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DISCOURS SUR LE PSAUME CXXIV.SERMON AU PEUPLE.VAINE PROSPÉRITE DES MÉCHANTS, ET CONFIANCE DES JUSTES.
Le Prophète veut nous détourner des prospérités dici-bas qui produisent lenflure chez les uns, et découragent les autres qui se croient frustrés de toute récompense ; puis il attire notre attention sur lhomme au coeur droit, qui na dautre volonté que celle de Dieu, ne critique point les desseins de Dieu sur le pauvre et sur le riche, met sa confiance en Dieu, et ne sera point ébranlé parce quil habite Jérusalem on la cité de Dieu. Cette cité est environnée de montagnes ou des hommes de Dieu, prophètes, apôtres, évangélistes, doù nous vient le secours quelles-mêmes reçoivent de Dieu. Il est aussi dautres montagnes qui ne sont que des écueils, qui ont en elles-mêmes une confiance précomptueuse et nous demandent la nôtre, tandis que les montagnes véritables déclinent cette confiance pour elles-mêmes, pour la reporter à Dieu, doù leur vient la lumière et la rosée. Ces montagnes diront que le sceptre de limpie ne sera point toujours sur lhéritage du juste, quil faut obéir à nos maîtres ici-bas comme le Christ sest assujetti à ses ennemis, comme le médecin se fait le serviteur du malade. Tout cela passera, afin de ne point décourager les hommes au coeur droit. Quant à lhomme aux voies tortueuses, Dieu lunit aux méchants, et ne donne quà Israël ou à celui qui voit Dieu cette paix qui est Dieu même.
1. Compté au nombre des cantiques des degrés (et afin de ne pas vous embarrasser lesprit plus que je ne vous instruirais, je ne reviendrai pas sur ce titre , suffisamment expliqué), ce psaume nous apprend à monter, à élever nos âmes vers Dieu notre Seigneur, par lélan de la charité et de la piété, à détourner nos regards de ces hommes qui jouissent ici-bas dune félicité vaine qui les enfle et qui les séduit, qui nentretient en eux que lorgueil, qui glace leur coeur à légard de Dieu, lendurcit à la rosée de la grâce et le rend stérile. La confiance avec laquelle ils trouvent auprès deux ce qui parait nécessaire à la vie, et même au-delà du nécessaire, les élève, et bien quils soient à cause de leurs iniquités bien inférieurs aux autres hommes, ils se croient supérieurs à tous. Encore sils croyaient être comme les autres hommes ! Or, en considérant ces hommes, en sarrêtant trop à les envisager, ceux mêmes qui servent le Seigneur sont dans le trouble et lanxiété ; on dirait quils ont perdu le prix du culte quils rendent au Seigneur, quand ils se voient dans le labeur, dans lindigence, dans les chagrins, dans la maladie, dans la souffrance , dans quelque nécessité, tandis quils voient dans la force de la santé du corps, dans labondance des biens du temps, dans la prospérité de leurs proches, dans léclat de tous les honneurs, ceux qui non-seulement ne servent point Dieu, mais sont en guerre avec le reste des hommes. Voilà ce quils considèrent, ce qui les trouble, ce qui leur suggère en eux-mêmes ce qui est dit ouvertement dans un autre psaume: « Comment « Dieu le sait-il, et le Très-Haut en a-t-il connaissance? Voilà que les pécheurs et les méchants ont obtenu les richesses ». Et il continue : « Cest donc en vain que jai purifié
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mon coeur, et lavé mes mains avec les innocents 1 ». Est-ce donc en vain que jai voulu mettre la justice dans mon coeur, vivre innocent au milieu des hommes, quand jen vois dautres, peu soucieux de linnocence, jouir dune telle prospérité , insulter aux hommes justes et accroître leur bonheur par de nouvelles iniquités ? 