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DISCOURS SUR LE PSAUME CXXV.SERMON AU PEUPLE.DÉLIVRANCE DE LA CAPTIVITÉ.
Notre Dieu est venu sur la terre pour nous racheter au prix de son sang, parce que nous étions dans lesclavage, nous et ceux nième qui ont les prémices de lesprit, ou la foi. Nous attendons par lespérance la rédemption de notre chair, dont Jésus-Christ nous a donné le modèle par sa résurrection. Maïs jusque-là nous gémissons. Déjà la chair que le Sauveur a prise dans lhumanité, est sauvée : or, il nous dit quil est avec nous jusquà la fin des siècles. Mais nous sommes dans lesclavage, parce que nous sommes rendus au péché, et le persécuteur nous a lui-même sauvés en répandant le sang du juste. Notre joie a été grande quand Dieu a délivré la Jérusalem du ciel. Elle est du ciel à cause des anges, et captive à cause de nous. Elle était figurée par cette Sion des Juifs, captive à Babylone, pendant 70 années. Ce nombre signifie le temps qui sécoule par sept Jours; et après les temps écoulés nous retournerons à la patrie. Babylone est la confusion ou le monde. Or, la délivrance nous a consolés, cest-à-dire que Jésus nous a fait espérer à cause de sa résurrection. Alors notre bouche a été pleine de joie, cest-à-dire la bouche de notre coeur dans laquelle sélaborent toutes nos actions, ainsi que la dit le Sauveur. Ce nest donc ni ce qui entre dans notre bouche, ni ce qui en sort qui souille lhomme, mais ce qui est résolu dans notre coeur Car Dieu y voit tout mal et tout bien. Le Seigneur a manifesté sa gloire en établissant lEglise, en nous délivrant des étreintes du péché, comme le vent tiède fait fondre les glaçons et amène les torrents. Semons dans les larmes, semons laumône, des biens, des services, des conseils, de la bonne volonté, nous récolterons au ciel. Le Samaritain de lEvangile, cest Jésus qui nous porte dans son Eglise, où se cicatrisent les blessures que le démon nous a faites sur le grand chemin du monde.
1. En suivant lordre, il nous faut expliquer, vous le savez, le psaume cent vingt-cinquième, qui compte parmi les psaumes intitulés cantiques des degrés, et qui est, vous le savez aussi, le chant de ceux qui sélèvent; et où sélèvent-ils, sinon à cette Jérusalem du ciel qui est notre mère à tous 1? Comme elle est du ciel, elle est éternelle. Quant à celle qui fut sur la terre, elle en était seulement limage. Aussi est-elle tombée, tandis que lautre subsiste. Lune a subsisté pendant quelle devait prophétiser lavenir, lautre possède léternité de notre réparation. Bannis pendant cette vie de cette cité bienheureuse, nous soupirons pour y retourner; le labeur et la misère seront pour nous jusquà ce que nous y soyons rentrés. Toutefois, les anges, nos concitoyens, ne nous ont point abandonnés dans cet exil, mais ils nous ont annoncé que notre roi viendrait à nous. Et il est venu et a dabord été méprisé par nous, puis avec nous. Il nous a enseigné à supporter ce quil a supporté, à souffrir comme il a souffert; il nous a promis de ressusciter comme il est ressuscité, nous montrant en lui.mênie ce quil nous fallait espérer. Si donc, mes frères, avant lavènement de Jésus-Christ en sa chair, avant sa mort, sa résurrection, son ascension
1. Gal. IV, 26.
au ciel, les Prophètes, qui sont nos aïeux, soupiraient après cette cité bienheureuse, quel doit être notre désir daller où il nous a précédés, et doù il ne sest jamais retiré? Pour venir à nous, en effet, le Christ na point abandonné les anges. Il est demeuré toujours avec eux, et néanmoins est venu à nous; il est demeuré avec eux dans sa majesté, il est venu à nous dans,sa chair. Mais, hélas! où étions-nous? Sil est appelé notre Rédempteur, nous étions captifs. Où donc étions-nous captifs, pour quil vînt nous racheter? Où étions-nous retenus? Chez les barbares? Le diable, avec ses anges, sont pires que les barbares. Cest en leur pouvoir quétait le genre humain; cest de leurs mains quil nous a rachetés, sans donner ni or, ni argent, mais son sang précieux. 