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LIVRE NEUVIÈME : LA TRINITÉ DANS LHOMME.
Il y a dans lhomme, qui est limage de Dieu, une espèce de trinité , à savoir : lâme, la connaissance que lâme a delle-même et lamour quelle a pour elle-même et pour sa propre connaissance ; et ces trois choses sont égales entre elles et de la même essence.
LIVRE NEUVIÈME : LA TRINITÉ DANS LHOMME.
COMMENT IL FAUT CHERCHER A CONNAITRE LA TRINITÉ.
EXAMEN DES TROIS ÉLÉMENTS QUI CONSTITUENT LA CHARITÉ.
DIFFÉRENCE ENTRE LA CUPIDITÉ OU LA PASSION ET LA CHARITÉ.
LA CONNAISSANCE ACCOMPAGNÉE DAMOUR EST-ELLE SEULE LA PAROLE DE LAME?
LIMAGE OU LA PAROLE ENGENDRÉE DE LAME QUI SE CONNAÎT EST ÉGALE A LÂME ELLE-MÊME.
CHAPITRE PREMIER.COMMENT IL FAUT CHERCHER A CONNAITRE LA TRINITÉ.
1. Nous cherchons évidemment la Trinité non une trinité quelconque, mais celle qu est Dieu, le vrai, le souverain et le seul Dieu Patience donc, qui que tu sois qui mécoutes car nous cherchons encore, et personne m peut raisonnablement blâmer celui qui se livre à cette recherche, pourvu quil sy livre avec une foi inébranlable, dans un sujet si difficile à pénétrer ou à exprimer. Celui qui voit le mieux ou sexplique le mieux, sempresse, et avec raison, de blâmer celui qui affirme. « Cherchez Dieu », est-il écrit, « et votre âme vivra (Ps., LXVIII, 8 ). Mais, pour réprimer la joie du téméraire qui croirait avoir atteint le Psalmiste ajoute : « Cherchez sans cesse sa face (Ps., CIV, 4 ) ». Et lApôtre : « Si quelquun se persuade savoir quelque chose, il ne sait pas encore comment il faut savoir. Mais si quelquun aime Dieu, celui-là est connu de lui (I Cor., VIII, 2, 3.) ». Il ne dit pas : celui-là le connaît, ce qui serait une dangereuse présomption mais « est connu de lui ». Ailleurs encore. après avoir dit: « Maintenant que vous connaissez Dieu », il se reprend aussitôt et dit : « Ou plutôt que vous êtes connus de Dieu (Gal., IV, 9 ). Il est exprès encore en ce passage: « Non, mes frères, je ne pense pas lavoir atteint. Mais seulement, oubliant ce qui est en arrière, et mavançant vers ce qui est devant, je tends au terme, au prix de la vocation céleste de Dieu dans le Christ Jésus. Ainsi, nous tous qui tant que nous sommes parfaits, ayons ce sentiment (Phil., III, 13-15 ) ». Selon lui, la perfection en cette vie consiste uniquement à oublier ce qui est en arrière cl à savancer par lintention vers ce qui est devant : lintention de celui qui cherche offre une sécurité parfaite, jusquà ce que le but vers lequel nous tendons et nous avançons soit atteint. Mais cette intention , pour être droite, doit partir de la foi. En effet, une foi solide est un commencement de connaissance; mais la connaissance ne sera certaine et parfaite quaprès cette vie, quand nous verrons face à face( Cor., XIII, 12 ). Ayons donc ces sentiments, pour bien comprendre quil y a plus de sécurité à désirer et à chercher la vérité quà prendre présomptueusement linconnu pour le connu. Cherchons donc comme si nous devions trouver, et trouvons dans lintention de toujours chercher. En effet, « quand lhomme a achevé, il commence seulement (Eccli., XVIII, 6 ). Evitons linfidélité qui doute de ce quil faut croire, et la témérité qui affirme ce quil faut chercher; là il faut sen tenir à lautorité, et ici chercher la vérité. Pour ce qui regarde la question présente, croyons que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont un seul Dieu qui a créé et gouverne lunivers; que le Père nest pas le Fils, que le Saint-Esprit nest ni le Père ni le Fils; mais que la Trinité consiste dans les rapports mutuels des personnes, et lunité dans légalité dessence. Demandons lintelligence de ce mystère à Celui même que nous voulons comprendre; implorons son secours, dans le désir dexpliquer, autant quil le voudra bien, ce que nous comprenons, pleins dattention et de pieuse sollicitude pour ne rien dire qui soit indigne de lui, dans le cas où nous commettrions une méprise. Ainsi, par exemple, si nous disons du Père quelque chose qui ne convienne pas au Père, que cela convienne au Fils ou au Saint-Esprit ou à la Trinité elle-même; que si nous disons du Fils quelque chose qui ne puisse proprement sappliquer au Fils, cela sapplique du moins au Père, ou au Saint-Esprit ou à la Trinité; et quenfin, si nous avançons, en parlant du Saint-Esprit, quelque chose qui ne se rapporte pas à sa personne, on puisse du moins le rapporter au Père, ou au Fils ou à la (464) Trinité, le Dieu unique. Ainsi nous désirons maintenant savoir si le Saint-Esprit est vraiment la souveraine charité; eh bien! sil ne lest pas, cest le Père qui lest, ou le Fils, ou la Trinité elle-même : car nous ne pouvons échapper à labsolue certitude de la foi et à linfaillible autorité de lEcriture qui nous dit: « Dieu est charité (I Jean, IV, 16 ) ». Mais nous ne pouvons commettre la sacrilège erreur dattribuer à la Trinité ce qui ne conviendrait quà la créature et non au Créateur, ni lui appliquer les vains rêves de limagination.
