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DISCOURS SUR LE PSAUME CXXVIII.SERMON AU PEUPLE.LES TOLÉRANCES DE LÉGLISE.
Dans lEglise de Dieu on trouve des hommes qui reçoivent la parole de Dieu, comme le grand chemin, ou comme les terrains pierreux, ou même comme les terrains épineux ; mais dautres, semblables à la bonne terre, produisent du fruit et font leurs oeuvres à lunisson de la parole divine. Ainsi en a-t-il été toujours ; lEglise a été attaquée dès sa jeunesse elle existait en Abel, tué par Caïn, en Enoch, en Noé, en Abraham, en Loth à Sodome, en Israël dans lEgypte, en Moïse et dans les saints, en Israël. Le psalmiste semble répondre à ceux qui méditent sur les douleurs de lEglise. Ils mont attaquée souvent depuis ma jeunesse, et néanmoins je suis arrivée à la vieillesse. Les attaques ne lont point mise en connivence avec le mal. Toutefois lhomme résiste souvent à la parole évangélique, il obéit à lavancé, plus exigeante que le Seigneur, il sen prend à ceux qui prêchent et calomnie leurs moeurs ; il sen prend même à Dieu, créateur de tout bien, et que les créatures bénissent. Quel que soit lhomme qui nous parle, obéissons, entrons dans lEglise de Dieu. Elle supporte ces plaintes, ces murmures qui ne doivent point durer, et qui nexistent que jusquà la moisson. Il y a donc mélange, mais le juste si près quil soit de limpie, en est éloigné, lassentiment seul fait le rapprochement. Un jour le Seigneur brisera le con des méchants, frappons alors notre poitrine. Tout orgueilleux qui commet le mal, et, au lieu de le reconnaître, se retranche dans son orgueil, comme sous un bouclier, sera frappé. Il hait lEglise et ressemble à lherbe des toits qui se fane avant la récolte, et nentre point dans le grenier céleste. Les passants qui nous bénissent sont les Prophètes, les Apôtres nos ancêtres dans la foi.
1. Le psaume que nous venons de chanter est court; mais lEvangile nous dit de Zachée quil était court de taille et grand en oeuvres 1; ainsi encore la veuve ne mit dans le trésor du temple que deux pièces de monnaie 2, cétait peu dargent et beaucoup de charité 3. De même, si lon compte les paroles de notre psaume, il est court; mais il est grand si lon en pèse le sens. Il ne pourra donc nous causer aucun ennui par sa longueur. Pourquoi? Que votre charité veuille bien écouter, et nous prêter une attention religieuse. Que la parole de Dieu se fasse entendre, bon gré, mal gré, à temps et à contre-temps. Cette parole se fait faire une place, elle a trouvé des coeurs où elle se peut reposer, une terre où elle peut germer et porter du fruit. Sans doute il est évident que jusquà la fin il y aura dans le giron de lEglise beaucoup de méchants et dinjustes; cest pour ces hommes que la parole de Dieu est superflue, et dès lors elle tombe sur eux, ou comme le bon grain sur le grand chemin, et qui est mangé par les oiseaux du ciel 4 ; ou comme celui qui tombe dans les endroits pierreux, et qui nayant pas beaucoup de terre , germe dabord, puis se dessèche sous les rayons du soleil, parce quil na point de racine; ou comme celui qui tombe parmi les épines, qui germe et fait des efforts pour
