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DISCOURS SUR LE PSAUME CXX.

SERMON AU PEUPLE POUR LA FÊTE DE SAINTE CRISPINE, MARTYRE.

NOTRE CONFIANCE DANS LE SEIGNEUR.

    C’est de la vallée des larmes ou de l’humilité, qu’il faut nous élever, et le Christ s’est fait vallée en s’abaissant jusqu’à la mort de la croix, avant de s’élever par la résurrection. Les martyrs l’ont compris, eux qui n’ont recueilli qu’après avoir semé dans les larmes. Nous devons monter de manière à n’être point surpris par le dernier moment qui viendra comme un voleur pendant la nuit. Il n’y aura de surpris que l’orgueilleux, qui met sa confiance dans les biens de la terre, et l’homme de la nuit, ou l’infidèle. Qu’ils lèvent les yeux sur les montagnes ou qu’ils écoutent les saints prédicateurs. Le Prophète, craignant l’orgueil qui nous ébranle, demande à Dieu que son pied ne chancelle point, et Dieu ajoute : Que ton gardien ne s’endorme point. Choisis pour te garder le Christ qui garde Israël, et Israël voit Dieu. Tu seras IsraIl quand tu croiras aux gloires de son humanité, et à sa résurrection. Il couvrira la main de ta droite. La droite signifie les biens spirituels, et la gauche les biens temporels. Quiconque met sari bonheur dans les biens d’ici-bas, prend sa droite pour sa gauche. La droite c’est l’embrassement de Dieu : tes longs jours ou le bonheur éternel sont à droite, à gauche les richesses. La main signifie la puissance, et la vie et la mort sont en la main de la langue, parce que la langue nous justifie ou nous condamne. Cette main est le pouvoir de prendre place à la droite de Dieu parmi ses enfants. Mais Dieu doit nous protéger contre le scandale ou l’erreur: erreur à propos de Dieu, c’est le soleil qui brûle ; erreur à propos de l’humanité du Christ ou de l’Eglise, c’est la lune qui brûle. C’est le Seigneur qui veille sur notre entrée, ou la tentation, et sur notre sortie, c’est la victoire sur la tentation. Ainsi Crispine lève la tête au-dessus des persécutions, son âme est gardée, et c’est le Seigneur qui est notre force.

 

1. Voici le second des psaumes intitulés « Cantiques des degrés ». Il en est plusieurs, en effet, comme vous l’avez entendu à propos du premier, qui marquent cette ascension par laquelle notre coeur s’élève à Dieu du fond de cette vallée des pleurs, c’est-à-dire des abaissements de nos misères. Nous ne pouvons en effet nous élever utilement, si d’abord nous ne sommes humiliés, afin de nous souvenir qu’il faut nous élever du fond de la vallée (or, une vallée sur la terre est un lieu bas, et ces lieux bas s’appellent vallées, au même titre que les lieux élevés s’appellent montagnes ou collines); de peur qu’en cherchant à nous élever avec précipitation et à contretemps, nous ne trouvions une chute au lieu d’une ascension. Le Seigneur en effet nous a montré qu’il faut nous élever de cette vallée des larmes, quand il a daigné s’abaisser jusqu’à souffrir pour nous la mort de la croix. Ne perdons point de vue cette leçon; les Martyrs ont compris cette vallée des larmes. Et d’où l’ont-ils comprise? D’où? parce que c’est de la vallée des larmes qu’ils se sont élevés pour être couronnés.

2. Ce psaume, ce cantique des degrés, convient (10) parfaitement à notre solennité; car c’est des Martyrs qu’il est dit ailleurs: «Ils allaient et pleuraient en répandant leurs semences 1». C’est bien ici une vallée de larmes, où l’on sème en pleurant. Quelle est cette semence ? Les bonnes oeuvres que l’on fait dans les tribulations de cette vie. Quiconque fait le bien dans la vallée des pleurs, ressemble à un homme qui sème pendant l’hiver. Le froid l’empêche-t-il de travailler? Ainsi les persécutions du monde ne doivent point nous détourner des bonnes oeuvres; vois en effet ce qui suit: « Ils marchaient en pleurant», dit le Prophète, « et répandaient leurs semences ». Misérables, s’ils pleuraient toujours; misérables, si nul ne devait essuyer leurs larmes. Mais nous lisons ensuite : « Quand ils viendront, au contraire, ils viendront dans la joie, en portant leurs gerbes 2 ».

3. Ces cantiques, mes frères, ne nous apprennent donc qu’à nous élever, mais à nous élever par le coeur, par de saints désirs, par la foi, l’espérance et la charité, par le désir de l’éternité et d’une vie sans fin. C’est ainsi qu’on s’élève. Il est de notre devoir d’expliquer coin ment nous devons monter. Quelles terribles menaces ne venez-vous pas d’entendre à la lecture de l’Evangile ! Vous y voyez que le jour du Seigneur viendra, comme le voleur, pendant la nuit. « Si le père de famille », est-il dit, « savait à quel moment viendra le voleur, je vous le déclare, il ne laisserait point pénétrer dans sa maison 3». Or, vous vous dites en vous-mêmes : Comment peut-on connaître ce moment, puisqu’il viendra comme un voleur? Dans ton ignorance de l’heure, veille continuellement, afin que, nonobstant ton ignorance, ce moment te trouve prêt sans cesse. Et peut-être est-ce afin que tu sois toujours prêt que ce moment est inconnu. Cette heure surprendra le père de famille, qui est ici le type de l’orgueilleux. Ne sois donc point de ces pères de famille, et cette heure ne te surprendra point. Que faut-il être, me diras-tu? Ce que tu viens d’entendre dans le psaume : « Pour moi, je suis  pauvre et affligé ». Si tu es pauvre et affligé, tu ne seras point ce père de famille que cette heure doit surprendre tout à coup, et tout à coup accabler. Ils sont pères de famille, ceux qui s’enorgueillissent en donnant un libre cours à leurs convoitises, en se plongeant

 

