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LIVRE QUINZIÈME : LA TRINITÉ AU CIEL.
Résumé de ce qui a été dit dans les quatorze livres précédents. Il faut chercher la Trinité dans les réalités éternelles, immatérielles et immuables, dont la parfaite contemplation nous est promise comme le souverain bonheur. Nous ne découvrons ici-bas cette Trinité que comme à travers un miroir et en énigme, dans limage de Dieu qui est en nous, comme une ressemblance obscure et difficile à saisir. Cest ainsi quon peut conjecturer et expliquer dune manière quelconque la génération du Verbe divin par la parole de notre âme, mais avec difficulté, à cause de limmense différence qui sépare les deux verbes; et aussi la procession du Saint-Esprit, par lamour, lien produit par la volonté.
LIVRE QUINZIÈME : LA TRINITÉ AU CIEL.
COURT RÉSUMÉ DE TOUS LES LIVRES PRÉCÉDENTS.
CE QUE TOUTE CRÉATURE NOUS APPREND DE DIEU.
COMBIEN IL EST DIFFICILE DE DÉMONTRER LA TRINITÉ PAR LA RAISON NATURELLE.
IL NEST PAS FACILE DENTREVOIR LA TRINITÉ DIVINE DAPRÈS LES TRINITÉS DONT NOUS AVONS PARLÉ.
EN QUEL SENS LAPOTRE DIT QUE NOUS VOYONS DIEU ICI-BAS A TRAVERS UN MIROIR.
DE LÉNIGME ET DES LOCUTIONS FIGURÉES.
LE VERBE DE DIEU EST ÉGAL EN TOUT AU PÈRE DE QUI IL EST.
COMBIEN GRANDE EST LA DIFFÉRENCE ENTRE NOTRE VERBE ET LE VERBE DIVIN.
MÊME QUAND NOUS SERONS SEMBLABLES A DIEU, NOTRE VERBE NE POURRA JAMAIS ÊTRE ÉGALÉ AU VERBE DIVIN.
AUCUN DON DE DIEU NE LEMPORTE SUR LA CHARITÉ.
LE SAINT-ESPRIT PROCÈDE DU PÈRE ET DU FILS, ET NE PEUT ÊTRE APPELÉ LEUR FILS.
CONCLUSION DU LIVRE. PRIÈRE. EXCUSES.
CHAPITRE PREMIER.DIEU EST AU-DESSUS DE LÂME.
1. Notre dessein étant damener le lecteur à reconnaître le Créateur dans ses créatures, nous sommes arrivé jusquà son image, qui est lhomme ; lhomme dans ce qui lélève au-dessus de tous les animaux, cest-à-dire dans sa raison ou son intelligence, dans tout ce quon peut attribuer à une âme raisonnable ou intelligente, dans tout ce qui est propre à cette chose quon appelle esprit ou âme. Cest par ce mot spécial mens, animus, que quelques auteurs latins désignent la partie principale de lhomme, refusée aux animaux, pour la distinguer de lâme même des animaux, anima. Si nous cherchons quelque chose, et quelque chose de vrai, au-dessus de cette nature, nous trouvons Dieu, cest-à-dire la nature incréée et créatrice. Que cette nature est Trinité, cest ce que nous devons démontrer, non-seulement aux croyants par lautorité de la divine Ecriture, mais encore, si cela est possible, aux hommes intelligents par quelque argument tiré de la raison. La discussion elle-même fera voir dès le début pourquoi jai dit : si cela est possible.
CHAPITRE II.IL FAUT CHERCHER SANS CESSE LE DIEU INCOMPRÉHENSIBLE. CE NEST PAS À TORT QUON CHERCHE DANS LA CRÉATURE LES TRACES DE LA TRINITÉ.
2. Le Dieu même que nous cherchons nous aidera, je lespère, à tirer quelque fruit de notre travail et à bien comprendre cette pensée du Psalmiste: « Que le coeur de ceux qui cherchent le Seigneur soit dans lallégresse; cherchez le Seigneur et soyez forts; cherchez sans cesse sa présence (Ps., CIV, 3, 4 ) ». En effet, il semble que chercher toujours, cest ne jamais trouver; et comment le coeur de ceux qui cherchent sans pouvoir trouver ne sera-t-il pas dans la tristesse plutôt que dans lallégresse? car le Psalmiste ne dit pas: « que le coeur » de ceux qui trouvent, mais « de ceux qui cherchent le « Seigneur, soit dans lallégresse ». Et dautre part, le prophète Isaïe atteste quon peut trouver le Seigneur en le cherchant : « Cherchez le Seigneur », dit-il, « et dès que vous laurez trouvé, invoquez-le; puis quand il sera près de vous, que limpie abandonne ses voies, et lhomme injuste ses pensées (Is., LV, 6, 7 )». Or, si en le cherchant, on le trouve, pourquoi nous dit-on: « Cherchez sans cesse sa présence ? » Serait-ce quil faut encore le chercher quand on la trouvé? En effet, cest ainsi quil faut chercher les choses incompréhensibles, et ne pas simaginer quon na rien trouvé, quand on a pu découvrir combien ce quon cherchait est incompréhensible. Pourquoi cherche-t-on ce que lon sait être incompréhensible, sinon parce quil ne faut jamais cesser la recherche des choses incompréhensibles tant quelle est profitable, et quon devient toujours meilleur en cherchant un bien si grand, qui est toujours à trouver quand on le cherche, et toujours à chercher quand on le trouve ? car on le cherche pour goûter plus de joie à le trouver, et on le trouve pour avoir plus dardeur à le chercher. Cest ici quon peut appliquer ce que le livre de lEcclésiastique dit de la sagesse: « Ceux qui me « mangent ont encore faim, ceux qui me boivent ont encore soif (Eccli., XXIV, 29 ) ». On mange en effet et on boit parce quon trouve; et comme on a faim et soif, on cherche encore. La foi cherche, lintelligence trouve; ce qui fait dire au prophète: « Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas (Is., VII, 9 ) ». Et, en retour, lintelligence cherche celui quelle a trouvé: car comme (543) chante le Psalmiste: « Le Seigneur a jeté un regard sur les enfants des hommes, pour voir sil en est un qui ait de lintelligence et qui cherche Dieu ( Ps., XIII, 2 ) ». Cest donc pour chercher Dieu que lhomme doit avoir de lintelligence. 3. Nous nous sommes donc assez arrêté aux créatures pour y reconnaître le Créateur: « En effet, ses perfections invisibles, rendues compréhensibles depuis la création du monde par les choses qui ont été faites, sont devenues visibles (Rom., I, 20 ) ». Aussi le livre de la Sagesse adresse-t-il des reproches à ceux qui, « à la vue des biens visibles, nont pu connaître Celui qui est, ni, en considérant les oeuvres, reconnaître louvrier; mais qui ont regardé comme des dieux arbitres du monde, le feu, le vent, lair agité, la multitude des étoiles, les flambeaux du ciel. Que si séduits par leur beauté, ils les ont crus des dieux, quils apprennent combien est plus beau leur Dominateur, puisque, source de la beauté, il les a créés. Et sils ont admiré la force et la puissance de ces créatures, quils comprennent, par là, combien est plus puissant celui qui les a faites. Car, par la grandeur et la beauté de la créature, il était possible de connaître le Créateur (Sag., XIII, 1-5 ) ». Jai cité ce passage de la Sagesse pour quaucun fidèle ne maccuse davoir perdu mon temps et ma peine à chercher dans les créatures certaines espèces de trinités, pour mélever de là graduellement jusquà lâme de lhomme, en quête de vestiges de cette souveraine Trinité, que nous cherchons quand nous cherchons Dieu.
CHAPITRE III.COURT RÉSUMÉ DE TOUS LES LIVRES PRÉCÉDENTS.
4. Mais comme la nécessité de discuter et de raisonner nous a forcé de dire, dans les quatorze livres précédents, une foule de choses que nous ne pouvons voir dun seul trait poux les ramener, par une pensée rapide, au but que nous voulons atteindre; je ferai, avec laide du Seigneur, tous mes efforts pour résumer en peu de mots et sans discussion tout ce que jai dit jusquici, et pour placer comme dans un tableau synoptique, non plus les raisons qui ont déterminé les conclusions, mais les conclusions elles-mêmes. Par là les conséquents ne seront pas assez éloignés de leurs antécédents, pour les faire oublier; et si cela arrivait, un simple coup doeil rétrospectif suffirait à rafraîchir la mémoire. 5. Dans le premier livre, lunité et légalité de la souveraine Trinité ont été démontrées daprès les saintes Ecritures. Dans le second, le troisième et le quatrième, même sujet, sauf quon y a spécialement traité de la mission du Fils et du Saint-Esprit, tout en prouvant que celui qui est envoyé nest pas pour cela moindre que celui qui lenvoie, puisque la Trinité est égale en tout, également immuable et invisible par sa nature, et quétant partout, elle opère sans séparation. Dans le cinquième, en vue de ceux qui pensent que la substance du Père et du Fils nest pas la même, parce quils simaginent que tout ce quon dit de Dieu regarde la substance, et quainsi engendrer et être engendré, ou être engendré et non engendré nétant pas la même chose, ces termes supposent diversité de substances, il est démontré que tout ce quon dit de Dieu ne tombe pas sur la substance, comme sil sagissait, par exemple, de la bonté, de la grandeur ou de tout autre attribut essentiel; mais quil y a aussi des termes relatifs, cest-à-dire se rapportant non à Dieu même, mais à quelque chose quil nest pas: comme Père qui se rapporte à Fils, ou Seigneur à la créature qui lui est soumise. Et sil y a là un sens relatif, cest-à-dire se rapportant à ce qui nest pas la substance, ce sens est de plus temporel, comme quand on dit: « Seigneur, vous êtes devenu notre refuge(Ps., LXXXIX, 1 )» ; ce qui ne suppose en Dieu aucun changement, et le laisse permanent et immuable dans sa nature ou son essence. Dans le sixième, on demande comment lApôtre a appelé le Christ vertu de Dieu et sagesse de Dieu (I Cor., I, 24 ), tout en remettant à un examen plus approfondi cette question: Celui par qui le Christ est engendré nest-il point sagesse, mais seulement Père de sa sagesse, ou bien la sagesse a-t-elle engendré la sagesse? Mais quoi quil en puisse être, on a vu dans ce livre quil y a égalité dans la Trinité, que Dieu nest point triple, mais Trinité; que le Père et le Fils ne sont point chose double vis-à-vis du Saint-Esprit chose simple, et que là, trois ne sont pas quelque chose de plus quun. On y a discuté aussi le sens de ces paroles de lévêque Hilaire: « Eternité dans le Père, beauté dans « limage, usage dans le don ». Dans le (543) septième livre, on traite la question qui avait été différée et on explique que Dieu qui a engendré son Fils nest pas seulement le Père de si vertu et de sa sagesse, mais quil est lui-même vertu et sagesse; et aussi le Saint-Esprit, sans cependant quil y ait trois vertus et trois sagesses, mais une seule vertu et une seule sagesse, comme il ny a quun seul Dieu et une seule essence. Puis on a demandé comment il se fait quon dise une essence, trois personnes, ou selon certains Grecs, une essence, trois substances; et on a trouvé que le besoin de sexprimer forçait à répondre par un seul mot à cette question: Quest-ce que les trois, ces trois que nous confessons en toute vérité, à savoir le Père, le Fils et le Saint-Esprit? Dans le huitième livre, on a prouvé par des arguments sensibles pour les lecteurs intelligents, que, dans la substance de la vérité, non-seulement le Père nest pas plus grand que le Fils, mais que les deux ne sont rien de plus grand que le Saint-Esprit, ou que deux personnes, que les trois mêmes réunies, ne sont rien de plus grand quune seule dentre elles prise en particulier. Ensuite, par la vérité que lintelligence découvre, par le souverain bien de qui tout bien découle, par la justice en vertu de laquelle lâme juste est aimée même de lâme qui ne lest pas, jai cherché, autant que je lai pu, à faire comprendre cette nature, non-seulement immatérielle, mais encore immuable, qui est Dieu. Puis par la charité, qui est le nom même de Dieu, daprès les saintes Ecritures (I Jean, IV, 16 ), jai commencé à donner aux lecteurs intelligents une idée quelconque de la Trinité : celui qui aime, celui qui est aimé et lamour qui les unit. Dans le neuvième, la discussion sest établie sur limage de Dieu, qui est lhomme en tant quintelligence, et nous y avons trouvé une certaine Trinité: lâme, la connaissance quelle a delle-même, et lamour quelle a pour elle-même et pour sa propre connaissance: trois choses qui sont démontrées égales et dune seule essence. Dans le dixième, ce même sujet a été étudié plus attentivement et plus à fond, et nous avons été amené à reconnaître dans lâme une trinité plus manifeste: sa mémoire, son intelligence et sa volonté. Mais comme il est évident quil nest pas possible à lâme de ne pas se souvenir delle-même, de ne pas se comprendre et de ne pas saimer, même quand elle ne pense pas à elle, et que, quand elle y pense, elle ne se sépare point par la pensée des objets matériels: nous avons différé de parler de la Trinité dont elle est limage, afin de découvrir une trinité même dans les corps visibles et dexercer ainsi la sagacité du lecteur. Dans le onzième livre, nous avons choisi pour sujet de nos raisonnements le sens de loeil, daprès lequel, sans autre explication, on peut porter sur les quatre autres sens un jugement analogue; et nous y avons vu la trinité de lhomme extérieur: les objets vus au dehors, soit par exemple un corps exposé au regard; puis la forme qui en résulte et simprime dans loeil du spectateur, et ensuite la volonté qui les unit. Mais ces trois choses ne sont évidemment point égales entre elles, ni de même substance. Puis dans lâme elle-même, une autre trinité est résultée des objets extérieurs et comme introduits par la porte des sens; trinité composée de trois choses de même substance: limage du corps restée dans la mémoire, linformation qui sen fait quand la pensée y tourne son regard, et la volonté qui les unit lune à lautre. Mais cette trinité nous a paru appartenir à lhomme extérieur, puisquelle est produite par des sensations venues du dehors. Dans le douzième, nous avons cru devoir distinguer la sagesse de la science, et chercher dans ce quon appelle proprement la science et qui est dune dignité inférieure, une certaine trinité particulière (sui generis) trinité qui appartient déjà, il est vrai, à lhomme intérieur, mais quon ne doit point encore appeler ni croire limage de Dieu. Cest là lobjet du treizième livre, où le sujet est traité à laide de la foi chrétienne. Dans le quatorzième, la discussion roule sur la vraie sagesse, cest-à-dire celle qui est un don de Dieu, une communication de Dieu, et est distincte de la science; et enfin on arrive à découvrir la Trinité dans limage de Dieu, cest-à-dire dans lâme humaine qui est renouvelée par la connaissance de Dieu selon limage de Celui qui a créé lhomme (Col., III, 10 ) à son image (Gen., I, 27 ), et reçoit ainsi la sagesse là où se contemplent les vérités éternelles.
CHAPITRE IV.CE QUE TOUTE CRÉATURE NOUS APPREND DE DIEU.
6. Cherchons donc la Trinité qui est Dieu (544) dans les réalités éternelles, immatérielles et immuables, dans la parfaite contemplation desquelles on nous promet la vie heureuse, qui ne peut quêtre éternelle. Lexistence de Dieu ne repose pas seulement sur lautorité des livres divins, mais tout ce qui nous environne, mais la nature entière à laquelle nous appartenons, nous aussi, proclament lEtre infiniment parfait qui les a créés, qui nous a donné une âme et une raison naturelle, en vertu de laquelle nous voyons quil faut préférer ce qui vit à ce qui ne vit pas, ce qui sent à ce qui ne sent pas, ce qui comprend à ce qui ne comprend pas, limmortel au mortel, la puissance à limpuissance, la justice à linjustice, la beauté à la laideur, le bien au mal, lincorruptible au corruptible , ce qui ne change pas à ce qui change, linvisible au visible, limmatériel au matériel, le bonheur au malheur. Par conséquent, comme nous mettons sans aucun doute le Créateur au-dessus des choses créées, il est nécessaire quil possède la vie à un plus haut degré, quil connaisse et comprenne tout; quil ne soit sujet ni à la mort ni à la corruption, ni au changement; quil ne soit point corps, mais esprit, et le plus puissant, le plus juste, le plus beau, le meilleur et le plus heureux de tous les esprits.
CHAPITRE V.COMBIEN IL EST DIFFICILE DE DÉMONTRER LA TRINITÉ PAR LA RAISON NATURELLE.