1. Luc, XIV, 2-9. 2. Marc, XII, 12-41. 3. Luc, XI, 2. 4. Matth. XIII, 4.
sélever en haut, mais qui est étouffé par le grand nombre dépines. Ceux qui méprisent la parole de Dieu ressemblent donc, ou bien au grand chemin; ou bien à ceux qui se réjouissent dabord, pour se dessécher bientôt quand vient la persécution comme les feux du soleil; ou bien à ceux dont les pensées, les soins, les inquiétudes de cette vie, semblables aux épines de lavarice, étouffent la bonne semence qui avait commencé à germer en eux. Mais il y a aussi la bonne terre, qui reçoit la semence et rapporte du fruit, chacun des grains produisant trente, ou soixante, ou même cent autres 1. Or, soit peu, soit beau. coup, tous sont dans le grenier céleste. Il est en effet de ces âmes, et cest pour elles que nous parlons maintenant. Cest pour elles que lEcriture a parlé, pour elles que lEvangile se fait entendre. Quelles écoutent néanmoins, afin de nêtre point telles aujourdhui et autres demain; et de peur quelles ne dégénèrent en écoutant, quelles labourent le chemin, quelles ôtent les pierres, quelles arrachent les épines. Que lEsprit de Dieu nous parle, quil prêche pour nous, quil nous fasse entendre ses chants; soit que nous voulions ou non danser avec David, quil soit lui. même notre musicien. Un danseur, en effet, donne à ses membres un mouvement cadencé
1. Matth. XIII, 3-23.
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selon le chant du musicien, de même ceux qui dansent sur le précepte de Dieu adaptent leurs oeuvres à ses paroles. Quel reproche en effet le Sauveur adresse-t-il, dans lEvangile, à ceux qui nont point voulu le faire? « Nous avons chanté pour vous, et vous navez point dansé; nous avons pleuré, et vous navez point gémi 1 ». Que le Seigneur veuille donc chanter pour nous; nous croyons que par la divine miséricorde il yen aura qui voudront bien nous consoler. Quant aux obstinés qui persévèrent dans leur malice, bien quils entendent la parole de Dieu, ils troublent néanmoins lEgiise par leurs scandales. Cest de ces hommes que le psaume nous dit: 2. «Ils mont souvent attaquée dès ma jeunesse 2». LEglise parle ici de ceux quelle tolère, et comme si lon demandait : Est-ce maintenant seulement ? Depuis longtemps lEglise existe, elle est sur la terre depuis quil a plu à Dieu dappeler des saints. Jadis lEglise nexistait que dans le seul Abel, qui fut attaqué par son frère impie, Caïn, lhomme de perdition 3. Jadis lEglise ne compta que le seul Enoch, qui fut enlevé du milieu des méchants 4. Jadis lEglise encore ne compta que la seule famille de Noé, et eut à supporter tous ceux qui périrent par le déluge, et larche seule séleva au-dessus des flots et se reposa sur un lieu sec 5. Jadis lEglise ne comptait que le seul Abraham, et nous savons ce quil souffrit de la part des impies. A Sodome, lEglise ne comptait que Luth, fils de son frère, qui endura les injures et labomination de Sodome 6, jusquà ce que Dieu le délivra du milieu deux. LEglise fut ensuite en Israël, et souffrit de la part des Egyptiens et de Pharaon. Alors dans cette Eglise, ou dans ce peuple dIsraël, sélevèrent des saints, tels que Moïse et les autres saints personnages , qui souffrirent persécution de la part des Juifs pervers et du peuple dIsraël. Nous arrivons à Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui prêche son Evangile, et qui a dit dans le psaume : « Jai annoncé, jai parlé; ils se sont multipliés au-delà du nombre 7». Quest-ce à dire, « au-delà du nombre? » Non seulement ceux que lon met au nombre des saints ont embrassé la foi, mais il en est entré dans lEglise bien au-delà du nombre; il y a beaucoup de justes, tuais plus encore de pécheurs, et ces
