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DISCOURS SUR LE PSAUME CXXIX.SERMON AU PEUPLE.LESPÉRANCE DU PÉCHEUR.
Du fond de labîme le Prophète a crié vers le Seigneur. Cet abîme est celui du péché, et lhomme qui a pu y tomber ne saurait sen relever par lui-même. Crier cest déjà en sortir ; compter sur soi-même, ou sabandonner au mal par désespoir, cest dédaigner le secours divin, et Jésus-Christ est venu nous soulever afin de nous faire crier. Cest donc le pécheur qui crie, et il crie par espérance, et cette espérance lui vient de Jésus-Christ, dont la loi nous apprend à supporter les pécheurs sans donner à leurs fautes aucun assentiment. Comme nos fautes, quoique légères, sont nombreuses néanmoins, crions vers le Seigneur, et attendons de lui la vie éternelle qui commencera par notre résurrection, basée sur celle de Jésus-Christ qui a pris notre chair, pour mourir et ressusciter à la vigile du matin; espérons jusquà la nuit, ou jusquà la mort. Lui seul est ressuscité pour ne plus mourir, et nous faire espérer une semblable résurrection. Lespérance est la garantie de la vertu, mais nespérons pas les biens de cette vie, que nont recherchés ni les martyrs ni le Divin Maître. En résumé, espérons dans la miséricorde de celui qui veut nous racheter, qui le peut seul parce que seul il est sans péché.
1. Nous présumons, mes frères, que vous veillez non-seulement des yeux du corps, mais aussi des yeux de lâme, et dès lors nous devons chanter avec intelligence : « Du fond de labîme, Seigneur, jai crié vers vous; Seigneur, exaucez ma voix 1 ». Ces paroles sont dune âme qui sélève, et dès lors appartiennent aux cantiques des degrés. Chacun de nous doit donc examiner dans quel abîme il est descendu, et doù il doit crier vers le Seigneur. Jonas cria du fond de labîme, du sein de la baleine 2. Non-seulement il était sous les flots, mais dans les entrailles dun monstre marin : et ni ces abîmes, ni ces entrailles, nempêchèrent sa prière de sélever jusquà Dieu, et le ventre de la baleine ne ferma point le passage à sa voix suppliante. Sa prière pénétra tout, brisa tout, et arriva aux oreilles de Dieu, si lon peut dire, néanmoins, quelle brisa tout pour arriver aux oreilles de Dieu, quand le Seigneur avait les oreilles dans le coeur du Prophète suppliant. Où, en effet, Dieu nest-il point présent pour le fidèle qui linvoque? Toutefois considérons aussi de quel abîme nous crions vers le Seigneur. Labîme pour nous est cette vie mortelle. Tout homme qui comprend cet abîme, crie, gémit, soupire, jusquà ce quil sorte des profondeurs, et sélève jusquà Celui qui est assis au-dessus des
