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LIVRE TROISIEME : COMMENT DIEU A-T-IL APPARU ?
Dieu a-t-il formé des créatures pour apparaître ainsi aux hommes, ou ces apparitions ont-elles eu lieu par le ministère des anges? Dans ce cas, ces esprits célestes, usant de la puissance que le Créateur leur a accordée, employaient les créatures de la manière qui leur paraissait la plus propre à former ces apparitions. Mais quant à lessence divine, considérée en elle-même, jamais elle na été vue sur la terre.
LIVRE TROISIEME : COMMENT DIEU A-T-IL APPARU ?
TOUTE TRANSFORMATION CORPORELLE A POUR PREMIER PRINCIPE LA VOLONTÉ DE DIEU. EXEMPLE.
EMPIRE SOUVERAIN DE DIEU SUR TOUTE CRÉATURE.
A DIEU SEUL LE POUVOIR DE CRÉER.
TOUTES LES CAUSES ONT LEUR PRINCIPE EN DIEU.
APPARITIONS DIVINES PRODUITES PAR LE MINISTÈRE DES ANGES. CONCLUSION DE CE LIVRE.
PRÉFACE.
1. Je préfère de beaucoup le travail de la lecture à celui de la composition ; et si quelques-uns de mes lecteurs ne le croient pas, je les engage à en faire eux-mêmes lexpérience. Je les prie donc de noter dans leurs lectures les diverses solutions quon petit donner aux difficultés que je propose, elles diverses réponses que je dois faire à mille questions qui me sont adressées de toutes parts. Eh! nest-ce pas là pour moi un véritable devoir, puisque je me suis consacré au service de Jésus-Christ et puisque je brûle du zèle de défendre notre foi contre les erreurs de certains hommes terrestres et charnels. Au reste je suis assuré que bientôt ces critiques auront reconnu avec quel empressement je me dispenserais de ce travail, et avec quelle joie je déposerais la plume. Toutefois je continuerai à écrire, parce que les divers ouvrages que jai lus sur la Trinité ou nexistent pas en latin, ou sont presque introuvables, comme me la prouvé la difficulté que jai eue à me les procurer. En outre, il est peu de personnes assez familiarisées avec la langue grecque pour pouvoir aisément lire et comprendre des traités aussi profonds. Et néanmoins ces traités, si jen juge déjà par mes premiers extraits, renferment une foule de choses utiles. Je ne saurais donc résister aux désirs de mes frères, qui sont en droit de me demander ce travail, puisque je me suis constitué leur très-humble serviteur, et puisque je me suis engagé en Notre-Seigneur Jésus-Christ à les servir avec zèle de ma parole et de ma plume. Or, la charité qui dirige en moi lune et lautre, comme deux coursiers pleins dardeur, me presse dachever ma course. Je dois en outre avouer quen écrivant sur ce sujet, jai appris bien des choses que jignorais. Cest pourquoi il nest permis ni au paresseux , ni au savant de considérer ce traité comme superflu, car je crois quil sera vraiment utile à beaucoup desprits lab6rieux ou ignorants, et je me mets de ce nombre. Cest à laide des ouvrages déja composés sur la sainte Trinité, qui est le Dieu unique et souverainement bon, que jai pu résoudre sur ce sujet plusieurs questions et plusieurs difficultés ; et cest également avec le secours du Seigneur que je vais poursuivre mes recherches et mon travail. Si sous quelques rapports ce travail peut paraître nouveau, il nen sera que plus agréable à ceux qui voudront bien se donner la peine de le lire et de le comprendre; si au contraire on le considère comme un abrégé des ouvrages qui existent déjà sur le même sujet, il sera utile encore, en épargnant à mes lecteurs de nombreuses et pénibles recherches. 2. Certes, je désire trouver pour tous mes ouvrages des lecteurs bienveillants, et surtout des critiques libres et sincères. Mais ici principalement, je souhaite que les questions élevées que je traite, rencontrent autant desprits qui les comprennent, quelles se heurteront à dobstinés contradicteurs. Toutefois, de même que je désavoue un lecteur qui me serait favorable par une complaisante prévention, je repousse également un critique qui davance me condamnerait par système et par préjugés. Le premier ne doit pas maimer plus que la foi catholique, et le second ne doit pas saimer lui-même plus que la vérité catholique. Ainsi je dis à lun : Ne donnez point à mon ouvrage lautorité des livres canoniques; mais sil vous offre quelques nouveaux développements de nos dogmes sacrés, attachez-vous y avec empressement. Si au contraire quelques doutes subsistent encore dans votre esprit, suspendez toute adhésion, jusquà ce que ces doutes soient éclaircis. Mais je dis également à lautre: Ne condamnez point mon travail daprès votre propre opinion, ou votre propre jugement, et prononcez seulement daprès la sainte Ecriture, ou la droite raison. Les principes vrais que renferme ce traité, ne mappartiennent point, mais en les aimant et en les comprenant, vous (389) et moi, nous nous les approprierons. Quant aux erreurs qui pourraient sy glisser, vous devez me les attribuer, et toutefois éviter den faire, pour vous ou pour moi, une faute personnelle. 3. Je commence donc ce troisième livre au point où le second sest arrêté. Nous voulions dabord prouver deux choses ; la première, que le Fils nest pas inférieur au Père, parce quil est envoyé par le Père; et la seconde, que lEsprit-Saint qui, selon lEvangile, est envoyé par le Père et par le Fils, nest inférieur ni à lun ni à lautre. Cest pourquoi jai dû examiner sous ses diverses faces cette double question : Comment le Fils a-t-il pu être envoyé là où il était déjà, car lorsquil est venu dans le monde, « il était déjà dans le monde ( Jean, I, 10 ) »; et encore, comment lEsprit-Saint a-t-il, lui aussi, été envoyé là où il était déjà, puisque le Sage nous dit que «lEsprit du u Seigneur remplit lunivers, et que celui qui contient tout, entend tout ( Sag., I, 7 ) »? Mais ici toute difficulté sévanouit dès quon reconnaît quo le Fils de Dieu est envoyé, parce quil sest au dehors revêtu de notre chair, et que quittant pour ainsi dire le sein de son Père, il sest rendu visible aux yeux des hommes, en prenant la forme desclave. Et de même lEsprit-Saint est dit envoyé, parce quil sest montré sous la forme sensible dune colombe, et dun globe de feu qui se divisa en langues. Le Fils et le Saint-Esprit sont donc envoyés, lorsque dinvisibles quils sont, ils se montrent à nous sous une forme corporelle. Mais parce que le Père na jamais apparu de la sorte, et quil a toujours envoyé le Fils, ou lEsprit-Saint, on dit quil na point de mission. En second lieu, jai recherché pourquoi lon parle ainsi du Père, quoiquil soit vrai quil sest montré dans les apparitions sensibles dont les patriarches furent favorisés. De plus, si le Fils se révélait dès lors, et se rendait visible sous une forme corporelle, pourquoi nest-il dit envoyé que bien des siècles après, et lorsque dans la plénitude des temps il naquit dune femme ( Gal., IV, 4 )? Voulez-vous, au contraires justifier cette expression en disant quil ny eut, à légard du Verbe, de véritable mission quau jour où il se fit chair? je vous demanderai pourquoi vous dites également du Saint-Esprit quil a été envoyé, quoiquil ne se soit jamais incarné ? Enfin, si nous ne devons reconnaître séparément dans ces anciennes, apparitions ni le Père, ni le Fils, ni le Saint-Esprit, quelles raisons avons-nous aujourdhui de dire que le Fils a été envoyé, puisque déjà il lavait été sous ces formes diverses? Cest pour traiter ces importantes questions avec plus de lucidité, que jai divisé ma réponse en trois parties. La première a été lobjet du second livre , et je réserve les deux autres pour le troisième. Jai donc prouvé que dans ces anciennes apparitions, et sous ces formes sensibles on peut indifféremment reconnaître tantôt le Père, ou le Fils ou le Saint-Esprit, et tantôt la Trinité entière, qui est le Dieu unique et véritable. Cest létude approfondie du contexte, qui peut seule déterminer à laquelle des trois personnes divines on doit rapporter lapparition.
CHAPITRE PREMIER.QUESTIONS A EXAMINER.