2. Mais qui donc parlait ainsi dans le psaume? Lhomme dont le coeur nétait point encore droit. Car cest ainsi que commence le psaume auquel jai emprunté cette citation, et non celui que jentreprends de vous exposer aujourdhui, mais celui où il est dit « Comment Dieu le sait-il, et le Très-Haut en a-t-il connaissance? Voilà que les pécheurs et les méchants du monde ont obtenu des richesses. Est-ce donc en vain que jai mis la u justice dans mon coeur, et que jai lavé mes « mains parmi les innocents? » Ce psaume donc où vous voyez lâme en péril, où vous la voyez chancelante, commence ainsi: « Combien est bon le Dieu dIsraël pour les hommes qui ont le coeur droit ! Pour moi, mes pieds se sont presque égarés, mes pas ont presque chancelé ». Pourquoi? « Parce que jai été pris de jalousie contre les pécheurs, en voyant la paix dont ils jouissent 2 ». Le Prophète nous dit donc que ses pieds ont été ébranlés, que sa marche chancelante a presque abouti à une chute qui leût séparé de Dieu, parce quil sest arrêté à considérer la prospérité des méchants, quil les a vus dans la paix, et lui dans la misère. Mais quand il parle ainsi, il a déjà échappé au péril, déjà son coeur sest redressé pour sattacher à Dieu, il nous parle dun danger quil a couru. Donc « il est bon le Dieu dIsraël ». Mais pour qui? « Pour les hommes au coeur droit ». Quels sont les hommes au coeur droit? Les hommes qui ne critiquent point le Seigneur. Quels sont les hommes au coeur droit? Ceux qui règlent leur volonté sur celle de Dieu, et ne forcent point celle de Dieu à se courber sous la leur. Cest pour lhomme un précepte bien court, que redresser son coeur. Veux-tu avoir le coeur droit? Fais ce que Dieu veut, sans désirer que Dieu fasse ce que tu voudrais. Cest donc avoir le coeur tortueux, cest-à-dire ne lavoir point droit, que disputer sur ce que Dieu aurait dû faire, sans louer et même cii critiquant ses actes. Cest peu de ne pas
1. Ps. LXXII, 1-13. 2. Id. I, 2.
vouloir quil nous redresse, on veut le redresser lui-même, et lon dit : Dieu naurait dû faire aucun pauvre, on ne devrait voir que des riches : eux seuls devraient vivre. A quoi bon le pauvre ? Que fait-il ici-bas? Voilà le blâme contre le Dieu des pauvres. Il ferait bien mieux, cet homme, dêtre le pauvre de Dieu, afin dêtre riche de Dieu ; cest-à-dire de suivre la volonté de Dieu, et il comprendrait alors que sa pauvreté nest que dun moment, quelle passera, quensuite il jouira de richesses spirituelles qui ne passeront point, et quà défaut dor dans son coffre, il aura dans son coeur le trésor de la foi ! Avec de lor dans son coffre, il craindrait les voleurs, et malgré lui il pourrait perdre cet or ; mais la foi qui serait dans son coeur, il ne pourrait la perdre, à moins de len chasser lui-même. Mais il est une réponse facile , mes frères. Dieu a fait le pauvre pour éprouver lhomme, et il a fait le riche afin de léprouver par le pauvre. Et tout ce qua fait Dieu est bien, Et si nous ne pouvons pénétrer ses conseils, pourquoi il a fait ceci dune manière, et cela dune autre manière, il nous est bon néanmoins de nous soumettre à sa sagesse, de croire quil a bien fait, quand nous nen pouvons comprendre la raison notre cur alors sera droit, nous mettrons en Dieu notre confiance la plus entière, et nos pieds ne seront point ébranlés, et en montant vers Dieu nous serons dans létat que décrit le Psalmiste : « Ceux qui mettent leur confiance dans le Seigneur ressemblent à la montagne de Sion, ils ne seront point ébranlés de léternité 1». 3. Quels sont ces hommes? « Ceux qui habitent Jérusalem. Ils ne seront point ébranlés de léternité, ceux qui habitent Jérusalem 2 ». Si nous entendons ici la Jérusalem de la terre, tous ceux qui lhabitaient en ont été chassés par la guerre et par la ruine de cette ville ; tu cherches maintenant un juif dans Jérusalem et tu nen trouves point. Pourquoi donc ceux qui habitent Jérusalem ne seront-ils point ébranlés de léternité, sinon parce quil sagit de cette autre Jérusalem dont on vous parle si souvent? Cest elle qui est notre mère, cest après elle que nous soupirons en gémissant dans cet exil ; cest là que nous voulons retourner. Nous nous sommes éloignés delle, et nous en
