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LIVRE PREMIER : CONSUBSTATNTIALITÉ DES PERSONNES DIVINES.
Lautorité de lEcriture établit lunité de nature et légalité des personnes dans la Sainte Trinité. Explication de certains passages de lEvangile qui semblent contredire la consubstantialité du Fils.
LIVRE PREMIER : CONSUBSTANTIALITÉ DES PERSONNES DIVINES.
TROIS SOURCES DERREURS. NÉCESSITÉ DE PURIFIER LÂME POUR ÉTUDIER LA TRINITÉ.
DANS QUELLES DISPOSITIONS ON DOIT LE LIRE.
QUEL EST SUR LA SAINTE TRINITÉ LENSEIGNEMENT DE LÉGLISE.
COMMENT TROIS PERSONNES NE FONT-ELLES QUUN SEUL DIEU?
CONSUBSTANTIALITÉ DES TROIS PERSONNES.
COMMENT LE FILS EST-IL INFÉRIEUR AU PÈRE ET A LUI-MÊME.
PASSAGES DE LÉCRITURE RELATIFS A LINFÉRIORITÉ DU FILS.
IL FAUT SOUVENT APPLIQUER A TOUTES LES PERSONNES CE QUE LÉCRITURE DIT DE LUNE DENTRE ELLES.
DANS QUEL SENS EST-IL DIT QUE LE FILS LIVRERA LA SOUVERAINETÉ AU PÈRE.
DEUX NATURES DANS LA PERSONNE DU FILS.
AUTRES PASSAGES RELATIFS AUX DEUX NATURES.
DANS QUEL SENS LE PÈRE NE DOIT-IL PAS JUGER.
CHAPITRE PREMIER.TROIS SOURCES DERREURS. NÉCESSITÉ DE PURIFIER LÂME POUR ÉTUDIER LA TRINITÉ.
1. Le lecteur de ce traité doit tout dabord savoir que je me propose dy réfuter les calomnies de ceux qui dédaignent de sappuyer sur les principes de la foi, et qui se trompent ainsi et ségarent en sattachant trop prématurément aux lumières de la raison. Quelques-uns veulent appliquer aux substances incorporelles et spirituelles les notions que leur donnent sur les êtres matériels lexpérience des sens, ou la vivacité de lesprit, ou létude et lobservation, et même le secours des arts. Bien plus, ils prétendent juger de celles-là par les règles qui ne sont applicables quà ceux-ci. Dautres transportent en Dieu, si toutefois ils pensent à lui, les affections et les sentiments de lhomme, en sorte que cette première erreur les amène, quand ils discutent des questions de théodicée, à avancer des principes faux et erronés. Enfin il en est qui sélèvent au-dessus de toute créature, essentiellement muable et inconstante, pour atteindre lêtre seul fixe et immuable, et arrivent ainsi à la notion de Dieu. Mais, courbés sous le poids de la faiblesse humaine, ils veulent paraître savoir ce quils ignorent, quoiquils ne puissent savoir ce quils veulent connaître. Cest pourquoi par la hardiesse et la présomption avec lesquelles ils soutiennent leurs opinions, ils se ferment les voies de la vérité, car ils préfèrent sopiniâtrer dans leurs idées mauvaises plutôt que dembrasser la doctrine contraire. Telles sont les trois sortes dadversaires que je me propose de combattre. Les premiers imaginent un Dieu corporel; les seconds un Dieu spirituel, mais créé, et le comparent à notre âme; et les troisièmes, qui repoussent également un Dieu matière, et un Dieu créature spirituelle, professent eux aussi une doctrine entièrement erronée. On peut même dire quils séloignent dautant plus de la vérité, que leurs sentiments contre. disent toutes les notions acquises sur les corps, les esprits créés, et le Créateur lui. même. Et en effet, celui qui donne à Dieu un corps blanc ou rouge, se trompe sans doute, et néanmoins ces accidents se rencontrent dans les corps. Celui encore qui attribue à Dieu les défauts et les qualités de la mémoire, ou de toute autre faculté de lesprit humain, ségare sans doute, et néanmoins ces attributs se trouvent dans tout esprit créé. Mais, au contraire, celui qui affirme quil est de lessence dun Dieu tout-puissant de sêtre engendré lui-même, énonce une proposition fausse sous tous les rapports. Car non-seulement cela nest point vrai de Dieu, mais ne saurait même lêtre des esprits, ni des corps, puisque rien de ce qui existe na pu se donner lexistence. 2. Cest pour nous prémunir contre toutes ces erreurs que lEcriture sainte, saccommodant à notre faiblesse, a daigné employer un langage tout humain, afin de familiariser notre intelligence avec les attributs divins, et de lélever ensuite comme par degré aux plus sublimes mystères. Ainsi elle semble donner un corps à Dieu, quand elle met cette parole dans la bouche du psalmiste : « Seigneur, protégez moi à lombre de vos ailes ( Ps. XVI, 8 ) ». Ainsi encore elle attribue à Dieu certaines passions qui nappartiennent quà lesprit humain. Ce nest pas que Dieu les ressente réellement, mais (346) cest que tout autre langage serait inintelligible. « Je suis un Dieu jaloux, dit le Seigneur» ; et encore : « Je me repens davoir créé lhomme ( Exod., XX, 5 ; Gen., VI, 7. ) ». Quant aux choses qui nexistent point, lEcriture sabstient de leur emprunter aucune notion dont elle pût tirer une parole, ou figurer un emblème. Ils sévanouissent donc en leurs vaines et criminelles pensées, ces philosophes qui, sous ce troisième rapport, séloignent complètement de la vérité, car ils supposent en Dieu ce qui ne peut se rencontrer ni en lui, ni dans aucune créature. LEcriture procède différemment, et elle emploie les divers attributs des créatures, comme des joujoux quelle nous présente, pour se proportionner à notre faiblesse, et pour nous exciter à nous éloigner insensiblement de toute idée basse et terrestre, et nous élever jusquaux mystères les plus sublimes, Rarement aussi elle affirme de Dieu ce qui ne se trouve dans aucune créature. Ainsi Dieu dit à Moïse: « Je suis lEtre » ; et il lui ordonne de dire aux Hébreux : « Cest lEtre qui ma envoyé vers vous ( Exod., III, 14 )». Mais parce que dans un sens tout corps et tout esprit possèdent lêtre, cette façon de parler nous avertit que Dieu est dune manière qui lui est toute particulière. « A Dieu seul, dit lApôtre, appartient limmortalité ( I Tim., VI, 16 ) » Et cependant il est permis de dire de notre âme quelle est immortelle. Cest pourquoi saint Paul, en affirmant quà Dieu seul appartient limmortalité, nous fait entendre quil parle de cette vraie immortalité que ne peut posséder la créature et qui est lattribut spécial de la divinité. Tel est aussi le sens de ces paroles de saint Jacques « Toute grâce excellente et tout don parfait vient den-haut, et descend du Père des lumières, en qui il ny a ni changement, ni ombre de vicissitude ( Jacq., I, 17 ) ». Le psalmiste dit également: « Les cieux périront; vous les changerez , et ils seront changés; mais pour vous, vous êtes éternellement le même ( Ps., CI, 27, 28 ) » 3. Il nous est donc bien difficile de contempler et de connaître pleinement lessence de ce Dieu qui, dans son immutabilité, crée les créatures muables et changeantes, et qui, dans son éternité, ordonne et dirige les mouvements du temps. Mais pour que loeil de notre âme puisse arriver à lineffable contemplation de ces ineffables mystères, il est nécessaire quil soit purifié par la vision béatifique; et parce que nous ne la possédons pas encore, la foi nous est donnée comme un guide qui nous conduit par des sentiers moins rudes et moins escarpés, et qui nous rend ainsi aptes et habiles à atteindre le terme heureux du voyage. LApôtre savait bien quen Jésus-Christ sont renfermés tous les trésors de la sagesse et de la science; et cependant il lexalte aux yeux des nouveaux chrétiens, non en la puissance qui le rend égal à son Père, mais en linfirmité de la chair qui lui a fait souffrir le supplice de la croix. Cest que ces chrétiens, quoique régénérés en la grâce de Jésus-Christ, étaient encore des enfants faibles, charnels et peu instruits dans les voies spirituelles. Aussi saint Paul leur dit-il : « Je nai pas prétendu parmi vous savoir autre chose que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié : et jai été au milieu de vous dans un état de faiblesse, de crainte et de tremblement ». Et un peu plus loin, il ajoute : « Et moi, mes frères, je nai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des personnes encore charnelles. Je ne vous ai nourris que de lait, comme étant des enfants en Jésus-Christ, et non pas de viandes solides, parce que vous ne pouviez les supporter; et à présent même, vous ne le pouvez pas encore ( I Cor., II, 2, 3 ; III, 1, 2. ) ». Quelques-uns sirritent dun tel langage, et le repoussent comme gravement injurieux. Ah! ils préfèrent croire que nous ne parlons ainsi que par ignorance et impéritie, plutôt que davouer quils sont eux-mêmes incapables de comprendre une parole plus élevée. Quelque fois aussi nous leur alléguons un raisonnement auquel ils ne sattendaient point dans cette discussion; et quoiquils ne puissent toujours le saisir entièrement, et que nous-mêmes ne sachions lexpliquer ni le développer dans toute sa force, il les contraint néanmoins à reconnaître combien ils sont peu fondés à exiger de nous des démonstrations quils ne sauraient comprendre. Mais du moment que nous leur tenons un autre langage que celui quils désiraient, ils nous regardent ou comme des gens rusés qui dissimulent ainsi leur ignorance, ou comme des jaloux qui leur envient le don de la science. Cest pourquoi ils séloignent de nous, lesprit troublé et le coeur plein dindignation. (347)
CHAPITRE II.PLAN DE CET OUVRAGE.
4. Jentreprends donc avec le secours du Seigneur, notre Dieu, dexposer à mes adversaires, selon leurs désirs, les diverses raisons qui nous font dire, croire et comprendre comment en un seul et vrai Dieu existe la Trinité des personnes, et comment ces trois personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, nont quune seule et même nature, une seule et même substance. Au reste, je me propose bien moins de faire taire leurs froides plaisanteries , que de les amener à proclamer lexistence de cet Etre qui est souverainement bon, et qui ne se révèle quaux âmes pures et dégagées des sens. Sils ne peuvent donc ni le voir, ni le comprendre, cest que loeil de lhomme est trop faible pour soutenir par lui-même léclat de la lumière divine, et quil a besoin dêtre fortifié par lexercice de la foi et de la justice chrétienne. Or il me faut en premier lieu prouver par lautorité des saintes Ecritures la certitude de notre foi ; et ensuite, avec laide et le secours de Dieu, jaborderai de front ces vains discoureurs en qui lorgueil est plus grand encore que la science, et qui par là même nen sont que plus dangereusement malades. Puissé-je en les faisant convenir dun principe certain et indubitable, les convaincre quà légard des difficultés quils ne peuvent résoudre, ils doivent accuser bien plus la faiblesse de leur intelligence, que la vérité elle-même, ou notre méthode de discussion! Alors, sil leur reste quelque amour ou quelque crainte de Dieu, ils se hâteront de revenir aux principes et aux règles de la foi, et ils comprendront combien est salutaire lenseignement de la sainte Eglise. Et en effet, cet enseignement et les pieux exercices de la religion sont comme un remède divin qui guérit la faiblesse de notre âme, et la rend capable de percevoir limmuable vérité, sans redouter quune folle témérité la précipite en des opinions fausses et dangereuses. Dailleurs, je suis tout disposé à méclairer quand je douterai; et jamais je ne rougirai, si je mégare, dêtre ramené dans la bonne voie.
CHAPITRE III.DANS QUELLES DISPOSITIONS ON DOIT LE LIRE.
