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LIVRE DOUZIÈME : TRINITÉ DANS LA SCIENCE.
Distinction entre la Sagesse et la Science. Trinité particulière dans la science proprement dite. Bien que cette Trinité appartienne déjà à lhomme intérieur, cependant on ne doit pas lappeler ni la croire limage de Dieu.
LIVRE DOUZIÈME : TRINITÉ DANS LA SCIENCE.
LHOMME EXTÉRIEUR ET LHOMME INTÉRIEUR.
LHOMME SEUL, PARMI LES ANIMAUX, DÉCOUVRE LES RAISONS ÉTERNELLES DES CHOSES DANS LE MONDE MATÉRIEL.
PEUT-ON VOIR LIMAGE DE LA TRINITÉ DANS LUNION DE LHOMME ET DE LA FEMME, ET LEUR PROGÉNITURE?
IL FAUT REJETER CETTE OPINION.
COMMENT LHOMME EST LIMAGE DE DIEU. LA FEMME NEST-ELLE PAS AUSSI LIMAGE DE DIEU?
COMMENT SEFFACE LIMAGE DE DIEU.
ON NE DESCEND QUE PAR DEGRÉS DANS LABÎME DU VICE.
LIMAGE DE LANIMAL DANS LHOMME.
OPINION DE CEUX QUI ONT VOULU REPRÉSENTER LÂME PAR LHOMME ET LES SENS PAR LA FEMME.
CHAPITRE PREMIER.LHOMME EXTÉRIEUR ET LHOMME INTÉRIEUR.
1. Maintenant voyons où est lespèce de limite qui sépare lhomme extérieur et lhomme intérieur. Car tout ce que nous avons dans lâme de commun avec les animaux, est encore avec raison attribué à lhomme extérieur. Ainsi lhomme extérieur ne consiste pas uniquement dans le corps, mais aussi dans ce principe vital qui anime son organisme physique et tous ses sens à laide duquel il est en communication avec le monde extérieur. Les images même des objets sensibles, gravées dans la mémoire et reproduites au regard de la pensée, appartiennent encore à lhomme extérieur. En tout cela nous ne différons pas des animaux, si ce nest que notre corps est debout, et non penché vers la terre. Avertissement donné par le Créateur de ne pas ressembler, par la meilleure partie de nous-mêmes, cest-à-dire par notre âme, aux animaux dont nous différons par la nature. Ne prostituons pas même notre âme aux corps les plus sublimes; car chercher là le repos de la volonté, cest dégrader son âme. Mais de même que notre corps est naturellement tourné vers les corps les plus élevés, cest-à-dire vers les corps célestes; ainsi lâme, substance spirituelle, doit naturellement se diriger vers ce quil y a de plus élevé dans lordre spirituel, non par un élan dorgueil, mais par amour pour la justice.
CHAPITRE II.LHOMME SEUL, PARMI LES ANIMAUX, DÉCOUVRE LES RAISONS ÉTERNELLES DES CHOSES DANS LE MONDE MATÉRIEL.
2. Les animaux peuvent aussi percevoir les objets extérieurs par les sens du corps, les fixer dans leur mémoire, sen souvenir, y rechercher ce qui leur est avantageux, éviter ce qui leur est nuisible. Mais les remarquer, les confier à la mémoire, non-seulement par un coup doeil rapide, mais à dessein; les retenir, en réveiller le souvenir quand ils commencent à tomber dans loubli, les imprimer de nouveau par la pensée, affermir par la pensée ce qui est dans la mémoire, comme la pensée elle-même se forme daprès la mémoire; composer des fictions imaginaires, en recueillant et cousant pour ainsi dire des souvenirs pris çà et là; voir comment, dans cet ordre de choses, le vraisemblable se distingue du vrai, non dans lordre spirituel, mais même dans le monde matériel : ces opérations et autres de cette espèce, bien que se passant dans les choses sensibles et dans les images que lâme y a puisées par le sens corporel, ne peuvent cependant exister sans la raison et ne sont point communes aux hommes et aux animaux. Mais il appartient à la raison plus élevée de juger de ces choses matérielles daprès les raisons immatérielles et éternelles raisons qui ne seraient évidemment pas immuables, si elles nétaient au-dessus de la raison humaine, et daprès lesquelles nous ne pourrions juger des objets matériels si nous ne nous soumettions à elles. Or nous jugeons des choses matérielles daprès la raison des dimensions et des figures, que notre âme sait être permanente et immuable.
CHAPITRE III.LA RAISON SUPÉRIEURE QUI APPARTIENT A LA CONTEMPLATION ET LA RAISON INFÉRIEURE QUI APPARTIENT A LACTION SONT DANS LA MÊMEÂME.
3. Or ce principe qui agit en nous dans nos rapports avec les objets matériels et temporels, sans toutefois nous être commun avec les animaux, est raisonnable, il est vrai; mais il est comme dérivé de cette substance raisonnable de notre âme qui nous relie jusquà un certain degré à la vérité intellectuelle et immuable, et délégué pour traiter et administrer les choses inférieures. De même que, dans le genre animal, on na trouvé pour le mâle une aide qui lui fût semblable quen la (494) tirant de lui pour en former le couple conjugal; ainsi, dans la partie de notre âme qui se porte vers la vérité supérieure et inférieure il ne sest point trouvé, dans ce qui nous est commun avec les animaux, daide qui lui fût semblable et apte à communiquer avec le monde matériel, dans la mesure des besoins de la nature humaine. Voilà pourquoi cette fonction a été déférée à un certain principe raisonnable, non pour briser lunité par une sorte de divorce, mais en vue de créer un auxiliaire et un associé. Et comme mâle et femelle ne sont quune seule chair, ainsi lintelligence et laction, le conseil et lexécution, la raison et lappétit raisonnable soit quon les désigne ainsi, soit quon trouve des expressions plus justes appartiennent à une seule et même nature dâme. Et comme on a dit de lhomme et de la femme : «Ils seront deux en une seule chair (Gen., II, 24 )», ainsi doit-on dire de ces facultés : Elles sont deux en une seule âme.
CHAPITRE IV.LA TRINITÉ ET LIMAGE DE DIEU NE SE TROUVENT QUE DANS LA PARTIE DE LAME QUI PEUT CONTEMPLER LES CHOSES ÉTERNELLES.