4. Jaborde maintenant la seconde partie de ma division, et ici trois questions se présentent. Dieu a-t-il, dans ces diverses apparitions, formé tout exprès une créature pour se montrer aux hommes de la manière quil jugerait la meilleure? ou bien les anges qui existaient déjà, et que le Seigneur envoyait pour parler en son nom, choisissaient-ils parmi les créatures corporelles, celles qui convenaient le mieux à leur ministère? ou enfin ces mêmes esprits, usant de la puissance quils ont reçue du Créateur, changeaient-ils leur propres corps, quils plient et dirigent à leur gré, aux formes quils croyaient les plus favorables à laccomplissement de leur mission? Après avoir traité ces trois questions avec toute la lucidité que le Seigneu,r me permettra dy apporter, je passerai à une quatrième que je métais déjà posée, à savoir si le Fils et le Saint-Esprit ont été envoyés par le Père antérieurement au mystère de lIncarnation, et dans le cas de laffirmative, en quoi cette première mission peut différer de celle que lEvangile nous raconte. Ne vaut-il pas mieux, au contraire, soutenir que le Fils na été envoyé quen devenant le Fils de la Vierge Marie, et lEsprit-Saint, quen se montrant sous la forme visible dune colombe, ou dun globe de feu? 5. Mais javoue tout dabord quil est au-dessus de mes forces et de mon intention de rechercher si les anges, tout en conservant les propriétés spirituelles de leur corps, peuvent secrètement sadjoindre des éléments plus (389) grossiers et les adopter comme un vêtement extérieur. Dans cette hypothèse la forme quils revêtiraient nen serait pas moins vraie et réelle, de même quaux noces de Cana leau fut véritablement changée en vin. On peut aussi supposer quils transforment eux-mêmes leur corps, et le changent à leur gré selon lexigence de leur ministère. Au reste, quel que soit leur mode dagir, cela ne fait rien à la question présente. Toutefois, parce que je ne suis quun simple mortel, je ne saurais pénétrer ces secrets dont les anges seuls ont lintelligence. Cest ainsi encore quils comprennent bien mieux que moi, comment laffection de la volonté peut amener pour le corps les divers changements que jai observés en moi et dans les autres. Mais il est inutile de rechercher ici ce que IEcriture nous permet de croire sur ce sujet, car je membarrasserais dans une suite de discussions et de preuves qui mécarteraient de mon but. 6. Je me bornerai donc à examiner si les anges faisaient réellement mouvoir ces formes corporelles qui apparaissaient aux yeux, et sils articulaient les paroles qui étaient entendues. Dans cette hypothèse, la créature obéissant aux ordres du Créateur se serait prêtée aux diverses modifications que nécessitaient le temps et les circonstances, selon ce passage du livre de la Sagesse: « Seigneur, la créature qui vous obéit comme à son Créateur, sirrite pour tourmenter les méchants, et sapaise pour le bien de ceux qui se confient en vous. « Aussi la manne, prenant toutes les formes, obéissait-elle à votre grâce qui est la nourriture de tous, laccommodant aux besoins de ceux qui vous témoignaient leur indigence ( Sag., XVI, 21, 25 ) ». Nous voyons par cet exemple comment la puissance de la volonté divine emploie une créature spirituelle, pour produire les effets visibles et sensibles des créatures corporelles. Et en effet quels obstacles arrêteraient laction de la sagesse divine, puisquelle atteint avec force dune extrémité à lautre, et quelle dispose toutes choses avec douceur (Sag., VIII, 1 ).
CHAPITRE II.TOUTE TRANSFORMATION CORPORELLE A POUR PREMIER PRINCIPE LA VOLONTÉ DE DIEU. EXEMPLE.
7. Au reste nous trouvons dabord dans le changement et le mouvement des corps un certain ordre naturel que nous rapportons sans doute à la volonté de Dieu, mais que nous cessons dadmirer parce que lui-même ne cesse de le reproduire. Je range en cette catégorie les divers phénomènes qui se succèdent rapidement, ou du moins à de courts intervalles, au ciel, sur la terre et sur la mer. Tels sont la naissance et la mort des plantes et des animaux, et laspect si varié et si mobile des astres et de locéan. Mais il est dautres phénomènes qui sont soumis au même principe dordre, et qui néanmoins ne se produisent quassez rarement. Le vulgaire sen étonne, mais les savants les expliquent, et leur successive répétition fait quon les admire dautant moins quon les connaît mieux. Tels sont les éclipses, lapparition des comètes, les tremblements de terre, la naissance des monstres et autres accidents semblables, qui tous arrivent par la seule volonté de Dieu, mais dans lesquels le commun des hommes naperçoit pas cette volonté. Cest pourquoi dorgueilleux philosophes ont bien pu les rapporter à dautres cames. Quant à leurs théories, quelquefois elles sont vraies, parce que, même à leur insu, elles se rapprochent de cette cause première et souveraine quils ne découvraient pas, et qui nest autre que la volonté de Dieu, et quelquefois aussi elles sont fausses, parce quelles reposent bien plus sur leurs préjugés personnels et leurs erreurs, que sur une étude approfondie des corps et du mouvement. 8. Jexplique ma pensée par un exemple. Le corps de lhomme nous présente dabord une certaine masse de chair, et une certaine forme de beauté; puis il nous offre des membres distincts et coordonnés entre eux, et différentes humeurs dont le juste équilibre constitue létat de santé. Mais ce corps est régi par une âme qui lui a été adjointe, et qui est douée de raison. En outre cette âme, quoique soumise au changement, peut entrer en participation de la sagesse immuable et divine. Cest de cette sagesse que le psalmiste a dit, « que toutes ses parties sont dans une parfaite union entre elles »; parce que les saints, comme autant de pierres vivantes, entrent dans la construction de cette Jérusalem céleste qui est notre mère immortelle. Aussi le psalmiste sécrie-t-il: « O Jérusalem ! toi qui es bâtie comme une ville dont toutes les parties sont dans une parfaite union entre elles ( Ps., CXXI, 3 )». (390) Cette parfaite union désigne ici le bien souverain et immuable, cest-à-dire Dieu, sa sagesse et sa volonté; et cest du même Dieu que le même psalmiste a dit dans un autre endroit « Seigneur, vous les changerez, et ils seront changés, mais pour vous, vous êtes éternellement le même ( Ps., CI, 27, 28). »
CHAPITRE. III.CONTINUATION DU MÊME SUJET.
Eh bien! Supposons maintenant un homme si doué de sagesse et de raison, quil entre pour ainsi dire en participation de léternelle et immuable vérité. Certes, il consultera cette vérité dans toutes ses actions, et il ne fera rien sans avoir auparavant connu à sa lumière, quil peut le faire. Il agira donc toujours avec certitude, parce que toujours il lui sera soumis et obéissant. Je suppose encore que ce même homme, docile aux inspirations de la justice divine qui lui parle au fond du coeur, et qui lui intime ses ordres dans le secret de lâme, sapplique à des oeuvres de miséricorde pénibles et fatigantes, en sorte quil y contracte une grave maladie. Alors deux médecins sont appelés: lun affirme que la maladie a pour cause lappauvrissement ries humeurs, et lautre, leur trop grande abondance. Le premier dit vrai, et le second se trompe, et toutefois ils ne se prononcent tous deux que daprès les causes, secondes , cest-à-dire daprès les phénomènes pathologiques. Mais si lon voulait remonter à la cause première, lon arriverait à ce travail volontaire imposé par lâme, qui a douloureusement affecté le corps quelle régit. Cependant ce ne serait pas là, rigoureusement parlant, la cause première de la maladie, car au-dessus nous découvrons limmuable sagesse de Dieu. Et parce que cet homme a voulu en toute charité suivre les ineffables inspirations de cette sagesse et obéir à ses ordres, il sest volontairement appliqué au travail où il a pris son mal. Ainsi la cause réellement première de cette maladie est la volonté de Dieu. Je suppose encore dans cette oeuvre de charité et de miséricorde notre sage emploi des serviteurs qui , en concourant à cette bonne oeuvre, se proposent bien moins de servir Dieu que de sassurer un gain temporel, ou déviter quelque dommage matériel. Bien plus, la nature de son travail exige ladjonction et le service de plusieurs bêtes de somme. Mais celles-ci étant des animaux sans raison, ne sauraient, en lui prêtant leurs bons offices, avoir la moindre idée du bien auquel elles coopèrent, et elles nagissent que par linstinct du plaisir ou la crainte du châtiment. Enfin, ce même homme a besoin, pour achever son oeuvre, demployer des créatures insensibles, comme le blé, le vin, lhuile, la laine, largent, le papier et autres choses de ce genre. Certes, dans tout le cours de cet ouvrage, ces diverses créatures, animées ou inanimées, subissent, sous linfluence des lieux, des temps et des circonstances, mille altérations successives. Elles se déplacent, susent et se réparent; elles se brisent et se renouvellent. Mais la cause première de tous ces changements et de tous ces mouvements nest autre que la volonté invisible et immuable du Seigneur. Cest cette sagesse suprême qui, résidant en lâme de notre juste, comme en son sanctuaire , emploie par son ministère les bons et les méchants, les animaux irraisonnables et les créatures insensibles. Mais elle nagit ainsi que parce quantérieurement elle sest rendue maîtresse de cette âme bonne et sainte en la soumettant au joug de la piété et de la religion.