1. Ps. CXXV, 6.— 2. Ibid. — 3. Matth. XXIV, 43.—2. Ps. LXVIII, 30.

 

dans les délices de cette vie ; qui s’élèvent contre les humbles, jettent le mépris sur les saints qui comprennent la voie étroite 1 conduisant à la véritable vie. Ces hommes seront surpris par la dernière heure, car tels étaient ceux qui vivaient aux jours de Noé, dont l’Evangile parlait tout à l’heure, comme vous l’avez entendu 2. « Ils mangeaient, ils buvaient, les hommes mariaient leurs filles, épousaient des femmes, plantaient, bâtissaient, jusqu’à ce que Noé entra dans l’arche, et le déluge vint et les perdit tous 3 ».Quoi donc! Sont-ils condamnés à périr ceux qui en agissent ainsi, qui marient leurs filles, qui épousent des femmes, qui plantent, qui bâtissent? Non, mais ceux-là qui s’en glorifient, qui préfèrent à Dieu toutes ces occupations, qui, pour cela, sont toujours prêts à offenser Dieu. Quant à ceux qui n’en veulent point user, ou qui n’en usent que comme n’en usant pas, qui se confient en Celui qui a donné ces biens plus qu’en ces biens qui sont donnés, qui reconnaissent dans ces dons la miséricorde qui les console, qui ne se passion tient point pour ces dons, afin de ne point tomber d’auprès de Dieu, ces hommes ne seront point surpris quand le moment viendra comme le voleur. C’est à eux que l’Apôtre a dit : « Quant à vous, vous n’êtes point dans les ténèbres pour être surpris par ce jour comme par un voleur; vous êtes tous des enfants de lumière et des enfants du jours 4».Aussi le Seigneur,en nous disant de craindre cette heure, a-t-il dit qu’elle viendra la nuit, et l’Apôtre s’exprime ainsi : « Le jour du Seigneur viendra la nuit comme le voleur 5 ». Veux-tu n’être Point surpris? Ne sois pas dans la nuit. Et qu’est-ce à dire, ne sois point dans la nuit? « Vous êtes les enfants de la lumière, les enfants du jour; nous ne sommes point enfants de la nuit, « ni des ténèbres ». Or, quels sont ces enfants des ténèbres et de la nuit? Les injustes, les impies, les infidèles.

4. Mais à leur tour, avant que vienne la nuit, qu’ils écoutent et que l’Apôtre leur dise : « Vous étiez jadis ténèbres, et maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur 6 ». Qu’ils s’éveillent selon l’avis de notre psaume. Déjà les montagnes sont éclairées, pourquoi dormir encore? « Qu’ils lèvent les yeux vers a les montagnes, d’où leur viendra le se-

 

1. Matth. VII, 14. — 2. Id. xxiv, 37- 44. — 3. Luc, XVII, 26, 27. — 4. I Thess. V, 4. — 5. Id. 2. — 6. Ephés. V, 8.

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cours 1 ». Qu’est-ce à dire que déjà les montagnes sont éclairées? Déjà s’est levé le soleil de justice, déjà les Apôtres ont prêché l’Evangile, prêché les saintes Ecritures, toutes les figures sont à découvert, le voile est déchiré 2, le secret du temple est révélé ; qu’ils lèvent enfin les yeux vers les montagnes, d’où leur viendra le secours, Voilà ce que nous ordonne ce psaume, qui est le second parmi les cantiques des degrés. Mais qu’ils ne conçoivent aucune présomption au sujet de ces montagnes, car ces montagnes, loin d’être éclairées par elles-mêmes, reçoivent la lumière de Celui dont il est dit « Et celui-là était la véritable lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde 3». Par ces montagnes, on peut entendre les hommes d’une éminente piété, les hommes illustres. Et qui rut pins grand que Jean-Baptiste? Quelle montagne, que cet homme dont le Sauveur a dit: « Parmi ceux qui sont nés des femmes, nui n’est « plus grand que Jean-Baptiste 4?» Assurément tu vois cette montagne, tu en contemples la lumière ; écoute ses aveux. Quels aveux? « Et nous avons tous reçu de sa plénitude 5». De celui qui adonné aux montagnes de sa plénitude, viendra aussi le secours pour toi, et non des montagnes 6. et toutefois si tu ne lèves les yeux sur ces montagnes, par le moyen des Ecritures, tu ne pourras approcher afin d’être éclairé par Celui qui les éclaire.

5. Chante alors ce qui suit Si tu veux savoir sur quels degrés tu poseras solidement ton pied, afin de monter sans fatigue et sans tomber 7, répète ce qui suit : « Ne permettez pas que mon pied soit ébranlé 8 ». Par quoi nos pieds sont-ils ébranlés? Qui ébranla le pied d’Adam, quand il était dans le paradis? Mais vois d’abord comment fut ébranlé le pied de celui qui était parmi les anges, et qui

 

1. Ps. CXX, 1. — 2. Matth. XXVII, 51. — 3. Jean, I, 9. — 4. Matth. XI, 11. — 5. Jean, I, 16.

6. D’ancienne, éditions de Venise et de Paris continuent ainsi : « c’est donc le Christ, le Fils du souverain Père qui est notre salut        et notre secours; et avec ce mème Père. Il est tout-puissant, et il demeure en lui, en son essence. Enfin, si tu ne lèves les yeux sur ces montagnes, etc. »

7. On trouve ici dans ces mêmes éditions : « Et sans tomber. Mon          secours, dit le Prophète, est dans le Seigneur. Non point dans tout seigneur, car il est beaucoup d’hommes ainsi appelés, et qui sont mortels, fragiles et misérables; mais dans le Seigneur de, seigneurs, dans celui qui a fait le ciel et la terre. Voilà le souverain Seigneur, qui est le Dieu des dieux; il est Dieu parce que tout ce qui a été fait l’a été par lui, et c’est de lui que tout tient l’être; il est Seigneur, parce qu’il possède au-delà de toute expression tout ce qui est. Il est donc bon, et souverain Seigneur, et Dieu. Si, au moyen de ces montagnes, tu lèves tes yeux vers lui, tu en obtiendras un s secours éternel. Donc, afin qu’il soit ton secours, invoque-le, et… »

8. Ps. CXX, 3.

 