CHAPITRE II.EXAMEN DES TROIS ÉLÉMENTS QUI CONSTITUENT LA CHARITÉ.
2. Cela posé, étudions les éléments que nous croyons avoir découverts. Nous ne sommes pas encore dans la sphère supérieure, nous ne parlons pas encore du Père, du Fils et du Saint-Esprit; il sagit seulement de cette image imparfaite image pourtant qui est lhomme; ce sujet détude sera peut-être plus familier et plus facile pour notre raison infirme. Quand donc, moi qui me livre à cette étude, jaime quelque chose, je découvre trois termes: moi, la chose que jaime et lamour. En effet, je naime pas lamour si je ne laime pas comme aimant; car il ny a pas damour là où rien nest aimé. Il y a donc trois choses : celui qui aime, lobjet aimé et lamour. Mais si je naime que moi-même, les trois choses ne se réduisent-elles pas à deux : moi et lamour? En effet, ce qui aime est la même chose que ce qui est aimé quand on saime soi-même, tout comme aimer et être aimé sont une chose unique quand on saime. Cest exprimer deux fois la même chose que de dire : Il saime et il est aimé de lui-même.. Alors aimer et être aimé se confondent, comme celui qui aime et celui qui est aimé ne font quun. Mais, même en ce cas, lamour et ce qui est aimé sont choses différentes : car saimer soi-même, ce nest pas lamour, à moins que lamour lui-même ne soit aimé. Or, autre chose est de saimer, autre chose daimer son amour. Car on naime lamour quautant quil aime déjà quelque chose, puisquil ny a pas damour là où rien nest aimé. Ainsi donc, quand quelquun saime, il y a deux choses lamour et ce qui est aimé; car alors ce qui aime et ce qui est aimé ne font quun. Il nest donc pas absolument nécessaire de voir trois choses partout où il y a amour. Ecartons ici tous les autres éléments qui constituent lhomme; pour éclaircir, autant que possible, le sujet qui nous occupe, ne voyons que notre âme. Donc, quand lâme saime, elle met deux choses en évidence : lâme et lamour. Or, quest-ce que saimer, sinon vouloir être à sa propre disposition pour jouir de soi? Et quand ce vouloir est aussi étendu que lêtre, la volonté est égale à lâme, et lamour égal à ce qui aime. Or, si lamour est une substance, il est esprit et non corps, comme lâme nest pas corps, mais esprit. Et cependant lamour et lâme ne sont pas deux esprits, mais un seul esprit; ni deux essences, mais une seule; et toutefois ces deux choses : ce qui aime et lamour, ou, si vous le voulez, ce qui est aimé et lamour, sont une seule chose. Et ces deux expressions ont un sens relatif, car aimant se rapporte à amour, et amour à aimant. En effet, celui qui aime éprouve quelque amour, et lamour appartient à quelquun qui aime. Or, les mots âme et esprit ne sont pas relatifs, mais indiquent une essence. Car lâme et lesprit ne sont pas âme et esprit parce quils appartiennent à un homme. Abstraction faite de lhomme, titre qui suppose ladjonction dun corps, abstraction faite du corps, lâme et lesprit restent; mais abstraction faite de celui qui aime, lamour disparaît, et en supprimant lamour, on fait disparaître celui qui aime. Ainsi donc, au point de vue relatif, ce sont deux choses: mais, pris en eux-mêmes, ils sont, individuellement, esprit, et, réunis, un seul esprit; individuellement, âme, et réunis, une seule âme. Où est donc la Trinité? Redoublons dattention et invoquons la lumière éternelle, afin quelle éclaire nos ténèbres et que nous voyions en nous, autant que possible, limage de Dieu.
CHAPITRE III.IMAGE DE LA TRINITÉ DANS LAME DE LHOMME QUI SE CONNAÎT ET SAIME. LÂME SE CONNAÎT ELLE-MÊME PAR ELLE-MÊME.
3. Lâme ne peut saimer, si elle ne se connaît pas; car comment aimer ce quon ignore? Et si on dit que lâme se croit telle daprès une notion générale ou spéciale, ou parce quelle sait par expérience que dautres âmes (465) sont telles et que cest pour cela quelle saime elle-même, on tient un langage qui touche à la folie. Comment en effet connaîtrait-elle une autre âme, si elle ne se connaît pas elle-même? On ne saurait dire que, de même que loeil voit dautres yeux et ne se voit pas lui-même, ainsi lâme connaît dautres âmes et ne se connaît pas elle-même. Car nous voyons des corps par les yeux du corps, parce que nous ne pouvons pas, sinon à laide du miroir, réfracter et ramener sur eux les rayons qui partent deux-mêmes et se portent sur les objets que nous voyons. Question, du reste, très-subtile et très-obscure, jusquà ce quil soit prouvé clairement que cela est ou que cela nest pas. Mais quoi quil en soit de la puissance visuelle, que ce soit un rayon ou autre chose, il est certain que nous ne la voyons pas; nous la cherchons par lâme et cest par lâme que nous la comprenons si elle peut se comprendre. Donc lâme perçoit, par les sens du corps, les notions des objets corporels, et par elle-même lidée des objets incorporels. Donc, puisquelle est incorporelle, elle se connaît par elle-même. Et si elle ne se connaît pas, elle ne saime pas.
