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LIVRE CINQUIÈME : RÉFUTATION DES ARIENS.
Réfutation des Ariens. Rapportant à la substance de Dieu tout ce que lEcriture affirme de la relation des personnes, ils en concluaient que le Fils étant engendré par le Père, lui était par cela seul inférieur. Saint Augustin leur répond que les relations diverses qui existent entre les personnes divines, naltèrent aucunement en elles la substance, ou nature, et quil règne entre elles une égalité parfaite. Il prouve sa thèse par lexplication de divers passages de lEcriture, et aussi par quelques comparaisons ou similitudes quil emprunte aux créatures, et il termine en avouant combien est grande limpuissance du langage humain quand il sagit dexpliquer le mystère de la Sainte Trinité.
LIVRE CINQUIÈME : RÉfutation des ariens.
DIEU EST IMMUABLE ET INCORPOREL.
CONSUBSTANTIALITÉ DU PÈRE ET DU FILS.
TOUT ACCIDENT SUPPOSE DANS LE SUJET QUELQUE CHANGEMENT.
CHICANES DES ARIENS SUR LES MOTS engendré ET non-engendré.
EXPLICATION DE CETTE DOCTRINE.
TOUT CE QUI SE DIT DE LA NATURE DIVINE, EST PROPRE AUX TROIS PERSONNES DE LA SAINTE TRINITÉ.
TOUT CE QUI SE RAPPORTE A LA NATURE DIVINE, SE DIT AU SINGULIER DES TROIS PERSONNES.
PAUVRETÉ DU LANGAGE HUMAIN POUR EXPLIQUER LES RELATIONS DIVINES.
DANS QUEL SENS LE MOT PRINCIPE SE DIT DE LA TRINITÉ.
LE PÈRE ET LE FILS SONT LE PRINCIPE DE LESPRIT-SAINT.
LESPRIT-SAINT ÉTAIT-IL UN DON AVANT MÊME QUIL FÛT DONNÉ?
TOUT CE QUI SE DIT DE DIEU PAR RAPPORT AU TEMPS SE DIT DES RELATIONS ET NON DE LA SUBSTANCE.
CHAPITRE PREMIER.DIEU EST IMMUABLE ET INCORPOREL.
1. Jaborde un sujet où le langage chez tout homme, et principalement chez moi, ne saurait rendre exactement la pensée. Bien plus, cette pensée elle-même, quand elle se fixe sur le mystère de la Sainte Trinité, sent tout dabord combien elle est au-dessous de Dieu, et combien encore elle est impuissante à le comprendre tel quil est. Et en effet nul homme, fût-il légal du grand Apôtre, ne peut voir Dieu que « comme dans un miroir, et sous des formes obscures (I Cor., XIII, 12 ). Cependant nous devons toujours diriger nos pensées vers ce Dieu qui est notre Seigneur et maître , quoique nous ne puissions jamais avoir de pensées dignes de lui, et nous devons en tous les temps le bénir et le louer, quoique nous ne puissions jamais ni le louer, ni le bénir dignement. Cest pourquoi jimplore ici son secours pour bien saisir moi-même mon sujet, et pour en donner à nies lecteurs une facile explication. Je les prie aussi de me pardonner les fautes qui viendraient à méchapper; car si dun côté la pureté de mes intentions peut me rassurer, de lautre le sentiment de ma propre faiblesse me remplit de crainte. Que mes lecteurs me soient donc indulgents, sils remarquent que mes paroles ne répondent pas toujours à ma bonne volonté, soit parce quils comprendront mieux que moi les choses divines, soit parce que je naurai pas su me bien exprimer. Quant à moi, je leur pardonne de grand coeur si la difficulté provenait en eux dignorance, ou de la faiblesse desprit. 2. Au reste, un moyen facile de pratiquer cette mutuelle et réciproque bienveillance, est de sattacher fortement à ce principe que tout ce que lon peut dire du Dieu immuable et invisible, existant par lui-même et se suffisant à lui-même, ne saurait sapprécier par aucune comparaison avec les créatures visibles et changeantes, mortelles et indigentes. Ne nous en étonnons point, puisque dans létude des phénomènes du corps et des sens, et dans lexplication de ceux de la conscience, la science de lhomme se fatigue beaucoup et avance peu. Cependant les recherches auxquelles se livre la piété chrétienne touchant les choses divines et surnaturelles, ne sauraient être vaines et inutiles, si elle évite de sappuyer orgueilleusement sur ses propres forces, et si elle se laisse diriger et conduire par la grâce du Dieu qui est tout ensemble le créateur et le sauveur de lhomme. Et en effet, comment pourrions-nous comprendre Dieu, nous qui ne nous comprenons pas nous-mêmes? Toutefois nous avons à cet égard une connaissance suffisante pour savoir que notre âme est par lintelligence bien au-dessus de toutes les créatures. Mais pouvons-nous saisir dans cette âme quelques linéaments de formes, quelques émanations dodeur, quelque étendue despace, quelque division de parties, quelque fraction de quantité, et enfin quelque distance de lieu ou de locomotion ? Certainement nous ne trouvons rien de semblable dans cette âme intelligente qui est le chef-doeuvre de la création , et qui selon notre capacité, nous fait comprendre les secrets de la sagesse divine. Or, ce qui ne se rencontre point dans la plus noble partie de lhomme, devons-nous le chercher en Dieu, qui est infiniment meilleur que tout ce qui est en nous bon et excellent ? Cest pourquoi concevons Dieu, autant que nous le pourrons, comme étant bon sans aucun attribut de bonté, grand sans aucun degré de grandeur, créateur sans aucun besoin des êtres, immense sans aucune dépendance des lieux ni de lespace, renfermant lunivers en lui-même sans aucun circuit ni enceinte, présent partout sans aucune délimitation de présence, (424) éternel sans aucun assujettissement au temps ni à la durée, auteur du mouvement et du changement des créatures sans aucune interruption de sa propre immutabilité, enfin impassible et supérieur à tout accident. Penser ainsi de Dieu, ce nest pas, il est vrai, en comprendre parfaitement la nature , mais cest pieusement éviter à cet égard tout langage erroné.
CHAPITRE II.DE LESSENCE DIVINE.