1. Ps. CXX, V, 1. 2. Id. 2.
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avions perdu le chemin. Le roi de cette ville est venu lui-même, il sest fait notre voie, afin que nous pussions y retourner. Cest dans les parvis de cette Jérusalem que nos pieds étaient fermés 1, ainsi que vous lavez entendu, dans un psaume des degrés que nous vous avons expliqué récemment, à vous du moins qui y assistiez ; cest vers cette Jérusalem que soupirait celui qui chantait: « Jérusalem, qui est bâtie comme une cité, et dont les habitants sont unis ensemble 2 ». Ceux donc qui habitent cette ville ne seront pas ébranlés à jamais; tandis que ceux qui ont habité la cité terrestre ont été ébranlés, par le coeur dabord, ensuite par lexil. Leur coeur sest ébranlé, et ils sont tombés quand ils ont crucifié le roi de la .Jérusalem céleste. Mais ils en étaient dehors déjà par le coeur, et ils en avaient chassé le roi ; car ils le firent sortir de leur cité, et le crucifièrent au dehors. A son tour il les a bannis de sa cité, cest-à-dire de la Jérusalem éternelle qui est dans le ciel, et notre mère à tous. 4. Comment donc est cette ville? Le Prophète nous la décrit en un mot. « Des montagnes lenvironnent ». Est-ce un grand avantage jour nous dêtre dans une ville environnée de montagnes? Est-ce bien à être dans une ville environnée de montagnes que consistera notre félicité? Ne connaissons-nous point les montagnes, et sont-elles autre chose que des éminences de terre ? Il est donc dautres montagnes aimables , montagnes élevées qui sont les prédicateurs de la vérité, comme les anges, les Apôtres, les Prophètes. Ceux-là environnent Jérusalem, ils sont à lentour et lui servent de murailles. Cest de ces montagnes aimables et délicieuses que nous parle souvent lEcriture. Observez, quand vous la lisez ou lentendez, combien on parle de ces montagnes; il mest impossible den énumérer tous les endroits, et néanmoins je me plais à métendre sur un tel sujet, autant que Dieu men fait la grâce, et à vous citer les passages des Ecritures qui reviennent à ma mémoire. Ces montagnes sont éclairées par Dieu ; sur elles dabord il épanche sa lumière, afin que de là elle passe aux vallées, ou même aux collines qui sont moins élevées que les montagnes. Cest par elles que nous sont venues les saintes Ecritures, prophéties, écrits des Apôtres,
