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LIVRE SIXIÈME : ÉGALITÉ DES PERSONNES.
Après sêtre posé cette question : Comment lApôtre appelle-t-il le Christ Vertu de Dieu et Sagesse de Dieu? Saint Augustin demande si le Père nest pas lui-même Sagesse, mais seulement Père de la Sagesse. Remettant à plus tard la solution de cette question, il prouve lunité et légalité du Père, du Fils et du Saint-Esprit; il démontre que Dieu nest pas triple, mais Trinité. En dernier lieu, il explique la parole de saint Hilaire : « Eternité dans le Père, Beauté dans limage, Usage dans le Don ».
LIVRE SIXIÈME : ÉGALITÉ DES PERSONNES.
CE QUI PEUT OU NE PEUT PAS SE DIRE DU PÈRE ET DU FILS.
LUNITÉ DESSENCE DU PÈRE ET DU FILS.
LE SAINT-ESPRIT ÉGAL EN TOUT AU PÈRE ET AU FILS.
COMMENT DIEU EST UNE SUBSTANCE SIMPLE ET MULTIPLE.
DIEU EST TRINITÉ, MAIS NEST POINT TRIPLE.
RIEN NE SAJOUTE A LA NATURE DIVINE,
EST-CE UNE SEULE PERSONNE OU LES TROIS PERSONNES ENSEMBLE QUE LON APPELLE UN SEUL DIEU?
ATTRIBUTS DE CHAQUE PERSONNE DAPRÈS SAINT HILAIRE. LA TRINITÉ REPRÉSENTÉE.
CHAPITRE PREMIER.LE FILS EST LA VERTU ET LA SAGESSE DE DIEU LE PÈRE. DIFFICULTÉ DE SAVOIR SI LE PÈRE NEST PAS LUI-MÊME SAGESSE, MAIS SEULEMENT PÈRE DE LA SAGESSE.
1. Quelques-uns voient une difficulté à admettre légalité du Père, du Fils et du Saint-Esprit, parce quil est écrit que le « Christ est la vertu de Dieu et la sagesse de Dieu »; en sorte que légalité cesserait dexister parce que le Père ne serait point vertu et sagesse, mais Père de la vertu et de la sagesse. Au fond, on nattache pas dordinaire une médiocre importance à savoir comment Dieu peut être appelé Père de la vertu et de la sagesse. LApôtre dit en effet que « le Christ est la vertu de Dieu et la sagesse de Dieu (I Cor., I, 24 )». De là quelques-uns des nôtres ont déduit le raisonnement suivant contre ceux des Ariens qui ont les premiers attaqué la foi catholique. Arius aurait dit, à ce quon rapporte : Sil est Fils, il est né; sil est né, il! a eu un temps où il nétait pas Fils: ne comprenant pas quêtre né de Dieu cest être éternel, en sorte que le Fils est coéternel au Père, comme la lumière produite et répandue par le feu, naît en même temps que lui, et lui serait coéternelle si le feu était éternel. Aussi plus tard quelques Ariens ont rejeté cette opinion, et ont reconnu que le Fils de Dieu na pas commencé dans le temps. Mais dans les discussions que les nôtres soutenaient contre ceux qui disaient : Il fut un temps où le Fils nétait pas, quelques-uns faisaient ce raisonnement : Si le Fils de Dieu est la vertu et la sagesse de Dieu et que Dieu nait jamais été sans vertu et sans sagesse, le Fils est donc coéternel à Dieu le Père. Or, lApôtre dit que « le Christ est la vertu de Dieu et la sagesse de Dieu »; et dautre part, affirmer quil fut un temps où Dieu neut ni Vertu ni sagesse, serait un trait de folie; donc il ny a jamais eu de temps où le Fils de Dieu nexistât pas. 2. Ce raisonnement nous mènerait nécessairement à dire que Dieu le Père nest sage que de la sagesse quil a engendrée, et nest point sagesse par lui-même. Or, sil en est ainsi, si le Père nest point lui-même sagesse, mais seulement Père de la sagesse, il reste à savoir comment, le Fils étant appelé Dieu de Dieu, lumière de lumière, on pourra aussi lappeler sagesse de sagesse. Dans cette hypothèse, pourquoi le Père ne serait-il pas aussi appelé le Père de sa grandeur, de sa bonté, de son éternité, de sa toute-puissance, de sorte quil ne serait pas lui-même sa propre grandeur, sa bonté, son éternité, sa toute-puissance, mais quil serait simplement grand de la grandeur, bon de la bonté, éternel de léternité, tout-puissant de la toute-puissance qui est née de lui, absolument comme il ne serait point sage de sa sagesse, mais de la sagesse qui est