1. Quand donc nous dissertons sur la nature de lâme humaine, nous entendons ne parler que dune seule chose, et nous ne la dédoublons que par rapport aux fonctions dont nous avons parlé. Ainsi quand nous cherchons la trinité dans lâme tout entière; nous ne séparons point laction raisonnable dans le monde matériel de la contemplation des choses éternelles, comme si nous avions à chercher un tiers pour compléter la trinité. Il faut que la trinité se trouve dans la nature de lâme prise dans son intégrité, tellement quen dehors de laction dans les choses corporelles qui exige un auxiliaire fonction remplie par une certaine partie de lâme déléguée pour ladministration des choses inférieures la trinité se retrouve dans lâme une, non disséminée; puis, la distribution demplois étant faite il faut quon retrouve dans la partie seule qui appartient à la- contemplation des choses éternelles, non-seulement la trinité, mais encore limage de Dieu; et que si dans la partie déléguée pour laction dans le monde temporel, il se trouve une trinité, du moins, on ny rencontre pas limage de Dieu.
CHAPITRE V.PEUT-ON VOIR LIMAGE DE LA TRINITÉ DANS LUNION DE LHOMME ET DE LA FEMME, ET LEUR PROGÉNITURE?
5. Je ne regarde donc point comme probable lopinion de ceux qui pensent que la nature hum-aine offre limage de la Trinité dun Dieu en trois personnes, dans lunion conjugale de lhomme et de la femme, complétée par leur progéniture : en sorte que lhomme représenterait la personne du Père, lenfant né de lui, la personne du Fils, et la femme, celle du Saint-Esprit, vu quelle a procédé de lhomme sans être ni son fils ni sa fille (Gen., II, 22. ), bien que lenfant soit conçu et né delle. En effet le Seigneur a dit du- Saint-Esprit quil procède du Père (Jean, XV, 26 ), et cependant il nest pas son Fils. Dans cette opinion erronée, il ny a quune chose admissible; cest que, daprès lorigine de la femme et le témoignage de la sainte Ecriture, on ne peut pas appliquer le nom de fils à foute personne procédant dune autre personne, puisque la personne de la femme est sortie de celle de lhomme, sans quon lait pour cela nommée sa fille. Mais tout le reste est tellement absurde, tellement faux, quil est très-facile de le réfuter. Et dailleurs je aie parle pas de ce quil y a détrange à regarder le Saint-Esprit comme la Mère du Fils de Dieu et lEpouse du Père; car on me répondrait peut-être que ces ternies ne sont blessants que quand ils sappliquent à la conception et à lenfantement charnels; que du reste les hommes purs, pour qui tout est pur, pensent à cela avec une chasteté parfaite; mais que pour les impurs et les infidèles, qui ont lâme et la conscience souillées (Tit., I, 15 ), il est si vrai quil ny arien de pur quil répugne même à quelques-uns dentre eux que le Christ soit né dune Vierge selon la chair. Mais dans ces hauteurs spirituelles et sublimes, où rien nest sujet à limpureté ni à la corruption, où rien nest né du temps, ni formé dun être imparfait, si lon emploie le langage qui a servi de type pour exprimer ce qui se passe, quoique à une très-grande distance, dans lordre inférieur de la création, il ne faut pas quune timide sagesse sen effarouche, de peur de tomber dans une pernicieuse erreur, en cédant à une crainte imaginaire. Quelle saccoutume à trouver, dans les choses matérielles, un (496) vestige des choses spirituelles, de manière que, quand il sagira de monter sous la direction de la raison, pour parvenir à la vérité immuable par qui tout a été fait, elle nemporte pas avec elle dans les régions supérieures ce quelle méprise dans les régions inférieures. Quelquun na pas rougi de choisir la sagesse pour épouse, bien que ce mot dépouse fasse naître dans lesprit la pensée dune union charnelle en vue de la génération, et que la sagesse soit supposée du sexe féminin, puisque le substantif qui la désigne est féminin en latin et en grec.
CHAPITRE VI.IL FAUT REJETER CETTE OPINION.
6. Si nous rejetons cette opinion, ce nest donc pas parce que nous craignons de regarder la sainte, incorruptible et immuable charité comme lépouse du Père, et procédant de lui, et non comme une fille destinée à engendrer le Verbe par qui tout a été fait; mais parce quelle est formellement démontrée fausse par lEcriture. Dieu dit en effet: « Faisons lhomme à notre image et à notre ressemblance»; et ensuite peu après on lit: « Et Dieu fit lhomme à limage de Dieu (Gen., I, 26, 27. ) » Evidemment le mot « notre », se rapportant à un pluriel, ne serait plus juste si lhomme était fait à limage dune seule personne, soit le Père, soit le Fils, soit le Saint-Esprit; mais comme il est fait à limage de la Trinité, voilà pourquoi on dit : « A notre image ». Dautre part, de peur quon ne croie à trois dieux dans la Trinité, quand la Trinité nest quun seul Dieu, on ajoute : « Et Dieu fit lhomme à limage de Dieu », ce qui équivaut à dire : à son image. 