CHAPITRE IV.LÂME ELLE-MÊME, LAMOUR ET LA CONNAISSANCE DE SOI, SONT TROIS CHOSES ÉGALES ET QUI NEN FONT QUUNE; ELLES SONT A LA FOIS SUBSTANCE ET RELATIONS INSÉPARABLES DUNE MÊME ESSENCE.
4. Comme lâme et lamour de lâme, quand elle saime, sont deux choses différentes, ainsi lâme et la connaissance de lâme, quand elle se connaît, sont aussi deux choses distinctes. Donc lâme, son amour, sa connaissance, sont trois choses, et ces trois choses nen font quune, et quand elles sont parfaites, elles sont égales. En effet, si lâme ne saime pas dans toute létendue de son être, par exemple, si lâme de lhomme limite son amour à lamour du corps, bien quelle soit elle-même plus que le corps, elle pèche et son amour nest pas parfait. De même si elle saime au delà de létendue de son être, par exemple, si elle saime autant quil faut aimer Dieu, bien quelle soit incomparablement moins que Dieu, elle pèche aussi par excès et ne saime point dun amour parfait. Mais la perversité et liniquité sont plus grandes encore, quand elle aime son corps autant quil faut aimer Dieu. De même si la connaissance est moins étendue que lobjet connu, et qui peut-être entièrement connu, cette connaissance nest point parfaite. Mais si elle est plus grande, cest que la nature qui connaît est supérieure à celle qui est connue, comme il arrive pour la connaissance du corps, laquelle est plus grande que le corps, objet de cette connaissance. En effet, il y a une certaine vie dans la raison de celui qui connaît, et le corps nest pas vie. Et toute vie est supérieure à un corps quelconque, non en volume, mais en puissance. Mais quand lâme se connaît elle-même, elle nest point supérieure à elle-même par sa propre connaissance, puisque cest elle-même qui connaît et elle-même qui est connue. Quand donc elle se connaît elle-même et rien du reste avec elle, sa connaissance est égale à elle-même: puisque sa connaissance nest pas dune autre nature, vu que cest elle-même qui se connaît. Et quand elle se connaît tout entière et rien de plus, sa connaissance est égale à elle-même; car la connaissance quelle a delle-même nest pas dune autre nature que la sienne. Et quand elle se connaît tout entière, sa connaissance nest ni plus petite ni plus grande quelle-même. Nous avons donc eu raison de dire que quand ces trois choses sont parfaites, elles sont nécessairement égales. 5. Nous avons en même temps les sentiment, si nous sommes capables de le voir, que ces choses existent dans lâme, quelles y sont comme enveloppées, et quelles se développent de manière à être senties et spécifiées comme tenant à sa substance, ou, si je puis parler de la sorte, à son essence, et non comme accidents dun sujet, ainsi quil en est de la couleur, de la figure dun corps ou de toute autre qualité ou quantité. Car tout ce qui est de cette espèce ne sort pas du sujet quil affecte. En effet, la couleur ou la figure de tel corps ne peuvent être celles de tel autre. Mais lâme peut aimer quelque autre chose quelle-même de lamour même dont-elle saime. De plus elle ne se connaît pas seulement elle-même, mais elle connaît beaucoup dautres choses encore. Par conséquent, lamour et la connaissance ne sont pas dans lâme comme accidents dans un sujet, mais ils sont substantiels comme lâme, elle-même; et sils ont un sens relatif lun vis-à-vis de lautre, ils nen sont pas moins substance, pris en eux-mêmes. Et ce (466) sens relatif nest pas comme celui qui existe entre la couleur et le corps coloré, la couleur étant dans le corps coloré comme dans un sujet, sans avoir de substance propre à elle; puisque le corps coloré est lui-même substance, tandis que la couleur nest que dans une substance. Mais ce rapport est comme celui qui existe entre deux amis, lesquels sont tous les deux hommes et par suite substances : hommes dans le sens absolu, amis dans le sens relatif. 6. Cependant quoique celui qui aime ou qui connaît soit substance, que la connaissance soit substance, que lamour soit substance, et quil y ait entre celui qui aime et lamour, cidre celui qui connaît et la connaissance, un rapport analogue à celui qui existe entre deux amis; quoique les mots âme ou esprit, pas plus que le mot homme, naient le sens relatif : néanmoins celui qui aime et lamour, celui qui connaît et hc connaissance ne peuvent pas être séparés lun de lautre, comme deux hommes qui sont amis. Sans doute quand deux amis semblent séparés de corps, ils ne le sont point de coeur, en tant quils sont amis. Toutefois il peut arriver quun ami commence à avoir de laversion pour son ami et cesse par là même dêtre son ami, à linsu de celui-ci qui continue à laimer. Mais si lamour dont lâme saime vient à cesser, lâme elle-même cesse daimer. De même si la connaissance que. lâme a delle-même cesse, lâme cesse en même temps de se connaître. Ainsi la tête dun corps qui a une tête est évidemment tête, et il existe entre eux un sens relatif, bien quils soient tous les deux substances : car la tête est corps, et lêtre qui a une tête est corps. Néanmoins la séparation peut avoir lieu ici, et là elle est impossible. 