sain est Plus en sûreté dans le corps de
1. Jean, XIII, 27. 2. II Cor. XII, 7 et seq.
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lhomme, que ne pourrait être un oeil malade. Un doigt nest quune faible partie, mais loeil est bien plus considérable : et pourtant, il vaut mieux nêtre quun doigt dans le corps, et en santé, que dêtre loeil, mais malade, chassieux, ténébreux. Nous navons donc à rechercher dans le corps du Christ que la santé; quà proportion de la santé vienne la foi, que la foi purifie le coeur, et le coeur une fois purifié verra cette face dont il est dit : « Bienheureux ceux dont le coeur est. pur, parce quils verront Dieu 1». Et celui qui a fait des miracles dans le corps du Christ, comme celui qui nen a pas fait, ne doit se réjouir que de la face de Dieu. Envoyés par le Seigneur, les Apôtres revenaient en lui disant « Voilà quen vôtre nom les démons eux-mêmes nous sont soumis 2 ». Le Seigneur vit que la puissance dopérer des miracles leur donnait une tentation dorgueil, et ce médecin qui était venu pour guérir nos enflures, et porter nos infirmités, répondit aussitôt : « Ne vous réjouissez point de ce que les démons vous soient soumis, mais réjouissez vous de ce que vos noms sont écrits dans le ciel 3 ». Tous les fidèles qui sont saints, ne chassent point pour cela les démons : et leurs noms toutefois sont écrits dans les cieux. Il voulut quils missent leur joie, non dans ce qui leur était propre, mais dans le salut qui leur était commun avec les autres ; et dès lors il ne voulut chez les Apôtres dautre joie que la sienne. Que votre charité veuille bien écouter. Aucun fidèle nespère, si son nom nest écrit dans le ciel. Les noms de lobs les fidèles qui aiment le Christ, qui marchent humblement dans les voies de lhumilité que lui-même nous a enseignées, sont écrits dans le ciel. Quelque méprisable que soit un homme dans lEglise, dès lors quil croit au Christ, quil aime le Christ, quil aime la paix du Christ, son nom est écrit dans le ciel, quel que soit ton mépris pour lui. Et néanmoins qua-t-il de comparable avec les Apôtres, qui ont opéré tant de miracles? Et toutefois les Apôtres sont réprimandés de ce quils se réjouissent dun bien qui leur esi propre, et le Seigneur leur enjoint de navoir dautre joie que la joie de cet homme que tu méprises. 9. Le Psalmiste, mes frères, a donc raison de dire avec cette humilité : « Seigneur, moi
1. Matth. V, 8. 2. Luc, X, 17. 3. Id. 20.
coeur ne sest point enorgueilli, mes yeux ne se sont point élevés, je nai point marché dans les hauteurs, ni dans ces merveilles qui me surpassent. Si je nai point eu des sentiments dhumilité, si jai laissé mon âme senorgueillir, que mon âme soit traitée comme lenfant que lon sèvre dans les bras de sa mère 1». Il semble se lier par des imprécations. De même quil est dit dans un autre psaume : « Seigneur mon Dieu, si jai agi de la sorte, si liniquité est dans mes mains, si jai rendu le mal pour le mal, que je succombe avec justice devant mes ennemis 2»,et le reste;ainsi semble-t-il dire maintenant : « Si je nai point eu de sentiments dhumilité, et si jai laissé mon âme senorgueillir » ; comme sil devait ajouter : Que tel châtiment tombe sur moi. Là il est dit encore : « Si jai rendu le mal pour le mal », que ce malheur marrive. Quel malheur? « Que je succombe en face de mes ennemis » ; ainsi est-il dit dans notre psaume : « Si je nai point eu des sentiments dhumilité, si jai au contraire élevé mon âme, que celte âme soit châtiée, comme lenfant que lon sèvre dans les bras de sa mère ». Ecoutez ceci, mes frères. Vous savez à quels infirmes sadresse la parole de lApôtre. « Je vous ai donné du lait, et non une nourriture solide; car vous ne pouviez la supporter, et maintenant même, vous ne le pouvez pas 3 ». II y a des faibles, qui ne sont point capables dune solide nourriture, et qui néanmoins veulent arriver à ce qui dépasse leurs forces. Sils parviennent à saisir quelque chose, ou même sils se persuadent quils ont saisi ce quils nont pu atteindre, les voilà qui sélèvent, qui senorgueillissent, qui se croient pleins de sagesse. Cest là ce qui est arrivé à tous les hérétiques; en eux lhomme animal et charnel a défendu des opinions perverses dont ils ne pouvaient voir la fausseté; et ils ont été chassés de lEglise catholique. Je men expliquerai autant que possible avec votre charité. Vous savez que Notre-Seigneur Jésus-Christ est le Verbe de Dieu, selon cette parole de saint Jean : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Voilà ce qui était en Dieu au commencement. Tout a été fait par lui, et rien na été fait sans lui 4 ». Cest donc là le