1. Ps. CXXI, 2. 2. Id. 3. 3. Jean, XIX, 17, 18.
Evangiles. Cest de ces montagnes que nous chantons : « Jai levé les yeux vers les montagnes doù me viendra le secours », car cest des saintes Ecritures que nous vient le secours en cette vie. Mais comme ces montagnes ne se protégent point elles-mêmes, et ne tirent point delles-mêmes le secours quelles nous donnent, ce nest point en elles quil faut mettre nos espérances, de peur que nous ne soyons maudits pour avoir mis notre confiance dans un homme 1. Après que le Prophète a dit : « Jai levé les yeux vers les montagnes, doù me viendra le secours », il ajoute: « Le secours me viendra du Seigneur qui a fait le ciel et la terre 2 ». Cest encore de ces montagnes que le même Prophète a dit : « Que les montagnes reçoivent la paix pour le peuple, et les collines la justice 3 ». Les montagnes, ce sont les grands, les collines ceux qui sont moindres. Ce sont les montagnes qui voient, les collines qui croient. Ceux qui voient ont reçu la paix et Lont apportée à ceux qui croient. Ceux qui croient ont reçu la justice, car le juste vit de la foi 4. Les anges voient, ils prêchent ce quils voient, et nous croyons. Quand saint Jean disait: « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu 5 »; il voyait, et nous prêchait afin de nous amener à la foi. Et par les montagnes qui reçoivent la paix, les collines reçoivent la justice ; que dit en effet le Prophète à propos des montagnes ? Il ne dit point que delles-mêmes elles aient la paix, ou établissent la paix, ou quelles engendrent la paix, mais quelles reçoivent la paix. Or, cest du Seigneur quelles reçoivent la paix. Lève donc en vue de la paix les yeux vers les montagnes, afin que le secours te vienne du Seigneur qui a fait le ciel et la terre. Parlant ailleurs de ces montagnes, le Saint-Esprit a dit: « Des montagnes éternelles vous faites descendre sur nous une lumière admirable ». Il ne dit point que ces montagnes éclairent, mais que Dieu donne la lumière au moyen de ces montagnes éternelles. En prêchant lEvangile par ces montagnes que vous avez rendues éternelles, cest vous qui éclairez, et non point les montagnes. Telles sont les montagnes qui environnent Jérusalem. 5. Pour mieux vous faire comprendre quelles
1. Jérém. XVII, 5. 2. Ps. CXX, 1, 2. 3. Id. LXXI, 3. 4. Rom. I, 17. 5. Jean, I,1. 6. Ps. LXXI, 5.
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sont ces montagnes environnantes, quand lEcriture a parlé des montagnes dans un sens favorable, il arrive bien rarement, et peut-être narrive-t-il jamais quelle ne parle aussitôt du Seigneur, ou quelle ne reporte notre attention jusquà lui, de peur que notre espérance ne sarrête à ces montagnes. Voyez dans les passages que jai cités : « Jai levé les yeux vers les montagnes, doù mue viendra u mon secours ». De peur que tu nen restes là. « Mon secours » , dit-il, « est dans le Seigneur, qui a fait le ciel et la terre ». Ensuite: « Que les montagnes reçoivent la paix pour le peuple ». Dire quelles reçoivent, cest montrer assez que la source doù elles la recevront est ailleurs. « Et puis des montagnes descend la lumière ». Mais cest vous, dit le Prophète, « vous qui des montagnes éternelles faites descendre une lumière admirable».Quand il dit ailleurs: « Les montagnes lenvironnent »,de peur que ta pensée ne sarrête aux montagnes, il ajoute aussitôt: « Et le Seigneur est autour de son peuple », afin que ton espérance, loin de sarrêter aux montagnes, soit dans celui qui les éclaire. Car en habitant dans les montagnes ou dans les saints, il est autour de son peuple; il a fait à ce peuple une muraille spirituelle, afin quil ne soit point ébranlé de léternité. Mais quand il est question de montagnes dans un sens défavorable, lEcriture najoute pas le Seigneur. Ainsi ces montagnes, avons-nous dit, désignent les grandes âmes, il est vrai, mais tournées au mal. Ne vous imaginez pas en effet, mes frères, quun esprit médiocre ait pu susciter des hérésies. Il faut de grands hommes pour faire des hérésiarques, des montagnes dautant plus nuisibles, quelles sont plus élevées. Ces montagnes nétaient point au nombre de celles qui reçoivent la paix, afin que les collines reçoivent la justice; mais elles ont reçu du démon, qui est leur père, lesprit de division. Cétaient donc des montagnes, mais garde-toi de chercher un refuge auprès delles. Des hommes viendront et te diront : Cest un grand homme, cest là un illustre personnage. Quel homme que Donat ! quel homme que Maximien! Quel homme encore que ce Photin ! et Arius nétait-il pas un grand homme? Ce sont là des montagnes, ai-je dit, mais des montagnes à naufrages. Tu vois dans