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DISCOURS SUR LE PSAUME CXXI.SERMON AU PEUPLE.LEXTASE DE LAMOUR.
Lamour terrestre nous abaisse, lamour nous élève dès quil vient du ciel. Il sélève du milieu des scandales, du mélange des bons et des méchants, et sélève à la Jérusalem den haut, où nous appellent ceux qui nous ont devancés. Figurons-nous que nous y sommes déjà, et que nous nous y tenons affermis dans la vérilé, mais non affermis par nous-mêmes, comme lorgueil pourrait le suggérer. Cette ville nest point la Jérusalem terrestre quon ne bâtissait plus quand David chantait ainsi, mais celle qui a les saints pour pierres vivantes et le Christ pour fondement ; non celle que lon devait rebâtir plus tard, celle-là était mie ville, celle-ci est comme une ville, et ceux qui la composent ont lunité. Dieu seul est Un sans variation, il Est. Mais le Christ qui Est, puisquil est Dieu, a voulu devenir Fils dAbraham, afin de nous faire participer à son être invariable, en nous délivrant des instabilités de cette vie, instabilité du coeur, des corps célestes, de lâme occupée des pensées diverses. Pour avoir voulu être ferme par lui-même, lange est tombé; après lui Adam. Dans la cité du ciel sont montées les tribus dIsraël ou du voyant Dieu. Il y avait en elles mélange de bons et de méchants ; ceux-là sont montés qui étaient sans déguisement ou sans orgueil, car lorgueil veut paraître ce quil nest point. Ces tribus montaient donc et confessaient le Seigneur ; lorgueilleux ne confesse rien. Là sont assis les Trônes ; ils sont les trônes de Dieu, et sont assis pour juger et discerner ceux qui auront fait miséricorde, qui auront acheté des amis avec la monnaie de liniquité ; ceux-là seront à droite, les autres à gauche. De là cette force de la charité qui nons fait aimer la perfection chez les autres, acheter la paix dj,ciel au prix des biens terrestres, qui détruit ce que nous sommes pour nous faire devenir ce que nous ne sommes pas encore, qui se fait tout à tous pour plaire à Jésus-Christ, qui prêche le ciel par amour pour nos frères.
1. De même que lamour impur embrase lâme, la Porte à désirer ces biens terrestres et périssables qui doivent la faire périr à son tour, lentraîne dans les bas-fonds, la plonge dans labîme ; ainsi lamour chaste lélève au ciel, lembrase du désir des biens éternels, la stimule vers ces biens qui ne doivent ni passer, ni périr, et du fond de labîme la soulève jusquau ciel. Tout amour a son aiguillon; pot ut de repos pour lui; dans lâme de lamant, il faut quil entraîne. Veux-tu connaître la force de lamour? Vois où il nous conduit. Je ne vous exhorte donc point à ne rien aimer, seulement à naimer point le monde, afiti daimer plus librement Celui qui a fait le monde. Une âme liée par un amour terrestre a comme une glu sur les ailes, et ne saurait voler. Une fois purifiée des affections grossières de ce monde, elle commence à dégager de toute entrave ses plumes et ses ailes, cest-à-dire à voler par le double précepte de lamour de Dieu et de lamour du prochain 1. Mais où se dirige son vol cependant, sinon vers Dieu, puisquelle sélève par lamour ?
1. Matth. XXII, 40.
Or, avant dy arriver, elle gémit sur la terre, si elle a déjà le désir de voler; elle sécrie: « Qui me donnera des ailes comme à la colombe, et je volerai et me reposerai 1 ? » Doù prendra-t-il son vol, sinon du milieu des scandales où gémissait aussi le Prophète à qui jai emprunté ces paroles ? Cest donc du milieu des scandales, cest du mélange des bons avec les méchants, cest de la confusion de la paille avec le bon grain quil veut prendre son vol, pour aller où il naura plus à souffrir du mélange et de la société des méchants, mais où il vivra dans le saint commerce des Anges, citoyens de la Jérusalem éternelle. 2. Ce psaume que nous entreprenons de vous expliquer aujourdhui, ou plutôt celui qui parle et qui monte en ce psaume, aspire àla Jérusalem céleste. Cest en effet un cantique des degrés; et, comme je vous lai dit souvent, ces degrés ne sont point faits pour descendre, mais pour monter. Linterlocuteur veut donc monter; et où veut-il monter, si ce nest au ciel? Quest-ce à dire, au ciel? Veutil monter pour être au ciel avec le soleil, la
1. Ps. LIV, 7.
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lune et les étoiles? Loin de là. Mais il est au ciel une Jérusalem éternelle, où sont les anges nos concitoyens: cest à légard de ces concitoyens que nous sommes étrangers sur la terre. Dans cet exil nous soupirons; dans la patrie nous aurons la joie. Or, dans cet exil nous rencontrons parfois des compagnons qui ont vu la cité sainte, et qui nous convient ày courir. Cest avec eux que se réjouit notre interlocuteur, qui sécrie : « Jai tressailli de cette parole qui ma été dite: Nous irons dans la maison du Seigneur 1 ». Que votre charité, mes frères, se rappelle ce qui arrive quand on parle dune fête des martyrs, et dun sanctuaire où la foule se rassemble à jour fixe, pour célébrer cette solennité; ces foules sencouragent, sexcitent mutuellement : allons, disent-elles, allons ! Et où irons-nous, disent les uns?A tel endroit, répondent les autres, à tel sanctuaire. Ils se stimulent, prennent feu, peu à peu, ne forment quune seule flamme, et cette flamme unique, allumée par les ardentes paroles de chacun, les enlève au sanctuaire désigné, où de saintes occupations les sanctifient. Si donc lamour sacré peut nous jeter ainsi dans un lieu de la terre quel doit être lamour qui porte au ciel ceux qui nont quu ri même coeur, et qui se disent: « Nous irons dans la maison du Seigneur? » Courons alors, mes frères, courons, nous irons dans la maison du Seigneur. Courons, ne nous lassons point; car nous arriverons où il ny a plus de lassitude. Courons dans la maison du Seigneur, que notre âme se réjouisse avec ceux qui nous tiennent ce langage. Car, ceux qui nous tiennent ce langage, ont vu les premiers cette patrie, et ils crient à ceux qui les suivent : « Nous irons dans la maison du Seigneur » : Courez, hâtez-vous. Les Apôtres lont vue, et nous crient : Marchez, courez, suivez-nous, «nous irons dans la maison du Seigneur ». Et que répond chacun de « nous? Jai tressailli des paroles que lon ma dites, nous irons dans la maison du Seigneur ». Jai tressailli avec les Prophètes, jai tressailli avec les Apôtres. Car tous nous ont dit: « Nous irons dans la maison du Seigneur ». 3. « Nos pieds étaient fermes dans les parvis de Jérusalem 2 ». Tu vois maintenant quelle est la maison du Seigneur, si tu étais en peine de le savoir. Cest dans celte maison