 

tomba par cette secousse, et d’ange qu’il était devint diable : il tomba parce que son pied fut ébranlé. Cherche la cause de sa chute. Il tomba par orgueil. Il n’y a dès lors que l’orgueil pour ébranler nos pieds; que l’orgueil, pour nous faire chanceler et tomber. La charité, au contraire, nous ébranle pour marcher, pour avancer, pour monter; l’orgueil, pour nous faire tomber. Aussi qu’est-il dit dans notre psaume ? « Les enfants des hommes espéreront à l’abri de vos ailes 1». S’ils sont à l’abri, ils sont toujours humbles, toujours pleins d’espérance en Dieu , toujours sans présomption d’eux-mêmes. « C’est à l’abri de vos ailes qu’ils concevront de l’espérance »; car ce n’est point en se rassasiant d’eux-mêmes qu’ils goûtent la félicité. Mais que dit ensuite le Prophète ? « Ils seront enivrés de l’abondance de votre maison, et vous les abreuverez au torrent de vos délices 2 ». Les voilà qui ont soif et qui s’enivrent, qui ont soif et qui boivent; mais ils ne boivent point en eux-mêmes , car ils ne sont point des sources. Où boivent-ils alors? « C’est à l’abri de vos ailes qu’ils conçoivent l’espérance 3». S’ils sont à l’ombre de vos ailes, ils sont humbles. Pourquoi? « Parce que c’est en vous», dit le Prophète, « qu’est la source de la vie 4». Ces montagnes donc ne s’arrosent point elles-mêmes, pas plus qu’elles ne s’illuminent. Vois en effet ce qui suit : « C’est en votre lumière que nous verrons la lumière 5». Si donc c’est dans la lumière de Dieu que nous voyous la lumière ; qui est privé de la lumière, sinon l’homme qui ne voit point en Dieu? Quiconque veut être sa propre lumière, se prive dès lors de la lumière qui l’éclaire. Aussi, sachant qu’il n’y a, pour être privé de la lumière, que celui-là seul qui veut s’éclairer, bien qu’il ne soit que ténèbres, le Prophète ajoute: « Que le pied de l’orgueil ne vienne point contre moi, et que la main du pécheur ne m’ébranle point » ; c’est-à-dire, qu’à l’imitation des pécheurs, je ne sois point ébranlé et séparé de vous. Mais pourquoi craindre et dire : « Que le pied de l’orgueil ne vienne point sur moi? » Le Prophète répond : « C’est là que sont tombés ceux qui commettent l’iniquité 6 ». Tous ceux qui commettent maintenant l’iniquité sous tes yeux sont déjà

 

1. Ps. XXXV, 8. — 2. Id. 9.— 3. Id. 8.— 4. Id. 10.— 5. Ibid. — 6. Id. xxxv, 12, 13.

 

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condamnés; mais, pour en arriver là, ils sont tombés où le pied de l’orgueil les a heurtés.

Il a donc raison celui qui écoute afin de monter et de ne point tomber, afin de s’élever de cette vallée de larmes, sans tomber par orgueil; il a raison de dire à Dieu : « Ne permettez point que mon pied soit ébranlé », et Dieu lui répond : « Que ton gardien ne s’endorme pas ». Ecoutez bien, mes frères. On joint ensemble ici deux interlocuteurs. L’homme qui s’élève, en chantant ce cantique, dit à Dieu : « Ne permettez point que mon pied soit ébranlé »; et Dieu parait lui répondre : Tu me dis : « Ne permettez point que mon pied soit ébranlé », ajoute alors: « Et que ton gardien ne s’endorme pas », ton pied alors ne sera point ébranlé.

6. Peut-être va-t-il répondre: Est-il en mon pouvoir que mon gardien ne s’endorme pas? Je voudrais qu’il ne s’endormît point, qu’il ne sommeillât point. Choisis donc pour te garder celui qui ne dort, qui ne sommeille point, et ton pied ne sera point ébranlé. Or, Dieu ne dort jamais; choisis donc le Seigneur pour ton gardien, si tu veux avoir un gardien vigilant. « Ne permettez point que mon pied « soit ébranlé », dis-tu : c’est bien; c’est très-bien. Mais Dieu te répond : « Et que ton gardien ne s’endorme pas ». Tu allais chercher parmi les hommes un gardien, et dire: Qui trouverai-je pour ne point dormir ? Quel homme ne s’endort point? Qui trouver? Où aller? Où me tourner? Voilà que le Seigneur vient à ton aide : « Voilà qu’il ne dormira point, qu’il ne sommeillera point, celui qui garde Israël 1». Car c’est le Christ qui garde Israël. Sois donc Israël, toi-même, Qu’est-ce à dire Israël? Israël signifie voyant Dieu. Et comment voit-on Dieu? D’abord par la foi, ensuite face à face. Si tu ne peux le voir face à face, vois-le du moins par la foi. Si tu ne peux le voir face à face, parce qu’en cela consiste la claire vue, vois du moins ses gloires postérieures. C’est ce que le Seigneur dit à Moïse : « Tu ne saurais voir ma face, mais quand je serai passé, tu me verras par derrière 2 ». Tu attends qu’il passe : il est déjà passé; suis-le de vue par derrière ; où est-il passé ? Ecoute saint Jean : « Quand vint l’heure », nous dit-il, « où il devait passer de ce monde à son Père 3». Déjà Notre-Seigneur Jésus-Christ a fait la Pâque, et Pâque

 

1. Ps. CXX, 4. — 2. Exod. XXXIII, 20, 23. — 3. Jean, XIII, 1.

 

signifie passage, car c’est un mot hébreu, et non, comme l’ont cru plusieurs, un mot grec, ayant le sens de souffrances. D’autres, plus exacts et plus savants, ont trouvé que Pâque est un mot hébreu ayant le sens de passage, et non de douleur. C’est par les souffrances que Jésus-Christ a passé de la mort .à la vie, nous traçant ainsi la voie, à nous qui croyons en sa résurrection, afin que nous passions de la mort à la vie. C’est peu de croire que le Christ est mort : les païens,.les Juifs, les impies le croient aussi. Tous croient qu’il est mort; la foi chrétienne consiste à croire en sa résurrection ; croire qu’il est ressuscité, c’est donc l’important pour nous. Il a donc voulu être vu dans son passage, ou dans sa résurrection, et il a voulu que l’on crût en lui quand il passait, parce qu’il a été livré pour nos péchés, et qu’il est ressuscité pour notre justification 1 . Telle est la foi en la résurrection du Christ, vivement recommandée par l’Apôtre : « Vous serez sauvés », dit-il, « si vous croyez de tout votre coeur que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts 2 ». Il ne dit point : Si tu crois que le Christ est mort, ce que croient les païens, les Juifs et tous ses ennemis; mais bien: « Si tu crois de tout ton coeur que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, tu seras sauvé ». Croire ainsi, c’est être Israël, c’est voir Dieu ; et bien que tu le voies seulement par derrière, la foi en ses gloires postérieures te conduira à la claire vue. Qu’est-ce à dire? C’est-à-dire quand tu croiras en ce que Jésus-Christ s’est fait pour toi, dans la suite des temps, quand tu croiras en ce qu’il a pris de toi postérieurement. Car au commencement quelle est sa face? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu». Qu’est-il postérieurement ? « Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous ». Croire donc en ce que le Verbe s’est fait pour toi, en la résurrection de sa chair, afin de ne point désespérer de la tienne, c’est devenir Israël. Mais une fois que tu seras Israël, ton gardien ne dormira point, ne sommeillera point. Car tu es Israël, et tu as entendu le Psalmiste : « Voilà que le gardien d’Israël ne dormira point, ne sommeillera point ». Le Christ lui-même a dormi, mais il est ressuscité. Que dit-il à son tour dans un psaume ? « J’ai dormi, j’ai pris mon sommeil ». Est-il