3. Cependant on ne saurait douter que Dieu ne soit une substance, ou essence, ce que les Grecs nomment hypostase. Et en effet, de même que le mot sagesse dérive du verbe sapere, discerner, et le mot science du verbe savoir, lessence suppose un être qui existe par lui-même. Or, quel est lêtre qui réalise le mieux cette condition, si ce nest celui qui disait à Moïse son serviteur : « Je suis celui qui suis »; et encore : « Celui qui est menvoie, vers vous (Ex., III, 14 ) »? Mais en dehors de Dieu, toute essence, ou toute substance est soumise à divers accidents qui lassujettissent à une plus ou moins grande mutabilité. Dieu au contraire ne saurait éprouver rien de semblable. Et cest pourquoi il est seul lêtre souverainement immuable. Aussi, par cela seul quil ne tient lêtre daucun autre que de lui-même, le nom dessence lui convient parfaitement. Car on ne peut dire que lêtre qui est sujet au changement, soit toujours le même, puisque, lors même quil nen éprouverait aucun, la seule possibilité dy être soumis fait quil cesse dêtre souverainement immuable. Mais sagit-il de Dieu, jaffirme que loin déprouver aucun changement, il ne peut en aucune manière y être assujetti. Aussi son immutabilité est-elle une vérité incontestable.
CHAPITRE III.CONSUBSTANTIALITÉ DU PÈRE ET DU FILS.
4. Jaborde maintenant lobjection que nos adversaires tirent de limpuissance où nous sommes de toujours exprimer parfaitement notre pensée, et de toujours connaître parfaitement la vérité. Ainsi un des sophismes les plus subtiles que les Ariens opposent à la doctrine catholique, est de dire que tout ce qui se peut énoncer, ou penser de Dieu, se rapporte non aux accidents, mais à la substance même. Or, le Père est non-engendré selon sa substance, et le Fils est engendré selon la sienne, car nêtre pas engendré, et être engendré sont deux choses toutes différentes. Donc le Père et le Fils ne peuvent être consubstantiels. Je reprends cet argument, et je dis : Tout ce qui saffirme de Dieu, saffirme de la substance : donc cette parole: « Le Père et moi sommes un », doit sentendre de la substance ( Jean, X, 30 ). Donc encore le Père et le Fils sont consubstantiels. Voulez-vous au contraire ne pas rapporter cette parole à la substance? jy consens, mais avouez quon peut énoncer quelque chose de Dieu sans le rapporter formellement à la substance. Et alors qui nous force dentendre de la substance les mots engendré et non engendré? LApôtre affirme également du Fils de Dieu, quil « na pas cru que ce fût pour lui une usurpation de ségaler à Dieu (Philipp., II, 6. ) ». Or, en quoi est-il égal à Dieu? Si ce nest pas selon la substance, il faut admettre, et quon peut parler de Dieu sous dautres rapports que ceux de la substance, et que rien noblige à entendre de la substance les mots engendré et non-engendré. Vous y refusez-vous, parce que tout ce qui est énoncé de Dieu se rapporte forcément à la substance? je suis alors en droit daffirmer que le Père et le Fils sont consubstantiels.
CHAPITRE IV.TOUT ACCIDENT SUPPOSE DANS LE SUJET QUELQUE CHANGEMENT.
5. On appelle accident tout ce quun sujet peut perdre par changement, ou par altération. Quelques accidents, il est vrai, sont inséparables du sujet; cest pourquoi les Grecs les nomment intrinsèques. Ainsi la couleur noire est intrinsèque à la plume du corbeau. Toutefois celle-ci cesse dêtre noire du moment quelle nest plus une plume de corbeau. Cest que la matière elle-même est sujette au changement; et ainsi dans lexemple que jai cité, le corbeau ou la plume, ou même tous deux éprouvent tantôt un changement partiel et tantôt une transformation entière, en sorte que ni lun ni lautre ne retiennent plus la couleur noire. Dautres accidents sont dits séparables, quoiquen réalité ils ne soient dans le sujet quun simple changement, ou une pure altération. Ainsi les cheveux de lhomme sont (425) naturellement noirs; mais parce quils peuvent blanchir tant quils adhèrent à la tête, on dit quen eux la noirceur est un accident séparable. Cependant avec un peu de réflexion, il est facile de voir que dans ce cas rien némigre au dehors, et que le noir de nos cheveux ne se retire point, je ne sais où, pour faire place à la blancheur. Ici les cheveux néprouvent quun changement de couleur. Mais il ny a en Dieu aucun accident, parce quen lui il ny a rien de muable, rien damissible. On peut aussi nommer accident lintensité, ou la diminution dune qualité que le sujet ne saurait perdre. Ainsi notre âme est immortelle, en sorte quelle vivra tant quelle existera; mais parce quelle existera toujours, elle vivra toujours. Néanmoins le développement ou laffaiblissement de la raison fait que cette âme, sans cesser de vivre, reçoit une communication plus ou moins abondante de la vie. Cest le phénomène de la folie qui nous ôte le bon sens, et nous laisse la vie. Mais on ne peut rien concevoir de semblable en Dieu, parce quil est souverainement immuable.
CHAPITRE V.DES RELATIONS DIVINES.