née de lui? Dans ce cas, si réellement Dieu est seulement le Père de sa grandeur, de sa bonté, de son éternité, de sa toute-puissance, il ne faudrait pas reculer devant la nécessité dadmettre, en dehors de ladoption de la créature, beaucoup de fils de Dieu coéternels au Père. A cette objection on répond sans peine que, nommer beaucoup dattributs divins, ce nest pas supposer que Dieu soit le père de beaucoup de fils coéternels, pas plus quon ne suppose quil est doublement Père, quand on dit que le Christ est la vertu de Dieu et la sagesse de Dieu car la vertu est la même chose que la sagesse, et la sagesse la même chose que la vertu. On peut donc dire aussi que la grandeur et tous les autres attributs que nous avons mentionnés et ceux que lon peut mentionner encore, sont la même chose que la vertu. (434)
CHAPITRE II.CE QUI PEUT OU NE PEUT PAS SE DIRE DU PÈRE ET DU FILS.
3. Mais si on ne dit du Père considéré en lui-même que ce quil est par rapport à son Fils, cest-à-dire son Père, son Générateur, son Principe, si de plus, il est principe de ce quil engendre de lui-même : si dautre part, toutes les autres expressions lui sont communes avec son Fils, ou plutôt dans son Fils, soit quon le dise grand de la grandeur quil a engendrée, ou bon de la bonté quil a engendrée, ou puissant de la puissance ou vertu quil a engendrée, ou sage de la sagesse quil a engendrée; en sorte que le Père nest point appelé la grandeur même, mais le générateur de la grandeur; à son tour, si le Fils qui considéré en lui-même est appelé Fils non conjointement avec son Père, mais relativement à son Père, nest point dit grand en lui-même, mais avec le Père dont il est la grandeur, sage avec le Père dont il est la sagesse, comme le Père est dit sage avec le Fils, parce quil est sage de la sagesse quil a engendrée; il en résulte que dans tout ce qui se dit deux dune manière absolue, cest-à-dire dans tout ce qui exprime la substance, on ne sépare point lun de lautre, les qualifications leur sont communes. Or, sil en est ainsi, le Père nest donc pas Dieu sans le Fils, ni le Fils Dieu sans le Père, mais les deux ensemble sont Dieu. Et quand on dit: «Dans le principe était le Verbe», cela veut dire : Le Verbe était dans le Père, ou si ces mots : «Dans le principe», veulent dire : avant toutes choses, dans les paroles suivantes: « Et le Verbe était en Dieu», le mot Verbe ne sentend que du Fils seul, et non du Père et du Fils, comme si les deux étaient un seul Verbe. En effet, Verbe a ici le sens dimage; or le Père et le Fils ne sauraient être tous les deux images; mais le Fils seul est image du Père, comme seul il est son Fils car ils ne sont pas fils tous les deux. Quant à ce qui suit : « Et le Verbe était en Dieu », il y a de fortes raisons de lentendre ainsi : « Le Verbe » et le Fils seul est Verbe « était en Dieu», et le Père nest pas le seul qui soit Dieu, mais le Père et le Fils sont Dieu ensemble. Et comment sétonner de cela, quand le même raisonnement peut sappliquer à des choses de nature différente? Quoi de plus différent, par exemple, que lâme et le corps? On peut dire cependant : Lâme était chez lhomme, cest-à-dire dans lhomme, bien que lâme ne soit pas corps et que lhomme soit tout à la fois âme et corps. Ce qui se lit ensuite : « Et le Verbe était Dieu (Jean, I, 1 ) », doit sentendre ainsi : Le Verbe, qui nest pas le Père, était Dieu avec le Père. Dirons-nous donc que le Père engendre sa grandeur, cest-à-dire engendre sa vertu ou engendre sa sagesse; que le Fils est grandeur, vertu et sagesse, mais que les deux ensemble sont le Dieu grand, tout - puissant, sage? Mais alors comment expliquerons-nous: « Dieu de Dieu, lumière de lumière? » Car le Père et le Fils ne sont pas tous deux Dieu de Dieu, le Fils seul est Dieu de Dieu, du Père; tous