1. Ps. CXXI, 1. 2. Ps. CXXI, 2.
du Seigneur quon bénit larchitecte de ce palais. Lui-même fait les délices de ceux qui habitent ce palais, lui-même est leur seule espérance, leur bien suprême. De quoi, dès lors, doivent occuper leurs pensées ceux qui courent ici-bas, sinon se figurer quils y sont déjà, quils y sont affermis? Car cest beaucoup que se tenir avec les anges, sans éprouver de défaillance. Celui qui en est tombé ne sest point tenu ferme dans la vérité. Tous ceux qui nen sont point tombés demeurent fermes dans la vérité 1 ; et celui-là tient ferme qui jouit de Dieu; mais quiconque veut jouir de lui-même tombera. Quel est celui qui veut jouir de lui-même? Lorgueilleux. Aussi, celui qui voulait toujours être ferme dans les parvis de Jérusalem a-t-il dit : « Cest en votre lumière que nous verrons la lumière 2 », et non point dans la nôtre. Et encore : « Cest en vous», non pas en moi, « quest la source de la vie ». Qua-t-il ajouté? « Que le pied de lorgueil ne vienne point à moi, et que la main des pécheurs ne mébranle pas ». Cest ainsi que sont tombés tous ceux qui commettent liniquité; ils sont bannis, ils nont pu demeurer fermes. Si donc ils nont pu demeurer fermes, à cause de leur orgueil, élève-toi humblement, afin de dire : « Nos pieds étaient fermes dans les parvis de Jérusalem ». Réfléchis à létat où tu seras un jour dans cette bienheureuse ville, et bien que tu sois encore en chemin, figure-toi que tu y es arrivé, associe-toi à linaltérable joie des auges, qui accomplira en toi cette parole « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous béniront dans les siècles des siècles 3 ». Nos pieds étaient fermes dans les parvis de Jérusalem. De quelle Jérusalem? car on donne ce nom à une ville de la terre, qui est la figure de la Jérusalem du ciel. Quel avantage de se tenir ferme dans cette Jérusalem qui na pu se tenir elle-même, qui est tombée en ruine ? Est-ce donc cet avantage que chanterait lEsprit-Saint avec ce coeur enflammé damour et qui sécrie: « Nos pieds étaient fermes dans les parvis de Jérusalem ? » Nest-ce point à cette Jérusalem de la terre que le Seigneur disait: « Jérusalem, Jérusalem, qui tues les Prophètes et lapides ceux qui sont envoyés vers toi 5? » Quel si grand avantage aurait désiré le Prophète, sil
1. Jean, VIII, 44. 2. Ps. XXXV, 10. 3. Id. 12. 4. Id. LXXXIII, 5. 5. Math. XXIII, 37.
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eût voulu demeurer ferme parmi ceux qui tuaient les Prophètes et lapidaient ceux qui leur étaient envoyés ? A Dieu ne plaise quil sarrête à la pensée de cette Jérusalem, ce coeur si ardent, si brûlant damour. si impatient darriver à cette Jérusalem qui est notre mère, et dont lApôtre a dit quelle subsiste éternellement dans le ciel 1! 4. Ecoute enfin, au lieu de men croire; écoute ce qui suit, et sur quelle Jérusalem il appelle nos pensées. Après avoir dit : « Nos pieds étaient fermes dans les parvis de Jérusalem »; comme si nous lui demandions: De quelle Jérusalem nous parlez-vous, sur quelle Jérusalem appelez-vous notre attention ? le Prophète ajoute aussitôt : « Cette Jérusalem que lon bâtit comme une cité ». Mes frères, lorsque David parlait ainsi, Jérusalem était construite, on ne la bâtissait point. Il parle donc de je ne sais quelle autre ville, que lon bâtit maintenant, et où courent avec foi ces pierres vivantes dont saint Pierre a dit: « Et vous-mêmes, soyez établis comme des pierres vivantes, pour former un édifice selon lesprit 2»; cest-à-dire le temple saint de Dieu. Que veut lire : « Soyez construits comme des pierres vivantes ? » Tu vis, si tu as la foi. Et si tu as la foi, tu deviens le temple de Dieu, car saint Pan! a dit « Vous êtes le tem ple de Dieu, oui vous êtes ce temple 3». Cette ville donc se bâtit maintenant. La main de ceux qui prêchent la vérité tire les pierres des montagnes, et les taille pour les faire entrer dans léternelle construction. Le divin architecte a dans les mains beaucoup de pierres encore; quelles ne tombent point, afin quelles puissent être taillées et entrer dansla construction. Telle est donc « la Jérusalem que lon bâtit comme une cité»,et dont le fondement est le Christ. « Personne », dit lApôtre, « ne saurait en poser dautre que celui qui a été posé, et ce fondement cest le Christ 4 ». Quand on pose un fondement dans la terre, les pierres se construisent par dessus, en sorte que le poids des murailles tend vers le bas, parce que cest en bas quest placé le fondement. Mais si notre fondement qst dans le ciel, cest vers le ciel que doit sélever notre édifice. Des forces corporelles ont élevé jadis cette construction, les murailles de cette vaste basilique ; et parce quelles sont terrestres,