1. Matth. XI, 17. 2. Ps. CXXVII, 1. 3. Gen. IV, 8. 4. Id. V, 21. 5. Id. VI-VIII. 6. Id. XII, 20. 7. Ps. XXXIX, 6.
pécheurs, les justes ont dû les supporter. Quand? Dans lEglise. Mais est-ce maintenant seulement, depuis quelle compte ses persécutions et quelle sen plaint? De peur que lEglise ne sétonne aujourdhui, ou pour éviter toute surprise à quiconque veut devenir un véritable membre de lEglise, quil entende lEglise elle-même, lEglise sa mère, qui sécrie: Mon fils, ne soyez pas effrayé de ces maux; « ils mont souvent attaquée depuis ma jeunesse». 3. Il y a une grande amertume dans ce commencement du psaume : « Ils mont souvent attaquée depuis ma jeunesse ». On dirait que le Psalmiste a déjà parlé, quil ne commence point, mais quil répond. Sans doute, il répond ; mais à qui? A ceux qui pensent en eux-mêmes, et qui disent: Combien sont grandes nos douleurs, combien les scandales se multiplient chaque jour, parce que les méchants entrent dans lEglise, et quil nous faut les supporter! Que lEglise alors, par la bouche de quelques-uns, cest-à-dire par la bouche des plus forts, réponde aux plaintes des faibles, que les forts soutiennent les infirmes, que les grands raffermissent les petits, et que lEglise répète : « Ils mont souvent attaquée depuis ma jeunesse ». QuIsraël dise maintenant : « Ils mont souvent attaqué depuis ma jeunesse ». QuIsraël parle de ces attaques et ne les redoute point. Dans quel but, après avoir dit : « Leurs attaques se sont multipliées » , le Prophète a-t-il ajouté : « Depuis ma jeunesse? » On attaque aujourdhui lEglise dans sa vieillesse, mais quelle ne craigne point et quelle dise : « Bien souvent ils mont attaquée dans ma jeunesse». Parce quils nont cessé de lattaquer, en est-elle donc moins parvenue à la vieillesse ? Ont-ils pu la détruire? QuIsraël donc chante aujourdhui, quIsraël se console; que lEglise elle-même se console en jetant un regard sur le passé, et quelle dise : « Ils mont attaquée bien souvent depuis ma jeunesse ». 4. A quoi bon mattaquer? « Car ils nont rien pu contre moi. Voilà que les pécheurs ont forgé sur mon dos, ils ont éloigné leurs iniquités 1». Pourquoi ces fréquentes attaques? « Parce quils nont rien pu contre moi ». Quest-ce à dire qu « ils nont rien pu? » Rien pu forger. Quest-ce à dire encore quils nont rien pu contre moi? Que je nai point consenti à
1. Ps. CXXVIII, 3.
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leur iniquité. Car tout méchant persécute lhomme de bien, par impuissance de lamener au mal. Quun homme commette le mal, et que son évêque ne len reprenne point, cest le meilleur évêque; sil len reprend, cest un évêque méchant. Quun homme à qui lon enlève son bien garde le silence, il est honnête homme; quil parle, quil blâme, cest un méchant homme, quand même il ne revendiquerait pas ce qui lui est pris. Un homme qui réprime un voleur est donc un scélérat, le voleur est honnête homme! Quon chante le refrain : « Mangeons et buvons, car nous mourrons demain 1» ; refrain que réfute saint Paul : « Ne vous laissez pas séduire, les mauvais entretiens corrompent les bonnes moeurs 2. Soyez donc sobres, ô justes, et ne péchez point ». La parole sainte retentit on entend cette parole qui proscrit la passion; mais épris de son intempérance, et haïssant tout ce qui peut contredire cette bien-aimée, lhomme déteste et combat la parole de Dieu. Cest lavarice que lon aime, et Dieu que lon hait. Dieu proscrit lavarice, il nous défend de rien posséder par avarice. Cest moi que tu dois posséder, nous dit-il, pourquoi veux-tu être possédé par lavarice? Ses exigences sont dures, les miennes sont douces ; son fardeau est lourd, le mien est léger; son joug est pénible et le mien attrayant 3. Ne te laisse point absorber par lavarice. Lavarice tordonne de passer les mers et tu obéis; elle tordonne daffronter les vents et les tempêtes, et moi je tordonne de donner au pauvre qui est à ta porte quelque peu de ce que tu possèdes, et tu ne fais que lentement une bonne oeuvre qui est devant toi, tandis que tu es infatigable pour passer la mer. Lavarice commande et tu obéis; Dieu commande et tu hais ses préceptes. Quoi encore? Dès quun homme cède à la haine, il cherche à incriminer ceux qui lui irêchent les préceptes du bien ; il se met à soupçonner des crimes chez les serviteurs de Dieu. Ils nous donnent ces préceptes, dit-on, mais ne les pratiquent point eux-mêmes. Quils fassent le mal ou ne le fassent point, on les accuse, on jette le blâme sur le bien quils font, et nos souffrances mêmes donnent lieu à la calomnie. Que pouvons-nous répondre? Ecoutez, non pas moi, mais la parole de Dieu; cest lui qui vous parle par toutes sortes de personnes, et cest à lui que sattaque votre