6. Nous venons de voir quaucune notion daccident ne peut convenir à Dieu, parce quil nest soumis à aucun changement; et cependant il ne faut pas en conclure que tout ce qui sénonce de lui se rapporte à la substance. Sans doute, quand il sagit des créature muables et changeantes, ce qui ne se dit pas de la substance, se dit de laccident, car en elles tout est accidentel, la grandeur et les autres qualités, puisque ces qualités sont susceptibles de plus et de moins. Ce principe est général et il sapplique aux diverses relations de lamitié de la famille et de la domesticité, non moins quà celles de la ressemblance et de légalité. On le retrouve même dans la position et le maintien du corps, dans lespace et la durée, dans laction et la passion. Mais en Dieu il ny a rien daccidentel, parce quil est souverainement immuable, et néanmoins tout ce qui sénonce de lui, ne sénonce point de la substance. Ainsi nous distinguons en Dieu le Père davec le Fils, et le Fils davec le Père; et toutefois nous ne, disons pas quen eux cette distinction soit accidentelle, parce quéternellement lun est Père, et lautre est Fils. Cependant ce mot, éternellement, ne doit pas être pris dans ce sens que le Fils étant une fois engendré, ne peut pas plus cesser dêtre Fils que le Père dêtre Père, mais en ce sens que la génération du Fils a toujours existé, et que jamais elle na commencé. Et en effet, si la génération du Fils avait eu un commencement, ou si elle pouvait avoir une fin, elle ne serait en lui quun accident. De même encore, si le Père était dit Père par rapport à lui-même, et non par rapport au Fils, et si le Fils était dit Fils en excluant toute relation de paternité et de filiation, laffirmation tomberait sur la substance. Mais il nen est pas ainsi, parce que le Père nest Père quautant quil a un Fils, et que le Fils nest Fils quautant quil a un Père : cest pourquoi ces expressions, Père et Fils, nexpriment en eux quune relation de personne à personne; et toutefois cette relation nest pas en eux un accident, parce que dans le Père et le Fils la paternité et la filiation sont éternelles et immuables. Sans doute autre chose est dêtre Père et dêtre Fils; cependant cette diversité daction naffecte point en Dieu la substance, parce quelle saffirme uniquement de la relation entre les personnes divines. Mais dautre part, cette relation nest point en Dieu un pur accident, parce quelle est immuable.
CHAPITRE VI.CHICANES DES ARIENS SUR LES MOTS engendré ET non-engendré.
7. Ici les Ariens élèvent contre ce langage une difficulté quils croient péremptoire, et ils raisonnent ainsi : Il est vrai que le Père est dit Père par rapport au Fils, comme le Fils est dit Fils par rapport au Père, ce qui nempêche pas que les termes, non-engendré et engendré, doivent saffirmer en eux de la substance et non de la relation, car père et non. engendré ne sont point synonymes, puisquen supposant que le Père neût pas engendré de fils, il nen serait pas moins lui-même non-engendré, à lopposé de ce qui arrive dans le monde où nous voyons que le père qui engendre un fils, ne peut se dire lui-même non engendré, parce que toute la race humaine ne se produit et ne se propage que par la génération. Résumons ce raisonnement : les mots père et fils supposent une relation entre les personnes divines, tandis que ceux de non-engendré et dengendré tombent sur la personnalité elle-même, et sentendent de la substance. Or être engendré et nêtre pas engendré sont deux choses absolument différentes; donc en Dieu il y a diversité de substance. Voilà bien le langage des Ariens; mais en parlant ainsi, ils ne comprennent point quils énoncent ici sur le Père une proposition à laquelle ils devraient réfléchir avec plus de soin, car, même sur la terre tout homme nest point père parce quil nest point engendré, ni non-engendré, parce quil est père. Ainsi le terme de non-engendré nest pas un terme de relation, tandis quil y a relation, mais ils sont trop aveuglés pour le voir, à être engendré. Et en effet, si lon est fils, cest quon a été engendré, et on a été engendré parce quon est fils. Or, cest cette double relation de la paternité et de la filiation qui dans la Trinité relie le Père au Fils et le Fils au Père; cest-à-dire la personne qui engendre, à la personne qui est engendrée. Aussi concevons-nous sous deux idées différentes que le Père engendre, et que lui-même nest point engendré. Toutefois nous ne laffirmons de Dieu le Père que par relation avec le Fils; ce que nient nos adversaires qui veulent que la propriété dêtre non-engendré tombe sur la personnalité même du Père. Ils disent donc: Une chose saffirme du Père, et ne peut saffirmer du Fils, et cette chose affecte directement la substance divine. Et en effet le Père possède personnellement la propriété de nêtre point engendré, tandis que le Fils en est privé; donc il est non-engendré selon sa substance, et parce quon ne saurait le dire également du Fils, celui-ci nest pas consubstantiel au Père. Il me suffit, pour répondre à cette chicane, de presser mes adversaires de nous dire en quoi le Fils est égal au Père, est-ce par identité de nature, ou bien seulement par relation de personne à personne? La seconde proposition nest pas admissible, parce quelle confondrait en Dieu toute notion de paternité et de filiation, et que de plus la même personne divine nest point tout ensemble Père et Fils. Au reste dans la Trinité le Père et le Fils ne sont point entre eux, comme sur la terre sont les amis et les voisins. Lamitié nexiste dhomme à homme que par relation; et si deux amis saiment avec la même cordialité, on dit quil y a entre eux égalité de sentiments. De même entre voisins, ce sont des relations de bienveillance; et quand cette bienveillance est réciproque, on dit quil y a entre eux égalité de bons rapports. Mais ici le Fils nest point Fils parce quil est Dieu, mais parce quil est engendré du Père, en sorte que ne pouvant lui être égal en raison même de cette filiation, il ne saurait lêtre quen nature. Or, tout ce qui se dit de la nature, saffirme de la substance : donc le Fils est consubstantiel au Père. Observons aussi quen disant que le Père nest pas engendré, nous disons bien moins ce quil est que ce quil nest pas; et remarquons encore quen Dieu la négation dune relation quelconque natteint point la substance, parce que ces deux choses sont entièrement distinctes.
CHAPITRE VII.EXPLICATION DE CETTE DOCTRINE.