2. Demandons à saint Paul comment lhomme était tombé dans cette captivité. Car il est un de ceux qui gémissent le plus dans cette captivité, qui soupirent après la Jérusalem éternelle, et il nous a enseigné à gémir par ce même esprit dont il était comblé quand il gémissait lui-même. « Toute créature gémit», nous dit-il, « jusquà présent, et souffre les douleurs de lenfantement ». Et encore : « La créature est assujétie à la vanité, non « pas volontairement, mais à cause de celui (52) qui ly a assujétie dans lespérance ». Il dit que toute créature soupire et gémit dans le travail, chez ces hommes qui ne croient point, et qui néanmoins doivent croire. Ne gémit-elle que dans ceux qui nont 1oint encore la foi? La créature ne gémit-elle plus, nendure-t-elle plus les douleurs de lenfantement dans ceux qui croient? « Et non seulement elle », dit saint Paul, « mais nous qui avons les prémices de lesprit » ; cest-à-dire, qui déjà servons Dieu en esprit, dont lâme a cru en Dieu, et qui, dans cette foi, avons donné à Dieu des prémices, afin que nous suivions ces prémices qui viennent de nous. « Nous donc, nous gémissons en nous-mêmes, attendant leffet de ladoption qui sera la rédemption de notre corps ». Saint Paul donc gémissait, et tous les fidèles gémissent, attendant la rédemption, la délivrance de leur corps. Où gémissent-ils? Dans cette vie mortelle. Quelle est la rédemption quils attendent? La rédemption de leur corps, qui a paru dabord en Notre-Seigneur quand il est ressuscité dentre les morts et monté aux cieux. Mais avant quelle nous soit appliquée, nous devons gémir, quelle que soit notre fidélité, quelle que soit notre espérance. Aussi lApôtre, après avoir dit que nous gémissons en nous-mêmes dans lattente de notre adoption, qui sera la rédemption de notre corps, prévoyant quon lui objecterait: De quoi nous sert le Christ, si nous gémissons encore, et comment ce Sauveur nous a-t-il sauve? car celui qui gémit est en souffrance; lApôtre, dis-je, ajoute aussitôt : « Cest par lespérance que nous sommes sauvés; or, lespérance qui est visible nest plus lespérance ; comment, en effet, espérer ce que lon voit? Si donc nous espérons ce que nous ne voyons point, nous lattendons par la patience 1». Voilà pourquoi nous gémissons, et comment nous gémissons, cest que nous ne possédons pas, tuais nous attendons lobjet de nos espérances, et jusqua ce que nous le possédions, nous soupirons en cette vie, parce que nous désirons ce que nous ne possédons point. Pourquoi ? Parce que « cest par lespérance que nous sommes sauvés ». Dès à présent, cette chair qui est la nôtre, et dont le Sauveur sest revêtu, est sauvée, non par lespérance, mais en réalité, puisquelle est ressuscitée, quelle est montée au ciel, déjà sauvée
1. Rom. VIII, 20-25.
dans notre chef, mais à sauver dans ses membres. Que les membres se réjouissent en sûreté, parce que le Chef ne les a point abandonnés. Car il a dit à ses membres qui souffrent: « Voilà que je suis avec vous jusquà la consommation des siècles 1». Cest ce qui nous a portés à nous tourner vers Dieu. Nous navions despérance que pour cette vie; de là notre esclavage, de là notre misère, et une double misère, puisque nayant despérance que dans cette vie, et nayant devant les yeux que le monde, nous tournons le dos à Dieu. Mais lorsque Dieu nous convertit, que nous commençons à jeter nos yeux sur lui, et à tourner le dos au monde, nous qui sommes encore ici-bas dans la voie, nous regardons néanmoins notre patrie, et quand il nous arrive quelque affliction, nous demeurons fermes dans la voie, nous attachant au bois qui nous porte. Le vent est violent sans doute, mais le vent est favorable ; il nest pas sans fatigue, mais il nous pousse avec rapidité, et nous arriverons plus tôt. Nous gémissons de notre captivité, et ils gémissent aussi, ceux qui ont embrassé la foi; mais parce que nous avons oublié de quelle manière nous sommes tombés dans lesclavage, et que lEcriture nous le rappelle, interrogeons lApôtre saint Paul lui-même : « Nous savons», dit-il, « que la loi est spirituelle, et moi je suis charnel et vendu au péché 2 ». Voilà notre captivité; Cest lassujétissement au péché. Qui nous a vendus? Nous mêmes, en nous laissant séduire. Nous avons bien im nous vendre, mais nous ne saurions nous racheter. Nous sommes vendus en consentant au péché, et nous sommes rachetés en croyant à la justice. Le sang innocent a été versé pour nous, afin de nous racheter. Quel sang a répandu lennemi, quand il a versé le sang des justes quil persécutait? Il est vrai que cétait le sang des justes, le sang des Prophètes, qui sont nos pères, le sang des justes encore dans les martyrs; tous néanmoins venaient de la tige empoisonnée du péché. Mais il a aussi répandu le sang dun seul, qui na pas été justifié, mais qui est né dans la justice, et ce sang répandu lui a fait perdre ceux quil tenait sous sa puissance. Ils ont été en effet délivrés, ceux pour qui ce sang a été versé, et délivrés de leur captivité, ils chantent le psaume que nous allons expliquer.