 

1.  Rom. IV, 25. — 2. Id. X, 9. — 3. Jean, I, 14.

 

demeuré endormi ? « Je me suis levé », dit-il. « parce que le Seigneur me protégera 1 ». Si donc il est ressuscité, il a passé; s’il a passé, regarde-le par derrière. Crois en sa résurrection. Et comme l’Apôtre a dit : « Quoiqu’il ait été crucifié selon la faiblesse de la chair, il est néanmoins vivant par la puissance de Dieu 2 »; et encore : « Le Christ, ressuscité d’entre les morts, ne meurt plus; la mort n’aura plus d’empire sur lui 3»; le Prophète a raison de chanter: « Voilà qu’il ne dormira point, qu’il ne sommeillera point, le gardien d’Israël ». Tu cherches, peut-être, dans un sens charnel, qui ne dormira point, qui ne sommeillera point ? Tu le cherches parmi les hommes, mais en vain; tu ne le trouveras pas. Ne mets ta confiance dans aucun homme, puisque tout homme dort, tout homme sommeille. Quand sommeille-t-il? quand il porte ici-bas une chair fragile. Quand dormira-t-il? quand il sera mort. Ne mets donc point ta confiance dans un homme. Il peut sommeiller, puisqu’il est mortel, et il s’endort en mourant. Ne cherche point parmi les hommes.

7. Et qui donc, me diras-tu, pourra me garder sans dormir, sans sommeiller? Ecoute ce qui suit: « Le Seigneur te gardera ». Ce n’est donc point un homme qui dort ou qui sommeille, mais le Seigneur qui te garde. Comment te garde-t-il ? « C’est lui qui est ta défense, qui couvre ta droite » Courage, mes frères I comprenons, avec le secours de Dieu, ce que signifie cette parole : « Le Seigneur est ta défense, il couvre ta main de droite ». Il y a, je crois, quelque raison mystérieuse qui a détourné le Prophète de dire purement et simplement : « Le Seigneur te protégera»; mais lui a fait ajouter : « Il couvre la main de ta droite ». Dieu ne garde-t-il que notre droite, et néglige-t-il notre gauche? Ne nous a-t-il pas faits entièrement? Et celui qui a fait notre droite, n’a-t-il pas fait aussi notre gauche? S’il lui a plu de ne parler que de la droite, pourquoi cette expression: la main de ta droite, et non pas simplement, la main droite? Pourquoi ce langage, s’il n’y avait pas là quelque raison mystérieuse qu’il nous dérobe, afin que nous frappions à la porte? Car il devrait dire, sans rien ajouter, ou bien : Le Seigneur te gardera; ou, s’il voulait ajouter la droite: Le Seigneur te protégera sur ta droite; ou enfin, s’il voulait ajouter la main, il dirait:

 

1. Ps. III, 6. — 2. II Cor, XIII, 4, — 3. Rom. VI, 9.

 

Le Seigneur couvrira ta main droite, et non la main de ta droite. Je vous dirai ce que daignera me suggérer le Seigneur ; lui qui veut bien habiter en vos âmes, daignera, sans doute, vous faire agréer mes paroles comme celles de la vérité. Vous ne savez encore ce que je veux dire; mais quand je vous l’aurai dit, ce n’est point moi qui vous montrerai la vérité de mes paroles, vous-mêmes en reconnaîtrez la vérité. Comment la reconnaîtrez-vous, sinon à la lumière de Celui qui habite en vous, parce que vous êtes au nombre de ceux qui disent « Ne laissez point s’ébranler mon pied » ; et à qui lui-même répond: « Que ton gardien ne s’endorme pas, qu’il ne sommeille pas ? » Que Jésus-Christ ne s’endorme point en vous, et alors vous comprendrez la vérité de nies paroles. Comment cela, direz-vous? Parce que, si votre foi s’endormait, le Christ dormirait en vous. Car le Christ est dans votre coeur, quand vous croyez au Christ. L’Apôtre nous dira que le Christ habite en nos coeurs par la foi 1 . Que notre foi ne sommeille point, et le Christ veille en nous. Et si ta foi sommeillait, et te laissait, à l’égard du sujet qui nous occupe, dans une fluctuation semblable à celle du vaisseau que battait la tempête, et dans lequel Jésus dormait 2, éveille le Christ, et la tempête s’apaisera.

8. J’en appelle donc à votre foi, mes frères, ô vous qui êtes les fils de l’Eglise, qui vous êtes avancés dans l’Eglise, et qui vous avancerez si vous ne l’avez point fait encore, qui ferez des progrès de plus en plus rapides, et qui en avez faits déjà, j’en appelle à votre foi; comment comprenez-vous cette parole que vous entendez dans l’Evangile : « Que votre main gauche ignore ce que fait votre droite 3? » Comprendre cette parole, c’est comprendre ce qu’est la droite et ce qu’est la gauche ; vous comprendrez également que c’est Dieu qui a fait l’une et l’autre, la droite et la gauche, et que néanmoins la droite ne doit point savoir ce que fait la gauche. La gauche signifie toute possession temporelle, et la droite le bien éternel et immuable que Dieu nous a promis. Or, si le même Dieu qui nous donnera la vie éternelle nous console pendant cette vie parles biens des temps, c’est lui, assurément, qui a fait la droite et la gauche. David a dit dans un psaume, à propos de quelques-uns, que « leur bouche a dit des

 

1. Ephés. III, 17. — 2. Matth. VIII, 24-26. — 3. Id. VI, 3.

 

 