8. Je mexplique par quelques exemples. Et dabord jaffirme que les mots, fils et engendré, nont quune seule et même signification. Car en Dieu, le Verbe est Fils parce quil est engendré, et il est engendré parce quil est Fils. Lors donc que nous affirmons du Père quil nest pas engendré, nous disons simplement quil nest pas fils. Mais les mots engendré et non-engendré sont dun usage plus facile, parce que la langue latine, qui admet le mot fils, rejette celui de non-fils. Cependant la pensée est indépendante de cet usage, et elle comprend le mot non-fils de même quelle entend celui de non-engendré quon emploie quelquefois pour inengendré. Ainsi encore les mots, voisin et ami, ont leurs corrélatifs dans notre esprit, quoique la langue qui dit ennemi, ne dise point invoisin. Il est donc bien utile dans toute discussion dogmatique de considérer moins ce que nous permet, ou nous refuse le sens habituel des mots, que les idées mêmes quils renferment. Ainsi nous ne dirons pas que le Père est inengendré, quoiquà la rigueur Je génie de notre langue nous le permette, mais nous dirons dans le même sens quil nest pas engendré, cest-à-dire quil nest pas le Fils; car leffet de toute particule négative nest point de faire retomber sur la substance même de lêtre ce quelle ne nie en lui que relativement. Ici donc, comme dans tous les autres (427) attributs, nous nions seulement ce qui sans la négation serait vrai. Prenons pour exemple cette proposition : voilà un homme; en lénonçant je marque la substance de lêtre auquel je la rapporte ; et quand je dis: ce nest pas un homme, je me borne à nier dans le sujet la qualité dhomme, mais je ne lui applique aucun autre attribut. Lors donc que je dis : voilà un homme, laffirmation tombe sur la substance; et pareillement, lorsque je dis ce nest pas un homme, la négation tombe sur la substance. Si vous me demandez ensuite combien un être a de pieds, et si je vous réponds : quatre, jénonce seulement le nombre de ses pieds, de même quen disant quil nest point quadrupède, je ne prétends nier en lui quune seule chose, à savoir quil na pas quatre pieds. Cest encore dans le même sens tour à tour affirmatif et négatif que selon la couleur je dis : il est blanc, et il nest pas blanc; que selon la relation, je dis : il est proche, et il est éloigné; que selon la position, je dis : il est couché, et il est levé; et quenfin selon lextérieur et les dehors je dis : il est armé, et il est désarmé, cest-à-dire quil na point darmes. Pareillement par rapport au calcul du temps, je dis : aujourdhui et hier; par rapport à la distance des lieux, je dis : il est à Rome, et il nest pas à Rome; et par rapport à laction, je dis: il frappe, ou bien, il ne frappe pas, énonçant seulement par là quil ne fait pas laction de frapper. Et de même, quand je dis : il est frappé, jaffirme, que le sujet souffre laction marquée par le verbe frapper, ce qui est le contraire, quand je dis: il nest point frappé. Cest quen effet il nest point dattribut ou de qualificatif que nous ne puissions détruire soudain en le faisant précéder dune particule négative. Daprès ces principes, si jappliquais le mot Fils à la substance divine, je nierais cette substance en disant: Non-Fils. Mais comme je naffirme dans le Verbe la filiation que relativement au Père; de même je ne nie dans le Père cette même filiation que par relation au Fils, en sorte que je veux seulement prouver quil est à lui-même son propre principe. Concluons donc que puisque le mot Fils, ainsi que je lai dit ci-dessus, a le même sens que le mot engendré, lexpression non-engendré, équivaut à celle-ci : il nest pas Fils. Ainsi, soit que nous disions : Non-Fils, ou non-engendré, la négation ne tombe, dans notre pensée, que sur les relations de personne à personne. Car le qualificatif inengendré est absolument synonyme de non-engendré. Concluons donc encore quen disant quil est inengendré, nous ne lui appliquons que par relation cet attribut négatif. Et en effet, en disant du Fils quil est engendré, nous faisons abstraction de la substance ou nature divine, et nous affirmons seulement quil procède du Père: et de même, quand nous disons du Père quil est non-engendré, nous ne prétendons prouver quune seule chose, à savoir quil na point de père. Il est vrai quici lattribut relatif offre une double signification, mais parce quil est toujours pris dans un sens relatif, il ne tombe jamais sur la substance. Ainsi, quoique ce soit deux choses bien différentes que dêtre engendré, et de nêtre pas engendré, ces deux qualificatifs nindiquent point diversité de substance. Car comme le mot Fils se réfère au mot Père, et le mot non-Fils au mot non-Père, ainsi devons-nous rapporter le terme engendré au terme générateur, et le terme non-engendré au terme non-générateur.
CHAPITRE VIII.TOUT CE QUI SE DIT DE LA NATURE DIVINE, EST PROPRE AUX TROIS PERSONNES DE LA SAINTE TRINITÉ.
9. Cest pourquoi nous posons en principe que tout ce qui se dit de la nature, saffirme de la substance même de Dieu, et que tout ce qui se dit des relations, ne tombe que sur la personne, et non sur lessence de lEtre divin. Bien plus, lunité de substance est si forte dans le Père, le Fils et lEsprit-Saint, que nous exprimons au singulier tous les attributs collectifs qui leur conviennent. Ainsi nous disons que le Père est Dieu, que le Fils est Dieu, et que le Saint- Esprit est Dieu, expression qui ne peut sentendre que de la substance divine. Toutefois nous ne disons pas que les trois personnes de lauguste Trinité sont trois Dieux, mais un seul et même Dieu. Autant le Père est grand, autant le Fils est grand, autant le Saint-Esprit est grand ; et cependant ce ne sont pas trois Dieux souverainement grands, mais un seul Dieu souverainement grand. Car ce nest point du Père seul, comme les Ariens le soutiennent malignement, mais du Père, du Fils et du Saint-Esprit quil est écrit au livre des Psaumes : « Vous êtes le seul grand Dieu (Ps., LXXXV, 10 ) » (428) Pareillement le Père est bon, le Fils est bon et lEsprit-Saint est bon. Toutefois ce ne sont point trois Dieux bons, mais le Dieu unique dont Jésus-Christ n dit : « Nul nest bon que Dieu seul ». Observez en effet que si cette expression : « Bon Maître » ne sadressait, dans lintention du jeune homme dont parle saint Luc, quà Jésus-Christ comme homme, celui-ci voulut par sa réponse élever ses pensées jusquà sa divinité. Cest pourquoi il ne lui dit pas: Nul nest bon que le Père, mais, « Nul nest bon que Dieu seul (Luc, XVIII, 18, 19 ) ». Sil eût dit le Père, il neût en réalité nommé que le Père, mais en disant Dieu seul, il nommait le Père, le Fils et le Saint-Esprit, parce que ces trois personnes ne sont quun seul et même Dieu. Sagit-il au contraire de termes qui expriment la position et le vêtement du corps, le temps et le lieu? ils ne doivent sentendre de Dieu que par métaphore et non dans le sens propre et direct. Cest ainsi que par rapport à la position et au vêtement, le psalmiste nous dit que « Dieu est assis sur les chérubins, et quel abîme lenveloppe comme un vêtement (Ps., LXXIX, 2 ; CIII, 6 ). » Il dit également par rapport au temps et au lieu : « Seigneur, vos années ne finiront jamais»; et, « si je mélève vers le ciel, vous y êtes ( Ps., CI, 28 ; CXXXVIII, 8 )». Mais tout ce qui se rapporte à la puissance daction se dit vraisemblablement de Dieu seul. Car Dieu seul agit ou nagit pas, et en tant quil est Dieu, il est indépendant de toute passivité. Cest pourquoi le Père est tout-puissant, le Fils est tout-puissant et le Saint-Esprit est tout-puissant. Toutefois. ce ne sont pas trois Dieux également tout-puissants, mais un seul Dieu tout-puissant, et « tout est de lui, tout est par lui , tout est en lui (Rom., XI, 36 ) ». Ainsi tout ce qui atteint directement la nature de lEtre divin se dit au nombre singulier de chacune des trois personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit; et cest encore en ce même nombre singulier, et non au pluriel, que nous appliquons les mêmes expressions à la Trinité entière. Et, en effet, être et être grand ne sont pas en Dieu deux choses, mais une seule et même chose. Aussi, par la même raison que nous ne reconnaissons pas en lui trois essences, nous ne lui attribuons pas trois grandeurs.