1. Ps. CXXIX, 1, 2. 2. Jonas, II, 2.
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abîmes et des Chérubins, au-dessus de toutes les créatures, et corporelles et spirituelles, qui sont ses oeuvres; jusquà ce que lâme arrive à lui, et que soit délivrée par lui son image qui est lhomme, et qui, à force dêtre tourmentée dans ce gouffre et agitée par les flots, a été défigurée; image toujours dans labîme si elle nest renouvelée et restaurée par le même Dieu qui la imprimée en lhomme; car lhomme qui a bien pu tomber par lui-même, est impuissant à se relever; oui, dis-je, image qui demeure dans labîme, si Dieu ne len retire. Mais crier du fond de labîme, cest sortir de labîme, et ce cri même empêche quon soit longtemps dans ces profondeurs. Ils sont bien dans les derniers abîmes, ceux qui ne crient pas même vers le Seigneur. « Quand le pécheur est descendu dans les profondeurs du mal, il méprise 1». Voyez, mes frères, sil est un abîme plus profond que le mépris de Dieu. Quand un homme se voit chaque jour accablé de péchés, brisé en quelque sorte sous le poids, sous la Montagne de ses iniquités ; dites-lui de prier Dieu, il vous oppose le sarcasme. Comment cela? Si mes péchés déplaisaient à Dieu, serais-je encore en vie? Si Dieu prenait soin des choses dici-bas, après tant de crimes que jai commis, non-seulement serais-je en vie, mais se pourrait-il que je fusse heureux? Voilà en det ce qui arrive dordinaire à ceux qui sengloutissent dans labîme, et qui sont heureux dans leur désordre; plus ils semblent heureux, plus profond est leur abîme. Car un faux bonheur nest quun surcroît de malheur. On dit encore: Puisque jai commis tant de fautes, et que ma damnation est proche, cest perdre pour moi que ne point faire ce que je puis;dès lors que je suis toujours perdu, pourquoi ne pas agir à mon gré? Cest le langage des brigands les plus désespérés : Si le juge doit menvoyer à la mort pour dix homicides, comme pour quinze, comme pour un seul, pourquoi ne point faire tout ce quil me vient à la pensée? Tel est le sens de cette parois: « Quand le pécheur est arrivé au fond de labîme, il dédaigne ». Mais Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui na point méprisé nos abîmes, qui a daigné descendre jusquà cette misérable vie, en nous promettant la rémission de nos péchés, a soulevé lhomme du fond de cet abîme, la forcé de crier sous le poids de
1. Prov. XVIII, 3.
ses fautes, afin que la voix de ce pécheur pût arriver jusquà Dieu. Doù pouvait-il crier, si ce nest du fond des malheurs? 2. Or, voyez que cest de labîme que sélève cette voix du pécheur: « Du fond de labîme, Seigneur, je crie vers vous; Seigneur,exaucez ma prière. Que vos oreilles soient attentives à la voix de mes supplications ». Doù vient ce cri? du fond des abîmes. Quel est lhomme qui crie? le pécheur. Quelle espérance le fait crier ? lespérance qua donnée au pécheur descendu dans labîme Celui qui est venu nous délivrer de nos péchés. Aussi quest-il dit après ces paroles ? « Seigneur, si vous examinez nos péchés, qui pourra subsister, ô mon Dieu? » Voilà que le Prophète nous montre de quel abîme il pousse des cris. Il sécrie sous les montagnes, sous les flots de ses péchés. Il sest regardé, il a regardé sa vie, il na vu de toutes parts que les souillures des vices et du crime : nulle part il na vu le bien, ni pu découvrir un rayon de justice. A la vue de ses péchés si graves et si nombreux, à la vue de tant de crimes, il sécrie dans sa stupeur: « Hélas! Seigneur, si vous examinez les iniquités, qui pourra subsister devant vous, ô mon Dieu? » Il ne dit point : Je ne pourrai soutenir votre présence; mais : « Qui pourra la soutenir ? » Il voit que la vie humaine est un long aboiement du péché, que toutes les, consciences sont condamnées par leurs propres pensées, et quil nest pas un coeur assez chaste pour présumer de sa justice. Si donc il nest pas un coeur assez chaste pour avoir confiance en sa propre justice, que le coeur de tous les hommes se confie en la divine miséricorde, et sécrie : « Seigneur, si vous examinez les iniquités, qui pourra subsister, ô mon Dieu? » 3. Or, doù vient lespérance? « Mais en vous il y a propitiation 1 ». Quest-ce que la propitiation, sinon le sacrifice? Quest-ce que le sacrifice, sinon loffrande que lon a faite pour nous? Un sang innocent a été répandu pour laver les péchés des coupables; et une telle rançon a racheté tous les captifs de la puissance de lennemi qui sen était rendu maître. Il y a donc en vous propitiation. Si vous nétiez enclin à pardonner, si vous ne vouliez être quun juge sans miséricorde, examiner, rechercher toutes les iniquités, qui pourrait subsister? qui pourrait se tenir en