1. Ps. CXXX, 1, 2. 2. Id. VII, 4,5. 3. 1 Cor. III, 2. 4. Jean, I, 1-3.
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pain solide, le pain des anges. Voilà le pair préparé pour toi; mais prends de laccroisse ment avec du lait, afin darriver à ce pair solide. Et comment, diras-tu, le lait va-t-il me donner de laccroissement? Commence par croire ce que Jésus-Christ sest fait afin de saccommoder à ta faiblesse, et tiens-y fermement. Considère une mère voyant son fils peu capable dune nourriture solide, elle lui donne cette nourriture à la vérité, mais en la faisant passer par sa propre chair: car le pain qui nourrit lenfant est celui-là même qui a nourri la mère; mais lenfant, incapable de manger à table, peut se nourrir à la mamelle; le pain donc passe par les mamelles de la mère, et devient ainsi lalimentation de lenfant. Ainsi a fait Notre-Seigneur Jésus-Christ, Verbe en son Père, lui par qui tout n été fait, lui qui, ayant la nature de Dieu, na point cru que ce fût pour lui une usurpation de se dire égal à Dieu 1 , et, comme tel, nourriture des anges, autant quils en sont capables, aliment des Vertus, des Puissances, des Esprits bienheureux. Mais lhomme était infirme, enveloppé dans la chair et gisant sur la terre, et la nourriture céleste ne pouvait descendre jusquà lui. Dès lors, afin que lhomme pût manger le pain des anges, et que la manne descendît chez un peuple qui est véritablement Israël 2, voilà que, « le Verbe sest fait chair et a habité parmi nous 3 ». 10. Cest pourquoi, voici le langage de lapôtre saint Paul aux faibles, dont il est dit quils vivent de la vie charnelle et animale : « Ai-je donc fait profession de savoir parmi vous autre chose que Jésus, et Jésus crucifié 4? » Car cétait le Christ, mais non crucifié, qui « au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Et comme ce Verbe a été fait chair, ce Verbe aussi a été crucifié, mais sans être changé en homme; cest lhomme au contraire qui a été changé dans lui. Lhomme donc aété changé en lui, afin dc devenir meilleur quil nétait, et non pour être changé dans la substance même du Verbe. Dieu est donc mort en ce quil y avait dhumain en lui; et lhomme est ressuscité dans ce quil tenait de Dieu, il est ressuscité et monté au ciel. Tout ce qua souffert lhomme, on ne saurait dire que Dieu ne lait pas souffert, parce quil était Dieu en prenant la nature humaine ; de même