1. Matth. XXVIII, 20. 2. Rom. VII, 14.
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3. « Quand le Seigneur a délivré Sion de la captivité, nous avons été comme consolés 1». Nous avons été dans la joie, a voulu dire le Prophète. Quand nous est venue cette joie? Quand le Seigneur rappelait Sion de sa captivité. Quelle Sion? La céleste Jérusalem, léternelle Sion. Comment Sion est-elle éternelle, et comment Sion est-elle captive? Elle est éternelle du côté des anges, et captive du côté des hommes. Car tous les citoyens de cette cité ne sont point captifs; mais ceux-là sont captifs qui ers sont bannis. Lhomme fut citoyen de Jérusalem, mais une fois vendu au péché, il en fut banni. De lui sont venus tous les hommes, et la captivité de Sion a rempli toute la terre. Mais cette captivité de Sion, comment peut-elle être figurée par Jérusalem ? Comment peut-elle être figurée dans cette Sion que Dieu donna aux Juifs, qui demeura captive à Babylone, et dont le peuple, après soixante et dix années, retourna dans son pays 2? Septante années marquent le temps qui sécoule de sept jours. Or, quand le temps sera complètement écoulé, nous retournerons dans notre patrie, comme le peuple juif, après soixante et dix ans, revint de la captivité de Babylone. Car Babylone est ce bas monde, puisque Babylone signifie confusion. Voyez si toute la vie de lhomme nest point une con fusion. Lhomme ne rougit-il pas de ce quil a fait dans une si vaine espérance, quand il reconnaît la vanité de ses oeuvres? Pourquoi sou travail, et pour qui ? Pour mes enfants, répond-il. Et ces enfants ? Pour nos enfants, diront-ils encore. Et ces derniers? Encore pour nos enfants. Nul donc ne travaille pour soi-même. Cest de cette confusion quétaient délivrés ceux à qui lApôtre écrivait : « Quelle gloire avez-vous retirée de ces oeuvres qui maintenant vous font rougir 3 ? » Ainsi, toutes les affaires de la vie qui ne regardent point le Seigneur ne sont quune confusion. Cest dans cette confusion, dans cette Babylone que Sien est retenue captive. Mais « le Seigneur délivre Sion de sa captivité ». 4. « Et nous avons été comme ceux que lon console » ; cest-à-dire, nous avons tressailli de joie, comme ceux qui reçoivent une consolation. On ne console que les malheureux, on ne console que ceux qui gémissent et qui pleurent. Pourquoi sommes-nous « comme
1. Ps. CXXV, 1. 2. Jérém. XXIX, 10; I Esdras, 1. 3. Rom. V. ,21.
ceux que lon console» ,sinon parce que nous gémissons encore? Nous gémissons en réalité, nous sommes consolés en espérance : quand la réalité passera, le gémissement nous vaudra une joie éternelle, et alors nous naurons plus besoin de consolation, parce que nous ne souffrirons plus daucune misère. Pourquoi cette expression : « Comme ceux que lon console», et nest-il pas dit que nous sommes consolés? Cette expression : sicut, ou comme, ne marque pas toujours une comparaison. Quelquefois elle désigne une qualité, et quelquefois une comparaison : ici, elle désigne une qualité. Mais nous devons donner des exemples tirés du langage ordinaire, afin de nous faire mieux comprendre. Quand nous disons comme a vécu le père, ainsi a vécu le fils, nous faisons une comparaison ; et dire lhomme meurt comme lanimal, cest encore une comparaison. Mais dire : Il a agi comme un homme de bien, est-ce dire que cet homme nest pas un homme de bien, quil nen a que lapparence? Il a agi comme un homme juste; ce « comme », loin de nier la justice de cet homme, laffirme au contraire. Vous avez agi comme un magistrat; donc je ne suis pas magistrat, pourrait-on répondre. Au contraire, cest parce que vous êtes magistrat que vous avez agi en magistrat, parce que vous êtes juste que vous avez agi en homme juste, parce que vous êtes homme de bien que vous avez agi en homme de bien. Ceux-ci donc, parce quils étaient véritablement consolés, sabandonnent à la joie comme des hommes que lon a consolés; cest-à-dire que leur joie était grande comme la joie de ceux que lon console, Dieu qui est mort pour nous, versant des consolations dans ceux qui doivent mourir. Car la mort nous arrache à tous des gémissements; mais celui qui est mort nous a consolés pour nous délivrer de la crainte de la mort. Il est ressuscité le premier afin de fonder notre espérance. Nous espérons donc parce quil est ressuscité le premier, et. cette espérance nous console dans nos misères, de là notre allégresse. Et le Seigneur nous a délivrés de notre captivité, afin que nous reprenions le chemin du retour vers la patrie. Maintenant que nous sommes rachetés, ne craignons plus nos ennemis qui dressent des piéges sur notre chemin. Car le Christ nous a rachetés afin que lennemi nose plus nous tendre des embûches, si nous nabandonnons pas la voie; et (54) cest lui-même qui est notre voie. Veux-tu ne rien craindre des voleurs? Voilà, dit-il, que je tai ouvert la voie vers ta patrie, ne ten écarte point. Jai fortifié cette voie, afin que le voleur ne puisse ty attaquer. Ne ten écarte point, et le voleur nosera tassaillir. Marche donc dans le Christ, et chante les saintes joies, chante les saintes consolations; car il y a marché le premier, celui qui ta commandé de le suivre. 5. « Alors notre bouche a été remplie de joie et notre langue dallégresse 1 ». Comment, mes frères, la bouche de notre corps peut-elle être remplie de joie? on ny met ordinairement que de la nourriture, du breuvage, ou toute autre chose semblable. Quelquefois notre bouche est pleine, et pour tout dire à votre sainteté, quand notre bouche est pleine, alors nous ne saurions parler. Mais nous avons une bouche intérieure, ou dans notre coeur, et tout ce qui en sort, nous souille sil est mauvais, nous purifie sil est bon. Cest de cette bouche quil était question dans lEvangile quon vient de lire. Les Juifs reprochaient au Sauveur, que ses disciples ne lavaient point leurs mains avant de manger. ils faisaient des reproches, ces hommes qui avaient une pureté tout extérieure, et qui au dedans étaient pleins de souillures; ils faisaient des reproches, ces hommes qui navaient de justice que devant les hommes. Or, le Seigneur cherchait surtout notre pureté intérieure, qui rejaillit nécessairement sur lextérieure dès lors quelle existe : « Purifiez lintérieur », leur dit-il, « et ce qui est au dehors sera pur aussi 2 », Le Seigneur dit encore àun autre endroit: « Faites laumône, et tout sera pur en vous 3 ». Or, doù vient laumône? du coeur. Tendre la main nest rien, si le coeur nest touché. Mais si le coeur est touché de compassion, Dieu accepte notre aumône, quand même la main naurait rien à donner. Ces hommes diniquité ne sattachaient quà la pureté extérieure. Cest de ce nombre quétait ce pharisien qui avait invité Notre-Seigneur, quand une femme pécheresse, fameuse dans toute la ville, vint le trouver, arrosa ses pieds de ses larmes, les essuya de ses cheveux, et les oignit de parfums. Ce pharisien donc qui avait invité le Seigneur 4, qui navait quune pureté extérieure,