7. Tout ce que jai dit et tout ce que le langage humain peut exprimer qui soit digne de la Divinité, sapplique a toute la Trinité, qui est un seul Dieu, et à chacune des personnes de cette même Trinité prise en particulier. Qui oserait, en effet, affirmer soit de Dieu seul, qui est la Trinité même, soit du Père, ou du Fils ou du Saint-Esprit, quil ne vit pas, quil ne connaît ou ne comprend pas, ou que, dans cette même nature où lon enseigne quils sont égaux, lun deux est mortel, ou corruptible, ou sujet à changement, ou matériel? Ou bien qui osera dire que lun deux nest pas très-puissant, très-juste, très-beau, très-bon, très-heureux? Si donc ces choses et toutes celles de ce genre peuvent se dire de la Trinité même et de chacune des personnes en particulier, où et comment découvrirons-nous la Trinité? Réduisons donc ces divers points à un petit nombre. Car ce quon appelle vie en Dieu, cest son essence même et sa nature. Dieu ne vit donc que de sa vie, cest-à-dire de son essence propre. Or cette vie nest point celle de larbre, qui na ni intelligence ni sentiment. Elle nest point celle de lanimal; qui possède les cinq sens, il est vrai, mais est privé dintelligence. La vie qui est Dieu connaît et comprend tout; elle connaît par lesprit et non par le corps : car Dieu est esprit (Jean, IV, 24 ). Dieu ne connaît pas par le corps, comme les animaux qui ont un corps, car il nest point composé dune âme et dun corps; par conséquent cest une nature simple qui connaît comme elle comprend et comprend comme elle connaît : vu que connaître et comprendre sont pour elle la même chose. Et ce nest point à dire quil doive cesser un jour ou quil ait commencé : car il est immortel. Cest avec raison quon a dit de lui quil possède seul limmortalité (I Tim., VI, 6 ): car celui-là seul est vraiment immortel, dont la nature nest sujette à aucun changement. Cette vraie éternité, qui rend Dieu immuable, est sans commencement et sans fin, et par conséquent incorruptible. Ainsi dire que Dieu est éternel, ou immortel, ou incorruptible, ou immuable, cest dire une seule et même chose; et affirmer quil est vivant ou intelligent, cest-à-dire sage, cest encore tout un. Car il na pas reçu la sagesse dont il est sage, mais il est lui-même la sagesse. Et cette sagesse est sa vie, et aussi la vertu ou puissance qui le rend puissant, et la beauté qui le rend beau. Quoi en effet de plus puissant et de plus beau que la sagesse qui atteint dune extrémité à lautre avec force et dispose toutes choses avec douceur (Sag., VIII, 1 )?Et sa bonté et sa justice se distinguent-elles dans sa nature comme dans ses oeuvres? Sont-elles deux qualités diverses, dont lune sappelle la bonté, et lautre la justice? Pas le moins du monde; mais la justice est la même chose que la bonté, et la bonté la même chose que le bonheur, Or on dit que Dieu est immatériel ou incorporel, pour faire comprendre et admettre quil nest point corps mais esprit. 8. Quand nous disons : éternel, immortel, incorruptible, immuable, vivant, sage, puissant, beau, juste, bon, heureux, esprit, il semblerait que cette dernière expression seule se rapporte à la substance, et que les autres nindiquent que les qualités de cette substance; (545) mais il nen est pas ainsi dans cette nature ineffable et simple. Car tout ce qui semble, là, désigner une qualité, doit sentendre de la substance ou essence. Gardons-nous de dire que Dieu est esprit quant à la substance, et bon quant à la qualité; car ces deux choses tiennent à sa substance, Et ainsi des autres attributs que jai cités tout à lheure et dont jai déjà longuement parlé dans les livres précédents. Choisissons-en donc un parmi les quatre premiers que jai mentionnés dans cet ordre : éternel, immortel, incorruptible, immuable; puisque les quatre ne font quun, comme je lai déjà dit. Pour ne pas fatiguer lattention du lecteur, prenons le premier des quatre : cest-à-dire léternité. Appliquons le même procédé aux quatre suivants: vivant, sage, puissant, beau. Et comme lanimal a une vie quelconque, mais point de sagesse; comme ces deux qualités, sagesse et puissance sont ainsi rapprochées dans lhomme par la divine Ecriture : « Le sage est meilleur que le fort (Sag., V, 1 ) » comme, dautre part, on a lusage de dire de certains corps quils sont beaux choisissons, dans ces quatre attributs, la sagesse. Non quils soient inégaux dans Dieu ce sont quatre noms, mais la chose est une. Quant aux trois derniers, bien quen Dieu ce soit la même chose dêtre juste, bon, heureux, la même chose dêtre esprit, juste, bon et heureux: cependant comme, dans lhomme, il peut y avoir un esprit qui ne soit pas heureux; que cet esprit peut être bon et juste sans être heureux, et que celui qui est heureux est certainement un esprit juste et bon : choisissons entre les quatre ce qui suppose nécessairement les trois autres : heureux.
CHAPITRE VI.COMMENT IL Y A TRINITÉ DANS LA SIMPLICITÉ MÊME DE DIEU. LA TRINITÉ DIVINE SE DÉMONTRE-T-ELLE PAR LES TRINITÉS TROUVÉES DANS LHOMME ET COMMENT?
9. Quand donc nous disons: éternel, sage, heureux, ces trois choses sont-elles la Trinité quon appelle Dieu? Nous réduisons, il est vrai, ces douze attributs à trois; mais peut-être pouvons-nous réduire encore ces trois à un seul. Si, en effet, sagesse et puissance, ou vie et sagesse peuvent nêtre quune seule et même chose dans la nature de Dieu; pourquoi éternité et sagesse, ou bonheur et sagesse, ne seraient-ils pas aussi une seule et même chose dans cette même nature divine? Par conséquent, comme il nimportait pas de dire douze attributs ou trois, puisque nous avons réduit douze à trois ; il nimporte pas davantage de dire trois ou un, cet un auquel nous avons fait voir quon peut réduire les trois. Mais quelle méthode de discussion, quelle vigueur et quelle puissance dintelligence, quelle vivacité de raison, quelle pénétration desprit nous démontrera pour ne rien dire de plus comment cet un, cette sagesse qui sappelle Dieu, est Trinité? Car Dieu ne reçoit pas la sagesse dun autre, comme nous la recevons de lui; mais il est luimême sa propre sagesse, puisque sa sagesse nest pas autre chose que son essence, et quêtre et être sage sont pour lui la même chose. Sans doute les Saintes-Ecritures appellent le Christ vertu de Dieu et sagesse de Dieu (Cor., I, 24 ); mais nous avons fait voir dans le septième livre (Ch., I, 3 ) que ces paroles ne doivent pas sentendre en ce sens que le Fils rend le Père sage, et la raison va jusquà nous faire voir que le Fils est sagesse de sagesse, comme il est lumière de lumière, et Dieu de Dieu. Et, du Saint-Esprit, nous navons pu découvrir autre chose sinon quil est aussi Sagesse, et que les trois personnes ne sont quune seule sagesse, comme elles ne sont quun seul Dieu et, une seule essence. Comment donc comprendre que cette sagesse, qui est Dieu, est aussi Trinité? Je nai pas dit : comment croire? car cest-là un point hors de toute question pour les fidèles : mais sil est un moyen pour lintelligence de voir ce que nous croyons, quel est ce moyen? 10. Si nous cherchons dans lequel de ces livres la Trinité a commencé à nous apparaître, nous trouvons que cest dans le huitième. Cest là en effet que la discussion nous a amené à tourner, autant que possible, lattention du lecteur vers cette parfaite et immuable nature, qui nest pas notre âme. Nous la considérions alors comme étant proche de nous et pourtant au-dessus de nous, non localement, mais par sa respectable et merveilleuse présence, tellement quelle semblait être actuellement en nous par sa lumière. Cependant nous ny découvrions pas encore de trinité, parce que léblouissement ne nous (546) permettait pas de fixer le regard de notre âme pour la chercher; nous nous contentions de voir dune manière quelconque quil ne fallait point supposer, là, une étendue matérielle où deux ou trois fussent plus grands quun. Puis en arrivant à lamour, comme lEcriture Sainte dit que Dieu est amour ( Jean, IV, 16 ), nous avons commencé à entrevoir la Trinité, cest-à-dire celui qui aime, celui qui est aimé et lamour. Mais comme cette ineffable lumière éblouissait nos yeux, et nous faisait sentir limpuissance de notre âme à sonder ce mystère, pour soulager notre attention et nous reposer entre le début elle terme, nous nous sommes rabattus sur un sujet plus à notre portée, sur létude de notre âme, selon laquelle lhomme a été créé à limage de Dieu (Gen., I, 27 ). Et afin que les perfections invisibles de Dieu, qui ont été faites par les choses, nous fussent rendues intelligibles(Rom., I, 20 ), nous nous sommes arrêtés, du neuvième au quatorzième livre, sur cette créature qui est nous. Enfin après avoir autant et plus quil ne fallait peut-être, exercé notre intelligence sur des objets inférieurs, nous désirons nous élever jusquà la contemplation de cette souveraine Trinité qui est Dieu, et nous ne le pouvons pas. En effet si nous voyons avec une certitude entière des trinités formées, soit des corps extérieurs, soit de la pensée qui résulte de la sensation quils nous impriment; ou quand des impressions naissent dans lâme, indépendamment des sens corporels , comme la foi, comme les vertus destinées à régler notre vie, que la raison voit clairement et qui sont du domaine de la science; ou quand lâme elle-même, par laquelle nous connaissons tout ce que nous disons avec vérité connaître, se connaît elle-même, ou quand elle voit quelque chose quelle nest pas, quelque chose déternel et dimmuable : si, dis-je, nous voyons là certaines trinités avec certitude, parce quelles sopèrent en nous, ou sont en nous, quand nous nous rappelons, quand nous voyons ou voulons ces choses, voyons-nous de la même manière la Trinité divine? Voyons-nous par lintellect Dieu parlant, puis son Verbe cest-à-dire le Père et le Fils puis lamour procédant de lun et de lautre, commun à lun et à lautre, cest-à-dire le Saint-Esprit? Serait-ce que nous voyons ces trinités propres à nos sens ou à nos âmes plutôt que nous ne les croyons, et que nous croyons que Dieu est Trinité plutôt que nous ne le voyons? Sil en est ainsi, ou les perfections invisibles de Dieu ne nous sont pas rendues intelligibles par les choses qui ont été faites, ou, si nous en voyons quelques-unes, nous ny découvrons pas la Trinité, en sorte quil y a des choses que nous voyons et dautres que nous devons croire sans voir. Or, dans le livre huitième, nous avons démontré que nous voyons le bien immuable, qui nest pas nous, et le quatorzième nous la rappelé, alors que nous parlions de la sagesse que Dieu donne à lhomme. Pourquoi donc ny reconnaissons-nous pas la Trinité? Serait-ce que la sagesse qui sappelle Dieu, ne se comprend pas, ne saime pas elle-même? Qui osera le dire? Ou qui ne voit que là où il ny a pas rie science, il ne peut y avoir de sagesse? Ou bien devons-nous croire que la sagesse qui est Dieu connaît dautres choses et signore elle-même, ou aime dautres choses et ne saime pas elle-même? Sil est absurde et impie de dire ou de penser ces choses, voilà donc la Trinité, cest-à-dire la sagesse, la connaissance de soi, et lamour de soi. Cest en effet ainsi que nous avons découvert une trinité dans lhomme lâme, la connaissance quelle a delle-même, et lamour dont elle saime.
CHAPITRE VII.IL NEST PAS FACILE DENTREVOIR LA TRINITÉ DIVINE DAPRÈS LES TRINITÉS DONT NOUS AVONS PARLÉ.
11. Mais ces trois choses sont dans lhomme et ne sont pas lhomme lui-même ; car lhomme, suivant la définition des anciens, est un animal doué de raison et sujet à la mort. Elles sont donc la meilleure partie de lhomme, mais ne sont pas lhomme. Et une seule personne, cest-à-dire chaque homme pris en particulier, les possède toutes les trois dans son âme. Que si nous définissons lhomme : une substance raisonnable composée dune âme et dun corps, il est évident que lhomme a une âme qui nest pas corps, et un corps qui nest pas âme. Conséquemment ces trois choses sont dans lhomme, ou à lhomme, mais ne sont pas lhomme. Maintenant, abstraction faite du corps et à considérer lâme seule, lintelligence en est une partie, elle en est comme la tête si lon veut, ou loeil, (547) ou la face; mais il ne faut pas raisonner ici comme pour les corps. Ainsi donc lintelligence nest pas lâme, mais la meilleure partie de lâme. Or, pouvons-nous dire que la Trinité est en Dieu comme quelque chose qui lui appartient, mais nest pas Dieu? Chaque homme, qui est appelé limage de Dieu par son âme seulement, et non par tout ce qui tient à sa nature, est une personne et est par son âme limage de la Trinité; mais la Trinité, dont cette âme est limage, nest pas autre chose que Dieu dans sa totalité, ni autre chose que la Trinité dans sa totalité. Rien nappartient à la nature de Dieu qui nappartienne aussi à cette Trinité, et les trois personnes sont une seule essence, et non, comme lhomme, une seule personne. 12. Une autre différence énorme, cest que quand nous parlons de lâme dans lhomme, de la connaissance quelle a delle-même et de lamour quelle se porte ; ou de la mémoire, de lintelligence et de la volonté, nous ne nous souvenons de lâme elle-même que par la mémoire, nous ne la connaissons que par lintelligence, et nous ne laimons que par la volonté. Mais, dans cette souveraine Trinité, qui oserait dire que le Père ne se connaît lui-même, ne connaît le Fils elle Saint-Esprit, que par le Fils, quil naime que par le Saint-Esprit, mais quil se souvient seulement par lui-même, de lui-même et du Fils et du Saint-Esprit? Que le Fils pareillement, ne se souvient de lui-même ni de son Père que par le Père, quil naime que par le Saint-Esprit, et que par lui-même il ne peut que connaître le Père, se connaître lui-même et le Saint-Esprit? Que le Saint-Esprit à son tour se souvient, par le Père, et du Père et du Fils et de lui-même, quil connaît par le Fils et le Père elle Fils et lui-même, mais que par lui-même il ne peut que saimer, et aimer le Père et le Fils? Comme si le Père était sa propre mémoire et celle du Fils et du Saint-Esprit; le Fils sa propre connaissance et celle du Père et du Saint-Esprit; et le Saint-Esprit son propre amour, et lamour du Père et du Fils! Oui qui osera penser ou affirmer de pareilles choses de cette Trinité? Car si le Fils a seul de lintelligence pour lui, pour le Père et pour le Saint-Esprit, on retombera dans cette absurde proposition que le Père nest pas sage par lui-même mais par son Fils : alors la sagesse naura plus engendré la sagesse, mais il faudra dire que le Père est sage de la sagesse quil a engendrée. Car il ne peut y avoir de sagesse là où il ny a pas dintelligence; par conséquent si le Père ne comprend pas par lui-même, mais que le Fils comprenne pour le Père, cest évidemment le Fils qui communique la sagesse à son Père. Et si, pour Dieu, être et être sage cest la même chose, si son essence est la même chose que la sagesse, le Fils ne sera plus du Père, comme lenseigne la vérité ; mais le Père tiendra son essence du Fils : ce qui est le comble de labsurdité et de lerreur. Nous avons discuté, confondu, repoussé cette absurdité dans le septième livre (Ch., I, 3 ): cela est très-certain. Dieu le Père est donc sage de sa propre sagesse; et le Fils, sagesse du Père, est donc de la sagesse qui est le Père, duquel il a été engendré. Par conséquent le Père est aussi intelligent de sa propre intelligence car il ne serait pas sage, sil nétait pas intelligent; mais le Fils est lintelligence du Père, engendré de lintelligence qui est le Père. Le même raisonnement peut sappliquer à la mémoire. Comment en effet celui qui ne se souvient de rien, pas même de lui, serait-il sage? Donc, puisque le Fils est sagesse parce que le Père est sagesse, le Fils se souvient de lui-même, comme la Père se souvient de lui-même; et comme cest par sa propre mémoire, et non par celle de son Fils, que le Père se souvient de lui-même et de son Fils, de même le Fils se souvient de lui-même et de son Père, non par la mémoire de son Père, mais par la sienne propre. Mais où il ny a pas damour, peut-on dire quil y a sagesse ? Il faut donc conclure que le Père est son propre amour, comme il est son intelligence et sa mémoire. Donc dans cette souveraine et immuable essence qui est Dieu, ces trois choses; la mémoire, lintelligence, lamour, ne sont pas le Père, le Fils elle Saint-Esprit, mais le Père seul. Et comme le Fils est aussi sagesse engendrée de sagesse, que ce nest point le Père ni le Saint-Esprit qui comprennent pour lui, mais quil comprend par lui-même; ainsi ce nest point le Père qui se souvient pour lui, ni le Saint-Esprit qui aime pour lui, mais il se souvient et aime par lui-même; car il est sa propre mémoire, sa propre intelligence, son propre amour; néanmoins il tient tout cela du Père, de qui il est (548) né. Egalement, comme lEsprit-Saint est sagesse procédant de sagesse, il na pas le Père pour mémoire, le Fils pour intelligence et lui-même pour amour: car il ne serait pas sage, si un autre se souvenait pour lui, si un autre comprenait pour lui, et quil neût à lui-même que son propre amour. Mais il possède lui-même ces trois choses, et il les possède en ce sens quelles sont lui. Toutefois il les tient doù il procède. 13. Mais qui donc, parmi les hommes, peut comprendre cette sagesse par laquelle Dieu connaît toutes choses, de telle sorte que ce que nous appelons passé nest point passé pour lui, quil na point à attendre ce qui doit venir, mais que le passé et le futur sont pour lui la même chose que le présent; quil ne voit pas les choses une à une; que sa pensée ne passe pas dune chose à une autre, mais quil embrasse tout à la fois dun seul regard : quel homme, dis-je, comprend cette sagesse, qui est tout à la fois prévoyance et science, alors que nous ne comprenons pas même la nôtre? Nous pouvons, il est vrai, voir dune manière quelconque ce qui est présent à nos sens ou à notre intelligence; mais ce qui a cessé de leur être présent, nous ne le connaissons plus que par la mémoire, si nous ne lavons pas oublié. Nous ne jugeons pas le passé par lavenir, mais nous conjecturons lavenir daprès le passé, et encore dune manière peu sure. En effet, quand nous prévoyons certaines pensées, avec plus de clarté et plus de certitude, parce quun avenir plus prochain les met, pour ainsi dire, sous nos yeux, nous ne le pouvons, dans la mesure où nous le pouvons, que par laction de la mémoire, faculté qui semble appartenir au passé plutôt quà lavenir. Nous en avons lexpérience dans les paroles ou dans les chants que nous reproduisons de mémoire dans leur enchaînement: car nous nen viendrions pas à bout, si nous ne prévoyions en pensée ce qui doit suivre. Et cette prévision, pourtant, nest pas leffet de la prévoyance, mais bien de la mémoire : puisque, jusquà la fin de ce que nous avons à dire ou à chanter, tout sera prévu, aperçu à lavance. Cependant, dans ce cas, on ne dit pas que nous parlons ou que nous chantons par prévoyance, mais par mémoire; et chez ceux qui ont, sous ce rapport, une faculté extraordinaire, cest la mémoire quon vante et non la prévoyance. Tout cela se fait en notre âme ou par notre âme, nous le savons, nous en avons la servitude ; mais comment cela se fait-il? Plus nous cherchons à le savoir, plus la parole nous fait défaut, et notre attention elle-même ne saurait se soutenir jusquà nous le faire, sinon exprimer, du moins comprendre. Pensons-nous que notre esprit si infirme puisse jamais comprendre que la Providence divine est la même chose que la mémoire et son intelligence, cette Providence qui ne pense pas en détail, mais embrasse tout lobjet de ses connaissances dun regard unique, éternel, immuable et au dessus de toute expression? Au milieu de ces difficultés et de ces angoisses, cest le cas de crier au Dieu vivant: « Votre science est merveilleusement élevée au-dessus de moi, et je ny pourrai atteindre (Ps., CXXXVIII, 6 ). » Je comprends, daprès moi, combien est admirable et incompréhensible cette science par laquelle vous mavez créé, puisque je ne puis pas même me comprendre, moi que vous avez fait. Cependant mon coeur sest enflammé dans ma méditation (Ps., XXXVIII, 4 ), afin de chercher sans cesse votre présence (Ps., CIV, 4 ).
CHAPITRE VIII.EN QUEL SENS LAPOTRE DIT QUE NOUS VOYONS DIEU ICI-BAS A TRAVERS UN MIROIR.
