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LIVRE QUATORZIÈME : IMAGE DE DIEU DANS LHOMME.
Limage de Dieu ne se trouve pas dans la mémoire, lintelligence et lamour, quand ces facultés ont pour objet la foi aux choses du temps, ou les opérations de lâme sur elle-même , mais quand elles sappliquent aux choses immuables. Elle est parfaite quand lâme est renouvelée à la connaissance de Celui qui a créé lhomme à son image, et quelle reçoit ainsi la Sagesse où se trouve la contemplation des choses éternelles.
LIVRE QUATORZIÈME : IMAGE DE DIEU DANS LHOMME.
LAME DES ENFANTS SE CONNAÎT-ELLE?
ÉCLAIRCISSEMENT PAR UN EXEMPLE. PROCÉDÉ POUR AIDER LINTELLIGENCE DU LECTEUR.
CEST DANS LA PARTIE PRINCIPALE DE LÂME QUIL FAUT CHERCHER LA TRINITÉ QUI EST LIMAGE DE DIEU.
LA JUSTICE ET LES AUTRES VERTUS CESSENT-ELLES DEXISTER DANS LA VIE FUTURE?
COMMENT LA TRINITÉ SE FORME DANS LÂME QUI SE SOUVIENT DELLE-MÊME, SE COMPREND ET SAIME.
SE SOUVIENT-ON MÊME DES CHOSES PRÉSENTES?
COMMENT ON PEUT OUBLIER DIEU ET SEN SOUVENIR.
COMMENT LIMAGE DE DIEU SE RÉFORME DANS LHOMME.
CHAPITRE PREMIER.QUEST-CE QUE LA SAGESSE DONT IL EST ICI QUESTION? DOU VIENT LE NOM DE PHILOSOPHE? CE QUI A ÉTÉ DIT PLUS HAUT DE LA DISTINCTION ENTRE LA SCIENCE ET LA SAGESSE.
1. Nous avons maintenant à traiter de la sagesse, non pas de la sagesse de Dieu qui est Dieu même, puisque le Fils unique de Dieu est appelé sagesse de Dieu (Eccl., XXIV, 5 ; I Cor., I, 24 ); mais de la sagesse de lhomme, de la vraie sagesse qui est selon Dieu, qui forme son culte véritable et principal, ainsi que les Grecs lexpriment par un seul mot Theosebeia . Les Latins voulant aussi, comme nous lavons déjà dit, renfermer lidée sous une seule expression, lui ont donné le nom de piété, que les Grecs appellent ordinairement eusebeia mais faute de pouvoir rendre en un seul mot le sens de Theosebeia, ils en emploient deux et disent le culte de Dieu : Dei cultus. Or, que cette sagesse de lhomme existe, cela est démontré, comme nous lavons déjà posé en principe au douzième livre de cet ouvrage (Ch., XIV.), par le témoignage de la sainte Ecriture, au livre du serviteur de Dieu, Job, où on lit que la Sagesse divine dit à lhomme : « La piété, voilà la sagesse; la fuite du mal, voilà la science (Job., XXVIII, 28 ) », ou la doctrine (disciplina), comme quelques-uns traduisent le mot grec disciplina venant de disco, ce qui permet de lui donner le nom de science. En effet, on napprend que pour savoir. Sous un autre point de vue, on appelle aussi discipline les maux que le pécheur subit pour ses fautes et en vue de sa correction. Cest en ce sens quon lit dans lépître aux Hébreux: « Car quel est le fils à qui son père ne donne pas la discipline?» Et plus clairement encore un peu plus bas . « Tout châtiment (disciplina) paraît être dans le présent un sujet de tristesse et non de joie; mais ensuite il produit pour ceux quil a exercés un fruit de justice plein de paix (Héb., XII, 7, 11 ) ». Dieu est donc la souveraine sagesse; et la sagesse de lhomme, dont il est ici question, est le culte de Dieu. Car « la sagesse de ce siècle est folie devant Dieu (Cor., III, 19) ». Et cest à propos de cette sagesse, qui est le culte de Dieu, que lEcriture sainte dit: « La multitude des sages est « le salut du monde (Sag., VI, 26 ) ». 2. Mais sil nappartient quaux sages de parler de la sagesse, que ferons-nous? Oserons-nous, pour ne pas être accusés dimpudence, faire profession de sagesse? Ne reculerons-nous pas, à lexemple de Pythagore qui nosa se dire sage, mais répondit simplement quil était philosophe, cest-à-dire ami de la sagesse? Formation de mots, qui fut tellement bien accueillie par la postérité , que tout homme qui passait à ses propres yeux ou aux yeux des autres pour exceller dans la doctrine de la sagesse, ne porta désormais plus dautre nom que celui de philosophe. Serait-ce quaucun de ces hommes nosait se déclarer sage, parce quils croyaient que le sage doit être exempt de tout péché? Ce nest pas ce que nous dit lEcriture, où nous lisons « Reprenez le sage et il vous aimera (Prov., IX, 8 ) ». Or, elle suppose coupable celui quelle conseille de reprendre. Pour moi, je nose pas me dire sage en ce sens. Il me suffit et personne ne peut nier ceci quil appartienne au philosophe, cest-à-dire à lami de la sagesse, de discuter sur la sagesse. Cest ce que nont pas laissé de faire ceux qui se sont déclarés amis de la sagesse plutôt que sages. 3. Or, dans leurs discussions sur ce sujet, ils ont défini la sagesse: La science des choses humaines et divines. Cest ce qui ma fait dire plus haut quon peut appeler indifféremment sagesse ou science, la connaissance des choses divines et humaines (Liv., III, ch. I, XIX. ). Mais daprès la distinction établie par lApôtre : « A lun est donnée la parole de sagesse, à un autre la parole de science (I Cor., XII, 8 ) », il faut (525) partager la définition, donner proprement le nom de sagesse à la science des choses divines, et réserver celui de science à la connaissance des choses humaines. Jai parlé de celle-ci dans le livre treizième, en lui attribuant, non tout ce quon peut savoir en fait de choses humaines où une si grande part est faite à une vanité stérile et à une coupable curiosité mais seulement ce qui produit, entretient, défend et fortifie cette foi si salutaire qui conduit au vrai bonheur : science rare chez les fidèles, même chez ceux qui sont pleins de foi. En effet, autre chose est de savoir simplement ce que lhomme doit croire pour obtenir la vie heureuse , qui est nécessairement immortelle; autre chose de savoir comment ce que lApôtre semble appeler proprement science est utile aux fidèles et doit être défendu contre les impies. En parlant de celle-ci plus haut, jai surtout insisté sur la foi elle-même, établissant en peu de mots la distinction entre les choses de léternité et celles du temps, et ne moccupant, là, que de ces dernières. Je me réservais de traiter dans le livre quatorzième des choses éternelles, et jai démontré ( Liv., XIII, ch. VII ) que la foi même aux choses éternelles appartient au temps, quelle habite temporellement dans le coeur des croyants et quelle est cependant nécessaire pour obtenir le bonheur de léternité. Jai également fait voir que pour parvenir à ce bonheur, il faut aussi croire à tout ce que lEternel a fait et souffert pour nous, sous la forme humaine quil a revêtue dans le temps et quil a introduite dans la demeure éternelle; en outre, que les vertus mêmes qui nous apprennent à bien vivre ici-bas, la prudence, la force, la tempérance et la justice, ne sont point de véritables vertus, si elles ne sont rattachées à cette même foi, qui, quoique propre au temps, conduit néanmoins à léternité (Id., ch. XX. )
CHAPITRE II.DANS LE SOUVENIR, LA VUE ET LAMOUR DE LA FOI TEMPORELLE, ON DÉCOUVRE UNE CERTAINE TRINITÉ QUI NEST CEPENDANT PAS ENCORE LIMAGE DE DIEU.
4. Comme il est écrit: « Pendant que nous sommes dans ce corps, nous voyageons loin du Seigneur: car cest par la foi que nous marchons, et non par une claire vue (II Cor., V, 6, 7 ) », il sensuit que tant que le juste vit de la foi (Rom., I, 17 ), bien quil vive selon lhomme intérieur et quà laide de la foi temporelle il tende à la vérité et aux biens éternels, néanmoins lespèce de trinité qui résulte du souvenir, de la vue et de lamour de la foi temporelle, ne peut pas encore être appelée image de Dieu. On serait exposé à fonder sur les choses du temps ce qui ne peut être établi que sur celles de léternité. En effet, lâme humaine en voyant sa propre foi, qui lui fait croire ce quelle ne voit pas, ne voit point une chose éternelle. Car ce nest point une chose éternelle, celle qui cessera dêtre, quand, au terme de ce pèlerinage où nous voyageons loin du Seigneur et où il faut marcher par. la foi, viendra cette claire vue où nous verrons face à face (I Cor., XIII, 12 ); tout comme aujourdhui, en croyant sans voir, nous méritons de voir et de nous réjouir de la claire vue où la foi nous aura conduits. Car là, la foi qui croit sans voir nexistera plus, mais bien la claire vue qui fera voir ce quon croyait. Et alors le souvenir de cette vie mortelle et de la foi aux choses que nous ne voyions pas, sera compté parmi les choses passées et éphémères, et non parmi les choses présentes et immortelles. Par conséquent la trinité qui consiste dans le souvenir, la vue et lamour de cette foi qui subsiste présentement ici-bas, ne sera pas davantage permanente, mais une chose à jamais passée ; doù il résulte que si cette trinité est déjà une image de Dieu, il faut aussi considérer cette image comme une chose transitoire et non immortelle. A Dieu ne plaise que, la nature de lâme étant immortelle et ne pouvant plus cesser dêtre, dès quelle a commencé dexister, ce quelle a de meilleur ne partage pas son immortalité. Or, quy a-t-il de meilleur dans sa nature que davoir été faite à limage de son Créateur (Gen., I, 27 )? Ce nest donc pas dans le souvenir, la vue et lamour dune foi passagère, mais dans ce qui durera toujours quil faut trouver ce quon doit proprement appeler limage de Dieu.