deux ne sont pas non plus lumière de lumière, mais le Fils seul, engendré du Père qui est lumière, ne pourrait-on pas dire que pour indiquer brièvement et bien faire comprendre que le Fils est coéternel au Père, on a employé ces expressions : « Dieu de Dieu et lumière de lumière », au lieu de celles-ci: ce que le Fils nest pas sans le Père, vient de ce que le Père nest pas sans le Fils, cest-à-dire : Lumière qui nest pas lumière sans le Père vient de lumière qui est le Père, lequel ne serait pas lumière sans le Fils; afin que quand on dit: Dieu ce que le Fils nest pas sans le Père, de Dieu ce que le Père nest pas sans le Fils il soit parfaitement entendu que celui qui engendre nest point antérieur à celui qui est engendré. Cela posé, le seul cas où lexpression est exclusivement applicable à lun deux, cest quand ils ne sont pas tous les deux la chose que cette expression désigne. Ainsi on ne peut dire Verbe de Verbe, parce que tous les deux ne sont pas Verbe, mais le Fils seulement; ni image dimage, parce quils ne sont pas tous les deux image; ni : Fils de Fils, parce quils ne sont pas fils tous les deux, daprès cette parole : « Moi et mon Père nous sommes un (Id., X, 30 ) ». En effet: « Nous sommes « un », signifie: Ce quest mon Père quant à lessence, je le suis aussi, mais non ce quil est au point de vue relatif.
CHAPITRE III.LUNITÉ DESSENCE DU PÈRE ET DU FILS.
4. Je ne sais si on trouverait nulle part dans lEcriture ces expressions «être un» appliquées à des objets de différente nature. Si plusieurs (436) êtres sont de même nature et pensent diversement, ils ne sont pas un par le seul fait quils ne pensent pas lun comme lautre. Par exemple, sil suffisait aux hommes dêtre hommes pour être un, le Christ, en recommandant ses disciples à son Père, naurait pas exprimé ce voeu: «Afin quils soient un, comme nous (Jean, XVII, 11 ) ». Mais comme Paul et Apollo étaient deux hommes et pensaient de la même manière, lapôtre a pu dire: « Celui qui plante et celui qui arrose sont une seule chose (I Cor., III, 8 )». Quand donc on parle dune seule chose sans spécifier quelle est cette seule chose et quil sagit de plusieurs êtres, cela signifie identité de nature, identité dessence sans diversité dopinions ni de sentiments. Mais quand on désigne cette unité, cela peut sentendre de plusieurs substances diverses ne formant quun tout. Ainsi lâme et le corps ne sont certainement pas une seule chose: quy a-t-il même de plus différent? à moins quon najoute ou ne sous-entende lespèce dunité, cest-à-dire un homme, ou un animal. Voilà pourquoi lApôtre dit : « Celui qui sunit à une prostituée, devient un même corps avec elle ». Il ne dit pas ils sont une même chose, ou : cest une même chose; mais il ajoute le mot « corps », pour indiquer lunité formée par lunion de deux objets différents, un corps dhomme et un corps de femme. Et quand il dit: « Celui qui sunit au Seigneur est un seul esprit avec lui ( Id., VI, 16, 17 ) », il ne dit pas : celui qui sattache au Seigneur est un, ou: ils sont une seule chose; mais il ajoute : « esprit ». Car lesprit de Dieu et lesprit de lhomme sont de nature différente; mais, en sunissant, ils forment un esprit de deux éléments divers, sauf que lesprit de Dieu est heureux et parfait sans lesprit de lhomme, tandis que lesprit de lhomme nest heureux quavec lesprit de Dieu. Ce nest pas sans raison, je pense, que dans 1Evangile selon saint Jean, le Seigneur disant de si grandes choses et parlant si souvent de lunité, soit de celle qui existe entre lui et son Père, soit de celle qui existe entre nous, na jamais dit nulle part : afin que nous et eux soyions une seule chose, mais bien : « Afin quils soient un, comme nous sommes un ( Jean, XVII, 11 ). » Donc le Père et le Fils sont un selon lunité de substance, et il