CHAPITRE IV.EMPIRE SOUVERAIN DE DIEU SUR TOUTE CRÉATURE.
9. Cette parabole, où je fais agir un sage qui porte encore le poids dun corps mortel, et qui ne voit encore quimparfaitement léternelle vérité, peut également sappliquer à une famille dont tous les membres seraient vraiment chrétiens, et à une ville, à un Etat où le pouvoir et la direction des affaires seraient confiés à des hommes pieux, saints et soumis à Dieu. Mais une si belle organisation ne se rencontre point ici-bas : car sur cette terre dexil nous sommes soumis à lépreuve et à la mort, et nous devons par la patience et la douceur vaincre le mal et surmonter laffliction. Aussi nos pensées sélèvent delles-mêmes vers cette patrie supérieure et céleste dont nous sommes éloignés. Cest là, en effet, que réside dans toute sa plénitude cette volonté du Seigneur qui e rend ses anges aussi « légers que les vents, et ses ministres aussi ardents que les flammes ( Ps., CIII, 4) ». Unis entre eux (391) par les liens intimes de la paix et de la charité, ces esprits célestes nont quune seule et même volonté, en sorte que le feu de lamour divin transforme leurs coeurs en un seul coeur. Mais ce coeur est le trône sublime, saint et mystérieux, où la volonté du Seigneur siège comme dans son temple et son sanctuaire, et doù elle meut dans tout lunivers, et avec un ordre et une sagesse suprêmes, lensemble des créatures, tant les esprits que les corps. Elle les dirige toutes vers laccomplissement de ses immuables décrets, et sait y employer également les êtres spirituels et corporels, les animaux irraisonnables et les justes comme les impies. Seulement elle conduit les premiers par sa grâce et contraint les autres par son autorité. Mais de même que dans lordre physique les corps lourds et inférieurs reçoivent linfluence des corps plus légers et supérieurs, ainsi dans lordre moral tous les corps obéissent à laction de lesprit de vie. Dans lanimal irraisonnable, cet esprit de vie est soumis à celui de lhomme doué de raison; et dans lhomme, qui par le péché sest éloigné de Dieu, ce même esprit de vie est dirigé selon lavantage des justes et des élus. Enfin, ceux-ci nagissent eux-mêmes que sous la dépendance de Dieu. Il nous est donc facile de comprendre comment toutes les créatures obéissent en dernier ressort au Dieu qui leur a donné lêtre, qui les a créées pour lui. Ainsi la volonté de Dieu est la cause première et souveraine de toutes les formes que revêtent les créatures corporelles, et de tous les mouvements quelles reçoivent. Et, en effet, lensemble de la création peut être considéré comme un état vaste et immense, où il ne se produit aucun mouvement visible et sensible, sans que limpulsion première ne parte du palais secret et invisible du Maître et du souverain. Car cest toujours lui qui tantôt commande et tantôt permet, selon que les arrêts de sa suprême justice, distribuent les récompenses et les châtiments, les grâces et les faveurs. 10. Lapôtre saint Paul, courbé sous le poids dun corps qui se corrompt et appesantit lâme, ne voyait encore léternelle vérité quen partie et comme sous des images obscures. Aussi désirait-il dêtre dégagé des liens du corps et dêtre avec Jésus-Christ; et « gémissant en lui-même, il vivait dans lattente de ladoption des enfants de Dieu, qui sera la délivrance de nos corps ( Rom., VIII, 23 ) ». Toutefois il a bien pu prêcher Jésus-Christ tantôt de vive voix, ou par écrit, et tantôt par le sacrement de son corps et de son sang. Mais ici ces mots : Sacrement du corps et du sang de Jésus-Christ, ne signifient sous ma plume ni la parole de lApôtre, ni la langue qui était linstrument de cette parole. Lon ne doit point également les entendre du papier ou de lencre qui lui servaient pour écrire, ni des livres quil prie Timothée de lui rapporter. Je veux expressément marquer le pain et le vin qui sont des fruits de la terre, et que nous prenons comme nourriture spirituelle de nos âmes, après que la prière du prêtre les a mystiquement consacrés en souvenir de la passion du Sauveur Jésus. Quand laction de lhomme agit sur ces espèces visibles, elle nen fait le sacrement du corps et du sang de Jésus-Christ que par lopération invisible de lEsprit-Saint. Car tout ce que lhomme fait au dehors dans cet ineffable mystère, cest Dieu qui lopère secrètement. Le premier il meut par des ressorts cachés soit lâme de lhomme, soit la volonté et lobéissance des esprits invisibles. Est-il donc étonnant que ce même Dieu emploie à son gré, pour manifester sa présence, les créatures corporelles et sensibles dont il a peuplé le ciel et la terre, la mer et les airs? Mais quant à son essence, nous ne saurions jamais lavoir, parce quelle est souverainement immuable, et quaucun esprit créé ne peut en sonder les impénétrables mystères.
CHAPITRE V.CARACTÈRE DU MIRACLE.
11. Cest par laction de cette providence qui gouverne le monde des esprits et des corps, que les eaux de la mer se condensent en vapeurs, et à certaines époques fixes de lannée, se répandent sur la surface de la terre. Mais la prière du saint prophète Elie frappa la Judée dune si longue et si continue stérilité, que les hommes mouraient de faim et de soif; et lorsque ce serviteur de Dieu pria de nouveau pour obtenir la cessation de ce fléau, latmosphère ne paraissait point humide, et lon napercevait à lhorizon aucun signe dune pluie prochaine. Cest pourquoi la puissance du Seigneur se montra visiblement dans la (392) pluie qui soudain tomba par torrents; et ce fut un évident miracle. Ainsi encore Dieu nous a comme accoutumés à voir briller les éclairs, et entendre gronder la foudre; mais sur le mont Sinaï tout saccomplissait dune manière inusitée. Les roulements du tonnerre ne se répétaient point confusément, et lon eût dit quils obéissaient à un signal donné. Aussi était-ce un vrai miracle. Qui fait monter lhumidité du sol, de la racine de la vigne jusquà la grappe du raisin, et qui la transforme en un vin délicieux, si ce nest le Dieu dont saint Paul a dit, « que lhomme plante et arrose, mais que le Seigneur seul donne laccroissement ( I Cor., III, 7 ) »? Toutefois, lorsque la volonté du Sauveur Jésus changea avec une étonnante rapidité leau en vin, tous, et les plus incrédules eux-mêmes, y reconnurent loeuvre de la puissance divine. Nest-ce pas Dieu qui dans le cours ordinaire de la nature revêt les arbres de feuilles et de fleurs? Et toutefois , lorsque la verge dAaron fleurit miraculeusement, ne peut-on pas dire que la volonté du Seigneur parla au doute de lhomme ? Laccroissement des végétaux et la reproduction des animaux sont également dus à la force productrice de la matière. Mais qui a donné à la terre cette force, si ce nest le Dieu qui au commencement lui commanda de produire les plantes et les animaux, et qui par cette parole créatrice en régla lordre, léconomie et la conservation? Aussi, quand le Seigneur changea en serpent la verge de Moïse, ce fut un miracle, parce que cette verge, quoique susceptible en elle-même de transformation, parut dune manière subite et inaccoutumée, changée en serpent. Or, celui qui donne la vie à tout être qui vient au monde, est le même Dieu qui montra sa puissance en communiquant à ce serpent une éphémère existence.
CHAPITRE VI.MÊME SUJET.
Lorsquà la voix dEzéchiel les morts reprirent la vie, qui anima de nouveau ces cadavres? Ce fut celui qui chaque jour anime lenfant dans le sein de sa mère, et qui lamène à lexistence pour le conduire plus tard au tombeau. Mais parce que ce double phénomène de la naissance et de la mort se produit régulièrement, et que semblable à un fleuve qui nous cache sa source et son embouchure, il ne laisse apercevoir que son cours, les hommes le considèrent comme un effet purement naturel. Quand il arrive, au contraire que Dieu, pour nous donner un salutaire avertissement, dérange cet ordre, nous crions au miracle.
CHAPITRE VII.LE MIRACLE ET LA MAGIE.