14. Je sais que la sagesse est une substance immatérielle et une lumière dans laquelle on voit ce que ne voit pas loeil charnel. Et cependant cet homme si grand, si spirituel dit « Nous voyons maintenant à travers un miroir « en énigme, mais alors nous verrons face à face (I Cor., XIII, 12 ). ». Si nous cherchons à savoir quel est ce miroir et ce quil est, aussitôt une pensée nous frappe : dans un miroir on ne voit quune image. Et voilà à quoi ont tendu nos efforts: à nous faire voir, dune manière quelconque à travers limage, qui nest autre que nous-mêmes, comme à travers un miroir, Celui par qui nous avons été faits. Cest encore là le sens de ce que dit ailleurs le même apôtre: « Pour nous, contemplant à face découverte la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image de clarté en clarté, comme par lEsprit du Seigneur (II Cor., III, 18 )». Contemplant, dit-il, speculantes, cest-à-dire voyant à travers un miroir, per speculum, et non dun point dobservation, de specula. Le texte grec, duquel les lettres de lApôtre ont été traduites (549) en latin, ne laisse aucun doute sur ce point. Là, le miroir, speculum, qui reproduit les images des choses, se rend par un mot très-différent de specula, lieu élevé doù notre vue porte au loin; et il est véritable que lApôtre tire lexpression speculantes de speculum, et non de specula. Quant à ces expressions : « Nous sommes transformés en la même image », il est clair quil entend parler de limage de Dieu quil appelle la même, cest-à-dire celle-là même que nous contemplons, parce que cette image est aussi la gloire de Dieu, comme il le dit en un autre endroit : « Pour lhomme, il ne doit point voiler sa tête, parce quil est limage et la gloire de Dieu( I Cor., XI, 7 ) » : texte que nous avons déjà discuté dans le livre douzième. «Nous sommes transformés », ajoute-t-il, nous quittons notre forme pour en prendre une autre, nous passons de la forme obscure à la forme lumineuse; parce que notre forme, même obscure, est limage de Dieu, et par là même, sa gloire : cette forme dans laquelle nous avons été créés hommes, supérieurs aux autres animaux. Car cest de la nature humaine quil est dit : « Pour lhomme, il ne doit point voiler sa tête, parce quil est limage et la gloire de Dieu». Cette nature, la plus parfaite parmi les choses créées, une fois purifiée de son impureté par son Créateur, passe dune forme hideuse à une forme éclatante de beauté. Au sein même de son impiété, sa valeur se laisse dautant mieux voir que son vice est plus condamnable. Voilà pourquoi lApôtre ajoute : « de clarté en clarté »; de la gloire de la création à la gloire de la justification. Du reste, ces expressions : « de clarté en clarté », peuvent aussi sentendre autrement : de la gloire de la foi à la gloire de la claire vue; de la gloire dêtre fils de Dieu à la gloire de devenir semblables à lui, quand nous le verrons tel quil est (I Jean, III, 2 ). Enfin par ces mots: « Comme par lEsprit du Seigneur », lApôtre indique que cest à la grâce de Dieu que nous devons lavantage dune si heureuse transformation.
CHAPITRE IX.DE LÉNIGME ET DES LOCUTIONS FIGURÉES.
15. Tout ceci se rapporte à ce que dit lApôtre : que nous voyons « à travers un miroir». Quant aux mots suivants : « en énigme », ils sont inintelligibles pour la multitude illettrée qui ne connaît pas ces espèces de locutions que les grecs appellent tropes, expression qui est même passée de leur langue dans la nôtre. Car comme nous disons plus souvent schemata que figure, ainsi employons-nous plus souvent tropi que modi. Mais exprimer en latin les noms particuliers des figures ou tropes dans leur sens spécial, ce serait chose très-difficile et tout à fait inusitée. De là, il est arrivé que quelques-uns de nos interprètes ne voulant pas traduire littéralement ces paroles de lapôtre : « Ce qui a été dit par allégorie (Gal., IX, 24 ) » ont eu recours à cette périphrase : « Ce qui donne à entendre une chose pour une autre». Or, il y a plusieurs espèces de ce trope quon appelle lallégorie, et une entre autres qui a le nom dénigme. Mais il est nécessaire que la définition du mot générique renferme toutes les espèces. Par conséquent, comme tout cheval est animal, tandis que tout animal nest pas cheval; de même toute énigme est allégorie, mais toute allégorie nest pas énigme. Quest-ce donc quune allégorie, sinon un trope où lon donne à entendre une chose pour une autre, comme dans ce passage de lépître aux Thessaloniciens : « Ne dormons donc point comme tous les autres, mais veillons et soyons sobres. Car ceux qui dorment, dorment de nuit; et ceux qui senivrent, senivrent de nuit; mais nous qui sommes du jour, soyons sobres (I Thess., V, 6-8 )? » Toutefois ici lallégorie nest point énigme : car on en saisit la pensée, à moins dun grand défaut dintelligence. Mais lénigme, pour le dire en peu de mots, est une allégorie obscure, comme celle-ci, par exemple : « La sangsue a trois filles ( Prov., XXX, 15 )», et autres de ce genre. Toutefois une allégorie dont parle lApôtre nest pas en paroles, mais en fait: il parle des deux fils dAbraham, lun né de la servante, lautre de la femme libre ce qui nest pas une parole, mais un fait et veut désigner par là les deux Testaments. Jusquà cette explication, le texte était obscur; par conséquent, ce qui était allégorie à sen tenir au nom générique pouvait aussi être appelé énigme. 16. Mais comme les illettrés qui ne connaissent pas les tropes, ne sont pas les seuls à demander ce quentend lApôtre quand il dit que nous voyons en énigme, que les hommes instruits demandent aussi à savoir ce que cest que cette énigme dans laquelle nous voyons ici-bas, (550) il faut trouver une solution unique à ce double point de la question: « Nous voyons maintenant à travers un miroir », et : « en énigme ». Il ne doit en effet avoir quune solution, puisque lApôtre dit tout dun trait : « Nous voyons maintenant à travers un miroir en énigme». Il me semble donc que, comme par miroir il entend une image, par énigme il entend une ressemblance obscure et difficile à saisir. Ainsi par miroir et par énigme on peut supposer que lApôtre indique des ressemblances quelconques, les plus propres à nous faire con naître Dieu autant que possible; et aucune de ces ressemblances natteint mieux ce but que celle de lhomme, qui est appelé à juste titre limage de Dieu. Quon ne sétonne donc pas de la difficulté que nous éprouvons à voir dune manière quelconque par le moyen qui nous est accordé ici-bas, cest-à-dire à travers un miroir en énigme. Si nous pouvions voir facilement, le mot dénigme naurait plus de sens. Et voilà la plus grande énigme : que nous ne voyions pas ce quil nous est impossible de ne pas voir. En effet qui ne voit pas sa pensée? Et pourtant qui voit sa pensée, je ne dis pas de loeil du corps, mais de loeil intérieur? Qui ne la voit pas et qui la voit? Car la pensée est une certaine vision de lâme qui a lieu ou en présence des objets matériels qui frappent nos yeux, ou en leur absence, quand la pensée voit leurs images, ou quand on songe à des objets qui ne sont ni corps, ni images de corps, comme les vertus ou les vices ou la pensée elle-même; ou quand on reçoit des doctrines ou des sciences libérales, ou quand on sélève jusquaux causes et aux raisons supérieures de toutes choses renfermées dans la nature immuable, ou enfin quand on pense à des choses mauvaises, chimériques, fausses, avec ou sans lassentissement de la volonté.
CHAPITRE X.DE LA PAROLE DE LÂME, DANS LAQUELLE NOUS VOYONS LE VERBE DE DIEU COMME A TRAVERS UN MIROIR ET EN ÉNIGME.
17. Maintenant, parlons des choses connues auxquelles nous pensons, et connues même quand nous ny pensons pas, soit quelles appartiennent à la science contemplative, qui est proprement la sagesse, ou à la science active, qui conserve le nom de science, daprès la distinction que jai établie plus haut. Car lune et lautre appartiennent à la même âme et ne forment quune seule image de Dieu. Quand on soccupe plus spécialement et exclusivement de celle qui est inférieure, on ne doit pas lappeler image de Dieu, bien quon y découvre quelque ressemblance avec la Trinité souveraine, comme nous lavons montré dans le livre treizième (Ch. I, 20. ). Ici, nous parlons de la science de lhomme dans son ensemble, de celle qui renferme tous les objets de connaissance, lesquels sont vrais, puis quautrement ils ne seraient pas connus. En effet, personne ne connaît ce qui est faux autrement que parce quil sait que cela cest faux, et cette connaissance est vraie, parce quil est vrai que cela est faux. Nous parlons donc des choses connues auxquelles nous pensons, et connues même quand nous ny pensons pas. A coup sur, si nous voulons les exprimer, nous ne le pouvons quaprès y avoir pensé. Car bien quil ny ait pas de son de parole, celui qui pense parle certainement dans son coeur. Cest pourquoi on dit au livre de la Sagesse : « Ils ont dit, pensant follement en eux-mêmes (Sag., II, 1 ) ». Le sens de ces mots: « Ils ont dit en eux-mêmes », est expliqué par cette addition : « Pensant ». Il y a quelque chose danalogue dans lEvangile, quand certains scribes entendant le Seigneur dire au paralytique : « Mon fils, aie confiance, tes péchés te sont remis; ils dirent en eux-mêmes: Celui-ci blasphème ».Or, que signifient ces mots « Ils dirent en eux-mêmes », sinon: ils dirent dans leur pensée? Puis lEvangéliste continue: « Mais comme Jésus avait vu leurs pensées, il dit : Pourquoi pensez-vous mal en vos coeurs (Matt., IX, 2-4 )? » Cest saint Matthieu qui parle. Saint Luc raconte le même fait en ces termes: « Les scribes et les pharisiens commencèrent à réfléchir, disant : Quel est celui-ci qui profère des blasphèmes? Qui peut remettre les péchés, sinon Dieu seul? Mais dès que Jésus connut leurs pensées, il prit la parole et leur dit:Que pensez-vous en vos curs (Luc, V, 21, 22 )?» Ces expressions : « Ils réfléchirent en disant», ont le même sens que celles du livre de la Sagesse : « Ils ont dit pensant ». Là comme ici on fait voir que lhomme parle en lui-même et dans son coeur, cest-à-dire parle en pensant. En effet, ces pharisiens parlaient en eux-mêmes et on leur dit: « Que pensez-vous? » Et à propos de ce riche dont les (551) champs produisaient des fruits abondants, le Seigneur lui-même dit : « Or, il pensait en lui-même, disant (Luc, XII, 17) 18. Certaines pensées sont dans le langage du coeur, où du reste le Sauveur lui-même nous fait voir quil existe une bouche, quand il dit: « Ce nest point ce qui entre dans la bouche, qui souille lhomme; mais ce qui sort de la bouche, voilà ce qui souille lhomme ». Dans cette seule phrase il suppose deux bouches à lhomme, une dans le corps et lautre dans le coeur. Car ce que les Juifs regardaient comme souillant lhomme, entre dans la bouche du corps; tandis que daprès le Seigneur, ce qui souille lhomme sort de la bouche du coeur. Car il a lui-même expliqué le sens de ses paroles. En effet, un instant après, reprenant la question avec ses disciples, il leur dit : « Et vous aussi êtes-vous encore sans intelligence? Ne comprenez-vous point que tout ce qui entre dans la bouche va au ventre et est rejeté en un lieu secret? Voilà qui, sapplique indubitablement à la bouche du corps. Puis, parlant ensuite de la bouche du coeur, il ajoute : « Mais ce qui sort de la bouche vient du coeur, et voilà ce qui souille lhomme. Car du coeur viennent les mauvaises pensées, etc. (Matt., XV, 10, 20 ) » Quoi de plus clair que cette explication? Cependant bien que nous disions que les pensées sont les paroles du coeur, il ne sensuit pas quelles ne soient pas aussi quand elles sont vraies, des visions formées des visions de la connaissance. En effet, au moment ou elles se forment au dehors par lentremise du corps, la parole et la vision sont deux choses différentes; mais quand nous pensons au dedans de nous, elles nen font plus quune. Cest ainsi que laudition et la vision sont deux sensations très-différentes dans les sens du corps; mais dans lâme, voir et entendre sont la même chose. Voilà pourquoi, tandis que au dehors le langage ne se voit pas, mais sentend, lEvangile nous dit que le Seigneur vit les paroles intérieures cest-à-dire les pensées, mais non quil les entendit : « Ils dirent en eux-mêmes : Celui-ci blasphème »; puis il ajoute : « Mais comme Jésus avait vu leurs pensées ». Il vit donc ce quils avaient dit; par sa pensée il avait vu leurs pensées quils croyaient seuls voir. 19. Ainsi , celui qui peut comprendre la parole, non-seulement avant quelle résonne, mais avant même que la pensée se figure les images de ses sons et cest ce qui nappartient à aucune des langues, de ces langues quon appelle humaines et dont notre langue latine fait partie celui, dis-je, qui peut comprendre cela, peut déjà voir, à travers ce miroir et en cette énigme, quelque ressemblance de ce Verbe suprême dont il est dit : « Au commencement était le Verbe, et « le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu (Jean, I, 1 ) ». Il est nécessaire en effet, quand nous disons la vérité, cest-à-dire quand nous exprimons ce que nous savons, que la parole, tirant son origine de la science conservée dans la mémoire, soit absolument de même nature que la science même dont elle tire son origine. Car la pensée, formée de la chose que nous savons, est la parole que nous disons dans notre coeur : parole qui nappartient ni au grec, ni au latin, ni à aucune autre langue. Mais comme il faut quelle parvienne à la connaissance de ceux à qui nous parlons, ou emploie quelque signe pour lexprimer. Le plus souvent cest un son, quelquefois un mouvement de tête, lun parlant aux oreilles, lautre aux yeux: et ces signes corporels sont les moyens de faire connaître aux sens du corps la parole que nous portons dans notre coeur. Car, quest-ce que faire un signe (innuere) sinon rendre en quelque façon la parole visible? LEcriture nous offre encore là-dessus son témoignage. Nous lisons en effet dans lEvangile selon saint Jean : « En vérité, en vérité, je vous le dis, un de vous me trahira. Les disciples donc se regardaient les uns les autres, incertains de qui il parlait. Or un des disciples, que Jésus aimait, reposait sur son sein. Simon Pierre lui fit donc signe et lui dit : Quel est celui dont il parle (Id., XIII, 21, 24 )?» Pierre exprime par signe, ce quil nosait dire en parole. Ces signes corporels et autres de ce genre sadressent aux oreilles ou aux yeux de ceux à qui nous parlons et qui sont présents, mais les lettres ont été inventées pour pouvoir converser avec les absents, et elles sont les signes des mots, tandis que les mots eux-mêmes qui sortent de notre bouche sont les signes des choses que nous pensons. (552)
CHAPITRE XI.IL FAUT CHERCHER UNE IMAGE QUELCONQUE DU VERBE DIVIN DANS NOTRE VERBE INTÉRIEUR ET MENTAL. ÉNORME DIFFÉRENCE ENTRE NOTRE VERBE ET NOTRE SCIENCE, LE VERBE DIVIN ET LA SCIENCE DIVINE.
20. Ainsi la parole qui résonne au dehors est le signe de la parole qui luit au dedans et quil est plus juste dappeler verbe. Car ce que la bouche du corps prononce est la voix du verbe; et elle sappelle verbe à cause de son origine même. Par là, notre verbe devient en quelque sorte la voix du corps, en sen revêtant pour se manifester aux sens des hommes; comme le Verbe de Dieu a été fait chair, en se revêtant de la chair pour se manifester aux sens des hommes. Et comme notre verbe devient voix, sans se transformer en voix, ainsi le Verbe de Dieu a été fait chair, mais ne sest nullement transformé en chair. Car cest en se revêtant et non en sabsorbant, que notre verbe devient voix, et que le Verbe divin a été fait chair. Ainsi, que celui qui désire découvrir une image quelconque du Verbe divin, quoique avec une multitude de différences, ne sattache pas à considérer le verbe humain résonnant aux oreilles, ni quand il est exprimé par la voix, ni quand il reste dans le silence de la pensée. Car on peut penser en silence aux paroles de toutes langues, repasser dans son esprit des pièces de poésie, sans rien exprimer; et non-seulement les mesures des syllabes, mais même les tons de la musique, étant matériels et appartenant à ce sens du corps quon appelle louïe, se rendent présents, au moyen de certaines images immatérielles, à la pensée de ceux qui les repassent dans leur mémoire quand leur bouche se tait. Mais il faut sélever au-dessus de tout cela pour parvenir à ce verbe humain où lon verra, par une ressemblance quelconque et comme en énigme, le Verbe divin, non pas celui qui a été adressé à tel prophète et dont on a dit : « La parole de Dieu croissait et se multipliait (Act., V, 7 ) » ; ou encore : « La foi donc vient par laudition, et laudition par la parole du Christ (Act., V, 17 ) »; et ailleurs : « Ayant reçu la parole de Dieu que vous avez ouïe de nous, vous lavez reçue non comme la parole des homme, mais (ainsi quelle lest véritablement) comme la parole de Dieu (I Thess., II, 13 ) ». Les Ecritures sont remplies de textes de ce genre relatifs à la parole de Dieu, à celle qui se répand dans les coeurs et sur les lèvres des hommes, au moyen des sons de langes nombreuses et variées. Et on lappelle parole de Dieu parce que lenseignement quelle donne est divin, et non humain. Mais le Verbe dont nous cherchons ici une image quelconque par ressemblance, est celui dont il est dit: « Le Verbe était Dieu (Jean, I, 1,3,4) ; » dont il est dit: « Toutes choses ont été faites par lui » ; dont il est dit : « La source de la sagesse est le Verbe de Dieu dans les hauteurs du ciel (Eccli., ?) ». Il faut donc parvenir à ce verbe de lhomme, au verbe de lêtre animé et doué de raison, au verbe de limage de Dieu qui nest point née de lui, mais qui a été faite à son image, au verbe qui ne sexprime pas par un son, qui ne se présente pas à la pensée sous la forme dun son nécessité imposée à toutes les langues mais antérieur à tous les signes qui le représentent, qui est engendré de la science qui subsiste dans lâme, quand cette science est exprimée intérieurement telle quelle est. Car la vision de la pensée est parfaitement semblable à la vision de la science; tandis que quand on sexprime par son ou par quelque signe du corps, on ne dit point la chose telle quelle est, mais telle quelle peut être vue ou entendue par lentremise du corps. Quand donc ce qui est dans la connaissance est aussi dans la parole, alors cest le véritable verbe, et aussi la vérité, telle quon peut lattendre de lhomme, puisque ce qui est dans la vérité est aussi dans le verbe, que ce qui nest pas dans la vérité nest pas dans le verbe. Ici on reconnaît le : « Oui, oui, non, non (Matt., V, 37 ) », de lEvangile. Cest ainsi que la ressemblance de limago créée se rapproche, autant que possible, de limage qui est née, en vertu de laquelle Dieu le Fils est proclamé semblable à son Père substantiellement et en tout. Il faut aussi remarquer dans cette énigme, un autre trait de ressemblance avec le Verbe de Dieu : cest que, comme on dit du Verbe divin: « Toutes choses ont été faites par lui, » ce qui témoigne que Dieu a tout fait par son Verbe unique; de même il ny a pas doeuvre humaine qui nait dabord été dite dans le coeur, (553) comme le démontre ce texte : « La parole est le commencement de toute uvre (Eccli., XXXVII, 20 ) ». Mais, ici aussi, cest quand le verbe est vrai, que la bonne oeuvre commence. Or le verbe est vrai quand il est engendré par la science du bien faire et quon y observe le: « Oui, oui, non, non » ; tellement que si cest « oui » dans la science qui doit régler la vie, ce soit « oui »aussi dans le verbe par lequel on doit agir et « non », si cest « non » : autrement le verbe sera le mensonge et non la vérité, et, par suite, il y aura péché, et non bonne oeuvre. Il y a encore un autre rapprochement entre notre verbe et le Verbe de Dieu : cest que notre verbe peut exister sans que laction sen suive, et quil ne peut y avoir daction qui ne soit précédée du verbe ; de même que le Verbe de Dieu peut être sans quil existe aucune créature, et quil ne peut y avoir aucune créature que par celui par qui toutes choses ont été faites. Cest pourquoi ce nest pas Dieu le Père, ni le Saint-Esprit, ni la Trinité elle-même, mais le Fils seul, cest-à-dire le Verbe de Dieu, qui a été fait chair : afin que, notre verbe se conformant à son exemple, notre vie fût régulière, cest-à-dire afin quil ny eût pas de mensonge dans la pensée ni dans les oeuvres de notre verbe. Mais cette image deviendra parfaite un jour. Cest pour atteindre cette perfection, que nous recevons dun bon maître la foi chrétienne et les enseignements de la piété, afin que, « à face découverte», sans le voile de la Loi qui est lombre des choses futures, « contemplant la gloire du « Seigneur », cest-à-dire regardant à travers un miroir, nous soyons transformés « en la même image, de clarté en clarté, comme par lEsprit du Seigneur (II Cor., III, 18 ) », suivant lexplication que nous avons donnée de ces paroles. 24. Quand donc, par cette transformation, limage sera parfaitement renouvelée, alors nous serons semblables à Dieu, parce que nous le verrons, non plus à travers un miroir, mais tel quil est (Jean, III ; 2 ), ou, comme dit saint Paul, « face à face (I Cor., XIII, 12 )». Mais maintenant, dans ce miroir, dans cette énigme, dans cette ressemblance quelconque, quelle immense différence ! Qui pourrait lexpliquer ? Jessaierai cependant, autant quil me sera possible, den toucher quelque chose qui puisse en donner une idée. CHAPITRE XII.PHILOSOPHIE DE LACADÉMIE.