ny a quun seul Dieu, un seul Grand, un seul Sage, comme nous lavons dit. 5. Comment donc le Père serait-il plus grand? Sil était plus grand, ce ne pourrait être que par la grandeur. Or, le Fils étant la grandeur du Père, et ne pouvant évidemment être plus grand que celui qui la engendré; dautre part, le Père ne pouvant être plus grand que la grandeur qui le fait grand, le Fils lui est donc égal. Et comment le Fils est-il égal, sinon par celui qui le fait être, et en qui lêtre et la grandeur sont la même chose? Que si le Père était plus grand par léternité, le Fils ne lui serait donc point égal en toute chose. Comment, en effet, lui serait-il égal? Si vous dites que cest par la grandeur, une grandeur à qui léternité manque, nest plus égale. Sera-t-il égal en vertu et non en sagesse? Mais comment la vertu qui est moins sage sera-t-elle égale? Ou bien sera-t-il égal en sagesse, et non en puissance? Mais comment une sagesse moins puissante sera-t-elle égale? Il reste donc à dire que si légalité manque en quelque chose, elle manque en tout. Or, 1Ecriture nous crie: « Il na pas cru que ce fût une usurpation de se faire égal à Dieu (Phil., II, 6. ) ». Donc tout ennemi de la vérité, pourvu quil nait pas rejeté lautorité de lApôtre, est forcé de reconnaître que le Fils est égal à Dieu, au moins sur un point quelconque. Quil choisisse donc quel attribut il voudra; il suffira dun pour lui prouver que le Fils est égal en tout ce qui tient à sa substance.
CHAPITRE IV.SUITE DU MÊME SUJET.
6. Cest ainsi que les vertus de lâme humaine, dans quelque sens quon les entende et quon les distingue, ne sauraient être séparées: en sorte que ceux qui sont égaux en force, par exemple, le sont aussi en prudence, en tempérance et en justice. En effet, si vous dites que deux hommes sont égaux en force, mais que lun lemporte sur lautre par la prudence, il sensuit que la force de cet autre est moins prudente; par conséquent, ils ne sont plus égaux en force, puisque la force de lun est plus prudente que celle de lautre. Et ainsi en sera-t-il des autres vertus, si vous les examinez en détail. Car il ne sagit pas des forces du corps, mais de celles de lâme. A combien plus forte raison en est-il de même dans cette immuable et éternelle substance, (437) incomparablement plus simple que lâme humaine? En effet, pour lâme humaine, ce nest pas une même chose dexister et dêtre forte, prudente, juste ou tempérante; car lâme peut exister et navoir aucune de ces vertus. Mais, pour Dieu, exister cest être fort, juste, sage, cest posséder tout ce que lon peut dire de la multiplicité simple ou de la simplicité multiple, pour exprimer sa substance. Ainsi, quand on dit Dieu de Dieu, cela veut dire que le nom de Dieu convient à lun et à lautre, de manière à ce quil ny ait quun seul Dieu, et non plusieurs Dieux. Car ils sont unis lun à lautre, comme cela arrive même pour des substances hétérogènes, ainsi le témoigne lApôtre. En effet, Dieu pris en lui-même est esprit; lesprit de lhomme considéré en lui-même est aussi esprit; et cependant, sil sattache à Dieu, « il est un seul esprit avec lui »;. à combien plus forte raison cela peut-il se dire là où lunion est indissoluble et éternelle! à moins de tomber dans labsurdité dentendre par Fils de Dieu, fils des deux : ce qui arriverait si le mot Dieu ou tout ce qui exprime la substance divine, ne sappliquait pas aux deux et même. à la Trinité tout entière. Quoiquil en soit et ce sujet demande une discussion plus approfondie), le point qui nous occupe est assez clair, savoir : que le Fils nest en aucune façon égal au Père, sil ne lui est égal en tout ce qui tient à la substance divine, comme nous lavons déjà prouvé. Or, lApôtre le dit égal. Donc le Fils est égal au Père en tout, et dune seule et même substance avec lui.