1. Gal. IV, 26; II Cor. V, 1. 2. I Pierre, II, 5. 3. I Cor. III, 17. 4. Id. 11.
elles ont placé les fondements en bas; mais, pour notre édifice, comme il est spirituel, le fondement est placé en haut. Cest là quil nous faut courir, si nous voulons entrer dans lédifice ; cest en effet de cette Jérusalem quil est dit : « Nos pieds demeuraient fermes dans les parvis de Jérusalem ». De quelle Jérusalem ? De la Jérusalem que lon bâtit comme une ville. Cest trop peu nous désigner cette Jérusalem, que nous direquon la bâtit comme une ville, car on peut lentendre encore dun édifice matériel. Mais enfin, que répondre à lhomme qui nous dirait : Il est vrai quau temps de David, lorsquil chantait ainsi, la ville était complètement bâtie; mais David voyait en esprit quelle tomberait en ruine, et quon la bâtirait de nouveau. Jérusalem, en effet, fut emportée dassaut, et son peuple fut emmené captit à Babylone, ce que lEcriture appelle la transmigration de Babylone. Or, le prophète Jérémie avait prédit que cette ville, détruite par ses ennemis, pourrait être rebâtie 1. Cest là peut-être, nous dira-t-on, ce que David voyait en esprit, Jérusalem détruite par ses ennemis, et devant se reconstruire soixante-dix ans plus tard ; de là cette expression: « Jérusalem que lon bâtit comme une ville » : gardons-nous de croire alors que la ville, dont il est ici question, soit cette ville dont les saints seraient comme les pierres vivantes. Que dit-il ensuite, pour lever tous nos doutes? « Nos pieds », dit-il, « se tenaient affermis dans les parvis de Jérusalem ». Mais de quelle Jérusalem est-il question ?, Est-ce de cette Jérusalem que nous voyons et dont les murs sont matériels? Non ; mais de la Jérusalem «que lon construit comme une ville». Pourquoi «comme une ville», et non pas « cette ville que lon bâtit? » Pourquoi, sinon parce que cette construction de murailles, qui formait la Jérusalem visible, était une ville dans le langage de chacun; tandis que lautre était « comme une ville», parce que ceux qui font partie de sa construction, en sont « comme les pierres vivantes », et non des pierres en réalité. De même que ceux-ci ressemblent aux pierres, sans être des pierres, de même, cest «comme une ville», et non pas une ville quils bâtissent. Le Prophète emploie le mot édifier, doù vient édifice, qui sentend de la construction et de la liaison des murailles matérielles, tandis quune ville se prend, à proprement
1. Jérém. XXIX, 4, 10.
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parler, des hommes qui lhabitent. Mais lemploi du mot « édifier » ou construire, nous montre quil appelle cité une véritable ville. Et comme lédifice spirituel a quelque ressemblance avec lédifice matériel, voilà que le Prophète nous dit: « Il se construit comme une ville». 5. Mais que le Prophète continue et nous montre sans aucun doute, quil ne faut pas entendre dune ville matérielle ces paroles « Jérusalem se construit comme une ville, dont tous les habitants sont dans lunité ». Ici, mes frères, jexhorte quiconque a de la vivacité dans lesprit, quiconque se débarrasse des ténèbres de la chair, quiconque purifie loeil de son coeur, à considérer attentivement cette unité, idipsum. Quest-ce à dire lunité? Comment lexprimer, sinon par lunité? Comprenez, mes frères, lunité, si vous le pouvez. Tout ce que je dirais autre chose ne serait point cette unité. Essayons, néanmoins, par quelques expressions qui en approchent, de conduire nos faibles esprits à la pensée de cette unité, idipsum. Quest-ce à dire: Idipsum? Ce qui est toujours de la même manière, qui nest point aujourdhui une chose, et demain une autre chose. Quest-ce donc qui est un, sinon ce qui est? Quest-ce ce qui est? Ce qui est éternel. Car ce qui est tantôt dune manière et tantôt dune autre, ne subsiste pas, puisquil ne demeure pas. On ne saurait dire quil nest point du tout, mais il nest pas souverainement. Et quest-ce qui est, sinon Celui qui disait à Moïse en lenvoyant : « Je suis celui qui suis 1 ? » Et quel est celui-là, sinon Celui qui ne voulut point donner une autre réponse que celle-ci : « Je « suis celui qui suis o, quand son serviteur lui disait: « Voilà que vous menvoyez, et si votre peuple vient à me dire: Qui ta envoyé? que répondrai-je? » Puis il ajouta aussitôt: « Tu diras donc aux enfants dIsraël : Celui « qui est ma envoyé vers vous ». Voilà lunité, Idipsum. « Je suis celui qui suis: Celui « qui est ma envoyé vers vous ». Mais tu ne saurais le comprendre, cela est trop élevé pour toi, cest insaisissable. Retiens alors ce que sest fait pour toi Celui que tu ne saurais comprendre; retiens cette chair du Christ qui ta soulevé dans ta faiblesse, afin de te conduire à lhôtellerie 2, et de te guérir de tes blessures, toi que les voleurs avaient laissé à demi-
