|
|
DISCOURS SUR LE PSAUME CXX.SERMON AU PEUPLE POUR LA FÊTE DE SAINTE CRISPINE, MARTYRE.NOTRE CONFIANCE DANS LE SEIGNEUR.Cest de la vallée des larmes ou de lhumilité, quil faut nous élever, et le Christ sest fait vallée en sabaissant jusquà la mort de la croix, avant de sélever par la résurrection. Les martyrs lont compris, eux qui nont recueilli quaprès avoir semé dans les larmes. Nous devons monter de manière à nêtre point surpris par le dernier moment qui viendra comme un voleur pendant la nuit. Il ny aura de surpris que lorgueilleux, qui met sa confiance dans les biens de la terre, et lhomme de la nuit, ou linfidèle. Quils lèvent les yeux sur les montagnes ou quils écoutent les saints prédicateurs. Le Prophète, craignant lorgueil qui nous ébranle, demande à Dieu que son pied ne chancelle point, et Dieu ajoute : Que ton gardien ne sendorme point. Choisis pour te garder le Christ qui garde Israël, et Israël voit Dieu. Tu seras IsraIl quand tu croiras aux gloires de son humanité, et à sa résurrection. Il couvrira la main de ta droite. La droite signifie les biens spirituels, et la gauche les biens temporels. Quiconque met sari bonheur dans les biens dici-bas, prend sa droite pour sa gauche. La droite cest lembrassement de Dieu : tes longs jours ou le bonheur éternel sont à droite, à gauche les richesses. La main signifie la puissance, et la vie et la mort sont en la main de la langue, parce que la langue nous justifie ou nous condamne. Cette main est le pouvoir de prendre place à la droite de Dieu parmi ses enfants. Mais Dieu doit nous protéger contre le scandale ou lerreur: erreur à propos de Dieu, cest le soleil qui brûle ; erreur à propos de lhumanité du Christ ou de lEglise, cest la lune qui brûle. Cest le Seigneur qui veille sur notre entrée, ou la tentation, et sur notre sortie, cest la victoire sur la tentation. Ainsi Crispine lève la tête au-dessus des persécutions, son âme est gardée, et cest le Seigneur qui est notre force.
1. Voici le second des psaumes intitulés « Cantiques des degrés ». Il en est plusieurs, en effet, comme vous lavez entendu à propos du premier, qui marquent cette ascension par laquelle notre coeur sélève à Dieu du fond de cette vallée des pleurs, cest-à-dire des abaissements de nos misères. Nous ne pouvons en effet nous élever utilement, si dabord nous ne sommes humiliés, afin de nous souvenir quil faut nous élever du fond de la vallée (or, une vallée sur la terre est un lieu bas, et ces lieux bas sappellent vallées, au même titre que les lieux élevés sappellent montagnes ou collines); de peur quen cherchant à nous élever avec précipitation et à contretemps, nous ne trouvions une chute au lieu dune ascension. Le Seigneur en effet nous a montré quil faut nous élever de cette vallée des larmes, quand il a daigné sabaisser jusquà souffrir pour nous la mort de la croix. Ne perdons point de vue cette leçon; les Martyrs ont compris cette vallée des larmes. Et doù lont-ils comprise? Doù? parce que cest de la vallée des larmes quils se sont élevés pour être couronnés. 2. Ce psaume, ce cantique des degrés, convient (10) parfaitement à notre solennité; car cest des Martyrs quil est dit ailleurs: «Ils allaient et pleuraient en répandant leurs semences 1». Cest bien ici une vallée de larmes, où lon sème en pleurant. Quelle est cette semence ? Les bonnes oeuvres que lon fait dans les tribulations de cette vie. Quiconque fait le bien dans la vallée des pleurs, ressemble à un homme qui sème pendant lhiver. Le froid lempêche-t-il de travailler? Ainsi les persécutions du monde ne doivent point nous détourner des bonnes oeuvres; vois en effet ce qui suit: « Ils marchaient en pleurant», dit le Prophète, « et répandaient leurs semences ». Misérables, sils pleuraient toujours; misérables, si nul ne devait essuyer leurs larmes. Mais nous lisons ensuite : « Quand ils viendront, au contraire, ils viendront dans la joie, en portant leurs gerbes 2 ». 3. Ces cantiques, mes frères, ne nous apprennent donc quà nous élever, mais à nous élever par le coeur, par de saints désirs, par la foi, lespérance et la charité, par le désir de léternité et dune vie sans fin. Cest ainsi quon sélève. Il est de notre devoir dexpliquer coin ment nous devons monter. Quelles terribles menaces ne venez-vous pas dentendre à la lecture de lEvangile ! Vous y voyez que le jour du Seigneur viendra, comme le voleur, pendant la nuit. « Si le père de famille », est-il dit, « savait à quel moment viendra le voleur, je vous le déclare, il ne laisserait point pénétrer dans sa maison 3». Or, vous vous dites en vous-mêmes : Comment peut-on connaître ce moment, puisquil viendra comme un voleur? Dans ton ignorance de lheure, veille continuellement, afin que, nonobstant ton ignorance, ce moment te trouve prêt sans cesse. Et peut-être est-ce afin que tu sois toujours prêt que ce moment est inconnu. Cette heure surprendra le père de famille, qui est ici le type de lorgueilleux. Ne sois donc point de ces pères de famille, et cette heure ne te surprendra point. Que faut-il être, me diras-tu? Ce que tu viens dentendre dans le psaume : « Pour moi, je suis pauvre et affligé ». Si tu es pauvre et affligé, tu ne seras point ce père de famille que cette heure doit surprendre tout à coup, et tout à coup accabler. Ils sont pères de famille, ceux qui senorgueillissent en donnant un libre cours à leurs convoitises, en se plongeant