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choses vaines, et que leur droite est la droite de l’iniquité». Donc, il en trouve, et il les en blâme, qui prennent leur véritable droite pour la gauche, et leur véritable gauche pour leur droite, et il nous montre ensuite quels sont ces hommes. Quiconque ne voit pour l’homme de félicité que dans les seuls biens et les plaisirs du temps, dans l’abondance et les richesses de ce monde, celui-là est un insensé, un pervers, il prend sa gauche pour sa droite. Tels étaient ceux dont le psaume nous dit, non point qu’ils n’avaient pas reçu de Dieu les biens qu’ils possédaient, mais qu’ils ne faisaient consister qu’en ces jouissances la vie bienheureuse, et ne recherchaient rien autre chose. Ecoutez, en effet, ce qu’il dit ensuite à leur sujet: « Leur bouche a dit des choses vaines, et leur droite est la droite de l’iniquité ». Et ensuite : « Leurs enfants sont comme de jeunes arbres, leurs filles sont ornées comme l’idole d’un temple, leurs « celliers sont remplis et regorgent deçà et delà, leurs brebis sont fécondes et s’en vont en foule de leurs étables; leurs boeufs sont gras, on ne voit dans les clôtures ni passage ni ruine, et nul cri ne s’élève de leurs places publiques 1 ». Telle est la grande félicité de quelques-uns. Toutefois cette félicité pourrait échoir à un juste, comme elle échut à Job ; mais Job la regardait comme sa gauche, et non comme sa droite; car il ne comptait pour sa droite que le bonheur continuel et sans fin qu’il se promettait en Dieu. C’est pourquoi Dieu permit qu’on le frappât sur la gauche, et sa droite lui suffit. Comment la gauche fut-elle frappée? Par les tentations du démon. Le démon lui enleva soudainement ses biens, lui à qui Dieu permet d’agir, pour éprouver le juste et châtier l’impie, enleva tout à Job; mais Job savait que la gauche était la gauche, et qu’il n’y a que la droite qui soit la droite; avec quelle force admirable il s’attacha à la droite ! Il tressaillit dans le Seigneur, il se consola de ses pertes, parce qu’il ne laissa point entanier ses trésors intérieurs; son coeur était plein de Dieu. « Le Seigneur l’a donné », dit-il, « le Seigneur l’a ôté; ainsi qu’il a plu au Seigneur, il a e été fait : que le nom du Seigneur soit béni  2». Telle était sa droite, le Seigneur lui-même, la vie éternelle même, la possession de l’ineffable lumière, la source de la

 

1. Ps. CXLIII, 11-15. — 2. Job, I, 21.

 

vie, la lumière dans la lumière. « Ils seront enivrés de l’abondance de votre maison 1». C’était là sa droite. Quant à sa gauche elle n’était qu’un secours de consolation, et non un affermissement dans la félicité. Car Dieu était pour lui le bonheur véritable et souverain. Ainsi, quand David a dit de ces hommes que « leur bouche s’épanche en vanités, que leur droite est la droite de l’injustice 2 », il ne leur fait pas un crime de posséder tous ces biens , mais de ce que leur bouche se répand en paroles vaines. En effet, que voyons-nous ensuite? Après avoir énuméré toutes leurs richesses, il s’écrie : « Ils ont appelé heureux le peuple qui possède ces biens 3 ». Telle est la vanité qu’a proférée leur bouche, c’est d’avoir proclamé heureux le peuple qui a de tels biens. Mais que direz-vous, ô Prophète, qui savez discerner quelle est votre gauche et quelle est votre droite? Il continue en disant: « Bienheureux le peuple qui a le Seigneur pour son Dieu 4».

9. Que votre charité soit donc attentive. Nous avons vu ce qu’est la gauche et vu encore ce qu’est la droite. Ecoutez dans les cantiques la confirmation de nos paroles : « Sa  gauche est sous ma tête », nous dit l’Epouse en nous parlant de l’Epoux, l’Eglise en parlant du Christ dans l’embrassement d’une ineffable charité. Que dit-elle donc? «Sa gauche est sous ma tête », et il m’embrasse de sa droite 5. D’où vient que l’Epoux, afin d’embrasser I’Epouse, mettait sa gauche sous sa tête et sa droite au dessus; sa gauche pour la consoler et sa droite pour la protéger? « Sa gauche est sous ma tête », nous dit-elle. Cette gauche vient de Dieu, bien qu’elle soit appelée gauche, parce que c’est lui qui donne tous les biens temporels. Combien sont vains, sont impies ceux qui demandent ces biens aux idoles, aux démons ! Combien en est-il qui les demandent aux démons sans les obtenir; combien d’autres qui les obtiennent sans les demander aux démons, car les démons ne les donnent point. De même beaucoup les demandent au Seigneur et ne les obtiennent point. Dieu qui nous appelle à la droite sait aussi régler la gauche. Si donc elle est la gauche,qu’elle soit la gauche, mais sous notre tête, et que la tête s’élève au-dessus d’elle, ou plutôt notre foi dans laquelle habite le Christ. Loin de toi de préférer à ta

 

1. Ps. XXXIII, 9.— 2. Id, CXLIII, 8. — 3. Id, 5. — 4. Ibid. — 5. Cant. II, 6.

 

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foi rien de temporel, et alors ta gauche ne sera pas au-dessus de ta tête ; suborne à ta foi tout ce qui est du temps, et mets ta foi au-dessus de tout ce qui passe, alors la gauche sera sous ta tête, et la droite de l’Epoux t’embrassera.