Tout dabord cette science, dont notre pensée se forme daprès la vérité, quand nous exprimons ce que nous savons, quelle est-elle et dans quelle mesure peut-elle provenir à lhomme le plus habile et le plus savant que nous puissions supposer? Si nous exceptons ce qui arrive à lâme par les sens du corps, ces choses qui sont si souvent autrement quelles ne paraissent, toutes ces vraisemblances dont lencombrement est parfois tel que linsensé se croit sain desprit ce qui a donné tant de vogue à la philosophie de lacadémie qui sest mise à douter de tout, folie cent fois plus misérable encore excepté, dis-je, ce qui vient à lâme par les sens du corps, que nous reste-t-il en fait de connaissances, dont nous soyons aussi assurés que de notre existence?Ici, du moins, nous ne craignons pas dêtre trompés par la vraisemblance, puisque nous savons avec certitude quon peut se tromper et vivre; et il ne sagit pas dun de ces objets visibles, placés hors de nous, où il arrive au regard de se tromper, comme quand la rame, vue à travers leau, lui semble brisée, ou quand on est sur un vaisseau et quon croit voir des tours remuer, ou dans mille autres circonstances de ce genre où les choses sont autrement quelles ne paraissent; car ici ce nest pas loeil du corps qui voit. Nous savons dune science intime que nous vivons; un académicien ne peut pas même dire : Peut-être dors-tu sans le savoir, et ne vois-tu quun rêve. Sans doute les rêves de lhomme endormi ressemblent fort à ce que voit lhomme éveillé : qui ne le sait? Mais lhomme qui a la certitude de vivre, ne dit pas : Je sais que je suis éveillé; il dit : Je sais que je vis; et il vit, endormi ou éveillé. Et là-dessus il ne peut pas être trompé par des songes: car pour dormir et voir en songe, il faut vivre. Un académicien ne peut non plus lui objecter : Tu es peut-être fou sans le savoir ; les hallucinations des fous ressemblent fort aux idées des hommes sains desprit : car, pour être fou, il faut vivre. Et cet homme ne répond pas aux académiciens : Je sais que je ne suis pas fou, mais bien : Je sais que je vis. Ainsi donc on ne se trompe jamais et lon ne ment jamais à dire : Je sais que je vis. Quon oppose donc à cette affirmation (554) mille exemples de déception dans les yeux; lhomme qui dit: Je sais que je vis, na pas àsen émouvoir, parce que pour se tromper il faut vivre. Mais si la science humaine se borne à de telles certitudes, elle est bien petite; à moins que ces certitudes ne soient si multipliées dans chaque ordre de choses, quelles cessent dêtre en petite quantité et quelles tendent même à un nombre indéfini. En effet, lhomme qui dit : Je sais que je vis, naffirme quune chose; mais sil dit : Je sais que je sais que je vis, il en affirme déjà deux; et à ces deux choses sen joint une troisième, la connaissance quil en a. Il pourra y en ajouter une quatrième, une cinquième et ainsi de suite indéfiniment, sil suffit à la tâche. Mais comme il ne peut ni embrasser une quantité innombrable par des additions de détail, ni parler indéfiniment, il y a une chose quil comprend et exprime en toute certitude, cest que cela est vrai et que le nombre est tellement au-dessus du calcul quil lui est impossible de comprendre et dexprimer un nombre infini. On peut en dire autant des certitudes de la volonté. Qui peut en effet, sans effronterie, dire : Tu te trompes, à lhomme qui dit : Je désire être heureux? Et sil dit: Je sais que je le veux, et je sais que je le sais : déjà à deux choses, il en ajoute une troisième, la connaissance quil a de ces deux choses; puis une quatrième; quil sait quil sait ces deux choses, et ainsi de suite, indéfiniment. Egalement si quelquun dit: Je ne veux pas me tromper; soit quil se trompe, soit quil ne se trompe pas, ne sera-t-il pas toujours vrai quil ne veut pas se tromper? Et qui portera linsolence jusquà lui dire : Peut-être en cela te trompes-tu, puisque, quelle que puisse être son erreur, il ne se trompe pas dans la volonté de ne pas se tromper? Et sil dit quil sait cela, il peut y ajouter une quantité quelconque de choses à lui connues, et bientôt il sapercevra que le nombre en est indéfini. En effet, celui qui dit: Je ne veux pas me tromper et je sais que je ne le veux pas, et je sais que je sais cela, indique par le fait un nombre indéfini, quoique difficile à exprimer. On pourrait encore opposer dautres exemples aux académiciens qui affirment que lhomme ne peut rien savoir. Mais nous devons nous borner, surtout parce que ce nest point là le sujet de ccl ouvrage. Dans le premier moment de notre conversion, nous avons écrit trois livres contre les académiciens; celui qui pourra et voudra les lire et les bien comprendre, ne se laissera certainement point ébranler par les nombreux arguments que lon a imaginés pour contester la possibilité de percevoir la vérité (Voir tome III ). Car comme il y a deux espèces de connaissances, celle des objets que lâme perçoit par lentremise des sens, et celle des choses quelle perçoit par elle-même, ces philosophes ont débité une foule de niaiseries contre les sens du corps; mais ils nont pu révoquer en doute que lâme perçoive par elle-même et en toute certitude certaines vérités, comme celle dont je parlais tout à lheure : Je sais que je vis. Mais à Dieu ne plaise que nous doutions de la vérité des perceptions acquises par les sens ! car cest par eux que nous connaissons lexistence du ciel et de la terre, et tout ce que nous savons des objets quils renferment, dans la mesure où la voulu Celui qui les a créés et nous a créés nous-mêmes. Loin de nous également la pensée de nier ce que nous avons appris par le témoignage des autres ! Autrement nous ignorerions quil y a un Océan; nous ne connaîtrions pas lexistence de certaines contrées, de certaines villes renommées; nous ne saurions rien des hommes dautrefois, rien de leurs actions mentionnées par lhistoire; nous resterions dans lignorance des nouvelles qui nous viennent chaque jour de tout côté, et dont la certitude repose sur des indices concordants et dignes de foi; enfin nous ne saurions pas même où nous sommes, ni de qui nous sommes nés, puisque nous avons appris tout cela par le témoignage des autres. Or si ce serait là le comble de labsurdité, il faut donc reconnaître que la somme de nos connaissances sest bien augmentée, non-seulement par nos propres sens, mais par ceux des autres. 22. Ainsi ces diverses connaissances que lâme perçoit ou par elle-même, ou par les sens du corps, ou par le témoignage des autres, elle les renferme dans le trésor de sa mémoire, et cest de là quest engendré le Verbe vrai, quand nous disons ce que nous savons, mais verbe antérieur à tout son, à toute pensée de son. Alors le verbe est parfaitement semblable à lobjet connu, qui engendre même son image, puisque la vision de la pensée naît de la vision de la science: (555) verbe qui nappartient à aucune langue verbe vrai dune chose vraie, nayant rien de lui-même, mais tenant tout de la science dont il naît. Peu importe le moment où celui qui exprime ce quil sait, la appris; quelquefois il parle aussitôt quil sait; lessentiel est que le verbe soit vrai, cest-à-dire né de choses connues.
CHAPITRE XIII.LAUTEUR REVIENT SUR LA DIFFÉRENCE ENTRE LA SCIENCE ET LE VERBE DE NOTRE ARE, ET LA SCIENCE ET LE VERBE DE DIEU.
Est-ce donc que Dieu le Père, de qui est né le Verbe, Dieu de Dieu, est-ce que Dieu le Père, dans cette sagesse, qui nest autre que lui-même, aurait acquis certaines connaissances par les sens de son corps, et dautres par lui-même? Qui osera le dire parmi tous ceux qui savent que Dieu nest point un animal raisonnable, quil est au-dessus de lâme douée de raison, et qui le conçoivent par la pensée, autant que cela est possible à des êtres qui le placent au-dessus de tous les animaux et de toutes les âmes, bien quils ne le voient encore quà travers un miroir en énigme et par conjecture, et non face à face tel quil est? Est-ce que tout ce que Dieu le Père connaît, non par son corps il nen a point mais par lui-même, il la puisé à une autre source que lui-même? A-t-il eu besoin de messagers, ou de témoins pour le savoir? Non certainement: sa propre perfection suffit à savoir tout ce quil sait. Sans doute il a des messagers, les anges, mais ce nest pas pour en apprendre des nouvelles quil ignore : car il nest rien quil ne sache; lavantage de ces esprits est de consulter la vérité pour agir, et cest en ce sens quils sont censés lui annoncer certaines choses, non pour linstruire, mais pour en recevoir ses instructions par le moyen de son Verbe et sans aucun son matériel. Envoyés par lui à ceux quil veut, ils lui annoncent ce quil veut, et entendent tout de lui par son Verbe; cest-à-dire, ils voient dans sa vérité ce quils doivent faire, ce quil faut annoncer, à qui et quand il faut lannoncer. Et nous-mêmes nous le prions, et pourtant nous ne lui apprenons pas nos besoins. Son Verbe nous la dit : « Votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez (Matt., VI, 8 )». Et cette connaissance chez lui ne date pas du temps; mais il a su de toute éternité tout ce qui devait arriver dans le temps, et, en particulier, ce que nous lui demanderions et quand nous le demanderions, qui et pourquoi il exaucerait ou nexaucerait pas. Et toutes ses créatures spirituelles et corporelles, il ne les connaît pas parce quelles sont, mais elles sont parce quil les connaît. Car il nignorait pas ce quil devait créer. Il a donc créé parce quil connaissait, et non connu parce quil avait créé. Il na pas connu les choses créées dautre manière que quand elles étaient à créer; elles nont rien ajouté à sa sagesse; pendant quelles recevaient lexistence dans la mesure et dans le moment convenables, cette sagesse demeurait ce quelle était. Voilà pourquoi on lit dans le livre de lEcclésiastique : « Toutes choses lui étaient connues avant quelles fussent créées, et « ainsi en est-il depuis quelles sont créées (Eccli., XXIII, 29 ) ». « Ainsi », mais non autrement, « elles lui étaient connues avant quelles fussent créées; ainsi encore depuis quelles sont créées ». Notre science est donc bien différente de celle-là. Or la science de Dieu, cest sa sagesse, et sa sagesse cest son essence même et sa substance. Dans la merveilleuse simplicité de cette nature, être et être sage ne sont pas choses différentes; mais être et être sage cest tout un, comme je lai dit bien des fois dans les livres précédents. Notre science, au contraire, peut, en beaucoup de choses, se perdre et se recouvrer, parce que être et être savant ou sage ne sont point pour nous la même chose : vu que nous pouvons être, et ne pas savoir, et ne pas goûter ce que nous avons dailleurs appris. Par conséquent, comme notre science diffère de la science de Dieu, ainsi le verbe qui naît de notre science est différent du Verbe de Dieu, né de lessence du Père, comme si je disais: né de la science du Père; de la sagesse du Père, ou avec plus dénergie encore : né du Père science, du Père sagesse.
CHAPITRE XIV.LE VERBE DE DIEU EST ÉGAL EN TOUT AU PÈRE DE QUI IL EST.
23. Donc le Verbe de Dieu le Père, Fils unique, est semblable et égal au Père en tout, Dieu de Dieu, lumière de lumière, sagesse de sagesse, essence dessence; il est absolument (556) ce quest le Père, et cependant il nest pas Père, puisque lun est Fils et lautre Père. Par conséquent il connaît tout ce que le Père connaît; mais il tient du Père la connaissance aussi bien que lEtre. Car, en Dieu, connaître et être cest la même chose. Le Père, comme en sexprimant lui-même, a engendré le Verbe qui lui est égal en tout, et il ne se serait pas exprimé lui-même entièrement et parfaitement, sil y avait en son Verbe quelque chose de plus ou de moins quen lui. Cest ici quon reconnaît au souverain degré le: « Oui, oui, Non, non (Matt., V, 37 ) ». Voilà pourquoi ce Verbe est réellement la vérité, parce que tout ce qui est dans la science qui lengendre est aussi en lui, et quil na rien de ce qui ny est pas. Ce Verbe ne peut absolument rien avoir de faux ; parce quil est immuablement ce quest Celui de qui il est. Car « le Fils ne peut rien faire de lui-même, si ce nest ce quil voit que le Père fait (Jean, V, 19 ) ». Ii ne le peut absolument, et ce nest point là faiblesse, mais force, la force qui fait que la vérité ne peut être fausse. Dieu le Père connaît donc toutes choses en lui-même, il les connaît dans son Fils; dans lui-même, comme lui-même, dans le Fils comme son Verbe, qui comprend tout ce qui est en lui. Le Fils connaît également toutes choses : en lui-même, comme choses nées de celles que le Père connaît en lui-même; dans le Père, comme choses doù sont nées celles que le Fils connaît en lui-même. Le Père et le Fils savent donc réciproquement, mais lun en engendrant, lautre en naissant. Et chacun deux voit simultanément tout ce qui est dans leur science dans leur sagesse, dans leur essence; non en particulier ou en détail, comme si leur vue alternait, passait là, revenait ici, se portait dun côté à un autre, dans limpuissance de voir ceci en même temps que cela; mais, comme je lai dit, chacun deux voit tout, tout à la fois et toujours. 24. Quant à notre verbe, qui na pas de son, qui ne pense point au son, mais seulement à la chose que nous exprimons intérieurement en la voyant, qui, par conséquent, nappartient à aucune langue, et a quelque ombre de ressemblance en énigme avec le Verbe de Dieu qui est Dieu, puisquil naît de notre science comme le Verbe est né de la science du Père; quant à ce verbe, dis-je, si nous lui trouvons quelque ressemblance avec le Verbe suprême, ne rougissons point de faire voir, autant quil nous sera possible, combien il en diffère.
CHAPITRE XV.COMBIEN GRANDE EST LA DIFFÉRENCE ENTRE NOTRE VERBE ET LE VERBE DIVIN.