1. Exod. III, 14. 2. Luc, X, 30, 34.
mort. Courons donc à la maison du Seigneur, arrivons à cette ville où nos pieds se tiendront affermis, à cette Jérusalem « qui se construit comme une ville, et qui maintient dans lunité ceux qui lhabitent». Que dois-tu retenir, en effet ? Ce que le Christ sest fait pour toi ; car cest là le Christ; et lon peut dire que cette parole: « Je suis celui qui suis ».est aussi du Christ, en tant quil est Dieu, et quil na point cru quil y eût usurpation de ségaler à Dieu 1 ; cest là quest lunité. Mais pour te faire participer toi-même à cette unité, il a voulu le premier avoir part à ce que tu es. Et le Verbe sest fait chair, afin que la chair eût sa part au Verbe. Mais comme le Verbe ne sest fait chair pour habiter parmi nous 2 quen devenant fils dAbraham ; comme Dieu avait promis à Abraham, à Isaac et à Jacob que dans leur postérité seraient bénies toutes les nations 3, et quen vertu de ces paroles nous voyons lEglise répandue par toute la terre, Dieu parle ainsi à des faibles. En disant « Je suis celui qui suis n, il demandait des coeurs fermes. Oui, il voulait des coeurs fermes, et une haute contemplation, quand il disait: « Celui qui est ma envoyé vers vous». Mais si tu nas peut-être point le regard assez sûr, bannis tout découragement et tout désespoir. Celui qui est a voulu être un homme semblable à toi ; et cest pour cela quil dit à Moïse effrayé dentendre son nom:quel nom? Celui qui est. Voilà, dis-je, pourquoi le Seigneur dit à Moïse : « Je suis le Dieu dAbraham, le Dieu dIsaac, le Dieu de Jacob, cest là mon nom pour léternité 4 ». Ne te décourage point parce que je tai dit: « Je suis celui qui suis » ; et encore: « Celui qui est ma envoyé vers vous » : cest que maintenant tu es poussé deçà et delà, et que linconstance, la mobilité des choses dici-bas tempêchent de voir lunité. Voilà que je descends, puisque tu ne saurais monter. « Je suis le Dieu dAbraham, le Dieu dIsaac, le Dieu de Jacob ». Fils dAbraham, espère, afin de pouvoir te fortifier et voir celui de la race dAbraham qui vient à toi. 6. Voilà donc cette unité toujours la même, et dont il est dit: « Vous les changerez et ils seront changés; mais pour vous, vous êtes éternellement le même, et vos années ne finiront point ».Voilà cet idipsum, toujours
1. Philipp. II, 6 2. Jean , I, 14. 3. Gen. XXII, 18. 4. Exod. III, 13 -15. 5. Ps. CI, 27, 28.
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le même, dont les années ne finront point. Hélas ! mes frères, nos années sont-elles constantes, et ne sen vont-elles pas chaque jour? Celles du passé ne sont plus, celles de lavenir ne sont pas encore; les unes sont écoulées, et les autres ne viendront que pour sécouler encore. Et dans ce jour même où nous vous parlons, mes frères, nous navons quun moment: les premières heures sont déjà passées, les autres ne sont point encore, et, quand elles seront écloses, elles passeront pour ne plus subsister. Quelles sont les années qui ne passent point, sinon celles qui demeurent stables? Si donc les années du ciel demeurent stables, si elles ne sont quune même année, et cette seule année un seul jour, puisque ce jour na ni aurore ni crépuscule, ne fait point suite au jour dhier, pour faire place à celui de demain, mais demeure toujours stable, et quelque nom que lon donne à ce jour, quon lappelle jour ou année, la pensée néanmoins se figure quelque chose qui demeure : telle est la permanence de notre Cité, dont les habitants sont dans lunité. Cest donc avec raison quil veut partager cette immutabilité celui qui se hâte pour y arriver en nous disant: « Nos pieds étaient fermes dans le parvis de Jérusalem ». Car tout est ferme où rien ne passe. Veux-tu demeurer stable, sans passer jamais? Hâte-toi dy arriver. Personne na de soi cette stabilité. Ecoutez bien, mes frères: tout ce qui tient au coeur nest pas de lunité, car il ne demeure pas en lui-même. li change avec les années, il change avec les lieux et les temps, il change avec les maladies, les affaiblissements de la chair : il na donc point de stabilité en lui-même. Les corps célestes non plus ne sont pas stables en eux-mêmes. lis ont leurs changements quoique secrets; ils changent de lieu certainement, ils montent de lOrient à lOccident, puis reviennent à lOrient: ils ne demeurent donc point, ils ne sont point toujours les mêmes. Lâme de lhomme, à son tour, nest point stable. A combien de changements, à combien de pensées diverses nest-elle point assujétie? Quelles inégalités dans ses plaisirs ! Quels désirs, quels déchirements ny causent point les passions! Lesprit de lhomme, quon dit raisonnable, est mobile et ne demeure point le même. Tantôt il veut, et tantôt ne veut point; tantôt il sait, et tantôt ne sait point; tantôt il se souvient, et tantôt il oublie ; nul na donc de soi-même luniformité. Celui qui a voulu avoir cette uniformité, être à soi-même son unité, celui-là est tombé ; ange, il est tombé, et sest lait démon. Il a présenté à lhomme la coupe de lorgueil, il a fait tomber par jalousie celui qui était debout 1. Lun et lautre ont voulu être à eux-mêmes leur stabilité, être leurs maîtres , ne relever que deux-mêmes; ils nont pas voulu avoir pour maître le Seigneur, qui est véritablement idipsum, stable, et à qui le prophète a dit: « Vous les changerez, et ils seront changés; mais vous, vous demeurerez toujours le même 2». Donc après tant de langueurs, de si graves maladies, de si épineuses difficultés, de si pénibles travaux, que ton âme shumilie devant Celui qui est le même; quelle entre dans cette cité bienheureuse, dont les habitants sont toujours les mêmes. 7. « Cest là que sont montés les tribus 3 ». Nous cherchions où devait monter celui qui est tombé; car, avons-nous dit, ce psaume est la voix de lhomme qui sélève, de lEglise qui monte; mais où monter? Où va-t-elle? Où sélève-t-elle? Cest là que sont montées les tribus, dit le Prophète. Où se sont-elles élevées? Dans la cité dont les citoyens sont toujours les mêmes. Cest donc là quon sélève, dans la Jérusalem céleste. Or, lhomme, qui descendait de Jérusalem à Jéricho, tomba entre les mains des voleurs 4. Il ny tomberait point, sil ne descendait. Mais puisque en descendant il est tombé au pouvoir des voleurs, quil monte pour arriver jusquaux anges. Quil sélève donc, puisque les tribus se sont élevées. Quelles tribus? Beaucoup les connaissent, mais beaucoup ne les connaissent point. Mais nous, qui les connaissons, descendons vers ceux qui ne connaissent point ces tribus, afin quils sélèvent avec nous où les tribus sont montées. On pourrait appeler ces tribus des curies, mais improprement ; nul autre nom ne saurait, à proprement parler, remplacer le mot de tribu; celui de curie en approché seulement. Car, si nous parlons de curies, on ne comprendra que ces curies réparties en chacune des villes; de là les dénominations de curial ou de décurion, pour celui qui appartient à la curie ou à la décurie; et vous savez que chaque cité a ses curies. Or, il y a, ou il y avait autrefois dans ces mêmes cités les curies du peuple, et une même cité