10. Ecoute les Proverbes te dire encore ce qui est la droite et ce qui est la gauche. Il est dit, à propos de la Sagesse: « La longueur des jours, les années de la vie sont dans sa droite; et dans sa gauche, la gloire et les richesses 1».Cette longueur des jours marque l’éternité; c’est ainsi que l’Ecriture ne donne le nom de longueur qu’à ce qui est éternel; car, tout ce qui a une fin est court. « Je le comblerai de la longueur des jours 2 », est-il dit à un autre endroit. Autrement, y aurait-il une grande faveur à dire: « Honorez votre père et votre mère, afin de vivre longtemps sur la terre 3? » Quelle terre, sinon celle dont il est dit : « Vous êtes mon espérance, mon héritage sur la terre des vivants 4?» Qu’est-ce que vivre longtemps sur cette terre, sinon vivre éternellement? Ici-bas qu’est-ce, en effet, que vivre longtemps, sinon arriver à la vieillesse? Quelque long que cet âge nous paraisse, dès qu’on y arrive, il paraît court, parce qu’il a une fin. Beaucoup vieillissent ici-bas après avoir maudit les parents; beaucoup d’autres, après les avoir honorés, vont bientôt à Dieu. La promesse de vivre longtemps sur cette terre est-elle donc accomplie? Non, mais cette, longue vie s’entend de l’éternité. La longue vie est dans sa droite; mais dans sa gauche on trouve les richesses, la gloire, ce qui est nécessaire ici-bas et que les hommes appellent des biens. Mais un homme s’élève contre toi et veut te frapper sur la droite, c’est-à-dire te ravir ta foi tu as reçu un soufflet sur la droite, présente la gauche 5; c’est-à-dire, laisse enlever ce qui est du temps et non ce qui est éternel. Ecoutez comme l’apôtre saint Paul pratiquait cette doctrine. Les hommes persécutaient en lui le chrétien ; on frappait sa droite, il présentait sa gauche: « Je suis citoyen romain», disait-il 6. lis outrageaient en lui la droite, il les effrayait de sa gauche, parce qu’ils ne pouvaient craindre en lui la droite, puisqu’ils ne croyaient pas au Christ. Si donc c’est la droite qui embrasse la gauche qui est sous la tête,

 

1. Prov. III, 16.— 2. Ps. XC, 16.— 3. Exod,. XX, 12. — 4. Ps. CXI, 6. — 5. Matth. V, 39. — 6. Act. XXII, 25.

 

que signifie cette parole : « Que votre gauche ignore ce que fait votre droite? » C’est-à-dire, quand tu fais une bonne oeuvre, fais-la en vue de la vie éternelle. Car, si tu ne fais le bien sur la terre que pour posséder en abondance les biens terrestres, ta main gauche fait ce que tait ta droite ; tu mets la droite avec la gauche. N’agis donc jamais que pour la vie éternelle. Oui, agis de la sorte, et tu agiras sans crainte; tel est l’ordre du Seigneur. Si tu n’agis que pour les biens de la terre et en vue de la vie présente, il n’y a que ta droite pour agir; mais si tu travailles en vue de la vie éternelle, et qu’il se glisse quelque désir qui tienne à la vie du temps, de manière à travailler aussi dans cette vue et par le désir d’une récompense terrestre, c’est là mêler la main droite aux oeuvres de la main gauche; et c’est ce que Dieu défend.

11. Arrivons maintenant à cette parole du psaume « C’est le Seigneur qui couvre la main de votre droite ». La main signifie la puissance; comment le prouver? C’est que la main de Dieu est appelée la puissance de Dieu. Car le diable qui tenta Job dit à Dieu « Etendez votre main, touchez ce qui est à lui, et voyez s’il vous bénit en face 1 ». Qu’est-ce à dire: « Etendez votre main », sinon donnez-m’en le pouvoir? Mais écoute plus clairement encore, ô mon frère, afin de couper court aux pensées charnelles, et de ne point te figurer un Dieu qui a des membres; vois plus clairement que la main de Dieu est sa puissance. Il est dit quelque part dans l’Ecriture : « La mort et la vie sont dans les mains de la langue 2 ». Nous connaissons le morceau de chair appelé langue, se remuant dans la bouche, frappant le palais et les dents pour articuler les sons qui forment la parole. Montrez-moi la main de la langue. La langue n’a donc point de mains, et cependant elle a une main. Quelle est cette main de la langue? Son pouvoir. Qu’est-ce à dire que « la vie et la mort sont dans les mains de la langue? Ta bouche te justifiera et ta bouche te condamnera 3». Si donc la main est le pouvoir, quelle est la main de la droite? Je ne vois rien de plus juste, sinon de comprendre par la main de la droite le pouvoir que Dieu t’a donné de prendre place à sa droite, avec le secours de sa grâce, si tu le veux. Car tous les impies seront à sa gauche; et c’est à droite

 

1. Job, I, 11. — 2. Prov. XVIII, 21.— 3. Matth. XII, 37.

 

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que seront les fils de Dieu fidèles à sa volonté; c’est à eux qu’il dira: « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé à l’origine du monde 1 ». Tu as donc reçu le pouvoir d’être à la droite, le pouvoir de devenir enfant de Dieu. Quel pouvoir? Celui dont saint Jean nous dit : « Il leur a donné la puissance de devenir enfants de Dieu 2 ». D’où as-tu reçu cette puissance? « Elle est donnée à ceux qui croient en son nom ». Si donc tu as la foi, tu as aussi le pouvoir d’être enfant de Dieu. Or, être parmi les enfants de Dieu, c’est être à sa droite. Donc ta loi est la main de ta droite, c’est-à-dire que la main de ta droite c’est le pouvoir qui t’a été donné d’être parmi les enfants de Dieu. Mais que deviendrait cette puissance que l’homme a reçue, si Dieu ne le protégeait? Le voilà qui croit, qui marche dans la foi; il est faible, agité au milieu des tentations, des chagrins, des attraits charnels, des aiguillons de la convoitise, des artifices et des pièges de l’ennemi. De quoi lui sert de croire au Christ et d’avoir la puissance d’être parmi les enfants de Dieu? Malheur à cet homme, si Dieu ne vient au secours de sa foi; c’est-à-dire s’il n’empêche que tu sois tenté au-dessus de tes forces, comme l’a dit l’Apôtre : « Dieu est fidèle et il ne souffrira point que vous soyez tentés au-delà de ce que vous pouvez supporter 3 ». Celui donc qui ne souffre pas que nous soyons tentés au-dessus de nos forces, quoique nous ayons déjà la foi, quoique nous possédions la main de notre droite, Dieu nous protége sur la main de notre droite. Il ne nous suffirait pas d’avoir la main de notre droite, si lui-même ne couvrait de sa protection cette main de notre droite.