1. Isa. XII, 13. 2. I Cor. XV, 32 - 34, 3. Matth. XI, 30.
haine. Soyez daccord avec votre adversaire pendant que vous êtes en chemin avec lui 1; et vous avez pris pour adversaire la parole de Dieu. Ne considérez point si cest tel ou tel qui vous parle : cest un méchant peut-être qui vous parle au nom du Seigneur; mais la parole que Dieu vous adresse par cet homme nest point mauvaise. Accusez le Seigneur, accusez-le si vous le pouvez. 5. Croiriez-vous, mes frères, que ceux dont il est dit: « Souvent ils mont attaquée depuis ma jeunesse », ont eu laudace daccuser Dieu lui-même ? Blâme un avare, et à son tour il blâme Dieu qui a fait lor. Ne sois point avare, lui dit-on, et il répond : Que Dieu ne fasse point dor. Parce que tu ne saurais mettre un frein à tes oeuvres perverses, tu accuseras les oeuvres de Dieu qui sont excellentes? Tu prends à partie Celui qui a créé et formé le monde? Il naurait lias dû créer le soleil, parce que des hommes se traînent devant les tribunaux, pour des fenêtres, des vues de leurs appartements ? Oh ! si nous pouvions réprimer nos vices ! nous verrions que les oeuvres de Dieu sont bonnes, que Dieu créateur de toutes choses est bon, que ses oeuvres le louent, parce quen les considérant on voit quelles sont bonnes, dès quon les considère avec un esprit de sagesse, un esprit de piété. De toutes parts Dieu est loué dans ses oeuvres. Comme ses oeuvres chantent ses louanges dans la bouche des trois enfants ! Quy a-t-il doublié? Bénédiction des cieux, bénédiction des anges, bénédiction des astres, bénédiction du soleil et de la lune, bénédiction du jour et de la nuit, bénédiction de tout ce qui germe sur la terre, bénédiction de tout ce qui nage dans les mers, bénédiction de tout ce qui voltige dans les airs, bénédiction des montagnes et des collines, bénédiction de la chaleur et du froid, bénédiction de tout ce qua fait le Seigneur 2. Vous le voyez, toutes les oeuvres de Dieu le bénissent; mais avez-vous entendu que Dieu soit béni par lavarice ou par la luxure? Tout cela ne bénit point Dieu, parce que Dieu ne la point fait. Les hommes le bénissent dans ce même cantique, parce que Dieu a fait lhomme. Lavarice est loeuvre de lhomme devenu méchant, mais lhomme est loeuvre de Dieu. Or, que veut le Seigneur? Détruire en toi ce qui est ton oeuvre, sauver ce qui est la sienne.