leurs discours quelques jets de lumière, ils peuvent communiquer une certaine flamme. Mais si tu navigues sur une barque, et que tu sois surpris par la nuit ou par les ténèbres de cette vie, ne te laisse point prendre à ces lueurs, et ny dirige point ton esquif, il y a là des rochers féconds en naufrages. Donc, lorsquon te parlera de la hauteur de ces montagnes, et quon tinvitera à venir à ces montagnes chercher du secours et le repos, tu répondras : «Ma confiance est dans le Seigneur; comment dites-vous, ô mon âme: Retire-toi comme un oiseau sur les montagnes 1?» Il est bon pour toi, je lavoue, de lever les yeux vers ces montagnes doù peut te venir le secours de la part du Seigneur, afin déchapper comme le passereau au lac des chasseurs, mais non afin de ten aller vers les montagnes. Le passereau est léger, toujours dans lagitation, volant deçà et delà. Mais toi, mets ta confiance dans le Seigneur, et tu seras comme la montagne de Sion, tu ne seras pas ébranlé éternellement, tu ne prendras point ton vol comme loiseau vers la montagne. Lorsque le Prophète parle de ces montagnes, parle-t-il aussi de Dieu? 6. Mais tu dois aimer les montagnes en qui est le Seigneur ; et ces montagnes elles-mêmes taimeront, si tu ne mets point en elles ton espérance. Voyez, mes frères, quelles sont les montagnes de Dieu. Car cest ainsi quon les nomme dans un autre endroit des psaumes « Votre justice est comme les montagnes de Dieu 2 ». Non point leur justice, mais votre justice. Ecoute saint Paul, lune de ces montagnes : « Afin », dit-il, « que je sois trouvé en lui, non pas avec ma propre justice qui vient de la loi, mais avec celle qui vient de la foi en Jésus-Christ 3». Quant à ceux qui ont voulu être des montagnes par leur propre justice, comme certains Juifs, et principalement comme les Pharisiens, voici le reproche quon leur fait : « Ignorant la justice qui vient de Dieu, et voulant établir leur propre justice, ils nont pas été soumis à la justice de Dieu 4 ». Ceux qui ont bien voulu sy assujétir, ont été grands, de manière néanmoins à demeurer humbles. Et comme ils sont grands, ils sont des montagnes, et leur soumission à la volonté de Dieu en fait des vallées. Comme ils ont un réservoir de piété, ils reçoivent labondance de la paix, dont ils inondent les collines. Pour toi,
1. Ps. X, 2. 2. Id. XXXV, 7. 3. Philipp. III, 9. 4. Rom. X, 3.
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examine bien quelles montagnes ont ton amour. Pour être aimé des saintes montagnes, ne mets point ton espérance en elles, quelque saintes quelles soient. Quelle montagne était saint Paul? Quand sen trouvera -t-il une semblable? Je ne parle ici que dune grandeur humaine. Et toutefois, il craignait que le moindre passereau ne mît en lui sa confiance. Que dit-il alors? « Est-ce donc Paul qui a été crucifié pour vous 1 ? » Mais levez les yeux vers les montagnes doù vous viendra le secours : Car, « moi jai planté, Apollo a arrosé ». Mais votre secours est dans le Seigneur, qui a fait le ciel et la terre; car « cest Dieu qui a donné laccroissement 2 ». Donc « les montagnes environnent la cité »; mais comme « les montagnes environnent la cité, le Seigneur environne son peuple, dès maintenant et jusquà la fin des siècles ». Si donc les montagnes environnent la cité, comme le Seigneur environne son peuple, voilà que le Seigneur unit son peuple par le lien de la charité et de la paix, afin que ceux qui mettent leur confiance dans le Seigneur, comme la montagne de Sion, ne soient point ébranlés éternellement. Voilà ce que signifie, « dès maintenant et jusque dans le siècle ». 7. « Car le Seigneur ne laissera point le sceptre des impies sur lhéritage des justes, de peur que les justes ne portent leurs mains à liniquité ». Ici-bas, les justes rencontrent parfois laffliction, et ici-bas encore, linjuste a la domination sur le juste. Comment cela? Souvent les injustes parviennent aux honneurs, et quand ils sont devenus ou juges, ou rois, ce que le Seigneur permet quelquefois pour châtier son peuple, pour châtier la nation quil sest choisie, on ne peut leur refuser lhonneur qui est dû aux puissances. Car tel est lordre établi par Dieu dans lEglise, que toutes les puissances du siècle doivent y être honorées, même par ceux qui les surpassent en vertus. Je néclaircirai ma pensée que par un seul exemple; vous en tirerez les conjectures pour les autres degrés de puissance. La première puissance, la puissance quotidienne de lhomme sur lhomme, est celle du maître sur le serviteur. Dans toutes les niaisons il y a de ces puissances. Il y a des maîtres, il y a des serviteurs, ce sont deux noms différents mais