1. Ps. CXXV, 6. 2. Ibid. 3. Matth. XXIV, 43.2. Ps. LXVIII, 30.
dans les délices de cette vie ; qui sélèvent contre les humbles, jettent le mépris sur les saints qui comprennent la voie étroite 1 conduisant à la véritable vie. Ces hommes seront surpris par la dernière heure, car tels étaient ceux qui vivaient aux jours de Noé, dont lEvangile parlait tout à lheure, comme vous lavez entendu 2. « Ils mangeaient, ils buvaient, les hommes mariaient leurs filles, épousaient des femmes, plantaient, bâtissaient, jusquà ce que Noé entra dans larche, et le déluge vint et les perdit tous 3 ».Quoi donc! Sont-ils condamnés à périr ceux qui en agissent ainsi, qui marient leurs filles, qui épousent des femmes, qui plantent, qui bâtissent? Non, mais ceux-là qui sen glorifient, qui préfèrent à Dieu toutes ces occupations, qui, pour cela, sont toujours prêts à offenser Dieu. Quant à ceux qui nen veulent point user, ou qui nen usent que comme nen usant pas, qui se confient en Celui qui a donné ces biens plus quen ces biens qui sont donnés, qui reconnaissent dans ces dons la miséricorde qui les console, qui ne se passion tient point pour ces dons, afin de ne point tomber dauprès de Dieu, ces hommes ne seront point surpris quand le moment viendra comme le voleur. Cest à eux que lApôtre a dit : « Quant à vous, vous nêtes point dans les ténèbres pour être surpris par ce jour comme par un voleur; vous êtes tous des enfants de lumière et des enfants du jours 4».Aussi le Seigneur,en nous disant de craindre cette heure, a-t-il dit quelle viendra la nuit, et lApôtre sexprime ainsi : « Le jour du Seigneur viendra la nuit comme le voleur 5 ». Veux-tu nêtre Point surpris? Ne sois pas dans la nuit. Et quest-ce à dire, ne sois point dans la nuit? « Vous êtes les enfants de la lumière, les enfants du jour; nous ne sommes point enfants de la nuit, « ni des ténèbres ». Or, quels sont ces enfants des ténèbres et de la nuit? Les injustes, les impies, les infidèles. 4. Mais à leur tour, avant que vienne la nuit, quils écoutent et que lApôtre leur dise : « Vous étiez jadis ténèbres, et maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur 6 ». Quils séveillent selon lavis de notre psaume. Déjà les montagnes sont éclairées, pourquoi dormir encore? « Quils lèvent les yeux vers a les montagnes, doù leur viendra le se-
1. Matth. VII, 14. 2. Id. xxiv, 37- 44. 3. Luc, XVII, 26, 27. 4. I Thess. V, 4. 5. Id. 2. 6. Ephés. V, 8. 11
cours 1 ». Quest-ce à dire que déjà les montagnes sont éclairées? Déjà sest levé le soleil de justice, déjà les Apôtres ont prêché lEvangile, prêché les saintes Ecritures, toutes les figures sont à découvert, le voile est déchiré 2, le secret du temple est révélé ; quils lèvent enfin les yeux vers les montagnes, doù leur viendra le secours, Voilà ce que nous ordonne ce psaume, qui est le second parmi les cantiques des degrés. Mais quils ne conçoivent aucune présomption au sujet de ces montagnes, car ces montagnes, loin dêtre éclairées par elles-mêmes, reçoivent la lumière de Celui dont il est dit « Et celui-là était la véritable lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde 3». Par ces montagnes, on peut entendre les hommes dune éminente piété, les hommes illustres. Et qui rut pins grand que Jean-Baptiste? Quelle montagne, que cet homme dont le Sauveur a dit: « Parmi ceux qui sont nés des femmes, nui nest « plus grand que Jean-Baptiste 4?» Assurément tu vois cette montagne, tu en contemples la lumière ; écoute ses aveux. Quels aveux? « Et nous avons tous reçu de sa plénitude 5». De celui qui adonné aux montagnes de sa plénitude, viendra aussi le secours pour toi, et non des montagnes 6. et toutefois si tu ne lèves les yeux sur ces montagnes, par le moyen des Ecritures, tu ne pourras approcher afin dêtre éclairé par Celui qui les éclaire. 5. Chante alors ce qui suit Si tu veux savoir sur quels degrés tu poseras solidement ton pied, afin de monter sans fatigue et sans tomber 7, répète ce qui suit : « Ne permettez pas que mon pied soit ébranlé 8 ». Par quoi nos pieds sont-ils ébranlés? Qui ébranla le pied dAdam, quand il était dans le paradis? Mais vois dabord comment fut ébranlé le pied de celui qui était parmi les anges, et qui
1. Ps. CXX, 1. 2. Matth. XXVII, 51. 3. Jean, I, 9. 4. Matth. XI, 11. 5. Jean, I, 16. 6. Dancienne, éditions de Venise et de Paris continuent ainsi : « cest donc le Christ, le Fils du souverain Père qui est notre salut et notre secours; et avec ce mème Père. Il est tout-puissant, et il demeure en lui, en son essence. Enfin, si tu ne lèves les yeux sur ces montagnes, etc. » 7. On trouve ici dans ces mêmes éditions : « Et sans tomber. Mon secours, dit le Prophète, est dans le Seigneur. Non point dans tout seigneur, car il est beaucoup dhommes ainsi appelés, et qui sont mortels, fragiles et misérables; mais dans le Seigneur de, seigneurs, dans celui qui a fait le ciel et la terre. Voilà le souverain Seigneur, qui est le Dieu des dieux; il est Dieu parce que tout ce qui a été fait la été par lui, et cest de lui que tout tient lêtre; il est Seigneur, parce quil possède au-delà de toute expression tout ce qui est. Il est donc bon, et souverain Seigneur, et Dieu. Si, au moyen de ces montagnes, tu lèves tes yeux vers lui, tu en obtiendras un s secours éternel. Donc, afin quil soit ton secours, invoque-le, et » 8. Ps. CXX, 3.