CHAPITRE III.SOLUTION DUNE OBJECTION.
5. Pénétrerons-nous encore plus avant dans cette question abstraite? On peut objecter en effet que si la foi passe, cette trinité ne passe (526) point avec elle : car, comme nous la conservons par le souvenir, la voyons par la pensée et laimons par la volonté, dans cette vie présente ; de même, dans lautre vie, le souvenir et la vue que nous en conservons, étant unis par la volonté se posant en tiers, ce sera toujours la même trinité, Et si elle navait laissé chez nous aucune trace en passant, nous nen aurions évidemment rien conservé dans notre mémoire à quoi pût se rattacher un souvenir, et la volonté ne pourrait en aucune façon former le lien entre ces deux choses, à savoir ce qui était dans la mémoire quand nous ny pensions pas, et la vue qui sen forme quand nous y pensons. Mais celui qui soulève cette difficulté ne fait pas attention que la trinité qui se forme actuellement quand nous conservons, voyons et aimons en nous notre foi présente, nest point celle qui se formera dans lavenir, quand nous verrons par le souvenir, non plus la foi elle-même, mais sa trace imaginaire, pour ainsi dire, renfermée dans la mémoire, et que nous unirons par la volonté ces deux choses: ce qui existait dans la mémoire et limpression qui en résulte dans le regard de la pensée appliquée au souvenir. Pour rendre ceci intelligible, prenons un exemple dans ces mêmes choses matérielles dont jai parlé assez longuement dans le onzième livre (Ch., II et suiv. ). En effet, en montant des choses inférieures aux choses supérieures, ou en rentrant du dehors au dedans, nous trouvons une première trinité dans le corps qui est vu, dans limpression que son aspect produit dans loeil de celui qui le voit et dans lattention de la volonté qui les unit, Etablissons-en une analogie dont les termes seront : la foi renfermée dans notre mémoire comme ce corps lest dans lespace; le regard de la pensée qui se forme de la mémoire, comme limpression de loeil se forme du corps qui est vu; puis, pour compléter la trinité, la volonté se posant en tiers afin dunir et de lier la foi conservée dans la mémoire et son image imprimée dans le regard du souvenir, comme elle unit, dans la trinité de la vision corporelle, la forme du corps visible et limage ressemblante qui sen forme dans loeil du spectateur. Supposons maintenant que ce corps visible a disparu et quil nen reste rien nulle part à quoi le regard puisse recourir : parce que limage de cet objet matériel disparu reste dans la mémoire, que de cette image se forme le regard de la pensée au moyen du souvenir, et que la volonté, elle troisième, les unit lun à lautre, dira-t-on que cest la même trinité que celle qui existait quand le corps était réellement présent? Non certes; il y a une très-grande différence, au contraire; car outre que lune était extérieure et que lautre est intérieure, celle-là avait pour principe la présence de lobjet matériel, tandis que celle-ci est fondée sur limage du passé. Ainsi en est-il dans le cas qui nous occupe, et pour léclaircissement duquel nous avons produit cet exemple; la foi qui est maintenant dans notre âme, comme ce corps était dans lespace forme une espèce de trinité tant quelle est possédée, vue et aimée; mais ce ne sera plus la même trinité, quand cette foi aura disparu de notre âme, comme ce corps a disparu de lespace. Et celle que nous posséderons alors au souvenir de celle-ci, sera tout à fait différente. Lune en effet a pour principe une chose présente et fixée dans lâme des croyants; tandis que lautre ne sera établie que sur le souvenir dune chose passée, représentée à limagination par la mémoire.
CHAPITRE IV.CEST DANS LIMMORTALITÉ DE LÂME RAISONNABLE QUIL FAUT CHERCHER LIMAGE DE DIEU. COMMENT LA TRINITÉ SE FAIT VOIR DANS LÂME.
6. Ainsi donc la trinité qui nest pas maintenant limage de Dieu, ne le sera pas davantage un jour, et celle qui doit cesser un jour, ne lest pas davantage: cest dans lâme de lhomme, cest-à-dire dans lâme raisonnable et intelligente, quil faut trouver limage du Créateur: empreinte immortelle sur une substance immortelle. Car, de même que limmortalité de lâme doit sentendre avec certaine restriction puisque lâme a aussi son genre de mort, lorsquelle est privée de la vie bienheureuse qui est sa véritable vie et que cependant on lappelle immortelle parce que, quelle que soit sa vie, fût-elle entièrement malheureuse, elle ne cessera jamais de vivre : ainsi quoique la raison ou lintelligence paraisse tantôt assoupie, tantôt petite, tantôt grande, chez elle; cependant elle ne laisse jamais dêtre une âme raisonnable ou intelligente. Donc si elle (527) a été faite à limage de Dieu en ce sens quelle peut user de sa raison ou de son intelligence pour comprendre Dieu et le contempler, il est évident que dès linstant quelle a commencé à être cette si grande et si merveilleuse nature, elle ne cessera pas de lêtre, soit que cette image soit affaiblie et presque réduite à rien, soit quelle sobscurcisse ou se déforme, soit quelle reste pure et belle. Cest cette difformité et cette dégradation que lEcriture déplore, quand elle dit : « Quoique lhomme marche en image (in imagine), cependant il sagite en vain, il amasse des trésors et ne sait qui les recueillera après lui (Ps., XXXVIII ) ». Le psalmiste nattribuerait pas la vanité à limage de Dieu, sil ne la voyait déformée. Et pourtant il laisse assez voir que cette difformité ne saurait lui ôter le caractère dimage de Dieu, puisquil dit: « Quoique lhomme marche en image (in imagine) ». Ainsi des deux côtés la pensée est juste : comme on a dit: « Quoique lhomme marche en image, cependant il sagite en vain » ; de même on peut dire : Quoique lhomme sagite en vain, cependant il marche en image. En effet, quoique sa nature soit grande, elle a cependant pu être viciée, et quoiquelle ait pu être viciée parce quelle nest pas la nature souveraine, cependant, :étant capable de connaître la nature souveraine et dy participer, elle est une grande nature. Cherchons donc, dans cette image de Dieu, une certaine trinité propre (sui generis), avec laide de Celui qui nous a faits à son image; car autrement nous ne pourrions entreprendre ces recherches dune manière utile, ni rien découvrir selon la sagesse qui vient de lui. Mais si le lecteur a bien retenu ce que nous avons dit de lâme ou de lintelligence humaine dans les livres précédents, notamment dans le dixième, ou sil veut bien se reporter à ces passages et les relire attentivement, le point qui nous occupe, malgré son importance, nexigera pas de trop longs développements. 7. Nous avons donc dit, entre autres choses, dans le livre dixième, que lâme humaine se connaît elle-même (Ch. VII. ). En effet, lâme ne connaît rien autant que ce qui lui est présent; or rien nest plus présent à lâme que lâme même. Nous avons encore donné dautres preuves, aussi nombreuses que nous lavons jugé à propos, et propres à établir cette vérité avec toute certitude.
CHAPITRE V.LAME DES ENFANTS SE CONNAÎT-ELLE?
Mais que dire de lâme de lenfant encore en bas âge et plongé dans cette profonde ignorance de toutes choses qui inspire une si vive horreur à tout homme parvenu a un degré quelconque de connaissance? Faut-il croire quelle se connaît, mais quabsorbée par les impressions des sens dautant plus vives quelles sont plus nouvelles, si elle ne peut signorer du moins, elle nest pas capable de réfléchir? On peut conjecturer de la force qui lentraîne vers les objets sensibles par le seul fait de son avidité à voir la lumière : avidité telle que si, par inattention ou par imprévoyance des suites, on place une lumière pendant la nuit près du lit où repose un enfant, dans un endroit où il puisse jeter obliquement les yeux sans pouvoir tourner la tête, son regard sy fixe avec tant de ténacité que quelquefois il en contracte ce que nous appelons le strabisme, les yeux conservant la direction imprimée par lhabitude à cet organe encore tendre et délicat. Ainsi en est-il des autres sens; ces jeunes âmes sy portent avec toute limpétuosité que permet leur âge, sy concentrent, pour ainsi dire, nont de répulsion que pour ce qui blesse la chair, dattrait que pour ce qui la flatte. Quant à leur intérieur, elles ny songent pas, et il nest pas possible de les y faire songer: car elles ne comprennent pas encore la valeur dun avertissement, puisquelles ignorent le sens des mots aussi bien que tout le reste, et que cest surtout par des mots quun avertissement se manifeste. Du reste, nous avons fait voir dans le livre précité ( Liv., X, ch. V. ) quil y a une différence entre ne pas se connaître et ne pas penser à soi. 8. Mais laissons-là le jeune âge à qui on ne peut demander compte de ce qui se passe en lui et dont nous avons nous-même complètement perdu le souvenir. Quil nous suffise de savoir avec certitude que puisque lhomme peut réfléchir sur la nature de son âme et découvrir la vérité, il ne la découvrira quen lui. Or, il découvrira, non ce quil ignorait, mais ce à quoi il ne pensait pas. Car que saurons-nous, si nous ne savons pas ce qui est dans notre (528) âme, puisque nous ne pouvons savoir que par elle tout ce que nous savons?