1. Gen. III, 1. 2. Ps, CI, 27-28. 3. Id. CXXI, 4. 4. Luc, X, 30.
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peut en avoir beaucoup; ainsi, dans Rome, la population est divisée en trente-cinq curies. Voilà ce quon appelle tribus, et le peuple dIsraël était partagé en douze tribus, selon le nombre des fils de Jacob. 8. Il y avait donc en Israël douze tribus, et ces tribus étaient formées de bons et de méchants, Quelle méchanceté dans ces tribus qui clouèrent le Sauveur à la croix! Quelle bonté dans celles qui le reconnurent! Les tribus qui crucifièrent le, Sauveur sont donc les tribus du diable. Aussi quand le Prophète nous dit que là montèrent les tribus, de peur quon nentende par là toutes les tribus, il reprend : « Les tribus du Seigneur ». Quest-ce à dire, les tribus du Seigneur? Celles qui reconnurent le Seigneur. Parmi ces tribus méchantes, il y avait des bons qui venaient de ces tribus fidèles, lesquelles avaient reconnu larchitecte de la cité; ils étaient dans ces mêmes tribus, comme le bon grain mêlé à la paille. Ce ne sont donc point les tribus mêlées à la paille qui sont montées, mais bien les tribus purifiées, choisies comme tribus du Seigneur. « Cest là que sont montées les tribus du Seigneur ». Quest-ce à dire, tribus du Seigneur? « Le témoignage dIsraël ». Ecoutez, mes frères, ce que cela signifie: « Témoignage dIsraël », cest-à-dire chez qui lon reconnaît quest véritablement Israël. Que signifie Israël? Déjà je vous lai expliqué; mais il est bon de le redire, bien que nous layons fait récemment; on peut lavoir oublié. En le répétant, faisons en sorte quils ne pussent loublier, ceux qui ne savent point ou ne veulent point lire; soyons leur livre. Israël signifie qui voit Dieu, et même, plus rigoureusement, dans la force du terme, Israël est voyant Dieu : double propriété, être et voir Dieu. Lhomme, de lui-même, nest pas; il est assujéti à divers changements, jusquà ce quil participe à celui qui est le même. Alors il est, quand il voit Dieu. Il est quand il voit celui qui est, et en voyant celui qui est, il est aussi lui-même, autant quil en est capable. Il devient donc Israël , et Israël est lhomme qui voit Dieu. Lorgueilleux nest donc point Israël, puisque voulant être à lui-même sa stabilité, il na point de part à celui qui est le même. Vouloir être son principe, ce nest pas être Israël. Donc, tout hypocrite nest point Israël, puisque lorgueilleux est nécessairement hypocrite. Oui, mes frères, je le répète, il nest pas un orgueilleux qui ne veuille paraître ce quil nest pas. Et plaise à Dieu que lorgueilleux ne veuille paraître ce quil nest point, quen se donnant pour musicien par exemple, quand il ne connaît aucune musique. On pourrait aussitôt le mettre à lépreuve; on lui dirait: Chante, voyons si tu es musicien. Son impuissance le convaincrait de sêtre donné pour ce quil nétait point. Sil se disait éloquent, on lui dirait : Parle, et nous entendrons; et en parlant, il montrerait quil nest point ce quil se vantait dêtre. Mais, ce quil y a de fâcheux, cest que lorgueilleux veut paraître juste sans lêtre en réalité; et comme il est très-difficile de connaître la justice, il est très-difficile de discerner les orgueilleux. Ces orgueilleux donc veulent paraître ce quils ne sont point; dès lors ils nont point de part à Celui qui « est lui-même »; ils nont point de part en Israël qui est, et qui voit Dieu. Qui donc appartient à Israël? Celui qui a pour partage Celui qui est le même. Qui a pris pour partage « Celui qui est le même? » Celui qui avoue quil nest pas ce quest Dieu, et quil tient de Dieu ce quil peut avoir de bien; que de lui-même il nest que péché, et que sa justice lui vient de Dieu. Tel est lhomme sans déguisement. Or, que dit le Seigneur en voyant Nathanaël? « Voilà un véritable enfant dIsraël, sans déguisement 1 ». De même alors que lhomme sans déguisement est un véritable Israélite, elles étaient aussi sans déguisement, ces tribus qui montèrent vers le Seigneur. Elles sont le témoignage dIsraël, cest-à-dire que lon connaît par elles quil y avait du bon grain mêlé à la paille, lorsque, en voyant laire, on eût pu croire quil ny avait que la paille seule. Il y avait donc là de bons grains, et quand laire sera vannée, quand ils se dégageront de la paille, pour paraître au grand jour, alors ils seront le témoignage dIsraël. Tous les méchants diront : Il y avait là véritablement des bons parmi les méchants, alors que tous nous paraissaient mauvais, et que nous les jugions semblables à nous-mêmes. Cest là le témoignage dIsraël. Où montent ces tribus, et pourquoi? « Pour confesser votre nom, ô mon Dieu ». On ne saurait rien dire de plus grand. Lorgueil a la présomption, et lhumilité