tomba par cette secousse, et dange quil était devint diable : il tomba parce que son pied fut ébranlé. Cherche la cause de sa chute. Il tomba par orgueil. Il ny a dès lors que lorgueil pour ébranler nos pieds; que lorgueil, pour nous faire chanceler et tomber. La charité, au contraire, nous ébranle pour marcher, pour avancer, pour monter; lorgueil, pour nous faire tomber. Aussi quest-il dit dans notre psaume ? « Les enfants des hommes espéreront à labri de vos ailes 1». Sils sont à labri, ils sont toujours humbles, toujours pleins despérance en Dieu , toujours sans présomption deux-mêmes. « Cest à labri de vos ailes quils concevront de lespérance »; car ce nest point en se rassasiant deux-mêmes quils goûtent la félicité. Mais que dit ensuite le Prophète ? « Ils seront enivrés de labondance de votre maison, et vous les abreuverez au torrent de vos délices 2 ». Les voilà qui ont soif et qui senivrent, qui ont soif et qui boivent; mais ils ne boivent point en eux-mêmes , car ils ne sont point des sources. Où boivent-ils alors? « Cest à labri de vos ailes quils conçoivent lespérance 3». Sils sont à lombre de vos ailes, ils sont humbles. Pourquoi? « Parce que cest en vous», dit le Prophète, « quest la source de la vie 4». Ces montagnes donc ne sarrosent point elles-mêmes, pas plus quelles ne silluminent. Vois en effet ce qui suit : « Cest en votre lumière que nous verrons la lumière 5». Si donc cest dans la lumière de Dieu que nous voyous la lumière ; qui est privé de la lumière, sinon lhomme qui ne voit point en Dieu? Quiconque veut être sa propre lumière, se prive dès lors de la lumière qui léclaire. Aussi, sachant quil ny a, pour être privé de la lumière, que celui-là seul qui veut séclairer, bien quil ne soit que ténèbres, le Prophète ajoute: « Que le pied de lorgueil ne vienne point contre moi, et que la main du pécheur ne mébranle point » ; cest-à-dire, quà limitation des pécheurs, je ne sois point ébranlé et séparé de vous. Mais pourquoi craindre et dire : « Que le pied de lorgueil ne vienne point sur moi? » Le Prophète répond : « Cest là que sont tombés ceux qui commettent liniquité 6 ». Tous ceux qui commettent maintenant liniquité sous tes yeux sont déjà
1. Ps. XXXV, 8. 2. Id. 9. 3. Id. 8. 4. Id. 10. 5. Ibid. 6. Id. xxxv, 12, 13.
12
condamnés; mais, pour en arriver là, ils sont tombés où le pied de lorgueil les a heurtés. Il a donc raison celui qui écoute afin de monter et de ne point tomber, afin de sélever de cette vallée de larmes, sans tomber par orgueil; il a raison de dire à Dieu : « Ne permettez point que mon pied soit ébranlé », et Dieu lui répond : « Que ton gardien ne sendorme pas ». Ecoutez bien, mes frères. On joint ensemble ici deux interlocuteurs. Lhomme qui sélève, en chantant ce cantique, dit à Dieu : « Ne permettez point que mon pied soit ébranlé »; et Dieu parait lui répondre : Tu me dis : « Ne permettez point que mon pied soit ébranlé », ajoute alors: « Et que ton gardien ne sendorme pas », ton pied alors ne sera point ébranlé. 6. Peut-être va-t-il répondre: Est-il en mon pouvoir que mon gardien ne sendorme pas? Je voudrais quil ne sendormît point, quil ne sommeillât point. Choisis donc pour te garder celui qui ne dort, qui ne sommeille point, et ton pied ne sera point ébranlé. Or, Dieu ne dort jamais; choisis donc le Seigneur pour ton gardien, si tu veux avoir un gardien vigilant. « Ne permettez point que mon pied « soit ébranlé », dis-tu : cest bien; cest très-bien. Mais Dieu te répond : « Et que ton gardien ne sendorme pas ». Tu allais chercher parmi les hommes un gardien, et dire: Qui trouverai-je pour ne point dormir ? Quel homme ne sendort point? Qui trouver? Où aller? Où me tourner? Voilà que le Seigneur vient à ton aide : « Voilà quil ne dormira point, quil ne sommeillera point, celui qui garde Israël 1». Car cest le Christ qui garde Israël. Sois donc Israël, toi-même, Quest-ce à dire Israël? Israël signifie voyant Dieu. Et comment voit-on Dieu? Dabord par la foi, ensuite face à face. Si tu ne peux le voir face à face, vois-le du moins par la foi. Si tu ne peux le voir face à face, parce quen cela consiste la claire vue, vois du moins ses gloires postérieures. Cest ce que le Seigneur dit à Moïse : « Tu ne saurais voir ma face, mais quand je serai passé, tu me verras par derrière 2 ». Tu attends quil passe : il est déjà passé; suis-le de vue par derrière ; où est-il passé ? Ecoute saint Jean : « Quand vint lheure », nous dit-il, « où il devait passer de ce monde à son Père 3». Déjà Notre-Seigneur Jésus-Christ a fait la Pâque, et Pâque
1. Ps. CXX, 4. 2. Exod. XXXIII, 20, 23. 3. Jean, XIII, 1.
signifie passage, car cest un mot hébreu, et non, comme lont cru plusieurs, un mot grec, ayant le sens de souffrances. Dautres, plus exacts et plus savants, ont trouvé que Pâque est un mot hébreu ayant le sens de passage, et non de douleur. Cest par les souffrances que Jésus-Christ a passé de la mort .à la vie, nous traçant ainsi la voie, à nous qui croyons en sa résurrection, afin que nous passions de la mort à la vie. Cest peu de croire que le Christ est mort : les païens,.les Juifs, les impies le croient aussi. Tous croient quil est mort; la foi chrétienne consiste à croire en sa résurrection ; croire quil est ressuscité, cest donc limportant pour nous. Il a donc voulu être vu dans son passage, ou dans sa résurrection, et il a voulu que lon crût en lui quand il passait, parce quil a été livré pour nos péchés, et quil est ressuscité pour notre justification 1 . Telle est la foi en la résurrection du Christ, vivement recommandée par lApôtre : « Vous serez sauvés », dit-il, « si vous croyez de tout votre coeur que Dieu la ressuscité dentre les morts 2 ». Il ne dit point : Si tu crois que le Christ est mort, ce que croient les païens, les Juifs et tous ses ennemis; mais bien: « Si tu crois de tout ton coeur que Dieu la ressuscité dentre les morts, tu seras sauvé ». Croire ainsi, cest être Israël, cest voir Dieu ; et bien que tu le voies seulement par derrière, la foi en ses gloires postérieures te conduira à la claire vue. Quest-ce à dire? Cest-à-dire quand tu croiras en ce que Jésus-Christ sest fait pour toi, dans la suite des temps, quand tu croiras en ce quil a pris de toi postérieurement. Car au commencement quelle est sa face? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu». Quest-il postérieurement ? « Et le Verbe sest fait chair, et il a habité parmi nous ». Croire donc en ce que le Verbe sest fait pour toi, en la résurrection de sa chair, afin de ne point désespérer de la tienne, cest devenir Israël. Mais une fois que tu seras Israël, ton gardien ne dormira point, ne sommeillera point. Car tu es Israël, et tu as entendu le Psalmiste : « Voilà que le gardien dIsraël ne dormira point, ne sommeillera point ». Le Christ lui-même a dormi, mais il est ressuscité. Que dit-il à son tour dans un psaume ? « Jai dormi, jai pris mon sommeil ». Est-il