7. Il y a, dans les saintes lettres, certaines locutions auxquelles quelques-uns, quoique catholiques sincères, ne font pas assez attention. Ils pensent, par exemple, que ces mots « Dieu fit à limage de Dieu », signifient : le Père fit à limage du Fils. Par là ils veulent prouver que dans les saintes Ecritures, le Fils est aussi appelé Dieu, comme sil nexistait pas des passages très-solides et très-clairs où le Fils est appelé non-seulement Dieu, mais vrai Dieu. En cherchant dans ce texte une autre solution, ils se jettent dans un embarras inextricable. En effet, si le Père a créé à limage du Fils, tellement que lhomme ne soit pas limage du Père, mais du Fils, le Fils nest donc pas semblable au Père. Si au contraire la vraie foi enseigne et elle lenseigne que le Fils est semblable au Père jusquà légalité dessence, ce qui est fait à la ressemblance du Fils est nécessairement fait à la ressemblance du Père. Enfin, si le Père a fait lhomme, non à son image, mais à limage de son Fils, pourquoi na-t-il pas dit : Faisons lhomme à ton image et à ta ressemblance, mais à la « nôtre? » Nest-ce pas parce que limage de la Trinité se faisait dans lhomme, de manière à ce que lhomme fût limage du seul vrai Dieu, parce que la Trinité elle-même est le seul vrai Dieu? Il y a une multitude de locutions de ce genre dans les Ecritures; il nous suffira de citer les suivantes. On lit dans les Psaumes: « Le salut appartient au Seigneur, et votre bénédiction se répand sur votre peuple (Ps., III, 9) »; comme si on parlait à un autre, et non à Celui dont on vient de dire: « Le salut appartient au Seigneur ». Et ailleurs : « Cest vous qui me sauverez de la tentation et, plein despérance en mon Dieu, je franchirai la muraille (Ps., XVII, 30 ) », comme si ces paroles : « Cest vous qui me sauverez de la tentation », sadressaient à un autre. Puis: « Les peuples tomberont à vos pieds, contre le coeur des ennemis du Roi (Ps., XLIV, 6 ) », ce qui équivaut à dire: contre le coeur de vos ennemis. En effet, le Prophète avait dit au Roi, cest-à-dire à Notre-Seigneur Jésus-Christ : « Les peuples tomberont à vos pieds », et cest ce roi quil entend, quand il ajoute : « Contre le coeur des ennemis du Roi ». Ces exemples sont plus rares dans les livres du Nouveau Testament. Cependant lApôtre écrit aux Romains : « Touchant son Fils, qui lui est né de la race de David selon la chair, qui a été prédestiné Fils de Dieu en puissance selon lEsprit de sanctification, par la résurrection dentre les morts, de Jésus-Christ Notre-Seigneur (Rom., I, 3, 4 )» : comme sil se fût agi dun autre plus haut. Quest-ce en effet que le Fils de Dieu prédestiné par la résurrection dentre les morts de Jésus-Christ, sinon le même Jésus-Christ qui a été prédestiné Fils de Dieu en puissance? Par conséquent, quand nous entendons dire: « Fils de Dieu en puissance de Jésus-Christ», ou (497) encore : « Fils de Dieu par la résurrection dentre les morts de Jésus-Christ », alors que lApôtre aurait pu dire, selon le langage ordinaire : En sa puissance, ou : selon lEsprit de sa sanctification, ou: par sa résurrection dentre les morts, ou dentre ses morts; quand nous lisons cela, dis-je, nous ne nous croyons point du tout obligés de supposer une autre personne, mais bien la seule et même, à savoir celle du Fils de Dieu, Notre-Seigneur Jésus-Christ. De même quand nous entendons dire: «Dieu fit lhomme à limage de Dieu », bien quon aurait pu dire en termes plus conformes à lusage : à son image, nous ne sommes point obligés de chercher une autre personne dans la Trinité, mais nous ny voyons que la seule et même Trinité, qui est un seul Dieu et à limage de laquelle lhomme a été fait. 8. Cela établi, si nous devons chercher limage de la Trinité , non dans un seul homme, mais dans trois, Père, Mère et Fils, lhomme nétait donc pas fait à limage de Dieu avant que sa femme fût formée et quils eussent un fils, puisquil ny avait pas trinité jusqualors. Dira-t-on quil y avait déjà Trinité, puisque la femme, quoique encore privée de sa forme propre, était cependant contenue virtuellement dans le flanc de son mari, comme le fils dans les entrailles du père? Pourquoi alors lEcriture, après avoir dit . « Dieu fit lhomme à limage de Dieu», ajoute-t-elle aussitôt : « Dieu le créa; il les créa mâle et femelle et il les bénit (Gen., I, 27, 28 )?» Ou bien faudrait-il distinguer et dire en premier lieu: « Et Dieu fit lhomme»; puis en second lieu : « Il le fit à limage de Dieu »; et en troisième lieu : « il les créa mâle et femelle? » Car quelques-uns ont eu peur de dire : Il le fit mâle et femelle, pour ne pas donner lieu de croire à quelque chose de monstrueux comme sont les hermaphrodites : bien quon puisse en toute vérité comprendre les deux sexes en un seul mot singulier, puisquil est dit: « Deux dans une seule chair ». Pourquoi donc, comme je le disais dabord, dans la nature humaine faite à limage de Dieu, lEcriture ne mentionne-t-elle que mâle et femelle? Il semble que pour compléter limage de la Trinité, il aurait fallu parler aussi du fils quoique encore renfermé dans les entrailles du père, comme la femme létait dans le flanc du mari. Ou bien la femme était-elle déjà créée, et lEcriture a-t-elle dit en très-peu de mots ce quelle devait dire ensuite plus au long en expliquant la formation de la femme, tandis que le fils naurait pu être mentionné, puisquil nétait pas encore né? Comme si lEsprit-Saint naurait pas pu renfermer aussi lidée du fils dans ce peu de mots, en se réservant de raconter plus tard sa naissance, ainsi quil a raconté un peu plus bas la manière dont la femme a été tirée de lhomme (Gen., II, 24, 22 ), bien quil nait pas omis de donner ici son nom!
CHAPITRE VII.COMMENT LHOMME EST LIMAGE DE DIEU. LA FEMME NEST-ELLE PAS AUSSI LIMAGE DE DIEU?