1. Ps. CXXIX, 4.
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votre présence, et vous dire : Je suis innocent? Qui pourrait soutenir léclat de votre jugement? Il ne nous reste donc pour unique espérance « que la propitiation qui est en vous. Et je vous ai attendu, Seigneur, à cause de votre loi ». Quelle loi? Celle qui fait les coupables? Or, Dieu a donné aux Juifs une loi sainte, juste 1, bonne, mais qui na pu que faire des pécheurs. Elle nétait point de nature à donner la vie 2, mais à montrer au pécheur ses fautes. Le pécheur en effet sétait oublié, il ne se voyait point, et la loi lui fut donnée afin quil se vît. La loi donc a rendu lhomme coupable, mais le législateur la délivré : ce législateur est le souverain Maître. La loi donc a été donnée pour effrayer, pour tenir le pécheur dans des liens; elle ne délivre donc pas des péchés, mais elle montre le péché. Peut-être que linterlocuteur, placé sous la loi, a reconnu dans labîme tous les crimes quil a commis contre la loi, et alors il sest écrié : « Si vous examinez les iniquités, qui donc pourra subsister, ô mon Dieu? » Il y a donc en Dieu une loi de propitiation, une loi de miséricorde. Celle qui fut donnée était une loi de crainte, mais il est une autre loi damour. Cette loi damour donne le pardon des péchés, elle efface les fautes passées, avertit au sujet de lavenir: elle nabandonne pas en chemin celui quelle accompagne, elle est elle-même la compagne de celui quelle guide en chemin. Mais il faut taccorder avec ton adversaire 3, pendant que tu es en route avec lui. Et cet adversaire pour toi, cest la parole de Dieu, si tu nes pas en harmonie avec elle. Cette harmonie sétablit dès lors que tu trouves ton plaisir à faire ce que tordonne la parole de Dieu. Ladversaire devient ami, et au bout de la route il ny aura personne pour te livrer au juge. Donc «je vous ai attendu, Seigneur, à cause de votre loi ». Parce que vous avez daigné mapporter une loi de miséricorde, me pardonner toutes mes fautes et me donner de sages conseils pour lavenir, afin que je ne vous offense plus et quand mes pieds chancelleront en suivant vos conseils, vous mavez donné un remède, en mettant dans ma bouche cette prière : « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent 4». Telle est votre loi, quil me sera remis comme jaurai remis à mon frère. « Jai attendu,
1. Rom. VII, 12. 2. Gal. III, 21. 3. Matth. V, 25. 4. Id. VI, 12.
« Seigneur, à cause de votre loi ». Jai attendu quand il vous plairait de venir et de me délivrer de toutes mes misères, parce que dans ces misères vous navez point délaissé la loi de la miséricorde. 4. Ecoute de quelle loi il sagit, si tu nas compris encore quil est question de la loi de charité: «Portez mutuellement vos fardeaux », dit lApôtre, « et de la sorte vous accomplirez la loi du Christ 1». Quels hommes portent mutuellement leurs fardeaux, sinon ceux qui ont la charité? Ceux qui nont point la charité sont à charge à eux-mêmes, tandis que les hommes charitables se supportent mutuellement. Un homme te blesse et te demande pardon; lui refuser ce pardon, cest ne point porter le fardeau de ton frère ; lui pardonner, cest le porter dans son infirmité. Et toi, qui es homme, si tu viens à tomber dans quelque faiblesse, il doit à son tour te supporter comme tu las supporté. Ecoute ce quavait dit saint Paul auparavant: « Mes frères», dit-il, « si un homme est surpris dans quelque péché, vous qui êtes spirituels, instruisez-le dans lesprit de douceur 2». Et de peur quils ne se crussent en sûreté parce quil les avait appelés spirituels, il ajoute aussitôt : « En réfléchissant sur toi-même, et craignant dêtre tenté aussi ». Puis il ajoute ce que je viens de citer: « Portez mutuellement vos fardeaux et vous accomplirez ainsi la loi du Christ » ; ce qui a fait dire an Prophète « Jai attendu, Seigneur, à cause de votre loi ». On dit que les cerfs, quand ils passent quelque détroit pour aller chercher des pâturages dans les îles voisines, posent la tête lun sur lautre ; le premier seulement soutient sa tête sans lappuyer sur aucun. Mais quand il est fatigué, il quitte la tête de colonne pour revenir en arrière et se reposer sur un autre. Cest ainsi que tous portent mutuellement leurs fardeaux, et arrivent au lieu recherché; ils ne font pas naufrage, la charité est pour eux comme un vaisseau, Cest donc la charité qui porte les fardeaux, mais quelle ne craigne point de succomber sous leur poids ; chacun ne doit redouter que le poids de ses propres fautes. Supporter la faiblesse de son frère, ce nest point te charger de ses péchés; mais y consentir, cest te charger des tiens, et non des siens : quiconque en effet adhère aux désirs du pécheur, nest point chargé par les fautes