12. Mais ici se présente une difficulté qui peut paraître grave à un esprit faible et borné: Pourquoi lart de la magie reproduit-il ces mêmes miracles? LEcriture nous apprend, en effet, que les magiciens de Pharaon imitèrent quelques-uns des prodiges quavait faits Moïse, et spécialement quils changèrent leur verge en serpent. Mais comment expliquer que ce pouvoir des magiciens, qui avait pu produire des serpents, se soit subitement arrêté devant un insecte aussi petit que la mouche? Car le moucheron nest quune très-petite espèce de mouche, et ce fut la troisième plaie qui frappa les superbes égyptiens. Mais alors les magiciens savouèrent vaincus, et ils sécrièrent : « Le doigt de Dieu est là ( Exod., VII, VIII ». Il nous est ainsi facile de comprendre que si les anges rebelles, que lApôtre nomme les puissances de lair, peuvent du sein des ténébreux cachots, où ils ont été précipités des hauteurs célestes, opérer par la magie quelques prestiges, ils ne le peuvent que dans létendue de la permission quils en reçoivent de Dieu. Or, le Seigneur leur donna alors cette latitude, soit pour permettre que les Egyptiens saffermissent dans leurs erreurs, soit pour préparer le triomphe de la vérité en la personne des magiciens, qui sétaient tout dabord attiré par leurs prestiges ladmiration générale. Mais on peut encore dire quen nous attestant ces opérations magiques, lEcriture veut nous faire comprendre que les fidèles ne doivent point désirer beaucoup le don des miracles. Elle veut aussi nous rappeler que ces mêmes prestiges sont à légard des justes un exercice pour leur vertu, et une épreuve de leur patience. Ce fut, en effet, par suite de cette grande puissance du démon sur les éléments et sur les hommes, que Job perdit tous ses biens et ses enfants, et quil fut frappé en son corps dune plaie affreuse. (393)
CHAPITRE VIII.A DIEU SEUL LE POUVOIR DE CRÉER.
13. Ce serait néanmoins une grave erreur que de penser que les anges rebelles peuvent commander en maître aux créatures matérielles et sensibles. En réalité, ces créatures nobéissent quà Dieu, puisque lui seul permet aux démons de sen servir selon les arrêts de sa souveraine justice et de son immuable équité. Cest ainsi que par lemploi de largent les impies et les réprouvés semblent user à leur gré de leau, du feu et de la terre. Et toutefois ils nen usent que dans les limites que Dieu leur a tracées. On ne saurait donc attribuer aux mauvais anges un pouvoir vraiment créateur, parce quils firent que les magiciens de Pharaon résistèrent au serviteur du vrai Dieu, et quils produisirent également des serpents et des grenouilles : car ils ne les créèrent point. Et, en effet, les germes de tous les corps qui existent reposent paisibles et inaperçus dans les divers éléments de lunivers. Notre oeil, il est vrai, peut en découvrir quelques-uns dans la fructification des plantes et la reproduction des animaux. Mais tous les autres nous sont entièrement inconnus et se rapportent à lacte premier de la création. Aussi est-il dit dans la Genèse que Dieu ordonna dabord aux eaux de produire les poissons qui nagent, et les oiseaux qui volent, et puis à la terre denfanter les animaux, chacun selon son espèce, de même quelle avait précédemment produit les plantes, chacune selon son genre ( Gen., I, 20-25). Au reste, cette puissance de fécondité, qui fut alors communiquée à leau et à la terre, ne sépuisa point en ces productions premières. Elles la conservent toujours; seulement le milieu propre à favoriser en elles de nouvelles générations, leur fait souvent défaut. Un sarment, par exemple, produit un cep de vigne, lorsquil est planté dans un terrain convenable. Mais ce sarment lui-même provient dun pépin qui contient en germe un cep nouveau. Jusque-là, nous pouvons saisir le phénomène de la reproduction; mais vouions-nous ensuite analyser ce pépin, nous serons forcés dy reconnaître une fécondité réelle, quoique si bien cachée quelle échappe à toutes nos observations. Et, en effet, sans cette fécondité inhérente et absolue, comment la terre produirait-elle mille plantes dont les graines nont point été semées? Comment encore la terre et leau enfanteraient-elles en dehors de tout accouplement des sexes tant danimaux, dont la génération spontanée est contraire à toutes les lois connues, et qui néanmoins naissent, croissent et se multiplient? On peut citer en preuve la fécondation des abeilles qui recueillent sur les fleurs la poussière séminale. Or, celui qui a créé cette poussière est le Dieu qui a créé tout ce qui existe; et tous les êtres qui naissent sous nos yeux, reçoivent de cette fécondité première que possèdent les éléments, le germe et le développement de leur existence. Aussi les progrès de leur accroissement, et la variété de leurs formes sont-ils subordonnés aux règles de leur primitive génération. Cest pourquoi nous ne disons point que le père et la mère soient les créateurs de leurs enfants, ni que les laboureurs soient les créateurs de leurs moissons, quoique au dehors Dieu emploie leur intermédiaire pour opérer en secret par sa propre puissance la naissance de lenfant et la production des moissons. Et. de même, nous ne pouvons considérer comme vraiment créateurs, ni les bons anges, ni les mauvais, lorsque, connaissant en raison de la subtilité de leur intelligence et de leur corps, les germes cachés des êtres, ils les disséminent secrètement dans les milieux qui leur conviennent, et eu favorisent ainsi le rapide développement. Mais ici encore les bons anges ne font le bien que selon les ordres du Seigneur, et les mauvais nopèrent le mal que selon la juste permission quil leur en donne. Car si le démon a par lui-même la volonté de faire le mal, Dieu ne lui accorde que pour des raisons justes et équitables le pouvoir de le faire, Or, ces raisons sont de la part du Seigneur, tantôt de châtier le démon ou le pécheur, et tantôt de punir limpie et de glorifier le juste. 14. Cest pourquoi lApôtre saint Paul séparant laction intérieure et secrète de Dieu de laction extérieure et visible de la créature, dit par analogie avec les travaux de lagriculture : « Jai planté, Apollo a arrosé, mais e Dieu a donné laccroissement ( I Cor., III, 6 ) ». Ainsi encore dans lhomme, Dieu seul peut justifier lâme, tandis que la prédication extérieure de lEvangile peut être le fait dun vrai zèle, ou même par occasion dune jalouse rivalité. Et (395) de même, le Seigneur opère secrètement la création des êtres visibles, et dirige laction extérieure des anges bons ou mauvais, des justes et des pécheurs, et tous les animaux selon les décrets de sa sagesse, la mesure des forces quil a départies à chacun, et lopportunité des circonstances. En un mot, il agit sur la nature par la création, comme lhomme agit sur la terre par lagriculture. Doù il suit quà laide de leurs opérations magiques les mauvais anges ne peuvent pas plus être considérés comme les créateurs des grenouilles et des serpents que les hommes pervers ne le sont des moissons dues à leurs travaux. 15. Jacob avait placé des branches de couleur, variée dans les canaux où ses brebis venaient boire, afin quelles conçussent en les regardant; et néanmoins lon ne peut dire quil créât en elles la variété des toisons. Bien plus, ni les brebis, ni les béliers ne furent par rapport à leurs agneaux les créateurs de cette variété. Seulement limpression qui se fit en eux par la vue de ces diverses baguettes réagit nécessairement sur les fruits de leur reproduction, en sorte que les agneaux de la première saison étaient seuls marqués de différentes couleurs. Ce phénomène peut sans doute sexpliquer par la double réaction du cerveau sur les organes, et des organes sur le cerveau; mais en dernière analyse il faut y reconnaître lacte et la disposition de cette sagesse souveraine et éternelle, qui, par son immensité remplit tous les lieux , et qui, immuable en son essence, nabandonne aucun des êtres soumis au changement , parce quelle les-a tous créés. Que les brebis de Jacob produisissent des agneaux et non des verges, ce frit le fait de cette sagesse immuable et cachée qui a créé toutes choses. Mais que la variété des verges influât sur la couleur des agneaux, ce fut au dehors le résultat de limpression que produisit sur le cerveau des brebis la vue de ces verges, et au dedans ce fut la conséquence du mode de conception quelles ont reçu de la puissance intime du Créateur. Au reste, il serait trop long et peu nécessaire dexpliquer ici comment dans la mère les sensations du cerveau modifient la forme du foetus, et il suffit de dire quon ne saurait affirmer quelle crée le corps de son enfant. Et en effet, lorigine première de tout être sensible et corporel, non moins que le mode, la raison et la disposition qui le tirent du néant, et le revêtent de tel caractère plutôt que de tel autre, dérivent de lEtre suprême qui est par essence la vie intelligente et incommunicable. Cet Etre premier et souverain domine tous les êtres, et il les soumet tous, même les plus petits et les plus obscurs, à laction de ses lois. Je nai donc rappelé le fait des troupeaux de Jacob que pour avoir occasion de dire que, malgré lindustrie avec laquelle il disposa ses baguettes, il ne fut point à légard des agneaux, ni des chevreaux, le créateur des variétés de leurs toisons. On ne peut non plus le dire des mères qui agirent seulement selon les lois de la nature, en maculant leurs fruits des taches dont leurs yeux avaient été constamment frappés. Mais surtout, nous sommes bien moins encore autorisés à soutenir que les mauvais anges créèrent les serpents et les grenouilles que tirent paraître les magiciens de Pharaon.