5. Quiconque lira donc ce traité, doit avancer avec moi quand il se sentira ferme et assuré, chercher avec moi, quand il hésitera, revenir vers moi, quand il reconnaîtra son erreur, et me redresser moi-même, si je me trompe. Nous marcherons ainsi dun pas égal dans les sentiers de la charité, et nous tendrons ensemble vers Celui dont il est dit : « Cherchez toujours sa face ( Ps., CIV, 4 ) ». Tel est laccord pieux et sincère que je propose, en présence du Seigneur notre Dieu, à tous ceux qui daigneront lire mes ouvrages, et principalement ce traité où je défends lunité des trois personnes divines, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. De tous nos mystères, il nen est pas où lerreur shit plus aisée et plus dangereuse, ni où le travail soit plus difficile. Mais aussi, plus que tout autre, il est fécond en fruits de salut. Sil arrive que quelque lecteur, parcourant ce traité, sécrie: Voilà qui est mal dit, car je ne comprends pas; je le prie daccuser limperfection de ma parole, et non la sincérité de ma foi. Au reste la phrase eût pu être, parfois, plus claire et plus précise; mais à qui est-il donné de se faire comprendre de tous, et en toutes sortes de sujets? Je prie donc mon censeur dexaminer sil saisit mieux la pensée de ceux qui passent pour savants en ces matières; et sils sont plus intelligibles que moi, je consens à ce quil ferme mon livre, et même à ce quil le rejette. Car il doit de préférence donner son temps et son attention aux auteurs quil peut comprendre. Toutefois, il y aurait injustice de sa part à dire que jeusse mieux fait de me taire, parce que je nai pu mexprimer avec la même précision et la même lucidité que ses auteurs favoris. Et en effet, tous ne lisent pas tous les ouvrages qui se publient. Il peut donc arriver que des esprits capables de me comprendre , lisent incidemment celui-ci, et ne puissent néanmoins se procurer dautres traités plus simples et plus familiers. Ainsi il est utile que plusieurs auteurs écrivent sur le même sujet avec une certaine différence de style, mais en unité de foi, afin quun plus grand nombre de lecteurs séclairent et sinstruisent; car alors chacun peut choisir selon son goût et son inclination. Mais au contraire, si mon censeur a toujours été incapable de suivre sur ces matières une discussion sévère et approfondie, il fera beaucoup mieux de désirer et de hâter le développement de son intelligence, que de mengager au silence par ses plaintes et ses critiques. (348) Peut-être aussi un lecteur dira-t-il : Je comprends cette proposition, mais elle me paraît fausse. Eh bien ! lui dirai-je à mon tour : Etablissez la vôtre, et renversez la mienne. Sil le fait en toute charité, et en toute sincérité, et sil daigne, supposé que je vive encore, me communiquer ses observations, ce présent travail me deviendra très-fructueux. Bien plus, à défaut de communications avec moi, je consens de grand coeur à ce quil en fasse part à tous ceux qui voudront les entendre. Pour moi je continuerai à méditer la loi du Seigneur, si ce nest le jour et la nuit, du moins pendant les quelques instants que je dérobe à mes occupations, et je confierai au papier mes pensées et mes réflexions, de peur que je ne les oublie entièrement. Jespère aussi que la miséricorde divine me fera persévérer dans une ferme adhésion aux vérités Qui me paraissent certaines, et que si je suis dans lerreur, elle me le fera connaître par de secrètes inspirations, ou par son enseignement public, ou même par les bienveillants avis de mes frères. Tels sont mes voeux et mes désirs; et je les dépose ici dans le sein de Dieu qui peut et garder en moi le trésor de ses propres dons, et remplir à mon égard ses consolantes promesses. 6. Je nignore point que quelques esprits moins intelligents ne saisiront pas toujours le véritable sens de mes paroles, et que même ils me prêteront des pensées que je naurai pas eues. Mais qui ne sait que je ne dois pas être responsable de leurs erreurs? Et en effet, est-ce ma faute sils ne peuvent me suivre, et sils ségarent, lorsque je suis contraint davancer par des sentiers obscurs et ténébreux? Cest ainsi que nul ne fait retomber sur les écrivains sacrés les nombreuses erreurs des divers hérésiarques. Et cependant tous sefforcent de défendre et de soutenir leurs systèmes par lautorité de lEcriture. La charité, qui est la loi de Jésus-Christ, mavertit et mordonne en toute douceur et suavité que si un lecteur me prête, en parcourant mes ouvrages, une proposition fausse qui nest pas la mienne, et que cette proposition fausse en elle-même soit rejetée par lun et approuvée par lautre, je préfère la critique du premier aux louanges du second. Sans doute lun me blâme injustement, puisque lerreur nest pas la mienne, et néanmoins en tant querronée la proposition est blâmable; mais lapprobation de lautre nest pas moins injuste, puisquil me loue davoir enseigné ce que condamne la vérité; et quil applaudit à une proposition quimprouve également cette même vérité. Et maintenant, au nom du Seigneur, jaborde mon sujet.
CHAPITRE IV.QUEL EST SUR LA SAINTE TRINITÉ LENSEIGNEMENT DE LÉGLISE.
7. Tous les interprètes de nos livres sacrés, tant de lancien Testament que du nouveau que jai lus, et qui ont écrit sur la Trinité, le Dieu unique et véritable, se sont accordés à prouver par lenseignement des Ecritures que le Père, le Fils et lEsprit-Saint sont un en unité de nature, ou de substance, et parfaitement égaux entre eux. Ainsi ce ne sont pas trois dieux, mais un seul et même Dieu. Ainsi encore le Père a engendré le Fils, en sorte que le Fils nest point le Père : et de même le Père nest point le Fils, puisquil la engendré. Quant à lEsprit-Saint, il nest ni le Père, ni le Fils; mais lEsprit du Père et du Fils, égal au Père et au Fils, et complétant lunité de la Trinité. Cest le Fils seul, et non la Trinité entière, qui est né de la vierge Marie, a été crucifié sous Ponce-Pilate, a été enseveli, est ressuscité le troisième jour et est monté au ciel. Cest également le Saint-Esprit seul qui, an baptême de Jésus-Christ, descendit sur lui en forme de colombe, qui après lAscension, et le jour de la Pentecôte, sannonça par un grand bruit venant du ciel et pareil à un vent violent, et qui se partageant en tangues de feu, se reposa sur chacun des apôtres ( Matt., III, 16 ; Act., II, 2-4). Enfin cest le Père seul et non la Trinité entière qui se fit entendre soit au baptême de Jésus par Jean-Baptiste, soit sur la montagne en présence des trois disciples, lorsque cette parole fut prononcée « Vous êtes mon Fils». Et également ce fut la voix du Père qui retentit dans le temple, et qui dit : « Je lai glorifié, et je le glorifierai encore ( Marc., I, 11 ) ». Néanmoins comme le Père, le Fils et lEsprit-Saint sont inséparables en unité de nature, toute action extérieure leur est commune. Telle est ma croyance, parce que telle est la foi catholique.
CHAPITRE V.COMMENT TROIS PERSONNES NE FONT-ELLES QUUN SEUL DIEU?
8. Mais ici quelques-uns se troublent, quand (349) on leur dit quil y a trois personnes en Dieu, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et que ces trois personnes ne sont pas trois dieux, mais un seul et même Dieu. Aussi demandent-elles comment on peut comprendre un tel langage, surtout si vous ajoutez que toute action extérieure est commune à la Trinité entière, et que néanmoins la voix du Père qui sest fait entendre, nest pas la voix du Fils, que lIncarnation nappartient quau Fils qui a pris une chair, qui a souffert, qui est ressuscité et qui est monté au ciel; et que seul lEsprit-Saint sest montré sous la forme dune colombe. Ces esprits curieux veulent donc comprendre comment la Trinité entière a pu parler par cette voix qui nest que la voix du Père, comment encore cette même Trinité a créé la chair que le Fils seul a prise dans le sein dune Vierge, et enfin comment cette colombe sous-laquelle se montra seul lEsprit-Saint a été loeuvre de toute la Trinité. Car autrement, la Trinité nagirait pas inséparablement, et le Père serait une chose, le Fils une autre, et lEsprit-Saint une autre. Si au contraire certaines actions sont communes aux trois personnes, et certaines autres propres seulement à chacune delles, lon ne peut plus dire que la Trinité agisse inséparablement. Ils se tourmentent encore pour savoir comment lEsprit-Saint fait partie essentielle de la Trinité, puisquil nest engendré ni du Père, ni du Fils, quoiquil soit lEsprit du Père et du Fils. Telles sont les questions dont quelques personnes me poursuivent à satiété. Cest pourquoi je vais essayer de leur répondre, autant que la grâce divine suppléera à mon impuissance, et en évitant de suivre les sentiers dune jalouse et maligne critique ( Sag., VI, 25 ) je disais que jamais je ne me préoccupe de ces mystérieuses questions, je mentirais. Javoue donc que jy réfléchis souvent, parce que jaime en toutes choses à découvrir la vérité, et dun autre côté la charité me presse de communiquer à mes frères le résultat de mes réflexions. Ce nest point que jaie atteint le terme, ou que je sois déjà parfait, car si lapôtre saint Paul nosait se rendre ce témoignage, pourrais-je le faire, moi qui suis si éloigné de lui? «Mais oubliant, selon ma faiblesse, ce qui est derrière moi, et mavançant « vers ce qui est devant moi, je mefforce datteindre le but pour remporter le prix de la céleste vocation ( Philipp., III, 12, 14 ) ». Quelle distance ai-je donc parcourue dans cette route? à quel point suis-je arrivé? et quel espace me reste-t-il encore à franchir? voilà les questions auxquelles onde-sire une réponse nette et précise. Puis-je la refuser à ceux qui la sollicitent, et dont la charité me rend lhumble serviteur? Mais je prie aussi le Seigneur de faire quen voulant instruire mes frères, je ne néglige point ma propre perfection , et quen répondant à leurs questions, je trouve moi-même la solution de tous mes doutes. Jentreprends donc ce traité par lordre et avec le secours du Seigneur notre Dieu, et je me propose bien moins dy soutenir dun ton magistral des vérités déjà connues, que dapprofondir ces mêmes vérités en les examinant avec une religieuse piété.
CHAPITRE VI.CONSUBSTANTIALITÉ DES TROIS PERSONNES.