CHAPITRE VI.COMMENT IL SE TROUVE UNE CERTAINE TRINITÉ DANS LÂME QUI RÉFLÉCHIT SUR ELLE-MÊME. QUEL RÔLE LA PENSÉE JOUE DANS CETTE TRINITÉ.
Telle est la puissance de la pensée, que lâme nest en sa propre présence que quand elle pense à elle-même ; par conséquent il ny a de présent à lâme que ce quelle pense, à tel point que lâme elle-même ; par laquelle se pense tout ce qui se pense, ne peut être en sa propre présence, que quand elle se replie sur elle-même par la pensée. Mais comment se fait-il que lâme nest pas en sa propre présence, à moins de penser à elle-même, quand nous savons quelle ne peut être sans elle-même, quil ny a pas de différence entre elle et sa propre présence? Cest là un mystère qui méchappe. Cela se comprend pour loeil du corps: il occupe une place fixe dans le corps, sa vue se dirige sur les objets extérieurs et peut sétendre jusquaux astres. Mais il nest pas en sa propre présence, puisquil ne se voit pas lui-même, sinon à laide dun miroir, comme nous lavons déjà dit (Liv., X, ch. III. ): ce qui na pas lieu quand lâme se met en présence delle-même par la pensée. Serait-ce donc que, quand elle se voit par la pensée, une partie delle-même verrait une autre partie delle-même, comme certains de nos organes, nos yeux par exemple, voient dautres de nos organes qui sont exposés à leur regard? On ne saurait dire ni penser rien de plus absurde, A qui lâme est-elle donc enlevée, sinon à elle-même? Et où se met-elle en sa propre présence, sinon devant elle-même? Donc quand elle nest plus en sa propre présence, elle nest plus où elle était: car elle était là, et elle en a été enlevée. Mais si lâme à voir a émigré, où demeure-t-elle pour se voir? Est-elle double, de manière à être ici et là, cest-à-dire où elle puisse voir et où elle puisse être vue; en elle-même, pour voir, et devant elle, pour être vue? Si nous consultons la vérité, elle ne nous répondra rien là-dessus; parce que cette façon de penser repose sur des images matérielles que nous nous figurons et qui nont rien de commun avec notre âme, comme le savent avec une parfaite certitude le petit nombre de ceux qui peuvent consulter la vérité sur ce point. Il reste donc à dire que la vue delle-même est quelque chose qui appartient à sa nature et qui, lorsquelle pense à elle-même, lui revient, non par un déplacement local, mais par un mouvement immatériel; et cette vue, lorsque lâme ne pense pas à elle-même, ne lui est pas présente, ne devient pour elle le but daucun regard, bien quelle se reconnaisse encore et quelle soit en quelque sorte pour elle-même sa propre mémoire. Cest ainsi que chez lhomme instruit dans beaucoup de sciences, ce quil sait est renfermé dans sa mémoire, et que rien cependant nest présent à son âme que ce à quoi il pense, tout le reste est caché dans ce secret arsenal qui sappelle la mémoire. Or, pour former cette trinité, nous plaçions dans la mémoire ce qui forme le regard de la pensée, puis nous donnions comme son image limpression conforme qui en résulte, et en troisième lieu venait lamour ou la volonté pour unir ces deux choses. Donc, quand lâme se voit par la pensée, elle se comprend et se reconnaît; par conséquent elle engendre cette intelligence et sa propre connaissance. En effet, comprendre une chose immatérielle cest la voir, et cest en la comprenant quon la connaît. Et quand lâme se comprend par la pensée et se voit, elle nengendre pas sa propre connaissance comme si auparavant elle ne sétait pas connue; mais elle se connaissait, comme on connaît ce qui est enfermé dans la mémoire, alors même quon ny pense pas; dans le sens où nous disons quun homme connaît les lettres alors. quil pense à toute autre chose quaux lettres. Or ces deux choses, ce qui engendre et ce qui est engendré, sont unies par un tiers, lamour, qui nest pas autre chose que la volonté désirant posséder un objet ou le possédant déjà. Voilà pourquoi nous avons cru pouvoir exprimer cette espèce de trinité par ces trois mots: mémoire, intelligence, volonté. 9. Mais, comme nous lavons dit, vers la fin de ce même livre dix, lâme se souvient toujours delle-même, elle se comprend et saime toujours elle-même, quoiquelle ne pense pas toujours quelle est différente des êtres qui ne sont pas ce quelle est. Il faut donc chercher comment lintelligence appartient à la pensée, tandis que nous disons que la connaissance (529) dun objet quelconque, qui est dans lâme, même quand elle ny pense pas, appartient exclusivement à la mémoire. Car, sil en est ainsi, elle ne réunissait pas les trois conditions, se souvenir delle-même, se comprendre et saimer: elle navait dabord que le souvenir delle-même; puis, quand elle a commencé à penser, elle sest comprise et sest aimée.
CHAPITRE VII.ÉCLAIRCISSEMENT PAR UN EXEMPLE. PROCÉDÉ POUR AIDER LINTELLIGENCE DU LECTEUR.
Examinons donc plus attentivement lexemple que nous avons cité pour montrer quautre chose est de ne pas connaître un objet, autre chose de ny pas penser, et quun homme peut fort bien connaître une chose à laquelle il ne pense pas, dans le-moment où son esprit est fixé ailleurs. Un homme donc versé dans deux sciences ou davantage, et qui ne pense quà une, ne laisse pas pour cela de connaître lautre ou les autres, bien quil ny pense pas. Pouvons-nous cependant raisonnablement dire: Ce musicien connaît la musique, il est vrai, mais maintenant il ne la comprend pas, car il ny pense pas pour lheure, au contraire, il comprend actuellement la géométrie, puisquil y pense actuellement? Cest là, ce me semble, un raisonnement absurde. Et que sera-ce si nous disons : Ce musicien connaît certainement la musique, mais il ne laime pas maintenant, puisquil ny pense pas; pour le moment seulement il aime la géométrie, puisquil y pense? Le raisonnement sera-t-il moins absurde? Ce sera au contraire avec la plus grande raison que nous dirons : Cet homme que vous voyez disputer sur la géométrie, est aussi un parfait musicien; car il se souvient de cette science, il la comprend et il laime ; mais quoiquil la connaisse et quil laime, il ny pense pas maintenant, occupé quil est à disputer sur la géométrie. Ceci nous fait voir quil existe, dans les replis de lâme, certaines connaissances de certains objets, lesquelles se produisent en quelque sorte et se mettent plus en évidence sous les yeux de lâme, quand elle y pense; et quil se trouve ainsi quelle se rappelle, quelle comprend et quelle aime des choses auxquelles elle ne pensait même pas, parce que sa pensée était ailleurs. Quant aux choses auxquelles nous navons pas pensé depuis longtemps et auxquelles nous ne pourrions plus penser si on ne nous les rappelait, je ne sais par quel étrange mystère, nous ignorons que nous les savions, si on peut parler ainsi. Du reste, cest avec raison que celui qui les rappelle dit à celui à qui il les rappelle : Tu sais cela et tu ne sais pas que tu le sais ; je ten ferai souvenir, et tu te convaincras que tu sais ce que tu croyais ignorer. Cest là leffet des livres écrits sur les choses dont le lecteur, guidé par la raison, reconnaît la vérité : non pas la vérité qui se fonde sur la confiance en celui qui écrit, comme cela arrive pour lhistoire, mais la vérité que lui-même découvre ou en lui, ou dans la vérité qui est la lumière de lesprit. Quant à lhomme qui, malgré linstruction quon lui donne, ne peut pas voir ces choses par suite dun grand aveuglement du coeur, il est plongé dans les ténèbres de la plus profonde ignorance, et il a besoin dun prodige de grâce pour pouvoir parvenir à la véritable sagesse. 10. Voilà pourquoi jai voulu donner un exemple quelconque, afin de démontrer comment le regard de la pensée se forme daprès ce que contient la mémoire, et comment il se produit dans lhomme qui pense quelque chose de semblable à ce qui existait déjà en lui avant quil pensât : vu quil est plus facile de distinguer quand les choses arrivent successivement, et que le père a précédé le fils dans lordre du temps. Car si nous nous rattachons à ces trois points : la mémoire intérieure de lâme, qui fait quelle se souvient delle-même; lintelligence intérieure par laquelle elle se comprend, et la volonté intérieure par laquelle elle saime; si nous supposons que ces trois choses existent toujours, quelles nont jamais cessé- dêtre depuis quelles existent, soit quon y pensât, soit quon ny pensât pas: cette image de la souveraine Trinité semblera dabord nappartenir quà la mémoire. Mais comme la parole ne peut sy séparer de la pensée nous pensons en effet tout ce que nous disons, même avec cette parole intérieure qui nappartient à aucune langue on reconnaîtra que limage de la Trinité consiste plutôt dans ces trois choses: mémoire, intelligence, volonté. Par intelligence, jentends ici celle par laquelle nous comprenons quand nous pensons, alors que notre pensée se forme daprès les choses qui étaient présentes à la mémoire, mais auxquelles nous ne pensions pas; (530) et par volonté jentends lamour ou dilection qui unit ce père et ce fils, et leur est en certaine façon commune à tous deux. Voilà comment jai pu, dans le onzième livre, venir en aide aux lecteurs peu intelligents, au moyen dexemples tirés des objets extérieurs et visibles pour les yeux du corps. Puis je suis entré avec eux chez lhomme intérieur, où règne cette faculté qui raisonne sur les choses temporelles, mais en prenant soin dy distinguer une partie principale et dominante, qui sapplique à la contemplation des choses éternelles. Ça été la matière de deux livres: dans le douzième, jai établi la différence entre la partie supérieure et la partie inférieure, qui doit être soumise à lautre ; dans le treizième, jai parlé le plus solidement et le plus brièvement possible de la fonction de la partie inférieure, qui sétend à la science utile des choses humaines et nous apprend à user de cette vie passagère en vue dacquérir la vie éternelle : sujet compliqué, très-riche, illustré parles grands et nombreux travaux dune foule de grands hommes, mais que jai dû resserrer en un seul livre, pour y faire voir une trinité quon ne peut cependant pas encore appeler limage de Dieu.