1. Rom. IV, 25. 2. Id. X, 9. 3. Jean, I, 14.
demeuré endormi ? « Je me suis levé », dit-il. « parce que le Seigneur me protégera 1 ». Si donc il est ressuscité, il a passé; sil a passé, regarde-le par derrière. Crois en sa résurrection. Et comme lApôtre a dit : « Quoiquil ait été crucifié selon la faiblesse de la chair, il est néanmoins vivant par la puissance de Dieu 2 »; et encore : « Le Christ, ressuscité dentre les morts, ne meurt plus; la mort naura plus dempire sur lui 3»; le Prophète a raison de chanter: « Voilà quil ne dormira point, quil ne sommeillera point, le gardien dIsraël ». Tu cherches, peut-être, dans un sens charnel, qui ne dormira point, qui ne sommeillera point ? Tu le cherches parmi les hommes, mais en vain; tu ne le trouveras pas. Ne mets ta confiance dans aucun homme, puisque tout homme dort, tout homme sommeille. Quand sommeille-t-il? quand il porte ici-bas une chair fragile. Quand dormira-t-il? quand il sera mort. Ne mets donc point ta confiance dans un homme. Il peut sommeiller, puisquil est mortel, et il sendort en mourant. Ne cherche point parmi les hommes. 7. Et qui donc, me diras-tu, pourra me garder sans dormir, sans sommeiller? Ecoute ce qui suit: « Le Seigneur te gardera ». Ce nest donc point un homme qui dort ou qui sommeille, mais le Seigneur qui te garde. Comment te garde-t-il ? « Cest lui qui est ta défense, qui couvre ta droite » Courage, mes frères I comprenons, avec le secours de Dieu, ce que signifie cette parole : « Le Seigneur est ta défense, il couvre ta main de droite ». Il y a, je crois, quelque raison mystérieuse qui a détourné le Prophète de dire purement et simplement : « Le Seigneur te protégera»; mais lui a fait ajouter : « Il couvre la main de ta droite ». Dieu ne garde-t-il que notre droite, et néglige-t-il notre gauche? Ne nous a-t-il pas faits entièrement? Et celui qui a fait notre droite, na-t-il pas fait aussi notre gauche? Sil lui a plu de ne parler que de la droite, pourquoi cette expression: la main de ta droite, et non pas simplement, la main droite? Pourquoi ce langage, sil ny avait pas là quelque raison mystérieuse quil nous dérobe, afin que nous frappions à la porte? Car il devrait dire, sans rien ajouter, ou bien : Le Seigneur te gardera; ou, sil voulait ajouter la droite: Le Seigneur te protégera sur ta droite; ou enfin, sil voulait ajouter la main, il dirait:
1. Ps. III, 6. 2. II Cor, XIII, 4, 3. Rom. VI, 9.
Le Seigneur couvrira ta main droite, et non la main de ta droite. Je vous dirai ce que daignera me suggérer le Seigneur ; lui qui veut bien habiter en vos âmes, daignera, sans doute, vous faire agréer mes paroles comme celles de la vérité. Vous ne savez encore ce que je veux dire; mais quand je vous laurai dit, ce nest point moi qui vous montrerai la vérité de mes paroles, vous-mêmes en reconnaîtrez la vérité. Comment la reconnaîtrez-vous, sinon à la lumière de Celui qui habite en vous, parce que vous êtes au nombre de ceux qui disent « Ne laissez point sébranler mon pied » ; et à qui lui-même répond: « Que ton gardien ne sendorme pas, quil ne sommeille pas ? » Que Jésus-Christ ne sendorme point en vous, et alors vous comprendrez la vérité de nies paroles. Comment cela, direz-vous? Parce que, si votre foi sendormait, le Christ dormirait en vous. Car le Christ est dans votre coeur, quand vous croyez au Christ. LApôtre nous dira que le Christ habite en nos coeurs par la foi 1 . Que notre foi ne sommeille point, et le Christ veille en nous. Et si ta foi sommeillait, et te laissait, à légard du sujet qui nous occupe, dans une fluctuation semblable à celle du vaisseau que battait la tempête, et dans lequel Jésus dormait 2, éveille le Christ, et la tempête sapaisera. 8. Jen appelle donc à votre foi, mes frères, ô vous qui êtes les fils de lEglise, qui vous êtes avancés dans lEglise, et qui vous avancerez si vous ne lavez point fait encore, qui ferez des progrès de plus en plus rapides, et qui en avez faits déjà, jen appelle à votre foi; comment comprenez-vous cette parole que vous entendez dans lEvangile : « Que votre main gauche ignore ce que fait votre droite 3? » Comprendre cette parole, cest comprendre ce quest la droite et ce quest la gauche ; vous comprendrez également que cest Dieu qui a fait lune et lautre, la droite et la gauche, et que néanmoins la droite ne doit point savoir ce que fait la gauche. La gauche signifie toute possession temporelle, et la droite le bien éternel et immuable que Dieu nous a promis. Or, si le même Dieu qui nous donnera la vie éternelle nous console pendant cette vie parles biens des temps, cest lui, assurément, qui a fait la droite et la gauche. David a dit dans un psaume, à propos de quelques-uns, que « leur bouche a dit des