9. Ainsi donc, quand on dit que lhomme a été créé à limage de la souveraine Trinité, cest-à-dire à limage de Dieu, il ne faut pas rechercher cette image dans trois êtres humains; surtout en présence de ce passage de lApôtre où il dit que lhomme est limage de Dieu, et lui défend pour cela de voiler sa tête, tandis quil veut que la femme voile la sienne. Voici ses paroles: « Pour lhomme, il ne doit pas voiler sa tête parce quil est limage et la gloire de Dieu. Mais la femme est la gloire de lhomme ». Que dire à cela? Si la femme est nécessaire en personne pour compléter limage de la Trinité, pourquoi après quelle est tirée du flanc de lhomme, lhomme est-il encore appelé limage de la Trinité? Ou si une des trois personnes humaines peut être individuellement appelée image de Dieu, comme dans la souveraine Trinité elle-même chaque personne est Dieu, pourquoi la femme nest-elle pas aussi limage de Dieu? Et cependant on lui ordonne de voiler sa tête précisément parce que cela est défendu à lhomme en qualité dimage de Dieu (I Cor., XI, 7, 5 ). 10. Mais il faut examiner comment lApôtre, en disant que cest lhomme et non la femme qui est limage de Dieu, nest pas en contradiction avec ce texte de la Genèse : « Dieu fit lhomme, il le fit à limage de Dieu, il les créa mâle et femelle et les bénit ». Ici cest la nature humaine qui est dite créée à limage de Dieu; les deux sexes la forment, et en parlant dimage de Dieu, le texte ajoute : « Il le créa mâle et femelle», ou en distinguant plus spécialement: « Il les créa mâle et femelle ». (498) Comment donc lApôtre nous dit-il que lhomme est limage de Dieu et doit, pour cela, ne point voiler sa tête, et que la femme ne lest pas et doit, pour cela, voiler la sienne? Peut-être, comme je le pense et comme je lai déjà dit en parlant de la nature de lâme humaine, la femme avec son mari est-elle limage de Dieu en ce sens que la substance humaine tout entière ,nest quune seule image de Dieu, mais que quand la femme est considérée comme aide qualification qui nappartient quà elle elle cesse dêtre image de Dieu; tandis que le mari, nième pris isolément est limage de Dieu, aussi pleine, aussi entière, que quand la femme ne fait quun avec lui, Cest lexplication que nous avons donnée sur la nature de lâme humaine. Nous avons dit que quand elle est tout entière appliquée à la contemplation de la vérité, elle est limage de Dieu; mais que, lorsquune partie delle-même est comme déléguée et détachée par la volonté pour agir dans le monde matériel, elle nen reste pas moins limage de Dieu dans la partie qui se porte vers la vérité entrevue, tandis quelle cesse de lêtre dans la partie chargée de traiter des choses inférieures. Et comme à mesure quelle sétend vers les choses éternelles, elle reproduit plus fidèlement limage de Dieu, et que de ce côté, on ne doit ni la contenir, ni modérer son élan, voilà pourquoi lhomme ne doit point voiler sa tête. Mais comme dans laction raisonnable qui sexerce sur les choses matérielles et temporelles, il y a un très-grand danger de descendre trop bas, lhomme doit avoir lempire sur sa tête, et cest ce quindique lordre de la voiler afin de la contenir et de la sauvegarder. Interprétation pieuse et sacrée qui est agréable aux saints anges. Car Dieu ne voit pas selon la mesure du temps; il ny a rien de nouveau pour ses yeux et pour sa science, dans les événements temporels et passagers , comme cela arrive pour les sens, charnels chez les hommes et les animaux, célestes chez les anges. 11. La preuve que lapôtre Paul veut figurer un mystère plus profond dans la distinction du sexe masculin et féminin, cest que, tandis quil dit ailleurs que la femme qui est vraiment veuve est délaissée, sans enfants ni petits enfants, et quelle doit cependant espérer au Seigneur et persister jour et nuit dans les prières (I Tim., V, 5 ); ici il indique que la femme séduite et tombée dans la prévarication sera cependant sauvée par la génération des enfants, et ajoute : « Sils demeurent dans la foi, la charité et la sainteté jointe à la tempérance (I Tim., II, 15 ) » : comme sil pouvait être nuisible à une veuve fidèle ou de ne pas avoir eu denfants, ou de ce que ceux quelle a eus nont pas voulu persévérer dans les bonnes oeuvres. Mais comme les oeuvres quon appelle bonnes, sont pour ainsi dire les enfants de notre vie, dans le sens où lon demande quelle vie chacun mène, cest-à-dire comment il fait ces oeuvres temporelles, ce que les Grecs appellent Bios et non plus Zoé que ces bonnes oeuvres sont principalement les oeuvres de miséricorde, lesquelles sont sans profit pour les païens, pour les Juifs, qui ne croient pas au Christ, pour tous les hérétiques et les schismatiques, chez qui lon ne trouve ni la foi, ni la charité, ni la sainteté jointe à la tempérance : cela étant, dis-je, on voit clairement la pensée de lApôtre; cest dans un sens figuré et mystique quil parle de voiler la tête de la femme, et ses paroles nauraient plus de signification si elles ne se rapportaient à quelque mystère. 12. En effet, comme le déclarent, non-seulement linfaillible raison, mais encore le témoignage de lApôtre, cest selon lâme raisonnable et non selon la forme du corps, que lhomme a été fait à limage de Dieu. Car penser que Dieu est circonscrit et limité par une certaine conformation de membres, cest une opinion misérable et sans fondement. Or le même bienheureux Apôtre ne dit-il pas « Renouvelez-vous dans lesprit de votre âme et revêtez-vous de lhomme nouveau qui a été créé selon Dieu (Eph., IV, 23, 24 ) » ; et ailleurs plus ouvertement : « Dépouillez le vieil homme avec ses oeuvres, et revêtez le nouveau qui se renouvelle à la connaissance de Dieu selon limage de Celui qui la créé (Col., III, 9, 10 )?» Si donc nous nous renouvelons dans lesprit de notre âme, et si cet esprit est lhomme nouveau qui se renouvelle à la connaissance de Dieu selon limage de Celui qui la créé : on ne peut douter que lhomme ait été fait à limage de Celui qui la créé, non selon le corps, ni selon une partie quelconque de son âme, mais selon lâme raisonnable, où peut seulement exister la connaissance de Dieu. Or, selon ce renouvellement, nous devenons aussi enfants de Dieu par le baptême du Christ, et, en nous (499) revêtant de lhomme nouveau, nous nous revêtons aussi du Christ par la foi. Qui donc exclura les femmes de cette participation, alors quelles sont avec nous cohéritières de la grâce et que lApôtre dit ailleurs : « Car vous êtes tous enfants de Dieu par la foi qui est dans le Christ Jésus. Car vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez été revêtus du Christ. Il ny a plus ni Juif, ni Grec; plus desclave, ni de libre; plus dhomme, ni de femme; car vous nêtes tous quune seule chose dans le Christ Jésus (Gal., III, 26, 28 )?» Des femmes fidèles ont-elles donc perdu leur sexe corporel? Non; mais comme elles sont renouvelées à limage de Dieu là où il ny a pas de sexe, lhomme aussi a été fait à limage de Dieu là où il ny a pas de sexe, cest-à-dire dans lesprit de son âme. Pourquoi donc lhomme ne doit-il pas se voiler la tête, parce quil est limage et la gloire de Dieu, tandis que la femme doit voiler la sienne, parce quelle est la gloire de lhomme, comme si elle ne se renouvelait pas dans lesprit de son âme, lequel se renouvelle dans la connaissance de Dieu, selon limage de Celui qui la créé? Cest parce que son sexe la plaçant à distance de lhomme, le voile qui couvre son corps a fort bien pu figurer cette partie de la raison qui soccupe du gouvernement des choses temporelles : ainsi limage de Dieu ne subsiste que dans la partie où lâme humaine sattache à contempler et à consulter les raisons éternelles; partie que les femmes ont évidemment aussi bien que les hommes.