9. Quelques-uns ont dit que Notre-Seigneur Jésus-Christ nétait pas Dieu, ou quil nétait pas vrai Dieu, ou quil nétait pas avec le Père un seul et même Dieu, ou quil nétait pas réellement immortel parce quil était sujet au changement. Mais il suffit pour les réfuter de leur opposer les témoignages évidents et unanimes de nos saintes Ecritures. Ainsi saint Jean nous dit « quau commencement était le « Verbe, que le Verbe était avec Dieu, et que le Verbe était Dieu ». Or lon ne peut nier que nous ne reconnaissions en ce Verbe qui est Dieu, le Fils unique de Dieu, celui dont le même Evangéliste dit ensuite, « quil sest fait chair, et quil a habité parmi nous ». Ce qui arriva lorsque par lincarnation le Fils de Dieu naquit dans le temps de la vierge Marie. Observons aussi que dans ce passage, saint Jean ne déclare pas seulement que le Verbe est Dieu, mais encore quil affirme sa consubstantialité avec le Père. Car après avoir dit « que le Verbe était Dieu », il ajoute « quau commencement il était avec Dieu, que toutes choses ont été faites par lui, et que rien de ce qui a été fait na été fait sans lui ( Jean, I, 14, 2, 3 ). Or, quand lEvangéliste dit que tout a été fait par le Verbe, il entend évidemment parler de tout ce qui a été créé; et nous en tirons cette rigoureuse conséquence que le Verbe lui-même na pas été fait par Celui qui a fait toutes choses. Mais sil na pas été fait, il nest donc (350) pas créature, et sil nest pas créature, il est donc de la même substance ou nature que le Père. Et en effet, tout ce qui existe est créature, sil nest Dieu; et tout ce qui nest pas créature, est Dieu, De plus, si le Fils nest pas consubstantiel au Père, il a donc été créé; mais sil a été créé, tout na donc pas été fait par lui, et cependant lEvangéliste nous assure que tout a été fait par lui n. Concluons donc et que le Fils est de la même substance ou nature que le Père, et que non-seulement il est Dieu, mais le vrai Dieu. Cest ce que saint Jean nous atteste expressément dans sa première épître: « Nous savons, dit-il, que le Fils de Dieu est venu, et quil nous a donné lintelligence, afin que nous connaissions le vrai Dieu, et que nous vivions en son vrai « Fils qui est Jésus-Christ. Cest lui qui est le vrai Dieu et la vie éternelle ( I Jean, V, 20 ) ». 10. Nous pouvons également affirmer que lapôtre saint Paul parlait de la Trinité entière, et non du Père exclusivement, lorsquil disait «que Dieu seul possède limmortalité ( I Tim., VI, 16 ) ». Et, en effet, lEtre éternel ne saurait être soumis ni au changement, ni à la mortalité; et par conséquent, dès là que le Fils de Dieu « est la vie éternelle », on ne doit point le séparer du Père quand on dit que celui-ci « possède seul limmortalité ». Cest aussi parce que lhomme entre en participation de cette vie éternelle, quil devient lui-même immortel. Mais il y a une distance infinie entre celui qui est par essence la vie éternelle, et lhomme qui nest immortel quaccidentellement, et parce quil participe à cette vie. Bien plus, ce serait une erreur dentendre séparément du Fils et à lexclusion du Père, ces autres paroles du même apôtre : « Il le fera paraître en son temps, Celui qui est souverainement heureux, le seul puissant, le Roi des rois, et le Seigneur des seigneurs, qui seul possède limmortalité ». Nous voyons, en effet, que le Fils lui-même parlant au nom de la Sagesse, car « il est la Sagesse de Dieu ( I Cor., I, 24 ) », ne se sépare point du Père, quand il dit : « Seul, jai parcouru le cercle des cieux ( Eccli., XXIV, 8 ) ». A plus forte raison, il nest point nécessaire de rapporter exclusivement au Père et en dehors du Fils, ce mot de lApôtre : « Qui seul possède limmortalité ». Dailleurs, lensemble du passage sy oppose. « Je vous commande, dit saint Paul à Timothée, dobserver les préceptes que je vous donne, vous conservant sans tache et sans reproche jusquà lavènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ que doit faire paraître, en son temps, Celui qui est souverainement heureux, le seul puissant, le Roi des rois, et le Seigneur des seigneurs; qui seul possède limmortalité, qui habite une lumière inaccessible, quaucun homme na pu ni ne peut voir, et à qui est lhonneur et la gloire aux siècles des siècles. « Amen ( I Tim., VI, 14, 15, 16 ) ». Remarquez bien que dans ce passage lApôtre ne désigne personnellement ni le Père, ni le Fils, ni lEsprit-Saint, et quil caractérise le seul vrai Dieu, cest-à-dire la Trinité tout entière par ces mots : « Celui qui est souverainement heureux, le seul puissant, le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs ». 11. Mais peut-être vous troublez-vous, parce que vous saisissez difficilement ce mot de lApôtre : « Quaucun homme na pu, ni ne peut voir ». Rassurez-vous : il sagit ici de la divinité de Jésus-Christ; et en effet, les Juifs qui ne pouvaient voir en lui le Dieu, ne laissèrent pas de crucifier lhomme quils voyaient. Cest quun oeil mortel ne saurait contempler lessence divine, et quelle nest aperçue que de lhomme qui sest élevé au-dessus de lhumanité. Nous avons donc raison de rapporter à la sainte Trinité ces paroles « Le Dieu souverainement heureux et seul puissant, qui fera paraître en son temps Notre-Seigneur Jésus-Christ ». Dailleurs, si lApôtre dit ici que ce Dieu « possède seul limmortalité », le psalmiste navait-il pas dit, « que seul il opère des prodiges? ( Ps., LXXI, 18 ) ». Et maintenant je demanderai à mes adversaires de qui ils entendent cette parole. Du Père seul? mais alors comment sera-t-elle véritable cette affirmation du Fils: «Tout ce que le Père fait, le Fils le fait également? » De tous les miracles? le plus grand est certainement la résurrection dun mort. Eh bien! « Comme le Père, dit Jésus-Christ, ressuscite les morts et les vivifie, ainsi le Fils vivifie ceux quil veut ( Jean, V, 19, 21 )». Comment donc le Père opèrerait-il seul des prodiges? et comment pourrait-on expliquer autrement ces paroles quen les rapportant non au Père seul, ni au Fils, mais au seul vrai Dieu, cest-à-dire au Père, au Fils et au Saint-Esprit? (351) 12. Lapôtre saint Paul nous dit encore: « Il ny a pour nous quun seul Dieu, le Père doù procèdent toutes choses, et qui nous a faits pour lui; et un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui toutes choses ont été faites, et nous par lui ». Or, je le demande, lapôtre, comme lévangéliste, naffirme-t-il pas « que toutes choses ont été faites par le Verbe? » Et dans cet autre passage, nest-ce pas aussi ce même Verbe quil désigne évidemment? « Tout est de lui, tout est par lui, tout est en lui. A lui soit la gloire aux siècles des siècles. Amen ( Rom., XI, 36 ) ». Veut-on, au contraire, reconnaître ici la distinction des personnes, et rapporter au Père ces mots: «Tout est de lui »; au Fils, ceux-ci : « Tout est par lui »; et au Saint-Esprit, ces autres : «Tout est en lui ? » .Il devient manifeste que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont un seul Dieu, puisque lApôtre attribue à chacune des trois personnes cette même et unique doxologie : « Honneur et gloire aux siècles des siècles. Amen ». Et en effet, si nous reprenons ce passage de plus haut, nous verrons que lApôtre ne dit pas « O profondeur des richesses de la sagesse et de la science », du Père, ou du Fils, ou du Saint-Esprit, mais simplement, « de la sagesse et de la science de Dieu! Que ses jugements, ajoute-t-il, sont incompréhensibles, et ses voies impénétrables! car qui connaît les desseins de Dieu, ou qui est entré dans le secret de ses conseils? ou qui lui a donné le premier pour en attendre la récompense? car tout est de lui, tout est par lui, tout est en lui. A lui la gloire aux siècles des siècles. Amen ( Rom., XI, 33-36 ) ».
Mais si vous ne rapportez ces paroles quau Père, en soutenant que seul il a fait toutes choses, comme lApôtre laffirme ici, je vous demanderai de les concilier et avec ce passage de lépître aux Corinthiens, où, parlant du Fils, saint Paul dit : « Nous navons quun seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui toutes choses ont été faites », et avec ce témoignage de lévangéliste saint Jean: « Toutes choses ont été faites par le Verbe ( I Cor., III, 6 ; Jean, I, 2 ) ». Et, en effet, supposons que certaines choses aient été faites par le Père, et dautres par le Fils, il faudra eu conclure que ni lun ni lautre nont fait toutes choses. Admettez-vous, au contraire, que toutes choses ont été faites ensemble par le Père et par le Fils, vous en déduirez légalité du Père et du Fils, et la simultanéité des opérations du Père et du Fils. Pressons encore cet argument. Si le Père a fait le Fils qui lui-même na pas fait le Père, j! nest plus vrai que le Fils ait fait toutes choses. Et cependant tout a été fait par le Fils donc il na pas été fait lui-même; autrement il naurait pas fait avec le Père tout ce qui a été fait. Au reste, le mot lui-même se rencontre sous la plume de lApôtre; car dans lépître aux Philippiens, il dit nettement « que le Verbe ayant la nature de Dieu, na point cru que ce fût pour lui une usurpation de ségaler à. Dieu ( Philipp., II, 6 ) ». Ici saint Paul donne expressément au Père le nom de Dieu, ainsi que dans cet autre passage : «Dieu est le Chef de Jésus-Christ ( I Cor., XI, 3 ) ». 13. Quant au Saint-Esprit, ceux qui avant moi ont écrit sur ces matières,. ont également réuni dabondants témoignages pour prouver quil est Dieu et non créature. Mais sil nest pas créature, il est non-seulement Dieu dans le même sens que quelques hommes sont appelés dieux ( Ps., LXXXI, 6 ); mais il est réellement le vrai Dieu. Doù je conclus quil est entièrement égal au Père et au Fils, consubstantiel au Père et au Fils, coéternel avec eux, et complétant lunité de la nature dans la trinité des personnes. Dailleurs, le texte des saintes Ecritures qui atteste le plus évidemment que le Saint-Esprit nest pas créature, est ce passage de lépître aux Romains, où lApôtre nous ordonne de servir non la créature, mais le Créateur( Rom., I, 24. ) Et ici saint Paul nentend pas nous prescrire ce service que la charité nous recommande envers tous nos frères, et que les Grecs nomment culte de dulie; mais il veut que ce soit ce culte qui nest dû quà Dieu seul, et que les Grecs appellent culte de latrie. Aussi regardons-nous comme idolâtres tous ceux qui rendent aux idoles ce culte de latrie, car cest à ce culte que se rapporte ce précepte du Décalogue: «Vous adorerez le Seigneur votre Dieu, et vous ne servirez que lui seul ( Deut., VI, 13 ) ». Au reste, le texte grec lève ici toute difficulté, car il porte expressément: « Et vous lui rendrez le culte de latrie ». Or, si nous ne pouvons rendre à une créature ce culte de latrie, parce que le Décalogue nous dit: « Vous adorerez le Seigneur, votre Dieu, et vous ne servirez que lui seul », et si lApôtre condamne ceux qui ont servi la (352) créature plutôt que le Créateur», nous sommes en droit de conclure. que le Saint-Esprit nest pas une créature , puisque tous les chrétiens ladorent et le servent. Et en effet, saint Paul dit « que nous ne sommes point soumis à la circoncision, parce que nous servons lEsprit de Dieu », cest-à-dire, selon le terme grec, que nous lui rendons le culte de latrie ( Philipp., III, 3 ). Telle est la leçon que donnent tous ou presque tous les manuscrits grecs, et qui se trouve également dans plusieurs exemplaires latins. Quelques-uns cependant portent : nous servons Dieu en esprit, au lieu de lire: nous servons lEsprit de Dieu. Cest pourquoi, sans me préoccuper de prouver à mes adversaires lauthenticité dun texte dont ils récusent la valeur, je leur demanderai sils ont jamais rencontré la plus légère variante dans ce passage de la première épître aux Corinthiens: « Ne savez-vous pas que vos corps sont le temple du Saint-Esprit, que vous avez reçu de Dieu? » Mais ne serait-ce point un blasphème et un sacrilège que doser dire que le chrétien, membre de Jésus-Christ, est le temple dune créature inférieure à Jésus-Christ? Or, lApôtre nous affirme, dans un autre endroit : « que nos corps sont les membres de Jésus-Christ ». Si donc ces mêmes corps, membres de Jésus-Christ, sont également les temples de lEsprit-Saint, celui-ci ne saurait être créature. Et, en effet, dès là que notre corps devient le temple de lEsprit-Saint, nous devons rendre à cet Esprit le culte qui nest dû quà Dieu, et que les Grecs nomment culte de latrie. Aussi saint Paul a-t-il raison dajouter: « Glorifiez donc Dieu dans votre corps ( I Cor., VI, 19, 15, 20.).
CHAPITRE VII.COMMENT LE FILS EST-IL INFÉRIEUR AU PÈRE ET A LUI-MÊME.
14. Ces divers textes de nos divines Ecritures et plusieurs autres ont fourni, comme je lai dit, à tous ceux qui ont déjà traité ce sujet, dabondantes preuves pour réfuter les erreurs et les calomnies des hérétiques, et pour établir notre croyance en Dieu, un en nature et triple en personnes. Mais lorsquil sagit de lincarnation du Verbe de Dieu, incarnation, par laquelle Jésus-Christ sest fait homme afin dopérer loeuvre de notre rédemption, et de se porter comme médiateur entre Dieu et lhomme, les écrivains sacrés, il faut le reconnaître, tantôt insinuent que le Père est plus grand que le Fils, et tantôt même le disent ouvertement. De là lerreur de ceux qui, par défaut dune étude sérieuse des Ecritures, ne saisissent quimparfaitement lensemble de leur doctrine , et attribuent ce quelles disent de Jésus-Christ comme homme, à Jésus-Christ comme Dieu; or, qui ne sait quen tant que Dieu il était avant lIncarnation, de même quil sera éternellement ? Cest ainsi que certains hérétiques soutiennent que le Fils est inférieur au Père, parce que lui-même a dit : « Le Père est plus grand que moi ( Jean, XIV, 25 ) ». Mais ce raisonnement nous conduit à dire que Jésus-Christ est au-dessous du Fils de Dieu; car nest-il pas en effet descendu jusquà cet abaissement, « puisquil sest anéanti lui-même en prenant la forme desclave? »Toutefois, en prenant la forme desclave, il na point perdu la nature de Dieu, et il est demeuré égal à son Père. Ainsi, en prenant la forme desclave, il est resté Dieu, et il est toujours le Fils unique de Dieu, soit que nous le considérions sous celte forme desclave, soit en sa nature de. Dieu. Sous ce dernier rapport, Jésus-Christ est égal à son Père, et sous le premier il est médiateur entre Dieu et les hommes. Mais alors, qui ne comprend que comme Dieu il soit plus grand que comme Dieu-homme, et que même ayant pris la forme desclave, il soit inférieur à lui-même? Cest pourquoi la sainte Ecriture dit avec raison, et que le Fils est égal au Père, et que le Père est plus grand que le Fils. Or, ces deux propositions sont vraies, si lon entend la première de Jésus-Christ eu tant que Dieu, et la seconde de Jésus-Christ en tant quhomme. Au reste, lApôtre exprime dans-son épître aux Philippiens cette distinction, et-nous la donne comme la solution vraie et facile de toutes les difficultés de ce genre. Et en effet, quoi de plus formel que ce passage : «Jésus-Christ ayant la nature de Dieu, na point cru que ce fût pour lui une usurpation de ségaler à Dieu; et cependant il sest anéanti lui-même en prenant la forme desclave, en se rendant semblable aux hommes, et se faisant reconnaître pour homme par tout ce qui a paru de lui ( Philipp., II, 6, 7 )? »Ainsi le Fils de Dieu, égal au Père par sa nature divine, lui est inférieur par sa nature humaine. En prenant la forme desclave, il (353) sest mis au-dessous du Père, mais il est resté son égal comme Dieu, car il était Dieu avant que de se faire Homme-Dieu. Comme Dieu, il est ce Verbe dont saint Jean a dit que « toutes choses avaient été faites par lui ( Jean, I, 3 )»; et comme homme, « il a été formé dune femme, et assujetti à la loi , pour racheter ceux qui étaient sous la loi (Gal., IV, 5 )». Comme Dieu, il a concouru à la création de lhomme, et il a été fait homme lorsquil a pris la forme desclave. Et en effet, si le Père seul eût créé lhomme, lEcriture ne rapporterait pas ces paroles « Faisons lhomme à notre image et à notre ressemblance (Gen., I, 26 ) ». Ainsi, parce quétant Dieu, le Verbe a pris la forme desclave, il est tout ensemble Dieu et homme. Il est Dieu parce quil conserve la nature divine, et il est homme parce quil a pris la nature humaine. Mais en Jésus-Christ, ces deux natures nont subi aucune altération ni aucun changement. La divinité ne sest point abîmée en lhumanité, de telle sorte quelle eût cessé dêtre la divinité, et lhumanité na point été absorbée par la divinité, de telle sorte quelle eût cessé dêtre lhumanité.