CHAPITRE IX.DES PERSONNES DIVINES.
10. Jemploie ici le mot essence , qui est un terme de la langue grecque, et qui répond dans la nôtre à celui de substance. Les Grecs disent également lhypostase; mais quelle différence mettent-ils entre lessence et lhypostase? Ceux qui ont écrit en grec sur la Trinité disent communément une seule essence et trois hypostases, expressions qui signifient en latin une essence et trois substances. Quoi quil en soit, lusage a prévalu parmi nous dattacher au mot essence le sens du mot substance; aussi noserai-je point dire une seule essence et trois substances, mais une seule essence ou substance et trois personnes. Ce langage est celui quont adopté plusieurs auteurs latins bien recommandables; et ils lont employé , nen trouvant pas de meilleur pour exprimer par la parole ce quils comprenaient sans le secours de la parole. Et, en effet, puisque le Père nest pas le Fils, que le Fils nest pas le Père, et que le Saint-Esprit qui est aussi appelé le don de Dieu, nest ni le Père, ni le Fils, il faut nécessairement reconnaître trois personnes en un seul Dieu. Cest pourquoi Jésus-Christ a dit au pluriel : « Le Père et moi nous sommes un (Jean, X, 30 ) ». Les Sabelliens traduisent au singulier : Le Père et moi est un; tandis que le Sauveur a dit: « Nous sommes un ». Il y a donc trois personnes en Dieu . Mais sagit-il de définir ce quest une personne divine, soudain toute parole humaine devient impuissante. Aussi disons-nous trois personnes, moins pour dire quelque chose que pour ne pas garder un silence absolu.
CHAPITRE X.TOUT CE QUI SE RAPPORTE A LA NATURE DIVINE, SE DIT AU SINGULIER DES TROIS PERSONNES.
11. De même donc que nous ne disons point quil y a en Dieu trois essences, nous ne reconnaissons pas en lui trois grandeurs, ni trois êtres souverainement grands. Car dans les choses qui ne sont grandes que relativement, il faut distinguer la grandeur, de la chose elle-même. Cest ainsi que nous disons une grande maison, une grande montagne et un grand esprit. Mais dans ces trois exemples la (429) grandeur nest pas la chose même qui est grande, en sorte que la maison, si grande quelle soit, nest pas la grandeur elle-même. Nous concevons en effet la grandeur comme indépendante soit de la maison, ou de la montagne que nous nommons grandes, soit de tout autre objet auquel nous appliquons une idée et une relation de grandeur. Ainsi la grandeur est autre que les objets qui lui empruntent leur grandeur; et cette grandeur, principe premier de toute grandeur, surpasse excellemment tous les sujets sur lesquels elle se réfléchit. Or, Dieu nest point grand dune grandeur qui ne lui appartienne point en propre, en sorte quil soit obligé de lui emprunter celle dont il jouit. Autrement nous concevrions la grandeur comme étant au-dessus de Dieu, tandis quil est lEtre premier et souverain. Donc Dieu nest grand que parce quil possède par lui-même toute grandeur. Cest pourquoi nous ne disons point quil y a en lui trois grandeurs, pas plus que nous naffirmons en lui trois substances. Car Dieu est grand par cela seul quil est Dieu. Et de même nous ne disons point que les trois personnes divines sont trois êtres souverainement grands, mais un seul et même Dieu souverainement grand, parce que Dieu nest point grand dune grandeur étrangère et empruntée, mais quil est grand par lui-même, et quil est lui-même le principe unique de sa grandeur. Nous tenons également le même langage quand nous parlons de la bonté, de léternité et de la toute-puissance de Dieu, et en général de tous les attributs qui se rapportent à la nature divine, et qui sont exprimés dans un sens propre et direct, et non point dans un sens accommodatif et métaphorique. Mais que peut exprimer la parole de lhomme, lorsquelle veut expliquer lessence même de Dieu?
CHAPITRE XI.DES RELATIONS DIVINES.