1. Gal. VI, 2. 2. Id. 1.
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dautrui, mais bien par les siennes. Consentir en effet au péché dun autre, cest pécher toi-même; et dès lors tu nas plus àte plaindre dêtre accablé par les péchés dautrui. On te répondra quen effet tu es accablé, mais par les tiens. Tu as vu un voleur et tu as couru avec lui 1, dit lEcriture. Quest-ce à dire ? Que tes pieds ont marché pour commettre le vol ? Point du tout; mais que ton intention était unie à celle du voleur. Ce qui nétait une faute que pour lui, est devenu faute pour toi, par ton assentiment. Mais au contraire, si son péché ta déplu, et que tu aies prié pour lui, si tu lui as pardonné sur ses instances, de sorte que tu puisses prononcer sans trembler cette parole enseignée par le Souverain Législateur : « Remettez-nous nos dettes comme nous remettons à ceux qui nous doivent 2 », tu as appris à porter les fardeaux de ton frère, afin quun autre porte aussi ceux que tu pourras avoir, et que saccomplisse entre vous ce mot de lApôtre : « Portez mutuellement vos fardeaux et vous accomplirez ainsi la loi du Christ 3 ». Ainsi tu chanteras avec assurance : « Seigneur, je vous ai attendu à cause de votre loi ». 5. Quiconque nobserve point cette loi, nattend point le Seigneur; et quand même il lattendrait, sil ne lattend à cause de cette loi, son attente est vaine; le Seigneur viendra sans doute, et trouvera tes péchés. Tu crois avoir vécu dans une justice parfaite, et dès lors il ne trouvera point lhomicide en toi. Cest un grand crime, en effet, un crime énorme. Il ne trouvera point ladultère; il ne trouvera point le vol, il ne trouvera point la rapine, il ne trouvera point lidolâtrie ; voilà ce quil ne trouvera point : nest-il donc rien quil puisse trouver? Ecoute la parole de lEvangile: «Quiconque dira à son frère: Tu es un fou ». Qui donc est exempt de ces fautes légères de la langue? Elles sont légères, diras-tu. « Celui-là », dit le Sauveur, « sera condamné au feu de lenfer 4 ». Si, dire àton frère: Tu es un fou, te paraissait une faute légère, que du moins le feu de lenfer soit pour toi quelque chose dc grand. Si tu dédaignais une faute légère, que la gravité du châtiment teffraie du moins. Mais, diras-tu encore, ce sont là des fautes légères, des minuties dont la vie ne saurait être exempte. Réunis ces minuties, elles seront des montagnes.