1. Jean, I, 47.
laveu. De même quil y a présomption chez celui qui veut paraître ce quil nest point, de même il confesse Dieu celui qui ne veut point usurper la place de Dieu, qui aime létat où il se trouve. Cest pour celaque montent les Israélites, sans déguisement, parce quils sont de véritables Israélites, et quen eux est le témoignage dIsraël. Ils sélèvent « pour confesser votre nom, ô mon Dieu». 9. « Cest là que sont assis les siéges pour le jugement 1 ». Etrange énigme ! étrange question, à moins de bien comprendre. On appelle ici des sièges ce que les Grecs appelleraient des trônes, et les Grecs appellent trônes des siéges dhonneur. Rien détonnant que des hommes soient assis sur des siéges, sur des chaises curules ; mais que les siéges eux-mêmes soient assis, comment pouvons-nous le comprendre? Comme si lon nous disait: « Quon fasse asseoir ici des chaises, ici des fauteuils. On sassied sur une chaise, on sassied dans un fauteuil, on sassied dans une chaire, mais les siéges ne sassoient point. Que signifie donc: « Là sont assis les siéges pour le jugement? ». Vous entendez bien dire à Dieu : « Le ciel est mon trône, la terre lescabeau de mes pieds 2 »; ce qui est ainsi rendu en latin par Coelum mihi sedes est : le ciel est mon siège. Quels sont ces hommes qui sont les cieux, sinon les justes? Car le ciel ou les cieux, cest tout un, comrne1Eglise et les églises; elles sont plusieurs, et ne sont quune : ainsi les justes forment le ciel de manière à être des cieux. Cest sur eux que Dieu est assis, et par eux quil juge. Et ce nest pas sans raison quil est dit : « Les cieux racontent la gloire de Dieu 3 ». Car les Apôtres sont devenus le ciel, et ils sont devenus le ciel parce quils ont été justifiés. De même quen devenant pécheur, il est devenu terre, celui à qui Dieu a dit : « Tu es terre, et tu retourneras dans la terre 4»; de même, ceux qui deviennent justes, deviennent des cieux. Ils ont porté Dieu, et par eux Dieu faisait briller les éclairs de ses miracles, gronder le tonnerre de ses menaces, et tomber la pluie des consolations. Oui, oh! oui, ils étaient des cieux, et ils racontaient la gloire de Dieu. Afin que vous sachiez bien que ce sont bien eux qui sont appelés le ciel, le même psaume
1. Ps. CXXI, 5. 2. Isa. LXVI, 1; Act. VII, 43 3. Ps. XVIII, 2. 4. Gen. III, 19.
ajoute : « Le bruit de leur voix a retenti dans toute la terre, et leurs paroles jusquaux confins du monde 1». Tu cherches de qui ces voix, et tu vois que ce sont les voix des cieux. Si donc le ciel est le siège de Dieu, et si les Apôtres sont le ciel, ils sont aussi les siéges de Dieu, les trônes de Dieu. Il est dit à un autre endroit: «Lâme du juste est le trône. de la sagesse ». Quelle parole, mes frères : « Lâme du juste est le trône de la sagesse », cest-à-dire que la sagesse repose dans lâme du juste comme sur un siége, comme sur son trône, et que cest là quelle exerce les jugements quelle porte. Les Apôtres étaient donc les trônes de la sagesse, et de là cette parole que leur adressait le Seigneur : « Vous serez assis sur douze trônes pour juger les douze tribus dIsraël 2 ». Ainsi ils sassiéront sur des siéges, et seront eux-mêmes les sièges de Dieu ; et cest deux quil est dit « Là se sont assis les siéges ». Les sièges donc se sont assis. Quels sont les siéges? Ceux dont il est dit: Lâme du juste est le siège de la sagesse. Quels sont les sièges? les cieux. Quels sont les cieux? le ciel. Quest-ce que le ciel? Ce dont le Seigneur a dit « Le ciel est mon siège ». Les justes sont donc les siéges, et occupent des sièges, et les siéges sont assis dans cette Jérusalem éternelle. Pourquoi? Pour le jugement. Vous serez assis sur douze trônes, ô vous qui êtes des trônes, et vous jugerez les douze tribus dIsraël 3. Jugerez qui? ceux qui sont au-dessous deux sur la terre. Quels seront les juges? Ceux qui sont devenus le ciel. Or, ceux qui devront être jugés seront divisés en deux parts, lune à droite, lautre à gauche. Les saints jugeront avec le Christ. « Il viendra pour juger avec les anciens du peuple 4 », dit Isaïe. Ainsi donc il en est qui jugeront avec le Christ; dautres seront jugés par lui et par ceux qui jugeront avec lui. Ils seront donc divisés en deux parts: les uns à droite, et oui leur tiendra compte des aumônes quils auront faites; les autres à gauche, et on leur reprochera leur cruauté, leur stérilité en bonnes oeuvres. Or, à ceux de la droite on dira: « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès lorigine du monde ». Pourquoi? « Jai eu faim », dira-t-il, « et vous mavez donné à manger ». Et ceux-ci : « Quand vous avons-nous vu avoir faim ?»