1. Ps. CXXV, 2. 2. Matth. XXIII, 26. 3. Luc, XI, 41. 4. Id. VII, 36.
et dont le coeur était plein de rapines et diniquités, dit en lui-même : « Si cet homme était le Prophète, il saurait quelle femme est à ses pieds 1 ». Comment pouvait-il savoir si le Sauveur connaissait cette femme, ou ne la connaissait point? Ce qui fit croire quil ne la connaissait point, cest quil ne la repoussa point. Quune telle femme se fût approchée de ce pharisien, qui navait en quelque sorte de pureté que dans la chair, il eût tressailli, il leût repoussée et chassée, de peur que cette femme impure ne le touchât, et ne souillât sa pureté. Et parce que Ïe Seigneur nen agit pas de la sorte, ce pharisien simagine quil ne sait point quelle femme est à ses pieds. Néanmoins le Seigneur la connaissait, mais il connaissait même ses pensées : et en effet, ô impur pharisien, sil y a dans le contact une puissance, est-ce la chair du Sauveur qui pouvait devenir impure au contact de cette femme, ou cette femme devenir pure au contact du Sauveur? Le médecin permettait à cette malade de toucher le remède, et cette femme qui venait connaissait le médecin, elle qui avait eu leffronterie de ses dérèglements, eut plus deffronterie encore pour son salut. Elle entre dans cette maison où elle nest pas invitée, mais elle avait des plaies, et venait où reposait le médecin. Celui qui avait invité le médecin se croyait en santé, et dès lors il nest point guéri. Vous savez ce que rapporte ensuite lEvangile, et comment le Sauveur confondit le pharisien, en lui montrant quil connaissait cette femme, et pénétrait ses pensées. 6. Mais revenons à ce passage de lEvangile quon vient de lire et qui se rapporte au verset que nous expliquons: « Notre bouche u a été remplie de joie, et notre langue dallégresse »; nous cherchons quelle est cette bouche, quelle est cette langue. Que votre charité veuille bien écouter. On reprochait au Sauveur que ses disciples mangeaient sans avoir lavé leurs mains. Le Sauveur fit une réponse péremptoire, et, appelant la foule « Ecoutez », leur dit-il, « et comprenez que ce nest point ce qui entre dans la bouche qui souille lhomme, mais bien ce qui en sort 2». Quest-ce à dire? Quand le Sauveur dit: « Ce qui entre dans la bouche »; il ne parle que de la bouche du corps. Cest par là quentre la nourriture, et la nourriture ne souille
1. Luc, VII, 39. 2. Matth. XV, II.
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point lhomme car « tout est pur pour les hommes purs 1» ; et « toute créature de Dieu est bonne, et il ne faut rien rejeter de ce que lon reçoit avec actions de grâces 2». Cétait une figure chez les Juifs, que cette impureté de certaines créatures 3. Mais quand la lumière est venue, les ombres disparaissent, nous ne sommes plus enchaînés par la lettre, mais vivifiés par lEsprit; et les chrétiens nont pas été assujétis au joug des observances légales qui pesaient sur les Juifs, puisque le Seigneur a dit: « Mon joug est doux, mon fardeau est léger 4 ». « Tout est pur pour ceux qui sont purs », dit encore lApôtre; « quant aux hommes impurs et aux infidèles, « pour eux rien nest pur, mais leur raison et leur conscience sont impures et souillées 5 ». Quentend par là saint Paul? Pour lhomme qui est pur, le pain et la chair de pourceau sont purs; mais pour lhomme qui ne lest point, ni le pain ni la chair de pourceau ne le sont non plus. « Rien nest pur pour lhomme impur et infidèle ». Pourquoi rien nest-il pur? « Cest que leur pensée et leur conscience sont souillées »; et si rien nest pur à lintérieur, rien ne saurait lêtre à lextérieur. Dès que rien ne saurait être pur au dehors pour les hommes dont lintérieur est impur, purifie en toi lintérieur, si tu veux que lextérieur soit pur. Là est cette bouche qui sera remplie de joie même pendant son silence. Car si tu es dans la joie même en silence, ta bouche crie vers le Seigneur. Mais examine doù vient la joie. Si elle te vient du monde, tu ne jetteras devant Dieu que les cris dune joie impure; si ta joie vient de la rédemption, ainsi quil est dit dans le psaume: « Quand le Seigneur a délivré Sion de la captivité, nous avons été comme ceux que lon a consolés », alors ta bouche est pleine de joie, et ta langue dallégresse ; ta joie est évidemment une joie despérance, une joie agréable à Dieu. Cest par cette joie, cest par cette bouche intérieure que notre coeur se nourrit et sabreuve : elle est pour lentretien du coeur, comme la bouche extérieure pour lentretien du corps. Cest de là en effet quil est dit : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce quils seront rassasiés 6 ». 7. Sil ny a pour nous souiller que ce qui