1. Ps. XLIX, 18. 2. Matth. VI, 12. 3.Gal. VI, 2. 4. Matth. V, 22.
Des grains de blé sont petits, et forment néanmoins une grande masse; des gouttes deau sont petites, et néanmoins elles formeDt des fleuves qui entraînent les chaussées. Linterlocuteur, considérant combien sont nombreuses les fautes légères que lhomme commet chaque jour, sinon autrement, dii moins par la pensée et par la langue, considérant que si elles ne sont point graves séparément, du moins, réunies, elles forment une grande masse, effrayé plus encore de la fragilité humaine que de ses fautes passées, «Seigneur», dit-il, « du fond de labîme jai crié vers vous ; Seigneur, écoutez ma voix. Que vos oreilles soient attentives à la voix de ma « prière, Si vous tenez un compte exact des iniquités , qui pourra subsister, ô mon Dieu ? » Je puis éviter les homicides, les adultères, les rapines, les parjures, les maléfices, lidolâtrie. Mais les péchés de la langue? Mais les péchés du coeur? Il est écrit que « le péché cest liniquité 1; qui donc pourra subsister, si vous tenez un compte exact des iniquités ? » Si vous voulez être pour nous un juge sévère, non un père miséricordieux, qui pourra soutenir votre présence? mais « en vous il y a propitiation, et je vous ai attendu à cause de votre loi ». Quelle est cette loi? « Portez mutuellement vos fardeaux, et ainsi vous accomplirez la loi du Christ 2 ». Quels hommes portent mutuellement leurs fardeaux? Ceux qui disent à Dieu en toute fidélité : « Remettez-nous nos dettes, comme « nous remettons à ceux qui nous doivent 3». 6. « Mon âme a attendu à cause de votre parole ». Nul nattend, sinon celui qui na point reçu encore ce quon lui avait promis. Quattendrait celui qui a déjà reçu? Nous avons reçu la rémission des péchés, mais Dieu nous a promis en outre le royaume des cieux. Nos péchés sont effacés, mais la récompense est encore à venir le pardon est accordé, mais nous ne possédons point encore la vie éternelle. Or, celui qui nous a pardonné est le même qui nous a promis la vie sans fin. Si cétait une promesse humaine, il y aurait à craindre; mais cest la promesse de Dieu qui est infaillible. Nous attendons dès lors en toute sécurité sa parole qui ne saurait nous tromper. « Mon âme a espéré dans le Seigneur, depuis la veille du matin jusquà la nuit ». Que signifie cette parole?
1. I Jean, III, 4. 2. Gal. VI, 2. 3. Matth. VI, 12. 4. Ps. CXXIX, 5,6.
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Le Prophète a-t-il espéré un jour seulement dans le Seigneur, et son espérance a-t-elle cessé? Il a espéré dans le Seigneur depuis la vigile du matin jusquà la nuit. La vigile du matin, cest la fin de la nuit ; de là jusquà lautre nuit, il a espéré dans le Seigneur. Entendons bien ces paroles, et nallons pas croire que nous ne devons espérer dans le Seigneur que pendant un jour seulement. « Depuis la vigile du matin jusquà la nuit ». Que pensez-vous donc, mes frères? Il est dit : « Depuis la vigile du matin jusquà la nuit, mon âme a espéré dans le Seigneur »: parce que le Seigneur, par qui nos péchés nous sont pardonnés, est ressuscité dentre les morts à la vigile du matin, afin que nous concevions pour nous lespérance de ce qui a été dabord accompli en Notre-Seigneur. Nos péchés sont remis à la vérité, mais nous ne sommes point ressuscités encore. Si donc nous ne sommes point ressuscités encore, ce qui sest accompli en notre chef nest point accompli en nous. Qua-t-il paru dabord dans notre chef? Que la chair de ce chef est ressuscitée; mais lesprit de ce chef était-il donc mort? Ce qui était donc mort en lui est ressuscité, et il est ressuscité le troisième jour ; et le Seigneur nous a dit en quelque sorte : Espérez pour vous ce qui sest accompli en moi, cest-à-dire que vous ressusciterez parce que moi-même je suis ressuscité. 7. Mais il en est qui disent : Voilà que le Seigneur est ressuscité ; puis-je donc espérer que je ressusciterai de même ? Oui, par la même raison. Car le Seigneur est ressuscité dans ce quil avait pris de toi. Il ne serait point ressuscité en effet, sil neût passé par la mort, et il neût point passé par la mort sil neût porté une chair. Qua reçu de toi le Seigneur? La chair. Quétait-il quand il est venu? Le Verbe de Dieu, lequel était avant toutes choses, et par qui tout a été fait. Mais parce quil voulait prendre quelque chose de toi, « le Verbe a été fait chair et a demeuré parmi nous 1». Il a donc reçu de toi ce quil devait offrir pour toi; de même que le prêtre reçoit de tes mains ce quil doit offrir pour toi, quand tu veux apaiser Dieu sur tes péchés. Voilà ce qui sest tait, et cela sest fait ainsi. Notre souverain Prêtre a reçu de nous ce quil devait offrir pour nous. Il a pris de nous une chair, et dans cette chair il est devenu notre