7. Que sil y a des corps absolument indivisibles, ils sont cependant composés de parties, sans quoi ils cesseraient dêtre corps. Donc le mot de partie na de sens que relativement à un tout, puisque toute partie est partie dun tout, et quun tout nest tout que par toutes ses parties. Mais comme la partie est corps, et que le tout est corps, non-seulement ils ont un sens relatif, mais encore ils sont aussi substance. Serait-ce donc que lâme est un tout, et que lamour dont elle saime et la connaissance quelle a delle-même seraient comme ses deux parties, dont la réunion ferait delles un tout? Seraient-ce trois parties égales, qui, ensemble, formeraient un tout? Mais jamais partie ne renferme le tout dont elle est partie; or, quand lâme se connaît tout entière, cest-à-dire parfaitement, sa connaissance lembrasse tout entière, et quand elle saime parfaitement elle saime tout entière, et son amour sétend à tout son être. Serait-ce comme quand de vin, deau et de miel on forme une seule liqueur; que chacun de ces trois éléments se répand dans le bout, bien quil reste cependant trois choses? En effet il ny a point de partie dans la potion qui ne renferme ces trois choses : car elles ne sont pas jointes comme le seraient de. leau et de lhuile, mais tout à fait mêlées; et toutes les trois sont des substances, et la liqueur entière nest quune seule substance composée de trois éléments; serait-ce, dis-je, que lâme, lamour et la connaissance formeraient ensemble quelque chose danalogue? Mais leau, le vin et le miel ne sont pas de même substance, quoique leur mélange ne forme quune seule substance de liqueur. Là, au contraire, - je ne vois pas comment les trois choses ne seraient pas de même substance, puisque lâme saime elle-même et se connaît elle-même, et que ces trois choses existent de telle sorte que lâme nest aimée ni connue daucun être étranger. Elles sont donc nécessairement toutes les trois dune seule et même essence; tellement que si elles nétaient unies que par mélange, elles ne seraient trois en aucune manière et nauraient aucun rapport entre elles. Ainsi, par exemple, si du même or vous faites trois anneaux semblables, quoique unis ensemble, ils ont entre eux un rapport, celui de similitude, car tout semblable est semblable à quelque chose; il y a trinité danneaux et unité dor. Mais si on les mêle ensemble, que la substance de chacun deux se confonde dans toute la masse, alors la trinité disparaît complètement : non-seulement on dira quil y a unité dor, comme on le disait déjà des trois anneaux, mais on ne parlera plus de trois objets en or.
CHAPITRE V.LAME, LAMOUR ET LA CONNAISSANCE DE SOI, SONT EN MÊME TEMPS DISTINCTS ET TOUT ENTIERS LUN DANS LAUTRE.
8. Mais ici, quand lâme se connaît et saime, la trinité reste : âme, amour, connaissance; il (467) ny a ni mélange ni confusion; bien que chacune de ces choses soit distincte en elle-même, et que toutes soient réciproquement dans toutes, soit chacune en deux, soit deux dans chacune. Ainsi toutes sont dans toutes. En effet, dune part, lâme est certainement âme en elle-même, puisquelle est appelée âme dune manière absolue, bien que dans le sens relatif, on la dise connaissant, connue, susceptible dêtre connue par rapport à la connaissance quelle peut avoir delle-même; et aussi, aimant, aimée, aimable, au point de vue de lamour dont elle saime. Dautre part, la connaissance quoique relative à lâme connaissant ou connue, est aussi appelée en elle-même connue et connaissant : car la connaissance, par laquelle lâme se connaît, ne signore point elle-même. De même lamour, bien que relatif à lâme qui aime et dont il est lamour, est cependant amour pour lui-même et en lui-même : car lamour est aimé, et ne peut être aimé dun autre amour, cest-à-dire que de lui-même. Ainsi chacune de ces choses sont en elles-mêmes. Elles sont aussi réciproquement les unes dans les autres, puisque lâme qui aime est dans lamour, que lamour est dans la connaissance de lâme qui aime, et la connaissance dans lâme qui connaît. Chacune delles sont donc dans les deux autres, puisque lâme qui se connaît et saime, est dans son amour et sa connaissance; que lamour de lâme qui saime et se connaît, est dans lâme et dans la connaissance de lâme; et que la connaissance de lâme qui se connaît et saime, est dans lâme et dans lamour de lâme, puisquelle saime et se connaît saimant. Par conséquent encore, deux de ces choses sont en chacune delles, puisque lâme qui se connaît et saime est avec sa connaissance dans son amour, et avec son amour dans sa connaissance; et que lamour et la connaissance sont aussi ensemble dans lâme qui saime et se connaît. Et comment toutes sont dans toutes, nous lavons déjà montré plus haut, puisque lâme saime tout entière, se connaît tout entière, connaît tout son amour, et aime toute sa connaissance, quand ces trois choses sont parfaites en elles-mêmes. Et par un merveilleux procédé, ces trois choses sont inséparables, et néanmoins chacune delles est substance, et toutes ensemble sont une seule et même substance ou essence, puisque leurs noms ne sont que lindice de leurs rapports mutuels.
CHAPITRE VI.CONNAITRE UNE CHOSE EN ELLE-MÊME ET LA CONNAITRE DANS LÉTERNELLE VÉRITÉ. CEST DAPRÈS LES RÈGLES DE LÉTERNELLE VÉRITÉ QUIL FAUT JUGER MÊME DES CHOSES CORPORELLES.