12. Voilà pour les tentations : écoutez ce qui suit : « Que le Seigneur te protége sur la main de ta droite ». Je vous l’ai expliqué, et, autant que je puis en juger, j’ai réveillé vos souvenirs. Si vous ne l’aviez déjà su, et su par les saintes Ecritures, vos murmures ne m’auraient point fait connaître que vous l’avez compris. Donc, mes frères, puisque vous l’avez. compris, voyez ce qui suit, pourquoi Dieu nous protége, et sur la main droite, c’est-à-dire dans cette nième toi, dans laquelle nous avons reçu le pouvoir d’être enfants de Dieu et d’être à sa droite. Pourquoi faut-il que Dieu nous protège? A cause des scandales. D’où

 

1. Matth. XXV, 34. — 2. Jean, I, 12. —  3. I Cor. X, 13.

 

viennent les scandales? Il faut les craindre sous deux points de vue, parce qu’il y a deux préceptes qui renferment toute la loi et les Prophètes, l’amour de Dieu et l’amour du prochain 1. On aime 1’Eglise à cause du prochain, et Dieu pour lui-même or, le soleil est une figure de Dieu, comme la lune est une figure de 1’Eglise. Quiconque peut être dans l’erreur au point de croire sur Dieu ce qu’il ne faut point croire, ou à ne point croire que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont une même substance, est dans l’erreur des hérétiques, principalement des Ariens. S’il croit que Je Fils ou le Saint-Esprit ont quelque chose de moins que le Père, il est tombé dans le scandale en ce qui regarde Dieu, et dès lors brûlé par le soleil. Quiconque aussi croit que l’Eglise est dans une partie du monde, et ne reconnaît point qu’elle est répandue dans le monde entier, qui croit à ceux qui lui disent: « C’est ici, c’est là qu’est le Christ 2», comme vous l’avez entendu tout à l’heure dans la lecture de l’Evangile, tandis que le Christ a racheté le monde entier pour lequel il a donné une telle rançon : celui-là est scandalisé au sujet du prochain, il est brûlé par la lune. Ainsi quiconque est dans l’erreur sur la substance même de la vérité, est brûlé par le soleil, brûlé pendant le jour, parce qu’il erre au sujet de la sagesse dont il est dit: « Le jour parle au jour ». De là cette parole de l’Apôtre : « Nous communiquons les choses spirituelles à ceux qui sont spirituels. Le jour annonce la parole au jour, en communiquant les choses de l’esprit aux hommes spirituels. Le jour annonce la parole au jour; mais nous annonçons la sagesse aux parfaits 3 ». Que signifie « et la nuit annonce la science à la nuit 4? » Aux petits on prêche l’humilité du Christ, l’incarnation du Christ, la croix du Christ; c’est le lait qui suffit aux enfants. Dès lors on n’abandonne point les enfants dans la nuit, puisque la lune éclaire dans la nuit; c’est-à-dire que par la chair du Christ on prêche l’Eglise, puisque la tête de l’Eglise c’est fe Christ eu sa chair. Quiconque n’est scandalisé ni de l’Eglise ni de la chair du Christ, celui-là n’est point brûlé par la lune. Quiconque n’est point scandalisé au sujet de la vérité immuable et inaltérable, n’est point brûlé par le soleil; non point qu’il soit épargné

 

1. Matth. XXII, 37 - 10. — 2. Id. XXIV, 23 — 3. I Cor, II, 13. — 4. Ps. XVIII, 3.

 

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par ce soleil que voient les mouches et les bestiaux; mais je parle de ce soleil qui fera dire aux impies au dernier jour : « Que nous revient-il de notre orgueil, et que nous a valu le faste de nos richesses? Tout cela est passé comme l’ombre ». Puis ils déplorent leur malheur : « Nous avons donc erré loin du sentier de la vérité, et la lumière de la justice n’a pas lui pour nous, son soleil ne s’est point levé à nos yeux 1 ». Mais le soleil vulgaire n’éclaire-t-il point les impies, par l’ordre de « Celui qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants 2? » Dieu a donc fait un soleil qui se lève sur les bons et sur les méchants et que peuvent voir les uns et les autres; mais il est un autre soleil qui n’a pas été fait, mais engendré, par qui tout a été fait, en qui est toute l’intelligence de l’immuable vérité. C’est de lui que les impies diront:

« Et le soleil ne s’est point levé pour nous ». Celui qui n’erre point sur la sagesse elle-même, n’est point brûlé par le soleil; et celui qui n’erre pas au sujet de l’Eglise, et de la chair du Christ, et de tout ce qu’il a fait pour nous dans le temps, n’est point brûlé par la lune. Mais bien qu’un homme ait cru en Jésus-Christ, il tombera dans l’erreur deçà ou delà, si cette parole ne s’accomplit en sa faveur : « C’est le Seigneur qui te couvre sur la main de ta droite. » Aussi, après avoir dit: « C’est le Seigneur qui te couvre sur la main de ta droite »; comme si on lui répondait: Voilà que j’ai la main de ma droite, j’ai choisi la foi en Jésus-Christ, j’ai reçu le pouvoir d’être parmi les enfants de Dieu, qu’ai-je encore besoin que Dieu me protège, c’est-à-dire qu’il couvre la main de ma droite? Voilà que le Prophète continue : « Le soleil ne te brûlera point pendant le jour, ni la lune pendant la nuit 3». Ainsi donc le Seigneur couvre la main de ta droite, afin que tu ne sois brûlé ni par le soleil pendant le jour, ni par la lune pendant la nuit. Comprenez par là, mes frères, que ce langage est figuratif; car si nous arrêtons notre pensée sur le soleil visible, il brûle pendant le jour, à la vérité, mais est-ce que la lune brûle pendant la nuit? Mais qu’est-ce qu’une brûlure? Un scandale. Ecoute ce mot de l’Apôtre : « Qui est faible, sans que je sois faible avec lui? Qui est scandalisé, sans que je brûle 4? »

13. Donc « le soleil ne te brûlera pas pendant

 

1. Sag, V, 6-9. — 2. Matth. V, 45.— 3. Ps. CXX, 6.— 4. II Cor. XI, 29.

 