1. Jean, I, 1, 3, 14.
victime, notre holocauste, notre sacrifice. Il est devenu notre sacrifice dans sa passion; dans sa résurrection, il a renouvelé ce qui en lui avait reçu la mort, et la offert à Dieu comme prémices, et il ta dit : Tout ce que javais de toi est maintenant consacré à Dieu; jai offert à Dieu des prémices qui viennent de toi : espère dès lors quen toi saccomplira ce qui sest accompli tout dabord dans ces mêmes prémices. 8. Comme donc cest à la vigile du matin que le Christ a commencé à ressusciter; cest alors que notre âme a commencé à espérer. Et jusquà quel moment? « Jusquà la nuit », jusquà notre mort ; puisque la mort de notre chair nest en quelque sorte quun sommeil. Cest à la résurrection du Sauveur qua commencé ton espérance, quelle ne finisse quà ta sortie de ce monde. Si tu nespères en effet jusquà la nuit, ton espérance passée est perdue. Il est en effet des hommes qui commencent à espérer, mais qui ne persévèrent pas jusquà la nuit. Les voilà dans les afflictions, les voilà dans la tentation, ils voient les méchants, les impies dans une félicité temporelle ; et comme ils attendaient de Dieu quelque bonheur ici-bas, ils voient que ce bonheur quils convoitent est le partage dhommes criminels : et les voilà chancelants, perdant toute espérance. Pourquoi? parce que leur espérance na point commencé à la vigile du matin. Quest-ce à dire? Parce quils nont point commencé par espérer du Seigneur, ce quils ont vu tout dabord dans ce même Seigneur, à la vigile du matin ; mais ils espéraient quen devenant chrétiens, ils auraient des maisons regorgeant de froment, de vin, dhuile, dargent, dor; que nul dentre eux ne mourrait prématurément ; sils navaient point denfants, quils en auraient en devenant chrétiens; sils nétaient mariés, quils trouveraient une épouse; que leurs épouses, non-seulement, mais leurs bestiaux, ne seraient point stériles ; que leurs vins ne saigriraient Plus ; que la grêle natteindrait point leurs vignes. Après avoir espéré ces biens de la part du Seigneur, on voit que ceux qui ne servent point Dieu, possèdent cependant toutes ces richesses, et lon chancelle, et lon nespère plus jusquà la nuit, parce que lon na point commencé à espérer à la vigile du matin. 9. Quel est donc lhomme qui commence à (89) espérer à la vigile du matin ? Celui qui attend du Seigneur ce que le Seigneur nous a montré à la vigile du matin, cest-à-dire la résurrection. Avant lui nul nétait ressuscité pour ne plus mourir. Que votre charité veuille bien mécouter, Quelques morts sont ressuscités avant Jésus-Christ; car Elie ressuscita un mort, Elisée également 1; mais ces morts ne ressuscitèrent que pour mourir de nouveau. Ceux mêmes que le Christ ressuscita, ne ressuscitèrent que pour mourir encore, soit le fils de la veuve, soit cette enfant de douze ans, fille du chef de la synagogue, roit Lazare 2 ; ils ressuscitèrent de différentes manières, mais pour mourir une seconde fois pour eux une seule naissance et une double mort. Nul autre que le Seigneur nétait ressuscité pour ne plus mourir. Mais quand est-il ressuscité pour ne plus mourir? « A la vigile du matin ». Espère donc du Seigneur que tu ressusciteras, non comme Lazare est ressuscité, non comme le fils de la veuve, ou la fille du chef de la synagogue, non comme ceux que ressuscitèrent les anciens Prophètes; mais espère que tu ressusciteras comme le Seigneur lui-même, en sorte quaprès cette résurrection tu nauras plus à craindre la mort; voilà espérer dès la vigile du matin. 