CHAPITRE VIII.PASSAGES DE LÉCRITURE RELATIFS A LINFÉRIORITÉ DU FILS.
15. Il est vrai que lApôtre dit dans sa première épître aux Corinthiens, que « lorsque toutes choses auront été assujetties au Fils, alors le Fils sera lui-même assujetti à Celui qui lui aura assujetti toutes choses (I Cor., XV, 28 ) ». Mais ces paroles signifient seulement , qualors même lhumanité que le Fils de Dieu a prise en se faisant homme, ne sera point absorbée par la divinité, ou, pour parler plus exactement, par lEtre divin. Car cet Etre nest point créature, et il nest autre que la Trinité, une en nature, incorporelle et immuable, et dont les personnes sont entre elles consubstantielles et coéternelles. Voulez-vous même, avec quelques-uns, interpréter ces paroles : « Et le Fils sera lui-même assujetti à Celui qui lui aura assujetti toutes choses », dans le sens que cet assujettissement sopérera par le changement et la transformation de la nature humaine en la nature et lessence divine, en sorte que lhomme disparaîtra en Jésus-Christ, et quil ne restera plus que le Dieu? du moins, vous ne pouvez pas ne point accepter ce fait irrécusable, a savoir que cette transformation navait point eu lieu quand Jésus-Christ disait : « Mon Père est plus grand que moi ». Car il a prononcé cette parole bien avant son Ascension, et même avant sa mort et sa résurrection. Dautres au contraire croient quun jour cette transformation de la nature humaine en la nature divine aura lieu, et ils expliquent ces mots : « Alors le Fils sera lui-même assujetti à Celui qui lui aura assujetti toutes « choses » , comme si lApôtre disait quau jour du jugement général, et après quil aura remis son royaume entre les mains de son Père, le Verbe de Dieu lui-même et la nature humaine quil a prise, seront perdus et abîmés en lessence de Dieu le Père, qui a soumis toutes choses à son Fils. Mais ici encore, et même dans cette seconde hypothèse, le Fils est inférieur au Père, en tant quil a pris dans le sein dune Vierge la forme desclave. Enfin se présente un troisième ordre dadversaires. Ils affirment quen Jésus-Christ lhumanité a été dès le principe absorbée par la divinité: et toutefois ils ne peuvent nier que lhomme subsistait encore dans le Christ, lorsquil disait avant sa passion : « Le Père est plus grand que moi ». Il est donc véritablement impossible de ne pas interpréter cette parole dans ce sens que le Fils de Dieu, égal à son Père comme Dieu, lui est inférieur comme homme. Il est vrai que lApôtre en disant « que tout est assujetti au Fils », excepte manifestement « Celui qui lui a assujetti toutes choses ». Mais ce serait une erreur den conclure que le Père seul doit agir en cette circonstance, et que le Fils na point concouru à sassujettir toutes choses. Au reste saint Paul explique lui-même sa pensée dans ce passage de lépître aux Philippiens : « Nous vivons déjà dans le ciel; et cest de là aussi que nous attendons le Sauveur, Notre Seigneur Jésus-Christ, qui changera notre corps misérable en le rendant conforme à son corps glorieux par cette vertu efficace qui peut lui assujettir toutes choses ( Philipp., III, 20, 21 ) ». Le Père et le Fils agissent donc inséparablement : toutefois ce nest pas le Père qui sassujettit toutes choses, mais cest le Fils qui lui soumet toutes choses, qui lui remet son royaume, et qui anéantit tout empire, toute domination et toute puissance. Cest en effet (354) au Fils seul que se rapportent ces paroles de lApôtre: « Lorsquil aura remis son royaume à Dieu son Père, et quil aura anéanti tout empire, toute domination et toute puissance ( Cor., XV, 24.) ». Le Fils soumet donc toutes choses à son Père dès là quil anéantit tout empire et toute puissance. 16. Cependant il ne faut pas croire que le Fils sôte à lui-même son royaume parce quil le remet à son Père. Car quelques-uns ont poussé jusquà ce point laberration du langage. Il nen est rien, et en remettant le royaume à Dieu le Père, Jésus-Christ nabdique point sa royauté, puisquil est avec le Père un seul et même Dieu. Mais ce qui trompe ici ces esprits qui nétudient que légèrement nos saintes Ecritures, et qui se passionnent pour de vaines disputes, est la conjonction jusquà ce que. LApôtre dit en effet : « Il faut que le Christ règne jusquà ce quil ait mis tous ses ennemis sous ses pieds (Ibid., XV, 25 ) ». Et de là nos adversaires concluent qualors il ne règnera plus. Ils ne comprennent donc point quon doit attacher ici au mot jusquà ce que le même sens que dans ce verset du psaume cent onzième : « Son coeur est affermi, et il ne se troublera point jusquà ce quil voie la ruine de ses ennemis (Ps., CXI, 8 ) »; cest-à-dire quil ne sera plus sujet au trouble ni à la crainte, parce quil aura vu la ruine de ses ennemis. Eh quoi! encore cette parole: « Lorsque le Christ aura remis le royaume à Dieu le Père », signifie-t-elle que jusquà ce moment Dieu le Père naura point régné? Non sans doute : mais Jésus-Christ, qui est vrai Dieu et vrai homme, qui sest fait médiateur entre Dieu et les hommes, et qui règne aujourdhui par la foi sur les justes, les introduira alors dans cette vision intuitive, que lApôtre appelle « une vision face à face (I Cor., XIII, 12 ) ». Cest pourquoi cette parole : « Lorsque le Christ aura remis le royaume à Dieu le Père », doit être entendue dans ce sens : lorsque le Christ aura conduit les vrais croyants à la vision claire et parfaite de Dieu le Père. Il a dit en effet lui-même: « Toutes choses mont été données par mon Père; et nul ne connaît le Fils, si ce nest le Père ; et nul ne connaît le Père, si ce nest le Fils, et celui à qui le Fils aura voulu le révéler ( Matt., XI, 27) ». Cest donc alors que le Fils révélera pleinement le Père aux yeux des élus, parce quil détruira tout empire, toute domination et toute puissance. Mais il opérera lui-même cette destruction, et il ny emploiera point le secours des esprits célestes, les trônes, les vertus et les principautés. Aussi peut-on appliquer au juste sur la terre ce passage du Cantique des cantiques où lEpoux dit à lépouse: « Je te donnerai un miroir dor entrelacé dargent, tandis que le Roi repose sur sa couche ( Cant., I, 11 ) ». Or, ce roi est le Christ dont la vie est cachée en Dieu, selon cette parole de lApôtre : « Votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ; et lorsque Jésus-Christ, qui est votre vie, paraîtra, vous paraîtrez aussi avec lui dans la gloire ( Coloss., III, 4 ) ». Mais en attendant cet heureux jour, « nous ne voyons Dieu que comme dans un miroir et sous des images « obscures, mais alors nous le verrons face à face ( Cor., XIII, 12 )». 17. Cest cette vision intuitive qui nous est montrée comme le but de toutes nos actions et la perfection de notre bonheur. Car « nous sommes les enfants de Dieu, mais ce que nous serons un jour ne paraît pas encore. Nous savons seulement que, quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel quil est ( Exod., III, 14 ) ». Le Seigneur disait autrefois à Moïse, son serviteur : « Je suis celui qui est, et vous direz aux enfants dIsraël: Celui qui est ma envoyé vers vous ( Exod., III, 14 ) ». Eh bien la contemplation de cet Etre suprême est réservée pour léternité. Le Sauveur dit en effet: « La vie éternelle, ô mon Père, est de vous connaître, vous le seul Dieu véritable, et Jésus-Christ que vous avez envoyé ( Jean XVII, 3 )». Or ce mystère ne nous sera pleinement révélé, que « lorsque le Seigneur viendra, et quil éclairera ce qui est caché dans les ténèbres (I Co., IV, 5) ». Car alors nous dépouillerons, pour ne plus les reprendre, les grossières enveloppes de la corruption et de la mortalité; et nous verrons luire cette aurore céleste dont le psalmiste a dit: « Dès laurore je me présenterai devant vous, et je vous contemplerai ( Ps., V, 5) » Je rapporte donc à cette ineffable contemplation ces paroles de lApôtre : « Lorsque le Fils aura remis son royaume à Dieu le Père » , cest-à-dire, lorsque Jésus-Christ vrai Dieu et vrai homme, et médiateur entre Dieu et les hommes, aura conduit à la vision ( 355) claire et parfaite de Dieu le Père, les justes en qui il vit aujourdhui par la foi. Si je me trompe dans cette interprétation, jen accepte davance une plus heureuse. Mais pour le moment je nen vois pas dautre. Eh! que pourrons-nous chercher encore, quand nous aurons été admis à la contemplation de lessence divine ? Sur la terre cette: jouissance nous est refusée, et: toute notre joie est lespérance dy parvenir. « Or lespérance qui verrait, ne serait plus de lespérance, car comment espérer ce quon voit déjà? Nous espérons donc ce que nous ne voyons, pas encore, et nous lattendons par la patience, tandis que le Roi repose. sur sa couche ». Car alors se vérifiera pour nous. cette parole du psalmiste: « La vue de votre visage me remplira de joie ( Rom., VIII, 24, 25, ; Cant., I, 11 ; Ps., XV, 11). Mais cette joie sera si abondante quelle rassasiera tous nos désirs, et que nous ne saurions rien demander de plus. Et en effet, nous verrons Dieu le Père; et cela ne nous suffira-t-il pas? Lapôtre Philippe le comprenait bien quand il disait à Jésus-Christ : « Montrez-nous le Père, et cela nous suffira ». Toutefois il nen avait pas une intelligence pleine et parfaite, car il eût pu dire également: Seigneur, montrez-vous à nous, et cela nous suffira. Cest ce que le Sauveur se proposa de lui faire entendre par cette réponse: « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez pas? Philippe, celui qui me voit, voit aussi mon Père». Mais parce que Jésus-Christ voulait quavant dobtenir la vision intuitive du Père, cet apôtre vécût dune vie de foi, il ajouta: « Ne croyez-vous pas que je suis en mon Père, et que mon Père est en moi? (Jean, XIV, 9,10 )» Et en effet, « pendant que nous habitons dans ce corps, nous marchons hors du Seigneur, car nous nallons à lui que par la foi, et « nous ne le voyons pas encore à découvert ( II Cor., V, 6, 7 )». Or la vision intuitive. sera la récompense de notre foi; et cest cette foi qui purifie nos coeurs, selon cette parole du livre des Actes: « Le Seigneur purifie les coeurs par la foi (Act., XV, 9 ) ». Une autre preuve de cette vérité, et preuve bien convaincante , est la sixième béatitude qui est ainsi conçue: « Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, parce quils verront Dieu ( Matt., V, 8 ) ». Dun autre côté le Psalmiste nous rappelle que cette jouissance de la vision intuitive est réservée pour léternité, quand il met ces paroles dans la bouche de Dieu: « Je le rassasierai de la longueur du jour, et je lui ferai voir le Sauveur que jai promis (Ps., XC, 16) ». Il est donc indifférent de dire: montrez-nous le Fils, ou montrez-nous le Père; car lun ne peut être vu sans lautre, puisquils sont un, selon cette parole de Jésus-Christ : « Le Père et moi nous sommes un ( Jean, X, 30) ». -Cest à cause de cette inviolable unité que souvent nous nommons le Père seuil, ou le Fils seul, comme devant nous remplir de joie par la vue de son visage. 18. Mais ici encore on ne sépare point du Père ni du Fils lEsprit-Saint, qui est lEsprit de lun et de lautre. Il est, en effet, « cet Esprit de vérité que Je monde ne peut recevoir (Jean, XIV, 17 ) ». Ainsi notre joie sera véritablement pleine et parfaite par la vision intuitive de la sainte Trinité, à limage de laquelle nous avons été formés. Aussi disons-nous quelquefois que le Saint-Esprit seul suffira à notre béatitude ; et cette manière de parler est vraie, parce que lEsprit-Saint ne peut être séparé du Père ni du Fils. Il en est de même et du Père, parce quil est inséparablement uni au Fils et au Saint-Esprit, et du Fils, parce quil est inséparablement uni au Père et au Saint-Esprit. Cest ce quexprime formellement ce passage de lEvangile: « Si vous maimez, dit Jésus-Christ, gardez mes commandements, et je prierai mon Père, et il vous donnera un autre Consolateur, pour quil demeure éternellement avec vous, lEsprit de vérité que le monde ne peut recevoir » : cest-à-dire ceux qui aiment le monde, car « lhomme animal ne perçoit pas les choses qui sont de lEsprit de Dieu (Jean, XIV, 15, 17 ; I Cor., II, 14) ». Peut-être aussi voudrez-vous expliquer cette parole : « Je prierai mon Père, et il vous enverra un autre Consolateur », dans ce sens que le Fils seul ne suffit pas à notre bonheur éternel? Eh bien! voici un passage où le dogme contraire est expressément énoncé. « Lorsque lEsprit de vérité, dit Jésus-Christ, sera venu, il vous enseignera toute vérité (Jean, VI, 13 ) ». Est-ce quici le Fils est séparé de LEsprit-Saint, comme sil ne pouvait lui-même enseigner toute vérité, et comme si lEsprit-Saint devait suppléer à limperfection de son enseignement? Ajoutez donc, si cela vous plaît, que lEsprit-Saint est plus grand que le Fils, (356) quoique plus communément vous disiez quil lui est inférieur. Est-ce encore parce que le texte évangélique ne dit -pas : lui seul, ou nul autre que lui ne vous enseignera toute vérité, que vous nous permettez du moins de croire que le Fils enseigne conjointement avec lEsprit-Saint? Mais lApôtre a donc exclu le Fils de la science des choses de Dieu, quand il a dit: « Personne ne connaît ce qui est en Dieu, « sinon lEsprit de Dieu ( I Cor., II, 11 )? » Ainsi ces hommes pervers pourront conclure de ce passage que lEsprit-Saint révèle au Fils lui-même les choses de Dieu, et quil len instruit comme un supérieur instruit son inférieur. Et cependant le Fils naccorde à lEsprit que dannoncer ce quil aura reçu de lui. « Parce que je vous ai parlé de la sorte, dit Jésus-Christ à ses apôtres, votre coeur est rempli de tristesse. Mais je vous dis la vérité : il vous est bon que je men aille, car si je ne men vais point, le Consolateur ne viendra point à vous ( Jean, XVI, 6, 7) ».