1. Ephés. III, 17. 2. Matth. VIII, 24-26. 3. Id. VI, 3.
14
choses vaines, et que leur droite est la droite de liniquité». Donc, il en trouve, et il les en blâme, qui prennent leur véritable droite pour la gauche, et leur véritable gauche pour leur droite, et il nous montre ensuite quels sont ces hommes. Quiconque ne voit pour lhomme de félicité que dans les seuls biens et les plaisirs du temps, dans labondance et les richesses de ce monde, celui-là est un insensé, un pervers, il prend sa gauche pour sa droite. Tels étaient ceux dont le psaume nous dit, non point quils navaient pas reçu de Dieu les biens quils possédaient, mais quils ne faisaient consister quen ces jouissances la vie bienheureuse, et ne recherchaient rien autre chose. Ecoutez, en effet, ce quil dit ensuite à leur sujet: « Leur bouche a dit des choses vaines, et leur droite est la droite de liniquité ». Et ensuite : « Leurs enfants sont comme de jeunes arbres, leurs filles sont ornées comme lidole dun temple, leurs « celliers sont remplis et regorgent deçà et delà, leurs brebis sont fécondes et sen vont en foule de leurs étables; leurs boeufs sont gras, on ne voit dans les clôtures ni passage ni ruine, et nul cri ne sélève de leurs places publiques 1 ». Telle est la grande félicité de quelques-uns. Toutefois cette félicité pourrait échoir à un juste, comme elle échut à Job ; mais Job la regardait comme sa gauche, et non comme sa droite; car il ne comptait pour sa droite que le bonheur continuel et sans fin quil se promettait en Dieu. Cest pourquoi Dieu permit quon le frappât sur la gauche, et sa droite lui suffit. Comment la gauche fut-elle frappée? Par les tentations du démon. Le démon lui enleva soudainement ses biens, lui à qui Dieu permet dagir, pour éprouver le juste et châtier limpie, enleva tout à Job; mais Job savait que la gauche était la gauche, et quil ny a que la droite qui soit la droite; avec quelle force admirable il sattacha à la droite ! Il tressaillit dans le Seigneur, il se consola de ses pertes, parce quil ne laissa point entanier ses trésors intérieurs; son coeur était plein de Dieu. « Le Seigneur la donné », dit-il, « le Seigneur la ôté; ainsi quil a plu au Seigneur, il a e été fait : que le nom du Seigneur soit béni 2». Telle était sa droite, le Seigneur lui-même, la vie éternelle même, la possession de lineffable lumière, la source de la
1. Ps. CXLIII, 11-15. 2. Job, I, 21.
vie, la lumière dans la lumière. « Ils seront enivrés de labondance de votre maison 1». Cétait là sa droite. Quant à sa gauche elle nétait quun secours de consolation, et non un affermissement dans la félicité. Car Dieu était pour lui le bonheur véritable et souverain. Ainsi, quand David a dit de ces hommes que « leur bouche sépanche en vanités, que leur droite est la droite de linjustice 2 », il ne leur fait pas un crime de posséder tous ces biens , mais de ce que leur bouche se répand en paroles vaines. En effet, que voyons-nous ensuite? Après avoir énuméré toutes leurs richesses, il sécrie : « Ils ont appelé heureux le peuple qui possède ces biens 3 ». Telle est la vanité qua proférée leur bouche, cest davoir proclamé heureux le peuple qui a de tels biens. Mais que direz-vous, ô Prophète, qui savez discerner quelle est votre gauche et quelle est votre droite? Il continue en disant: « Bienheureux le peuple qui a le Seigneur pour son Dieu 4». 9. Que votre charité soit donc attentive. Nous avons vu ce quest la gauche et vu encore ce quest la droite. Ecoutez dans les cantiques la confirmation de nos paroles : « Sa gauche est sous ma tête », nous dit lEpouse en nous parlant de lEpoux, lEglise en parlant du Christ dans lembrassement dune ineffable charité. Que dit-elle donc? «Sa gauche est sous ma tête », et il membrasse de sa droite 5. Doù vient que lEpoux, afin dembrasser IEpouse, mettait sa gauche sous sa tête et sa droite au dessus; sa gauche pour la consoler et sa droite pour la protéger? « Sa gauche est sous ma tête », nous dit-elle. Cette gauche vient de Dieu, bien quelle soit appelée gauche, parce que cest lui qui donne tous les biens temporels. Combien sont vains, sont impies ceux qui demandent ces biens aux idoles, aux démons ! Combien en est-il qui les demandent aux démons sans les obtenir; combien dautres qui les obtiennent sans les demander aux démons, car les démons ne les donnent point. De même beaucoup les demandent au Seigneur et ne les obtiennent point. Dieu qui nous appelle à la droite sait aussi régler la gauche. Si donc elle est la gauche,quelle soit la gauche, mais sous notre tête, et que la tête sélève au-dessus delle, ou plutôt notre foi dans laquelle habite le Christ. Loin de toi de préférer à ta
1. Ps. XXXIII, 9. 2. Id, CXLIII, 8. 3. Id, 5. 4. Ibid. 5. Cant. II, 6.
15
foi rien de temporel, et alors ta gauche ne sera pas au-dessus de ta tête ; suborne à ta foi tout ce qui est du temps, et mets ta foi au-dessus de tout ce qui passe, alors la gauche sera sous ta tête, et la droite de lEpoux tembrassera. 10. Ecoute les Proverbes te dire encore ce qui est la droite et ce qui est la gauche. Il est dit, à propos de la Sagesse: « La longueur des jours, les années de la vie sont dans sa droite; et dans sa gauche, la gloire et les richesses 1».Cette longueur des jours marque léternité; cest ainsi que lEcriture ne donne le nom de longueur quà ce qui est éternel; car, tout ce qui a une fin est court. « Je le comblerai de la longueur des jours 2 », est-il dit à un autre endroit. Autrement, y aurait-il une grande faveur à dire: « Honorez votre père et votre mère, afin de vivre longtemps sur la terre 3? » Quelle terre, sinon celle dont il est dit : « Vous êtes mon espérance, mon héritage sur la terre des vivants 4?» Quest-ce que vivre longtemps sur cette terre, sinon vivre éternellement? Ici-bas quest-ce, en effet, que vivre longtemps, sinon arriver à la vieillesse? Quelque long que cet âge nous paraisse, dès quon y arrive, il paraît court, parce quil a une fin. Beaucoup vieillissent ici-bas après avoir maudit les parents; beaucoup dautres, après les avoir honorés, vont bientôt à Dieu. La promesse de vivre longtemps sur cette terre est-elle donc accomplie? Non, mais cette, longue vie sentend de léternité. La longue vie est dans sa droite; mais dans sa gauche on trouve les richesses, la gloire, ce qui est nécessaire ici-bas et que les hommes appellent des biens. Mais un homme sélève contre toi et veut te frapper sur la droite, cest-à-dire te ravir ta foi tu as reçu un soufflet sur la droite, présente la gauche 5; cest-à-dire, laisse enlever ce qui est du temps et non ce qui est éternel. Ecoutez comme lapôtre saint Paul pratiquait cette doctrine. Les hommes persécutaient en lui le chrétien ; on frappait sa droite, il présentait sa gauche: « Je suis citoyen romain», disait-il 6. lis outrageaient en lui la droite, il les effrayait de sa gauche, parce quils ne pouvaient craindre en lui la droite, puisquils ne croyaient pas au Christ. Si donc cest la droite qui embrasse la gauche qui est sous la tête,