10. Espère jusquà la nuit, jusquà la fin de cette vie, jusquà ce quune nuit générale enveloppe le genre humain à la fin du monde. Pourquoi jusque-là? Cest quaprès cette nuit, il ny aura plus despérance, mais bien la réalité. Lespérance en effet nest plus une espérance dès quon la voit; et lApôtre a dit : « Comment espérer ce que lon voit? Or, si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous lattendons par la patience 3 ». Si donc nous devons attendre patiemment ce que nous ne voyons point, espérons jusquà la nuit, cest-à-dire jusquà la fin de notre vie, ou du monde. Mais quand cette vie sera écoulée, alors viendra ce que nous avons espéré, et alors sans être dans le désespoir, nous naurons plus despérance. Le désespoir en effet est blâmable, et dans nos imprécations contre un homme, nous disons: Il na aucune espérance. Et toutefois, être sans espérance nest pas toujours un mal. Cest un mal, sans doute, de nen point avoir en cette vie; car celui qui na point lespérance en cette vie, naura
1. III Rois, XVII, 22 ; IV Rois, IV, 35. 2. Luc; VII, 15; VIII, 55; Jean, XI, 44. 3. Rom. VIII, 24, 25.
point la réalité dans lautre vie. Donc il nous faut espérer maintenant; mais, quand nous posséderons la réalité, que deviendra lespérance? Comment espérer ce que lon voit? Le Seigneur notre Dieu viendra et montrera au genre humain cette bruie dans laquelle il a été crucifié et il est ressuscité, et sy fera voir aux bons et aux méchants; les uns le verront pour se féliciter de trouver en lui ce quils avaient cru avant de voir; les autres le verront afin de rougir de navoir point cru ce quils verront alors. Ceux qui rougiront seront condamnés, ceux qui se féliciteront seront couronnés. A ceux qui seront confus on dira: « Allez au feu éternel, qui a été préparé au diable et à ses anges »; et à ceux qui seront dans la joie on dira : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès lorigine du monde 1». Lorsquils le posséderont, il ny aura plus despérance, mais bien la réalité. Lespérance finissant, la nuit finira aussi; mais jusquà ce moment, que notre âme espère dans le Seigneur, depuis la vigile du matin. 14. Le Prophète revient sur cette même parole : « QuIsraël espère dans le Seigneur depuis la vigile du matin. Depuis la vigile du matin jusquà la nuit, mon âme a espéré dans le Seigneur ». Mais qua-t-il espéré? « QuIsraël espère dans le Seigneur, depuis la vigile du matin ». Non seulement quIsraël espère dans le Seigneur, mais quil espère depuis la vigile du matin. Donc je condamne lespérance des biens de ce inonde, quand on les attend de Dieu? Point du tout; mais il est une autre espérance propre à Israël. Quil nespère, comme le bien suprême pour lui, ni les richesses, ni la santé du corps, ni labondance des biens terrestres. Il trouvera même laffliction ici-bas, et peut-être sera-il engagé dans quelques persécutions pour la vérité. Les martyrs nespéraient-ils pas en Dieu? Et néanmoins ils ont souffert comme auraient pu souffrir des voleurs, des hommes diniquité : condamnés aux bêtes, exposés au feu, frappés du glaive, déchirés par des crocs, chargés de chaînes, étouffés dans les prisons, nespéraient-ils donc pas en Dieu pour souffrir tant de maux? Ou le but de leur espérance était-il déchapper à ces tourments pour jouir de la vie? Nullement, ils espéraient dès la vigile du matin. Quest-ce