CHAPITRE IX.IL FAUT SOUVENT APPLIQUER A TOUTES LES PERSONNES CE QUE LÉCRITURE DIT DE LUNE DENTRE ELLES.
Mais en parlant ainsi, Jésus-Christ na point voulu marquer quelque inégalité entre le Verbe de Dieu et lEsprit-Saint. Il sest proposé seulement davertir ses apôtres que la présence de sa sainte humanité au milieu deux, était un obstacle à la venue de cet Esprit consolateur, qui ne sest point abaissé comme le Fils en prenant la forme desclave il devenait donc nécessaire que le Christ, en tant quhomme, disparût aux regards des apôtres, parce que la vue de son humanité sainte affaiblissait en eux la notion nette et précise de sa divinité. Aussi Jésus-Christ leur disait-il: « Si vous maimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais à mon Père, parce que mon Père est plus grand que moi (Jean, XIV, 28)». Cest comme sil leur eût dit : il faut que je retourne à mon Père; car tandis que je suis corporellement parmi vous, la vue de mon humanité vous fait croire que je suis inférieur au Père. Aussi. parce que vous êtes tout préoccupés des dehors matériels et sensibles que vous apercevez en moi, vous ne pouvez comprendre que comme Dieu je suis égal à mon Père. Tel est également le sens de cette parole : « Ne me touchez point, parce que je ne suis pas encore remonté vers mon Père ( Jean, XX, 17) ». Madeleine semblait, en effet; par cette action, ne reconnaître en Jésus-Christ que lhumanité; et cest pourquoi le divin Sauveur ne voulait pas quun coeur qui lui était si dévoué, sattachât exclusivement à lextérieur de sa personne. Le mystère de lAscension devait au contraire prouver quen tant que Dieu il est égal au Père, et que comme Celui-ci il suffit à la béatitude des élus. Au reste cette vérité est si assurée, que souvent nous disons que le Fils seul suffit au bonheur de la vision intuitive, et quen lui seul nous trouverons la récompense de notre amour et le rassasiement de nos désirs. Ne nous dit-il pas en effet lui-même: « Celui qui a mes commandements, et qui les garde, cest celui-là qui maime? Or celui qui maime sera aimé de mon Père; je laimerai aussi et je me manifesterai à lui ( Id., XIV, 21) ». Eh quoi! parce que Jésus-Christ ne dit pas ici : je vous montrerai le Père, est-ce quil sen sépare? nullement. Mais parce que cette parole est vraie : « Mon Père et moi nous sommes un», le Père ne peut se manifester sans manifester également le Fils qui est en lui. Et de même, quand le Fils se manifeste, il manifeste nécessairement le Père qui est en lui. Aussi quand on dit que le Fils remettra le royaume à Dieu son Père, nous ne devons pas entendre qualors il cessera lui-même de régner, car il est évident quen conduisant les élus à la vision intuitive du Père, il les conduira à la vision de lui-même, puisquil nous assure quil se manifestera à eux. Cest pourquoi lorsque lApôtre Jude lui eût dit: «Seigneur, doù vient que vous vous découvrirez à nous, et non pas au monde ? » Jésus-Christ lui répondit avec juste raison : « Si quelquun maime, il gardera ma parole, et mon Père laimera, et nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure ( Id., XIV, 22, 23 ) ». Ainsi e Fils ne se manifeste pas seul à celui qui laime, mais il vient à lui avec le Père, et tous deux font en lui leur demeure. 19. Mais peut-être penserez-vous que lEsprit-Saint est exclu de lâme de ce juste, où habitent le Père et le Fils? Eh quoi! Jésus-Christ na-t-il pas dit précédemment du Saint-Esprit: « Le monde ne peut le recevoir, parce quil ne le voit point; vous, au contraire, ( 357) vous le connaissez, parce quil demeure en vous, et quil est en vous (Jean, XIV, 17) ». Comment donc soutenir que cet Esprit, dont il est dit quil demeure en nous, et quil est en nous, nhabite pas dans lâme du juste? Enfin ce serait une trop grossière absurdité que daffirmer que la présence du Père et du Fils en lâme de celui qui les aime, met en fuite lEsprit-Saint, en sorte quil se retire à leur approche, comme un inférieur devant ses supérieurs. Toutefois il suffit, pour renverser cette monstrueuse erreur, de rappeler ces paroles du Sauveur: « Je prierai mon Père, et il vous donnera un autre Consolateur, pour quil demeure éternellement avec vous ( Id., XIV, 16) ». Ainsi lEsprit-Saint ne se retire point à lapproche du Père et du Fils, et il doit, conjointement avec eux, demeurer éternellement dans lâme des justes, car il ny vient point sans eux, ni eux sans lui. Mais cest en raison de la distinction des personnes en la Trinité, que certaines choses sont dites séparément de chaque personne; et néanmoins ces mêmes choses se rapportent également aux trois personnes divines, à cause de lunité de nature qui fait quen la Trinité des personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont quun seul Dieu.
CHAPITRE. X.DANS QUEL SENS EST-IL DIT QUE LE FILS LIVRERA LA SOUVERAINETÉ AU PÈRE.
20. Lors donc que Notre-Seigneur Jésus-Christ remettra son royaume à Dieu le Père, il le remettra également au Fils et au Saint-Esprit : et cest alors quil introduira les élus dans cette contemplation de Dieu, qui est le terme de toutes leurs bonnes oeuvres, et qui sera pour eux un repos éternel et une joie immortelle. Telle est la promesse que renferment ces paroles du Sauveur: « Je vous verrai de « nouveau, et votre coeur se réjouira, et nul ne vous ravira votre joie ( Id., XVI, 22 ) ». Marie, assise aux pieds de Jésus et écoutant sa parole, nous représente bien ce bonheur du ciel. Car, libre de toute action extérieure, et plongée dans la jouissance de la vérité suprême, autant du moins quelle nous est donnée pendant cette vie, elle figurait excellemment létat immuable des élus. Marthe, au contraire, semployait à des occupations bonnes et utiles, mais passagères, et auxquelles devait succéder un doux loisir, tandis que Marie se reposait en la parole du divin Sauveur. Aussi quand Marthe se plaignit de ce que sa soeur ne lui aidait pas, Jésus-Christ lui répondit-il : « Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera pas ôtée (Luc., X, 42 ) ». Il ne dit point que la part de Marthe fût mauvaise, mais il dit que celle de Marie était meilleure, et il ajouta quelle ne lui serait pas ôtée. La première, qui a pour objet le soulagement de notre indigence, cessera avec cette indigence, et un éternel repos sera la récompense de son généreux dévouement. Mais la seconde subsistera toujours, parce que dans la Vision béatifique, Dieu sera toutes choses en tous ses élus, en sorte quils néprouveront aucun autre désir, et quen sa lumière ils jouiront dun parfait bonheur. Cest le bonheur que demandait le psalmiste, par ces gémissements ineffables que lEsprit-Saint formait en lui, quand il sécriait: «Jai demandé une seule grâce au Seigneur, et je la lui demanderai encore, celle dhabiter dans la maison du Seigneur tous les jours de ma vie, pour y contempler la beauté du Seigneur ( Luc., X, 42 ) ». Nous verrons donc Dieu le Père, Dieu le Fils, et Dieu lEsprit-Saint, lorsque Jésus-Christ qui est établi médiateur entre Dieu et les hommes, aura remis son royaume à Dieu le Père. Alors le Verbe éternel qui est tout ensemble Fils de Dieu et Fils de lhomme, nintercédera plus pour nous, comme notre médiateur et notre pontife. Mais lui-même en tant que pontife, et ayant pris la forme desclave, sera assujetti à Celui qui lui a soumis toutes choses, et auquel il a assujetti toutes choses; bien plus, en tant que Dieu il verra que lui sont assujettis, ainsi quà son Père, tous ceux avec qui il est lui-même assujetti en qualité de pontife. Cest ainsi que le Fils étant Dieu et homme tout ensemble, la nature humaine diffère en lui de la nature divine quil tient du Père. Et de même, quoique mon corps et mon âme soient dune nature différente, ils ont ensemble des rapports intimes que lâme dun autre homme ne saurait avoir avec la mienne. 21. Concluons donc que Jésus-Christ remettant son royaume à Dieu le Père, fera entrer dans la vision béatifique ceux qui sur la terre croient en lui, et dont il est le pontife et le médiateur. Ici-bas nous appelons cette vision de nos soupirs et de nos gémissements; mais quand le travail et la douleur auront cessé, (358) Jésus-Christ nintercédera plus pour nous, parce quil aura remis son royaume à Dieu le Père. Cest ce quil prêchait à ses Apôtres, lorsquil leur disait: « Je vous ai dit ces choses en figures; lheure vient que je ne vous parlerai plus en figures, mais je vous parlerai ouvertement de mon Père ». Et en effet il ny aura plus ni voiles, ni figures dès lors que nous verrons Dieu face à face. Tel est le sens de cette parole : « Je vous parlerai ouvertement de mon Père » ; cest-à-dire, je vous découvrirai manifestement mon Père. Toutefois il dit: « Je vous parlerai de mon Père » parce quil est son Verbe; et puis il ajoute: « En ce jour vous demanderez en mon nom, et je ne vous dis point que je prierai mon Père pour vous; car mon Père lui-même vous aime, parce que vous mavez aimé, et que vous avez cru que je suis sorti de Dieu. Je suis sorti de mon Père et je suis venu dans le monde; je quitte de nouveau le monde, et je vais à mon Père ( Jean, XVI, 25, 28 ) ». Mais que signifie cette parole: « Je suis sorti de mon Père ? » Cest comme si Jésus-Christ disait : Restant toujours en tant que Dieu égal à son Père, jai paru inférieur à lui, en me faisant homme. Et encore: « Je suis venu dans le monde »; cest-à-dire, jai montré aux regards des pécheurs qui aiment le monde, lhumanité que javais prise, en mabaissant jusquà revêtir la forme desclave. Mais voilà que « je quitte de nouveau le monde », cest-à-dire, que je soustrais mon humanité sainte aux yeux des amateurs du monde. Et « je vais à mon Père »; cest-à-dire que jinstruis mes disciples à me considérer comme égal à mon Père. Cest cette ferme et sincère croyance qui nous permettra de passer des ombres de la foi à la vue claire et nette des mystères divins, et qui nous introduira dans la vision intuitive, lorsque le Fils remettra le royaume à son Père. Et en effet les élus que Jésus-Christ a rachetés de son sang, et pour lesquels il intercède maintenant, forment son royaume; mais alors il ne priera plus son Père en leur faveur parce quil les aura réunis à lui dans le ciel, où il est égal à son Père. « Car mon Père, dit-il, vous aime ». Jésus-Christ prie son Père, en tant quil lui est inférieur, comme homme, et il exauce lui-même sa prière conjointement avec le Père, en tant quil lui est égal comme Dieu. Il ne se sépare donc point du Père quand il dit : « Mon Père vous aime » : mais ici il rappelle ce que déjà jai observé, et fait remarquer que quand on affirme une chose dune seule des personnes de la sainte Trinité, les deux autres y sont comprises. Ainsi cette parole, « le Père vous aime » doit également sentendre du Fils et du Saint-Esprit. Mais est-ce que présentement le Père ne nous aime pas? Eh quoi ! Il ne nous aimerait pas celui qui « na pas épargné son propre Fils, et qui la livré à la mort pour nous tous ( Rom., VIII, 32 ) ?» Toutefois Dieu nous aime moins tels que nous sommes que tels que nous serons un jour, car ceux quil aime présentement, il les conserve afin quils jouissent dun bonheur éternel. Cest ce qui arrivera, lorsque le Fils aura remis la royaume à son Père; et alors celui qui maintenant intercède pour nous, cessera de prier son Père, parce que le Père lui-même nous aime. Mais comment méritons-nous cet amour, si ce nest par la foi qui nous fait croire à une promesse dont nous ne voyons pas encore laccomplissement? Oui, la foi qui nous conduira à la vision béatifique, fait que dès à présent le Seigneur nous aime tels quil aime que nous soyons un jour. Car il ne saurait aimer les pécheurs tant quils restent pécheurs, et cest pourquoi il les presse de ne pas demeurer éternellement dans ce triste état.