CHAPITRE VIII.COMMENT SEFFACE LIMAGE DE DIEU.
13. Donc on reconnaît que leurs âmes sont de même nature; mais on retrouve dans leurs corps la différence des emplois dune seule et même âme. Aussi quand on monte intérieurement de quelques degrés de contemplation à travers les parties de lâme, dès que lon commence à rencontrer quelque chose qui ne nous soit plus commun avec les animaux, là commence la raison, là on peut déjà reconnaître lhomme intérieur. Que si, entraîné par cette raison à qui est déléguée ladministration des choses temporelles, il descend trop bas dans le monde extérieur, du consentement de sa tête, cest-à-dire nétant point cru pêché ni retenu par la partie qui est au poste du conseil et joue en quelque sorte le rôle de lhomme, il vieillit parmi ses ennemis (Ps., VI, 8 ), parmi les démons jaloux de sa vertu avec le diable leur chef; et la vision des choses éternelles est enlevée au chef même, qui a mangé avec sa femme du fruit défendu, en sorte que la lumière de ses yeux nest plus avec lui (Ps., XXXVII, 11 ). Ainsi nus et privés tous les deux de lillumination de la vérité, les yeux de leur conscience souvrant pour leur faire voir combien ils sont déshonorés et enlaidis, ils fabriquent un tissu de bonnes paroles sans le fruit des bonnes oeuvres, comme qui dirait des feuilles de fruits agréables au goût, mais sans les fruits, afin de couvrir sous un beau langage la honte de leur coupable conduite (Gen., III ).
CHAPITRE IX.SUITE DU MÊME SUJET.
14. En effet, lâme éprise de sa propre puissance, quitte le rang quelle tient dans lordre universel pour sattacher à des intérêts privés. Cédant à cet orgueil rebelle que lEcriture appelle « le commencement de tout péché (Eccli., X, 15 ) », alors quelle aurait pu suivre, au sein de la création, le Dieu qui gouverne lunivers et être parfaitement dirigée par des lois, elle a ambitionné quelque chose de plus que lunivers même quelle sest efforcée dassujettir à sa volonté; et comme il ny a rien de plus que lunivers, elle est refoulée dans un coin de lespace et perd pour avoir trop désiré, ce qui a fait dire à lApôtre que lavarice est « la racine de tous les maux (I Tim., VI, 5 ) »; et tout ce quelle fait, quand elle agit par un motif propre contre les lois qui régissent la création, elle le fait par lentremise de son corps, quelle ne possède quen partie. Mettant ainsi sa complaisance dans les formes et les mouvements des corps et ne les possédant pas en elle-même, elle ségare à travers leurs images fixées dans sa mémoire, se souille misérablement par une fornication imaginaire, dirige toutes ses fonctions vers ces fins, vers la recherche curieuse des choses matérielles et temporelles au moyen de ses sens; ou, bouffie dorgueil, elle aspire à sélever au-dessus des autres âmes, livrées comme elle à lempire des (500) sens, ou enfin elle se plonge dans le sale bourbier de la volupté charnelle.
CHAPITRE X.ON NE DESCEND QUE PAR DEGRÉS DANS LABÎME DU VICE.
15. Quand lâme, dans son intérêt ou dans celui des autres, cherche avec bonne volonté les biens intérieurs et supérieurs, qui ne sont point le lot de quelques-uns, mais la propriété commune de tous ceux qui les aiment, et dont on jouit avec un chaste amour, sans sollicitude et sans jalousie; sil lui arrive alors de se tromper par ignorance dans quelque opération relative aux choses passagères quelle administre dans le temps, et où elle na pas su garder la juste mesure, cest là une tentation qui tient à lhumanité. Et cest une grande chose de passer cette vie, qui nest pour ainsi dire quune voie de retour, sans quil nous survienne autre chose que des tentations qui tiennent à lhumanité (I Cor., X, 13 ). Car cest là une faute hors du corps, qui nest point réputée fornication et par là même se pardonne très-facilement. Mais quand lâme fait quelque chose pour acquérir ce qui excite les sensations du corps, dans le désir de les expérimenter, dy exceller, de les toucher et dy trouver comme le terme de son bonheur, quoi quelle fasse alors, elle pèche et se déshonore; elle commet la fornication en péchant contre son propre corps (Id., VI, 18 ); puis important au dedans delle-même les simulacres trompeurs des objets corporels et bâtissant sur eux des rêves au point de ne plus rien voir de divin hors deux, avare égoïste elle se remplit derreurs, et prodigue égoïste elle se dépouille des vertus (Rétract., liv. II, ch. XV, n. 3 ). Elle ne tombe pas tout dun coup, il est vrai, dans une si honteuse et si misérable fornication, mais il est écrit : « Celui qui méprise les petites choses, tombera peu à peu (Eccli. XIX, 1 ) ».
CHAPITRE XI.LIMAGE DE LANIMAL DANS LHOMME.
16. De même que le serpent ne marche pas à découvert, mais rampe par un jeu imperceptible de ses anneaux; ainsi le mouvement de déchéance commence par de faibles négligences, part dune coupable ambition dêtre comme un Dieu et aboutit à rendre semblable à lanimal. Cest ainsi que nos premiers parents, dépouillés de la robe primitive, furent condamnés à couvrir leurs corps mortels de tuniques de peau (Gen., III, 21 ). Car le véritable honneur de lhomme cest dêtre à limage et à la ressemblance de Dieu : image et ressemblance qui ne se conservent quen se maintenant unies à Celui qui les a gravées. Ainsi, moins lhomme saime lui-même, plus il sattache à Dieu. Mais quand il cède au désir dessayer sa propre puissance, il retombe, par leffet de sa volonté, sur lui-même comme sur son centre. Ainsi pour vouloir être comme Dieu, libre de tout joug, il déchoit, par punition, de sa position moyenne, et est entraîné vers les choses inférieures, cest-à-dire vers les jouissances des animaux. Son honneur étant de ressembler à Dieu, son déshonneur est de ressembler aux animaux: « Placé dans une situation honorable, lhomme na pas compris sa grandeur; il sest assimilé aux animaux privés de raison et leur est devenu semblable (Ps., LVIII, 13 )». Or comment, de si haut, tomberait-il si bas, sans passer par lui-même? En effet, quand, abandonnant lamour de la sagesse qui reste toujours immuable, on ambitionne la science qui se fonde sur lexpérience des choses changeantes et passagères, cette science enfle et nédifie pas (I Cor., VIII, 1 ); lâme comme accablée de son propre poids est exclue de la béatitude, et, par lexpérience de sa propre médiocrité, elle apprend à ses dépens quelle distance il y a entre le bien quelle a perdu et le mal quelle a commis; et vu la dissémination et la perte de ses forces, elle ne peut plus revenir si la grâce de son Créateur ne lappelle à la pénitence et ne lui remet ses péchés. Car qui délivrera lâme malheureuse du corps de cette mort, sinon la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur (Rom., 24, 25 )? Nous parlerons de cette grâce en temps et lieu, avec laide du Seigneur.