1. Prov. III, 16. 2. Ps. XC, 16. 3. Exod,. XX, 12. 4. Ps. CXI, 6. 5. Matth. V, 39. 6. Act. XXII, 25.
que signifie cette parole : « Que votre gauche ignore ce que fait votre droite? » Cest-à-dire, quand tu fais une bonne oeuvre, fais-la en vue de la vie éternelle. Car, si tu ne fais le bien sur la terre que pour posséder en abondance les biens terrestres, ta main gauche fait ce que tait ta droite ; tu mets la droite avec la gauche. Nagis donc jamais que pour la vie éternelle. Oui, agis de la sorte, et tu agiras sans crainte; tel est lordre du Seigneur. Si tu nagis que pour les biens de la terre et en vue de la vie présente, il ny a que ta droite pour agir; mais si tu travailles en vue de la vie éternelle, et quil se glisse quelque désir qui tienne à la vie du temps, de manière à travailler aussi dans cette vue et par le désir dune récompense terrestre, cest là mêler la main droite aux oeuvres de la main gauche; et cest ce que Dieu défend. 11. Arrivons maintenant à cette parole du psaume « Cest le Seigneur qui couvre la main de votre droite ». La main signifie la puissance; comment le prouver? Cest que la main de Dieu est appelée la puissance de Dieu. Car le diable qui tenta Job dit à Dieu « Etendez votre main, touchez ce qui est à lui, et voyez sil vous bénit en face 1 ». Quest-ce à dire: « Etendez votre main », sinon donnez-men le pouvoir? Mais écoute plus clairement encore, ô mon frère, afin de couper court aux pensées charnelles, et de ne point te figurer un Dieu qui a des membres; vois plus clairement que la main de Dieu est sa puissance. Il est dit quelque part dans lEcriture : « La mort et la vie sont dans les mains de la langue 2 ». Nous connaissons le morceau de chair appelé langue, se remuant dans la bouche, frappant le palais et les dents pour articuler les sons qui forment la parole. Montrez-moi la main de la langue. La langue na donc point de mains, et cependant elle a une main. Quelle est cette main de la langue? Son pouvoir. Quest-ce à dire que « la vie et la mort sont dans les mains de la langue? Ta bouche te justifiera et ta bouche te condamnera 3». Si donc la main est le pouvoir, quelle est la main de la droite? Je ne vois rien de plus juste, sinon de comprendre par la main de la droite le pouvoir que Dieu ta donné de prendre place à sa droite, avec le secours de sa grâce, si tu le veux. Car tous les impies seront à sa gauche; et cest à droite
1. Job, I, 11. 2. Prov. XVIII, 21. 3. Matth. XII, 37.
16
que seront les fils de Dieu fidèles à sa volonté; cest à eux quil dira: « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé à lorigine du monde 1 ». Tu as donc reçu le pouvoir dêtre à la droite, le pouvoir de devenir enfant de Dieu. Quel pouvoir? Celui dont saint Jean nous dit : « Il leur a donné la puissance de devenir enfants de Dieu 2 ». Doù as-tu reçu cette puissance? « Elle est donnée à ceux qui croient en son nom ». Si donc tu as la foi, tu as aussi le pouvoir dêtre enfant de Dieu. Or, être parmi les enfants de Dieu, cest être à sa droite. Donc ta loi est la main de ta droite, cest-à-dire que la main de ta droite cest le pouvoir qui ta été donné dêtre parmi les enfants de Dieu. Mais que deviendrait cette puissance que lhomme a reçue, si Dieu ne le protégeait? Le voilà qui croit, qui marche dans la foi; il est faible, agité au milieu des tentations, des chagrins, des attraits charnels, des aiguillons de la convoitise, des artifices et des pièges de lennemi. De quoi lui sert de croire au Christ et davoir la puissance dêtre parmi les enfants de Dieu? Malheur à cet homme, si Dieu ne vient au secours de sa foi; cest-à-dire sil nempêche que tu sois tenté au-dessus de tes forces, comme la dit lApôtre : « Dieu est fidèle et il ne souffrira point que vous soyez tentés au-delà de ce que vous pouvez supporter 3 ». Celui donc qui ne souffre pas que nous soyons tentés au-dessus de nos forces, quoique nous ayons déjà la foi, quoique nous possédions la main de notre droite, Dieu nous protége sur la main de notre droite. Il ne nous suffirait pas davoir la main de notre droite, si lui-même ne couvrait de sa protection cette main de notre droite. 12. Voilà pour les tentations : écoutez ce qui suit : « Que le Seigneur te protége sur la main de ta droite ». Je vous lai expliqué, et, autant que je puis en juger, jai réveillé vos souvenirs. Si vous ne laviez déjà su, et su par les saintes Ecritures, vos murmures ne mauraient point fait connaître que vous lavez compris. Donc, mes frères, puisque vous lavez. compris, voyez ce qui suit, pourquoi Dieu nous protége, et sur la main droite, cest-à-dire dans cette nième toi, dans laquelle nous avons reçu le pouvoir dêtre enfants de Dieu et dêtre à sa droite. Pourquoi faut-il que Dieu nous protège? A cause des scandales. Doù