Notre verbe naît-il de notre science seule? Ne disons-nous pas bien des choses que nous ignorons ? Nous les disons même sans hésiter, mais les croyant vraies; et si par hasard elles le sont, elles le sont dans les objets même dont nous parlons, et non dans notre verbe, puisque le verbe nest vrai quautant quil est engendré de la chose même que lon sait. Ainsi donc notre verbe est faux alors, non parce que nous mentons, mais parce que nous sommes trompés. Quand nous doutons, le verbe nest point encore engendré de la chose dont nous doutons, mais du doute même. En effet, bien que nous ne sachions pas si la chose dont nous doutons est vraie, nous savons du moins que nous doutons; par conséquent, quand nous le disons, cest un verbe vrai, puisque nous savons ce que nous disons. Mais ne pouvons-nous pas mentir ? Dans ce cas, cest volontairement et sciemment que nous avons un verbe faux; le verbe vrai cest que nous mentons, car nous savons que nous mentons. Et quand nous avouons que nous avons menti, nous disons la vérité, car nous disons ce que nous savons; puisque nous savons que nous avons menti. Mais cela est impossible au Verbe qui est Dieu et plus puissant que nous. Car, « il ne peut rien faire si ce nest ce quil voit « que le Père fait » ; il ne parle pas de lui-même, mais tout ce quil dit lui vient du Père qui ne parle quà lui; et cest, chez le Verbe suprême, une grande puissance que de ne pouvoir mentir: car, là, il ne peut y avoir « oui et non ( II Cor., I, 18 )», mais: «Oui, oui, Non, non». Sans doute on ne doit pas dire un mot qui nest pas vrai; jen suis tout à fait davis; mais même quand notre verbe est vrai et par conséquent mérite le nom de verbe, si on -peut lappeler vision de vision, ou science de science, peut-on aussi lappeler essence dessence, comme on le dit et comme on doit le dire à juste titre du Verbe de Dieu ? Non certes: puisque être et connaître ne sont point pour nous une même chose. Car nous savons bien des choses qui ne vivent en quelque sorte que par la mémoire et (557) qui meurent pour ainsi dire par loubli ; et bien quelles ne soient plus à notre connaissance, nous existons encore; et quand notre science nous a complètement échappé, nous ne cessons pas de vivre pour autant. 25. Quant aux choses que nous savons de manière à ne pouvoir les oublier, parce quelles nous sont présentes et quelles tiennent à la nature de lâme, comme par exemple la certitude de notre existence certitude qui dure autant que lâme, et par conséquent toujours, puisque lâme dure toujours quant à ces choses, dis-je, et autres de ce genre, où il faut surtout voir limage de Dieu, bien quelles soient toujours sûres, elles ne sont pas toujours sous le regard de la pensée: comment donc appeler éternel le verbe qui en naît, alors que cest notre pensée qui exprime notre verbe ? question difficile à résoudre. En effet, cest toujours que lâme vit, cest toujours quelle sait quelle vit; et cependant ce nest pas toujours quelle pense à sa vie, ce nest pas toujours quelle pense quelle sait quelle vit: car, dès quelle pensera à telle ou telle autre chose, elle cessera de penser à ceci, sans cependant cesser de le savoir. Doù il résulte que sil peut y avoir dans lâme une science sempiternelle, si dailleurs lâme ne peut toujours penser à cette science, et si notre verbe vrai, intérieur, nest exprimé que par notre pensée, il résulte, dis-je, que Dieu seul peut avoir un verbe qui dure toujours, un verbe qui lui soit coéternel. A moins quon ne dise, que la faculté même de penser, puisquon a la faculté de penser à ce que lon sait, même quand on ny pense pas est un verbe perpétuel comme la science elle-même. Mais comment existe le Verbe qui nest pas encore formé par le regard de la pensée? comment sera-t-il semblable à la science dont il naît, sil nen a pas la forme, et si on ne le nomme verbe que par ce quil peut lavoir? Ce serait vraiment dire quil faut lappeler verbe, parce quil peut être verbe. Et quelle est donc cette chose qui peut être verbe, et mérite, par cela même, den prendre le nom? quelle est, dis-je, cette chose susceptible dêtre formée, et non encore formée, sinon un je ne sais quoi de notre âme que nous portons çà et là par un mouvement rapide, quand nous pensons à tel ou tel objet que nous découvrons ou rencontrons au hasard ? Et le verbe devient vrai quand ce mouvement rapide dont je parle, arrive à ce que nous savons, en prend la forme et la parfaite ressemblance, en sorte que la chose est pensée comme elle est connue, cest-à-dire est exprimée dans le coeur, sans mot, sans le souvenir daucun mot appartenant à une langue quelconque. Que si pour faire cette concession et ne pas prolonger une discussion de mots il faut donner le nom de verbe à ce mouvement de notre âme qui peut prendre la forme de notre science, avant même quil ne lait, et précisément parce quil est, pour me servir de cette expression, susceptible de la prendre: qui ne voit combien il diffère de ce Verbe de Dieu, qui est tellement dans la forme de Dieu quil na pas été susceptible dêtre formé avant dêtre formé, qui ne peut jamais être sans forme, qui est la forme même, forme simple et simplement égale à Celui de qui elle est et à qui elle est merveilleusement coéternelle?
CHAPITRE XVI.MÊME QUAND NOUS SERONS SEMBLABLES A DIEU, NOTRE VERBE NE POURRA JAMAIS ÊTRE ÉGALÉ AU VERBE DIVIN.
Ainsi donc, quand on parle du Verbe de Dieu, on ne lappelle pas la pensée de Dieu, pour ne pas laisser croire quil y ait en Dieu quelque chose de mobile, qui tantôt prenne, tantôt reçoive la forme de Verbe, qui puisse ensuite la perdre, rester sans forme, et subir en quelque sorte des évolutions. Il connaissait bien la nature de la parole et la puissance de la pensée, le grand poète qui a dit: « il roule dans son esprit les diverses vicissitudes de la guerre ( Virg. Enéide, ch. X, V, 159, 160 ) » cest-à-dire il pense. Le Fils de Dieu ne sappelle donc pas pensée de Dieu, mais Verbe de Dieu. Car notre pensée parvenue à ce que nous savons et en prenant sa forme, devient notre verbe vrai. Et on doit entendre le Verbe de Dieu sans la pensée de Dieu, pour bien comprendre que cest une forme simple, qui na rien qui soit à former ou qui puisse rester sans forme. On parle, il est vrai, dans les Saintes Ecritures, des pensées de Dieu; mais cest dans le sens où lon dit aussi oubli de Dieu: expressions qui, dans leur signification propre, ne sauraient sappliquer à Dieu. 26. Cette énigme étant donc maintenant si différente de Dieu et du Verbe de Dieu, malgré la faible ressemblance quon y découvre, il faut (558) encore reconnaître que, même « quand nous serons semblables à lui » alors que « nom le verrons tel quil est ( Jean, III, 2 ) » et celui qui la dit ne perdait certainement pas de vue la différence qualors même, dis-je, nous ne serons point égaux à lui en nature. Car la nature créée est toujours inférieure à celle qui la faite. Sans doute, notre verbe ne sera plus faux, puisque nous ne mentirons plus et ne serons plus trompés; peut-être encore nos pensées ne seront-elles plus mobiles, passant et repassant dun objet à un autre ; peut-être embrasserons-nous dun coup doeil tous les objets de nos connaissances. Néanmoins, tout cela étant si cela doit être la créature qui était susceptible dêtre formée aura été formée, pour quil ne lui manque rien de la forme à laquelle elle devait parvenir; mais on ne pourra légaler à cette simplicité, où rien de susceptible dêtre formé na été formé où réformé; et qui nétant ni sans forme ni formée, est, là, une substance éternelle et immuable.
CHAPITRE XVII.COMMENT LESPRIT- SAINT EST APPELÉ CHARITÉ. EST-IL SEUL CHARITÉ ? CHARITÉ EST LE NOM PROPRE QUE LES ECRITURES DONNENT A LESPRIT-SAINT.
27. Nous avons assez parlé du Père et du Fils, autant quil nous a été donné de voir à travers ce miroir et en cette énigme. Maintenant, avec cette même aide de Dieu, nous avons à parler du Saint-Esprit. Daprès les saintes Ecritures, il nest pas du Père seul, ni du Fils seul, mais des deux; et cest pourquoi il éveille en nous lidée de lamour commun, par lequel le Père et le Fils saiment mutuellement. Mais la divine parole ne nous offre pas seulement des vérités faciles; afin dexercer notre intelligence et denflammer notre ardeur, elle nous oblige à approfondir des choses obscures que le mystère enveloppe et quil faut tirer du mystère. LEcriture ne dit donc pas: lEsprit-Saint est charité. Si elle leût dit, elle eût déchiré le voile en grande partie; mais elle dit : « Dieu est amour Jean, IV, 16 ) ». Elle nous laisse donc dans lincertitude et nous force à chercher si cest Dieu le Père qui est charité, ou Dieu le Fils, ou Dieu le Saint-Esprit, ou la Trinité Dieu. Car nous ne disons pas que si Dieu est appelé charité, ce nest pas parce que la charité même est une substance qui mérite le nom de Dieu; mais nous dirons au contraire que la charité est un don de Dieu, dans le sens où le Psalmiste lui dit : « Vous êtes ma patience (Ps., LXX, 4 ).» : ce qui ne signifie pas que notre patience soit la substance de Dieu, mais quelle nous vient de lui, comme le même Psalmiste le dit ailleurs : « Car ma patience vient de lui (Ps., LXI, 6) ». Les paroles même de lEcriture écartent donc cette interprétation. En effet : « vous êtes ma patience », équivaut à « Seigneur, vous êtes mon espérance ( Ps., XC, 9 ) » ; ou à : « mon Dieu, ma miséricorde (Ps., LVIII, 18 )», et à beaucoup dautres locutions de ce genre. Or, on ne dit pas : Seigneur, ma charité; ni vous êtes ma charité; ni : Dieu ma charité; mais : « Dieu est charité », comme on dit: « Dieu est Esprit (Jean, IV, 24) ». Que celui qui ne saisit pas ces distinctions demande lintelligence à Dieu mais quil nexige pas de nous dautres explications : car nous ne pouvons rien dire de plus clair. 28. Donc, « Dieu est charité ». Mais on demande sil sagit ici du Père, ou du Fils, ou du Saint-Esprit, ou de la Trinité elle-même, puisquil ny a quun seul Dieu et non trois dieux. Nous avons déjà dit plus haut, dans cet ouvrage, quil ne faut pas voir limage de la Trinité, qui est Dieu, dans les trois choses que nous avons indiquées dans la trinité de notre âme, en ce sens que le Père serait la mémoire des trois personnes, le Fils lintelligence et le Saint-Esprit la charité de ces trois mêmes personnes, comme si le Père ne comprenait pas et naimait pas par lui-même, mais que le Fils comprît pour lui, que le Saint-Esprit aimât pour lui, tandis que lui, le Père, serait simplement sa mémoire et leur mémoire; que le Fils ne se souviendrait et naimerait pas par lui-même, mais que le Père se souviendrait pour lui, que le Saint-Esprit aimerait pour lui, tandis quil serait sa propre intelligence et leur intelligence; et quenfin le Saint-Esprit ne se souviendrait ni ne comprendrait par lui-même, mais que le Père se souviendrait pour lui, que le Fils comprendrait pour lui tandis quil serait son propre amour et leur amour : tout au contraire, on doit entendre que les trois personnes possèdent ces trois choses et les ont chacune dans sa propre nature. De plus il ny a point, là, de différence (559) comme chez nous, où la mémoire, lintelligence et lamour ou la charité sont choses diverses ; tout ny fait quun, comme la sagesse elle-même, et tout est dans la nature de chaque personne, sous la forme de substance immuable et simple. Si donc tout cela a été bien compris, et si nous avons réussi à en faire ressortir la vérité, autant quil nous est permis de voir et de conjecturer dans un sujet si élevé, je ne vois pas pourquoi le Père, le Fils et le Saint-Esprit étant appelés sagesse non trois sagesses, mais une seule sagesse pourquoi, dis-je, le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne seraient pas aussi appelés charité non trois charités, mais une seule charité. Car cest ainsi que le Père est Dieu, que le Fils est Dieu, que le Saint-Esprit est Dieu, et que les trois ne font quun seul Dieu. 29. Et cependant ce nest pas sans raison que, dans cette souveraine Trinité, le nom de Verbe de Dieu nest donné quau Fils, le nom de don de Dieu nest donné quau Saint-Esprit et celui de Dieu le Père au principe dont le Verbe est engendré et dont procède en premier lieu le Saint-Esprit. Jai dit : en premier lieu , parce quon découvre que le Saint-Esprit procède aussi du Fils. Mais le Père a donné cela au Fils, non en ce sens que le Fils existât avant de lavoir; mais tout ce que le Père a donné à son Verbe Fils unique, il le lui a donné en lengendrant. Il la donc engendré de manière à ce que le Don commun procédât aussi de lui, et que lEsprit-Saint fût lEsprit des deux. Ce nest donc pas rapidement et au vol, mais sérieusement quil faut considérer cette distinction au sein de lindivisible Trinité. Voilà pourquoi le Verbe de Dieu a été proprement appelé Sagesse de Dieu, bien qui le Père et le Saint-Esprit soient sagesse. Si donc le nom de Charité a pu être le nom propre dune des trois personnes, à qui convient-il mieux quau Saint-Esprit? En ce sens cependant que, dans cette simple et souveraine nature, la substance et la charité ne soient pas choses différentes; mais que la substance elle-même soit charité, et la charité substance, soit dans le Père, soit dans le Fils, soit dans le Saint-Esprit, bien que le nom de charité soit proprement attribué au Saint-Esprit. 30. Cest ainsi que sous le nom de Loi on renferme toutes les Ecritures de lAncien Testament. LApôtre, par exemple, citant ce passage dIsaïe : « Je parlerai en dautres langues, je tiendrai un autre langage à ce peuple », dit dabord : « Il est écrit dans la Loi (Is., XXVIII, 11 ; I Cor., XIV, 21 ) ». Le Seigneur a dit : « Il est écrit dans la Loi : Ils mont haï gratuitement (Jean, XV, 25 ) », bien que ces paroles soient du Psalmiste (Ps., XXXIV, 19 ). Dautres fois, au contraire, ce mot sapplique proprement à la loi donnée par Moïse: « La loi et les prophètes jusquà Jean (Matt., XI, 13 ) »; « à ces deux commandements se rattachent toute la loi et les Prophètes (Id., XXII, 40 )». Ici cest proprement la loi donnée au mont Sinaï. On renferme également les psaumes sous le nom des prophètes; et cependant le Sauveur a dit ailleurs : « Il fallait que fût accompli tout ce qui est écrit de moi dans la Loi, dans les Prophètes et dans les Psaumes (Luc, XXIV, 44. ) ». On voit quil distingue les Psaumes des Prophètes. Ainsi donc, tantôt le mot loi renferme sans exception les Prophètes et les psaumes, tantôt il sapplique uniquement à la loi donnée par Moïse: de même tantôt on renferme les psaumes sous le nom des Prophètes, tantôt on les en distingue. Si ce nétait pour éviter des longueurs dans un sujet si clair nous pourrions prouver par beaucoup dautres exemples quil est des expressions dont le sens est tantôt général, tantôt spécial. Je dis ceci, pour faire entendre quil ny a aucun inconvénient à donner le nom de charité au Saint-Esprit, bien que Dieu le Père et Dieu le Fils puissent aussi sappeler charité. 31. Donc, comme nous donnons proprement le nom de sagesse au Verbe unique de Dieu, quoique le Saint-Esprit et le Père soient aussi sagesse; ainsi donnons-nous proprement le nom de charité au Saint-Esprit, bien que le Père et le Fils soient aussi charité. Mais le Verbe de Dieu, cest-à-dire le Fils unique de Dieu, a été expressément appelé Sagesse de Dieu par lApôtre qui dit: « Le Christ Vertu de Dieu et Sagesse de Dieu (I Cor., I, 24 ) ». Quant au Saint-Esprit, nous trouverons en quel endroit il a été appelé charité, si nous étudions bien les paroles de lApôtre saint Jean; car, après avoir dit : «Mes bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, parce que la charité est de Dieu », il ajoute aussitôt: « Ainsi quiconque aime est né de Dieu; qui naime point ne connaît pas Dieu parce que Dieu est charité ». Ici il fait voir que la charité quil appelle Dieu est celle quil a dit être de Dieu. La charité est donc Dieu de Dieu, (560) Mais comme le Fils est né de Dieu le Père, et que le Saint-Esprit procède de Dieu le Père il sagit de savoir lequel des deux devra être appelé Dieu-charité, car le Père est Dieu par lui-même et non Dieu de Dieu; donc la charité qui est Dieu de Dieu, doit être le Fils ou le Saint-Esprit. Mais lApôtre, après avoir parlé de lamour de Dieu, non pas de celui que nous avons pour lui, mais de celui dont « il nous a aimés, lui qui a envoyé son Fils, propitiation pour nos péchés », et après nous avoir exhortés à nous aimer les uns les autres afin que Dieu demeure en nous ; saint Jean, dis-je , continue, et comme il a appelé Dieu charité, il se hâte dexpliquer plus clairement sa pensée et dit : « Nous connaissons que nous demeurons en lui et lui en nous, en cela quil nous a donné de son Esprit ». Ainsi lEsprit-Saint, dont Dieu nous a donné, fait que nous demeurons en Dieu et Dieu en nous. Or, cest là leffet de lamour. LEsprit-Saint est donc le Dieu-charité. Et un peu plus bas, après avoir répété cela et avoir dit : « Dieu est charité », il ajoute aussitôt : « Qui demeure dans la charité demeure en Dieu et Dieu en lui », ce qui lui avait fait dire plus haut : « Nous connaissons que nous demeurons en lui et lui en nous, en cela quil nous a donné de son Esprit ». Cest donc lEsprit-Saint qui est désigné pas ces mots : « Dieu est charité ». Donc, quand lEsprit-Saint, qui procède de Dieu, est donné à lhomme, il allume en lui lamour de Dieu et du prochain et il est lui-même cet amour. Car ce nest que par Dieu que lhomme peut aimer Dieu. Cest pourquoi lApôtre dit peu après : « Nous donc, aimons Dieu, parce quil nous a aimés le premier (I Jean, IV, 7-19 ) ». Et lapôtre Paul dit à son tour: « La charité de Dieu est répandue en nos coeurs par lEsprit-Saint qui nous a été donné (Rom., V, 5 ).
CHAPITRE XVIII.AUCUN DON DE DIEU NE LEMPORTE SUR LA CHARITÉ.
32. Ce don est le plus grand des dons de Dieu. Lui seul sépare les fils du royaume éternel des enfants de léternelle perdition. Dautres dons sont distribués par lEsprit-Saint mais ils sont inutiles sans la charité. Par conséquent personne ne peut passer de gauche à droite, si lEsprit-Saint ne lui inspire lamour de Dieu et du prochain. Ce nest quà ce point de vue de la charité que lEsprit est proprement appelé le Don. Celui qui ne la pas, parlât-il les langues des hommes et des anges, est comme un airain sonnant et une cymbale retentissante; et quand il aurait le don de prophétie, quil connaîtrait tous les mystères et toute la science; quand il aurait toute la foi, au point de transporter les montagnes, il nest rien, et quand il distribuerait tout son bien et quil livrerait son corps pour être brûlé cela ne lui servirait de rien (I Cor., XIII, 1-3 ). Quil est donc grand ce bien, sans lequel de si grands biens ne sauraient conduire personne à la vie éternelle! Or, cet amour ou cette charité deux expressions pour la même chose même quand celui qui le possède ne parle pas les langues, na pas le don de prophétie, ne connaît pas tous les mystères et toute la science, ne distribue pas tout son bien aux pauvres soit parce quil nen a point à distribuer, soit parce que ses propres besoins sy opposent ne livre pas son corps pour être brûlé, faute doccasion de subir ce supplice ; cet amour, dis-je, le conduit au royaume éternel, et donne à la foi même tout son prix. Car, sans la charité, la foi peut exister, mais non être utile. Ce qui fait dire à lapôtre Paul: « Dans le Christ Jésus ni la circoncision ni lincirconcision ne servent de rien ; mais la foi qui agit par la charité (Gal., V, 6 ) » : distinguant ainsi cette foi de celle des démons qui croient et tremblent (Jac., II, 19 ). Donc lamour qui est de Dieu et Dieu, est proprement lEsprit-Saint par qui est répandue en nos coeurs la charité de Dieu, en vertu de laquelle la Trinité tout entière habite en nous. Voilà pourquoi le Saint-Esprit, quoique Dieu, est à très-juste titre appelé aussi Don de Dieu. Et ce don, quel peut-il être au fond, sinon la charité qui conduit à Dieu, et sans laquelle aucun autre don de Dieu ne conduit à Dieu?