CHAPITRE VIII.CEST DANS LA PARTIE PRINCIPALE DE LÂME QUIL FAUT CHERCHER LA TRINITÉ QUI EST LIMAGE DE DIEU.
11. Nous voici maintenant arrivé à ce point de la discussion, où nous devons, daprès notre plan, étudier la partie principale de lâme humaine, celle par laquelle elle connaît Dieu ou peut le connaître, afin dy découvrir limage de Dieu. Car, bien que lâme humaine ne soit pas de même nature que Dieu, cependant limage de la plus parfaite de toutes les natures doit se chercher et se trouver dans ce quil y a de plus parfait dans notre nature. Mais dabord, il faut considérer lâme en elle-même, avant toute participation à la divinité et y trouver limage de Dieu. Nous avons dit que, quoique privée par sa faute de lamitié de Dieu, quoique dégradée et difforme, elle est cependant restée limage de Dieu ( Ch., IV. ). Elle est en effet son image par le seul fait quelle est capable de le connaître et de le posséder avantage immense quelle ne doit quà lhonneur dêtre limage de Dieu. Voilà donc que lâme se souvient delle-même, quelle se comprend, quelle saime : dès lors nous découvrons une trinité, non pas Dieu encore, mais son image. La mémoire na pas tiré du dehors ce quelle contient; lintelligence na pas trouvé au dehors ce quelle voit, à linstar de loeil du corps ; la volonté na pas uni au dehors ces deux choses, comme cela arrive pour les objets matériels et limpression quils produisent dans le regard du spectateur. Il ne sagit pas non plus de limage dune chose extérieure saisie au vol, cachée dans la mémoire, que la pensée trouve quand elle se tourne de ce côté-là, et doù se forme le regard du souvenir, image et regard que là volonté unit, elle troisième. Tout cela avait lieu dans ces espèces de trinités que nous avons découvertes dans les objets matériels, ou qui sont violemment introduites par eux dans lhomme intérieur au moyen des sens corporels, et dont nous avons parlé dans le onzième livre (Ch., II et suiv. ). Il nest pas davantage question de ce qui se passait ou semblait se passer quand nous parlions de la science déjà établie sur les opérations de lhomme intérieur, mais distincte de la sagesse : science qui renferme ce que lâme acquiert; soit par la connaissance de lhistoire, comme les faits et les paroles qui ont pris place dans le temps en passant; soit ce qui tient à la nature des choses dans des lieux et des pays particuliers; soit ce qui prend naissance dans lhomme lui-même, ou par un enseignement étranger, ou en vertu de ses propres pensées, comme la foi par exemple dont nous avons beaucoup parlé dans le livre treizième ou les vertus par lesquelles, si elles sont vraies, cette vie mortelle est réglée de manière à mériter limmortalité bienheureuse que Dieu nous a promise. Toutes ces choses et dautres du même genre ont leur place dans le temps, et nous ont aidé à voir plus clairement la trinité formée de la mémoire, de la vision et de lamour. En effet, quelques-unes dentre elles existent avant dêtre connues de ceux qui les apprennent, elles sont susceptibles dêtre connues même avant dêtre connues, et elles engendrent leur propre connaissance chez ceux qui les apprennent. Les unes sont dans un lieu fixe, les autres ont passé avec le temps. Au fait celles qui ont passé avec le temps nexistent réellement plus ; il nen reste que certains signes pour la vue ou (531) pour louïe et qui attestent quelles ont été et quelles ne sont plus. Ces signes sont fixés ou dans un lieu, comme les monuments funéraires et autres de ce genre; ou dans des écrits dignes de foi, comme le sont les histoires composées par des auteurs sérieux et recommandables; ou dans lâme de ceux qui les connaissent déjà. Connues des uns dans ce dernier cas, elles sont susceptibles de lêtre pour dautres, à la connaissance desquels elles sont antérieures, mais qui peuvent les connaître daprès lenseignement de ceux qui les connaissent. Toutes ces choses, même quand on les apprend, forment une certaine trinité, par leur nature même qui est susceptible dêtre connue, même avant dêtre connue, puis par la connaissance quen acquiert celui qui les apprend, laquelle commence au moment où il les apprend, et enfin par la volonté qui survient en tiers pour unir ces deux termes. Puis quand elles sont connues, il se forme de leur souvenir, dans lintérieur de lâme, une autre trinité qui se compose : de leurs images, imprimées dans la mémoire au moment où on les apprenait ; de limpression qui en résulte dans la pensée, quand le regard du souvenir se tourne vers elles, et de la volonté qui vient en tiers unir ces deux choses. Quant à celles qui prennent leur origine dans lâme même où jusqualors elles nexistaient pas, comme la foi par exemple, et autres choses de ce genre, bien quelles semblent accidentelles comme venant par lenseignement, elles ne sont cependant point extérieures ni locales comme les objets mêmes à lexistence desquels on croit ; mais elles ont leur origine au plus intime de lâme. En effet, la foi nest pas ce que lon croit, mais ce par quoi lon croit lobjet de la foi est cru, la foi est vue. Cependant comme la foi est dans lâme et que lâme existait avant que la foi y fût, celle-ci semble quelque chose daccidentel, et sera rangée parmi les choses passées, quand elle aura disparu devant la claire vue. Maintenant elle forme une trinité par sa présence, puisque elle est conservée dans la mémoire, vue et aimée. Dans lautre vie, elle en formera une autre par certaines traces quelle aura laissées dans la mémoire en passant, ainsi que nous lavons déjà dit plus haut.
CHAPITRE IX.LA JUSTICE ET LES AUTRES VERTUS CESSENT-ELLES DEXISTER DANS LA VIE FUTURE?
12. On demande si les vertus qui règlent cette vie mortelle, qui prennent naissance dans lâme puisque lâme existait avant de les avoir cesseront dexister, lorsquelles lauront conduite au bonheur éternel? Quelques-uns lont pensé, et leur opinion se comprend, sil sagit des trois vertus de prudence, de force et de tempérance; quant à la justice, elle est immortelle, et dans le ciel elle se perfectionnera en nous plutôt quelle ne cessera. Voici cependant ce que le prince de léloquence, Cicéron, a dit des quatre vertus dans son dialogue intitulé Hortensius : « Sil nous est donné, au sortir de cette vie, de vivre immortels dans ides îles fortunées, comme la fable nous le dit, à quoi bon léloquence, puisquil ny aura plus de tribunaux? A quoi bon même les vertus? En effet, nous naurons plus besoin de force là où il ny aura plus ni travail ni péril; plus de justice, là où il ny aura plus de bien étranger à convoiter; plus besoin de tempérance pour modérer des passions qui nexisteront plus; ni enfin de prudence, là où il ny aura plus à choisir entre le bien et le mal. Nous serons heureux tous ensemble par la connaissance de la nature et la science, le seul privilège à reconnaître dans la vie même des dieux. Ce qui fait voir clairement que lui seul est désiré par la volonté, tandis que tout le reste tient à la nécessité ». Ainsi ce grand orateur, en vantant la philosophie, en rappelant ce quil avait appris des philosophes et lexpliquant avec talent et modération, prétend que ces quatre vertus ne sont nécessaires que pour cette vie, où les misères et les douleurs abondent sous nos yeux, et point du tout dans lautre vie, sil est donné dy être heureux au sortir de celle-ci; mais que les âmes vertueuses y trouveront le bonheur uniquement dans la connaissance et dans la science, cest-à-dire dans la contemplation de la nature la plus parfaite et la plus aimable, qui nest autre que celle qui a créé et établi toutes les autres natures. Or, si la justice consiste à être soumis à son empire, évidemment la justice est immortelle; elle ne cessera pas dêtre au sein de cette félicité, mais elle y atteindra son plus haut degré de (532) perfection et de grandeur. Peut-être encore les trois autres vertus y subsisteront-elles aussi: la prudence, sans aucun danger derreur; la force, sans la nécessité de supporter les maux; la tempérance, sans la lutte contre les passions. La prudence alors consisterait à ne préférer ou à négaler aucun bien à Dieu; la force, à sattacher à lui avec une fermeté inébranlable; la tempérance, à ne se complaire en rien de défectueux et de coupable. Mais quant à la fonction propre de la justice, de venir au secours des malheureux; à celle de la prudence, de se précautionner contre les embûches; à celle de la force, de supporter les événements fâcheux; à celle de la tempérance, de réprimer les jouissances illicites, il nen sera plus question là où tout mal sera inconnu. Par conséquent, les opérations de ces vertus, nécessaires pour cette vie mortelle, seront, comme la foi même à laquelle elles se rattachent, rangées parmi les choses passées. Maintenant elles forment une trinité quand elles sont présentes à notre mémoire, que nous les voyons et que nous les aimons; mais elles en formeront une autre alors, quand, à laide de certaines traces quelles auront laissées chez nous en passant, nous verrons quelles ne sont plus, mais quelles ont été trinité qui se composera de ce vestige quelconque conservé dans la mémoire, de la connaissance exacte que nous en aurons et de la volonté qui viendra en tiers unir ces deux choses entre elles.