CHAPITRE XI.DEUX NATURES DANS LA PERSONNE DU FILS.
22. Une règle essentielle à la bonne interprétation des saintes Ecritures, est donc de distinguer, par rapport au Fils de Dieu, ce quelles affirment de lui comme Dieu et comme égal à son Père, de ce quelles énoncent de lui comme ayant pris la forme desclave en laquelle il est inférieur à son Père. Mais aussi cette règle une fois bien comprise, nous ne nous inquiéterons point de contradictions qui ne sont quapparentes. Et en effet, selon la nature divine, le Fils et le Saint-Esprit sont égaux au Père, parce que nulle des trois personnes de la sainte Trinité nest créature, ainsi que je lai prouvé; mais le Fils, en tant quil a pris la forme desclave, est inférieur au Père, selon ce quil a dit lui-même : « Le Père est plus grand que moi ». En second lieu, il est inférieur à lui-même, parce que saint Paul a dit «quil sétait anéanti ( Philipp., II, 7 ) ». Enfin il est encore (359) comme homme inférieur à lEsprit-Saint, car il sest ainsi exprimé : « Quiconque parle contre le Fils de lhomme, le péché lui sera remis; mais si quelquun parle contre le Saint- Esprit, le péché ne lui sera pas remis ( Matt., XII, 32 )». Cest aussi comme homme que Jésus-Christ rapporte ses miracles à lopération de cet Esprit divin. « Si je chasse, dit-il, les démons par lEsprit de Dieu, le royaume de Dieu est donc arrivé jusquà vous (Luc, XI, 20 ) ». On sait encore quayant lu dans la .synagogue de Nazareth te passage suivant dIsaïe, il sen fit à lui même lapplication : « LEsprit du Seigneur est sur moi; il ma consacré par son onction pour évangéliser les pauvres, et annoncer aux captifs leur délivrance ( Isaïe, LXI, 1 ; Luc, IV, 18 ) ». Ainsi Jésus-Christ ne se reconnaît envoyé pour ces oeuvres, que parce que lEsprit du Seigneur est sur lui. Comme Dieu, il a fait toutes choses, et comme homme, il a été formé dune femme et assujetti à la loi ( Jean I, 3 ; Galat., IV, 4 ) . Comme Dieu, il est un avec le Père, et comme homme, il nest pas venu faire sa volonté, mais la volonté de Celui qui la envoyé. Comme Dieu, « il lui a été donné davoir la vie en soi, ainsi que le Père a la vie en soi ( Jean, X, 30, VI, 38, V, 26 ) » ; et comme homme, il sécrie au jardin des Oliviers : « Mon âme est triste jusquà la mort » ; et encore: « Mon Père, sil est « possible, que ce calice séloigne de moi ( Matt., XXVI, 38, 39 )». Comme Dieu, « il est lui-même le vrai Dieu et la vie éternelle », et comme homme, « il sest fait obéissant jusquà la mort, et la mort de la croix ( I Jean, V, 20 ; Philipp., II, 8 ) ». 23. Enfin, comme Dieu, il possède tout ce qui est au Père, selon ce quil a dit lui-même: « Mon Père, tout ce qui est à moi, est à vous; et tout ce qui est à vous, est à moi»; comme homme, il avoue que sa doctrine nest pas de lui, mais de Celui qui la envoyé ( Jean, XVI, 15, XVII, 10 , VII, 16 ).
CHAPITRE XII.AUTRES PASSAGES RELATIFS AUX DEUX NATURES.
Quant au jour et à lheure du jugement dernier dont Jésus-Christ a dit que « nul ne les sait, non pas même les anges des cieux, ni le Fils, mais seulement le Père ( Marc, 16, 32 )», il faut observer quil ne les savait pas, par rapport à ses disciples, puisquil ne devait point les leur faire connaître. Cest ainsi que lAnge dit à Abraham: « Je sais maintenant que tu crains Dieu », cest-à-dire que cette épreuve ma prouvé que tu craignais Dieu ( Gen., XXII, 12 ).Au reste, Jésus-Christ se proposait de révéler en temps opportun ce secret à ses apôtres, ainsi quil le leur insinue par ces paroles, où le passé est mis pour le futur : « Je ne vous appellerai plus serviteurs, mais je vous donnerai le nom damis. Car le serviteur ne sait pas ce que veut faire son maître. Or je vous ai appelés mes amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que jai appris de mon Père ( Jean, XV, 15 ) ». Il ne lavait pas encore fait, mais parce quil devait certainement le faire, il en parle comme dune chose accomplie : « Jai encore, avait-il ajouté, beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter à présent ( Id., XVI, 12 ) » Parmi ces choses étaient sans doute compris le jour et lheure du jugement. LApôtre écrit également aux Corinthiens: « Je nai pas prétendu parmi vous savoir autre chose que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié n. Cest quen effet il écrivait à des fidèles qui étaient incapables de sélever jusquaux sublimes mystères de la divinité du Christ. Aussi leur dit-il peu après : « Je nai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des personnes encore charnelles ( I Cor., II, 2, III, 1 ) ». Il ne savait donc point pour les Corinthiens ce quil ne pouvait leur apprendre, et il témoignait ne savoir que ce quil était nécessaire quils apprissent. Au reste il savait bien pour les parfaits ce quil ne savait pas pour les enfants, car il dit lui-même: « Nous prêchons la sagesse aux parfaits ( I Cor., II, 6 )». Ainsi on dit quun homme ne sait pas une chose, quand il doit la tenir cachée; tout comme lon affirme ne pas connaître le piége que lon ne doit pas découvrir. Et en effet, lEcriture saccommode à notre langage ordinaire, parce quelle sadresse à des hommes. 24. Cest comme Dieu que Jésus-Christ a dit: « Le Seigneur ma engendré avant les collines», cest-à-dire avant toutes les créatures, même les plus excellentes; « et il ma enfanté avant laurore », cest-à-dire avant tous les temps et tous les siècles ( Prov., VIII, 25 ). Mais cest comme homme quil a dit: « Le Seigneur ma créé au commencement de ses voies ( Prov., VIII, 22 ). En tant que Dieu, Jésus-Christ a dit : « Je suis la vérité », (360) et en tant quhomme, il a ajouté : « Je suis la voie ( Jean, XIV, 6 ) ». Et en effet parce quil est « le premier-né dentre les morts ( Apoc., I, 5) », il a tracé à son Eglise la route qui conduit au royaume de Dieu et à la vie éternelle. Ainsi on dit avec raison que le Christ qui est le Chef du corps des élus et qui les introduit en la bienheureuse immortalité, a été créé au commencement des voies et des oeuvres du Seigneur. Comme Dieu, Jésus-Christ « est le commencement, lui qui nous parle, et en qui au commencement Dieu a fait le ciel et la terre ( Jean, VIII, 25 ; Gen., I, 1 ) », Mais comme homme, « il est lépoux qui sélance de sa couche ( Ps., XVIII, 6 ) ». Comme Dieu, « il est né avant toutes les créatures; il est avant tout, et toutes choses subsistent par lui »; et comme homme, « il est le Chef du corps de lEglise ( Coloss., I, 15, 17, 18 ) ». Comme Dieu, « il est le Seigneur de la gloire », et nous ne pouvons douter quil ne glorifie ses élus ( I Cor., II, 8 ), selon cette parole de lApôtre: « Ceux quil a prédestinés, il les a appelés; ceux quil a appelés, il les a justifiés; ceux quil a justifiés, il les a glorifiés ( Rom., VIII, 30 ) ». Cest encore de lui, comme Dieu, que le même Apôtre dit « quil justifie limpie, quil est le juste par excellence, et quil justifie le pécheur ( Rom., IV, 5, III, 26 ).» Et en effet celui qui glorifie ceux quil a justifiés, et qui les justifie et les glorifie par lui-même., nest-il pas réellement, ainsi que je lai affirmé, le Seigneur de la gloire ?Et cependant, comme homme, il répondit à ses disciples qui linterrogeaient sur la récompense quil leur réservait : « Il nest pas en mon pouvoir de vous donner une place à ma droite ou à ma gauche, elle appartient à ceux à qui mon Père la préparée ( Matt., XX, 23 ) ». 25. Mais parce que le Père et le Fils ne sont quun, ils concourent également à préparer la même place. Et en effet jai déjà prouvé que par rapport à la Trinité ce que lEcriture énonce dune seule personne doit être entendu de toutes trois en raison de lunité de nature qui leur rend communes les oeuvres extérieures. Cest ainsi quen parlant de lEsprit-Saint, Jésus-Christ dit : « Si je men vais, je vous lenverrai (Jean, XVI, 7 ) ». II ne dit pas: Nous enverrons, mais jenverrai, comme si cet Esprit divin ne devait recevoir sa mission que du Fils, à lexclusion du Père. Mais dans un autre endroit, il dit : « Je vous ai dit ces choses lorsque jétais encore avec vous. Mais le Consolateur, lEsprit-Saint que mon Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses ( Jean, XIV, 25, 26) ». Ne semble-t-il pas ici que le Père seul doit envoyer lEsprit-Saint, et que le Fils ny aura aucune part? Et de même, au sujet de la place qui est réservée dans le ciel à ceux à qui le Père la préparée, Jésus-Christ veut faire entendre que conjointement avec le Père il a préparé et réservé cette place. 26. Mais peut-être mobjectera-t-on quen parlant de lEsprit-Saint, il a bien dit quil lenverrait, mais na pas nié que le Père ne puisse aussi lenvoyer, et quen affirmant ensuite la même chose du Père, il ne la pas niée de lui-même, tandis quici il reconnaît quil ne lui appartient pas de donner cette place. Cest pourquoi il dit avec raison quelle est réservée à ceux à qui le Père la préparée. Je réponds, comme je lai déjà fait ailleurs, que dans cette circonstance Jésus-Christ sexprime en tant quhomme. « Il ne mappartient pas, dit-il, de donner cette place », cest-à-dire que cela surpasse en moi la puissance de lhomme. Mais cest une raison pour que nous comprenions quétant comme Dieu égal à son Père, il la donne conjointement avec lui. Le sens de ces paroles est donc celui-ci : Je ne puis comme homme donner cette place, et elle est réservée à ceux à qui le Père la préparée : toutefois, parce que « tout ce qui est au Père est à moi», vous devez comprendre que conjointement avec le Père jai préparé et réservé cette place ( Id., XVI, 15 ). Et maintenant je demande à montrer comment Jésus-Christ a pu dire : « Si quelquun entend mes paroles et ne les garde pas, je ne le juge pas ». Est-ce comme homme quil parle ici, et de la même manière quil avait dit précédemment : il ne mappartient pas de donner cette place ? Non, sans doute, car il poursuit en ces termes « Je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour sauver le monde» ; et encore: « Celui qui me méprise et qui ne reçoit pas ma parole, a un juge qui doit le juger». Peut-être comprendrions-nous quil veut parler de son Père, sil najoutait: « La parole que jai annoncée, le jugera au dernier jour ». Eh bien! le Fils ne jugera donc point, puisquil a déclaré quil ne jugerait pas ; et le Père ne jugera point, ( 361) puisque ce sera la parole que le Fils aura annoncée. Mais écoutez la suite de ce passage : « Je nai point parlé de moi-même: mais mon Père qui ma envoyé, ma prescrit lui-même ce que je dois dire, et comment je dois parler. Et je sais que son commandement est la vie éternelle. Or ce que je dis, je le dis selon que mon Père ma ordonné ( Jean, XII, 47, 50 ) ». Ainsi ce nest pas le Fils qui juge, mais cest la parole que le Fils a prononcée ; et cette parole nest elle-même investie de ce pouvoir que parce que le Fils na point parlé de lui-même, -mais selon lordre et le commandement de Celui qui la envoyé. Le jugement est donc réservé au Père dont le Fils nous a transmis la parole. Or ce Verbe, ou cette parole du Père, nest autre que le propre Fils de Dieu. Car il ne faut point ici distinguer deux commandements, lun du Père, et lautre du Fils, et cest uniquement le Fils qui est désigné par le terme de commandement ou de parole. Mais examinons si par ces mots : « Je nai point parlé de moi-même », J.