12. Sagit-il au contraire des opérations propres à chacune des trois personnes divines, nous disons quici ces opérations ne touchent pas à la nature même de Dieu, et quelles naffectent que les relations des trois personnes entre elles, ou leurs rapports avec les créatures. Cest pourquoi il est évident que tout ce qui saffirme alors de Dieu tombe sur les relations divines, et non sur la nature ou essence divine. Ainsi nous disons des trois personnes de la sainte Trinité quelles ne sont quun seul et même Dieu, et que ce Dieu unique est grand, bon, éternel et tout-puissant, Nous ajoutons encore quil est à lui-même le principe de la divinité, non moins que sa propre grandeur, sa propre bonté, sa propre éternité et sa propre puissance. Mais on ne peut donner à la Trinité entière le nom de Père, si ce nest peut-être dans un sens relatif aux créatures et à cause de notre adoption divine. Et en effet, cette parole de lEcriture : « Ecoute, Israël, le Seigneur ton Dieu est seul Seigneur ( Deut., VI, 4 )», ne doit point sentendre du Père à lexclusion du Fils et du Saint-Esprit. Cependant nous pouvons avec raison appeler Père ce Dieu unique, parce quil nous engendre par sa grâce à la vie spirituelle. Mais on ne saurait dans aucun sens nommer la sainte Trinité Dieu le Fils. Quant à lEsprit-Saint, comme il est écrit que «Dieu est Esprit (Jean, IV, 24 ) », il est permis de le faire du moins dans un sens général; car le Père est Esprit, le Fils est Esprit, et également, le Père est saint, et le Fils est saint. Ainsi parce que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont quun seul et même Dieu, et que ce Dieu est tout ensemble saint et Esprit, on peut désigner la Trinité tout entière par le mot Esprit-Saint. Néanmoins quand il sagit spécialement de lEsprit-Saint comme troisième personne de la sainte Trinité, et non de la Trinité tout entière, nous le nommons Esprit-Saint dans un sens relatif, et par rapport au Père et au Fils, car il est lEsprit et du Père et du Fils. Cependant il est vrai de dire que ce nom nexprime point ces relations divines, et quelles se montrent bien mieux dans celui « de don de Dieu (Act., VIII, 20 ) ». Il est en effet le don du Père, puisque, selon la parole du Sauveur, «il procède du Père»: et il est également le don du Fils, puisque lApôtre nous dit que « celui qui na pas lEsprit de Jésus-Christ nest plaint à lui (Jean, XV, 26 ; Rom., VIII, 9 )». Cest donc relativement aux deux premières personnes de la sainte Trinité que nous nommons la troisième Don de Dieu, quoiquelle ne soit pas elle-même étrangère à cette donation. Car nous la considérons comme lunion ineffable du Père et du Fils; et peut-être nest-elle appelée Esprit-Saint que parce que ce même nom convient au Père et au Fils. Ainsi le mot (430) Esprit-Saint désigne spécialement la troisième personne de la sainte Trinité, mais il sapplique aussi aux deux autres, car le Père et le Fils sont tous deux Esprits et tous deux saints. LEsprit-Saint est donc nommé le Don mutuel du Père et du Fils, afin que ce nom qui convient à lun et à lautre, explique par lui-même que dans la Trinité cet Esprit est lunion des deux premières personnes. Mais cette Trinité de personnes ne forme quun seul Dieu qui est unique, bon, grand, éternel et tout-puissant; et qui est à lui-même son unité, sa divinité, sa grandeur, sa bonté, son éternité et sa toute-puissance.
CHAPITRE XII.PAUVRETÉ DU LANGAGE HUMAIN POUR EXPLIQUER LES RELATIONS DIVINES.
13. Cependant nous ne devons point nous troubler parce que nous ne donnons que dans un sens relatif, le nom dEsprit-Saint à la troisième personne de la sainte Trinité, et que nous le refusons dans un sens propre et direct à la Trinité entière. Cest que ce nom na point de corrélatif dans la langue théologique. Et en effet, nous disons bien le serviteur du maître, et le maître du serviteur, le Fils du Père et le Père du Fils, parce que ces expressions expriment des relations personnelles. Mais ici, un tel langage serait erroné; nous disons, il est vrai, lEsprit-Saint du Père, mais nous ne disons pas le Père de lEsprit-Saint, dans la crainte quon entende par là que lEsprit-Saint est le Fils du Père. Cest ici encore que nous disons lEsprit-Saint du Fils, et non le Fils de lEsprit-Saint, pour éviter quon ne croie cet Esprit Père du Fils. Au reste, dans un grand nombre de substantifs relatifs, le terme corrélatif manque absolument. Ainsi quoi de plus clair que le mot gage? il implique toujours lidée de celui qui le donne, et toujours il est la garantie de la chose à donner. Or, de ce que nous disons que lEsprit-Saint est le gage du Père et du Fils (Cor., V, 5 ; Eph., I, 14 ), sensuit-il que nous puissions dire le Père du gage et le Fils du gage? Non, sans doute. Lorsque au contraire, nous affirmons que ce même Esprit est le don du Père et du Fils, nous nous interdisons ces autres termes, Père du don, et Fils du don, et nous nous bornons à dire le don du donateur et le donateur du don, parce quici nous trouvons un terme usité, ce qui nexiste pas dans le premier cas.
CHAPITRE XIII.DANS QUEL SENS LE MOT PRINCIPE SE DIT DE LA TRINITÉ.
14. Cest dans un sens relatif que la première personne de la sainte Trinité est nommée Père et principe; mais elle est Père par rapport au Fils, et principe par rapport à toutes les créatures. Le même terme saffirme également du Fils, et en outre ceux de Verbe et dimage; et parce quils expriment tous la relation du Fils avec le Père, ils ne peuvent sappliquer à celui-ci. Au reste, que le Fils soit principe, cest ce quil nous apprend lui-même. Car comme les juifs lui disaient: « Qui êtes-vous?» il répondit: « Je suis le principe, moi qui vous parle (Jean, VIII, 25 ) ». Mais est-ce quil serait le principe du Père? non sans doute: et il ne se dit principe que dans ce sens quil est créateur au même titre que le Père. Et en effet celui-ci est appelé principe, parce quil est le créateur de tout ce qui existe. Or le terme de créateur a pour corrélatif celui de créature, de même que le mot maître implique celui de serviteur. Toutefois, quoique nous nommions le Père principe, et le Fils principe, nous ne reconnaissons pas dans la création deux principes différents, parce que le Père et le Fils ne sont à cet égard quun seul principe, de même quils sont un seul Créateur et un seul Dieu. Mais comme il est vrai que tout être qui, tout en restant ce quil est, enfante ou produit au dehors quelque chose, est dit le principe de cette oeuvre, nous ne pouvons nier que ce titre nappartienne également à lEsprit-Saint. Et en effet nous lappelons Créateur, et il est dit de lui quil opère au dehors sans altération aucune de sa substance, car il ne sépanche, ni ne sincarne dans les oeuvres quil produit. Eh ! que produit-il donc? Ecoutez lApôtre: « Les dons du Saint-Esprit, dit-il, sont distribués à chacun pour lutilité de lEglise. Lun reçoit du Saint-Esprit le don de parler avec sagesse; lautre reçoit du même Esprit le don de parler avec science. Un autre reçoit le don de la foi parle même Esprit; un autre reçoit du même Esprit le don de guérir les maladies; un autre le don des miracles; (431) un autre, le don de prophétie; un autre, le don de parler diverses langues. Or, cest un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ses dons, selon quil lui plaît » , cest-à-dire, agissant en Dieu, car qui pourrait produire ces merveilles, sil nétait Dieu? Aussi lApôtre affirme-t-il que « cest un seul et même Dieu qui opère toutes ces choses en tous (I Cor., XII, 6, 11 ) »
CHAPITRE XIV.LE PÈRE ET LE FILS SONT LE PRINCIPE DE LESPRIT-SAINT.