CHAPITRE X.COMMENT LA TRINITÉ SE FORME DANS LÂME QUI SE SOUVIENT DELLE-MÊME, SE COMPREND ET SAIME.
13. Parmi les choses temporelles dont nous avons parlé et qui font lobjet de la science, il en est qui sont susceptibles dêtre connues avant quon ne les connaisse; comme, par exemple, les choses sensibles qui existent en réalité avant quon en ait connaissance; ou encore celles qui sont connues par lhistoire. Il en est dautres qui commencent dans le moment même, comme quand, par exemple, un objet visible qui nexistait pas du tout, surgit tout à coup devant nos yeux, et nest évidemment pas antérieur à la connaissance que nous en avons; ou encore quand un son se fait entendre, et commence et finit en même temps que laudition de celui qui lécoute. Mais les unes et les autres, soit antérieures à la connaissance, soit simultanées, engendrent leur connaissance et nen sont point engendrées. Et quand une fois connues et renfermées dans la mémoire, elles sont revues, qui ne voit que ce classement dans la mémoire est antérieur à la vision résultant du souvenir et à la réunion des deux, formée par la volonté ? Mais dans lâme il nen est pas ainsi : lâme nest pas accidentelle pour elle-même, comme si elle était telle par elle-même et quil lui vînt dailleurs une autre elle-même quelle nétait pas dabord, ou du moins comme si, sans venir du dehors, il lui naissait dans elle-même quelle était, une autre elle-même quelle nétait pas, par exemple, comme la foi qui nétait pas dans lâme, et naît dans lâme qui était déjà âme auparavant ; ou comme quand, postérieurement à la connaissance quelle a delle-même, elle se voit, par le souvenir, établie en quelque sorte dans sa propre mémoire, comme si elle ny eût pas été avant de sy connaître, bien que certainement depuis quelle a commencé dêtre, elle nait jamais cessé de se souvenir delle-même, de se comprendre et de saimer, ainsi que nous lavons déjà fait voir. Par conséquent lorsquelle se tourne vers elle-même par la connaissance, il se forme une trinité où déjà on peut découvrir le verbe : car il est formé de la pensée, et la volonté les unit lun à lautre. Cest donc là surtout quil faut reconnaître limage que nous cherchons.
CHAPITRE XI.SE SOUVIENT-ON MÊME DES CHOSES PRÉSENTES?
14. Mais, dira-t-on, que lâme se souvienne delle-même alors quelle est toujours présente à elle-même, ce nest pas de la mémoire. Cest au passé quappartient la mémoire, et non au présent. En effet, ceux qui ont traité des vertus, entre autres Cicéron, ont divisé la prudence en trois parties : la mémoire, lintelligence, la prévoyance, attribuant au passé la mémoire, au présent lintelligence, et à lavenir la prévoyance qui nest infaillible que chez ceux qui connaissent les choses futures : privilège refusé aux hommes, à moins quil ne leur vienne den haut comme aux prophètes. Aussi le sage, en parlant des hommes, a dit: « Les pensées des hommes sont timides, et nos (533) prévoyances sont incertaines (Sag., IX, 14 ) ». Mais la mémoire est certaine du passé et lintelligence du présent, du présent immatériel, bien entendu : car les objets corporels sont présents aux yeux du corps. Quant à celui qui prétend quon ne se souvient pas du présent, quil veuille bien écouter ce quen ont dit les écrivains profanes eux-mêmes, plus occupés de la justesse des expressions que de lexactitude des pensées: du style que de la vérité : « Ulysse ne peut souffrir de telles horreurs, et il ne soublie point lui-même dans un danger si pressant (Enéide, liv., III, V. 628, 629 ) ». En disant quUlysse ne soublia pas lui-même, Virgile a-t-il entendu dire autre chose sinon quil se souvint de lui-même? Et cependant, si la mémoire ne sappliquait pas aux choses présentes, Ulysse naurait pu se souvenir de lui, puisquil était toujours présent à lui-même. Ainsi donc, comme, par rapport au passé, on appelle mémoire la faculté dy revenir par la pensée et de sen souvenir; de même, par rapport au présent ce que lâme est toujours pour elle-même on peut avec raison appeler mémoire la faculté dêtre présente à elle-même de manière à ce quelle puisse être comprise par sa propre pensée, et à ce que ces deux choses soient unies entre elles par lamour quelles se portent.
CHAPITRE XII.LA TRINITÉ QUI SE FORME DANS LAME EST LIMAGE DE DIEU QUAND LÂME SE SOUVIENT DE DIEU, LE COMPREND ET LAIME : CE QUI FORME PROPREMENT LA SAGESSE.
15. Ce nest pas parce que lâme se souvient delle-même, se comprend et saime elle-même, que la trinité quelle renferme est limage de Dieu; mais parce quelle peut aussi se souvenir de Celui qui la créée, le comprendre et laimer. Cest par là quelle devient sage. Si elle ne le fait pas, elle a beau se souvenir delle-même, se comprendre et saimer elle-même, elle est insensée. Quelle se souvienne donc du Dieu à limage duquel elle a été faite, quelle le comprenne et quelle laime; en deux mots, quelle honore le Dieu incréé, qui la créée capable de le comprendre et quelle peut posséder. Cest pour cela quil est écrit: « Honorer le Seigneur, voilà la sagesse (Job., XXVIII, 28 ) ». Ce nest point par sa propre lumière que lâme sera sage, mais par participation à cette lumière souveraine; et, là où elle sera immortelle, elle règnera au sein du bonheur. Ainsi entendue, la sagesse de lhomme nest autre chose que la sagesse de Dieu. Cest alors seulement quelle est vraie; car la sagesse humaine nest que vanité. Mais ce nest point dans le même sens que Dieu est sage: car il ne lest pas par participation à lui-même, comme lâme lest par participation à Dieu. Mais comme on appelle justice de Dieu, non-seulement celle par laquelle il est juste, mais encore celle quil communique à lhomme quand il justifie limpie celle dont parle lApôtre quand il dit, à propos de certains juifs: « Ignorant la justice de Dieu et cherchant à établir la leur, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu (Rom., X, 3 ) » ainsi peut-on dire de certains hommes: Ignorant la sagesse de Dieu et cherchant à établir la leur, ils ne se sont pas soumis à la sagesse de Dieu. 16. Il y a donc une nature incréée, qui a créé toutes les natures grandes et petites, plus parfaite, sans aucun doute, que tout ce quelle a créé, et, par conséquent, que cette nature raisonnable et intelligente dont nous parlons et qui est lâme de lhomme, créée à limage de son auteur. Or, cette nature, plus parfaite que toutes les autres , cest Dieu. Et « Dieu nest pas loin de chacun de nous », comme dit lApôtre, qui ajoute aussitôt : « car cest en lui que nous vivons, que nous nous mouvons et que nous sommes (Act., XVII, 27, 28 ) ». Sil sagissait ici du corps, on pourrait comprendre que lApôtre parle du monde matériel : Car là aussi notre corps vit, se meut et existe. Cest donc de lâme faite à limage de Dieu quil faut entendre ces paroles, dans un sens plus digne, qui nait pas trait au monde visible, mais au monde invisible. Car est-il une créature qui ne soit en Celui dont les divines Ecritures nous disent: «Puisque cest de lui, et par « lui et en lui que sont toutes choses (Rom., XI, 36 ) ? » Or, si tout est en lui, en qui peut vivre ce qui vit, et se mouvoir ce qui se meut, sinon en Celui en qui tout est? Cependant tous les hommes ne sont pas avec lui comme y était celui qui lui disait : « Je suis toujours avec vous (Ps., LXXII, 23. )». Ni lui-même nest point avec tous dans le sens où nous disons: « Le Seigneur soit avec vous ». Cest donc un grand malheur pour lhomme de ne pas être avec Celui sans lequel il ne peut être. Car (534) il ne peut évidemment être sans Celui en qui il est; et cependant sil ne sen souvient pas sil ne le comprend pas et ne laime pas, il nest pas avec lui. Or il nest pas possible de rappeler à quelquun ce quil a complètement oublié.
CHAPITRE XIII.COMMENT ON PEUT OUBLIER DIEU ET SEN SOUVENIR.
17. Prenons un exemple dans le monde visible. Quelquun que tu ne reconnais pas te dit: Tu me connais, et pour fixer ton esprit, il te rappelle où, quand et comment tu las connu. Si tu ne le reconnais pas après toutes les indications propres à réveiller ta mémoire, cest que tu las oublié au point que tout souvenir en est effacé dans ton esprit. Il ne te reste pas autre chose à faire que de croire, sur sa parole, que tu las réellement connu; et encore faut-il pour cela que celui qui te parle te paraisse digne de foi. Mais si tu ten souviens, tu rentres immédiatement dans ta mémoire, et tu y trouves ce que loubli navait pas encore entièrement effacé. Revenons maintenant au sujet que nous avons voulu éclaircir par cette comparaison, tirée de la société humaine. Entre autres choses, nous lisons dans le psaume neuvième: « Que les impies soient précipités dans lenfer, toutes les nations qui oublient Dieu (Ps., IX, 18 ) »;dautre part on lit dans le psaume vingt et unième: « Tous les peuples de la terre se souviendront et se tourneront vers le Seigneur (Ps., XXI, 28 ) ». Ces nations navaient donc pas oublié Dieu jusquau point quon ne pût en réveiller le souvenir chez elles. Mais en oubliant Dieu, comme si elles eussent oublié leur vie, elles sétaient tournées vers la mort, cest-à-dire vers lenfer. Puis, se souvenant, elles se tournent vers le Seigneur, comme si elles eussent revécu, en se rappelant leur vie quelles avaient oubliée. On lit encore dans le psaume quatre-vingt-treizième: « Comprenez maintenant, vous qui êtes insensés au milieu du peuple; hommes stupides, devenez donc enfin sages. Quoi ! Celui qui forma loreille, nentendra pas (Ps., XCIII, 8, 9 )? etc.... » Ceci sadresse à ceux qui, faute de comprendre Dieu, en disent des choses qui nont point de sens.