CHAPITRE XIX.LES ÉCRITURES APPELLENT LE SAINT-ESPRIT DON DE DIEU. LE SAINT-ESPRIT EST PROPREMENT APPELÉ CHARITÉ, QUOIQU IL NE SOIT PAS SEUL CHARITÉ DANS LA TRINITÉ.
33. Faut-il aussi prouver que les saintes lettres appellent le Saint-Esprit Don de Dieu? Si on y tient, nous trouvons dans lEvangile selon saint Jean ces paroles du Seigneur (561) Jésus-Christ: « Si quelquun a soif, quil vienne à moi et quil boive. Celui qui croit en moi comme dit lEcriture, des fleuves deau vive couleront de son sein ». Et aussitôt lEvangéliste ajoute: « Il disait cela de lEsprit que devraient recevoir ceux qui croiraient en lui (Jean, VII, 37-39 ) » - Ce qui fait dire à lapôtre Paul: « Nous avons tous été abreuvés dun seul Esprit (I Cor., XII, 13 ) » Mais on demande si cest cette eau qui a été appelée don de Dieu, le don qui nest autre que le Saint-Esprit. Eh bien ! si nous voyons ici le Saint-Esprit désigné par leau, nous trouvons ailleurs, dans lEvangile même, que cette eau est appelée don de Dieu. En effet, le Seigneur conversant près du puits avec la femme Samaritaine et lui ayant dit: « Donnez-moi à boire », celle-ci lui répondit que les Juifs navaient point de commerce avec les Samaritains ; sur quoi Jésus reprit la parole et dit: « Si vous saviez le don de Dieu et qui est celui qui vous dit: Donnez-moi à boire, peut-être lui en eussiez-vous demandé vous-même, et il vous aurait donné dune eau vive. La femme lui répondit: Seigneur, vous navez pas même avec quoi puiser, et le puits est profond ; doù auriez-vous donc de leau vive? etc.... Jésus répliqua et lui dit: Quiconque boit de cette eau aura encore soif; au contraire, qui boira de leau que je lui donnerai, naura jamais soif; mais leau que je lui donnerai deviendra en lui une fontaine deau jaillissante jusque dans la vie éternelle (Jean, IV, 7-14 ) ». Or, cette eau vive étant lEsprit-Saint, daprès lEvangéliste, lEsprit-Saint est donc le don de Dieu, dont le Sauveur dit: « Si vous saviez le don de Dieu et qui est celui qui vous dit: Donnez-moi à boire, peut-être lui en eussiez-vous demandé vous-même, et il vous aurait donné dune eau vive ». Et ce quil a dit ailleurs: « Des fleuves deau vive couleront de son sein, équivaut à ce quil dit ici: « Leau que je lui donnerai deviendra en lui une fontaine deau jaillissante jusque dans la vie éternelle ». 34. Paul lapôtre dit à son tour: « A chacun de nous a été donnée la grâce selon la mesure du don de Jésus-Christ», et pour faire voir que le Saint-Esprit est ce don du Christ, il ajoute : « Cest pourquoi lEcriture dit: Montant au ciel, il a conduit une captivité captive; il a donné des dons aux hommes (Eph., IV, 7, 8 ) ». Or, il est à la connaissance de tout le monde que le Seigneur Jésus étant monté au ciel après sa résurrection dentre les morts, a donné le Saint-Esprit, et que les fidèles remplis de cet Esprit parlaient toutes les langues. Peu importe que lApôtre ait dit « des dons » et non un don : il citait ce passage du Psalmiste: « Vous êtes monté au ciel, vous avez conduit une captivité captive, vous avez reçu des dons pour les hommes (Ps., LXVII, 19 ) ». Car cest ainsi que portent beaucoup dexemplaires, notamment chez les Grecs, et cest la traduction de lhébreu : Apôtre a donc dit, comme le Prophète, « des dons » et non un don; seulement comme le Prophète avait dit: « Vous avez reçu des dons pour les hommes », lApôtre a préféré dire: « Il a donné des dons aux hommes», pour que, de ces deux mots, lun prophétique, lautre apostolique, mais tous les deux appuyés sur lautorité divine, il résultât un sens plus complet. Car tous les deux sont vrais: le Christ a donné aux hommes, le Christ a reçu pour les hommes. Il a donné aux hommes, comme le chef donne à ses membres; il a reçu pour les hommes, cest-à-dire pour ses membres, pour ces mêmes membres en faveur desquels il a crié du haut du ciel : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu (Act., IX, 4 )?» et dont il a encore dit ailleurs: « Chaque fois que vous lavez fait à lun de ces plus petits dentre mes frères, cest à moi que vous lavez fait (Matt., XXV, 40 ) ». Ainsi donc le Christ a donné du haut du ciel, et reçu sur la terre. Or, le Prophète et lApôtre ont dit tous les deux «des dons», parce que, par le don qui est le Saint-Esprit, bien commun de tous les membres du Christ, une multitude de dons propres sont distribués à chaque fidèle en particulier. Car tous nont pas les mêmes; les uns ont ceux-ci, les autres ceux-là, quoique tous possèdent le don duquel tous les dons particuliers dérivent, cest-à-dire lEsprit-Saint. En effet, lApôtre ayant énuméré ailleurs beaucoup de ces dons, ajoute « Or, tous ces dons, cest le seul et même Esprit qui les opère, les distribuant à chacun comme il le veut (I Cor., XII, 11 ) ». Expression qui se retrouve encore dans lépître aux Hébreux où on lit: « Dieu ayant rendu témoignage par des miracles, par des prodiges, par différents effets de sa puissance et par les dons que le Saint-Esprit a distribués (Héb., II, 4 ) ». Et ici, après (562) avoir dit : « Montant au ciel, il a conduit une captivité captive; il a donné des dons aux hommes », il ajoute : « Mais quest-ce : Il est monté, sinon quil est descendu auparavant dans les parties inférieures de la terre? Celui qui est descendu, est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux, afin quil remplît toutes choses. Et cest lui qui a fait les uns apôtres, les autres prophètes, dautres évangélistes, dautres pasteurs et docteurs». Voilà pourquoi il a dit: «Des dons»; parce que, comme il le dit ailleurs : «Tous sont-ils apôtres? Tous sont-ils prophètes (I Cor., XII, 29 )? »Mais ici il ajoute : « Pour la perfection des saints, pour loeuvre du ministère, pour lédification du corps du Christ (Eph., IV, 7-12 )». Voilà la maison qui, comme le chante le Psalmiste, se bâtit après la captivité (Ps., CXXVI, 1 ) », parce que cette maison du Christ, qui sappelle lEglise, est construite, formée de ceux qui ont été arrachés à lempire du démon, dont ils étaient prisonniers. Or, cette captivité, celui qui a vaincu le démon, la conduite captive. Et, de peur que le démon nentraînât avec lui au supplice éternel ceux qui devaient être un jour les membres de ce chef sacré, celui-ci la enchaîné dabord avec les liens de la justice, puis avec ceux de la puissance. Et cest-le démon même qui porte ici le nom de captivité, de celle qua conduite captive celui qui est monté au ciel, qui a donné des dons aux hommes ou qui a reçu des dons pour les hommes. 35. De son côté, Pierre lapôtre, comme on le lit dans le livre canonique où sont écrits les Actes des Apôtres, entendant les Juifs touchés de componction, dire « Que ferons-nous, mes frères? Faites-le nous savoir », leur répondit: « Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé au nom du Seigneur Jésus-Christ en rémission de vos péchés, et vous recevrez le don de lEsprit-Saint ( Act., II, 37, 38 ) ». On lit encore dans ce livre que Simon le magicien offrit de largent aux Apôtres pour acheter deux le pouvoir de donner lEsprit-Saint par limposition des mains. Pierre lui répondit : « Que ton argent soit avec toi en perdition, parce que tu as estimé que le don de Dieu peut sacquérir avec de largent (Id., VIII, 18-20 ) ». Et dans un autre endroit du même livre, après avoir raconté que Pierre parlait à Corneille et à ceux qui étaient avec lui, annonçant et prêchant le Christ, lécrivain ajoute : « Pierre parlant encore, lEsprit-Saint descendit sur tous ceux qui écoutaient la parole, et les fidèles circoncis, qui étaient venus avec Pierre, sétonnèrent grandement de ce que le don de lEsprit-Saint était aussi répandu sur les gentils. Car ils les entendaient parlant diverses langues et glorifiant Dieu ( Act., 41-46 ) ». Plus tard Pierre rendant raison de ce fait, davoir baptisé des incirconcis, parce que lEsprit-Saint, pour trancher le noeud de la question, était descendu sur eux, même avant quils fussent baptisés, rendant, dis-je, raison de ce fait à ses frères qui étaient à Jérusalem et qui avaient appris cela avec étonnement, finit en ces termes: « Lorsque jeus commencé de leur parler, lEsprit-Saint descendit sur eux, comme sur nous au commencement. Alors je me souvins de la parole du Seigneur, lorsquil disait : Jean a baptisé dans leau, mais vous, vous serez baptisés dans lEsprit-Saint. Si donc Dieu leur a fait le même don quà nous, qui avons cru au Seigneur Jésus-Christ; qui étais-je, moi, pour mopposer à ce que Dieu leur donnât. le Saint-Esprit (Id., XI, 15-17 ) ? » Il y a encore bien dautres passages des Ecritures, qui saccordent à dire que lEsprit-Saint est le Don de Dieu, en tant quil est donné à ceux qui aiment Dieu par lui. Mais il serait trop long de les citer tous. Et comment contenter ceux qui ne se contenteraient pas de ceux que nous avons rapportés? 36. Du reste, puisquils voient que le Saint-Esprit a été appelé Don de Dieu, il faut les avertir que ces mots: « Don de lEsprit-Saint», doivent sentendre dans un sens analogue à ceux-ci: « Par le dépouillement du corps de chair (Col., II, 11 ) ». En effet, comme le corps de chair nest pas autre chose que la chair, de même le Don de lEsprit-Saint nest pas autre chose que lEsprit-Saint. Il est donc Don de Dieu en tant quil est donné à ceux à qui il est donné. Mais en lui-même il est Dieu, quand même il ne serait donné à personne, parce quil était Dieu coéternel au Père et au Fils, avant dêtre donné à qui que ce soit. Et bien que le Père et le Fils le donnent, quoique donné, il ne leur est point inférieur: car il est donné comme Don de Dieu, de manière à ce quil se donne lui-même comme Dieu. En effet, il est impossible de nier quil soit Maître de lui-même, (563) puisquon dit de lui : « LEsprit souffle où il veut (Jean, III, 8 ) »; et dans ce passage de lApôtre que jai déjà cité : « Tous ces dons, cest le seul et même Esprit qui les opère, les distribuant à chacun comme il veut ». Il ny a point ici dépendance chez celui qui est donné, supériorité chez ceux qui donnent, mais parfait accord entre celui qui est donné et ceux qui donnent. 37. Donc, si la sainte Ecriture proclame que « Dieu est charité »; si la charité est de Dieu; si elle fait que nous demeurions en Dieu et Dieu en nous, et si nous connaissons par là quil nous a donné de son Esprit: donc le Saint-Esprit est Dieu-charité. Ensuite, si la charité lemporte sur tous les dons de Dieu et quil ny ait pas de don de Dieu plus grand que le Saint-Esprit, quoi de plus logique que dappeler charité celui qui est en même temps Dieu et de Dieu? Et si lamour dont le Père aime le Fils et dont le Fils aime le Père, fait voir leur ineffable union, quoi de plus convenable que dappeler proprement charité lEsprit qui est commun aux deux? Car la foi saine, le sens droit nous dictent que lEsprit-Saint nest pas seul charité dans la Trinité, mais quil est à juste titre appelé proprement charité, pour les raisons que nous avons dites. De même quil nest pas non plus seul esprit et seul saint dans cette même Trinité, puisque le Père est Esprit et le Fils aussi, puisque le Père est saint et le Fils aussi, ce que toute âme pieuse croit sans hésiter; et cependant cest avec raison quon lappelle proprement Esprit-Saint. En effet, puisquil est commun aux deux, il porte proprement le- nom de ce qui est commun aux deux. Autrement si, dans cette souveraine Trinité, lEsprit-Saint était seul charité, il en résulterait que le Fils ne serait pas seulement Fils du Père, mais aussi du Saint-Esprit. En effet, les textes nombreux où on lit que le Fils est le fils unique du Père, nôtent rien à la vérité de ce que lApôtre dit de Dieu le Père: « Qui nous a arrachés de la puissance des ténèbres et transférés dans le royaume du Fils de son amour (Col., I, 13 )». Il ne dit pas: de son Fils, ce qui serait de la plus parfaite vérité et ce quil a souvent dit, mais : « Du Fils de son amour ». Donc, si lEsprit-Saint était seul charité dans la Trinité, le Fils serait le Fils du Saint-Esprit. Or, si cest Jà le comble de labsurdité, il faut conclure que lEsprit-Saint nest pas seul charité dans la Trinité, mais que cest là son nom propre, comme je lai assez démontré. Quant à ces paroles: « Du Fils de son amour », il ny faut voir dautre sens que celui de Fils bien-aimé, et, en résumé, de Fils de sa substance. Car lamour du Père, qui est dans sa nature dune ineffable simplicité, nest autre chose que sa nature même et sa substance, comme je lai dit tant de fois et ne crains pas de le répéter. Conséquemment le Fils de son amour nest pas autre chose que celui qui a été engendré de sa substance.
CHAPITRE XX.CONTRE EUNOMIUS QUI PRÉTEND QUE LE FILS NEST PAS FILS PAR NATURE, MAIS PAR ADOPTION. RÉSUMÉ DE CE QUI AÉTÉ DIT PLUS HAUT.
38. Cest donc un ridicule raisonnement que celui dEunomius, le père de lhérésie qui porte son nom, lequel ne pouvant comprendre ou ne voulant pas croire que le Verbe unique de Dieu, par qui tout a été fait (Jean, I, 3 ), est Fils de Dieu par nature, cest-à-dire engendré de la substance du Père, a prétendu quil nest point le Fils de la nature ou de la substance ou de lessence de Dieu, mais Fils de sa volonté, entendant par là que la volonté par laquelle Dieu engendrerait son Fils ne serait quun simple accident, analogue à ce qui se passe chez nous quand nous voulons ce que nous ne voulions pas dabord : comme si ce nétait pas une preuve de linconstance de notre nature, ce que la foi nous défend absolument dadmettre en Dieu. Car ce texte : « Les pensées se multiplient dans le coeur de lhomme, mais la pensée du Seigneur subsiste éternellement (Prov., XIX, 21 ) », na pas dautre but que de nous faire comprendre et croire que, Dieu étant éternel, sa volonté est aussi éternelle et par conséquent immuable comme lui. Or, ce qui se dit des pensées peut avec autant de vérité se dire des volontés : les volontés se multiplient dans le coeur de lhomme, mais la volonté de Dieu subsiste éternellement. Quelques-uns ne voulant point appeler le Verbe unique fils de la pensée ou de la volonté de Dieu, ont prétendu quil est la pensée même ou la volonté. Mais il vaut mieux, selon moi, dire quil est pensée de pensée, volonté de volonté, comme il est substance de substance, sagesse de sagesse, pour ne pas retomber dans labsurdité que (564) nous avons déjà réfutée : que le Fils donne la sagesse ou la volonté, vu que le Père na ni pensée ni volonté dans sa propre substance. Un hérétique astucieux demandait un jour si cest de bon ou de mauvais gré que le Père engendre son Fils? Son but était, si on admettait le second cas, den déduire une misère infinie dans Dieu, et, dans le premier cas, den tirer cette conclusion nécessaire que le Fils nest point Fils de la nature, mais de la volonté. Quelquun , qui nétait pas moins rusé que lui, lui demanda à son tour si cest de bon ou de mauvais gré que le Père est Dieu? Dans le second cas, il en aurait aussi déduit que Dieu est infiniment misérable, hypothèse absolument extravagante, et, dans le premier, quil nest pas Dieu par nature, mais par volonté. Que restait-il à lhérétique, sinon de garder le silence et de se voir pris dans ses propres filets? Du reste, sil faut attribuer à lune des personnes de la Trinité le nom propre de volonté, cest surtout à lEsprit-Saint quil convient, comme on lui attribue la charité. Car quest-ce que lamour, sinon la volonté? 39. Je pense que ce que jai dit de lEsprit-Saint dans ce livre, daprès les saintes Ecritures, suffit aux fidèles qui savent déjà que lEsprit-Saint est Dieu, quil nest point dune autre substance ni moins grand que le Père et le Fils, comme je lai démontré dans les livres précédents, toujours selon ces mêmes Ecritures. En parlant de la création, nous avons aussi aidé de tout notre pouvoir ceux qui aiment à se rendre raison de ces choses, à comprendre, autant quils le pourront, les perfections invisibles de Dieu par les choses qui ont été faites (Rom., I, 20 ), et surtout par la créature raisonnable ou intelligente, qui a été faite à limage de Dieu; espèce de miroir où ils découvriront, sils le peuvent et autant quils le pourront, le Dieu-Trinité, dans notre mémoire, notre intelligence et notre volonté. Quiconque voit clairement ces trois choses créées par Dieu même dans son âme, et comprend quelle grande chose cest pour elle de pouvoir par là se rappeler, voir, aimer la nature éternelle et immuable, se la rappeler par la mémoire, la contempler par lintelligence, sy attacher par lamour : celui-là aperçoit évidemment une image de la Trinité. Cest à se rappeler cette très-parfaite Trinité pour sen souvenir, à la voir pour la contempler, à laimer pour y trouver son bonheur, quil doit consacrer tout ce quil a de vie. Mais, quil se garde bien de comparer à cette même Trinité et de regarder comme lui étant semblable en tout point, limage quelle a créée elle-même, et qui sest dégradée par sa propre faute. Nous lui avons assez fait voir quelle immense différence il trouvera dans cette imparfaite ressemblance.
CHAPITRE XXI.DE LA RESSEMBLANCE DU PÈRE ET DU FILS DÉCOUVERTE DANS NOTRE MÉMOIRE ET NOTRE INTELLIGENCE. DE LA RESSEMBLANCE DU SAINT-ESPRIT DANS NOTRE VOLONTÉ OU NOTRE AMOUR.