9. Cependant, en se connaissant et en saimant, lâme humaine ne connaît et naime point une chose immuable; et autre est la manière dont un homme, attentif à ce qui se passe en lui, manifeste son âme, autre la manière dont il définit lâme humaine daprès une notion spéciale ou générale. Ainsi quand il me parle de son âme propre, quil me dit comprendre oit ne pas comprendre ceci ou cela, vouloir ou ne pas vouloir ceci ou cela, je le crois sur parole; mais quand il dit la vérité sur lâme humaine ou en particulier ou en général, je reconnais la justesse de son langage et je lapprouve. Il est donc clair quautre chose est ce quil voit en soi, quil peut exprimer et quun autre croira sur sa parole sans le voir, autre chose ce quil voit dans la vérité elle-même et quun autre peut voir aussi car lun subira les changements que le temps amène et lautre reste immuable dans léternité. Car ce nest pas en voyant des yeux du corps une multitude desprits, que nous nous formons par analogie une notion générale ou spéciale, de lâme humaine; mais nous voyons limmuable vérité, daprès laquelle nous établissons, aussi parfaitement que cela nous est possible, non quelle est lâme de chaque homme, mais quelle doit être par des raisons éternelles. 10. Quant aux images des choses matérielles introduites par lentremise des sens corporels, infusées en quelque sorte dans notre mémoire, et daprès lesquelles nous nous figurons dune manière arbitraire les objets que nous navons pas vus, ou autrement quils ne sont, ou, par pur hasard, tels quils sont: il est démontré que quand nous les approuvons en nous-mêmes ou les désapprouvons, si notre jugement est juste , il a lieu en vertu dautres règles également immuables et supérieures à notre âme. En effet, quand je me rappelle les murs de Carthage que jai vus, ou que je me figure ceux dAlexandrie que je nai pas vus, et que je donne raisonnablement la préférence à certaines formes imaginaires sur dautres : le jugement de la vérité (468) apparaît et brille den haut, et appuie son droit sur les règles de limpartialité la plus parfaite; et si les images corporelles essaient de soulever comme une espèce de brouillard, il sen dégage et ne sy confond point. 11. Mais la question est de savoir si je suis moi-même enveloppé de ce brouillard et privé de la vue du ciel pur; ou si, comme il arrive au sommet des plus hautes montagnes, suspendu entre ciel et terre, je jouis de lair libre, ne voyant au-dessus de moi que la lumière sans nuages, et au-dessous de moi que les plus épaisses ténèbres. Par exemple, doù vient en moi cette flamme damour fraternel, quand jentends dire dun homme quil a souffert les plus cruels tourments pour soutenir la beauté et la solidité de la foi? Et si on me lindique du doigt, je désire munir à lui, le faire connaître, former avec lui des liens damitié. Si cela mest possible, je men approche, je lui parle, je noue un entretien, je lui exprime mon affection le mieux possible, je souhaite vivement quil me paie de retour et me le dise; par la foi, j e mefforce de lembrasser en esprit, ne pouvant si vite pénétrer dans son intérieur et y lire à fond. Jaime donc dun amour pur et fraternel un homme fidèle et courageux. Mais si, dans le cours de notre conversation, il mavoue ou me laisse imprudemment entrevoir quil croit de Dieu des choses indignes, quil cherche en lui quelque avantage charnel, et quil na subi des tourments que pour soutenir telle ou telle erreur, ou dans lespoir de gagner de largent, ou par la stérile ambition de la louange humaine aussitôt mon amour pour lui, blessé, refoulé pour ainsi dire, et retiré à un sujet indigne, se maintient pourtant dans le type daprès lequel jaimais un homme que je lui croyais conforme; à moins peut-être que je ne laime encore pour quil devienne tel, quand jai découvert quil ne lest pas. Néanmoins dans cet homme rien nest changé; cependant il peut changer pour devenir ce que je le croyais dabord. Mais dans mon âme, lopinion est entièrement changée; elle nest plus ce quelle était; la même affection est passée du désir de jouir au désir dêtre utile, en vertu dun ordre de la souveraine et immuable justice. Et ce type dinébranlable et ferme vérité, daprès lequel jaurais joui de cet homme en le croyant bon, et daprès lequel je travaille à le rendre boni ce type, dis-je, répand de son immuable éternité, la même lumière sur loeil de mon âme, de ma pure et incorruptible raison, et sur le brouillard de mon imagination, que je ne vois plus maintenant que de haut, quand le souvenir de ce même homme me revient à lesprit. De même, quand je me rappelle un arc élégamment et régulièrement tendu, que jai vu, par exemple, à Carthage, mon imagination me retrace un objet qui est arrivé à mon âme par lentremise des yeux, et sest fixé dans ma mémoire. Mais ce que je vois et qui me plaît, est autre que lobjet même, et je le corrigerais, sil me déplaisait. Nous jugeons donc de tout cela daprès ce même type éternel, et nous voyons- ce type par la lumière de la raison .Quant aux objets corporels, ou nous les voyons présentement des yeux du corps, ou nous nous rappelons leurs images gravées en notre mémoire, ou nous nous les figurons par analogie tels que nous les formerions nous-mêmes, si nous le voulions et le pouvions : dune part, créant dans notre esprit des images matérielles, ou voyant des corps par lintermédiaire de notre corps; dautre part, saisissant, par le simple coup doeil de lintelligence, les raisons et le type ineffablement beau de ces figures, lesquels dépassent le regard de notre âme.
CHAPITRE VII.NOUS CONCEVONS ET ENGENDRONS LA PAROLE INTÉRIEUREMENT DAPRÈS DES TYPES VUS DANS LA VÉRITÉ ÉTERNELLE. LA PAROLE EST CONÇUE PAR LAMOUR DU CRÉATEUR OU DE LA CRÉATURE.