1. Philipp. II, 6. 2. Exod. XVI, 14. 3. Jean, I, 14. 4. I Cor. II, 2.
que tu ne saurais dire que tu nas pas souffert un outrage, dès quon déchire ton manteau. Et quand tu ten plains à tes amis ou devant un juge, tu dis : il ma déchiré. Tu ne dis point: Il a déchiré mon manteau ; mais : Il ma déchiré. Si donc on peut appeler toi, ce qui nest que ton vêtement, combien nest-il pas plus juste de dire, à propos de la chair du Christ, de ce temple du Verbe uni au Verbe, que tout ce quil souffrait en sa chair, cétait Dieu qui le souffrait? Et toutefois le Verbe ne pouvait passer ni par la mort, ni par la corruption, ni par le changement, ni même être tué; mais tout ce quil a souffert de semblable, il la souffert en sa chair. Et ne vous étonnez pas que le Verbe nait rien souffert; car si vous tuez la chair, lâme dès lors ne saurait rien souffrir, ainsi que la dit le Sauveur : « Ne craignez point ceux qui tuent le corps, et qui ne sauraient tuer lâme 1 ». Si donc on ne saurait tuer lâme, comment tuer le Verbe de Dieu? Et pourtant, que dit cette âme? Il ma flagellée, souffletée, frappée, déchirée; rien de cela ne se fait dans lâme; et néanmoins elle dit toujours moi, à cause de son union avec le corps. 11. Notre-Seigneur Jésus-Christ donc, qui est notre pain, sest fait un lait pour nous en sincarnant et en se montrant mortel, afin que la mort finît en lui, et que nous pussions, sans nous éloigner du Verbe, croire en cette chair que le Verbe a prise. Cest en cela quil nous faut croître, cest ce lait qui doit être notre nourriture; et avant que nous soyons capables de nous alimenter du Verbe lui-même, ne nous séparons point de cette foi qui est notre lait. Quant aux hérétiques, en voulant disputer au sujet de ce quils ne pouvaient comprendre, ils ont dit que le Fils est inférieur au Père, et que le Saint-Esprit est inférieur au Fils; et en graduant ainsi, ils ont introduit trois dieux dans lEglise. Ils ne peuvent nier en effet ni que le Père soit Dieu, ni que le Fils soit Dieu, ni que le Saint-Esprit soit Dieu. Mais si le Père qui est Dieu, le le Fils qui est Dieu, le Saint-Esprit qui est Dieu, sont inégaux, ils ne sont point de même substance, et dès lors il ny a point un seul Dieu, mais trois dieux. En raisonnant sur ce quils ne pouvaient saisir, ils se sont élevés dans leur orgueil, et il est arrivé pour eux ce qui est dit dans notre psaume: « Si je nai
1. Matth. X, 28.
point eu des sentiments dhumilité, et si jai élevé mon âme; que cette âme soit châtiée comme lenfant que lon sèvre dans les bras de sa mère ». Notre mère, cest lEglise dont ils se sont séparés : cest là quils devaient être nourris et allaités, afin quils pussent croître et comprendre ce Verbe de Dieu qui est en Dieu, et qui dans sa nature est égal au Père. 12. Ceux qui ont expliqué ce psaume avant nous ont donné un autre sens à ces paroles et ont émis une pensée que je ne veux point soustraire à votre charité. Tout orgueil déplaît à Dieu, ont-ils dit, et lâme humaine se doit humilier pour ne point déplaire à Dieu, et sappliquer à considérer cette parole : « Plus tu es élevé, plus tu dois thumilier en tout, et tu trouveras grâce devant Dieu 1 ». Mais il est aussi des hommes qui, entendant quils doivent être humbles, se découragent, ne veulent rien savoir, se persuadent quils ne peuvent apprendre sans être orgueilleux; ils demeurent toujours au lait de lenfance. LEcriture les réprimande en disant: « Vous voilà tels que vous avez encore besoin de lait, et non dune solide nourriture 2». Dieu veut donc que nous prenions du lait, non pas afin de demeurer toujours en cet état, mais afin que nous prenions de laccroissement pour arriver à la solide nourriture. Lhomme donc, sans élever son âme jusquà lorgueil, doit lélever dans la connaissance de la parole de Dieu. Si son âme ne devait point sélever, le Prophète ne dirait point dans un autre psaume : « Seigneur, jai élevé mon âme vers vous 3 ». Et si son âme ne se répandait point au-dessus delle-même, elle narriverait point à la vision de Dieu, à la connaissance de son immuable substance. Maintenant quil est encore dans la chair, on lui dit : « Où est ton Dieu 4? » Mais Dieu est à lintérieur, et cet intérieur est spirituel, comme son élévation est spirituelle; on ne la mesure point par la distance des lieux, comme cette distance mesure les élévations terrestres. Sil était question dune telle hauteur, les oiseaux seraient plus près de Dieu que nous autres. Dieu donc est élevé, mais cette élévation est spirituelle; et lâme ne saurait latteindre quen sélevant au-dessus delle-même. Lidée que vous donneraient de Dieu les sens ne serait quune erreur. Tu nes