CHAPITRE V.LE SAINT-ESPRIT ÉGAL EN TOUT AU PÈRE ET AU FILS.
7. C est pourquoi le Saint-Esprit a aussi la même unité de substance et la même égalité. En effet, quil soit lunité ou la sainteté, ou la charité des deux, ou lunité par la charité, ou la charité par lunité, il est clair quaucun des deux nest ce qui les unit, ce par quoi celui qui est engendré aime celui qui lengendre et en est aimé à son tour, et qui fait quils conservent lunité desprit par le lien de la paix (Eph., IV, 3. ), non en vertu dune communication, mais par leur propre essence, non par la grâce dun être supérieur, mais par eux-mêmes. Modèle qui est proposé à notre imitation, avec laide de la grâce, et vis-à-vis de Dieu et vis-à-vis de nous : toute la loi et les prophètes se rattachant à ces deux commandements ( Matt., XXII, 37-40 ).Ainsi ces trois personnes sont un Dieu unique, seul, grand, sage, saint, heureux. Pour nous, cest de lui, par lui et en lui que nous sommes heureux, parce quil nous donne dêtre une seule chose entre nous, et un seul esprit avec lui, vu que notre âme sattache à lui. Et il nous est avantageux de nous attacher à Dieu, car il perdra tous ceux qui labandonnent ( Ps., LXXVII, 28, 27 ). LEsprit-Saint est donc, quel quil soit, commun au Père et au Fils. Mais cette communauté est consubstantielle et coéternelle. Quon lappelle amitié, si on juge lexpression convenable; mais celle de charité vaut mieux. Cest aussi une substance, parce que Dieu est substance et que « Dieu est charité », ainsi quil est écrit ( Jean, IV, 16 ). Or, comme cette substance est avec le Père et le Fils, elle est aussi, avec le Père et le Fils, grande, bonne, sainte, et tous ce qui est dans la nature divine : car exister, en Dieu, nest pas autre chose quêtre grand, bon, etc., ainsi que nous lavons démontré plus haut. Si, en effet, la charité était là moins grande que la sagesse, la sagesse ne serait pas aimée tout entière; elle est donc égale, et la sagesse est aimée dans toute son étendue. Or, la sagesse est égale au Père, comme nous lavons expliqué plus haut; donc le Saint-Esprit lui est égal aussi; et sil lui est égal, il lest en tout, à cause de la parfaite simplicité qui caractérise cette substance. Voilà pourquoi il ny a rien en Dieu de plus que trois: lun aimant celui qui est de lui; lautre aimant celui de qui il est, et leur amour même. Or, si cet amour nexiste pas, comment « Dieu est-il amour? » Et sil nest pas substance, comment Dieu est-il substance?
CHAPITRE VI.COMMENT DIEU EST UNE SUBSTANCE SIMPLE ET MULTIPLE.
8. Si lon demande comment cette substance est simple-et multiple, il faut dabord examiner pourquoi la créature est multiple et jamais vraiment simple. En premier lieu, tout corps est composé de parties, de telle sorte que lune est plus grande, lautre plus petite, et que toute partie, quelle quelle soit et si (438) grande quelle soit, est moindre que le tout. En effet, le ciel et la terre sont des parties de lunivers; la terre en particulier, le ciel en particulier sont composés de parties innombrables, et moindres dans le tiers que dans le reste, dans la moitié que dans le tout; et lunivers entier, vulgairement désigné par ces deux parties, le ciel et la terre, est évidemment plus grand que le ciel seul ou que la terre seule. Et dans chaque corps, autre chose est la grandeur, autre chose la couleur ou la figure. En effet, la même couleur et la même figure peuvent subsister, quand la grandeur diminue; la couleur peut changer, bien que la figure et la grandeur restent les mêmes, et la figure peut aussi varier sans que la grandeur et la couleur subissent des changements. Ainsi toutes les propriétés qui saffirment simultanément dun corps, peuvent changer soit ensemble, soit les unes sans les autres. Preuve évidente que la nature du corps est multiple et jamais simple. La créature spirituelle, lâme par exemple, est sans doute plus