CHAPITRE XIV.LAME, EN SAIMANT CONVENABLEMENT, AIME DIEU; SI ELLE NE LAIME PAS, ON DOIT DIRE QUELLE SE HAIT ELLE-MÊME. QUELLE SE TOURNE VERS DIEU POUR SE SOUVENIR DE LUI, LE COMPRENDRE, LAIMER, ET, PAR LA MÊME, ÊTRE HEUREUSE.
18. Nous trouvons, dans les divines Ecritures, une multitude de textes sur lamour de Dieu. Là aussi on comprend parfaitement ces deux points : que personne naime ce dont il ne se souvient pas, ni ce quil ignore entièrement. De là ce commandement principal et si connu : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu (Deut., VI, 5 ). » Telle est la nature de lâme humaine, que toujours elle se souvient delle-même, que toujours elle se comprend et saime elle-même. Mais comme celui qui hait quelquun cherche à lui nuire, ainsi a-t-on raison de dire que lâme se hait quand elle se nuit. Elle se veut du mal sans le savoir, ne pensant pas que ce quelle veut lui est nuisible; et cependant elle se veut réellement du mal, quand elle veut ce qui lui nuit. Voilà pourquoi il est écrit: «Celui qui aime liniquité, hait son âme (Ps., X ; 6 ) ». Celui donc qui sait saimer, aime Dieu; mais celui qui naime pas Dieu, saimât-il dailleurs cest linstinct de la nature peut passer à juste titre pour se haïr, puisquil agit contre son intérêt et se poursuit lui-même comme un ennemi. Erreur effrayante ! tous veulent ce qui leur est avantageux, et beaucoup ne font que ce qui leur est le plus funeste ! Le poète a décrit une maladie semblable chez les animaux muets : « Grands Dieux, épargnez aux bons et gardez aux méchants de pareilles erreurs ! Ces malheureux se mordaient et se déchiraient les membres dune dent forcenée (Géorg., III, V. 513, 514 )». Ce nétait là quune maladie du corps; pourquoi le poète lappelle-t-il une erreur, sinon parce que tout animal est porté par la nature à se protéger autant quil le peut, et que, sous lempire de ce mal, ceux-là déchiraient les membres mêmes quils auraient voulu conserver? Or, quand lâme aime Dieu, et par conséquent, comme nous lavons dit, se souvient de lui, et le comprend, on lui donne avec raison lordre daimer son prochain comme soi-même, Car ce nest plus dun amour vicieux, mais raisonnable, quelle saime quand elle aime Dieu : Dieu qui non-seulement la faite à son (535) image, mais la renouvelle en détruisant le vieil homme, la réforme quand elle était déformée, la rend heureuse de malheureuse quelle était. Eh bien ! quelle saime tellement que, dans lalternative, elle aimerait mieux perdre tout ce qui est au-dessous delle que de périr elle-même, cependant en abandonnant Celui qui est au-dessus delle pour qui seul elle pourrait conserver sa force afin de jouir de sa lumière, comme le chante le Psalmiste: « Je conserverai ma force pour vous (Ps., LVIII, 10 ) », et ailleurs : « Approchez-vous de lui, et vous serez éclairés (Ps., XXXIII, 6 )» en labandonnant, dis-je, elle est devenue si faible, si ténébreuse, que descendant au-dessous delle-même à des choses qui ne sont pas ce quelle est et auxquelles elle est supérieure, elle sest misérablement prostituée à des amours quelle ne peut vaincre et à des erreurs dont elle ne sait plus se dégager. Ce qui fait que, pénitente par leffet de la compassion divine, elle sécrie par la voix du Psalmiste: « Ma force ma abandonné et la lumière de mes yeux nest plus avec moi (Ps., XXXVII, 11 ) ». 19. Cependant au milieu de ces tristes suites de linfirmité et de lerreur, elle na pu perdre ce que la nature lui a donné : la faculté de se souvenir , de se comprendre et de saimer. Voilà pourquoi le Psalmiste a pu dire ce que je citais plus haut: « Quoique lhomme marche en image, cependant il sagite en vain ; il amasse des trésors et il ne sait qui les recueillera (Ps., XXXVIII, 7 )». Pourquoi en effet amasse-t-il des trésors, sinon parce que sa force la abandonné, cette force par qui il possédait Dieu et navait besoin de rien? Et pourquoi ne sait-il pour qui il amasse, sinon parce que la lumière de ses yeux nest plus avec lui? Cest pourquoi il ne voit pas ce que dit la vérité: « Insensé, cette « nuit même on te redemandera ton âme, et ce que tu as amassé, à qui sera-t-il (Luc., XII, 20 )? »Cependant, comme cet homme marche encore en image, et comme son âme conserve toujours la mémoire, lintelligence et lamour de soi-même : si on lui disait quil ne peut tout garder et quon le mît dans lalternative ou de perdre les trésors quil a amassés, ou de perdre son âme, serait-il donc assez fou pour ne pas préférer son âme à ses trésors? Les trésors trop souvent corrompent lâme; mais lâme que les trésors nont pas corrompue, vit plus facilement et plus librement sans trésors. Et peut-on posséder des trésors autrement que par lâme ? Si lenfant au berceau, quoique né au sein de lopulence et maître de tout ce qui lui appartient de droit, ne possède rien parce que son âme est aux langes, comment quelquun privé de son âme pourra-t-il rien posséder? Mais pourquoi parler de trésors que tout le monde, dans lalternative, aimera mieux perdre que de perdre, son âme? Il nest personne qui les mette au dessus, personne même qui les estime à légal des yeux du corps, qui ne sont pas une propriété rare comme celle de lor, mais en vertu desquels tout homme possède le ciel : car, par les yeux du corps, tout homme prend possession de tout ce qui lui fait plaisir à voir. Qui donc dans le cas où il ne pourrait garder les uns et les autres et serait obligé de perdre ses yeux ou ses trésors, ne sacrifierait ses trésors à ses yeux ? Et pourtant, sil était placé dans la même alternative pour ses yeux et son âme, qui ne voit quil préférerait son âme à ses yeux? Lâme sans les yeux est encore une âme humaine, et sans lâme les yeux de la chair sont des yeux de bête. Or qui naimerait mieux être un homme privé de la vue, quun animal doté de la vue? 20. Je dis tout ceci pour faire comprendre en peu de mots aux personnes les moins intelligentes qui pourraient lire ou entendre lire ces pages, combien lâme saime elle-même, encore quelle soit faible et quelle ségare à aimer et à poursuivre à tort ce qui est au-dessous delle. Or elle ne pourrait pas saimer si elle signorait absolument, cest-à-dire si elle ne se souvenait pas delle-même, et ne se comprenait pas; et ce titre dimage de Dieu lui donne une telle puissance quelle peut sattacher à Celui dont elle est limage. Car tel est son rang, non dans lespace local, mais dans la hiérarchie des natures, quelle na que Dieu au-dessus delle. Et quand elle lui est parfaitement unie, elle ne fait plus quun esprit avec lui, ainsi que latteste lApôtre, quand il dit: « Celui qui sunit au Seigneur, est un seul esprit avec lui (Cor., VI, 17 ) ». En ce cas, elle sélève jusquà participer à la nature, à la vérité et au bonheur de Dieu, sans que pour autant Dieu croisse en nature, en vérité et en bonheur. Quand donc elle sera heureusement unie à cette nature, elle vivra dans limmutabilité, et tout ce quelle verra sera immuable pour elle. (536) Cest alors que, suivant la promesse de la divine Ecriture, ses désirs seront rassasiés de bonheur (Ps., CII, 5 ), et dun bonheur immuable, au sein de la Trinité, son Dieu, dont elle est limage et pour que cette image ne puisse plus être altérée, elle sera cachée dans le secret de la face divine (Ps., XXX, 21 ), et remplie par elle dune telle abondance quelle néprouvera plus jamais de plaisir à pécher. Mais, ici-bas, quand elle se voit, elle ne voit point une chose immuable.
CHAPITRE XV.QUOIQUE LÂME ESPÈRE LE BONHEUR, ELLE NE SE SOUVIENT CEPENDANT PAS DE CELUI QUELLE A PERDU, MAIS BIEN DE DIEU ET DES LOIS DE LA JUSTICE.