1. Tit. I, 15 . 2. I Tim. VI, 4. 3. Lévit. XI. 4. Matth. XI, 30. 5. Tit. I, 15. 6. Matth. V, 6.
sort de notre bouche, et si dans cette parole de lEvangile nous ne comprenons que la bouche de notre corps, il serait absurde néanmoins et ridicule de croire que lhomme ne saurait être souillé quand il mange, et quil le deviendrait par le vomissement. Le Seigneur dit en effet : « Ce nest point ce qui entre dans la bouche qui souille lhomme, mais ce qui en sort 1». Quoi donc ? Manger ne te souillera pas, et vomir te souillera ? Boire ne te souillera pas, et cracher te souillera? Cracher, cest en effet rejeter quelque chose de ta bouche, et boire cest y faire entrer quelque chose. Que veut dire cette parole du Seigneur : « Ce nest point ce qui entre dans la bouche qui souille lhomme, mais ce qui en sort? » Dans un autre Evangile, il continue en expliquant ce qui sort de la bouche : afin de te montrer quil ne parle plus de la bouche du corps, mais de la bouche du coeur. Il dit en effet: « Cest du coeur que sortent les pensées mauvaises, les fornications, les homicides, les blasphèmes: voilà ce qui souille lhomme ; mais manger sans sêtre lavé les mains, ne souille pas lhomme 2». Comment donc, mes frères, ces crimes peuvent-ils sortir de notre bouche, sinon parce quils sortent de notre coeur, comme le dit le Seigneur lui-même?Ce nest point quand nous en prononçons les noms quils nous souillent. Que nul ne dise: Cest quand nous parlons de ces péchés quils sortent de notre bouche, puisque de notre bouche sortent des sons etdes paroles, et quand nous disons ce qui est mauvais nous sommes impurs. Quun homme, sans parler, arrête sa pensée au mal, est-il donc pur, parce que rien nest sorti de la bouche de son corps ? Mais Dieu a déjà entendu ce qui sortait de la bouche de son coeur. Comprenez donc ceci, mes frères : Je prononce le mot larcin; mais pour avoir prononcé ce mot de larcin,le larcin ma-t-il souillé? Le mot est sorti de ma bouche, mais sans mavoir rendu impur. Un voleur se lève la nuit, sa bouche est silencieuse, mais laction le rend impur. Non-seulement il ne parle point de son crime, mais il affecte le plus grand silence, et il craint tellement que sa voix ne soit entendue, quil redoute jusquau bruit de ses pas : est-il donc pur dès lors quil garde un tel silence ? Je vais plus loin, mes frères. Le voilà qui est
1. Matth. XV, II. 2. Id. 19,20 ; Marc, VII, 5-23.
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encore dans son lit. il nen est point sorti pour commettre son vol ; il veille, il attend que les hommes soient endormis ; mais il parle déjà devant Dieu, il est déjà voleur, il est déjà impur ; son crime est déjà sorti de sa bouche intérieure. Quand est-ce, en effet, que le crime sort de la bouche ? Quand le dessein de le commettre est arrêté. Dès que tu as résolu de le faire, tu las dit, tu las fait. Si le vol nest pas accompli extérieurement, cest peut être que celui que tu voulais dépouiller ne méritait pas de perdre son bien. Il na rien perdu, et tu seras néanmoins traité comme un voleur. Tu as arrêté le dessein de tuer un homme; tu tas dit dans ton coeur, ta bouche intérieure a crié homicide cet homme vit encore, et tu seras châtié de ton homicide. Car on demandera ce que tu es devant Dieu, et non ce que tu parais aux yeux des hommes. 8. Nous voyons donc et nous devons comprendre, et bien retenir, que le coeur a sa bonche, que le cur a sa langue.Cestla bouche qui est remplie de joie ;cest par cette bouche intérieure que nous prions Dieu ,quand nos lèvres sont closes et la conscience ouverte. Le silence règne, et le coeur pousse des cris ; mais aux oreilles de qui? Non point de lhomme, mais de Dieu. Sois donc en assurance,il tentend celui qui te prend en pitié. Mus au contraire, quand nul homme nentendrait le mal sortir de ta bouche, dès quil en sort, ne sois plus en assurance, car il écoute celui qui peut te damner. Les juges diniquité nentendaient point Suzanne qui priait en silence. Lhomme nentendait point sa voix, mais son coeur poussait des cris vers Dieu 1. Et parce que sa voix ne sortait point des paroles de son coeur, na-t-elle point mérité dêtre écoutée de Dieu ? Il lécouta, sans doute, et nul homme nentendit sa prière. Donc, mes frères, voyez ce que nous avons dans la bouche intérieure. Prenez garde que, sans faire le mal au dehors, vous ne le disiez intérieurement. Lhomme ne fait au dehors que les actions quil a dites à lintérieur. Eloigne tout mal de la bouche de ton coeur, et tu seras innocent, la langue de ton corps sera innocente, et tes mains seront innocentes ; tes pieds aussi seront innocents, tes yeux innocents, tes oreilles innocentes, tous tes membres comiibattront pour la justice, parce quun maître juste sera en possession de ton coeur.