12. Cest donc dans cette vérité éternelle, par qui tout a été fait dans le temps, que nous voyons, par les yeux de lesprit, la forme daprès laquelle nous sommes, et daprès laquelle nous agissons, ou en nous ou dans les corps, selon la vraie et droite raison; et cette connaissance vraie des choses, elle est conçue en nous comme une parole que nous engendrons en parlant intérieurement, et qui, tout en naissant, ne se sépare point de nous. Mais quand nous parlons à dautres, à la parole qui reste en nous nous ajoutons le ministère de la voix ou de quelque signe corporel, afin de produire par quelque moyen sensible, dans lâme de lauditeur, quelque chose de semblable à ce qui reste dans lâme de celui qui parle. Nous ne faisons donc rien par les membres de notre corps ni en actions ni en (469) paroles, soit pour approuver, soit pour désapprouver la conduite des hommes, rien, dis-je, que nous nayons dabord produit en nous par la parole intérieure. Car personne ne fait volontairement que ce quil a dabord dit dans son propre coeur. 13. Or, cette parole est conçue ou par lamour de la créature ou par lamour du Créateur, cest-à-dire de la nature changeante ou de limmuable vérité.
CHAPITRE VIII.DIFFÉRENCE ENTRE LA CUPIDITÉ OU LA PASSION ET LA CHARITÉ.
On agit donc par passion ou par charité; non quil ne faille pas aimer la créature; muais si cet amour se rapporte au Créateur, ce nest plus passion, mais charité. Ainsi il y a passion, quand on aime la créature pour soi. En ce cas elle nest plus utile à celui qui en use, mais gâte celui qui en jouit. Ou la créature nous est égale, ou elle nous est inférieure; dans le second cas, il faut en user pour Dieu, dans le premier, en jouir en Dieu. En effet, de même que tu dois jouir de toi-même, non en toi-même, mais dans celui qui ta fait; ainsi en doit-il être vis-à-vis de celui que tu aimes comme toi-même. Jouissons donc de nous et de nos frères dans le Seigneur, et ne soyons pas assez téméraires pour nous abandonner nous-mêmes à nous-mêmes, et nous pencher pour ainsi dire, en bas. Or, la parole réfléchie et agréée, naît .pour faire le bien ou le mal. Lamour est donc comme un intermédiaire entre notre parole et lâme qui lengendre, et il sunit à elles deux, lui troisième, par un embrassement spirituel, sans aucune confusion.
CHAPITRE IX.DANS LAMOUR DES CHOSES SPIRITUELLES, LA PAROLE NAÎT EN MÊME TEMPS QUELLE EST CONÇUE. IL NEN EST PAS DE MÊME DES CHOSES CHARNELLES.
14. Or la conception et la naissance de la parole sont la même chose, quand la volonté trouve son repos dans la connaissance, comme il arrive dans lamour des choses spirituelles. Ainsi, par exemple, celui qui connaît et aime parfaitement la justice est déjà juste, même quand il ny a pas nécessité dagir selon la justice, par un acte extérieur du corps. Mais dans lamour des choses charnelles et temporelles, il en est comme dans les enfantements des animaux : autre est la conception de la parole, autre son enfantement. En effet, ce qui se conçoit par le désir, naît par la réalisation. Ainsi il ne suffit pas à lavarice de connaître et daimer lor, il faut quelle le possède; ce nest pas assez de connaître et daimer la nourriture et lunion charnelle, si lacte ne sensuit; ni de connaître et daimer les honneurs et les charges, à moins quon ne les obtienne. Et quand tout cela est obtenu, cela ne suffit pas encore. « Celui qui boira de cette eau», dit Jésus-Christ, « aura encore soif (Jean, IV, 13 ) ». Aussi le psalmiste disait : « Il a conçu la douleur et enfanté liniquité (Ps., VIII, 15 )». Il appelle concevoir la douleur ou le travail, quand on conçoit des choses quil ne suffit pas de connaître et de vouloir, vu que lâme brûle dardeur et souffre dindigence, jusquà ce quelle soit parvenue à son but et quelle ait comme enfanté lobjet de ses désirs. Ce qui rend si justes ces mots de la langue latine : « parta, reperta, comperta ( Acquis ( et aussi enfanté), trouvé, découvert.) » qui semblent tous dériver du mot « partus (Enfantement ( et aussi acquis ) » .Car « la concupiscence, lorsquelle a conçu, enfante le péché ( Jac. I, 15 )». Aussi le Seigneur sécrie-t-il « Venez à moi, vous tous qui prenez de la peine et qui êtes chargés ( Matt., XI, 28 )», et ailleurs : «Malheur aux femmes enceintes et à celles qui nourriront en ces jours-là (Id., XXIV, 19. ). Il dit encore,,en rapportant à lenfantement de la parole toutes les actions bonnes ou mauvaises: « Cest par ta bouche que tu seras justifié et par ta bouche que tu seras condamné (Id., XII, 3 ) » entendons ici par bouche, non pas celle qui est visible, mais la bouche intérieure de la pensée et du coeur.
CHAPITRE X.LA CONNAISSANCE ACCOMPAGNÉE DAMOUR EST-ELLE SEULE LA PAROLE DE LAME?