2l. Lâme ne met certainement pas en doute quelle est malheureuse et quelle espère être heureuse, et elle nespère le bonheur que parce quelle est sujette au changement. Si elle ny était pas sujette, elle ne pourrait pas passer de la misère au bonheur, comme elle tombe du bonheur dans la misère. Et qui aurait pu la rendre misérable sous un Dieu tout-puissant et bon, sinon son péché et la justice de son Maître? Et qui peut la rendre heureuse, sinon son propre mérite et la récompense de son Seigneur? Mais son mérite est leffet de la grâce de Celui-là même dont le bonheur sera sa récompense. Elle ne peut en effet se donner à elle-même la justice quelle a perdue et quelle na plus. Lhomme lavait reçue au moment de sa création, et il la perdue par son péché. Il la reçoit donc, pour mériter par elle de recevoir le bonheur. Ainsi cest en toute vérité que lApôtre dit à lâme, comme si elle commençait à se glorifier dun avantage qui lui fût propre : « Et quas-tu que tu naies reçu? que si tu las reçu, pourquoi ten glorifies-tu comme si tu ne lavais pas reçu (I Cor., IV, 7 )?» Mais quand elle se souvient bien de Dieu, après avoir reçu son Esprit, elle sent parfaitement car elle lapprend par une communication intime du Maître quelle ne peut se relever que par un effet gratuit de son amour, et quelle na pu tomber que par labus de sa propre volonté. A coup sûr, elle ne se souvient pas de son bonheur; ce bonheur a été et nest plus; elle la complètement oublié, et voilà pourquoi le souvenir ne peut en être réveillé. Mais elle sen rapporte là-dessus aux Ecritures de son Dieu, si dignes de foi, écrites par son prophète, racontant la félicité du paradis, et exposant, daprès la tradition historique, le premier bonheur et la première chute de lhomme. Seulement elle se souvient du Seigneur son Dieu : car celui-là est toujours; il na pas été pour ne plus être, il nest pas pour cesser dêtre un jour; mais comme jamais il ne cessera dêtre, ainsi a-t-il toujours existé. Et il est tout entier partout; cest pourquoi lâme vit, se meut et est en lui (Act., XVII, 28 ), cest pourquoi aussi elle peut se souvenir de lui. Non quelle sen souvienne pour lavoir connu dans Adam, ou quelque autre part avant cette vie, ou quand il la formait pour animer le corps : non, elle ne se rappelle rien de cela, tout cela est effacé par loubli. Mais elle sen souvient pour se tourner vers le Seigneur comme vers la lumière qui la frappait encore en un certain sens même quand elle se détournait de lui. Voilà comment les impies eux-mêmes pensent à léternité, et blâment et approuvent avec raison bien des choses dans la conduite des hommes. Or, daprès quelles règles jugent-ils, sinon daprès celles qui enseignent à bien vivre, bien queux-mêmes ne vivent pas comme ils le devraient? Et où les voient-ils, ces règles? Ce nest pas dans leur propre nature, puisque évidemment ces sortes de choses se voient par lâme, et que leurs âmes sont sujettes à changement, tandis que ces règles sont immuables, comme le voit quiconque est capable de le lire en elles-mêmes. Ce nest point non plus dans létat de leur âme, puisque ce sont des règles de justice et quil est constant que leurs âmes vivent dans linjustice. Où ces règles sont-elles écrites? où lhomme injuste reconnaît-il ce qui est juste? Où voit-il quil faut avoir ce quil na pas? Oui, où sont écrites ces lois, sinon dans le livre de cette lumière quon appelle la vérité? Cest de là que dérive toute loi juste et quelle se transporte dans le coeur de lhomme qui pratique la justice, non par déplacement, mais par une sorte dempreinte, comme limage de lanneau passe dans la cire et ne la quitte plus. Quant à celui qui ne pratique pas et voit cependant ce quil faut pratiquer, cest lui qui se détourne de cette lumière et en reste néanmoins frappé. Pour celui qui ne voit pas comment il faut vivre, il est plus excusable de (537) pécher parce quil ne transgresse pas de loi connue; mais il est quelquefois atteint aussi par léclat de cette vérité présente partout, quand on linstruit et quil croit.
CHAPITRE XVI.COMMENT LIMAGE DE DIEU SE RÉFORME DANS LHOMME.
22. Or, ceux qui se souviennent de Dieu pour se tourner vers lui, et se détourner de la difformité qui, au moyen des passions mondaines, les rendait conformes à ce siècle, se réforment sur ce point, en écoutant cette parole de lApôtre : « Ne vous conformez point à ce siècle, mais réformez-vous par le renouvellement de votre esprit (Rom., XII, 2 )». Dès lors limage commence à être réformée par Celui qui la formée. Car elle ne peut pas se réformer elle-même, comme elle a pu se déformer. LApôtre dit encore ailleurs : « Renouvelez-vous dans lesprit de votre âme, et revêtez-vous de lhomme nouveau qui a été créé selon Dieu dans la justice et la sainteté de la vérité (Eph., IV, 23, 24 ) ». Ces expressions : « Créé selon Dieu », ont le même sens que ce qui est dit en un autre endroit: « A limage de Dieu ( Gen., I, 27 )». Mais, en péchant, lhomme a perdu la justice et la sainteté de la vérité; voilà pourquoi limage a perdu sa forme et sa couleur: mais il la reprend, quand il est réformé et renouvelé. Quant à ces mots: « Lesprit de votre âme », on ne doit pas les entendre en ce sens quil y ait ici deux choses distinctes, lâme et lesprit de lâme; mais cela veut dire que si toute âme est esprit, tout esprit nest pas âme. En effet, Dieu est aussi Esprit (I cor., XIV, 14 ), bien quil ne se renouvelle pas, puisquil ne peut vieillir. Il y a donc dans lhomme un esprit qui nest pas lâme, et auquel appartiennent les ressemblances imaginaires du corps. Cest de celui-là que lApôtre dit aux Corinthiens : « Car si je prie de la langue, mon esprit prie, mais mon âme est sans fruit (Jean, XIX, 20 ) ». Il parle ici de ce quon prononce sans le comprendre, et qui ne peut sexprimer si les images des mots matériels nont produit dabord la pensée de lesprit, avant les sons de la bouche. Lâme de lhomme sappelle aussi esprit; cest pourquoi on lit dans lEvangile : « Et la tête inclinée, il rendit lesprit ( Jean, XIX, 20 ) » ce qui veut dire que la mort corporelle eut lieu par le départ de lâme. On parle encore de lesprit de lanimal : expression que le livre de Salomon, lEcclésiaste, emploie de la manière la plus formelle: « Qui sait si lesprit des enfants des hommes monte en haut, et si lesprit des bêtes descend en bas dans la terre (Eccl., III, 21 )? » Il est aussi écrit dans la Genèse que toute chair « ayant en elle un esprit de vie » périt dans le déluge (Gen., VII, 22 ). Le vent, chose évidemment matérielle, porte encore le nom desprit; car on lit dans les psaumes : « Feu, grêle, neige, glace, esprit de tempête (Ps., CXLVIII, 8 ) ». Le mot esprit ayant donc tant de significations diverses, lApôtre entend ici par lesprit de lâme, lesprit qui sappelle lâme. Cest dans un sens analogue que le même Apôtre dit ailleurs : « Par le dépouillement de votre corps de chair (Col., II, 11 ) » ; non quil entende par là deux choses différentes, comme si la chair était distincte du corps; mais le mot corps sappliquant à une foule dobjets qui ne sont pas chair en dehors de la chair il y a beaucoup de corps célestes et terrestres il sest servi de lexpression corps de chair, pour désigner le corps qui est chair. Cest ainsi quil appelle esprit de lâme lesprit qui est lâme. En un autre endroit, il a désigné limage plus expressément, prescrivant le même ordre en dautres termes: « Dépouillez le vieil homme avec ses oeuvres, et revêtez lhomme nouveau, qui se renouvelle par la connaissance de Dieu, selon limage de celui qui la créé (Id., 9, 10 ) ». Dun côté on lit: « Revêtez lhomme nouveau qui a été créé selon Dieu, de lautre: Revêtez lhomme nouveau qui se renouvelle selon limage de celui qui la créé ». Là, lApôtre dit: « Selon Dieu » ; ici : « Selon limage de celui qui la créé ». Là encore: « Dans la justice et la sainteté de la vérité », et ici : « Par la connaissance de Dieu ». Ce renouvellement a donc lieu par la réformation de lâme selon Dieu, ou selon limage de Dieu. Si lApôtre dit « selon Dieu », cest pour exclure lidée quelle puisse être réformée selon une autre créature; et sil dit « selon limage de Dieu », cest pour faire entendre que le renouvellement a lieu là où est limage de Dieu, cest-à-dire dans lâme. Cest dans un sens analogue que nous disons mort selon le corps, et non selon lesprit, le juste qui sort (538) de son corps dans son état de fidélité. Et que veut dire mort selon le corps, sinon mort par le corps ou dans le corps, et non par lâme ou dans lâme? Ou encore quand nous disons: Il est beau selon le corps, ou fort selon le corps, et non selon lâme, quentendons-nous dire sinon : Il est beau ou fort par le corps et non par lâme? Et ainsi dune multitude de locutions de ce genre. Ainsi nous nentendons pas ces expressions : « Selon limage de celui qui la créé », en ce sens que limage selon laquelle lhomme est renouvelé, soit différente de celle qui est renouvelée.
CHAPITRE XVII.COMMENT LIMAGE DE DIEU SE RENOUVELLE DANS LÂME, EN ATTENDANT QUE LA RESSEMBLANCE DE DIEU SE PERFECTIONNE EN ELLE DANS LA BÉATITUDE.