1. Matth. V, 25. 2. Dan. III, 57-90.
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6. Ne prête point à usure. Tu incrimines lEcriture qui dit, à propos du juste, qu « il na point donné son argent à usure 1 ». Ce nest point moi qui ai écrit cette parole, ni qui lai dite le premier. Ecoute le Seigneur. Mais alors, me dis-tu, que les clercs rie soient point usuriers. Peut-être celui qui te parle ne lest-il point ; mais sil lest, oui, admettons quil le soit, le Dieu qui te parle par sa bouche lest-il? Si ce prêtre pratique ce quil te prêche, et toi non, tu vas donc au feu éternel, et lui au royaume sans fin. Sil ne fait point ce quil dit, sil fait le mal que tu fais toi-même, sil prêche le bien saris le pratiquer, il va comme toi au feu éternel. « Toute la paille brûlera, mais la parole de Dieu demeurera éternellement 2 ». Brûlera-t-elle donc cette Parole qui sest adressée à toi par sa bouche? Ou bien cest Moïse qui te parle, cest-à-dire un juste et fidèle serviteur de Dieu ; ou même un Pharisien assis dans la chaire de Moïse. Tu as entendu à ce propos cette parole : « Faites ce quils disent, ne faites point ce quils font 3». Tu nas plus dexcuses, puisque cest la parole de Dieu que tu entends. Mais comme tu ne saurais tuer la parole de Dieu, tu cherches à incriminer ceux qui te lannoncent. Cherche à ton gré, parle à ton gré, blasphème à ton gré. « Bien des fois ils mont attaquée depuis ma jeunesse; quIsraël dise maintenant : Bien des fois ils mont attaqué dès ma jeunesse». Les usuriers osent bien dire : Je nai pas dautre moyen de vivre. Ainsi dirait un voleur pris sur le fait; ainsi le brigand que lon saisirait près du mur dautrui; ainsi le corrupteur qui achète les jeunes filles pour la prostitution ainsi le magicien qui fait du mal un trafic, de liniquité un commerce. Quelle que soit la profession infamante que nous cherchions à réprimer, on nous répondra toujours que lon na pas dautre nioyen de vivre, pas dautre gagne-pain ; comme si lon nétait pas dautant plus coupable, par cela même que lon a choisi pour vivre un métier criminel, et que lon veut tirer sa subsistance de ce qui outrage celui qui fait subsister toutes les créatures. 7. Mais que lon prêche de la sorte, que lon tienne ce langage, les voilà qui répondent : Sil en est ainsi, nous ne marchons point; sil en est ainsi, nous nentrons point dans lEglise. Quils viennent donc, quils
1. Ps. XIV, 3. 2. Isa. XL, 8. 3. Luc, VIII, 15.
entrent, quils entendent: « Bien des fois ils mont attaquée dès ma jeunesse. Mais ils nont rien pu contre moi; les pécheurs ont forgé sur mon dos» ; cest-à-dire, ils nont pu mamener à leurs desseins; ils ont pesé sur moi, Cest là, mes frères, une parole admirable, et très significative : « Ils nont rien pu contre moi, les pécheurs ont forgé sur mon dos ». Ils essaient dabord de nous amener à leurs desseins pervers ; et sils ne peuvent nous y amener, supportez-nous du moins, nous disent-ils. Ainsi donc, parce que tu nas rien pu sur moi, monte sur mon dos, je dois te supporter jusquà ce que vienne la fin. Tel est le précepte, afin que je produise du fruit par la patience. Si je ne puis te corriger, du moins je te supporte, peut-être que si je te supporte, toi-même tu te corrigeras. Si tu es incorrigible jusquà la fin, je te supporterai jusquà la fin : jusquà la fin tu seras sur mon dos, mais pour un temps. Car pèseras-tu sur moi éternellement ?Non, il viendra Celui qui doit te secouer. Viendra le temps de la moisson, la fin du siècle, et Dieu enverra ses moissonneurs; et ces moissonneurs sont les anges qui sépareront les bons du milieu des méchants, comme on sépare livraie du milieu du bon grain; qui mettront le bon grain dans les greniers, et jetteront la paille au feu qui ne séteindra jamais 1.Je vous ai porté autant que je lai pu, je passe maintenant avec joie dans les greniers de Dieu, et je chante avec assurance : « Bien des fois ils mont attaquée dès ma jeunesse ». 8. Quont-ils pu me faire en mattaquant dès ma jeunesse ? Ils mont éprouvé, mais sans maccabler. ils ont été pour moi comme le feu pour lor, mais non comme le feu pour la paille. Mettez lor au feu, il en sort des scories; mettez-y la paille, elle est réduite en cendres. « Ils nont rien pu sur moi»; parce quils nont pu mamener à leurs desseins, ni me faire ce quils sont eux-mêmes. « Les pécheurs ont forgé sur mon dos, ils ont éloigné leur injustice ». Ils ont fait ce que jai dû supporter, et non ce qui eût mérité mon assentiment. Ainsi leur injustice est déjà loin de moi. Les méchants sont mêlés aux bons, non-seulement dans ce monde, mais jusque dans lEglise, ils sont mêlés aux bons. Vous le savez, et vous en faites lexpérience ; et vous en ferez encore plus lexpérience à