CHAPITRE XII.IL SE FAIT UN CERTAIN MARIAGE MYSTÉRIEUX DANS LHOMME INTÉRIEUR. COMPLAISANCE DANS LES PENSÉES ILLICITES.
17. Achevons maintenant, avec laide du Seigneur, de traiter de cette partie de la raison à laquelle appartient la science, cest-à-dire la (501) connaissance des choses temporelles, acquise pour les opérations de cette vie. De même que, lors du mariage bien connu de nos premiers parents, le serpent ne mangea point du fruit défendu, mais détermina seulement à en manger; que, dautre part, la femme nen mangea pas seule, mais en donna à son mari et que tous deux en mangèrent, bien que la femme ait seule conversé avec le serpent et eût seule été séduite par lui (Gen., III, 1-6 );ainsi en est-il de ce qui se passe et se remarque dans lhomme seul; il est séparé de la raison de la sagesse par suite, dun secret et mystérieux mariage avec le mouvement de lâme sensuelle, le mouvement charnel ou, pour ainsi dire, la tendance vers les sens du corps qui nous est commune avec les animaux. En effet, cest par le sens du corps que les choses matérielles se font sentir, et cest par la raison de la sagesse que les choses spirituelles, éternelles et immuables sont comprises. Or, le goût de la science est voisin de la raison, puisque la science, quon appelle daction, raisonne sur les objets matériels qui se font sentir par le sens du corps: et si elle en raisonne bien, cest pour rapporter cette science à la fin ultérieure qui est le souverain bien; si elle en raisonne mal, cest pour sy délecter et y chercher le repos dune félicité trompeuse. Quant à cette intention de lâme, raisonnant vivement et par besoin dagir sur les choses temporelles et matérielles, le sens charnel ou animal insinue un certain attrait à jouir de soi, cest-à-dire à user de soi comme dun bien propre et privé, et non comme dun bien public et commun qui est le bien immuable, alors cest comme le serpent parlant à la femme. Or céder à cet attrait, cest manger du fruit défendu: que si ce consentement se borne à la délectation de la pensée, et que lautorité du conseil supérieur retienne les membres et les empêche de sabandonner au péché comme des instruments diniquité (Rom., VI, 13 ); ce sera comme si la femme mangeait seule du fruit défendu. Mais si le consentement à mal user des choses qui se font sentir par le sens du corps, va jusquà décider que tout péché sera, autant que possible, complété par le corps, cette fois je me figure la femme donnant à son mari le fruit défendu pour quil en mange avec elle. Car il nest pas possible de décider quon ne se contentera pas de se délecter dans la pensée du mal, mais quon passera à laction, si la volonté de lâme qui a le pouvoir de mettre les membres à loeuvre ou de les empêcher dagir, ne consent pas et ne se prête pas à lacte coupable. 18. A coup sûr, par le seul fait que lâme se complaît par la pensée dans des choses illicites, sans être décidée à les exécuter, mais retenant et méditant avec plaisir ce quelle devait repousser à la première apparition, par cela seul, dis-je, on ne peut nier quil y ait péché, mais un péché beaucoup moins grave que sil y avait parti pris de passer à laction. Il faut donc demander pardon pour des pensées de cette sorte, se frapper la poitrine, en disant: « Pardonnez-nous nos offenses», puis faire ce qui suit et ajouter dans la prière: «Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés (Matt., VI, 12 ) ». Car il nen est pas ici, comme dans le cas de nos deux premiers parents, où chacun ne répondait que pour sa personne, tellement que si la femme seule eût mangé du fruit défendu, elle eût certainement seule été punie de mort. On ne peut pas dire que si, dans lhomme pris isolément, la pensée seule se complaît dans des choses illicites dont elle devait se détourner immédiatement, sans quil y ait dailleurs volonté dexécuter le mal, mais seulement délectation causée par réminiscence, on ne peut pas, dis-je, prétendre que la pensée seule mérite punition, comme une femme sans mari : non, gardons-nous de le croire. Car ici il ny a quune personne, il ny a quun homme, et il sera condamné tout entier, à moins que ces péchés commis par la simple pensée, par la seule complaisance en des choses illicites, sans volonté de passer à lexécution, ne soient remis par la grâce du Médiateur. 19. Ainsi cette discussion dont le but était de chercher dans toute âme humaine un certain mariage rationnel entre la contemplation et laction, avec distribution demplois, sans nuire à lunité de lâme, cette discussion, dis-je, à part ce que la divine Ecriture nous raconte en toute vérité des deux premiers hommes vivants, mari et femme, souche du genre humain, na pas dautre but que dexpliquer comment lApôtre, en attribuant limage de Dieu à lhomme et non à la femme, a voulu, dans la différence même du sexe, nous inviter à chercher quelque chose qui fût propre à chaque être humain, pris isolément. (502)
CHAPITRE XIII.OPINION DE CEUX QUI ONT VOULU REPRÉSENTER LÂME PAR LHOMME ET LES SENS PAR LA FEMME.