1. I Cor. I, 13. 2. Id. III, 6.
des hommes et des hommes, voilà des noms semblables. Or, que nous dit lApôtre, pour enseigner aux serviteurs la soumission envers leurs maîtres? « Serviteurs, obéissez à vos maîtres selon la chair » ; car il est un autre maître selon lesprit. Celui-là est le véritable et léternel maître , tandis que les autres ne le sont que pour un temps. Mais le Christ ne veut point que tu sois orgueilleux quand tu marches dans sa voie, quand tu vis de sa vie. Te voilà chrétien, ayant un homme pour maître; mais tu nes pas chrétien pour dédaigner de servir. Quand, par la volonté du Christ, tu as un homme pour maître, ce nest point cet homme que tu sers, mais le Christ qui la voulu. Aussi saint Paul a-t-il dit: « Obéissez à vos maîtres selon la chair, avec crainte et respect, dans la simplicité du coeur, ne les servant point quand ils ont loeil sur vous, comme si vous ne cherchiez à plaire quà des hommes; mais faites de coeur et spontanément la volonté de Dieu, comme des serviteurs du Christ 1». Voilà que lApôtre naffranchit point les serviteurs, mais il fait quils deviennent bons, de méchants quils étaient. Que ne doivent point à Jésus-Christ ces riches dont il règle ainsi la maison? Quil y ait chiez eux un serviteur infidèle, Jésus-Christ le convertit, mais sans lui dire : quittez votre maître, maintenant que vous connaissez le véritable maître; cest un impie, un homme diniquité, tandis que vous êtes juste et fidèle; il serait indigne quun homme juste, quun fidèle, servît un homme infidèle et injuste. Ce nest point là ce que lui dit Jésus-Christ; mais bien : Servez votre maître. Et, pour encourager ce serviteur: Sers à mon exemple, lui dit-il, car je me suis assujéti aux méchants. Quand le Seigneur eut tant à souffrir dans sa passion, de qui eût-il à souffrir, sinon de ses serviteurs? Et de quels serviteurs, sinon des méchants? Car de bons serviteurs eussent honoré le souverain maître. Mais eux loutragèrent parce quils étaient mauvais. Que fit le Seigneur au contraire? Il leur rendit lamour pour la haine, car il sécria: u Mon « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce quils font 2 ». Si le Seigneur du ciel et de la terre, par qui tout a été fait, sassujétit à des indignes, pria pour ceux qui le traitaient avec tant de cruauté, et vint en ce monde