23. Sans doute ce second renouvellement ne se fait pas immédiatement au moment même de la conversion, comme le premier sopère sur-le-champ au moment du baptême par la rémission de tous les péchés, dont il ne reste rien qui ne soit remis. Mais comme autre chose est dêtre guéri de la fièvre, autre chose de recouvrer les forces abattues par la fièvre; ou, encore, autre chose de tirer le trait du corps, autre chose de fermer la blessure quil a causée; de même le premier pas vers la guérison est décarter la cause du mal, ce qui sobtient par la rémission de tous les péchés; et le second, de guérir la maladie elle-même, ce qui a lieu par le progrès insensible dans le renouvellement de limage. Le Psalmiste nous indique cette double opération quand il dit dabord: « Qui pardonne toutes les iniquités » effet du baptême puis : « qui guérit toutes les langueurs (Ps., CII, 3 ) », par des progrès quotidiens, pendant que limage se renouvelle. Cest ce que lApôtre exprime très-clairement en ces termes: « Bien quen nous lhomme extérieur se détruise, cependant lhomme intérieur se renouvelle de jour en jour (II Cor., IV, 16 ) » . Or, « il se renouvelle par la connaissance de Dieu », cest-à-dire « dans la justice et la sainteté de la vérité », daprès les textes mêmes de lApôtre que jai cités plus haut. Celui donc qui se renouvelle par la connaissance de Dieu, par la justice et la sainteté de la vérité et fait des progrès de jour en jour, reporte ses affections du temps à léternité, du visible à linvisible, des choses charnelles aux choses spirituelles; il met toute son ardeur à réprimer et à affaiblir sa passion pour celles-là, à fortifier son amour pour celles-ci. Mais il ne réussit que dans la mesure où Dieu laide. Car le Sauveur lui-même la dit: « Sans moi vous ne pouvez rien faire (Jean, XV, 5 ) ». Quiconque sera surpris par le dernier jour de sa vie dans cette foi au Médiateur, dans ces progrès et ces succès, sera conduit au Dieu quil a honoré pour recevoir de lui sa perfection, il sera accueilli par les saints anges, et reprendra à la fin du monde son corps incorruptible, non pour le châtiment, mais pour la gloire. Alors la ressemblance de Dieu sera parfaite dans cette image, puisque la vision de Dieu y sera parfaite. Cest de quoi parle lApôtre quand il dit: « Nous voyons maintenant à travers un miroir en énigme, mais alors nous verrons face à face (I Cor., XIII, 12 ) ». Et encore : « Pour nous, contemplant à face découverte la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image de clarté en clarté, comme par lEsprit du Seigneur (II Cor., III, 18 )» : et cest ce qui arrive dans ceux qui font de jour en jour des progrès dans le bien.
CHAPITRE XVIII.FAUT-IL, DAPRÈS LES PAROLES DE SAINT JEAN, VOIR AUSSI DANS LIMMORTALITÉ DU CORPS, NOTRE FUTURE RESSEMBLANCE AVEC LE FILS DE DIEU?
24. Lapôtre Jean dit: « Mes bien-aimés, nous sommes maintenant enfants de Dieu; mais on ne voit pas encore ce que nous serons; nous savons que lorsquil apparaîtra nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel quil est (I Jean, III, 2 ) ». Daprès ce texte, on voit que la ressemblance avec Dieu sera parfaite dans son image, quand celle-ci aura reçu la pleine vision de la divinité. Du reste, ces paroles de lapôtre Jean semblent sappliquer même à limmortalité du corps. Car ici aussi nous serons semblables à Dieu, mais à Dieu le Fils seulement, puisque seul entre les personnes de la Trinité, il a pris un corps, dans lequel il est mort et ressuscité et quil a introduit dans le séjour éternel. Ce (539) sera donc encore limage de Dieu quand nous aurons comme lui un corps immortel et que nous serons, sous ce point de vue conformes à limage, non du Père ou du Saint Esprit, mais du Fils seulement, puisque ces de lui seul quil est dit : « Le Verbe a été fait chair (Jean, I, 14 ) », comme le maintient la foi orthodoxe. De là ces paroles de lApôtre : « Ceux quil a connus par sa prescience, il les a aussi prédestinés à être conformes à limage de son Fils, afin quil fût lui-même le premier-né entre beaucoup de frères (Rom., VIII, 29 ) », cest-à-dire « premier-né dentre les morts», comme le dit le même Apôtre (Col., I, 18) ; parla mort, la chair a été semée dans labjection, et est ressuscitée dans la gloire. Selon cette image du Fils, à laquelle nous devenons conformes par limmortalité de notre corps, nous faisons ce que conseille encore lApôtre : « Comme donc nous avons porté limage du terrestre, portons aussi limage du céleste (I Cor., XV, 43-49 )»; afin de croire véritablement et despérer inébranlablement quaprès avoir été mortels selon Adam, nous serons immortels selon le Christ. Cest ainsi que nous pouvons porter la même image que lui, non encore dans la vision, mais dans la foi, non encore en réalité, mais en espérance; car cétait de la résurrection que lApôtre parlait en disant cela.
CHAPITRE XIX.CEST BIEN PLUTOT DE NOTRE PARFAITE RESSEMBLANCE AVEC LA TRINITÉ DANS LA VIE ÉTERNELLE, QUIL FAUT ENTENDRE LES PAROLES DE SAINT JEAN. LA SAGESSE EST PARFAITE AU SEIN DE LA BÉATITUDE.
25. Quant à limage dont il est dit: « Faisons lhomme à notre image et à notre ressemblance (Gen., I, 26 ) », comme le texte ne dit pas à mon image ni à ton image, nous croyons que lhomme a été fait à limage de la Trinité et nous avons mis toute la diligence possible à le bien comprendre. Cest donc plutôt en ce sens quil faut entendre ce que dit lapôtre saint Jean : « Nous serons semblables à lui, quand nous le verrons tel quil est », parce que ce mot « lui » se rapporte à celui dont il a dit: « Nous sommes les enfants de Dieu I Jean, III, 2 ) ». Et limmortalité de la chair sopérera au moment même de la résurrection, daprès le témoignage de saint Paul: « En un clin doeil, au son de la dernière trompette, les morts ressusciteront incorruptibles, et nous, nous serons changés (I Cor., XV, 52 . ) ». En effet, en un clin doeil, avant le jugement, ce corps animal qui est semé maintenant dans linfirmité, dans la corruption et labjection, ressuscitera spirituel, dans la force, dans lincorruptibilité et dans la gloire. Et limage qui se renouvelle de jour en jour, non extérieurement, mais intérieurement, dans lesprit de lâme par la connaissance de Dieu, sera perfectionnée par la vision, qui aura lieu alors, après le jugement, face à face, et qui maintenant avance à travers un miroir en énigme (Id., XIII, 12). Cest de cette perfection quil faut entendre ces paroles: « Nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel quil est ». Ce don nous sera fait quand on nous aura dit : « Venez, bénis de mon Père; possédez le royaume préparé pour vous (Matt., XXV, 34 ) ». Alors limpie disparaîtra, pour ne pas voir la gloire du Seigneur (Is., XXVI, 10. ), quand ceux qui seront à gauche iront au supplice éternel, et que ceux qui seront à droite entreront dans léternelle vie (Matt. XXV, 46 ). Or, comme la dit la vérité, « la vie éternelle, cest quils vous connaissent, vous seul vrai Dieu, et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ (Jean, XVII, 3 ) ». 26. Cette sagesse contemplative la même, ce me semble, que celle que les saintes Ecritures distinguent de la science sous le nom de sagesse nappartient quà lhomme; mais lhomme ne la point de lui-même; il la tient de celui dont la participation peut seule rendre lâme vraiment raisonnable et intelligente. Cicéron la recommande en ces termes, à la fin de son dialogue dHortensius: « Nous qui méditons ces choses jour et nuit, qui exerçons notre intelligence le regard de lâme et veillons à ne point la laisser sémousser, cest-à-dire nous qui sommes philosophes, nous avons grand espoir, que si ce que nous sentons et ce que nous goûtons est mortel et périssable, du moins, au terme de notre carrière mortelle, la mort nous sera agréable, que lanéantissement ne nous sera point pénible, mais sera plutôt le repos de notre vie; ou si, selon lopinion danciens philosophes, les plus grands et de beaucoup les plus illustres, nous avons des âmes immortelles et divines, il faut croire quelles (540) monteront et rentreront dautant plus facilement au ciel quelles auront mieux suivi leur carrière, cest-à-dire cédé à la raison et au désir de savoir, et quelles se seront moins mêlées et embarrassées dans les vices et les erreurs des hommes ». Puis dans une courte conclusion, il répète encore la même pensée : « Ainsi donc, pour terminer enfin cette discussion, soit que nous désirions une mort paisible après une vie livrée à ces occupations, soit que nous devions passer immédiatement de ce séjour à un autre bien préférable, nous devons consacrer à ces études tous nos travaux et tous nos soins ». Ici je métonne que cet homme, doué dun si grand génie, promette, au terme de la carrière mortelle, une mort agréable à des philosophes dont le bonheur est la contemplation de la vérité, si ce que nous sentons et ce que nous goûtons est mortel et périssable: comme sil sagissait de la mort et de la destruction de quelque chose que nous naimerions pas ou que nous haïrions mortellement et dont lanéantissement nous serait agréable. Mais il ne tenait point cette doctrine des philosophes dont il fait un si bel éloge; il lavait empruntée à la nouvelle Académie où il avait appris à douter des vérités les plus évidentes. Ce quil tenait de ces philosophes « les plus grands et de beaucoup les plus illustres », comme il en convient lui-même, cest que les âmes sont immortelles. Or il est à propos dexciter par là des âmes immortelles à poursuivre, jusquau terme de cette vie, la carrière de la raison, la recherche de la vérité, et à se dégager le plus possible des vices et des erreurs des hommes, afin de faciliter leur retour vers Dieu. Mais cette carrière, qui consiste dans lamour et la recherche de la vérité, ne suffit point à des malheureux, cest-à-dire à des hommes mortels aidés de leur seule raison et privés de la foi au Médiateur. Cest ce que je me suis efforcé de démontrer dans les autres parties de cet ouvrage, particulièrement dans le quatrième et le treizième livre. (541)
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