15. Dans la Trinité la personne qui engendre est dite principe par rapport à la personne qui est engendrée. Cest ainsi que le Père est principe du Fils, parce quil lengendre. Mais soudain se présente une grave et difficile question, à savoir si le Père « de qui procède lEsprit-Saint », est le principe de cet Esprit. Si je réponds affirmativement, il sensuit quon doit nommer principe, non-seulement celui qui produit et enfante quelque oeuvre, mais encore celui qui fait un don quelconque. Mais ici rappelons tout. dabord, et comme pouvant nous donner quelque lumière, que le Fils nest point le Saint-Esprit, quoique cet Esprit soit sorti du Père, ainsi quil est dit dans lEvangile (Jean, XV, 26 ). Je sais bien que cette assertion préoccupe plusieurs esprits; et néanmoins il est vrai de dire que lEsprit-Saint diffère du Fils parce quil est sorti dit Père, non comme Fils, mais comme don. Nous ne saurions donc le nommer Fils, puisquil nest point né comme Fils unique du Père, quen outre, il nest point, comme lhomme, venu au monde pour recevoir la grâce de ladoption divine. Quand nous disons que le Fils est né du Père, nous navons égard quà sa génération éternelle, et nullement à sa génération temporelle. Aussi nest-il point Fils du Père dans le même sens quil est fils de lhomme. Sagit-il au contraire de lEsprit qui est donné, nous le rapportons également et à celui qui le donne, et à ceux auxquels il est donné. Ainsi lEsprit-Saint nest pas seulement lEsprit du Père et du Fils qui nous lont donné, mais il est encore lEsprit de nous tous qui le recevons. Et de même nous disons que Dieu est notre salut (Ps. III, 9 ), parce quil en est lauteur et le principe, et que nous le recevons de sa bonté. Cependant lEsprit-Saint nest point en nous lesprit, ou le souffle de la vie, et il nest dans lhomme que dune manière toute spirituelle. Aussi ne lappelons-nous nôtre que dans le même sens que nous disons à Dieu: « Donnez-nous notre pain (Matt., VI, 11 )». Nous reconnaissons toutefois que nous ne nous sommes point donné lesprit ou le souffle de la vie, puisque lApôtre nous dit: « Quavez-vous que vous nayez reçu (I Cor., IV, 7 )? » Mais autre est lesprit que nous avons reçu pour vivre, et autre lEsprit que nous recevons pour devenir des saints. Cest pourquoi, lorsque lévangéliste saint Luc dit de Jean-Baptiste quil devait venir en lEsprit et la vertu dElie, nous devons entendre ces mots de lEsprit-Saint quElie avait reçu (Luc, I, 17). Tel est également le sens de cette parole du Seigneur à Moïse : « Je prendrai de Votre « Esprit, et je le leur donnerai », cest-à-dire que je leur ferai part de lEsprit-Saint que je vous ai donné (Nomb., XI, 17 ). Si donc lEsprit-Saint qui est donné, a pour principe celui qui le donne, parce quil ne procède que de lui, il faut avouer quà légard de ce divin Esprit le Père et le Fils sont un seul et unique principe, et non deux principes. Et en effet, comme le Père et le Fils ne sont quun seul et même Dieu, ils ne sont également, par rapport aux créatures, quun seul et même Seigneur, un seul et même Créateur. Et de même à légard de lEsprit-Saint, ils ne sont quun seul et unique principe. Sagit-il au contraire dexprimer les rapports de la Trinité avec la création? le Père, le Fils et lEsprit-Saint sont un seul principe, un seul Créateur et un seul Seigneur.
CHAPITRE XV.LESPRIT-SAINT ÉTAIT-IL UN DON AVANT MÊME QUIL FÛT DONNÉ?
16. Si nous voulons approfondir ce sujet, nous rencontrons la question suivante. De même que le Fils est essentiellement Fils, et en dehors de sa naissance temporelle, lEsprit-Saint est-il par lui-même le don de Dieu, et abstraction faite de toute effusion sur lhomme? En dautres termes : lEsprit-Saint existait avant quil fût donné, mais il nétait pas encore le don de Dieu; ou bien, parce que Dieu devait un jour le donner, il était déjà le don de Dieu quoiquil neût pas encore été donné. Voici ma réponse: Si lEsprit-Saint ne procède du Père (432) et du Fils quau moment où il est donné, et si cette procession nest point antérieure à lhomme auquel il devait être donné, comment pouvait-il exister personnellement et de toute éternité , puisque selon vous il nest que parce quil est donné ? Vous reconnaissez que le Fils est Fils bien moins par relation de paternité et de filiation que par nature et essence : et pourquoi navouerez-vous pas aussi que lEsprit-Saint procède du Père et du Fils avant tous les siècles et de toute éternité, mais quil en procède comme devant en être le don? Ainsi il était le don de Dieu avant même que fût créé lhomme auquel il devait être donné. On peut en effet le considérer comme étant le don de Dieu, et comme étant donné de Dieu. Sous le premier rapport lEsprit-Saint existe avant que dêtre donné; mais le second ne peut saffirmer de lui sil na été réellement donné.
CHAPITRE XVI.TOUT CE QUI SE DIT DE DIEU PAR RAPPORT AU TEMPS SE DIT DES RELATIONS ET NON DE LA SUBSTANCE.