1. Eccli. III, 20. 2. Hébr. V, 12. 3. Ps. XXIV, 1. 4. Id. XLI, 4.
quun enfant, si tu attribues à Dieu ce qui tient à lâme de lhomme, comme loubli, le goût ou le dégoût, le repentir de ses actions; car si lEcriture emploie ces locutions, cest pour nous parler de Dieu comme à des enfants quon allaite, et non pour nous faire prendre à la lettre que Dieu a du repentir, quil apprend ce quil ne connaissait pas encore, quil comprend ce quil navait pas compris, quil se ressouvient de ce quil avait oublié. Tout cela est propre à lâme, et non à Dieu. Si donc lhomme ne sélève au-dessus de son âme, il ne verra pas que Dieu est ce quil est; comme il la dit : « Je suis celui qui suis 1 ». Que répond dès lors celui à qui lon disait : « Où est ton Dieu ? » « Mes larmes ont été mon pain le jour et la nuit, pendant «quon me dit tous les jours : Où est ton Dieu?» Qua-t-il fait pour retrouver son Dieu? « Voilà », dit-il, « ce que jai médité; jai répandu mon âme au-dessus de moi 2 ». Afin de trouver Dieu, il a répandu son âme au-dessus de lui-même. Te dire : Sois humble, ce nest donc point tinterdire la science. Sois humble à cause de lorgueil, mais sois élevé en sagesse. Ecoute une parole bien claire à ce sujet : « Ne soyez point enfants selon lesprit, mais soyez enfants par la malice, afin dêtre parfaits selon lesprit 3». Il ne pouvait mieux nous expliquer en quoi Dieu veut que nous soyons humbles, et en quoi il nous veut élevés; humbles, afin déviter lorgueil; élevés, afin datteindre la sagesse. Prends donc du lait pour te nourrir; nourris-toi afin de croître, et crois afin darriver à une solide nourriture. Dès que tu commenceras à manger du pain, tu seras sevré, cest-à-dire que tu nauras plus besoin de lait, mais dune forte nourriture. Voilà ce que paraît dire le Prophète: « Si je nai pas eu des sentiments humbles, et si jai élevé mon âme » ; cest-à-dire, si jai été un enfant, non par lesprit, mais par la malice. Et pour le marquer plus clairement, il avait dit: « Seigneur, mon coeur ne sest pas enorgueilli, mes yeux ne se sont point élevés, je nai point marché sur les hauteurs, ni prétendu aux merveilles qui me surpassent ». Me voilà un enfant par la malice. Mais parce que je nai pas été un enfant par lesprit, jajoute : « Si je nai point eu des sentiments dhumilité, et si jai élevé mon âme au-dessus de moi », quil me soit