CHAPITRE IX.TOUTES LES CAUSES ONT LEUR PRINCIPE EN DIEU.
16. Et en effet, autre est le pouvoir de créer et de régir une créature quelconque, comme cause première et efficace de toute existence : or, ce pouvoir nappartient quau Dieu qui a créé toutes choses; et autre est la faculté dagir au dehors dans la limite des forces et des moyens quil nous donne, en sorte que nous fassions à notre gré paraître ou disparaître cet être que le Seigneur aura créé et que nous en changions la forme et les qualités. Et en effet, cet être existe originairement et primitivement dans lensemble des éléments, et il lui suffit de rencontrer un milieu favorable pour quil se produise soudain. Ne disons-nous pas quune mère est enceinte de son enfant? et de même, lunivers est plein dembryons qui ne demandent quà se développer, et dont la création est loeuvre de cette essence suprême sans laquelle rien ne saurait ni naître, ni mourir, ni venir à lexistence, ni disparaître. Mais il faut raisonner autrement de lemploi extérieur des causes secondes. Quoique souvent miraculeuses, elles nen suivent pas moins les lois de la nature, en ce sens quelles favorisent le développement rapide et soudain de certains êtres qui reposaient cachés et inconnus dans le sein de la nature. Or, nous disons que ces êtres sont créés, parce quils sépanouissent au dehors par lextension des (395) forces vitales que leur a secrètement distribuée avec poids, nombre et mesure, Celui qui dis pose de toutes choses avec sagesse, justice et équité. Au reste, un tel emploi des cause; secondes peut appartenir aux mauvais ange; et aux pécheurs, ainsi que je lai prouvé par lexemple de lagriculture. 17. Quant aux animaux, il nous semblerait tout dabord assez difficile dexpliquer comment ils recherchent instinctivement ce qui peut leur plaire, et évitent ce qui peut leur déplaire. Mais combien de savants ont étudié cette question , et peuvent nous dire quelles plantes, quelles viandes, quelles combinaisons, et quelles affinités ou répulsions des fluides et des éléments donnent naissance aux animaux? Et néanmoins, qui a jamais considéré ces savants comme les créateurs du règne animal? Au reste, si lhomme, même le plus impie, peut expliquer la formation des vers et des mouches, est-il étonnant que les mauvais anges aient connu, en raison de la subtilité de leur esprit, en quels lieux et en quels éléments reposaient les embryons des grenouilles et des serpents. Ce sont ces embryons quils placèrent, il est vrai, dans des conditions si favorables quils en accélérèrent le développement ; mais en réalité, ils ne les créèrent pas. Toutefois, cette oeuvre parut un véritable prodige, parce quelle était extraordinaire, car nous nadmirons point ce que nous faisons habituellement. Peut-être aussi vous étonnerez-vous dun développement si prompt, et de ces éclosions spontanées; mais observez que même avec des moyens purement humains, nous obtenons de semblables résultats. Doù vient, en effet, que les vers sengendrent plus facilement dans les cadavres lété que lhiver, et à une température chaude quà une exposition froide? Mais ici, la puissance de lhomme est dautant plus faible que son intelligence est moins étendue, et que lengourdissement de ses membres se prête plus difficilement au rapide mouvement des corps. Au contraire, plus il est facile aux anges, bons ou mauvais, dagir sur les éléments et les causes secondes, plus aussi la célérité de leurs opérations nous paraît merveilleuse. 18. Cependant le seul et unique Créateur est le Dieu qui forme le germe de tous ces différents êtres, et qui ne partage avec personne sa puissance créatrice. Car cest en lui seul que reposent dès le commencement lordre de la création, la sagesse de ses plans et léquilibre de ses forces. Cest encore lui seul qui veut bien communiquer aux anges quelque extension de son ineffable pouvoir; en sorte quils ne font que ce quil daigne leur permettre de faire, et quils deviennent impuissants, dès quil leur retire cette permission. Comment, en effet, expliquer autrement, que les magiciens de Pharaon naient pu rassembler des moucherons, après avoir produit des grenouilles et des serpents? Certes, il faut ici reconnaître la défense absolue de Dieu et laction immédiate de lEsprit-Saint. Au reste, ils lavouèrent eux-mêmes, quand ils dirent: «Le doigt de Dieu est là ( Exod., VII, 12 ) ». Mais que peuvent faire les anges en vertu même de leur nature? De quoi sont-ils incapables sans une permission expresse? et quelles opérations sont incompatibles avec leur condition dêtres spirituels? ce sont autant de questions quil est impossible à lhomme de résoudre, à moins quil nait reçu de Dieu ce don spécial que lApôtre nomme « le discernement des esprits (I Cor., XII, 10 ) ». Nous savons en effet que lhomme possède la faculté de marcher, et quon peut lui en ôter lexercice : mais nous nignorons point quil ne pourrait voler, quand même on lui en donnerait la permission. Et de même les anges inférieurs peuvent faire certaines choses, si Dieu le leur permet par lintermédiaire des anges supérieurs, et ils ne peuvent en faire quelques autres, même avec lautorisation de ceux-ci, parce que le Seigneur a voulu limiter lexercice de leur puissance. Cest que souvent il ne permet pas aux esprits angéliques de faire tout ce qui serait dans le droit et les attributions de leur nature. 19. Au reste nous devons reconnaître laction des anges dans les divers phénomènes qui accompagnent ordinairement le cours des saisons et lordre de la nature. Tels sont le lever et le coucher des astres, la naissance et la mort des hommes et des animaux, la reproduction si variée des plantes et des arbres, les nuées et les nuages, la neige et la pluie, la foudre et le tonnerre, les éclairs et la grêle, le vent et le feu, le froid et le chaud. Tels sont encore quelques autres phénomènes qui ne se montrent que plus rarement, comme les éclipses, les comètes, les tremblements de terre, la naissance des monstres, et autres (396) prodiges de ce genre. Jobserve néanmoins que la cause première et souveraine de to us ces phénomènes est la volonté de Dieu. Aussi le psalmiste, après en avoir énuméré plusieurs, « le feu, la grêle, la neige, la gelée et le souffle des tempêtes » a-t-il soin dajouter « quils obéissent à la parole du Seigneur ( Ps., CXLVIII, 8 )». Il prévient ainsi lerreur de ceux qui, en dehors de la volonté divine, les attribueraient soit au hasard, soit à des causes purement physiques, ou même à laction unique des anges.
CHAPITRE X.SIGNES SACRÉS. EUCHARISTIE.