simple comparativement au corps; mais prise en elle-même et sans comparaison avec le corps, elle est multiple aussi, et nullement simple. En effet, elle est plus simple que le corps, parce quelle noccupe pas de place dans létendue locale, mais quelle est dans chaque corps, tout entière dans le tout et aussi dans chaque partie; en sorte que quand une partie du corps, même la plus exiguë, éprouve une sensation, lâme tout entière en est affectée, et rien ne lui en échappe, bien que cette sensation ne sétende pas au corps entier. Cependant, comme dans la nature de lâme, autre chose est lactivité, autre chose la paresse, ou la finesse, ou la mémoire, ou le désir, ou la crainte, ou la joie, ou la tristesse; ou dautres affections sans nombre, et que ces affections peuvent subsister les unes sans les autres et sont susceptibles de plus ou de moins : il est de toute évidence que cette nature nest pas simple, mais multiple. Car rien de simple nest sujet à changement; or toute créature est changeante. On se sert dexpressions multiples pour dire que Dieu est grand, bon, sage, heureux, vrai, pour désigner tous les attributs qui sont dignes de lui; mais sa grandeur est la même chose que sa sagesse; car ce nest pas par létendue matérielle, mais par sa vertu quil est grand. Sa bonté est également la même chose que sa sagesse et sa grandeur, et sa vérité est la même chose que tout cela: car en lui, être heureux nest pas autre chose quêtre grand, être sage, ou vrai, ou bon, être enfin ce quil est.
CHAPITRE VII.DIEU EST TRINITÉ, MAIS NEST POINT TRIPLE.
9. Et parce quil est trinité, il ne faut pas simaginer quil soit triple: autrement le Père seul, ou le Fils seul, seraient moindres que le Père et le Fils réunis. Du reste on ne voit pas comment on pourrait dire le Père seul, ou le Fils seul, puisque le Père est toujours et inséparablement avec le Fils et le Fils avec le Père, non pour être tous les deux Père ou tous les deux Fils, mais parce quils sont toujours ensemble et jamais séparés. Néanmoins comme nous disons Dieu seul, en parlant de la Trinité, bien que Dieu soit toujours avec les esprits et les âmes des saints, et que nous lappelons seul, parce que ces esprits ne sont point Dieu avec lui; ainsi nous disons le Père seul, non parce quil est séparé de son Fils, mais parce quils ne sont pas Père tous les deux.
CHAPITRE VIII.RIEN NE SAJOUTE A LA NATURE DIVINE,
Ainsi donc le Père seul, ou-le Fils seul, ou le Saint-Esprit seul étant aussi grand que le Père, le Fils et le Saint-Esprit réunis, on ne peut en aucune façon dire que Dieu est triple. En effet les corps augmentent par adjonction. Quoique celui qui sunit à sa femme ne soit quun seul corps; ce corps avec elle, est néanmoins plus grand que celui de lhomme seul ou de la femme seule. Mais, dans les choses spirituelles, quand le moindre sunit au plus grand, comme la créature au Créateur, cest celle-là qui sagrandit, et non celui-ci. En effet, dans tout ce qui nest pas matériel, cest sagrandir que de devenir meilleur. Or, lesprit dune créature devient meilleur en sunissant au Créateur quen ne sy unissant pas, et, en devenant meilleur, il devient plus grand. Donc « celui qui sunit au Seigneur est un seul esprit avec lui (I Cor., VI, 17 ) » ; et cependant le Seigneur ne devient pas plus grand, parce que celui qui sunit à lui le devient davantage. Par conséquent, dans Dieu lui-même, le Fils égal (439) étant uni au Père égal, et le Saint-Esprit, aussi égal, étant uni au Père et au Fils, Dieu nest pas plus grand que chacune de ces trois personnes, parce que sa perfection ne saurait saugmenter. Or le Père est parfait, le Fils est parfait, le Saint-Esprit est parfait, et le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont Dieu parfait; donc Dieu est Trinité sans être triple.
CHAPITRE IX.EST-CE UNE SEULE PERSONNE OU LES TROIS PERSONNES ENSEMBLE QUE LON APPELLE UN SEUL DIEU?