40. Jai pris soin de montrer que Dieu le Père et Dieu le Fils, cest-à-dire le Dieu engendrant qui a exprimé en quelque sorte tout ce quil a substantiellement dans son Verbe qui lui est coéternel, et son Verbe qui est Dieu et na ni plus ni moins en substance que ce -qui est en Celui qui la, non faussement, mais véritablement engendré, jai, dis-je, pris soin de les faire voir, non pas face à face, mais par ressemblance et en énigme (I Cor., XIII, 12 ) a utant que je lai pu et à laide de conjectures dans la mémoire et lintelligence de notre âme; attribuant à la mémoire tout ce que nous savons même sans y penser, et à lintelligence la faculté « dinformer » notre pensée dune manière propre et particulière. Cest en effet surtout quand nous pensons à une vérité que nous avons découverte, que nous sommes dits comprendre, et, cette vérité, nous la laissons ensuite dans notre mémoire. Et cest dans ces intimes profondeurs de la mémoire où nous avons dabord découvert par la pensée, que le verbe intime, qui nappartient à aucune langue, est engendré comme science de science et vision de vision. Là aussi lintelligence qui fait son apparition dans la pensée est engendrée de lintelligence qui était déjà dans la mémoire, muais y restait cachée. Du reste, si la pensée navait pas elle-même une certaine mémoire, elle ne retournerait pas vers ce quelle a laissé dans la mémoire, vu quelle sen irait ailleurs. 41. Pour ce qui regarde le Saint-Esprit, jai montré que rien, dans cette énigme, nen offre la ressemblance, sinon notre volonté, ou lamour ou dilection, qui est la volonté la plus (565) puissante; parce que notre volonté, qui fait partie de notre nature, éprouve des affections diverses, suivant que nous sommes attirés ou repoussés par les objets qui se présentent à elle ou lui sont offerts par le hasard. Mais quoi? dirons-nous que notre volonté, quand elle est droite, ne sait que désirer, ni quéviter? Si elle le sait, elle a donc une certaine science propre qui suppose nécessairement la mémoire et lintelligence. Ou bien prêterons-nous loreille à celui qui affirmera que la charité, qui ne fait pas le mal, ne sait pas ce quelle a à faire? Ainsi donc cette mémoire principale, où nous trouvons tout prêt et comme mis en réserve de quoi occuper notre pensée, cette mémoire a déjà lamour, aussi bien que lintelligence: car nous les y trouvons tous deux, quand nous découvrons par la pensée que nous comprenons et que nous aimons quelque chose, et nous voyons quils y étaient, même quand nous ny pensions pas; et cette intelligence qui se forme par la pensée, elle a lamour, comme elle a la mémoire: et ce verbe vrai, nous lexprimons intérieurement sans le secours daucune langue, quand nous disons ce que nous connaissons; car le regard de notre pensée ne se retourne vers quelque chose que par la mémoire, et il ne prend soin dy retourner que par lamour. De même lamour qui unit comme père et fils la vision qui a son siége dans la mémoire et la vision de la pensée qui en est formée, ne saurait ce quil doit raisonnablement aimer sil navait la science de désirer, qui suppose nécessairement la mémoire et lintelligence.
CHAPITRE XXII.COMBIEN EST GRANDE LA DIFFÉRENCE ENTRE LIMAGE DE LA TRINITÉ QUE NOUS DÉCOUVRONS EN NOUS ET LA TRINITÉ ELLE-MÊME.
42. Ces trois choses, mémoire, intelligence, amour, se trouvant dans une seule personne , telle quest lhomme, on peut nous dire : Elles sont à moi, et non à elles-mêmes; ce nest pas pour elles, mais pour moi, quelles font ce quelles font, ou plutôt cest moi qui agis par elles. En effet, je me souviens par la mémoire, je comprends par lintelligence, jaime par lamour; et quand je tourne vers ma mémoire le regard de ma pensée, que je dis en mon coeur ce que je sais et que le verbe vrai est engendré de ma science, verbe et science, tous les deux sont à moi. Car cest moi qui sais, cest moi qui dis en mon coeur ce que je sais. Et quand, réfléchissant, je trouve dans ma mémoire que je comprends déjà, que jaime déjà quelque chose, cette intelligence et cet amour qui étaient là même avant que jen formasse ma pensée, je trouve dans ma mémoire même, que cest mon intelligence, celle par laquelle je comprends; mon amour, celui par lequel jaime, et quils ne sappartiennent pas. De même, quand ma pensée se souvient et veut retourner à ce quelle avait laissé dans la mémoire, le comprendre, le considérer et le dire intérieurement, cest ma mémoire qui se souvient, cest de ma volonté quelle veut et non de la sienne. Enfin mon amour lui-même, quand il se souvient et comprend ce quil doit désirer, ce quil doit éviter, se rappelle par ma mémoire et non par la sienne, comprend par mon intelligence et non par la sienne, tout ce quil aime avec intelligence. En deux mots, on peut dire: cest moi qui, par ces trois choses, me souviens, comprends et aime, moi qui ne suis ni mémoire, ni intelligence, ni amour, mais qui possède ces trois choses. On peut donc dire que ces trois choses appartiennent à la personne qui les possède, mais non que la personne qui les possède soit ces trois choses. Or, dans la simplicité de cette nature souveraine qui est Dieu, bien quil ny ait quun seul Dieu, il y a trois personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit.
CHAPITRE XXIII.ENCORE DE LA DIFFÉRENCE QUIL Y A ENTRE LA TRINITÉ QUI EST DANS LHOMME ET LA TRINITÉ QUI EST DIEU. ON VOIT MAINTENANT, A LAIDE DE LA FOI, LA TRINITÉ A TRAVERS UN MIROIR, POUR MÉRITER DE LA VOIR UN JOUR PLUS CLAIREMENT FACE A FACE SELON LA PROMESSE.
43. Autre chose est donc la Trinité substantielle, autre chose limage de la Trinité dans un objet étranger. Cest à cause de cette image quon donne aussi le nom dimage à lêtre même où sont ces trois choses; comme on appelle image tout à la fois et le tableau et ce qui est peint dessus; mais le tableau ne porte le nom dimage quà cause de la peinture quil présente. Or, dans cette souveraine Trinité, incomparablement supérieure à tout ce qui (566) existe, lindivisibilité est telle que, tandis quon ne peut pas dire quune trinité dhommes soit un homme, là on peut dire quil y a un seul Dieu, et il ny en a quun réellement; on ne doit pas même dire que cette Trinité est en un seul Dieu, mais bien quelle est un seul Dieu. En elle encore, il nen est pas comme dans lhomme, son image, où une seule personne possède les trois choses; mais il y a trois personnes, le Père du Fils, le Fils du Père et lEsprit du Père et du Fils. Car, quoique la mémoire de lhomme, surtout celle qui est refusée aux animaux, cest-à-dire celle qui renferme les objets intellectuels, les objets qui ne lui viennent pas par lentremise des sens, quoique cette mémoire offre une ressemblance, bien faible, il est vrai, incomparablement inférieure, mais enfin une ressemblance quelconque avec le Père; quoique, également, lintelligence de lhomme, celle qui est formée par lattention de la pensée, quand on dit ce que lon sait parole du coeur qui nappartient à aucune langue quoique cette intelligence présente aussi , sauf une immense différence, une ressemblance quelconque avec le Fils ; enfin quoique lamour de lhomme, procédant de la science, unissant la mémoire et lintelligence, et commun à cette espèce de père et de fils, sans être lui-même ni père ni fils, quoique cet amour offre aussi, avec une différence très-grande, quelque ressemblance avec le Saint-Esprit: cependant, tandis que dans cette image de la Trinité, ces trois choses ne sont pas un homme, mais appartiennent seulement à un homme, dans la souveraine Trinité dont celle-ci est limage, les trois choses nappartiennent pas à un seul Dieu, mais sont un seul Dieu, ne sont pas une seule personne, mais trois personnes. Et cest une chose merveilleusement ineffable ou ineffablement merveilleuse que, tandis que limage de la Trinité ne forme quune seule personne, la Trinité elle-même renferme trois personnes, et que cette Trinité de trois personnes soit bien plus indivisible que la trinité dune seule personne. En effet, cette souveraine Trinité dans la nature de la divinité, ou pour mieux dire de la déité, est ce quelle est, est immuablement et éternellement égale en elle-même; en aucun temps elle na pas été, ou na été autrement; jamais elle ne sera plus, ou ne sera autrement. Au contraire les trois choses qui sont dans son imparfaite image, si elles ne sont pas séparées totalement vu quelles ne sont pas des corps diffèrent cependant entre elles pendant cette vie, sous le rapport de létendue. En effet, bien quelles ne soient pas des choses matérielles, nous nen voyons pas moins que la mémoire est plus grande que lintelligence chez lun, quelle est moindre chez lautre; que chez un troisième égales ou non entre elles, elles sont surpassées en étendue par lamour. Ainsi ou deux lemportent sur une, ou une sur deux, ou lune sur lautre, et les plus petites cèdent aux plus grandes. Fussent-elles, du reste, égales entre elles et guéries de toute maladie, même alors, on ne pourrait égaler à une chose immuable par nature une chose qui ne devra quà la grâce de ne plus changer; parce que la créature nest point égale au Créateur, et que par le fait même quelle sera guérie de toute maladie, elle subira un changement. 44. Toutefois cette souveraine Trinité, qui nest pas seulement immatérielle, mais absolument indivisible et véritablement immuable, nous la verrons bien plus clairement et avec beaucoup plus de certitude que son image qui est en nous, quand viendra cette vision face à face qui nous est promise. Cependant ceux qui voient à travers ce miroir et en celte énigme autant quil est donné de voir en cette vie ne sont pas ceux qui voient dans leur âme ce que nous avons expliqué et fait ressortir; mais ceux qui voient leur âme comme une image, afin de pouvoir rapporter à Celui dont elle est limage ce quils voient, comme ils le voient, et entrevoir par conjecture ce quils découvrent par image, puisquils ne peuvent pas encore contempler face à face. Car lApôtre ne dit pas Nous voyons maintenant un miroir, mais « Nous voyons maintenant à travers un miroir (I Cor., XIII, 12 ) ».
CHAPITRE XXIV.INFIRMITÉ DE LÂME HUMAINE.
Ainsi donc ceux qui- voient leur âme comme elle peut être vue, qui découvrent en elle la trinité que jai envisagée, autant quil ma été possible, sous bien des faces, et ne croient pas ou ne comprennent pas quelle est limage de Dieu, ceux-là voient sans doute un miroir, mais ils voient si peu à travers ce (567) miroir Celui quil faut y voir pendant cette vie, quils ne savent pas même que le miroir quils voient est un miroir, cest-à-dire une image. Sils le savaient, peut-être comprendraient-ils quil faut chercher et voir, provisoirement et dune manière quelconque, à travers ce miroir Celui même dont il est le miroir, une foi non feinte purifiant les coeurs (I Tim., I, 5 ), pour quon puisse un jour voir face à face Celui quon voit maintenant à travers un miroir. Or, en dédaignant cette foi qui purifie les coeurs, que gagnent-ils à comprendre de subtiles discussions sur la nature de lâme humaine, sinon de se faire condamner par le témoignage même de leur intelligence? Ils nauraient pas ces peines ni tant de difficultés darriver à quelque chose de certain, sils nétaient enveloppés de ténèbres justement méritées, et chargés de ce corps de corruption qui appesantit lâme (Sag., IX, 15 ). Or, qui nous a attiré ce malheur, sinon le péché? Eclairés par une si cruelle expérience, ils devraient donc bien suivre lAgneau qui ôte les péchés du monde (Jean, I, 29 ).
CHAPITRE XXV.CEST SEULEMENT AU SEIN DE LA BÉATITUDE QUON COMPREND POURQUOI LE SAINT-ESPRIT NEST PAS ENGENDRÉ, ET COMMENT IL PROCÈDE DU PÈRE ET DU FILS.
Une fois dégagés des liens du corps à la fin de cette vie, les fidèles appartiennent à Dieu, eussent-ils été dailleurs bien moins intelligents que ces philosophes et les puissances jalouses nont plus le droit de les retenir. Ces puissances, lAgneau innocent immolé par elles, les a vaincues par la justice du sang avant de les vaincre par la vertu de la puissance. Dès lors, délivrés du pouvoir du démon, ces justes sont reçus par les saints anges, affranchis enfin de tous les maux par le Médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus homme (I Tim., II 5 ) puisque, daprès le témoignage unanime des divines Ecritures, anciennes et nouvelles, qui ont prédit et annoncé le Christ, « nul autre nom na été donné dans le ciel, par lequel les hommes doivent être sauvés (Act., IV, 12 ) ». Purifiés donc de toute tache de corruption, ils sont établis dans de paisibles demeures, jusquà ce quils reprennent leurs corps, mais cette fois incorruptibles et devenus leur ornement et non plus leur fardeau. Car ça été le bon plaisir du très-bon et très-sage Créateur, que lesprit de lhomme humblement soumis à Dieu domine heureusement son corps, et que ce bonheur nait pas de fin. 45. Là nous verrons la vérité sans aucune difficulté et nous jouirons de sa contemplation, parfaitement éclairés et dégagés de toute incertitude. Nous naurons plus besoin de raisonnements, mais nous verrons intuitivement pourquoi le Saint-Esprit nest pas Fils du Père, bien quil en procède. Au sein de cette lumière, il ny n plus de question à résoudre. Mais ici jai si bien vu par expérience la difficulté du sujet et sans aucun doute mes lecteurs studieux et intelligents la verront comme moi que métant engagé dans le second livre de cet ouvrage (Ch. III ) à mexpliquer ailleurs, toutes les fois que jai voulu montrer quelque trait de ressemblance entre la créature humaine et cette souveraine Trinité, ma parole na pu exprimer les idées quelconques que javais conçues. Jai même senti quil y avait dans mon intelligence plus defforts que de succès. Jai trouvé dans lhomme, qui nest quune personne, une image de cette souveraine Trinité; et pour mieux faire comprendre les trois divines personnes dans lêtre sujet à changement, jai essayé, surtout dans le neuvième livre, de procéder par degrés successifs. Mais trois choses appartenant à une seule personne ne sauraient répondre au désir de lhomme, et donner une idée juste des trois personnes divines, ainsi que nous lavons démontré dans ce quinzième livre.
CHAPITRE XXVI.LE SAINT-ESPRIT PROCÈDE DU PÈRE ET DU FILS, ET NE PEUT ÊTRE APPELÉ LEUR FILS.