1. Matth. XXV, 34. 2. Jean, I, 12. 3. I Cor. X, 13.
viennent les scandales? Il faut les craindre sous deux points de vue, parce quil y a deux préceptes qui renferment toute la loi et les Prophètes, lamour de Dieu et lamour du prochain 1. On aime 1Eglise à cause du prochain, et Dieu pour lui-même or, le soleil est une figure de Dieu, comme la lune est une figure de 1Eglise. Quiconque peut être dans lerreur au point de croire sur Dieu ce quil ne faut point croire, ou à ne point croire que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont une même substance, est dans lerreur des hérétiques, principalement des Ariens. Sil croit que Je Fils ou le Saint-Esprit ont quelque chose de moins que le Père, il est tombé dans le scandale en ce qui regarde Dieu, et dès lors brûlé par le soleil. Quiconque aussi croit que lEglise est dans une partie du monde, et ne reconnaît point quelle est répandue dans le monde entier, qui croit à ceux qui lui disent: « Cest ici, cest là quest le Christ 2», comme vous lavez entendu tout à lheure dans la lecture de lEvangile, tandis que le Christ a racheté le monde entier pour lequel il a donné une telle rançon : celui-là est scandalisé au sujet du prochain, il est brûlé par la lune. Ainsi quiconque est dans lerreur sur la substance même de la vérité, est brûlé par le soleil, brûlé pendant le jour, parce quil erre au sujet de la sagesse dont il est dit: « Le jour parle au jour ». De là cette parole de lApôtre : « Nous communiquons les choses spirituelles à ceux qui sont spirituels. Le jour annonce la parole au jour, en communiquant les choses de lesprit aux hommes spirituels. Le jour annonce la parole au jour; mais nous annonçons la sagesse aux parfaits 3 ». Que signifie « et la nuit annonce la science à la nuit 4? » Aux petits on prêche lhumilité du Christ, lincarnation du Christ, la croix du Christ; cest le lait qui suffit aux enfants. Dès lors on nabandonne point les enfants dans la nuit, puisque la lune éclaire dans la nuit; cest-à-dire que par la chair du Christ on prêche lEglise, puisque la tête de lEglise cest fe Christ eu sa chair. Quiconque nest scandalisé ni de lEglise ni de la chair du Christ, celui-là nest point brûlé par la lune. Quiconque nest point scandalisé au sujet de la vérité immuable et inaltérable, nest point brûlé par le soleil; non point quil soit épargné
1. Matth. XXII, 37 - 10. 2. Id. XXIV, 23 3. I Cor, II, 13. 4. Ps. XVIII, 3.
17
par ce soleil que voient les mouches et les bestiaux; mais je parle de ce soleil qui fera dire aux impies au dernier jour : « Que nous revient-il de notre orgueil, et que nous a valu le faste de nos richesses? Tout cela est passé comme lombre ». Puis ils déplorent leur malheur : « Nous avons donc erré loin du sentier de la vérité, et la lumière de la justice na pas lui pour nous, son soleil ne sest point levé à nos yeux 1 ». Mais le soleil vulgaire néclaire-t-il point les impies, par lordre de « Celui qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants 2? » Dieu a donc fait un soleil qui se lève sur les bons et sur les méchants et que peuvent voir les uns et les autres; mais il est un autre soleil qui na pas été fait, mais engendré, par qui tout a été fait, en qui est toute lintelligence de limmuable vérité. Cest de lui que les impies diront: « Et le soleil ne sest point levé pour nous ». Celui qui nerre point sur la sagesse elle-même, nest point brûlé par le soleil; et celui qui nerre pas au sujet de lEglise, et de la chair du Christ, et de tout ce quil a fait pour nous dans le temps, nest point brûlé par la lune. Mais bien quun homme ait cru en Jésus-Christ, il tombera dans lerreur deçà ou delà, si cette parole ne saccomplit en sa faveur : « Cest le Seigneur qui te couvre sur la main de ta droite. » Aussi, après avoir dit: « Cest le Seigneur qui te couvre sur la main de ta droite »; comme si on lui répondait: Voilà que jai la main de ma droite, jai choisi la foi en Jésus-Christ, jai reçu le pouvoir dêtre parmi les enfants de Dieu, quai-je encore besoin que Dieu me protège, cest-à-dire quil couvre la main de ma droite? Voilà que le Prophète continue : « Le soleil ne te brûlera point pendant le jour, ni la lune pendant la nuit 3». Ainsi donc le Seigneur couvre la main de ta droite, afin que tu ne sois brûlé ni par le soleil pendant le jour, ni par la lune pendant la nuit. Comprenez par là, mes frères, que ce langage est figuratif; car si nous arrêtons notre pensée sur le soleil visible, il brûle pendant le jour, à la vérité, mais est-ce que la lune brûle pendant la nuit? Mais quest-ce quune brûlure? Un scandale. Ecoute ce mot de lApôtre : « Qui est faible, sans que je sois faible avec lui? Qui est scandalisé, sans que je brûle 4? » 13. Donc « le soleil ne te brûlera pas pendant