1. Dan. XIII, 35, etc.
9. « Alors on dira parmi les nations: Le Seigneur a manifesté sa gloire dans ce quil a fait en leur faveur. Le Seigneur a manifesté sa gloire, en agissant pour nous; il nous a comblés de joie 1 ». Voyez, mes frères, si ce nest point là ce que Sion chante aujourdhui parmi les peuples, dans lunivers entier: voyez si de toutes parts on ne vient point dans lEglise. Dans lunivers entier, on reçoit le prix de notre rançon, et lon répond : Amen. Ils chantent, parmi les nations, ces captifs de Jérusalem, ces enfants de Jérusalem qui doivent y retourner un jour, qui sont en exil et qui soupirent après la patrie. Que disent-ils? « Le Seigneur a manifesté sa gloire dans ce quil a fait pour nous, et nous sommes comblés de joie ». Ont-ils eux-mêmes agi en leur faveur ? Ils nont pu que se nuire, parce quils se sont vendus par le péché. Le Rédempteur est venu, et a fait en leur faveur de grandes choses : « Il a manifesté sa gloire dans ce quil a fait pour eux. Il a manifesté sa gloire dans ce quil a fait pour nous, et nous sommes comblés de joie ». 10. « Seigneur, ramenez-nous de notre captivité, comme le vent du Midi ramène le torrent ». Que votre charité écoute bien ces paroles. Déjà il est dit : « Quand le Seigneur délivrait Sion de la captivité » ; et ce langage est au passé. Mais les Prophètes se servent souvent du passé pour prédire lavenir. Car cétait au passé quil disait dans un autre psaume : « Ils ont percé mes mains et mes pieds, ils ont compté tous mes os ». Il ne dit point : Ils perceront mes pieds; ni : Ils compteront mes os; ni : Ils partageront mes vêtements ; il ne dit point : Ils tireront ma robe au sort; tout cela est pour lavenir, et le Prophète en parle comme dun passé. Car tout ce qui doit être, est, en Dieu, comme sil était accompli. Quand donc le Prophète nous dit : « Lorsque le Seigneur délivrait Sion de la captivité, nous avons été comme ceux que lon console ; alors notre bouche a été pleine de joie et notre langue dallégresse », il nous montre que sous la figure du passé il annonce lavenir, puisquil ajoute: « Alors on dira parmi les nations » . « On dira » est au futur. « Le Seigneur a manifesté sa gloire dans ce quil a fait pour nous: nous avons été comblés de joie». Quand on chantait ces cantiques, tout cela devait
1. Ps. CXXV, 3.
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arriver, et maintenant nous le voyons saccomplir. Le Prophète prie comme pour lavenir, lui qui, tout à lheure, annonçait lavenir sous la forme du passé : « Seigneur, mettez fin à notre captivité ». La captivité nétait donc point terminée encore, puisque le Rédempteur nétait point encore arrivé. Cette prière que lon faisait à Dieu quand on chantait ces psaumes est donc maintenant accomplie : « Seigneur, ramenez-nous de notre captivité, comme le vent du Midi ramène le torrent». De même que le vent du Midi fait couler les torrents, faites cesser notre captivité. Vous cherchez ce que cela signifie, vous le saurez bientôt, avec le secours de Dieu et par vos prières. Dans un endroit de lEcriture, qui nous conseille et nous commande les bonnes oeuvres, il est dit: « Vos péchés seront dissous, comme la glace sous un ciel serein 1». Donc nos péchés nous resserraient. Comment? Comme la glace resserre leau et lempêche de couler. Le froid de nos péchés nous a gelés sous ses étreintes. Mais le vent du Midi est très-chaud : quand il souffle, il dissout les glaces, et les torrents se remplissent. On appelle torrents ces fleuves de lhiver grossis tout à coup par les eaux et qui coulent avec fracas. La captivité nous avait donc gelés, nos péchés nous tenaient enchaînés ; mais le vent du Midi ou lEsprit-Saint a soufflé ; nos péchés nous ont été remis et nous avons été dégagés du froid de liniquité, nos péchés ont fondu comme la glace au vent du Midi. Courons donc vers notre patrie comme les torrents au souffle du midi. Le bien nous a valu des tribulations, il nous en amène encore. Car la vie humaine, dans laquelle nous sommes entrés, est un tissu de misères, de travaux, de douleurs, de périls, dafflictions, de tentations. Ne vous laissez point séduire par les vaines joies du monde, et voyez dans les choses dici-bas ce quil faut pleurer. Lenfant qui vient de naître pouvait rire tout dabord; pourquoi commence-t-il sa vie en pleurant ? Pourquoi sait-il déjà pleurer, quand il ne sait point rire encore ? Cest parce quil est entré dans cette vie. Sil est au nombre de nos captifs, il gémit, il pleure ; mais la joie viendra un jour. 11. Car, notre psaume la dit : « Ceux qui sèment dans les larmes moissonneront dans la joie 2». Semons en cette vie qui est pleine de larmes. Que sèmerons-nous ? Des bonnes