10. Après avoir démontré que le Père seul peut être appelé Père, parce quil ny a de Père que lui, il faut examiner lopinion qui prétend que le seul vrai Dieu nest pas le Père seul, mais le Père, le Fils et le Saint-Esprit réunis. En effet, si lon demande : le Père seul est-il Dieu? peut-on répondre que non, à moins de dire que le Père est vraiment Dieu, mais non le seul Dieu, et que le -seul Dieu cest le Père, le Fils et le Saint-Esprit? Mais alors que ferons-nous du témoignage même du Seigneur? Après avoir nommé son Père et lui adressant la parole, il lui disait: « Or, la vie éternelle, cest quils vous connaissent, vous seul vrai Dieu (Jean, XVII, 3 )? » Paroles que les Ariens interprètent en ce sens que le Fils nest pas vrai Dieu. Mais laissant là les Ariens, nous avons à voir si par ces paroles : « Cest quils vous connaissent, vous seul vrai Dieu », nous sommes forcés de croire que le Christ a voulu insinuer que le Père seul est vrai Dieu, en ce sens quil ny a de Dieu que les trois réunis, Père, Fils et Saint-Esprit. Devons-nous conclure de ce témoignage du Christ que le Père seul est vrai Dieu, que le Fils seul est vrai Dieu, que le Saint-Esprit seul est vrai Dieu, cest-à-dire que la Trinité même, dans son ensemble est le seul vrai Dieu, et non trois vrais dieux? Et quand le Sauveur ajoute : « Et celui que vous « avez envoyé, Jésus-Christ », faut-il sous-entendre : « est seul vrai Dieu », en sorte que le sens des paroles serait : cest quils connaissent que en vous et dans celui que vous-avez envoyé, Jésus-Christ, le seul vrai Dieu ? Pourquoi alors passe-t-il le Saint-Esprit sous silence? Est-ce parce que, quand on nomme une chose unie à une autre par un lien de paix tel que les deux ne fassent quun, ce lien de paix est par là même exprimé, sans être expressément nommé? En effet lApôtre semble aussi passer en quelque sorte lEsprit sous silence, bien que sa présence soit sensible, dans ce passage où il dit: « Tout est à vous, mais vous êtes au Christ, et le Christ à Dieu (I Cor., III, 22, 23 ) » : et dans cet autre : « Le chef de la femme est lhomme, le chef de lhomme est le Christ, et le chef du Christ est Dieu (Id., XI, 3 ) ». Mais, encore une fois, sil ny a de Dieu que les trois ensemble, comment Dieu est il le chef du Christ, cest-à-dire comment la Trinité est-elle le chef du Christ, alors que le Christ doit être dans la Trinité pour quelle soit Trinité? Serait-ce que ce que le Père est avec le Fils, est le chef de ce que le Fils est seul? En effet le Père est Dieu avec le Fils, et le Fils seul est Christ; dautant plus que celui qui parle ici est le Verbe fait chair, abaissement qui le rend inférieur au Père, selon ce quil dit lui-même : Parce que mon Père est plus grand que moi (Jean XIV, 28 )». Ainsi lêtre divin, qui lui est commun avec le Père, est le chef de lhomme médiateur, quil est seul ( Tim., II, 5 ). Car si nous avons raison dappeler lâme la partie principale de lhomme, cest-à-dire comme le chef de la substance humaine, quoique lhomme soit avec son esprit; à combien plus juste titre le Verbe, qui est Dieu avec le Père, sera-t-il le chef du Christ, bien que le Christ fait homme ne se puisse comprendre en dehors du Verbe qui sest fait chair? Mais tout cela, nous lavons dit, sera étudié plus spécialement dans la suite. Pour le moment, nous avons démontré, le plus brièvement possible, légalité et lunité de substance dans la Trinité, en sorte que cette question, que nous nous réservons dapprofondir plus tard, ne peut en aucune façon, en quelque sens quelle soit résolue, nous empêcher de reconnaître la parfaite égalité du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
CHAPITRE X.ATTRIBUTS DE CHAQUE PERSONNE DAPRÈS SAINT HILAIRE. LA TRINITÉ REPRÉSENTÉE.