15. On demande, et avec raison, si toute connaissance est parole, ou seulement la connaissance accompagnée damour. Car nous connaissons aussi ce que nous haïssons; mais on ne peut dire des choses qui nous déplaisent, quelles soient conçues ou enfantées par lâme. En effet, tout ce qui nous touche dune manière quelconque, nest pas conçu pour autant; il est des choses qui sont simplement connues (470) et ne sappellent point des paroles; telles sont celles 4ont il sagit maintenant. Car quon appelle paroles les sons formés de syllabes dans lespace et dans le temps, soit quils sortent de la bouche, soit quils restent dans lesprit; quon donne encore ce nom à tout ce qui est connu et imprimé dans lâme, tant quon peut lextraire de la mémoire, bien quon le désapprouve; enfin :quon applique ce mot à un objet conçu et approuvé par lâme : ce sont là trois sens différents. Cest dans ce dernier quil faut entendre ce passage de lApôtre: « Personne ne peut dire, Seigneur Jésus, que par lEsprit-Saint (I Cor., XII, 3 ) »; tandis quil faut entendre dans un autre sens le langage de ceux dont parle le Seigneur :. « Ce ne sont pas tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le royaume des cieux (Matt., VII, 21 )». Cependant quand les objets qui nous déplaisent nous inspirent une juste aversion et que cette aversion est justement approuvée, nous approuvons alors la désapprobation; elle nous plaît, cest une parole dailleurs, ce nest point la connaissance du vice, mais le vice même, qui nous déplaît. Par exemple; jai du plaisir à connaître et à définir lintempérance; voilà sa parole: cest ainsi quil y a dans un art des défauts connus, et dont la connaissance est justement approuvée, quand le connaisseur distingue lespèce et labsence de qualité, comme on distingue le oui du non, lêtre du néant; et pourtant manquer dune qualité et tomber dans un défaut, est chose blâmable. Définir lintempérance et en prononcer le nom, est iaffaire de la morale; mais être intempérant, voilà ce que la morale réprouve. De même savoir ce que cest quun solécisme et le définir, cest laffaire de la grammaire; mais commettre un solécisme, cest ce que la grammaire réprouve comme une faute. Ainsi donc, pour nous en tenir à notre sujet et au but que nous nous proposons, la parole est la connaissance accompagnée damour. Quand lâme se connaît et saime, sa parole sunit à elle par lamour. Et comme elle aime sa connaissance et connaît son amour, la parole est dans lamour et lamour dans la parole, et tous les deux sont en elle qui aime et qui parle.
CHAPITRE XI.LIMAGE OU LA PAROLE ENGENDRÉE DE LAME QUI SE CONNAÎT EST ÉGALE A LÂME ELLE-MÊME.
16. Mais toute connaissance spéciale est semblable à la chose, objet de cette connaissance. Car il y a une autre connaissance au point de vue de la privation, que nous exprimions quand nous désapprouvons. Et cette désapprobation de la privation est un éloge de lespèce, et cest pour cela que nous lapprouvons. Lâme a donc une certaine ressemblance avec lespèce quelle connaît, soit quelle approuve cette espèce, soit quelle en désapprouve la privation. Voilà pourquoi nous sommes semblables à Dieu dans la mesure où nous le connaissons; mais cette ressemblance ne va point jusquà légalité, parce que nous ne le connaissons point dans toute létendue de son être. Et de même que quand nous nommons les corps par le sens corporel, il sen forme dans notre âme une certaine ressemblance, qui est un jeu de la mémoire; car les corps eux-mêmes ne sont nullement dans lâme, lorsque nous y pensons, mais seulement leurs ressemblances; tellement que lerreur consiste à prendre leurs images pour eux, le propre de lerreur étant dapprouver une chose pour une autre; et néanmoins la représentation dun corps dans lâme lemporte sur le corps lui-même, puisquelle est dans une substance supérieure, cest-à-dire dans une substance vivante, qui est lâme; ainsi, dis-je, quand nous connaissons Dieu, tout en devenant meilleurs que nous nétions avant de le connaître, surtout quand cette connaissance agréée et dignement goûtée, devient parole et nous donne quelque ressemblance avec lui : cependant elle est inférieure à Dieu, parce quelle est dans une nature inférieure, vu que lâme est créature et que Dieu est créateur. Doù il faut conclure que quand lâme se connaît et sapprouve elle-même, sa connaissance devient sa parole, mais parole absolument pareille, égale et identique, puisquelle nest pas la connaissance dune nature inférieure, comme serait celle dun corps, ni dune nature supérieure, comme lest celle de Dieu. Et la connaissance ayant une ressemblance avec la chose même quelle connaît, cest-à-dire dont elle est la connaissance, elle la ici, parfaite et égale à (471) lâme même, puisque par elle lâme connaît et est connue, Elle est donc image et parole de lâme, puisquelle en est lexpression, quen connaissant elle lui est coégale, et que ce qui est engendré est égal au principe qui engendre.
CHAPITRE XII.LA CONNAISSANCE EST ENGENDRÉE PAR LÂME, LAMOUR NE LEST PAS. LÂME QUI SE CONNAÎT ET SAIME EST LIMAGE DE LA TRINITÉ.