1. Eccl, III, 17. 2. Ps. CXXV, 5.
oeuvres. Les oeuvres de miséricorde, voilà ce que nous semons, et à ce propos saint Paul vous dit : « Ne nous lassons pas de faire le bien, si nous ne perdons pas courage, nous moissonnerons dans le temps. Cest pourquoi pendant que nous en avons le temps, faisons du bien à tous, mais principalement aux serviteurs de la foi 1». Et que dit-il en parlant de laumône? « Or, je vous le dis : Celui qui sème peu, moissonne peu 2 ». Donc celui qui sème beaucoup, moissonnera beaucoup: « Celui qui sème peu, moissonnera peu » ; et celui qui ne sème peu, ne moissonnera rien. Pourquoi convoiter de vastes campagnes pour y semer beaucoup de grain? Vous ne sauriez trouver, pour jeter vos semences, un plus vaste champ que le Christ qui a voulu quon semât en lui. Votre terre est lEglise, semez-y autant que vous pourrez. Mais tu nas que peu à semer, diras-tu. As- tu du moins la volonté? Comme, sans elle, tout ce que tu pourrais avoir ne serait rien; de nième, avec elle, ne tafflige pas de ne rien avoir. Que sèmes-tu en effet? La miséricorde. Que moissonneras-tu? La paix. Or, les anges ont-ils dit: Paix sur la terre aux hommes riches ; et nest-ce point: « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté 3?» Zachée avait beaucoup de volonté, une grande charité. Il reçut chez lui le Seigneur, le reçut avec joie, promit de donner aux pauvres la moitié de son bien, et de rendre au quadruple ce quil pouvait avoir pris 4 ; afin de te montrer que sil retenait la moitié de son bien, cétait moins pour le plaisir de le posséder, que pour avoir de quoi restituer. Cest là une grande volonté, cest là donner beaucoup, semer beaucoup. Mais cette veuve qui ne donna que deux petites pièces, aurait-elle donc peu semé ? Autant que Zachée. Ses biens étaient moindres, sa volonté était égale 5. Elle donna deux pièces de monnaie avec autant de bonne volonté, que Zachée la moitié de ses biens. A considérer le don, il est différent; mais à considérer la volonté, elle est semblable. La femme donna ce quelle avait, comme Zachée donna ce quil avait. 12. Supposons un homme qui nait pas même les deux pièces de cette veuve ; y a-t-il quelque chose de moindre prix que nous puissions semer pour recueillir une telle moisson? Oui. « Quiconque aura donné à
1. Gal. VI, 8 -10. 2. II Cor. IX, 6. 3. Luc, II, 14. 4. Id. XIX, 6-8. 5. Id. XXI, 1-4.
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mon disciple un verre deau froide, ne u perdra point sa récompense 1 ». Un verre deau froide ne coûte pas deux pièces de monnaie, on le donne pour rien ; et toutefois, quoiquil ne coûte rien, tel homme peut lavoir, tel autre non ; si donc celui qui la le donne à celui qui ne la point, il donne autant, si le don quil fait vient dune charité parfaite ; il donne autant que cette femme avec ses pièces de monnaie, que Zachée avec la moitié de ses biens. Car, ce nest point sans sujet que le Fils de Dieu ajoute le mot froide, afin de montrer quelle vient du pauvre. Il a dit «un verre deau froide », afin que nul ne pût sexcuser en disant quil na point de bois pour la chauffer. « Quiconque donnera à mes disciples un verre deau froide, ne perdra point sa récompense ». Mais sil na pas même ce verre deau? Quil soit hors de crainte quand il ne la pas même : « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté » ; quil craigne seulement de pouvoir faire le bien, et de ne point le faire. Car sil peut, sans le faire, il est gelé intérieurement: ses péchés ne sont point dissous, comme la glace du torrent au souffle du midi, son coeur est demeuré froid. Que valent ces grands biens que nous possédons ? Voilà un homme au coeur fervent, qua fondu la chaleur du midi; et neût-il rien, Dieu lui tient compte de tout. Voyez les services que se rendent les mendiants. Que votre charité comprenne comment on fait laumône. Cest aux mendiants sans doute que tu fais laumône, ce sont les mendiants qui ont faim. Vous jetez donc les yeux sur vos frères, vous voyez leurs besoins, et si le Christ est en vous, vous secourez même les étrangers. Mais ces pauvres mêmes dont le métier est de mendier, ont dans leur misère de quoi se secourir mutuellement. Dieu leur a donné le moyen de montrer sils aiment à donner laumône. Celui-ci ne saurait marcher, celui-là qui le peut, prête au boiteux le secours de ses pieds; celui qui voit prête ses yeux à laveugle; celui qui est jeune et vigoureux prête ses forces au vieillard, au malade, il le porte: lun donc est pauvre, et lautre est riche à son égard. 13. Il arrive quelquefois que le riche soit pauvre, et que le pauvre lui rende service. Voilà, près dun fleuve, un homme aussi frêle quil est riche, il ne saurait le traverser; en