Mais il est encore dautres phénomènes qui, sans cesser de se produire par lintermédiaire des créatures sensibles et matérielles, deviennent à notre égard une manifestation plus spéciale de la puissance divine. Ce sont alors de vrais miracles et de véritables prodiges: et néanmoins la personne même de Dieu ne sy montre pas toujours. Mais lorsquelle nous y apparaît, tantôt cest par le ministère d un ange, et tantôt en la forme dun être qui nest point un ange, quoiquil soit mu et dirigé par un ange. Dans le second cas, cet être peut déjà exister, et il suffit den altérer légèrement la forme pour quil nous soit un signe de la volonté du Seigneur. Dautres fois cet être est créé tout exprès ; et dès que sa mission est remplie, il rentre dans le néant. Cest ainsi que les prophètes parlant au nom du Seigneur, emploient cette formule : « Le Seigneur a dit», ou bien : « Le Seigneur a dit ces choses ( Jerem., XXI, 1,2. ) ». Mais il leur arrive aussi domettre cette précaution oratoire, et de parler, comme sils étaient la personne même du Seigneur. « Je te donnerai lintelligence, dit le psalmiste, et je tenseignerai la voie où tu dois marcher (Ps., XXXI, 8 ) ». Quelquefois même, ce nest plus en paroles, mais par des actes positifs que les prophètes sidentifient avec Dieu, et quils agissent en son nom. Nous le voyons dans le prophète Ahias. Il déchira son manteau en douze parts, et en donna dix à Jéroboam, officier du roi Salomon, qui devait fonder le royaume dIsraël ( III Rois, XI, 30, 31 ). Tantôt encore un être brut et insensible est choisi du milieu des corps terrestres pour symboliser la même signification. Ainsi Jacob, après un songe mystérieux, consacre la pierre quil avait mise sous sa tête ( Gen., XXVIII, 18 ). Tantôt aussi la main de lhomme façonne à ce dessein un objet qui peut subsister quelque temps, comme le serpent dairain, des caractères alphabétiques, ou qui se détruit par lusage, comme le pain eucharistique par la communion. 20. Cependant parce que ces différents signes, ou symboles, sont loeuvre de lhomme, et que nous les comprenons facilement, nous pouvons bien les honorer religieusement, mais nous ne saurions les admirer comme étant miraculeux. Plus au contraire laction des anges nous paraît difficile et cachée, et plus nous la trouvons surnaturelle; quoiquelle ne soit réellement pour eux que bien facile et bien connue. Or, cétait un ange qui parlait au nom et en la personne du Seigneur, quand il disait à Moïse : « Je suis le Dieu dAbraham, dIsaac et de Jacob » ; car lEcriture avait dit précédemment : « Lange du Seigneur lui apparut (Exod., III, 6, 2 )». Mais cétait un homme qui parlait au nom et en la personne du Seigneur, lorsque le psalmiste disait : « Ecoute, mon peuple, et je vais te convaincre; écoute, Israël, et je te rendrai témoignage : je suis le Seigneur ton Dieu ( Ps., LXXX, 9, 11 ) ». La verge de Moïse était un signe de la puissance divine, et elle fut changée en serpent par le pouvoir dun ange; mais Jacob, qui ne pouvait opérer un semblable prodige, ne laissa pas de choisir une pierre pour lériger comme un monument de la protection du Seigneur. Au reste, il y a une grande différence entre laction dun ange et celle dun homme: la première exerce notre esprit et excite notre étonnement, la seconde au contraire nexige que notre attention. Lobjet auquel se rapportent ces deux actions peut être le même, mais la manière de le signifier ou représenter, est bien différente. Cest comme si lon écrivait le nom de Dieu en lettres dor, ou avec de lencre. Lun serait précieux, et lautre vil et commun, et toutefois ce serait toujours le même nom. La verge de Moïse et la pierre de Jacob signifiaient donc également Jésus Christ ; et même cette pierre le représentait bien mieux que les serpents que produisirent les magiciens de Pharaon. Lhuile que Jacob répandit sur la pierre, symbolisait lhumanité du Christ. Car cest en cette humanité sainte quil « a été sacré dune onction de joie qui (397) lélève au-dessus de tous ceux qui doivent la partager ( Ps., XLIV, 8 )». Ainsi encore la verge de Moïse changée en serpent, signifiait le même Jésus-Christ qui devait se faire obéissant jusquà la mort de la croix. Aussi nous dit-il, en son Evangile: «Comme Moïse éleva le serpent au désert, ainsi faut-il que le Fils de lhomme soit élevé, afin que celui qui croit en lui, ne périsse point, mais quil ait la vie éternelle (Jean, III, 14, 15 ) ». Et en effet, tons ceux qui dans le désert regardaient le serpent dairain , ne succombaient point aux morsures des serpents, et de même « le vieil homme a été crucifié en nous avec le Christ, afin que le corps du péché soit détruit (Rom., VI, 6 ) ». Car le serpent signifie ici la mort, puisque ce fut lui qui lintroduisit dans le paradis terrestre. Au reste, cest une manière de parler assez commune que de prendre le nom de la cause ou de linstrument pour leffet qui en résulte. Mais continuons ce parallèle. La verge de Moïse fut changée en serpent, et Jésus-Christ est mort sur la croix. Ce serpent redevint ensuite en sa première forme, et de même au jour de la résurrection Jésus-Christ reprit son corps tout entier, cest-à-dire quil doit rase sembler autour de lui tous ses élus, Mais cette réunion naura lieu quau dernier jour, comme lindique la queue du serpent, que saisit Moïse pour quil redevînt une verge. Dun autre côté les serpents des magiciens nous représentent les incrédules et les impies qui, sils ne croient en Jésus-Christ, sont destinés à la mort éternelle, et ne partageront point la gloire de sa résurrection. Sans doute, comme je lai déjà observé, la pierre de Jacob avait une bien plus haute signification que les serpents des magiciens, et néanmoins le fait de ceux-ci dut paraître bien plus merveilleux. Mais ici les circonstances extérieures ne peuvent pas plus préjudicier au sens intrinsèque des choses, que si lon écrivait en lettres dor le nom dun homme, et celui de Dieu avec de lencre. 21. Quant à la manière dont les anges produisirent, ou firent paraître sur le Sinaï les feux et les nuées, soit que le Fils, ou lEsprit-Saint se montrassent sous ces symboles, quel est lhomme qui se flatterait de le savoir? Ce secret nous est caché, comme lest à lenfant le mystère eucharistique. Il voit bien quon place du pain sur lautel, et quaprès le sacrifice on mange ce pain ; mais il ne peut comprendra comment ce pain est changé au corps de Jésus-Christ, et devient ainsi un sacrement. Supposons encore que cet enfant ne puisse sinstruire ni par lui-même, ni par le secours daucun maître, et quil assiste néanmoins à la célébration des divins mystères, quand le prêtre offre et distribue la sainte Eucharistie. Si une personne de poids et dautorité lui dit alors que le pain et le vin sont le corps et le sang de Jésus-Christ, il croira tout simplement quautrefois Jésus-Christ sest montré aux hommes sous la figure du pain, et que du vin a coulé de la blessure de son côté. Cest pourquoi je nai gardé doublier ma faiblesse personnelle, et je prie aussi mes frères de se rappeler leur propre fragilité, afin que ni les uns, ni les autres, nous ne soyons assez téméraires pour franchir les bornes de linfirmité humaine: Et en effet comment les anges opèrent-ils ces divers prodiges, ou plutôt, comment Dieu les opère-t-il par ses anges? Comment encore y emploie-t-il quelquefois les mauvais anges, soit quil laisse un libre cours à leur malice, soit quil leur intime ses ordres et ses volontés? cest là le secret du Très-Haut et du Tout-Puissant. Pour moi, je ne saurais ni pénétrer du regard ces profonds mystères, ni les expliquer par les forces de la raison, ou les comprendre par la perspicacité de lesprit. Et toutefois je répondrai à toutes les questions qui me seront adressées sur ce sujet, avec non moins dassurance que si jétais un ange, un prophète ou un apôtre. Dailleurs le Sage nous dit que «les pensées des hommes sont timides, et nos prévoyances incertaines. Car le corps qui se corrompt appesantit lâme; et cette habitation terrestre abat lesprit capable des plus hautes pensées. Nous jugeons difficilement ce qui se passe sur la terre; et nous trouvons avec peine ce qui est sous nos yeux. Mais ce qui est dans le ciel, qui le découvrira? qui aura donc votre pensée, Seigneur, si vous ne donnez la sagesse, et si vous nenvoyez votre Esprit den haut ( Sag., IX, 14-17 )? » Ainsi je ne mélève point jusquau ciel, et je ne cherche à connaître ni quelle est la dignité privée et personnelle de la nature angélique, ni quelle action corporelle lui est propre et spéciale. Cependant avec le secours de lEsprit-Saint, que Dieu nous a envoyé den-haut, et sous (398) linspiration de la grâce quil a épanchée dans mon âme, jose affirmer en toute assurance que ni Dieu le Père, si son Verbe, ni lEsprit-Saint, qui sont un seul et même Dieu, ne sont en eux-mêmes, et en leur substance sujets à un changement quelconque, et surtout quils ne peuvent être vus par lhomme en leur essence divine. Et en effet, tout ce qui est muable et changeant nest pas nécessairement visible, comme dans lhomme la pensée, le souvenir et la volonté, et comme en dehors de cet univers toute créature incorporelle. Mais tout ce qui est visible, est nécessairement soumis aux lois du mouvement et du changement.
CHAPITRE XI.APPARITIONS DIVINES PRODUITES PAR LE MINISTÈRE DES ANGES. CONCLUSION DE CE LIVRE.