1. Ephés. VI, 5, 6. 2. Luc, XXIII, 34.
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comme un médecin; car les médecins, ayant par lâge et la santé lavantage sur un malade, ne laissent pas de sassujétir à lui; combien moins doit-il répugner à un homme de sassujétir à un maître quoique méchant, et de le servir de toute son âme, de toute sa bonne volonté, de toute sa charité? Un homme vertueux en sert donc un inférieur, mais pour un temps. Appliquez aux puissances, aux dignitaires de ce monde, ce que jai dit du maître et du serviteur. Parfois, en effet, les dignitaires sont bons et craignent Dieu, et parfois ne le craignent point. Julien était un empereur infidèle, un apostat, un criminel idolâtre : des soldats chrétiens obéissaient àcet empereur infidèle ; mais quand il sagissait des intérêts du Christ, ils ne reconnaissaient que le maître du ciel. Quand on leur disait dadorer les idoles, de leur offrir de lencens, ils préféraient obéir au Seigneur; mais leur disait-on : Marchez en bataille contre tel peuple, ils obéissaient aussitôt. Ils distinguaient entre le maître éternel et le maître temporel; et néanmoins ils obéissaient au maître temporel à cause du maître éternel. 8. Mais sera-ce éternellement que les méchants domineront les justes? Non , sans doute. Voyez,.en effet, ce que dit le psaume : « Le Seigneur ne laissera pas toujours le sceptre des méchants sur lhéritage des justes ». Cette verge des méchants se fait sentir pour un temps, sur lhéritage des justes, mais on ne ly laissera point, et ce nest point pour toujours. Un temps viendra où lon ne connaîtra quun seul Dieu ; un temps viendra où le Christ, paraissant dans léclat de sa gloire, appellera devant lui les nations pour les séparer, comme un berger sépare les boucs davec ses brebis , et mettra les brebis à la droite, et les boucs à la gauche 1. Or, tu. verras parmi les brebis beaucoup de serviteurs, comme beaucoup de maîtres parmi les boucs; comme aussi beaucoup de maîtres parmi les brebis, et parmi les boucs bien des serviteurs. Car si nous consolons ainsi les serviteurs, ce nest pas que tous àoient bons, de même que tous les miraîtres ne sont point mauvais, parce que nous avons dû réprimer leur orgueil. Il est des maîtres bons et fidèles, comme il en est de mauvais; et il y a des serviteurs mauvais, comme il y en a de bons et de fidèles.
1. Matth. XXV, 32, 33.
Mais tant que les bons serviteurs ont des maîtres méchants, quils les supportent pour un temps : « car le Seigneur ne laissera point le fouet des méchants sur lhéritage des justes ». Pourquoi ? « De peur que les justes u nétendent leurs mains vers liniquité »; afin que les justes supportent pour un moment la domination des méchants, quils comprennent que cette domination nest que passagère, et quils se préparent à posséder lhéritage éternel. Quel héritage? Celui où tout pouvoir sera détruit ainsi que toute puissance, afin que Dieu soit tout en tous 1. Quand ils se réservent pour ces temps heureux, quand ils envisagent de lil du coeur ce quils ne tiennent que par la foi, muais quils verront sils persistent; alors « ils nétendent point leurs mains vers liniquité ». Sils voyaient le sceptre des pécheurs peser toujours sur lhéritage des justes, ils penseraient et diraient en eux-mêmes: De quoi me sert ma justice ? serai-je donc toujours assujéti à linjuste, et toujours serviteur? Et moi aussi je commettrai liniquité, puisquil ne sert de rien de garder la justice. Pour le détourner de ces pensées, on lui dit par la foi que le sceptre des méchants nest que momentanément sur lhéritage des bons. «Le Seigneur ne le laissera point à jamais sur cet héritage, afin que les justes ne se laissent pas aller à liniquité » ; mais quils en détournent leurs mains, quils la supportent sans la commettre ; car il vaut mieux supporter linjustice que la commettre. Pourquoi donc nen serat-il pas ainsi ? « Cest que le Seigneur ne laissera point le sceptre des pécheurs sur lhéritage des justes ». 9. Telles sont les pensées des hommes au coeur droit, dont nous disions tout à lheure quils suivaient la volonté de Dieu et non leur propre volonté. Mais ceux qui veulent suivre la volonté de Dieu, le mettent le premier, et viennent après lui : ils ne se mettent point en avant, afin que Dieu les suive: ils approuvent ses desseins; quil les corrige, quil les console, quil les exerce, quil les couronne, quil les éclaire, comme la dit lApôtre; « Nous savons que, pour ceux qui aiment Dieu, tout contribue à leur bien 2 ». De là cette parole du prophète : « Faites du bien, Seigneur , à ceux qui sont bons et dont le coeur est droit 3». 10. De même que lhomme au coeur droit