17. Quest-ce donc que lamour? Nest-il-point image? ni parole? ni engendré? Pourquoi, quand lâme se connaît, engendre-t-elle sa connaissance, et quand elle saime, nengendre-t-elle pas son amour? Si elle est le principe de sa connaissance, parce quelle est susceptible dêtre connue, elle doit aussi être le principe de son amour, puisquelle est susceptible dêtre aimée. Pourquoi donc nengendre-t-elle pas lun et lautre ? Question difficile. Car on la soulève aussi à propos de la très-sainte Trinité, du Dieu tout puissant et créateur à limage duquel lhomme a été fait. Des hommes, que la vérité divine appelle à la foi par le langage humain, demandent pourquoi le Saint-Esprit nest pas cru, nest pas dit engendré par Dieu le Père et nommé aussi son Fils? Ce problème, nous cherchons à le résoudre autant que possible, dans lâme humaine; nous interrogeons en quelque sorte une image inférieure, où notre propre nature, plus familière pour nous , répond à notre question, afin dexercer notre intelligence et de remonter dune créature éclairée par emprunt, à la lumière qui ne change jamais. Et peut .être la vérité elle-même nous convaincra-t-elle que lEsprit-Saint est charité, comme le Verbe de Dieu est Fils, selon la ferme croyance de tout chrétien. Revenons donc à limage, qui est créature, cest-à-dire à lâme raisonnable, pour mieux linterroger là-dessus et létudier avec plus dattention. Là, certaine connaissance de choses temporelles qui nexistaient pas dabord, certain amour de choses qui jusque-là nétaient point aimées, nous éclaireront et nous dicteront une réponse; car le langage nous étant donné pour le cours du temps, une chose renfermée dans lordre du temps est plus facile à expliquer. 18. Tout dabord il est clair quune chose peut être susceptible dêtre connue et cependant nêtre pas connue, mais quil est impossible de connaître ce qui nest pas susceptible dêtre connu. Il faut donc tirer cette conclusion évidente : que tout ce que nous connaissons engendre en nous et avec nous sa connaissance. En effet, la connaissance est engendrée tout à la fois par ce qui connaît et par ce qui est connu. Donc, quand lâme se connaît elle-même, elle seule est le principe de sa connaissance : et elle en est tout à la fois objet et sujet. Or, même avant de se connaître, elle était susceptible dêtre connue delle-même; mais, quand elle ne se connaissait pas, cette connaissance de soi-même nexistait pas. Donc, en se connaissant, elle engendre une connaissance delle-même égale à elle-même, car elle ne se connaît pas moindre quelle nest, et sa connaissance nest pas dune autre essence quelle , non-seulement parce que cest elle-même qui connaît, mais parce quelle se connaît elle-même, comme nous lavons dit plus haut. Alors, que dirons-nous de lamour? Pourquoi lâme en saimant elle-même nengendrera-t-elle pas aussi son amour? Car elle était susceptible dêtre aimée par elle-même et avant de Raimer, elle pouvait saimer; tout comme elle était susceptible dêtre connue delle-même, et pouvait se connaître, avant quelle ne se connaisse. En effet, si elle neût pas été susceptible dêtre connue par elle-même, jamais elle neût pu se connaître; par conséquent, si elle neût pas été susceptible dêtre aimée delle-même, jamais elle neût pu saimer. Pourquoi donc ne dit-on pas quelle a engendré son amour en saimant, comme elle a engendré sa connaissance en se connaissant? Serait-ce que par là le principe même de lamour est indiqué, la source doù il procède; car il procède de lâme même, qui est susceptible dêtre aimée par elle-même, avant de saimer, et devient par conséquent le principe de lamour dont elle saime; mais quon aurait tort de dire cet amour engendré par elle, comme on le dit de la connaissance par laquelle elle se connaît, précisément parce que la connaissance a déjà trouvé lobjet quon appelle enfanté ou mis au jour, parsum, vel repertum (Voir ci-dessus, ch. IX, 470), et qui est souvent précédé de lenquête qui doit aboutir à ce terme? En effet, une enquête est le désir de trouver, ou, si tu laimes mieux, de mettre au jour. Or, ce que lon découvre est comme enfanté, il y (472) a là une espèce de fils, qu repériuntur, quasi pariuntur; et où sinon dans la connaissance elle-même ? Car cest là qua lieu la formation, et, pour ainsi dire, lexpression des objets. En effet, bien que les choses que nous cherchons et que nous trouvons existent préalablement, cependant leur connaissance nexiste pas dabord, et elle nous apparaît comme un enfant qui vient au monde. Or, ce désir qui pousse à chercher, procède de lêtre qui cherche, en dépend en une certaine manière, et ne se désiste du but auquel il tend, que quand lobjet cherché est trouvé et uni à celui qui le cherche. Ce désir, cest-à-dire cette recherche, si elle ne paraît pas encore être lamour par lequel on aime un objet connu car il sagit seulement ici de le connaître est cependant quelque chose du même genre. En effet, on peut déjà lappeler volonté, puisque celui qui cherche veut trouver; et si on cherche un objet à connaître, quiconque le cherche veut le connaître. Et si la volonté est ardente et persévérante, on lappelle étude : terme souvent employé dans la poursuite et lacquisition des sciences. Par conséquent lenfantement de lâme est précédé dun certain désir, en vertu duquel, en cherchant et en trouvant ce que nous voulons connaître, nous donnons naissance à un enfant, à la connaissance même. Par conséquent, ce désir par lequel la connaissance est conçue et enfantée, ne peut être dit lui-même conçu et enfanté. Et ce même désir qui pousse vivement vers la chose à connaître, en devient lamour dès quelle est connue ; il saisit, il embrasse cet enfant chéri, cest-à-dire la connaissance, et lunit au principe qui la engendré. Ainsi, voilà une certaine image de la Trinité: lâme, la connaissance quelle a delle-même et qui est comme son enfant, comme le verbe enfanté par elle; puis lamour survenant en tiers; trois choses qui ne sont quune chose et une seule substance. Et la connaissance nest pas moindre que lâme, puisque lâme se connaît dans toute son étendue; et lamour non plus nest pas moindre que lâme, puisque lâme saime autant quelle se connaît, et dans toute son étendue. (473)
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