22. Ainsi, parce que la substance de Dieu, ou, si vous aimez mieux, lessence divine, cest-à-dire, selon notre faible manière de comprendre les choses, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, est absolument immuable de sa nature, elle ne peut être visible par elle-même. Cest pourquoi toutes les apparitions dont le Seigneur daigna, selon les temps et les circonstances, favoriser les patriarches et les prophètes, eurent lieu par lintermédiaire des créatures. Sans doute je ne saurais expliquer comment Dieu y employa ses anges, mais je nhésite pas à dire quils opérèrent ces diverses apparitions. Et en parlant ainsi, je ne le fais pas de moi-même, car je pourrais vous paraître peu sensé, tandis que je mefforce dêtre « sage avec sobriété, et selon la mesure» de la foi « que Dieu ma départie ( Rom., XII, 3 ) ». Oui, comme dit encore le même apôtre, « jai cru, et cest pourquoi jai parlé ( II Cor., IV, 13 ) ». Ici en effet je mappuie sur lautorité des saintes Ecritures; et il nes point permis de rejeter ce fondement de la révélation divine pour ségarer dans de vaines aberrations desprit, où nos sens ne peuvent nous guider, et où la raison ne saurait saisir les traits, ni le rayonnement de la vérité. Or dans lépître aux Hébreux, lApôtre distingue la promulgation de la loi nouvelle de la promulgation de la loi ancienne; il marque les convenances du temps et des siècles qui les séparent, et il dit expressément que les prodiges et les voix du Sinaï furent loeuvre des anges. Au reste, voici comment il sexprime : « Quel est lange à qui le Seigneur ait jamais dit : Asseyez-vous à ma droite, jusquà ce que jaie mis vos ennemis sous vos pieds? Tous les anges ne sont-ils pas des esprits qui servent le Seigneur, envoyés pour leur ministère en faveur de ceux qui hériteront du salut (Hébr., I, 13, 14 )?» Peut-on désirer un témoignage plus formel que tout se fît alors par le ministère des anges, et pour nous, cest-à-dire pour le peuple de Dieu auquel est promis lhéritage de la vie éternelle? Aussi le même apôtre écrit-il aux Corinthiens: « Toutes les choses qui arrivaient aux Juifs étaient des figures; et elles ont été écrites pour nous instruire, nous qui nous trouvons à la fin des temps ( I Cor., X, 11 ). » Mais faut-il prouver que Dieu nous a parlé par son Fils, tandis que sur le Sinaï, il parla par ses anges? Saint Paul le tait dans le passage suivant avec la dernière évidence. « Cest pourquoi, dit-il, il faut garder plus fidèlement ce que nous avons entendu, de peur que nous ne soyons comme leau qui sécoule. Car si la loi publiée par les anges est demeurée ferme, et si tonte transgression et toute désobéissance a reçu le juste châtiment quelle méritait; comment léviterons-nous, si nous négligeons une doctrine si salutaire? » Mais parce quici vous pourriez demander quelle est cette doctrine, lApôtre prévient votre objection, et vous répond quelle est le Nouveau Testament, cest-à-dire lEvangile révélé aux hommes par Dieu lui-même, et non par le ministère des anges. «Cette doctrine, continue-t-il, annoncée dabord par le Seigneur même, nous a été confirmée par ceux qui lavaient apprise de lui; Dieu même appuyant leur témoignage par les miracles, par les prodiges, par les différents effets de sa puissance, et par les dons du Saint-Esprit distribués selon sa volonté (Hebr., II, 1-4 ) ». 23. Mais pourquoi, direz-vous, lisons-nous dans lExode, cette parole: « Dieu dit à Moïse »; et non point : lange dit à Moïse? Cest que dans larrêt judiciaire que récite lhuissier, il nest point écrit : lhuissier a dit; mais bien le juge a prononcé. Ainsi encore, quand un prophète parle au nom du Seigneur, quoique nous disions : Le prophète a dit, nous comprenons bien que cest Dieu qui a parlé par sa bouche. Et de même quand nous disons: Le Seigneur a dit, nous nexcluons point la (399) personne du prophète, et nous rappelons seulement quel est celui dont il est linterprète. Au reste, souvent lEcriture, pour nous mieux faire connaître que lange dans ces circonstances parle au nom et en la personne de Dieu, sexprime ainsi : Le Seigneur a dit. Jen ai ci-dessus rapporté divers exemples. Mais parce que plusieurs sobstinent à voir dans lange que nomme ici lEcriture, le Fils de Dieu, que les prophètes par lordre de son Père, et par sa propre inspiration, ont appelé lAnge du grand conseil, jai voulu transcrire ici le passage de lépître aux Hébreux où lApôtre dit expressément que la loi fut donnée par les anges, et non par un ange. 24. Saint Etienne, dans le livre des Actes, ne sexprime pas autrement que lécrivain du Pentateuque. « Ecoutez, dit-il, mes frères et mes pères : le Dieu de gloire apparut à notre père Abraham quand il était en Mésopotamie ( Act., VII, 2) ». Et de peur quon ne simaginât quen disant : « le Dieu de gloire », il voulût affirmer qualors le Seigneur sétait montré en son essence divine aux regards dun homme, il a bien soin dajouter ensuite que ce fut un ange qui apparut à Moïse. « Moïse, dit-il, senfuit à cette parole, et il devint étranger en la terre de Madian, où il eut deux fils. Quarante ans accomplis, lange lui apparut au désert de la montagne de Sina, dans la flamme du feu dun buisson. Et Moïse à cet aspect admira cette vision ; et comme il approchait pour considérer, la voix du Seigneur se fit entendre à lui, disant : Je suis le Dieu de tes pères, le Dieu dAbraham, le Dieu dIsaac et le Dieu de Jacob. Et Moïse tremblant nosait regarder. Or le Seigneur lui dit : Délie ta chaussure, car le lieu où tu es, est une terre sainte (Act., VII, 29-33 )». Certes ici, comme dans la Genèse, lange est appelé Seigneur, et même Dieu dAbraham, Dieu dIsaac et Dieu de Jacob. 25. Direz-vous peut-être quà la vérité Dieu apparut à Moïse en la personne dun ange, mais quil se montra en son essence à Abraham? Eh bien! laissons de côté saint Etienne, et interrogeons le livre doù il a pris son récit. Ny lisons-nous pas « que le Seigneur Dieu dit à Abraham »; et encore : « que le Seigneur Dieu apparut à Abraham (Gen., XII, 1, XVII, 1 )? Sans doute, il nest pas fait ici mention de plusieurs anges; mais allons un peu plus loin; que nous dit lécrivain sacré? « Or, le Seigneur apparut à Abraham assis à lentrée de sa tente, à lheure de midi, et comme il levait les yeux, trois hommes parurent debout près de lui (Gen., XVIII, 1,2 ) ». Jai déjà parlé de ces trois hommes; cest pourquoi je ne poserai quune seule question à ceux qui sattachent à la lettre du texte sacré sans en comprendre le sens, ou qui, tout en le comprenant, chicanent sur les mots. Je leur demanderai donc comment Dieu eût pu apparaître en la personne de ces trois hommes, sils neussent été des anges, comme le prouve la suite du récit? Mais parce quil nest pas dit: un ange lui parla, ou lui apparut, oseront-ils dire quà la vérité Moïse vit et entendit un ange, puisque lEcriture le marque expressément, tandis quAbraham vit réellement lessence divine et entendit la voix de Dieu, puisque lécrivain sacré naffirme pas le contraire? Eh bien! est-il vrai que lEcriture ne fasse mention daucun ange dans les diverses visions queut Abraham? Lorsquelle raconte le sacrifice dIsaac, ne sexprime-t-elle pas ainsi : « Dieu éprouva Abraham, et lui dit : Abraham, Abraham? Abraham répondit: Me voici. Et Dieu lui dit: Prends ton fils unique que tu chéris, Isaac, et va dans la terre de vision; et là tu loffriras en holocauste sur une des montagnes que je te montrerai (Gen., XXII, 1,2 ). » Certes, cest bien de Dieu quil est ici parlé, et non dun ange. Cependant, peu après, lécrivain sacré continue en ces termes : « Or, Abraham étendant la main, saisit le glaive pour immoler son fils, et voilà quun ange «du Seigneur lappela du haut des cieux, et lui dit: Abraham, Abraham. Lequel répondit: Me voici. Et lange dit : Nétends pas la main sur lenfant, et ne lui fais aucun mal ». Quobjecter contre un passage aussi formel? Dira-t-on que Dieu avait ordonné limmolation dIsaac, et quun ange vint sy opposer? Mais alors Abraham eût désobéi à lordre du Seigneur pour se conformer à la défense de lange. Nest-ce pas tout ensemble risible et ridicule? Au reste, lEcriture ne nous permet même pas cette grossière et absurde interprétation, car elle