-C. ne voudrait pas dire : je ne me suis pas donné lêtre à moi-même. Et en effet quand le Verbe de Dieu sénonce au dehors, il ne peut que sénoncer lui-même, puisquil est le Verbe de Dieu. Aussi dit-il souvent que « son Père lui a donné », pour nous faire entendre quil tire de lui sa génération éternelle. Car le Fils nexistait point avant que le Père lui donnât, et le Père ne lui a pas donné parce quil manquait de quelque chose, mais il lui a adonné dêtre, et en lengendrant il lui a donné davoir toutes choses. Il ne faut pas en effet raisonner ici du Fils de Dieu, comme nous le faisons des créatures. Avant le mystère de lIncarnation, et avant quil eût pris la nature humaine, le Fils unique de Dieu, par qui tout a été fait, réunissait en lui lêtre divin et la plénitude divine, Il était, et parce quil était, il avait. Cest ce quexprime clairement ce passage de saint Jean, si nous savons le comprendre: « Comme le Père, dit Jésus-Christ, a la vie en soi, ainsi a-t-il donné au Fils davoir en soi la vie (Id., V, 26 ) ». Mais le Fils nexistait point avant quil eût reçu du Père davoir la vie en soi, puisque par cela seul quil est, il est la vie. Ainsi cette parole «Le Père adonné au Fils davoir la vie en soi», signifie que le Père a engendré un Fils qui est la vie immuable et éternelle. Et en effet le Verbe de Dieu nest pas autre que le Fils de Dieu, et le Fils de Dieu est lui-même « le Dieu véritable et la vie éternelle », ainsi que nous le dit saint Jean dans sa première épître ( Jean, V, 20 ). Pourquoi donc ne pas reconnaître ici ce même Verbe, dans « cette parole que Jésus-Christ a «annoncée, et qui jugera le pécheur au dernier «jour?» Au reste tantôt il se nomme lui-même la parole du Père, et tantôt le commandement du Père, en ayant soin de nous avertir que ce commandement est la vie éternelle. « Et je sais, dit-il, que son commandement est la vie éternelle ( Jean, XII, 50 ) ». 27. Il nous faut maintenant chercher en quel sens Jésus-Christ a dit : « Je ne le jugerai point, mais la parole que jai annoncée « le jugera». Daprès le contexte de ce passage, cest comme si le Sauveur disait : je ne le jugerai point, mais ce sera le Verbe du Père qui le jugera. Or le Verbe du Père nest autre que le Fils de Dieu, et par conséquent nous devons comprendre que Jésus-Christ dit en même temps : je ne jugerai point et je jugerai. Mais comment cela peut-il être vrai, si ce nest dans ce sens : je ne jugerai point parla puissance de lhomme, et en tant que je suis Fils de lhomme, mais je jugerai par la puissance du Verbe, et en tant que je suis Fils de Dieu? Si au contraire vous ne voyez que répugnance et contradiction dans ces paroles : je jugerai, et je ne jugerai pas ; je vous demanderai de mexpliquer celles-ci: « Ma doctrine nest pas ma doctrine ( Id., 16 ). Comment Jésus-Christ peut-il dire que sa doctrine nest pas sa doctrine? car observez quil ne dit point : cette doctrine nest pas une doctrine, mais : « Ma doctrine nest pas ma doctrine ». Il affirme donc tout ensemble que sa doctrine est sienne, et quelle nest pas sienne. Or, cette proposition ne peut être vraie que si on en prend le premier membre dans un sens, et le second dans un autre sens. Comme Dieu la doctrine de Jésus-Christ est sienne, et comme homme elle nest pas sienne ; et cest ainsi quen disant : « Ma doctrine nest pas ma doctrine, mais elle est la doctrine de Celui qui ma envoyé », il fait remonter nos pensées jusquau Verbe lui. même. Je cite encore un autre passage qui tout dabord ne paraît pas moins difficile. « Celui, dit Jésus-Christ, qui croit en moi, ne croit pas en moi ( Id., XII, 44 ) » . Comment croire en lui est-il ne pas (362) croire en lui ? Et comment comprendre cette proposition en apparence si contradictoire : « Celui qui croit en moi, ne croit pas en moi, mais en Celui qui ma envoyé? » En voici le sens: Celui qui croit en moi, ne croit point en ce quil voit, autrement son espérance sappuierait sur la créature; mais il croit en Celui qui a pris la formé humaine afin de se rendre sensible aux yeux de lhomme. Et en effet le Fils de Dieu ne sest fait homme que pour purifier le coeur de lhomme, et lamener par la foi à le considérer comme égal à son Père. Cest pourquoi il élève jusquà son Père la pensée de ceux qui croient en lui, et en disant qu «on ne croit pas en lui, mais en Celui qui la envoyé», il prouve quil ne se sépare point du Père qui la envoyé, et il nous avertit de croire en lui, comme nous croyons au Père auquel il est égal. Cest ce quil dit ouvertement dans cet autre passage : « Croyez en Dieu, et croyez aussi en moi ( Jean, XIV, 1 ) » ; cest-à-dire, croyez en moi de la même manière que vous croyez en Dieu, parce que le Père et moi ne sommes quun seul et même Dieu. Ainsi lorsque Jésus-Christ dit que « celui qui croit en lui, ne croit pas en lui, mais en Celui qui la envoyé », et dont il ne se sépare point, il transporte notre foi de sa personne à celle de son Père. Et de même quand il dit: « Il nest pas en mon pouvoir de vous donner cette place et elle est réservée à ceux à qui mon Père la préparée », il sexprime clairement selon le double sens que lon attache à ses paroles. Cette observation sapplique également à cette autre parole: « Je ne jugerai point ». Et en effet comment serait-elle vraie , puisque, selon lApôtre Jésus-Christ doit juger les vivants et les morts ( II Tim., IV, 1)? Mais parce quil nexercera point ce jugement comme homme, il en rapporte lhonneur et le pouvoir à la divinité, et il élève ainsi nos pensées jusquà ces mystères sublimes qui sont le but de son incarnation.
CHAPITRE XII.DANS QUEL SENS LE PÈRE NE DOIT-IL PAS JUGER.
28. Si Jésus-Christ nétait tout ensemble Fils de lhomme parce quil a pris la forme desclave, et Fils de Dieu parce quil na point dépouillé la nature divine , saint Paul neût point dit des princes de ce inonde que « sils lavaient connu, ils nauraient jamais crucifié le Seigneur de la gloire ( I Cor., II, 8 ) ». Cest en effet comme homme que Jésus-Christ a été crucifié, et néanmoins les juifs ont crucifié le Seigneur de la gloire. Car le mystère de lIncarnation consiste en ce que Jésus-Christ est tout ensemble Dieu-Homme, et Homme-Dieu. Mais comment, et en quoi est-il Dieu, et est-il homme? Un lecteur prudent, pieux et attentif comprendra aisément avec la grâce de Dieu. Pour moi, jai déjà dit que comme Dieu il glorifie ses élus, parce que comme Dieu il est le Seigneur de la gloire. Toutefois il est vrai de dire que les juifs ont crucifié le Seigneur de la gloire, puisquon peut dire que Dieu même a été crucifié non en la vertu de la divinité , mais en linfirmité de la chair ( II Cor., XIII, 4 ). Cest aussi à Jésus-Christ comme Dieu quappartient le jugement, parce quil juge par lautorité de sa divinité, et non par la puissance de son humanité. Néanmoins il doit comme homme juger tous les hommes, de même quen lui le Seigneur de la gloire a été crucifié. Dailleurs il nous laffirme ouvertement par ces paroles : « Quand le Fils de lhomme, dit-il, viendra dans sa majesté, et tous les anges avec lui, toutes les nations seront assemblées devant lui ( Matt., XXV, 31, 32 ) ». La suite du chapitre qui traite du jugement dernier confirme pleinement cette vérité. Les Juifs qui auront persévéré en leur malice, recevront en ce jugement la punition de leur crime, et « ils tourneront leurs regards vers Celui quils auront percé ( Zach., XII, 10 ) ». Et en effet, puisque les bons et les méchants doivent également voir Jésus-Christ comme Juge des vivants et des morts, il est certain que les pécheurs ne le verront quen son humanité. Mais alors cette humanité sera glorieuse, et non humiliée comme au jour de sa passion. Au reste, les pécheurs ne verront point en Jésus-Christ la divinité selon laquelle il est égal à son Père. Car ils nont pas le coeur pur, et Jésus-Christ a dit: « Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, parce quils verront Dieu ( Matt., V, 8 ) ». Or, voir Dieu, cest « le voir face à face », comme dit lApôtre ( I Cor., XIII, 12 ). Et cette vision qui est la souveraine récompense des élus, naura lieu quau jour où Jésus-Christ remettra son royaume à Dieu le (363) Père. Cest alors que toute créature étant soumise à Dieu, lhumanité sainte que le Fils de Dieu a prise en se faisant homme, lui sera elle-même soumise. Et en effet, comme homme « le Fils sera lui-même assujetti à celui qui lui aura assujetti toutes choses, afin que Dieu soit tout en tous ( I cor., XV, 28 ) ». Mais si le Fils de Dieu se montrait comme juge dans la forme divine qui le rend égal à son Père, et sil se montrait ainsi aux pécheurs, il naurait plus de raison de promettre à son fidèle et bien-aimé disciple, comme bienfait inestimable, « quil laimera, et quil se montrera à lui ( Jean, XIV, 21 ) ». Concluons quau dernier jour le Fils de lhomme jugera tous les hommes en vertu de lautorité qui lui appartient comme Dieu, et non par la puissance de son humanité. Et toutefois, il est vrai de dire que le Fils de Dieu jugera aussi tous les hommes : seulement il napparaîtra point en la nature divine qui le rend égal au Père, mais en la nature humaine quil a prise en devenant le Fils de lhomme. 29. Il est donc permis de dire et que le Fils de lhomme jugera, et que le Fils de lhomme ne jugera pas. Il jugera, puisquil a dit lui-même : « Lorsque le Fils de lhomme viendra, toutes les nations seront assemblées devant lui ( Matt., XXV,32 ) » ; et il ne jugera pas, afin que cette parole soit accomplie: « Je ne jugerai point»; et cette autre: « Je ne cherche point ma gloire; il est quelquun qui la cherche et qui juge ( Jean, XII, 47, VIII, 50 )». Bien plus, parce quau jour du jugement général, Jésus-Christ apparaîtra comme homme et non comme Dieu, il est vrai daffirmer que le Père ne jugera pas; et cest en ce sens que Jésus-Christ a dit: «le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils ( Id., V, 22 )». Quant à cette autre parole que jai déjà citée : « Le Père a donné au Fils davoir la vie en soi ( Id., V, 26)», elle se rapporte à la divinité de Jésus-Christ et à sa génération éternelle. On ne pourrait donc lentendre de son humanité dont lApôtre a dit « que Dieu la élevée, et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom ». Car évidemment lApôtre désigne ici Jésus-Christ comme Fils de lhomme, puisque cest seulement en cette qualité que le Fils de Dieu est ressuscité dentre les morts. Egal comme Dieu à son Père, il a daigné sabaisser jusquà prendre la forme desclave, et cest en cette ferme quil agit, quil souffre et quil reçoit la gloire. Pour sen convaincre, il suffit de lire ce passage de lépître aux Philippiens: « Le Christ sest humilié, se rendant obéissant jusquà la mort, et la mort de la croix. Cest pourquoi Dieu la élevé et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom; afin quau nom de Jésus tout genou fléchisse dans le ciel, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue confesse que le Seigneur Jésus-Christ est dans la gloire de son Père ( Philipp., II, 6, 11 ) ». Ce témoignage de lApôtre se rapporte à Jésus-Christ comme homme, de même que cette parole : « Le Père a donné tout jugement au Fils »; et lon voit assez quon ne saurait linterpréter dans le même sens que celle-ci : « Le Père a donné au Fils davoir la vie en soi » : autrement il serait inexact de dire « que le Père ne juge personne». Car en tant que le Père engendre un Fils qui lui est égal, il juge conjointement avec lui. Il faut donc affirmer quau jour du jugement général Jésus-Christ apparaîtra en son humanité, et non en sa divinité. Ce nest point que celui qui a donné tout jugement au Fils, ne doive aussi juger avec lui, puisque le Sauveur a dit «Il en est un qui cherche ma gloire et qui juge »; mais quand il a ajouté « que le Père ne juge personne, et quil a donné tout jugement au Fils », cest comme sil eût dit que dans ce jugement personne ne verra le Père, et que tous verront le Fils. En effet, parce que celui-ci est devenu Fils de lhomme, les pécheurs le verront, et ils tourneront leurs regards vers celui quils auront percé. 