1. Matth. XIII, 27-43.
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mesure que vous deviendrez bons. Car ce fut quand lherbe eut grandi et produit du fruit que livraie se montra aussi 1. Dans lEglise, il ny a que lhomme juste qui découvre les méchants. Il y a donc un mélange, vous le savez, et lEcriture nous dit à chaque page que la séparation naura lieu quà la fin des siècles. Mais nonobstant ce mélange, il y a néanmoins une distinction, De peur toutefois que ce mélange des bons et des méchants ne donne lieu de croire que la justice touche de près à linjustice: a Ils nont rien pu sur u moi s, dit le Psalmiste; cest-à-dire, ils ont dit, mais dit en insensés: « Mangeons et buvons, nous mourrons demain 2 ». Leurs discours pervers nont point corrompu en moi les moeurs pures ; je nai point écouté, dune part, la parole de Dieu, pour céder dautre part aux discours des méchants. Les oeuvres des méchants, je les ai supportées sans y consentir, et leur iniquité est loin de moi. Quoi de plus rapproché que deux bornoies dans lEglise ? Quoi de plus éloigné que la justice et linjustice ? Mais lassentiment fait le rapprochement. On lie ensemble deux hommes, que lon mène devant le juge. Lun est un voleur, un scélérat, lautre un innocent : une même chaîne les retient, et néanmoins ils sont éloignés lun de lautre. De quelle distance sont-ils éloignés? de toute la distance qui sépare le crime de linnocence. Ils sont donc fort éloignés lun de lautre. Mais ce voleur qui fait le mal en Espagne, est tout près de celui qui le fait en Afrique. De combien en est-il proche ? Comme le crime lest du crime, le brigandage du brigandage. Que nul dès lors ne redoute le mélange corporel des méchants. Quil sen éloigne de coeur; et il supporte avec assurance ce quil na point à craindre: « Leur injustice est loin de moi ». 9. Mais quarrive-t-il? Voilà que ceux qui règnent dans linjustice sont florissants dans le inonde : et pour parler comme le vulgaire, voilà que les méchants tonnent, quils sélèvent avec orgueil, quils répandent la calomnie. Est-ce donc là ce qui durera toujours? Nullement; écoute la suite: « Le Seigneur qui est juste brisera la tête des pécheurs ». Que votre charité soit attentive. « Le Seigneur dans sa justice brisera la tête des pécheurs ». Qui ne tremblerait à cette parole ? Car où est