1. Matth. XXV, 11, 31.
à dire? Ils considéraient dans cette vigile du matin la résurrection de leur Maître, qui a dû souffrir ce quils souffraient eux-mêmes, avant de ressusciter, et ils ne perdaient point la confiance de passer de ces tourments à la résurrection pour la vie bienheureuse. « Israël a espéré dans le Seigneur depuis la vigile « du matin jusquà la nuit ». 12. « Car dans le Seigneur est la miséricorde, et une abondante rédemption 1». Sublime expression ! On ne pouvait rien dire de plus juste après ces paroles : « Dès la vigile du matin quIsraël espère dans le Seigneur ». Pourquoi? Parce que cest à la vigile du matin que le Seigneur est ressuscité, et que le corps doit espérer ce qui sest réalisé dans la tête. Mais tu pourrais avoir cette pensée: Si le chef est ressuscité parce quil nétait point chargé diniquités, et parce quil navait en lui aucun péché, nous autres que pourrons-nous devenir? Pouvons-nous espérer une résurrection semblable à celle de Notre-Seigneur, accablés de péchés comme nous le sommes? Pour lécarter, vois ce qui suit : « Car dans le Seigneur est la miséricorde et une abondante rédemption. Et il rachètera Israël de toutes ses iniquités ». Si donc Israël se trouvait accablé , voici la divine miséricorde. Celui qui était sans péché a marché le premier, afin deffacer les péchés de ceux qui le suivraient. Nayez en vous aucune présomption, et nespérez que dès la vigile du matin. Voyez notre Seigneur qui ressuscite et qui monte au ciel, Il ny avait en lui aucun péché, mais en lui vos fautes seront effacées. « Il rachètera Israël de toutes ses iniquités ». Israël a bien pu se vendre, et de la sorte être
1. Ps. CXXLX, 7.
vendu par le péché, mais il ne pouvait se racheter de ses iniquités. Celui-là seul peut le racheter, qui na point pu se vendre. Celui qui na point commis le péché peut nous racheter du péché. « Cest lui qui rachètera Israël ». De quoi le rachètera-t-il? De telle iniquité ou de telle autre? « De toutes ses iniquités». Quil ne craigne dès lors aucune de ces iniquités, celui qui veut approcher de Dieu; quil sen approche seulement dans toute ha plénitude de son coeur, quil cesse de faire ce quil faisait auparavant, et quil ne dise point : Cest là une iniquité qui ne sera jamais remise. Tenir ce langage cest ne point se convertir, du moins quant à cette iniquité dont il nespère point le pardon, et dès lors quil en commet dautres, il ne recevra pas même he pardon de celui dont il ne craignait rien. Jai commis un grand crime, dit-il, et Dieu ne saurait me le pardonner : jen commettrai dautres, et mabstenir serait temps perdu pour moi. Ne crains rien tu es au fond de labîme, ne dédaigne pas du fond de cet abîme de crier vers le Seigneur et de dire: « Si vous examinez les iniquités, qui pourra subsister, ô mon Dieu? » Observe le Seigneur, arrête sur lui tes regards, et attends-le à cause de sa loi. Quelle prescription ta-t-il faite? « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent ». Espère que tu ressusciteras, et qualors tu seras sans péché, puisque le premier qui a été sans péché est ressuscité. Espère depuis la vigile du matin. Ne va point dire: Jen suis indigne à cause de mes péchés. Tu nen es pas digne, à la vérité; mais « il est en lui une abondante miséricorde, et cest lui qui rachètera Israël de toutes ses iniquités ».
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