1. Ps. XVIII, 2 - 5. 2. Matth. XIX, 28. 3. Ibid. 4. Isa. III, 14.
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Et le Sauveur: « Ce que vous avez fait au « moindre de mes frères, cest à moi que vous lavez fait » . Eh quoi donc, mes frères? Ceux-là nous jugeront dont le Christ a dit quil faut en faire des amis avec la monnaie de liniquité, « afin », a-t-il ajouté, « quils vous reçoivent dans les tabernacles éternels 1 ». Les saints seront assis avec le Sauveur pour examiner ceux qui auront fait miséricorde; puis ils les prendront, les sépareront à droite pour le royaume des cieux; telle est, mes frères, la paix de Jérusalem. Quelle est cette paix de Jérusalem? Elle consiste à joindre les oeuvres corporelles de miséricorde aux oeuvres spirituelles de la prédication, afin détablir la paix entre ceux qui donnent et ceux qui reçoivent. LApôtre qui nous dit que Dieu tiendra compte de ces aumônes que lon donne et quon reçoit, ajoute ceci : « Si nous avons semé chez vous u les biens spirituels, est-ce donc trop de recevoir vos biens temporels 2?» Et ailleurs encore sur le même sujet : « Celui qui en recueillit beaucoup nen eut pas plus que les autres, et celui qui en recueillit peu nen eut pas moins 3». Pourquoi le premier nen eut-il pas davantage? Parce quil donna au pauvre ce quil avait de plus. Dans quel sens celui qui recueillit peu nen eut-il pas moins? Parce quil reçut de celui qui avait en abondance. « Afin », dit-il, « que tout soit dans légalité ». Telle est la paix dont il est dit « Que la paix sétablisse dans votre force ». 10. Après avoir dit: « Cest là que sassiéront les sièges pour le jugement, les siéges sur la maison de David », cest-à-dire sur la famille du Christ, quils ont soutenue par lalimentation ici-bas, aussitôt le Prophète sécrie, comme en sadressant à ces siéges mêmes : « Interrogez ce qui regarde la paix de Jérusalem 4 ». O vous, sièges qui êtes assis pour juger, qui êtes les trônes du souverain juge, comme ceux qui jugent interrogent, et ceux que lon j tige sont Interrogés; eh bien ! « interrogez ce qui regarde la paix de Jérusalem ». Que trouveront-ils en interrogeant? Que les uns ont fait miséricorde, et que les autres ne lont point faite. Et ceux quils trouveront avoir fait miséricorde, ils les appelleront à Jérusalem, car voilà ce qui produit la paix, dans la Jérusalem du ciel. Lamour est puissant, mes frères, oui, lamour
1. Luc, XVI, 19. 2. I Cor. IX, 11. 3. II Cor. VIII,15. 4. Ps. CXXI, 6.
est puissant. Voulez-vous voir combien est grande la puissance de lamour? Quand un homme enchaîné par la nécessité ne saurait accomplir ce que Dieu lui commande, quil aime celui qui laccomplit, et dès lors il laccomplit dans cet autre. Ecoutez, mes frères; voilà un homme qui a une femme, et quil ne saurait quitter, puisquil doit obéir à ces injonctions de lApôtre: « Que lhomme rende à sa femme ce quil lui doit » ; et encore : « Es-tu lié à une femme? ne cherche pas à ten séparer » . Or, il lui vient en pensée quil est plus parfait de vivre comme le dit le même Apôtre: « Je voudrais que vous fussiez tous comme je suis 1». Il jette les yeux sur ceux qui ont agi de la sorte; il les aime, et accomplit en eux ce que de lui-même il ne saurait faire, tant la charité a de puissance ! Cest la charité qui est votre force; car, sans la charité, tout ce que nous pouvons avoir ne nous sert de rien. « Quand je parlerais toutes les langues des hommes et des anges », dit lApôtre, « si je nai point la charité, je suis comme un airain sonnant, une cymbale retentissante ». Il ajoute cette grave parole « Quand je distribuerais aux pauvres toutes mes richesses, que je livrerais mon corps pour être brûlé; si je nai pas la charité, cela ne me sert de rien 2 ». Sil na que la charité sans rien pouvoir distribuer aux pauvres, quil aime, quil donne, ne serait-ce quun verre deau froide 3; il lui sera compté comme cette moitié de ses biens que Zachée donnait aux pauvres 4. Pourquoi? Lun donne si peu, lautre de si grands biens, et tous deux seront également traités ? Oui, également. Les dons sont inégaux, la charité est égale. 11. Les saints donc interrogent; pour vous, pensez à ce que vous êtes. Voilà quon nous la dit: « Nous irons dans la maison du Seigneur ». Cette parole : « Nous irons dans la maison du Seigneur », nous a fait tressaillir. Voyez si nous sommes pour y aller ; car ce nest point avec nos pieds, mais bien par nos affections que nous pouvons y aller. Voyez donc si nous sommes pour y aller; que chacun de vous examine sa conduite envers les saints qui sont pauvres, envers un frère indigent, envers un pauvre mendiant; quil voie si ses entrailles ne sont point resserrées. Car les trônes assis pour te juger vont te sonder ;