17. Quoique lEsprit-Saint soit coéternel au Père et au Fils, nous disons néanmoins de lui des choses qui nont existé que dans le temps, comme davoir été donné. Mais ce langage ne doit point nous surprendre, car si lEsprit-Saint, en tant que don de Dieu, est éternel, il na été donné que dans le temps. Et de même un homme nest appelé maître que du jour où il a un serviteur. Cest ce que nous disons également de Dieu par rapport à lacte de la création qui na été accompli que dans le temps. Car si Dieu est de toute éternité le maître de la créature, celle-ci nest pas éternelle. Comment donc expliquer quen Dieu ces relations ne tombent point sur la substance, parce que son immutabilité soppose, comme je lai prouvé au commencement de ce traité, à ce quil soit soumis aux influences du temps et des lieux ? Non, nous nosons affirmer que Dieu est de toute éternité le Maître de la créature, de peur que nous ne soyons contraints de dire que la créature elle-même est éternelle. Car Dieu ne peut de toute éternité commander à la créature, si de toute éternité celle-ci ne lui est assujettie. Cest ainsi quon ne saurait être serviteur si lon na pas un maître, ni maître, si lon na pas un serviteur. Mais peut-être direz-vous quà la vérité Dieu est éternel, tandis que le temps est essentiellement fini et limité, en raison même de sa mobilité et de ses variations. Bien plus, comme le temps na point précédé le cours des siècles, puisquils ont commencé simultanément, vous vous croirez autorisé à dire que Dieu, même en qualité de Maître, nest point soumis au temps, parce que de toute éternité il est le Maître des siècles, qui ont donné au temps sa valeur et son existence. Mais que répondrez-vous au sujet de lhomme qui a été créé dans le temps, et dont le Seigneur ne pouvait se dire le maître avant quil ne leût créé ? certainement ce nest que dans le temps que Dieu est devenu le maître de lhomme; et pour parler plus clairement encore, jaffirme que Dieu na pu que successivement devenir votre maître et le mien, puisque votre naissance et la mienne appartiennent aux périodes successives des siècles et des âges. Cette question vous paraît-elle obscure, parce que celle de léternité des âmes est encore douteuse?je mexplique en lappliquant au peuple dIsraël. Comment Jéhovah est-il devenu le Dieu dIsraël? car en supposant même ce que je ne discute pas en ce moment, à savoir que lâme de ce peuple fût déjà créée, il nen est pas moins vrai que ce même peuple nexistait point encore comme peuple, puisque nous ne connaissons pas la date de son origine. Selon le même ordre didées, jaffirme que le souverain domaine de Dieu sur les arbres et les moissons est soumis au temps. Et en effet les arbres et les moissons nont quune existence bien récente. Mais direz-vous : ils existaient en germes dès la création. Je vous laccorde, et néanmoins vous mavouerez quautre est la souveraineté qui sexerce sur une matière brute et inerte, et autre celle qui régit la même matière polie et organisée. Cest ainsi quà des intervalles différents, je possède dabord une pièce de bois, et puis, le coffre quelle a servi à confectionner. Car peut-on nier que le coffre nexistait pas encore, quand déjà je possédais le bois? Comme ut donc serons-nous en droit dassurer quaucun accident natteint la substance divine ? Ce sera en disant que Dieu est essentiellement immuable et que tout ce qui tient à la mutabilité du temps, des lieux et des créatures, ne saffirme de lui quindirectement et par relation. Cest dans ce même sens que je dis dun homme quil (433) est mon ami. Car il na commencé de lêtre que du jour où il a commencé de maimer; en sorte que ce titre dami implique en lui un certain changement de volonté. Sagit-il dune pièce d monnaie avec laquelle je paie? Cest sans changer et dans un sens relatif quelle devient ou un prix ou un gage ou toute autre chose. Ainsi une pièce de monnaie peut prendre bien des noms et les perdre sans que sa valeur substantielle et intrinsèque en soit altérée. Mais combien plus facilement dirons-nous du Dieu immuable et éternel que tout ce qui se produit dans le temps et par rapport aux créatures, ne tombe point sur sa substance, et ne se dit de lui que relativement à la créature ! « Seigneur, dit le psalmiste, vous êtes devenu notre refuge (Ps., LXXXIX, 1 ) ». Mais ici ce mot refuge ne sapplique à Dieu que relativement, tandis quà .notre égard il se prend dans un sens précis et direct. Et en effet, de ce que Dieu devient notre refuge, lorsque nous avons recours à lui, pouvons-nous conclure quil éprouve dans sa nature, ou substance, une modification quelconque, modification qui nexistait pas avant que nous neussions recours à lui ? Non, sans doute, et cest en nous seulement quil sopère quelque changement, puisque de mauvais que nous étions précédemment, nous devenons bons en prenant le Seigneur pour notre refuge. Lhomme change, mais Dieu demeure immuable. Ainsi encore le Seigneur commence à devenir notre Père lorsque nous sommes régénérés par sa grâce, car « il nous a donné dit saint Jean, le pouvoir de devenir enfants de Dieu (Jean, I, 12 ) ». Cest donc lhomme qui devient meilleur par le fait de son adoption divine; et si le Seigneur commence alors à devenir son Père, cela nimplique aucun changement en sa nature. Je me résume, et je dis que tout ce qui saffirme de Dieu comme ayant commencé en lui à une date précise, et comme nexistant pas auparavant, ne saffirme que relativement. Gardons-nous cependant de croire quen lui la substance divine soit modifiée par ces relations accidentelles, car elles natteignent que le sujet auquel nous les rapportons. Lhomme devient juste en devenant lami de Dieu, et ainsi il change. Mais on ne saurait assigner une date à lamour de Dieu pour cet homme, comme sil ressentait présentement pour lui un amour qui soit nouveau, et qui nexistait pas auparavant. Un tel langage contredirait en Dieu cette vision qui lui montre le passé comme toujours présent, et le futur comme étant déjà passé. Et en effet, avant toute création Dieu a aimé-ses-élus, et il les a prédestinés à la gloire. Mais lorsque ceux-ci se tournent vers lui, et quils le trouvent, nous disons quil commencé à les aimer. Du reste nous ne parlons ainsi que pour nous faire comprendre et pour suppléer à limperfection de tout langage humain. Et de même quand Dieu sirrite. contre les méchants, et quil se montre bienveillant envers les bons, ce sont eux qui changent, tandis que lui-même reste immuable. Cest le phénomène de la lumière qui offense un oeil malade et réjouit un oeil sain. Certes la lumière est toujours la même, et notre oeil seul a changé.
Les cinq premiers livres de la Trinité ont été traduits par M. labbé DUCHASSAING.
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