1. Matth. XIII, 26. 2. Isa. XXIII, 13 ; I Cor. XV, 32.
lhomme sans péché? « Le Seigneur dans sa justice brisera la tête des pécheurs ». Quiconque entend ces paroles est saisi de crainte, sil croit aux divines Ecritures. Si, en effet, lon na aucun motif de se frapper la poitrine et quon le fasse quand on est juste, cest mentir; mais mentir à Dieu cest devenir pécheur. Si donc on a raison de se frapper la poitrine, on est pécheur. Et qui dentre nous ne se frappe la poitrine? Qui dentre nous ne tient ses regards fixés à terre comme le publicain, pour dire: « Seigneur, ayez pitié de moi qui suis pécheur 1? » Si donc tous sont pécheurs, et si nul nest sans péché, tous doivent craindre ce glaive qui menace leur tête : car « le Seigneur dans sa justice brisera les têtes des pécheurs ». Toutefois, mes frères, je ne crois point quil sagisse ici de tous les pécheurs; mais lendroit quil frappe nous désigne quels pécheurs seront frappés. Car il nest point dit : Le Seigneur qui est juste brisera la main des pécheurs, ou même leur brisera les pieds; mais le Prophète voulait désigner entre les pécheurs ceux qui sont orgueilleux, et les pécheurs orgueilleux lèvent la tête, non-seulement parce quils commettent le mal, mais parce quils ne veulent point le reconnaître, et quils se justifient dès quon le leur reproche. Voilà, leur dit-on, que tu es coupable, reconnais ta faute ; le Seigneur hait le pécheur, hais-le à ton tour; sois uni au Seigneur, afin de poursuivre ton péché avec lui. Point du tout, répond-il, jai fait le bien, cest Dieu qui a fait le mal. Je mexplique, mes frères. Je nai fait aucun mal, nous dit ce pécheur. Cest Saturne qui la fait, cest Mars, cest Vénus: pour moi, je nai rien fait, mon étoile a tout fait. Tu le justifies, en accusant le Seigneur qui a fait les étoiles pour en orner les cieux. Tu excuses donc ton péché, en télevant contre Je Seigneur ; car tu te dis innocent et Dieu coupable, et tu lèves dès lors un cou inflexible pour télancer contre Dieu, ainsi quil est dit au livre de Job à propos du pécheur obstiné: « Il sest élancé contre Dieu, élevant comme un bouclier son cou gonflé dorgueil 2 ». Comme le Psalmiste, Job a nommé le cou. Tu télèves donc au lieu de fixer tes regards sur la terre, de frapper ta poitrine, et de dire au Seigneur: « Ayez pitié de moi qui suis un pécheur » ; te voilà vantant tes mérites,
1. Luc, XVIII, 13. 2. Job, XV, 26.
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et même, dit le Seigneur, disputant avec moi, entrant en jugement avec moi 1, au lieu de chercher à satisfaire à Dieu pour tes fautes, et de pousser vers lui ces cris dun autre psaume: « Si vous vous souvenez des iniquités, Seigneur, qui pourra subsister devant vous, ô mon Dieu 2? » Et ces autres cris dun autre psaume encore : « Je lai dit, ô mon Dieu, ayez pitié de moi, guérissez mon âme , parce que jai péché contre vous 3 ». Parce que tu rejettes ces prières, prétendant te justifier contre la parole du Seigneur lui-même, voilà que retombe sur toi cette parole de lEcriture : « Le Seigneur brise le cou des pécheurs4 ». 10. « Quils soient confondus et rejetés en arrière, tous ceux qui détestent Sion ». Haïr Sion, cest haïr lEglise; car Sion cest lEglise; et cest haïr lEglise que dy entrer avec dissimulation. Cest haïr lEglise encore que ne point pratiquer la parole de Dieu. « Les pécheurs ont pesé sur mon dos ». Que fera lEglise, sinon de les tolérer jusquà la fin ? 11. Mais que dit le Prophète? « Quils soient», dit-il, « comme lherbe des toits, qui se dessèche avant quon larrache ». Cette herbe des toits est une herbe qui croit sur les toits, sur les plates-formes. Elle sélève bien haut, mais na point de racines. Quel avantage naurait-elle point de naître en des lieux plus bas, et de demeurer verte plus longtemps? Mais ce nest que pour sécher bientôt quelle vient sur les hauteurs. On ne larrache point encore et la voilà desséchée : et nos impies, avant dêtre frappés au jugement de Dieu, nont déjà plus de sève. Examinez leurs oeuvres, et voyez quils sont vraiment desséchés. Ils vivent néanmoins, ils sont ici-bas, ils ne sont point arrachés, et avant dêtre arrachés les voilà desséchés. Ils sont devenus « comme lherbe des toits qui se fane même avant quon larrache ». 12. Les moissonneurs viendront, mais nen recueilleront pas les gerbes. Ils viendront en effet, ils ramasseront le froment pour les greniers célestes , et lieront livraie en gerbes quils jetteront au feu. Ainsi est traitée lherbe des toits, on jette au feu ce quon en arrache, parce quelle est desséchée même sur pied. Le moissonneur nen remplit pas sa main, comme le dit le psaume : « Elle ne remplit