Au surplus, dans cette souveraine Trinité qui est Dieu, il ny a aucun intervalle de temps, qui permette de croire ou au moins de demander, si le Fils est dabord né du Père, et si cest postérieurement que le Saint-Esprit a procédé des deux. Car celui dont lApôtre a dit : « Parce que vous êtes enfants, Dieu a envoyé dans vos coeurs lEsprit de son Fils (Gal., IV, 6 ). » est le même que celui dont le Fils a dit: « Car ce nest pas vous qui parlez, mais lEsprit de votre Père qui parle en vous (Matt., 20 ) ». Beaucoup dautres témoignages des divines (568) Ecritures prouvent que celui quon appelle proprement Esprit-Saint dans la Trinité , est lEsprit du Père et du Fils; celui dont le Fils lui-même a dit : « Celui que je vous enverrai du Père (Jean, XV, 26 )» ; et ailleurs: « Celui que mon Père enverra en mon nom (Id., XIV, 26 )». Ce qui prouve quil procède des deux, cest que le Fils lui-même a dit : « Il procède du Père »; puis après sa résurrection dentre les morts, apparaissant à ses disciples, il souffla sur eux et leur dit: « Recevez le Saint-Esprit (Jean, XX, 22 )», pour faire voir quil procède aussi de lui. Et cest là cette « vertu » qui « sortait de lui », comme on le voit dans lEvangile, « et les guérissait tous (Luc, VI, 19 ) ». 46. Mais pourquoi a-t-il dabord donné le Saint-Esprit sur la terre après sa résurrection (Jean, XX, 22), puis la-t-il ensuite envoyé du ciel (Act., II, 4 )? Cest, je pense, parce que la charité, qui nous fait aimer Dieu et le prochain, est répandue en nos coeurs par ce Don même (Rom., V, 5 ), pour accomplissement des deux commandements auxquels se rattachent toute la loi et les prophètes (Matt., XXII, 37-40 ). Cest ce que le Seigneur Jésus a voulu faire entendre en donnant deux fois le Saint-Esprit: une fois sur la terre, pour indiquer lamour du prochain, et une seconde fois du haut du ciel en vue de lamour de Dieu. Que si on peut expliquer autrement ce double envoi de lEsprit-Saint, tout au moins nous ne pouvons douter que cest bien le même Esprit que Jésus a donné après avoir soufflé et dont il a dit aussitôt : « Allez, baptisez toutes les nations au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit (Id., XIII, 19 )»; paroles où la souveraine Trinité est si formellement indiquée. Cest donc le même Esprit qui a été donné du ciel le jour de la Pentecôte, cest-à-dire dix jours après que le Seigneur fut monté au ciel. Comment donc ne serait-il pas Dieu, celui qui donne lEsprit- Saint? Ou plutôt quel grand Dieu que celui qui donne un Dieu! Car aucun de ses disciples na jamais donné lEsprit-Saint. ils priaient pour le faire descendre sur ceux à qui ils imposaient les mains, mais ils ne le donnaient pas. Et cet usage, lEglise le maintient encore par ses pontifes. Simon le magicien lui-même, en offrant de largent aux Apôtres, ne dit pas : « Donnez-moi aussi ce pouvoir », afin que je donne le Saint-Esprit, mais « afin que tous ceux à qui jimposerai les mains, reçoivent lEsprit-Saint ». Et plus haut, lEcriture navait pas dit: Simon voyant que les Apôtres donnaient lEsprit-Saint, mais bien: « Or, Simon voyant que, par limposition des mains des Apôtres, lEsprit-Saint était donné (Act., VIII, 19, 18 ) ». Aussi le Seigneur Jésus na pas seulement donné le Saint-Esprit comme Dieu, mais il la encore reçu comme homme; cest pourquoi on le dit plein de grâce (Jean, I, XIV ), et de lEsprit-Saint (Luc., XI ; 52, IV, 1 ). On écrit encore de lui en termes plus clairs : « Parce que Dieu la oint de lEsprit-Saint (Act., X, 38 ) »; non certes avec de lhuile visible, mais par le don de la grâce, symbolisé par le parfum dont lEglise oint les baptisés. Mais le Christ na pas été oint par le Saint-Esprit au moment de son baptême, quand le Saint-Esprit descendit sur lui en forme de colombe (Matt. III, 16 ) circonstance où il a daigné figurer davance son corps, cest-à-dire lEglise dont les membres reçoivent le Saint-Esprit principalement dans le baptême mais il faut entendre quil a reçu lonction mystérieuse et invisible, quand le Verbe de Dieu a été fait chair (Jean I, 14 ), cest-à-dire quand la nature humaine, sans lavoir mérité par aucunes bonnes oeuvres précédentes, a été unie au Verbe-Dieu dans le sein dune Vierge, de manière à ne former avec lui quune personne. Voilà pourquoi nous confessons quil est né du Saint-Esprit et de la Vierge Marie. Car ce serait le comble de labsurdité de croire quil na reçu le Saint-Esprit quà trente ans âge auquel il a été baptisé par Jean (Luc, III, 21-23 ). Nous devons croire, au contraire, que, sil est venu au baptême sans aucune espèce de péché, il ny est certainement pas venu sans lEsprit-Saint. En effet, sil est écrit de son serviteur et précurseur Jean : « Il sera rempli du Saint-Esprit dès le sein de sa mère (Id., I, 15 ) », parce que, quoique engendré dun homme, il a cependant reçu le Saint-Esprit dès sa formation dans le sein maternel; que faudra-t-il penser, que faudra-t-il croire de lHomme-Christ, dont la chair na point été conçue charnellement, mais spirituellement? Et quand on écrit quil a reçu de son Père la promesse du Saint-Esprit et quil la répandu (Act., II, 33 ), on nous montre par là même quil a les deux natures, la nature humaine et la nature divine, puisquil a reçu (569) le Saint-Esprit comme homme et la répandu comme Dieu. Quant à nous, nous pouvons recevoir ce don dans la mesure de notre faiblesse, mais nous ne pouvons le répandre sur les autres; seulement nous prions Dieu, lauteur du don, de le répandre lui-même. 47. Pouvons-nous donc demander si, quand le Fils est né, le Saint-Esprit avait déjà procédé du Père, ou non, et sil a procédé des deux, après la naissance du Fils, là où il ny a pas de temps; absolument comme nous avons pu, là où le temps existe, examiner si la volonté procède en premier lieu de lâme humaine, pour chercher ensuite lobjet qui, une fois découvert, prendra le nom de fils; lequel fils étant enfanté ou engendré, la volonté se complète, et trouve le repos en atteignant sa fin, en sorte que ce qui était désir quand elle cherchait, devienne amour quand elle jouit : amour procédant de deux choses, cest-à-dire de lâme qui joue le rôle de père en enfantant, et de la connaissance qui joue le rôle de fils comme étant enfantée? Non assurément, on ne peut poser de telles questions là où rien ne commence avec le temps pour sachever dans le temps. Ainsi donc, que celui qui peut comprendre que le Fils est éternellement engendré du Père, comprenne que le Saint-Esprit procède aussi éternellement des deux. Que celui encore qui peut comprendre, daprès ces paroles du Fils : « Comme le Père a la vie en lui-même, ainsi il a donné au Fils davoir en lui-même la vie (Jean, V, 28 )», comprendre, dis-je, que le Père na pas donné la vie à un Fils jusque-là sans vie, mais quil la engendré en dehors du temps, en sorte que la vie que le Père a donnée au Fils en lengendrant est coéternelle à la vie même du Père qui la donnée; que celui-là comprenne aussi que, comme il est dans la nature du Père que le Saint-Esprit procède de lui, de même il a donné à son Fils que le même Saint-Esprit procède aussi de lui, double procession également éternelle; et que, quand on dit que le Saint-Esprit procède du Père, on lentend en ce sens que le Père a aussi donné au Fils que le Saint-Esprit procède du Fils. En effet, si le Fils tient du Père tout ce quil a, il en tient aussi que le Saint-Esprit procède de lui. Mais, quon exclue ici toute idée du temps, qui renferme celle dantériorité et de postériorité; car il ny en a pas lombre. Comment donc ne serait-il pas souverainement absurde dappeler le Saint-Esprit fils des deux, puisque, comme, par sa génération du Père, le Fils possède une essence éternelle et immuable, de même, par sa procession des deux, le Saint-Esprit possède une nature éternelle et immuable? Voilà pourquoi, si nous ne disons pas que le Saint-Esprit est engendré, nous nosons cependant le dire non engendré: évitant demployer cette expression pour ne pas laisser croire ou quil y a deux pères dans la Trinité, ou quil y a deux personnes qui ne sont pas dune autre. Car le Père seul nest pas dun autre; voilà pourquoi seul il est appelé non engendré, sinon dans les Ecritures, au moins dans le langage usuel de ceux qui discutent un si haut mystère et sen expliquent comme ils peuvent. Le Fils est né du Père; et le Saint-Esprit procède principalement du Père, et, sans aucun intervalle de temps, tout à la fois du Père et du Fils. Or, on lappellerait fils du Père et du Fils, si ce que tout homme de bon sens rejette avec horreur tous les deux lavaient engendré. LEsprit des deux na donc pas été engendré par les deux, mais il procède des deux.
CHAPITRE XXVII.POURQUOI ON NE DIT PAS QUE LESPRIT EST ENGENDRÉ ET POURQUOI LON DIT DU PÈRE SEUL QUIL NEST PAS ENGENDRÉ ? CE QUE DOIVENT FAIRE CEUX QUI NE COMPRENNENT PAS CES MYSTÈRES.
48. Mais, comme dans cette coéternelle, égale, incorporelle, merveilleusement immuable et indivisible Trinité, il est très-difficile de distinguer la génération de la procession, que ceux dont lintelligence ne saurait sélever plus haut, se contentent de ce que nous avons dit un jour dans un sermon adressé au peuple chrétien et que nous avons écrit ensuite. Après avoir, entre autres choses, cité des témoignages des saintes Ecritures pour prouver que le Saint-Esprit procède des deux, je disais: « Si donc le Saint-Esprit procède du Père et du Fils, pourquoi le Fils a-t-il dit: Il procède du Père (Jean, XV, 26 )? Pourquoi, pensez-vous, sinon à raison de lhabitude quil a de rapporter tout ce qui lui appartient à ce lui de qui il est? Cest ainsi quil a dit : Ma doctrine nest pas de moi, mais de celui qui (570) ma envoyé (Jean, VII, 16 ). Si donc on entend ici quil sagit de sa doctrine, bien quil dise quelle nest pas de lui, mais de son Père; à combien plus forte raison doit-on comprendre que le Saint-Esprit procède aussi de lui, alors quil dit: Il procède du Père, sans dire : Il ne procède pas de moi ? Or, celui de qui il tient dêtre Dieu car il est Dieu de Dieu cest aussi celui de qui il tient que le Saint-Esprit procède de lui: par conséquent le Saint-Esprit tient du Père lui-même de procéder du Fils comme il procède du Père. Cest ainsi quon peut comprendre dune manière quelconque autant que peuvent comprendre des êtres tels que nous pourquoi on ne dit pas que le Saint-Esprit est engendré, mais bien quil procède; parce que si on lappelait Fils, il serait Fils des deux, ce qui serait une énorme absurdité. Car pour être fils des deux, il faut avoir un père et une mère, et loin de nous la pensée de supposer rien de ce genre entre Dieu le Père et Dieu le Fils. Bien plus, un fils des hommes ne procède pas même de son père et de sa mère en même temps: car quand il procède du père dans la mère, il ne procède pas de la mère, et quand il procède de la mère pour paraître au jour, il ne procède pas du père. Or, le Saint-Esprit ne procède pas du Père dans le Fils, puis du Fils pour sanctifier la créature; tuais il procède à la fois de lun et de lautre, quoique le Père ait donné au Fils que le Saint-Esprit procède de lui comme du Père. En effet, nous ne pouvons pas dire que le Saint-Esprit ne soit pas vie, quand le Père est vie et le Fils aussi; par conséquent, comme le Père a la vie en lui-même, et a donné au Fils davoir aussi la vie en lui-même, ainsi il lui adonné que la vie procède de lui, comme elle procède du Père ( Sur lEvang. Selon S. Jean, traité 99e, n. 8, 9. ) ». Jai transcrit ici ce passage de mon sermon; mais cest à des fidèles, et non à des infidèles, que je madresse. 49. Mais sils ne sont pas capables de voir limage créée, de constater combien sont vraies ces trois facultés qui sont dans leur âme, qui sont trois sans être trois personnes, qui appartiennent toutes les trois à un homme qui nest quune personne : pourquoi ne croient-ils pas ce que les saintes lettres nous disent de la souveraine Trinité, plutôt que de demander une explication parfaitement claire dun mystère qui dépasse notre faible et impuissante raison humaine? Appuyés sur une foi inébranlable aux saintes Ecritures, ces témoins infaillibles, quils cherchent par la prière, par létude et une vie vertueuse à éclairer leur intelligence, cest-à-dire à voir, autant que possible, des yeux de lesprit ce quils admettent avec la certitude de la foi. Qui les empêche de faire cela? ou plutôt qui ne les y exhorte pas? Mais sils pensent quil faut nier ces mystères, parce que leur aveugle intelligence ne peut les pénétrer, faudra-t-il que les aveugles de naissance nient aussi lexistence du soleil? La lumière luit donc dans les ténèbres, et si leurs ténèbres ne la comprennent pas (Jean, I, 5 ), quils soient dabord éclairés par le don de Dieu pour devenir fidèles et quils commencent à être lumière en comparaison des infidèles; puis, ce fondement établi, quils soient édifiés vers ce quils croient, afin de mériter de voir un jour. Car il est des choses que lon croit avec la certitude de ne jamais les voir. Par exemple, on ne reverra plus le Christ sur la croix ; et cependant si on ne croit pas cet événement, qui sest passé, qui sest vu, mais quon doit désespérer de voir se reproduire, on ne saurait parvenir au Christ tel quil doit être vu pendant léternité. Pour ce qui concerne cette souveraine, ineffable, immatérielle et immuable nature quil faut voir dune manière quelconque par les yeux de lintelligence, nulle part le regard de lâme humaine ne sy exerce mieux, sous la simple direction de la règle de foi, que dans ce que lhomme lui-même a dans sa nature qui lélève au-dessus des autres animaux et qui est supérieur aux autres parties de son âme, cest-à-dire dans son intelligence car à lintelligence il est accordé de voir jusquà un certain point dans les choses invisibles; cest à elle, faculté intérieure et juge assise sur un siége élevé et honorable, que les sens apportent toutes les questions à décider, et elle na pas de supérieur à qui elle doive soumission et obéissance, si ce nest Dieu. 50. Mais au milieu des longues discussions auxquelles je me suis livré et où jose confesser que je nai rien dit qui soit digne de cette souveraine et ineffable Trinité, mais que la science divine est merveilleusement élevée au-dessus de moi et que je ny puis atteindre (Ps., CXXXVIII, 6 ) : au milieu de tout cela, dis-je, où donc, ô mon âme, où donc crois-tu être, où es-tu (571) prosternée, où es-tu debout , en attendant que celui qui a pardonné toutes tes iniquités guérisse toutes tes langueurs (Ps., CII, 3 )? Tu reconnais sans doute, que tu es dans cette hôtellerie où le charitable Samaritain conduisit celui quil trouva percé de mille coups par les voleurs et à demi mort (Luc., X, 30-34 ). Et cependant tu as vu bien des vérités, non avec les yeux qui voient les objets sensibles, mais avec ceux que demandait celui qui disait: « Que mes yeux voient léquité (Ps., XVI, 2 ) ». Oui, tu as vu bien des vérités et tu les as discernées à laide de la lumière même qui te les a fait voir; élève maintenant tes yeux jusquà cette lumière même et fixe-les-y, si tu peux. Là tu verras quelle différence il y a entre la naissance du Verbe de Dieu et la procession du Don de Dieu; pourquoi le Fils unique a dit que le Saint-Esprit nest pas engendré du Père autrement il serait son frère mais quil en procède. Doù il suit que lEsprit des deux étant une certaine communication consubstantielle du Père et du Fils, il ne peut loin de nous cette erreur être appelé leur fils. Mais tu ne peux fixer là ton regard, pour distinguer nettement, clairement, ce mystère; je le sais, tu ne le peux. Je dis la vérité, je me la dis à moi-même, je sais ce qui mest impossible cependant ce même regard te découvre en toi trois choses où tu peux reconnaître une image de cette souveraine Trinité, que tu ne saurais encore contempler dun oeil fixe. Il te démontre quil y a en toi un verbe vrai, quand il est engendré de ta science, cest-à-dire quand nous disons ce que nous savons, bien que nous ne prononcions ni des lèvres ni de la pensée aucune parole appartenant à aucune langue; seulement notre pensée se forme de ce que nous connaissons, puis il se produit dans le regard de la pensée une image parfaitement semblable à la pensée même que la mémoire renfermait, et ces deux choses, comme qui dirait le père et le fils, sont unies par la volonté ou lamour qui vient se poser en tiers. Mais que cette volonté procède de la pensée car personne ne veut ce dont il ignore absolument lexistence ou la nature et que cependant elle ne soit pas limage de la pensée; par conséquent quon retrouve dans cette chose tout intellectuelle la différence entre la naissance et la procession, puisque voir par la pensée nest pas la même chose que désirer, ou jouir par la volonté : cest ce que voit et distingue celui qui en a la faculté. Cette faculté, tu las eue, ô mon âme, quoique tu naies pu et ne puisses encore exprimer suffisamment par le langage ce que tu as péniblement aperçu à travers le brouillard des images matérielles qui ne cessent dobséder les pensées humaines. Mais cette lumière, qui nest pas toi, ta aussi fait voir quil y a une différence entre les images immatérielles des objets matériels et la vérité qui apparaît à lintelligence quand nous les avons écartées. Cela et dautres choses également certaines, cette lumière les a fait briller à ton regard intérieur. Quest-ce qui tempêche donc de la contempler elle-même dun oeil fixe, sinon ton infirmité? Et doù vient cette infirmité, sinon de liniquité? Par conséquent, qui guérira toutes tes langueurs, sinon Celui qui a pardonné toutes tes iniquités ? Il vaut donc mieux terminer ce livre par la prière que par la discussion.
CHAPITRE XXVIII.CONCLUSION DU LIVRE. PRIÈRE. EXCUSES.
51. Seigneur notre Dieu, nous croyons en vous, Père, Fils et Saint-Esprit. La vérité naurait pas dit: « Allez, baptisez toutes les nations au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit (Matt., XXVIII, 19 ) », si vous nétiez pas Trinité. Dautre part, la voix divine naurait pas dit: « Ecoute, Israël : le Seigneur ton Dieu est un Dieu un (Deut., VI, 4 ) », si, en même temps que Trinité, vous nétiez un seul Seigneur Dieu. Et si vous, Dieu le Père, étiez tout à la fois Dieu le Père, et le Fils votre Verbe Jésus-Christ et votre Don le Saint-Esprit, nous ne lirions pas dans les lettres de vérité : « Dieu a envoyé son Fils (Gal., IV, 4 ; Jean, III, 17 )» ; et vous, ô Fils unique, vous nauriez pas dit du Saint-Esprit : « Celui que le Père enverra en mon nom (Jean, XIV, 26 ) » , et encore : « Celui que je vous enverrai du Père (Id., XV, 26 ) ». Dirigeant mon intention sur cette règle de foi, je vous ai cherché, autant que je lai pu ; autant que vous mavez donné de le pouvoir, jai désiré voir des yeux de lintelligence, ce que je croyais ; jai discuté longuement, jai pris bien de la peine, Seigneur mon Dieu, mon unique espérance, exaucez-moi ; ne souffrez pas que la fatigue mempêche de vous (572) chercher; faites au contraire que je cherche toujours votre présence avec ardeur (Ps., CIV, 4 ). Donnez-moi la force de vous chercher, vous qui mavez fait vous trouver ét mavez donné lespoir de vous trouver de plus en plus. Devant vous est ma force et ma faiblesse; conservez lune, guérissez lautre. Devant vous est ma science et mon ignorance; là où vous mavez ouvert la porte, laissez-moi entrer , là où vous me lavez fermée, ouvrez-moi quand je frappe; que je me souvienne de vous, que je vous comprenne, que je vous aime. Augmentez en moi ces deux choses, jusquà ce que vous mayez réformé en entier. Je sais quil est écrit: « Tu néchapperas pas au péché dans « labondance des paroles (Prov., X, 19 ) ». Mais plût au ciel que je nouvrisse la bouche que pour prêcher votre parole et chanter vos louanges! Non-seulement jéviterais le péché, mais jacquerrais de précieux mérites, même dans labondance des paroles. Car cet homme que vous avez béatifié naurait jamais voulu conseiller le mal au fils quil avait enfanté dans la foi et à qui il écrivait: « Annonce la parole, insiste à temps et à contre-temps (II Tim., IV, 2 ) ». Faut-il dire quon ne peut accuser davoir trop parlé celui qui annonçait votre parole, Seigneur, non-seulement à temps, mais encore à contre-temps? Il ny avait rien de trop, puisquil ny avait que le nécessaire. Délivrez-moi, Seigneur, de labondance des paroles que je subis à lintérieur, dans mon âme si misérable à vos yeux, mais cherchant refuge dans le sein de votre miséricorde. Car, quand ma bouche se tait, ma pensée ne reste pas en silence. Si, du moins, je ne pensais quà ce qui vous est agréable, je ne vous prierais pas de me délivrer de labondance des paroles. Mais beaucoup de mes pensées, telles que vous les connaissez, sont des pensées dhomme, puisquelles sont vaines (Ps., XCIII, 11 ). Faites-moi la grâce de ny pas consentir, de les réprouver même quand elles me font plaisir et de ne pas my appesantir dans une espèce de sommeil. Et quelles ne prennent jamais sur moi assez dempire, pour exercer quelque influence sur mes actions; mais que, sous votre sauvegarde, mon jugement soit en sécurité et ma conscience à labri. Un sage, parlant de vous dans son livre intitulé lEcclésiastique, a dit: « Nous multiplions les paroles, et nous naboutissons pas; mais tout se résume en un mot : Il est lui-même tout ( Eccli., XLIII, 29) ». Quand donc nous serons parvenus jusquà vous, « ces paroles que nous multiplions sans aboutir », cesseront, et vous serez seul à jamais tout en tous (I Cor., XV, 28 ) ; et nous tiendrons sans fin un seul langage, vous louant tous ensemble, et unis tous en vous. Seigneur Dieu un, Dieu Trinité, que vos fidèles admettent tout ce qui mest venu de vous dans ces livres; et, sil y a quelque chose de mon propre fond, pardonnez-le-moi, vous et les vôtres. Ainsi soit-il !
Les dix derniers livres ont été traduits par M. DEVOILLE.
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