1. Sag, V, 6-9. 2. Matth. V, 45. 3. Ps. CXX, 6. 4. II Cor. XI, 29.
le jour, ni la lune pendant la nuit ». Pourquoi? Parce que le Seigneur te préservera de tout mal ». Il te préservera, et du scandale de la part du soleil, et du scandale de la part de la nuit, en un mot de tout mal, celui qui couvre la main de ta droite, qui ne dort pas, qui ne sommeille pas. Pourquoi cette promesse? Cest que nous sommes au milieu des tentations: « Et le Seigneur te gardera de tout mal; que le Seigneur garde ton âme ». Oui, jusquà ton âme. « Quil veille sur ton entrée et ta sortie, et aujourdhui et jusque dans les siècles ». Rien nest demandé pour le corps, parce que cest le corps que lon fit mourir chez les martyrs; mais que le Seigneur garde ton âme, car chez les martyrs lâme ne succomba point. Les bourreaux sévissaient contre Crispine, dont nous célébrons aujourdhui la fête. Ils traitaient cruellement une femme riche et débile. Mais elle était forte, parce que le Seigneur, qui la gardait, couvrait la main de sa droite. Qui, mes frères, ne connaît Crispine dans lAfrique tout entière? Elle était illustre, de noble origine et possédait de grands biens. Mais tout cela était la gauche, était sous sa tête. Lennemi vint frapper la tête et on la soutint de la gauche qui était sous la tête. Mais la tête sélevait au dessus, et la droite de Dieu lembrassait den haut. Que pouvait toute la malice dun persécuteur, contre cette femme si débile? Sans doute, il y avait chez elle, et la faiblesse du sexe, et cette langueur que produisent les richesses, et cette mollesse dune longue habitude. Mais quest-ce que tout cela en comparaison des grands secours de Dieu? Quest-ce que tout cela quand lépoux met sa gauche sous la tête, et nous embrasse de sa droite? Quel ennemi pourrait la frapper ainsi défendue? Il frappa néanmoins, mais le corps. Or, que dit le psaume? « Que Dieu garde ton âme ». Lâme ne céda point, le corps fut frappé; encore ne fut-il frappé que pour un temps, puisquil doit ressusciter à la fin du monde. Celui qui a daigné se faire chef de lEglise, permit aux bourreaux de le frapper pour un temps; mais il ressuscita sa chair le troisième jour, et ressuscitera la nôtre à la fin du monde. La tête est ressuscitée afin de veiller sur le corps et de lempêcher de céder. « Que le Seigneur garde ton âme ». Quelle ne cède point, quelle ne se laisse briser ni par les scandales, ni par les persécutions, ni par (18) la tribulation; que son courage ne se laisse point abattre. Le Seigneur la dit : « Ne craignez joint ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer lâme, mais craignez celui qui peut précipiter lâme et le corps dans lenfer 1 ». Que le Seigneur dès lors garde cette âme, de peur que tu ne sois victime des séductions de lennemi, victime de fausses promesses, victime des menaces contre les biens du temps, et que « le Seigneur garde ton âme ». 11. Ensuite « Que le Seigneur garde ton entrée et ta sortie, et aujourdhui et jusque dans les siècles 2 ». Réfléchis un moment sur ton entrée. « Que le Seigneur veille sur ton entrée et sur ta sortie, dès ce jour, et jusque dans les siècles ». Quil garde aussi ta sortie. Quest-ce que lentrée? Quest-ce que la sortie? Lentrée pour nous, cest la tentation; et !a victoire sur la tentation, cest la sortie. Vois cette entrée et cette sortie dans lEcriture : « La fournaise éprouve les vases du potier, et la tribulation douloureuse les hommes justes 3 ». Si les hommes justes sont comme les vases du potier, il faut que ces vases soient mis dans la fournaise. Et ce. nest point quand ils entrent que le potier se tient assuré, muais quand ils sortent. Quant au Seigneur, il ne craint point, car il connaît ceux qui lui appartiennent; il connaît ceux qui néclateront point dans la fournaise. lJs néclatent point,ceux qui nont point lorgueil. Cest donc lhumilité qui nous garde en toute tentation; car nous montons de la vallée des larmes en chantant le cantique des degrés, et le Seigneur veille sur lentrée, afin que nous entrions en toute sûreté. Gardons une foi pure dans la tentation, et le Seigneur « gardera notre sortie dès maintenant et jusque dans les « siècles ». Quand nous serons sortis de toute épreuve, nulle tentation ne viendra nous effrayer dans léternité, nulle convoitise ne nous inquiétera. Ecoute lApôtre qui nous rappelle ce que nous disions tout à lheure: « Dieu est fidèle, et ne permettra point que nous soyons tentés au-dessus de nos forces ». Cest ainsi que Dieu veille sur ton entrée quand il écarte de toi lépreuve à laquelle tu ne pourrais résister, il veille sur ton entrée : voyez sil ne garde point aussi la sortie.
1. Matth. X, 28. 2. Ps. CXX, 8. 3. Eccli. XXVII, 6. 4. II Tim. II,19.
« Mais, poursuit lApôtre il donnera une issue à la tentation, afin que vous la puissiez supporter 1 ». Pouvons-nous, mes frères, nous expliquer autrement que ne le fait ici lApôtre ! Veillez donc sur vous, mais non par votre propre vigilance, parce que cest Dieu qui vous protége et qui vous garde, lui qui ne dort point, qui ne sommeille point. Une seule fois, il a dormi pour vous; il est ressuscité et ne dormira plus. Que nul ne compte sur soi-même. Cest de la vallée des pleurs que nous nous élevons; ne demeurons pas en chemin. Nous avons encore des degrés à monter ; nous ne devons ni y demeurer par paresse, ni y tomber par orgueil. Disons à Dieu: Que notre pied ne soit point ébranlé; il ne dormira point celui qui nous garde. Cela est en notre pouvoir, si, avec le secours de Dieu, nous choisissons pour gardien celui qui ne dort pas, qui ne sommeille pas, qui garde Israël. Quel Israël, sinon celui qui voit Dieu? Ainsi le secours te viendra du Seigneur, ainsi il te protégera sur la main de ta droite, ainsi seront gardées, et ton entrée et ta sortie, dès maintenant et jusque dans les siècles. Si tu présumes de toi-même, ton pied sera ébranlé, et si ton pied est ébranlé, quand même tu te croirais sur quelque degré, tu tomberas à cause de ton orgueil; car celui qui est humble dans cette vallée des pleurs dit à Dieu : « Ne permettez point que mon pied soit ébranlé». 15. Le psaume était court, et néanmoins voila une longue explication, un long sermon. Imaginez-vous, mes frères, quà loccasion de la fête de sainte Crispine, je vous ai invité à uu festin, et que je ny ai point gardé la tempérance; je vous ai retenus trop longtemps à table. Cela ne pourrait-il poiuit vous arriver, si quelque homme du monde vous invitait et vous forçait à boire outre mesure? Quil nous soit permis den agir ainsi, à propos de la parole divine, afin quelle vous enivre et vous rassasie, comme cette pluie du Seigneur vient détremper les terres, et que nous allions avec plus de joie rejoindre les martyrs, comme nous lavions promis hier. Car les martyrs sont ici-bas avec, nous, sans aucun labeur.
1. Cor. X, 13.
|