1. Jérém. II, 29. 2. Ps. CXXIX, 3. 3. Id. XII 5. 4. Id. CXXVIII, 5. 5. Id. 6.
pas la main du moissonneur, ni le sein de celui qui récolte les gerbes 1. Or, ces moissonneurs ce sont les anges 2 », dit le Seigneur. 13. « Et les passants nont point dit : Que le Seigneur vous bénisse; nous vous bénissons au nom du Seigneur 3». Vous le savez, mes frères, lorsquon passe devant les travailleurs, cest la coutume de leur dire: « Que Dieu vous bénisse! » Et cette coutume se pratiquait avec plus de soin encore parmi les Juifs. Nul ne passait auprès dun travailleur dans les champs, dans la vigne, à la moisson, ou quelque part, sans appeler la bénédiction de Dieu sur lui. Autre est celui qui récolte ses gerbes, et autre celui qui passe par la voie. Ceux qui récoltent les gerbes ne remplissent pas leurs mains de cette herbe des toits, que lon ne récolte pas pour le grenier céleste. Qui donc recueille des gerbes? Le moissonneur. Quels sont les moissonneurs? Le Seigneur la dit : « Ces moissonneurs ce sont les anges ».Quels sont les passants? Ceux qui ont déjà passé par cette voie, cest-à-dire, ceux qui par une vie sainte ont passé de ce monde à la céleste patrie. Cest par cette même voie quont passé les Apôtres, quont passé les Prophètes. Quels travailleurs les Apôtres et les Prophètes ont-ils bénis? Ceux en qui ils voyaient la racine de la charité. Quant à ceux quils ont trouvés sur leurs toits, relevant leur cou gonflé dorgueil, comme un bouclier, ils leur ont prédit ce quils deviendraient, mais sans les bénir. Ainsi donc tous ces méchants que supporte lEglise, vous qui lisez les saintes Ecritures , vous les voyez maudits, mis à part comme lhéritage de lAntéchrist, ou dit diable, ils sont la paille, ils sont livraie. Ils sont désignés par des comparaisons sans nombre. « Tous ceux qui me disent : Seigneur , Seigneur, nentreront point pour cela dans le royaume des cieux 4 ». Tu ne trouveras aucun endroit de lEcriture pour en parler favorablement, parce que ceux qui passaient sur la voie ne les omit point bénis, David que nous avons en nos mains, a passé de même sur la voie; et vous avez entendu ses paroles : « Le Seigneur dans sa justice brisera le cou des pécheurs. Quils soient confondus, refoulés en arrière , ceux qui haïssent Sion. Quils soient comme lherbe des toits, qui se fane avant quon larrache.
1. Ps CXXVIII, 7. 2. Matth. XIII, 39. 3. Ps. CXXVIII, 8. 4. Matth. VII, 21.
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Elle nemplit pas la main du moissonneur, ni le sein de celui qui récolte ses gerbes ». Cest ainsi quil en parle. Ainsi David, passant auprès de ces hommes, ne les a point bénis, accomplissant lui-même sa prophétie : « Et ceux qui passeront par la voie, nont point dit: Nous vous bénissons au nom du Seigneur ». Et toutefois ces passants, Prophètes, Patriarches, Apôtres, tous ceux qui ont passé, nous ont bénis, mes frères, « au nom du Seigneur », si nous vivons saintement. Comment, diras-tu, Paul ma-t-il béni ? Comment Pierre ma-t-il béni ? Ecoute les saintes Ecritures, vois si tu vis saintement, et tu verras quils tont béni. Ils ont béni tous ceux qui ont vécu saintement. Et comment nous ont-ils bénis? « Au nom du Seigneur », et non pas en leur propre nom, comme les hérétiques. Ceux qui sien viennent dire : Ce que nous donnons, voilà ce qui est saint, prétendent bénir en leur propre nom, et pas au nom du Seigneur. Mais ceux qui disent que nul ne peut rendre saint, sinon le Seigneur, que nul nest bon que par la grâce de Dieu, ceux-là bénissent au nom du Seigneur, et pas en leur propre nom ; ils sont les amis de lEpoux, et répudient tout adultère avec lEpouse 1.
1. Jean, III, 19.
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