1. Matth. X, 42 ; Marc, IX, 40.
découvrant ses membres, il se refroidirait, deviendrait malade, et mourrait; il arrive là un pauvre plus robuste de corps, qui porte le riche sur lautre rive, et qui fait ainsi laumône au riche. Donc ne regardez point comme pauvre ceux-là seulement qui nont point dargent. Voyez en quoi chaque homme est pauvre, car vous êtes riches peut-être dans ce qui lui manque, et vous avez de quoi lassister. Lui prêter le secours de tes membres, cest plus peut-être que lui prêter de largent. Il a besoin de conseils, et tu es homme de bons conseils; sous ce rapport il est pauvre et tu es riche. Voilà que sans fatigue, sans perte aucune, tu donnes un simple conseil et tu fais laumône. Maintenant, mes frères, que nous vous parlons, vous êtes comme des pauvres pour nous, et nous vous assignons une part dans les dons quil a plu à Dieu de nous faire. Car nous recevons tous de lui,qui seul est souverainement riche. Ainsi donc se maintient le corps du Christ ; les membres sont unis entre eux et rattachés par les liens de la charité et de la paix, chacun dans ce quil possède fait une part à celui qui na rien ; il est riche dans celui qui possède. et pauvre dans celui qui ne possède point. Aimez-vous ainsi, mes frères, ayez une mutuelle charité. Ne soyez pas uniquement occupés de vous-mêmes, voyez autour de vous ceux qui ont besoin. Ne vous laissez point décourager par ce quil y a de pénible et de fatigant dans ces aumônes. Vous semez dans les larmes, vous moissonnerez dans la joie. Eh quoi! mes frères. Quand le laboureur sen va, portant derrière sa charrue le grain quil veut semer, nest-il pas souvent accueilli par un vent trop froid, ou détourné par la pluie? Il regarde le ciel, il le voit sombre, il tremble de froid, et pourtant il marche, il sème. Il craint quen sarrêtant à un ciel trop sombre, pour attendre un jour plus beau, il ne perde loccasion de semer, et ne trouve rien à moissonner. Ne différez donc point, mes frères, semez pendant lhiver, semez des bonnes oeuvres, même dans les larmes ; car « ceux qui sèment dans les larmes, moissonneront dans la joie ». Ils jettent en terre leur semence, leur bonne volonté et leurs bonnes oeuvres. 14. « Ils allaient et pleuraient en répandant leurs semences 1». Parce quils étaient parmi
1. Ps. CXXV, 6.
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les malheureux, et malheureux eux-mêmes. Quil ny eût plus de misérables, voilà ce qui vaudrait encore mieux que vos miséricordes. Souhaiter quil y ait des misérables afin de les soulager, cest une miséricorde cruelle. Cela reviendrait au médecin qui voudrait voir beaucoup de malades afin dexercer son art, et alors art bien cruel ! La santé pour tous est bien préférable à lexercice de lart médical. Que tous règnent dans la céleste patrie, voilà ce quil faut désirer plutôt que de rencontrer des malheureux à qui nous fassions miséricorde. Et toutefois, tant quil est des hommes à qui nous pouvons faire du bien, ne nous lassons pas de semer dans les peines. Bien que nous semions dans les larmes, nous moissonnerons dans la joie. Car à la résurrection des morts, chacun recueillera ses gerbes, cest-à-dire le fruit des semences quil aura répandues, la couronne de la joie et de lallégresse. Alors, nous triompherons dans notre joie, et nous insulterons à la mort qui nous arrachait des gémissements. Alors nous dirons à la mort: « O mort, où est ta victoire? ô mort, où est ton aiguillon 1? » Mais doù viendra cette joie? Cest qu « alors nous porterons nos gerbes ». Car « ils allaient et pleuraient en répandant leurs semence ». Pourquoi « répandant leurs semences ? » Parce que « ceux qui sèment dans les larmes, moissonneront dans la joie». 15. Que le fruit de cette exhortation, mes frères, soit de vous exciter à la miséricorde, car cest elle qui nous élève à Dieu. Et vous voyez quil sélève, celui qui chante le cantique des degrés. Souvenez-vous-en, mes frères. Naimez point à descendre au lieu de monter, mais songez toujours à vous élever; car lhomme qui descendait de Jérusalem à Jéricho tomba entre les mains des voleurs 2. Sil ne fût descendu, les voleurs ne leussent
1. I Cor. XV, 55. 2. Luc, X, 30.
point rencontré. Adam déjà était descendu et tombé aui mains des voleurs, et nous sommes tous en Adam. Mais le prêtre passa, et le vit avec indifférence, le lévite passa et fut aussi indifférent, car la loi ne pouvait guérir. Un samaritain vint à passer, ou Jésus-Christ Notre-Seigneur; car cest à lui que lon disait : « Navons-nous pas raison de dire que vous êtes un samaritain et un possédé du démon? » Pour lui, il ne dit point : Je ne suis pas un samaritain; il dit seulement: « Je ne suis point possédé du démon 1 ». Samaritain signifie en effet gardien. Si donc il eût répondu : Je ne suis pas samaritain, il eût dit: Je ne suis pas gardien; et dès lors quel autre nous garderait? Achevant alors sa parabole : « Un samaritain passa », dit le Sauveur, « et lui fit miséricorde 2 » ; vous savez le reste. Cet homme était donc blessé sur le grand chemin parce quil était descendu; et le samaritain qui passait ne nous méprisa point en lui : il prit soin de nous, il nous mit sur son cheval, ou sur sa chair; il nous conduisit àla grande hôtellerie de son Eglise ; il nous recommanda à lhôtelier, ou à son apôtre; il donna deux deniers pour nous soigner, cest-à-dire le double précepte de la charité, de Dieu et du prochain; et « ce double précepte renferme la loi et les Prophètes 3». Or, il dit au maître de lhôtellerie : « Ce que vous dépenserez en plus, je vous le remettrai à mon retour 4 ». En effet, lApôtre a dépensé davantage. Car tous les Apôtres avaient le droit, comme soldats du Christ, de recevoir une solde des fournisseurs du Christ, et celui-ci a travaillé de ses mains, et fait don de sa solde aux fournisseurs 5. Tout cela sest fait ainsi; si nous avons été blessés parce que nous sommes descendus, montons aujourdhui, chantons notre triomphe, et avançons afin darriver un jour.
1. Jean, VIII, 48, 49. 2. Luc, X, 33. 3. Matth. XXIX, 37- 40. 4. Luc, X, 30-37. 5. I Cor. IV, 12; I Thess. II, 7, 9; II Thess. III, 8,9.
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