20. Je sais que, dans les temps qui nous ont précédés, dexcellents défenseurs de la foi catholique et commentateurs des divines Ecritures, en cherchant ces deux principes dans lhomme pris à part, et croyant voir une sorte de paradis dans son âme tout entière, ont pensé que lhomme représentait lintelligence et la femme le sens du corps. En y réfléchissant sérieusement, tout semblerait saccommoder parfaitement à cette hypothèse que lhomme est lintelligence et la femme le sens corporel; si ce nest quil est écrit que, parmi tous les animaux et tous les oiseaux, on ne trouva point daide semblable à lhomme, et qualors la femme fut tirée de son côté (Gen., II, 20-27 ). Voilà pourquoi je nadmets pas que la femme représente le sens corporel, puisque nous voyons quil nous est commun avec les animaux ; jai cherché quelque chose qui manquât à ceux-ci, et jai préféré voir le sens corporel représenté par le serpent qui nous est donné pour le plus rusé de toutes les bêtes de la terre (Id., III, 1 ). En effet, entre les biens naturels qui nous sont communs avec les animaux privés de raison, il possède à un haut degré une certaine vivacité de sens; non pas ce sens dont il est parlé dans ce passage de lépître aux Hébreux : « Cest pour les parfaits quest la nourriture solide, pour ceux qui ont habituellement exercé leurs sens au discernement du bien et du mal (Heb., V, 14 ) » ; car ces sens de la nature raisonnable appartiennent à lintelligence; mais ce sens quintuple, distribué en diverses parties du corps, et à laide duquel, non-seulement lhomme, mais les animaux perçoivent les figures et les mouvements. 21. Du reste, de quelque manière quon interprète les paroles de lApôtre appelant lhomme limage et la gloire de Dieu, et la femme la gloire de lhomme ( I Cor., XI ; 7 ), il reste évident que, quand nous vivons selon Dieu, notre âme, attentive à ses perfections invisibles,.doit se former à son propre avantage sur son éternité, sa vérité, sa charité; mais quune partie de notre attention rationnelle, cest-à-dire de notre âme, doit être appliquée à lusage des choses changeantes et matérielles, sans lesquelles cette vie est impossible; et cela, non pour nous conformer à ce siècle (Rom., XII, 2 ), en établissant notre fin dans ces biens et en dirigeant vers eux le désir du bonheur, mais pour agir en vue dacquérir les biens éternels, dans tout ce que nous faisons de raisonnable dans lusage des biens temporels, prenant ceux-ci en passant et ne nous attachant quà ceux-là.
CHAPITRE XIV.DIFFÉRENCE ENTRE LA SAGESSE ET LA SCIENCE. LE CULTE DE DIEU CONSISTE DANS SON AMOUR. COMMENT LA SAGESSE DONNE LA CONNAISSANCE INTELLECTUELLE DES CHOSES ÉTERNELLES.
La science a aussi sa juste mesure: cest quand ce qui enfle ou a coutume denfler en elle est dominé par la charité éternelle qui, elle, nenfle pas, comme nous le savons, mais édifie (I Cor., VIII, 1 ). Sans la science, en effet, on ne saurait acquérir les vertus qui font la bonne conduite et guident à travers cette misérable vie, de manière à atteindre la vie éternelle, qui est proprement la vie heureuse. 22. Cependant il y a une différence entre la contemplation des choses éternelles et laction qui consiste dans lusage des choses temporelles : la première est attribuée à la sagesse, la seconde à la science. Quoiquon puisse aussi donner à la sagesse proprement dite le nom de science, dans le sens où lApôtre dit « Maintenant je connais imparfaitement; mais alors je saurai aussi bien que je suis connu moi-même (Id., XIII, 12 ) » et par science, il entend ici évidemment la contemplation de Dieu, qui est la sublime récompense des saints; cependant quand le même Apôtre dit ailleurs : « A lun est donnée par lEsprit la parole de sa gesse, à un autre la parole de la science « selon le même Esprit (Id., XII, 8 ), il distingue sans aucun doute entre ces deux choses, bien quil nexplique pas en quoi elles diffèrent ni à quel signe on peut les reconnaître. Mais en lisant et relisant les saintes Ecritures , jai trouvé, dans le livre de Job, ces paroles attribuées au saint homme: « La piété, voilà la sagesse; la fuite du mal, voilà la science (Job., XXVIII, 28 )». Cette distinction fait comprendre que la sagesse appartient à la contemplation et la science à laction. Par piété, Job entend ici le culte de Dieu, ce que les Grecs appellent (503) Theosebeia ; car cest là le terme qui se lit dans les exemplaires grecs. Mais, dans les choses éternelles, quy a-t-il de plus grand que Dieu, dont la nature est la seule immuable? Et quest-ce que son culte, sinon son amour, qui nous fait désirer de le voir, et croire et espérer que nous le verrons? Or, en proportion de nos progrès, « nous voyons maintenant à travers un miroir en énigme, mais alors » nous le verrons dans sa manifestation. Car cest ce que lApôtre veut dire par ces mots « face à face (I Cor., XIII, 12 ) » , et aussi ce quexprime saint Jean en ces termes : « Mes bien-aimés, nous sommes maintenant enfants de Dieu, mais on ne voit pas encore ce que nous serons; nous savons que lorsquil apparaîtra, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel quil est (I Jean, III, 2 ) ». Dans ces passages et dans tous ceux de ce genre, il me semble quil est question de la sagesse; tandis que la. fuite du mal, que Job appelle la science, appartient sans aucun doute à lordre temporel. Car cest dans le temps que nous sommes sujets aux maux que nous devons éviter pour arriver aux biens éternels. Par conséquent tout ce que nous faisons avec prudence, force, tempérance et justice, appartient à cette science ou doctrine qui règle nos actions en vue déviter le mal et de nous procurer le bien. Il en est de même de tous les exemples à rejeter ou à imiter, et de tous les documents propres à éclairer notre conduite, qui nous sont fournis par la connaissance de lhistoire. 23. Il me semble donc que tout ce quon dit là-dessus se rapporte à la science, et quil ne faut pas confondre ce langage avec celui qui a trait à la sagesse, à laquelle appartient, non ce qui a été ou ce qui sera, mais ce qui est : toutes les choses qui sont dites passées, présentes et futures à cause de léternité où elles existent, sans aucun changement dû au temps. Car elles nont pas été pour cesser dêtre, ni elles ne laissent pas dêtre à présent pour exister à lavenir; mais lêtre quelles ont aujourdhui, elles lont toujours eu et lauront à jamais. Or, leur existence nest point locale, comme celle du corps; mais, dans leur nature immatérielle, elles sont aussi intelligibles et perceptibles pour le regard de lintelligence, que les objets qui occupent lesprit sont visibles ou palpables pour les sens du corps. Et non-seulement les raisons intellectuelles et immatérielles des choses sensibles occupant lespace subsistent sans être dans lespace; mais les raisons mêmes des mouvements passagers, intellectuelles, elles aussi, et non sensibles, subsistent en dehors du cours du temps. Il nest donné quà un petit nombre de les atteindre par le regard de lâme; et quand on y parvient autant que cela est possible lesprit ne saurait sy fixer; son regard est comme repoussé, il ne peut songer quen passant à des choses qui ne passent pas. Cependant cette pensée, en passant par les enseignements que lâme reçoit, tombe dans le domaine de la mémoire, où elle pourra du moins revenir, puisquelle ne peut pas sy fixer. Et si elle ne revient pas à la mémoire, pour y retrouver ce quelle lui avait confié, alors, comme une ignorante, elle sera reconduite comme la première fois à la source où elle avait dabord puisé, dans la vérité immatérielle, doù le type serait de nouveau imprimé dans la mémoire. Si par exemple la raison dun corps carré reste en elle-même immatérielle et immuable, la pensée de lhomme ne saurait cependant sy fixer, à supposer quil puisse la concevoir en dehors de lespace local. Ou encore si le rythme dun son produit par lart de la musique, en passant à travers le temps, peut être saisi, on peut aussi, en dehors du temps, dans un intime et profond silence, y penser au moins tant quon peut lentendre chanter; cependant ce que le regard de lâme en aura pris en passant et comme au vol, quelle aura ensuite savouré, digéré et mis en réserve dans sa mémoire, elle pourra le ruminer, pour ainsi dire en souvenir et faire passer dans ses connaissances acquises ce quelle aura ainsi appris. Que si loubli a tout effacé, lenseignement peut ramener de nouveau ce qui était entièrement perdu et le faire retrouver tel quil était.