ajoute aussitôt : « Je sais maintenant que tu crains Dieu, puisque tu nas pas épargné ton fils unique, à cause de moi ». Or, ce mot, à cause de moi, indique la personne qui avait commandé le sacrifice, et ainsi lange est le Dieu dAbraham, (400) ou plutôt cest Dieu en la personne de lange. Mais poursuivons le récit sacré; il est bien digne de notre attention, et nous y trouverons une mention expresse de lange. « Abraham levant les yeux, vit derrière lui un bélier embarrassé par les cornes dans un buisson; et il le prit, et loffrit en holocauste pour son fils. Et il appela ce lieu dun nom qui signifie, le Seigneur voit. Cest pourquoi on dit encore aujourdhui : Le Seigneur verra sur la montagne ». Et de même, un peu auparavant, le Seigneur avait dit par la bouche de lange : « Je sais maintenant que tu crains Dieu». Ce nest pas, toutefois, quil faille par là entendre que jusquà ce moment Dieu ignorât les dispositions dAbraham. Seulement alors, Abraham eut conscience des sentiments héroïques de son coeur, sentiments qui le portèrent jusquà immoler son fils unique. Au reste, ce nest ici quune manière de parler, selon laquelle la cause est mise pour leffet. Ainsi nous disons que le froid est paresseux, pour signifier quil nous rend lents et paresseux. Lors donc que lEcriture dit que le Seigneur connut, elle veut dire quil donna occasion à Abraham de connaître la fermeté de sa foi. Or, sans cette épreuve, il leût ignorée. Cest encore dans le même sens quAbraham « appela ce lieu dun nom qui signifie, le Seigneur voit»; cest-à-dire, où il se laisse voir. Et en effet, lécrivain sacré ajoute, « quaujourdhui encore on dit: Le Seigneur verra sur la montagne ». Pourquoi donc le même ange est-il nommé le Seigneur, si ce nest parce quil représentait le Seigneur? Bien plus, dans les versets suivants, cet ange énonce une prophétie, et atteste ainsi que Dieu parlait par sa bouche: « Et lange du Seigneur appela une seconde fois Abraham du haut du ciel, disant : Jai juré par moi-même, dit le Seigneur : parce que tu as fait cela, et que tu nas pas épargné ton fils unique à cause de moi, je te bénirai, et je multiplierai ta postérité comme les étoiles du ciel (Gen., XXII, 15, 17 ) ». Certes, il y a ici un rapport frappant entre lange qui parle au nom du Seigneur et les prophètes qui sexpriment ainsi : « Le Seigneur a dit ». Mais enfin pourquoi ne serait-ce pas Dieu le Fils qui dirait au nom de son Père : « Le Seigneur a dit »; et qui serait son ange ou son envoyé? Oui, sans doute, sil ne se présentait soudain une difficulté inextricable en la personne des trois hommes que vit Abraham, et au sujet desquels il est dit « que le Seigneur apparut à Abraham ». Mais peut-être nétaient-ils pas des anges, parce que lEcriture les appelle des hommes? Eh! lisez Daniel qui nous dit: « Voilà que lange Gabriel mapparut sous une forme humaine (Dan., IX, 21 )». 26. Mais que tardons-nous à contraindre nos adversaires à un silence absolu par un nouvel argument plus formel encore et plus grave? Car ici il ne sagit plus dun ange, nommé séparément, ni de trois hommes pris collectivement; mais ce sont des anges quon nous représente comme les interprètes de Dieu dans la promulgation solennelle de la loi. Or, quel catholique ne sait que le Seigneur donna cette loi à Moïse par le ministère des anges, pour quil y assujettît les enfants dIsraël? Eh bien! voici comme parle saint Etienne: « Hommes à la tête dure, incirconcis de coeur et doreilles, vous résistez toujours au Saint-Esprit ; et il en est de vous comme de vos pères. Lequel des prophètes vos pères nont-ils point persécuté? Ils ont tué ceux qui ont prédit lavènement du Juste, que maintenant vous avez trahi et mis à mort. Vous avez reçu sa loi par le ministère des anges, et vous ne lavez point gardée ( Act., VII, 51-53 ) ». Où trouver un témoignage plus évident, et une autorité plus péremptoire? La loi mosaïque a donc été donnée au peuple Juif par le ministère des anges, mais elle annonçait lavènement du Sauveur Jésus, et y préparait le monde. Aussi est-il vrai de dire que le Verbe de Dieu se faisait mystérieusement apercevoir en la personne des anges qui promulguaient cette loi. Cest pourquoi Jésus-Christ lui-même disait aux Juifs: « Si vous croyiez à Moïse, vous me croiriez aussi, car cest de moi quil a écrit (Jean, V, 46 ) ». Ainsi le Seigneur déclarait ses volontés par le ministère des anges; et cest par ces mêmes anges que le Fils de Dieu, qui devait un jour naître de la race dAbraham, et se poser comme médiateur entre Dieu et les hommes, disposait le monde a son avènement. Il se préparait dès lors des âmes qui le recevraient, en se reconnaissant coupables de navoir pas observé la loi. Aussi lApôtre écrit-il aux Galates: « A quoi donc a servi la loi? Elle a été établie à cause des transgressions jusquà (401) lavènement de Celui qui devait naître et que la promesse regardait. Et cette loi a été donnée au moyen des anges par la main du Médiateur ( Gal., III, 19) ». Cest-à-dire que le Fils de Dieu la promulguée lui-même par lentremise des anges. Car lincarnation du Verbe nest point une conséquence nécessaire de sa nature divine, mais un effet de sa puissance. Dailleurs, une preuve quici lApôtre entend par médiateur le Fils de Dieu en tant quil a daigné se faire homme, cest quil dit dans un autre endroit: « Il ny a quun Dieu et un médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme (I Tim., II, 5 ) ». Il nous est donc permis de voir Jésus-Christ dans limmolation de lagneau pascal, et dans mille autres cérémonies légales qui annonçaient sa naissance, sa passion et sa résurrection. Or, la loi qui les prescrivait, avait été donnée par les anges, et ces anges eux-mêmes représentaient tantôt la Trinité entière, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, sans distinction aucune des personnes, et tantôt le Père séparément, ou le Fils, ou le Saint-Esprit. Au reste en se montrant visiblement sous ces formes sensibles , et en la personne de ses créatures, Dieu ne se révélait point en son essence. Car cette vision est réservée pour le ciel, et sur la terre nous nous efforçons seulement de la mériter par tout ce qui frappe nos yeux et nos oreilles. 27. Mais il me semble que jai suffisamment développé et prouvé la question qui faisait le sujet de ce livre. Ainsi il demeure démontré par le raisonnement seul, du moins selon moi, et par lautorité de lEcriture, dont jai cité plusieurs passages, quavant lincarnation du Sauveur, les diverses apparitions de Dieu aux patriarches et aux prophètes furent loeuvre des anges. Ce sont eux qui toujours se montrèrent sous des formes corporelles, et qui parlèrent au nom du Seigneur. Quelquefois, comme nous le voyons fréquemment par les prophètes, ils agissaient et parlaient immédiatement au nom et en la personne de Dieu, et quelquefois aussi ils empruntaient le concours rie créatures étrangères, pour mieux signifier aux hommes la présence du Seigneur. Nos livres saints nous attestent que ce dernier mode dapparition ne fut pas inconnu aux prophètes. Cest pourquoi il convient de traiter maintenant des apparitions divines que nous raconte le Nouveau Testament. Ainsi le Fils de Dieu est né dune Vierge, et lEsprit-Saint sest montré sous la forme dune colombe au baptême de Jésus-Christ, de même quaprès lascension, et au jour de la Pentecôte, il sannonça par un grand vent, et parut sous lemblème de langues de feu. Néanmoins, constatons tout dabord que le Verbe de Dieu ne sest point montré à nous en cette essence divine qui le rend égal et coéternel à son Père. Il faut en dire autant de lEsprit-Saint, qui par sa nature est égal et coéternel au Père et au Fils. Mais lun et lautre se sont montrés par lintermédiaire dune créature qui a été créée et formée tout exprès pour frapper nos regards et nos sens. Toutefois il existe une grande différence entre les apparitions anciennes du Fils et du Saint-Esprit, et les propriétés qui se manifestent en eux dans le nouveau testament, quoique les unes et les autres aient eu lieu au moyen dune créature corporelle et visible. Or, cest à expliquer cette différence que je consacre le livre suivant. (402)
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