1. Exod. III, 14. 2. Ps. XLI, 4, 5. 3. I Cor. XIV, 20.
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fait comme à lenfant quon sèvre entre les bras de sa mère, afin que je puisse manger du pain. 13. Cest là, mes frères, un sens que je ne désapprouve point, car il nest pas contre la foi. Un point cependant me tourmente, cest quil nest pas seulement dit : « Que mon âme soit traitée comme lenfant que lon sèvre » ; mais le Prophète ajoute: « Que lon sèvre entre les bras de sa mère ». Et je ne sais pourquoi je vois là une malédiction. Car ce nest pas le petit enfant que lon sèvre, mais un enfant déjà grandelet. Quant à lenfant qui est faible en naissant, ce qui est la véritable enfance, il est dans les bras de sa mère, et, le sevrer, cest lui donner la mort. Ce nest donc pas sans raison que le Prophète ajoute: « Dans les bras de sa mère n. A la rigueur, on sèvre tout enfant qui grandit. Cest un bien pour celui qui a pris de laccroissement, mais un danger pour celui qui est dans les bras de sa mère. Il faut donc éviter, mes frères, il faut craindre de sevrer personne avant le temps; car on sèvre tout enfant qui est déjà fort. Mais quon ne le sèvre point tandis quil est encore dans les bras de sa mère. Cet enfant, quune mère porte dans ses bras, elle la porté dabord dans ses entrailles (car elle la porté dans son sein pour le faire naître, et le porte dans ses bras pour le faire grandir); le voilà qui a besoin de lait, et il est « sur sa mère », comme dit le Prophète. Quil ne cherche donc point à élever son âme, puisquil nest point capable dune solide nourriture, mais quil accomplisse les préceptes de lhumilité. Il a de quoi sexercer. Quil croie dabord au Christ, afin de pouvoir comprendre le Christ. Il ne saurait voir le Verbe, ni comprendre que le Verbe est égal au Père, que le Saint-Esprit est égal au Père et au Fils; quil le croie donc et suce la mamelle. Il na rien à craindre; quand il aura grandi, il mangera ce qui lui était impossible avant quil se fût fortifié par le lait : et alors il pourra prendre ses ébats. « Ne cherche u point ce qui est au-dessus de toi, ne sonde point ce qui dépasse tes forces » ; cest-à-dire, ce que tu es incapable de comprendre. Mais que ferai-je, diras-tu? Faudra-t-il demeurer en cet état ? « Repasse toujours ce que Dieu ta commandé 1». Quest-ce que Dieu ta commandé? Fais miséricorde, ne te
1. Eccli. III, 22.
sépare point de la paix de lEglise, ne mets point ton espérance dans un homme, et garde-toi de tenter Dieu en désirant des miracles. Si déjà tu as produit quelques fruits, tu sais que tu dois tolérer livraie avec le bon grain jusquà la moisson 1, car tu peux être un temps avec les méchants, mais non pendant léternité. Tu es avec la paille dans laire en cette vie, mais elle ne sera point avec toi dans le grenier céleste. « Voilà ce que ta commandé le Seigneur, et quil faut toujours avoir à la pensée ». Tu ne seras point sevré, tant que tu seras sur les bras de ta mère de peur que tu ne meures de faim, avant de pouvoir manger. Prends de laccroissement, tes forces grandiront; et tu verras ce que tu ne pouvais voir, tu comprendras ce que tu ne pouvais comprendre. 14. Quoi donc? serai-je en sûreté, quand je verrai ce que je ne pouvais voir? Serai-je parfait? Non, tant que durera cette vie. Notre perfection ici-bas, cest lhumilité. Vous avez entendu la fin de la lecture de lApôtre, si vous lavez imprimée dans votre mémoire; et comment il recevait des soufflets, de peur que ses révélations ne lui donnassent de lorgueil (et quelles révélations !); limportance même de ces révélations pouvait lui donner de lorgueil, si lange de Satan ne leût souffleté; et pourtant, que nous dit cet homme à qui Dieu révélait de si grandes choses? « Mes frères, je ne crois pas avoir atteint le but de ma course ». Voilà saint Paul qui nous dit quil ne croit point être arrivé au but, lui qui est souffleté par lange de Satan de peur que limportance de ses révélations ne lui donne de lorgueil. Qui osera dire quil est parvenu à son but? Voilà que Paul ny est point arrivé, et quil sécrie « Je ne crois pas avoir atteint le but de ma course ». Que dites-vous, ô bienheureux Paul? «Je cours», nous répond-il, « afin darriver ». Voilà que Paul est encore en chemin, et tu prétends être dans la patrie? « Tout ce que je sais », dit-il, « cest que joublie ce qui est en arrière ». Fais de même et oublie ta vie passée qui était mauvaise. Si la vanité a eu pour toi des charmes, quelle te déplaise maintenant. « Joublie ce qui est en arrière pour mavancer vers ce qui est en avant; je mefforce de remporter le prix, auquel Dieu ma appelé den haut par Jésus-Christ 2 ». Jentends den haut