11. Un écrivain, voulant dun mot désigner dans les créatures les attributs de chacune des personnes de la Trinité, a dit: « LEternité dans le Père, la Beauté dans lImage, lUsage dans (440) le Don». Et comme Hilaire (car cest lui qui a écrit cela dans ses livres: De la Trinité, liv. 2) est un auteur de grande autorité en fait de commentaires sur les Ecritures et de défense de la foi, après avoir cherché de toutes mes forces à pénétrer le sens caché de ces mots: Père, Image, Don, éternité, beauté, usage, je pense quil a simplement entendu dire par le mot déternité, que le Père na point de père de qui il soit né, mais que le Fils tient lêtre du Père et lui est coéternel. En effet, si limage reproduit parfaitement lobjet dont elle est limage, cest elle qui lui est coégale, et non lui à elle. Hilaire a nommé cette image beauté, à cause, je pense, de la beauté qui résulte de cette parfaite convenance, de cette première égalité, de cette première similitude, où il ny a aucune différence, aucune inégalité, aucune dissemblance, mais où tout répond identiquement à lêtre dont elle est limage; où est la vie première et souveraine, pour qui vivre et être ne sont pas choses différentes, mais une seule et même chose; où est lintelligence première et parfaite, pour qui vivre et comprendre ne sont pas chose différentes, mais où comprendre, vivre et être ne sont quune seule et même chose: Verbe parfait, à qui rien ne manque; moyen daction, pour ainsi dire, du Dieu tout-puissant et sage, contenant dans sa plénitude la raison immuable de tous les êtres vivants; en qui tous sont une seule chose, comme elle-même est une seule chose dune seule chose, avec qui elle ne fait quun. Là, Dieu connaît tout ce quil a fait par elle, en sorte que quand les temps passent et se succèdent, rien ne passe ni ne se succède dans la science de Dieu. Car ce nest pas parce que les choses créées sont faites que Dieu les connaît; mais plutôt elles sont faites et changeantes, parce que Dieu en a la connaissance immuable. Cette ineffable union du Père et de son Image nest donc pas sans jouissance, sans amour, sans joie. Et cest cet amour, cette délectation, cette félicité ou béatitude, si aucune de ces expressions humaines est digne quHilaire appelle dun seul mot, Usage , cest-à-dire : lEsprit-Saint dans la Trinité, non engendré, mais doux lien de celui qui engendre et de celui qui est engendré, se répandant avec générosité et abondance sur toutes les créatures dans la mesure de leur capacité, afin que chacune soit dans lordre et se tienne à sa place. 12. Aussi tous ces êtres, créés par lart divin, portent en eux un certain cachet dunité, de beauté et dordre. En effet, chacun deux est une espèce dunité, comme par exemple, les natures des corps et les facultés des âmes; possède un genre de beauté, comme les figures ou les propriétés des corps, les connaissances ou les talents des âmes; et tend à un certain ordre ou sy tient, comme le poids ou les situations du corps, et les affections ou les plaisirs des âmes. Il faut donc voir et comprendre le Créateur par ses ouvrages (Rom., I, 20 ) et retrouver dans chaque créature, dans une certaine proportion, les traces de la Trinité. Car cest dans cette souveraine Trinité quest lorigine première de toutes choses, la beauté la plus parfaite, le bonheur le plus complet. Ainsi ces trois personnes semblent se déterminer mutuellement et sont infinies en elles-mêmes. Mais, ici-bas, dans les objets corporels, une chose nest pas autant que trois, et deux sont plus quun, tandis que dans cette souveraine Trinité une personne est autant que trois ensemble, et deux ne sont pas plus quune. Et elles sont infinies en elles-mêmes. Ainsi chacune est dans chacune, et toutes sont dans chacune, et chacune est dans toutes, et toutes sont dans toutes, et toutes ne font quun. Que celui qui voit cela même imparfaitement, même à travers un miroir et en énigme (I Cor., XIII, 12 ), se réjouisse de connaître Dieu, lhonore comme Dieu et lui rende grâces; que celui qui ne voit pas, cherche pieusement à voir, et non à rester aveugle pour blasphémer. Car Dieu est un, et pourtant Trinité. Entendons sans confusion ce texte : « De qui, par qui et en qui sont toutes choses; à lui », et non à plusieurs dieux, « gloire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il (Rom., XI, 36 ) ». (441)
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