30. Mais peut-être maccuserez-vous démettre ici une pure conjecture plutôt quune proposition vraie et évidente. Eh bien ! je vais mappuyer sur le témoignage certain et évident de Jésus-Christ lui-même. Pour vous convaincre quen disant « que le Père ne juge personne, et quil a donné tout jugement au Fils », il a voulu expressément marquer que comme juge il apparaîtra en la forme de Fils de lhomme, forme qui nappartient pas au Père, mais au Fils; forme en laquelle il nest pas égal, mais inférieur au Père, mais qui lui permettra dêtre vu des bons et des méchants, il suffit de lire le passage suivant : « En vérité je vous le dis, celui qui écoute ma (364) parole, et croit à celui qui ma envoyé, a la vie éternelle et ne sera point condamné, mais il passera de la mort à la vie ». Or, cette vie éternelle dont parle ici Jésus-Christ ne peut être que la vision béatifique dont les pécheurs sont exclus. « En vérité, en vérité, continue-t-il, je vous dis que lheure vient, et elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui lauront entendue, vivront ( Jean, V, 24, 25 ) ». Mais il nappartient quaux justes dentendre cette voix, cest-à-dire de comprendre que par le mystère de lincarnation le Fils de Dieu, ayant pris la forme desclave, est devenu ainsi inférieur à son Père, et néanmoins de croire fermement que comme Dieu, il est égal au Père. Au reste, cest ce que Jésus-Christ lui-même nous propose de croire, quand il ajoute : «Comme le Père a la vie en soi, ainsi il a donné au Fils davoir en soi la vie». Puis il annonce quau jour du jugement général, il se manifestera aux bons et aux méchants dans tout léclat de sa gloire. Car « le Père, dit-il, a donné au Fils le pouvoir de juger, parce quil est le Fils de lhomme ( Id., V, 26, 27 ) ». Il me semble que cette démonstration est évidente. Car Jésus-Christ étant comme Fils de Dieu égal à son Père, na point reçu en cette qualité le pouvoir de juger, puisquil le possède intrinsèquement avec le Père. Mais il la reçu comme homme, et cest en qualité de Fils de lhomme quil lexercera, et quil sera vu des bons et des méchants. Et en effet, les méchants pourront bien voir la sainte humanité de Jésus-Christ, mais la vue de sa divinité sera le privilège des bons qui auront le coeur pur. Et voilà pourquoi le Sauveur leur promet quil récompensera leur amour en se manifestant à eux. Aussi ajoute-t-il : « Ne vous en étonnez pas ». Ah! sans doute, nous ne devons nous étonner que de voir des gens qui ne veulent pas comprendre les paroles de Jésus-Christ lorsquil dit que son Père lui a donné le pouvoir de juger parce quil est Fils de lhomme. Selon eux, il eût dû dire, parce quil est le Fils de Dieu. Mais Jésus-Christ étant comme Dieu égal à son Père, ne saurait être vu des méchants en sa divinité, et toutefois il faut que les bons et les méchants comparaissent devant lui, et quils le reconnaissent pour Juge des vivants et des morts. Cest pourquoi il dit: « Ne vous étonnez point; lheure vient où tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui auront bien fait en sortiront pour la résurrection à la vie; mais ceux qui auront mal fait, pour la résurrection du jugement ( Jean, V, 28, 29 ) ». Ainsi, il devient nécessaire que Jésus-Christ reçoive comme Fils de lhomme, le pouvoir de juger, afin que tous les hommes puissent le voir en cette forme qui le rend visible à tous, mais aux uns pour la damnation, et aux autres pour la vie éternelle. Quest-ce que la vie éternelle, si ce nest cette vision béatifique dont les pécheurs sont exclus? « Quils vous connaissent, dit le Sauveur, vous le seul Dieu véritable, et Jésus-Christ que vous avez envoyé (Id., XVII, 3 )». Mais cette connaissance de Jésus-Christ ne saurait être que celle de sa divinité, en laquelle il se manifestera aux bons, et non la connaissance de son humanité, en laquelle il sera vu même des méchants. 31. Selon que Jésus-Christ apparaîtra comme Dieu à ceux qui ont le coeur pur, il est bon, car le Psalmiste sécrie : « Que le Seigneur est « bon à Israël, à ceux qui ont le coeur pur ( Ps., LXX, 1 )! »Mais selon que les méchants le verront comme juge,. ils ne sauraient le trouver bon, parce que toutes les tribu-s de la terre, loin de se réjoui-r en leurs coeurs, se frapperont la poitrine en le voyant ( Apoc., I, 7). Cest aussi en ce sens que Jésus-Christ, étant appelé bon par un jeune homme qui linterrogeait sur les moyens dacquérir la vie éternelle, lui répond-il : « Pourquoi mappelez-vous bon? Dieu seul est bon ( Matt., XIX, 17 ) ». Sans doute, Jésus-Christ dans un autre endroit reconnaît que lhomme lui-même est bon, car « lhomme bon, dit-il, tire de bonnes choses du bon trésor de son coeur, et du mauvais trésor de son coeur lhomme mauvais tire de mauvaises choses ( Matt., XII, 35 ) ». Mais le jeune homme dont jai parlé précédemment, cherchait la vie éternelle. Or, 1a vie éternelle est cette vision intuitive que Dieu naccorde point aux méchants, et quil réserve pour être la joie des bons. De plus, il navait pas une idée nette et précise de celui auquel il sadressait, et il ne voyait en lui que le Fils de lhomme. Aussi Jésus-Christ lui dit-il : « Pourquoi mappelez-vous bon?» Cest comme sil lui eût dit : Pourquoi appelez-vous bon lhomme que vous voyez en moi, et pourquoi (365) me qualifiez-vous de bon maître? En tant quhomme, et tel que vous me voyez, je me manifesterai aux bons et aux méchants dans le jugement général, mais pour les méchants, cette manifestation ne sera quun premier supplice. Les bons au contraire seront admis à me voir en cette nature divine, en laquelle je nai pas cru que ce fût pour moi une usurpation de mégaler à Dieu, et que je nai point quittée lorsquen manéantissant moi-même, jai pris la forme desclave ( Philipp., II, 6, 7 ). Concluons donc que le Dieu qui ne se manifestera quaux justes, et qui les remplira dune joie que personne ne leur ôtera, est le Dieu unique, Père, Fils et Saint-Esprit. Cest vers cette joie que soupirait le psalmiste quand il sécriait: « Jai demandé une grâce au Seigneur, et je la lui demanderai encore, dhabiter dans la maison du Seigneur tous les jours de ma vie, pour y contempler la maison du Seigneur ( Ps., XXVI, 4 ) ». Ainsi Dieu seul est excellemment lêtre bon, parce que sa vue, loin de causer à lâme quelque peine, ou quelque douleur, lui est un principe de salut et une source de joie véritable. Dans ce sens, et selon sa divinité, Jésus-Christ pouvait réellement dire : Je suis bon. Mais comme le jeune homme qui linterrogeait, ne considérait en lui que lhumanité, il lui répondit avec non moins de raison Pourquoi mappelez-vous bon? car si vous êtes du nombre de ceux dont un prophète a dit « quils regarderont vers Celui quils ont percé ( Zach., XII, 10 ) », la vue de mon humanité ne sera pour vous, comme pour eux, quune douleur et un supplice. Cette parole du Sauveur: « Pourquoi mappelez-vous bon? « Dieu seul est bon » ; et les autres textes que jai cités, me semblent prouver que cette vision qui est exclusivement réservée aux élus, et qui fera que loeil de lhomme contemplera lessence divine, nest pas différente de celle que saint Paul nomme « face à face ( I Cor., XIII, 12 )», et dont lapôtre saint Jean a dit « quelle nous rendra semblables à Dieu, parce que nous le verrons tel quil est ( I Jean, III, 2 ) ». Cest de cette vision que parlait le psalmiste quand il sécriait : « Jai demandé une grâce au Seigneur, de contempler la beauté du Seigneur ( Ps., XXVI, 7 ) ». Et Jésus-Christ lui-même a dit : « Je laimerai, et je « me manifesterai à lui ( Jean, XIV, 21 )». Aussi devons-nous purifier nos coeurs par la foi, car il est dit : « Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, parce quils verront Dieu ( Matt., V, 8 ) ». Une lecture assidue de nos Ecritures et surtout le regard de lamour nous fourniraient encore sur cette vision béatifique mille textes épars çà et là, et non moins concluants; mais jen ai rapporté assez pour être en droit de conclure que cette vision est le bien suprême de lhomme, et que sa possession doit être le but et le terme de toutes nos bonnes oeuvres. Quant à cette autre vision qui sera celle de lhumanité sainte de Jésus-Christ, et qui aura lieu, lorsque toutes les nations seront rassemblées devant lui, et que les pécheurs lui-diront: « Seigneur, quand est-ce que nous vous avons vu avoir faim ou soif?» il est certain quelle ne sera ni un bien pour les méchants condamnés aux flammes éternelles, ni le bien suprême pour les élus. Car le Juge souverain les appellera à prendre possession du royaume qui leur a été préparé dès le commencement du monde. « Allez au feu éternel », dira-t-il aux méchants. Et aux bons: « Venez les bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous a « été préparé ,( Matt., XXV, 37, 41 )». Et alors, continue lEvangéliste, « les méchants iront au feu éternel, et les bons à la vie éternelle ». Or, la vie éternelle consiste, selon la parole du Sauveur lui-même, en ce « quils vous connaissent, vous le seul Dieu véritable, et Jésus-Christ que vous avez envoyé », mais Jésus-Christ vu en cette gloire, au sujet de laquelle il disait à son Père: « Glorifiez-moi de la gloire que jai eue en vous avant que le monde fût ( Jean, XVII, 3, 5 ) ». Ce sera aussi alors que le Fils remettra le royaume à Dieu, son Père, et que le bon serviteur entrera dans la joie de son Maître. Jésus-Christ cachera donc les élus de Dieu dans le secret de sa face, et il les protégera contre le trouble et leffroi des hommes, cest-à-dire des méchants que la sentence du souverain Juge frappera de terreur et de consternation. Mais le juste naura rien à craindre parce que caché dans lintérieur du tabernacle, cest-à-dire en la foi de lEglise catholique, il sera à labri de la contradiction des langues, cest-à-dire des calomnies des hérétiques. Il est permis dexpliquer autrement ces paroles : « Pourquoi mappelez-vous bon? et Dieu seul est bon » ; et, on peut le faire en toute sûreté, et de diverses manières, pourvu quon ne croie point que le Fils, en tant quil (366) est le Verbe par qui tout a été fait, est inférieur au Père en bonté. Ainsi ne vous éloignez point de la doctrine orthodoxe, et plus vous multiplierez les moyens déchapper aux piéges des hérétiques, plus aussi vous les convaincrez victorieusement de mensonge et derreur. Mais poursuivons ce sujet, en le considérant sous un autre aspect. (367)
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