1. I Cor. VII, 3, 7, 27. 2. Id. XIII, I,3. 3. Matth. X, 42. 4. Luc, XIX, 8.
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ils doivent trouver ce qui constitue la paix de Jérusalem. Comment vont-ils interroger? En leur qualité de trônes de Dieu. Cest Dieu qui interroge. Si quelque chose peut échapper à Dieu,il peut échapper aussi à ces trônes qui interrogent. « Recherchez ce qui tient à la paix de Jérusalem ». Mais en quoi consiste la paix de Jérusalem? « Que labondance », dit le Prophète, « soit pour ceux qui vous aiment ». Il sadresse à Jérusalem, et dit que labondance est le partage de ceux qui laiment. Cette abondance vient de la pauvreté: ici-bas la pauvreté, là-haut labondance; ici-bas la maladie, là haut la santé; ici-bas lindigence, là-haut les richesses. Doù leur viendront ces richesses? De ce quils auront donné ici-bas ce quils navaient reçu de Dieu que pour un temps, et que là-haut-ils ont reçu ce que Dieu donne pour léternité. Ici-bas, mes frères, les riches eux-mêmes sont pauvres; il est bon que le riche connaisse sa pauvreté. Sil croit quil regorge, cest de lenflure, et non la véritable abondance. Quil reconnaisse que ses mains sont vides, afin que Dieu les puisse remplir. Qua-t-il en effet? de lor. Que na-t-il pas? la vie éternelle. Quil jette les yeux sur ce quil a et sur ce quil na pas encore ; et avec ce quil a, quil achète ce quil na pas. « Abondance à tous ceux qui vous aiment »; 12. « Que la paix se fasse dans ta force 1 ». O Jérusalem ! ô cité bâtie comme une ville, et dont les habitants sont toujours les mêmes, que la paix se fasse dans ta force ; que la paix se fasse dans ton amour; car, ton amour: cest ta force. Ecoute le Cantique : « Lamour est « fort comme la mort 2 ». Quelle magnifique parole, mes frères ! Lamour est fort comme la mort ! on ne pouvait avec plus de magnificence exprimer la force de lamour, que de dire: « Lamour est fort comme la mort ». Qui peut en effet résister à la mort, mes frères ? Pensez-y bien. On résiste au feu, on résiste à leau, on résiste au fer, on résiste aux puissances, aux rois; la mort vient seule, et qui peut lui résister? Rien nest plus fort. Cest pour cela quà cette force on compare la charité, et quil est dit : « Lamour est fort comme la mort ». Et comme la charité détruit ce que nous étions, afin que nous devenions ce que nous nétions pas encore, voilà que lamour nous fait subir une certaine mort. Cest ainsi quétait mort celui qui disait : « Le
1. Ps. CXXI, 7. 2. Cant. VIII, 6.
monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde 1 ». Cest par cette -mort quavaient passé ceux à qui il disait: « Vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ 2. Lamour est fort comme la mort ». Si donc la charité est puissante, si elle est forte et dune grande vertu, si elle est la vertu même, si cest par elle que les forts conduisent les faibles, que le ciel gouverne la terre, que les trônes dirigent les peuples; que la paix se fasse donc dans votre force, que la paix se fasse dans votre amour. Et par cette force, par cette charité, par cette paix, « que labondance règne dans vos tours » ; cest-à-dire dans ce que vous avez de plus élevé, Il y en aura peu pour sasseoir au jugement, mais beaucoup qui seront à la droite et com poseront le peuple de cette cité. Beaucoup appartiendront à chacun de ces saints éminents, qui les recevront dans les tabernacles éternels: et -labondance régnera dans vos tours. Or, le comble des délices, la suffisance des richesses, cest Dieu, lui toujours le même, lui dont jouissent ensemble tous les habitants de la cité; telle sera votre abondance. Mais comment nous viendra-t-elle? par lamour, ou par ia force. En quoi se trouve cette charité, mes frères? En celui qui ne recherche point ses propres intérêts en cette vie 3. Ecoute lApôtre tout brûlant de cette charité: « Cherchez à plaire à tous et en toutes choses », dit-il, « comme jessaie de plaire à tous et en toutes choses 4 ». Mais que devient, ô bienheureux Apôtre, ce que vous dites ailleurs . « Si je voulais encore plaire aux hommes, je ne serais point serviteur du Christ 5?» Et maintenant vous leur plaisez, nous dites-vous, maintenant vous nous engagez à leur plaire? Mais le but quil se propose nest point de plaire aux autres par rapport à soi-même ; cest de leur plaire par charité. Quiconque cherche sa gloire, ne cherche point le salut des autres. Saint Paul dit en effet : « De même que je plais à tous et en tout, sans chercher ce qui mest avantageux, mais ce qui est avantageux à plusieurs, afin quils soient sauvés 6 ». 13. Cest pourquoi le Prophète, parlant ici de la charité, sécrie : « A cause de mes frères et de mes proches, ô Jérusalem, je parlais de votre paix 7. O sainte Jérusalem, dont les
1. Galat. VI, 14. 2. Colos, III, 3. 3. Philipp. II, 4, 21. 4. I Cor. X, 33. 5. Galat. I, 10. 6. I Cor. X, 32,33. 7. Ps. CXXI, 8.
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citoyens sont unis ensemble », me voici en cette vie, et sur la terre, me voici pauvre, étranger et gémissant, loin de votre paix, et prêchant cette paix; ce nest point pour moi que je la prêche comme les hérétiques qui recherchent leur gloire, qui disent : La paix soit avec vous, et qui nont point la paix quils prêchent aux peuples. Sils avaient la paix, ils ne briseraient point lunité. Moi, dit le Prophète, « je prêchais la paix à votre sujet ». Mais dans quel but? « A cause de mes frères et de mes proches » ; et non pour la gloire qui men reviendra, non pour les richesses, non pour ma vie; car « vivre, pour moi, cest le Christ, et mourir est un gain ». Mais, «je parlais de la paix à votre sujet, à cause de mes frères et de mes proches». Car lApôtre désirait sa délivrance afin dêtre avec le Christ; mais, afin de prêcher ainsi à ses proches et à ses frères, « il est nécessaire », dit-il, « que je demeure en cette chair, à cause de vous 1.
1. Philipp. I, 21-24.
« Je parlais de votre paix à cause de mes frères et de mes proches ». 14. « A cause de la maison du Seigneur, notre Dieu, jappelle tous les biens sur vous 1 ». Ce nest point pour moi que je recherche des biens, autrement je les appellerais sur moi et non sur toi, et alors jen serais privé à mon tour, parce que je ne les aurais point cherchés pour toi ; mais « cest à cause de la maison du Seigneur mon Dieu », à cause de lEglise, à cause des saints, à cause des étrangers, à cause des pauvres, afin quils sélèvent, puisque nous leur disons: « Nous irons dans la maison du Seigneur; cest à cause de cette maison du Seigneur mon Dieu que jai appelé tous les biens sur vous ». Voilà, mes frères, des explications un peu longues, et nécessaires néanmoins: veuillez les recueillir, vous en rassasier, en étancher votre soif, afin de vous fortifier, de courir et darriver au terme de votre course.
1. Ps. CXX, 9.
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