CHAPITRE XV.CONTRE LA RÉMINISCENCE DE PLATON ET DE PYTHAGORE. PYTHAGORE DE SAMOS. COMMENT IL FAUT CHERCHER LA TRINITÉ DANS LA SCIENCE DES CHOSES TEMPORELLES.
24. Platon, cet illustre philosophe, est parti de ce point pour établir en principe que les âmes des hommes ont vécu ici-bas avant même (504) dêtre unies à leurs corps; doù il concluait quapprendre était moins acquérir une connaissance nouvelle que den rappeler une ancienne, Il apporte en preuve lexemple de je ne sais quel enfant, qui, interrogé sur la géométrie, répondit comme un homme consommé dans cette science. Questionné graduellement et dune manière capricieuse, il voyait ce quil fallait voir et disait ce quil avait vu. Mais si ce nétait là quune réminiscence de choses autrefois connues, tous ni même le plus grand nombre ne seraient pas capables de répondre à des interrogations de ce genre; car tous nont pas été géomètres dans leur vie antérieure, puisquil y a si peu de géomètres parmi les hommes quen trouver un est une rareté. Il faut plutôt croire que la nature de lâme intelligente est telle que, daprès le dessein du Créateur, elle découvre tout ce qui se rattache naturellement aux choses intellectuelles, au moyen dune certaine lumière immatérielle spéciale, sui generis, de la même manière que loeil de la chair voit ce qui lentoure à laide de cette lumière matérielle quil peut recevoir et pour laquelle il a été organisé. Car sil na pas besoin de maître pour distinguer le blanc et le noir, ce nest pas parce quil les a connus avant dêtre créé dans le corps. En outre, pourquoi est-ce seulement dans les choses intellectuelles quil arrive de voir quelquun répondre conformément à une science quil ignore? Pourquoi personne ne le peut-il pour les choses sensibles, à moins de les avoir vues de ses propres yeux, ou de sen rapporter à ceux qui les ont connues et en ont écrit ou parlé? Car il ne faut pas en croire ceux qui racontent que Pythagore de Samos se rappelait certaines choses quil aurait éprouvées, lorsquil habitait un autre corps sur cette terre: ce quon rapporte aussi de quelques autres qui auraient fait la même expérience. Ce sont là de fausses réminiscences, telles que nous en éprouvons dans les songes, quand il nous semble nous souvenir davoir fait ou vu ce que nous navons jamais fait ni vu. Ces sortes daffections se produisent aussi, même en dehors du sommeil, sous linfluence des esprits méchants et trompeurs, qui sattachent à affermir ou à créer des idées fausses sur les émigrations des âmes, afin de tromper les hommes. Et la preuve est que si cétaient là de vrais souvenirs se rattachant à des sensations éprouvées dans dautres corps, tous, ou à peu près tous, les auraient, puisque, dans cette opinion, on suppose un passage perpétuel de la vie à la mort et de la mort à la vie, comme de la veille au sommeil et du sommeil à la veille. 25. Si donc la vraie différence entre la sagesse et la science consiste en ce que la connaissance des choses éternelles appartient à la première, tandis que la connaissance rationnelle des choses temporelles est du domaine de la seconde, il nest pas difficile de juger à laquelle des deux il faut donner ou refuser la préférence. Mais sil faut chercher un autre signe caractéristique pour discerner ces deux choses, entre lesquelles lApôtre reconnaît évidemment une différence, quand il dit: « A lun est donnée par lEsprit la parole de sa-« gesse; à un autre la parole de science par le même Esprit »; tout au moins entre les deux qui nous occupent la différence est parfaitement claire: lune est la connaissance intellectuelle des choses éternelles; lautre, la connaissance rationnelle des choses temporelles, et personne nhésitera à mettre celle-là au-dessus de celle-ci. Ainsi donc quand, laissant de côté ce qui appartient à lhomme extérieur, nous aspirons à nous élever intérieurement au-dessus de tout ce qui nous est commun avec les animaux: avant de parvenir à la connaissance des choses intellectuelles et supérieures, qui sont éternelles, nous rencontrons la connaissance rationnelle des choses temporelles. Trouvons donc en celle-ci, si cela est possible, une espèce de trinité, comme nous en avons trouvé une dans les sens de notre corps et dans les images qui sintroduisent par leur entremise dans notre âme ou dans notre esprit : ainsi, en place des objets matériels perçus au dehors par le sens corporel, nous aurons intérieurement des ressemblances de corps imprimées dans la mémoire, desquelles la pensée se formera à laide dun tiers, de la volonté qui saura les unir; tout comme le regard des yeux est aussi formé par la volonté qui lapplique à lobjet visible pour produire la vision, et les unit lun à lautre, en se posant elle-même en tiers. Mais ne rattachons point à ce livre des idées trop succinctes sur ce sujet. Réservons-nous, si Dieu nous aide, de donner à ces recherches une étendue suffisante dans le livre suivant, et dexposer le résultat de nos découvertes. (505)
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