1. Matth. XIII, 30. 2. Philipp. III, 12 - 15.
100 lappel de Dieu et je cours pour y arriver. Car ce nest point pour que jy demeure quil ma laissé en chemin, et il ne cesse de me stimuler. Donc, mes frères, Dieu ne cesse de nous parler. Sil cessait de le faire, que deviendrions-nous? Que feraient les divines 1cc turcs, les saints cantiques? Oubliez donc ce qui est en arrière, et avancez-vous vers ce qui est en avant. Sucez le lait afin de croître et de devenir capables d une solide nourriture. Vous goûterez la joie, quand vous serez dans la patrie. Ecoutez encore lApôtre, qui savance vers la palme den haut. « Nous qui voulons être parfaits », nous dit-il, « soyons dans ce sentiment ». Je ne parle pas aux imparfaits, je ne pourrais leur parler de la sagesse; ils ont encore besoin de lait, et ne peuvent prendre une forte nourriture; mais je madresse à vous, qui vous nourrissez plus solidement. Ils semblent parfaits parce quils connaissent légalité du Père avec le Verbe mais ils ne voient pas encore face à face, comme ils verront un jour; ils ne voient quen partie et en énigme 2. Quils courent dès lors, puisquà la fin de notre carrière nous retournons dans la patrie. Quils courent; quils savancent. « Nous qui voulons être parfaits, soyons dans ce sentiment; et si vous avez dautres pensées, Dieu vous éclairera ». Si vous êtes dans lerreur en quelque point de foi, pourquoi ne point retourner au lait de votre mère? Car si vous ne vous élevez point, si votre coeur ne cède point à lorgueil, si vous
1. Philipp. III, 15. 2. I Cor. XIII, 12.
ne prétendez point aux merveilles qui vous surpassent, si vous gardez lhumilité, Dieu vous révélera ce que vous croyez de contraire à la vérité. Mais si vous voulez défendre ce qui est peu con forme à la foi, si, dans votre obstination, vous prétendez létablir contre la paix de lEglise; alors vous tombez sous la malédiction du Prophète, vous êtes sur les bras de votre mère, et, déjà sevrés et en dehors de ses entrailles, vous mourrez de faim. Mais si vous persévérez dans la paix de lEglise catholique, Dieu vous instruira à cause de votre humilité, quand vous auriez des sentiments contraires à la vérité de la foi. Pourquoi? « Parce que Dieu résiste aux superbes et accorde sa faveur aux humbles 1 ». 15. Cest pourquoi notre psaume finit ainsi: « QuIsraël espère dans le Seigneur, dès maintenant, et jusque dans les siècles ». Cette expression du grec: apo tou nun kai eos tou aionos , est traduite par : Ex hoc nunc et usque in saeculum : Dès maintenant et dans la suite des siècles. Mais ce mot de siècle ne veut pas toujours dire ce siècle; quelquefois il signifie léternité; car éternel sentend de deux manières. Jusque dans léternité signifie, ou bien sans fin, ou bien jusquà ce que nous arrivions à léternité. Comment faut-il lentendre ici? Espérons dans le Seigneur notre Dieu,jusquà ce que nous arrivions à léternité ; car, aussitôt que nous y serons arrivés, il ny aura plus pour nous despérance, mais la réalité.
1. Jacques, IV, 6 ; I Pierre, V, 5.
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