1. I Cor. XV, 28. 2. Rom VIII, 28. 3. Ps. CXXIV, 4.
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évite le mal et fait le bien 1, parce quil ne porte aucune envie aux pécheurs, en voyant la paix dont ils jouissent 2; de même lhomme au coeur dépravé, que scandalisent les desseins de Dieu, séloigne du Seigneur, fait le mal et se laisse prendre aux charmes de cette vie, et, une fois pris, il en supporte les peines cuisantes. Dès quil séloigne du Seigneur, dont il ne veut point supporter la discipline, alors la fausse félicité des méchants devient pour eux un piège par un juste jugement de Dieu. Cest pourquoi le Prophète ajoute : « Pour ceux qui sengagent dans des voies tortueuses, Dieu les unira aux hommes qui commettent liniquité 3 », cest-à-dire à ceux dont ils imitent les actions; parce quils ont aimé comme eux les joies de cette vie, et nont point cru aux supplices éternels. Quel sera donc le partage des hommes au coeur droit qui ne se détournent point de Dieu ? Mais voyons quel sera cet héritage mes frères, puisque nous sommes les enfants. Que posséderons-nous? Quel est notre héritage ? quelle est notre patrie? quel est son nom? La paix. Cest par la paix que nous vous saluons, cest la paix que nous vous prêchons, la paix que reçoivent les montagnes, et les collines la justice 4. Cette paix est le Christ. « Car il est notre paix, lui qui de deux peuples nen a fait quun, en détruisant le mur de séparation 5 ». Parce que nous sommes les enfants, nous aurons lhéritage. Et commirent appeler cet héritage, sinon la paix? Et voyez comme sont déshérités ceux qui naiment point la paix. Or, ceux-là naiment point la paix qui divisent lunité. La paix est le partage des justes, le partage des héritiers. Et quels sont les héritiers ? Les enfants. Ecoutez lEvangile: « Bienheureux ceux
1. Ps. XXXVI, 27. 2. Id. LXXII, 3. 3. Id. CXXIV, 5. 4. Id. XVII, 3. 5. Ephés. II, 14.
qui aiment la paix, parce quils seront appelés enfants de Dieu 1 ». Ecoutez la conclusion du psaume : « Paix sur Israël ». Israël signifie qui voit Dieu, et Jérusalem vision de la paix. Oui, que votre charité le retienne bien, Israël signifie qui voit Dieu, et Jérusalem vision de la paix. « Quels hommes ne seront point ébranlés de léternité? ceux qui habitent Jérusalem ». Ils ne seront point ébranlés à tout jamais, ceux qui habitent la vision de la paix, et cette « paix est sur Israël ». Donc, Israël qui voit Dieu, voit aussi la paix ; il est Israël et Jérusalem ; puisque le peuple de Dieu est en même temps la cité de Dieu. Si donc voir la paix, cest voir Dieu, assurément cest Dieu qui est la paix. Cest donc parce que le Christ Fils de Dieu est la paix, quil est venu pour nous rassembler et nous séparer des impies. De quels impies? De ceux qui haïssent Jérusalem, qui haïssent la paix, qui veulent nous séparer de lunité, qui ne croient pas à la paix, qui annoncent au peuple une fausse paix, qui nont point eux-mêmes la paix. Quand ils disent au peuple: Que la paix soit avec vous, et quil leur répond : Et avec votre esprit , ils disent une fausseté et nentendent quune fausseté. A qui disent-ils: Que la paix soit avec vous? A ceux quils séparent de la paix du reste de la terre. Et à quels hommes dit-on : Et avec votre esprit ? A ceux qui saisissent toutes les occasions du schisme, qui haïssent la paix. Car si la paix était dans leur esprit, ne renonceraient-ils point aux divisions pour embrasser lunité? Cest donc une fausseté quils disent, une fausseté quils entendent. Pour nous, mes frères, disons vrai et entendons vrai. Soyons Israël, embrassons la paix ; puisque Jérusalem est la vision de la paix, et que nous sommes Israël, que la paix soit sur Israël.
1. Matth. V, 9.
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