le jour, ni la lune pendant la nuit ». Pourquoi? Parce que le Seigneur te préservera de tout mal ». Il te préservera, et du scandale de la part du soleil, et du scandale de la part de la nuit, en un mot de tout mal, celui qui couvre la main de ta droite, qui ne dort pas, qui ne sommeille pas. Pourquoi cette promesse? C’est que nous sommes au milieu des tentations: « Et le Seigneur te gardera de tout mal; que le Seigneur garde ton âme ». Oui, jusqu’à ton âme. « Qu’il veille sur ton entrée et ta sortie, et aujourd’hui et jusque dans les siècles ». Rien n’est demandé pour le corps, parce que c’est le corps que l’on fit mourir chez les martyrs; mais que le Seigneur garde ton âme, car chez les martyrs l’âme ne succomba point. Les bourreaux sévissaient contre Crispine, dont nous célébrons aujourd’hui la fête. Ils traitaient cruellement une femme riche et débile. Mais elle était forte, parce que le Seigneur, qui la gardait, couvrait la main de sa droite. Qui, mes frères, ne connaît Crispine dans l’Afrique tout entière? Elle était illustre, de noble origine et possédait de grands biens. Mais tout cela était la gauche, était sous sa tête. L’ennemi vint frapper la tête et on la soutint de la gauche qui était sous la tête. Mais la tête s’élevait au dessus, et la droite de Dieu l’embrassait d’en haut. Que pouvait toute la malice d’un persécuteur, contre cette femme si débile? Sans doute, il y avait chez elle, et la faiblesse du sexe, et cette langueur que produisent les richesses, et cette mollesse d’une longue habitude. Mais qu’est-ce que tout cela en comparaison des grands secours de Dieu? Qu’est-ce que tout cela quand l’époux met sa gauche sous la tête, et nous embrasse de sa droite? Quel ennemi pourrait la frapper ainsi défendue? Il frappa néanmoins, mais le corps. Or, que dit le psaume? « Que Dieu garde ton âme ». L’âme ne céda point, le corps fut frappé; encore ne fut-il frappé que pour un temps, puisqu’il doit ressusciter à la fin du monde. Celui qui a daigné se faire chef de l’Eglise, permit aux bourreaux de le frapper pour un temps; mais il ressuscita sa chair le troisième jour, et ressuscitera la nôtre à la fin du monde. La tête est ressuscitée afin de veiller sur le corps et de l’empêcher de céder. « Que le Seigneur garde ton âme ». Qu’elle ne cède point, qu’elle ne se laisse briser ni par les scandales, ni par les persécutions, ni par (18) la tribulation; que son courage ne se laisse point abattre. Le Seigneur l’a dit : « Ne craignez joint ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme, mais craignez celui qui peut précipiter l’âme et le corps dans l’enfer 1 ». Que le Seigneur dès lors garde cette âme, de peur que tu ne sois victime des séductions de l’ennemi, victime de fausses promesses, victime des menaces contre les biens du temps, et que « le Seigneur garde ton âme ».

11. Ensuite « Que le Seigneur garde ton entrée et ta sortie, et aujourd’hui et jusque dans les siècles ». Réfléchis un moment sur ton entrée. « Que le Seigneur veille sur ton entrée et sur ta sortie, dès ce jour, et jusque dans les siècles ». Qu’il garde aussi ta sortie. Qu’est-ce que l’entrée? Qu’est-ce que la sortie? L’entrée pour nous, c’est la tentation; et !a victoire sur la tentation, c’est la sortie. Vois cette entrée et cette sortie dans l’Ecriture : « La fournaise éprouve les vases du potier, et la tribulation douloureuse les hommes justes 3 ». Si les hommes justes sont comme les vases du potier, il faut que ces vases soient mis dans la fournaise. Et ce. n’est point quand ils entrent que le potier se tient assuré, muais quand ils sortent. Quant au Seigneur, il ne craint point, car il connaît ceux qui lui appartiennent’; il connaît ceux qui n’éclateront point dans la fournaise. lJs n’éclatent point,ceux qui n’ont point l’orgueil. C’est donc l’humilité qui nous garde en toute tentation; car nous montons de la vallée des larmes en chantant le cantique des degrés, et le Seigneur veille sur l’entrée, afin que nous entrions en toute sûreté. Gardons une foi pure dans la tentation, et le Seigneur « gardera  notre sortie dès maintenant et jusque dans les « siècles ». Quand nous serons sortis de toute épreuve, nulle tentation ne viendra nous effrayer dans l’éternité, nulle convoitise ne nous inquiétera. Ecoute l’Apôtre qui nous rappelle ce que nous disions tout à l’heure: « Dieu est fidèle, et ne permettra point que nous soyons tentés au-dessus de nos forces ». C’est ainsi que Dieu veille sur ton entrée quand il écarte de toi l’épreuve à laquelle tu ne pourrais résister, il veille sur ton entrée : voyez s’il ne garde point aussi la sortie.

 

1. Matth. X, 28. — 2. Ps. CXX, 8.— 3. Eccli. XXVII, 6. — 4. II Tim. II,19.

 

 « Mais, poursuit l’Apôtre il donnera une issue à la tentation, afin que vous la puissiez supporter 1 ». Pouvons-nous, mes frères, nous expliquer autrement que ne le fait ici l’Apôtre ! Veillez donc sur vous, mais non par votre propre vigilance, parce que c’est Dieu qui vous protége et qui vous garde, lui qui ne dort point, qui ne sommeille point. Une seule fois, il a dormi pour vous; il est ressuscité et ne dormira plus. Que nul ne compte sur soi-même. C’est de la vallée des pleurs que nous nous élevons; ne demeurons pas en chemin. Nous avons encore des degrés à monter ; nous ne devons ni y demeurer par paresse, ni y tomber par orgueil. Disons à Dieu: Que notre pied ne soit point ébranlé; il ne dormira point celui qui nous garde. Cela est en notre pouvoir, si, avec le secours de Dieu, nous choisissons pour gardien celui qui ne dort pas, qui ne sommeille pas, qui garde Israël. Quel Israël, sinon celui qui voit Dieu? Ainsi le secours te viendra du Seigneur, ainsi il te protégera sur la main de ta droite, ainsi seront gardées, et ton entrée et ta sortie, dès maintenant et jusque dans les siècles. Si tu présumes de toi-même, ton pied sera ébranlé, et si ton pied est ébranlé, quand même tu te croirais sur quelque degré, tu tomberas à cause de ton orgueil; car celui qui est humble dans cette vallée des pleurs dit à Dieu : « Ne permettez point que mon pied soit ébranlé».

15. Le psaume était court, et néanmoins voila une longue explication, un long sermon. Imaginez-vous, mes frères, qu’à l’occasion de la fête de sainte Crispine, je vous ai invité à uu festin, et que je n’y ai point gardé la tempérance; je vous ai retenus trop longtemps à table. Cela ne pourrait-il poiuit vous arriver, si quelque homme du monde vous invitait et vous forçait à boire outre mesure? Qu’il nous soit permis d’en agir ainsi, à propos de la parole divine, afin qu’elle vous enivre et vous rassasie, comme cette pluie du Seigneur vient détremper les terres, et que nous allions avec plus de joie rejoindre les martyrs, comme nous l’avions promis hier. Car les martyrs sont ici-bas avec, nous, sans aucun labeur.

 

1. Cor. X, 13.

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