Avant-Propos
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AVANT-PROPOS

 

Il y a deux façons de concevoir l'histoire de la littérature religieuse. Enumérer les principaux écrivains religieux de telle période ou de tel pays, décrire leurs oeuvres, discuter l'originalité de chacun d'eux, son mérite littéraire ou philosophique, c'est une première méthode. Ainsi font, par exemple, la plupart des critiques anciens ou modernes, qui étudient les Pères de l'Eglise ou les docteurs du Moyen âge ; ainsi le docte compilateur de la Bibliothèque universelle des écrivains ecclésiastiques, Ellies Du Pin ; ainsi encore Nisard et ses émules dans leurs chapitres sur Pascal et sur Bossuet. La curiosité de ces historiens ne se porte pas d'abord sur le caractère proprement religieux des oeuvres qui les occupent. Ils se maintiennent dans l'ordre littéraire et dans les analyses qui relèvent de cet ordre. Newman chez les Anglais et Sainte-Beuve chez nous, ont mis en honneur une autre méthode, morale ou religieuse plus encore que littéraire. Érudition, plaisirs du goût, joies de l'esprit, ils ne se refusent rien de ce qui borne l'ambition des autres, mais dans une suite d'ouvrages religieux, c'est avant tout la religion elle-même, son influence profonde, son histoire, son progrès ou ses éclipses qui les intéresse. Leur objet direct est de pénétrer le secret religieux des âmes, d'un Augustin

 

VI

 

par exemple ou d'un Saint-Cyran, et les nuances particulières d'un pareil secret. Ces poètes chrétiens, ces prédicateurs, ces auteurs dévots, quelle était leur vie intime, leur prière vraie, quelle enfin leur expérience personnelle des réalités dont ils parlent, voilà ce que l'on voudrait avant tout connaître. De ces deux méthodes, j'ai choisi la seconde, et c'est là ce que veut indiquer le titre qu'on vient de lire : Histoire littéraire du sentiment religieux en France.

Dans la première partie de cette histoire, je me propose d'étudier la vie intérieure du catholicisme français pendant le XVII° siècle, les origines, les directions principales et l'évolution d'une renaissance religieuse que tant d'historiens ont célébrée, mais qui, je le crois du moins, n'a été racontée jusqu'ici que d'une façon très sommaire.

Cette renaissance, où commence-t-elle et où finit-elle; quelles en sont les causes ; quelle en est l'orientation particulière; en quoi diffère-t-elle de tels autres réveils analogues ; par quelles étapes a-t-elle passé ; quels fruits a-t-elle donnés; de quelle façon a-t-elle pénétré la vie morale, littéraire, sociale ou politique de notre pays ; quelle place tient-elle dans l'histoire générale du catholicisme : autant de problèmes dont les pages qui vont suivre rendront la solution plus facile.

Les catholiques lettrés liront mon livre sur la foi du titre. Comment se désintéresseraient-ils d'un pareil sujet? Quant aux incroyants que je voudrais atteindre aussi, je pourrais leur rappeler que sans un appendice de ce genre, l'histoire de notre pays et plus particulièrement peut-être, celle du XVII° siècle, reste incomplète, pour ne rien dire de plus (1), mais je préfère leur

 

(1) Comme l'a dit un de nos maîtres, « négliger les choses religieuses du XVII° siècle ou les estimer petitement, c'est ne pas comprendre l'histoire de ce siècle, c'est ne pas le sentir ». E. Lavisse, Hist. de France, VII, I, p. 88.

 

VII

 

offrir en guise d'apologue ce trait charmant. Un des ouvriers de la première entente cordiale entre la France et le roi de Siam, le missionnaire Bernard Martineau, désireux de connaître à fond « les livres et fables de la religion siamoise », avait pris pension dans une pagode de talapoins, à Ténasserim. Comme chacun sait, les talapoins sont des moines de ce pays-là. Les bonnes gens l'avaient reçu avec amitié et le supérieur lui-même s'était chargé de l'instruire. a Lorsque ce vieux me donnait leçon, raconte Martineau, et m'expliquait des fables qui sont du moins aussi ridicules ou davantage qu'aucune des anciens païens, il était assez simple de croire que j'y donnais foi, parce qu'à la vérité je l'écoutais avec attention et ne lui répugnais en rien, pour ne le pas détourner de me découvrir toutes ces mystérieuses superstitions. Voyant que je m'appliquais à l'étude de ses livres, il me disait souvent une chose qui me donnait bien sujet de rire : « Ecoutez, me disait-il, voulez-vous que je vous dise pourquoi vous « vous appliquez avec tant de zèle et d'affection à l'étude de la langue et des livres de Siam? C'est qu'anciennement vous avez été siamois et habile homme dans l'intelligence de tous ces livres, et il est demeuré en vous un petit reste et comme une certaine réminiscence de ce que vous avez été premièrement, qui a fait que d'abord que vous êtes arrivé dans ce royaume et que vous avez entendu la langue et vu les livres, vous avez été réveillé comme d'un assoupissement ; vous étiez un esprit éperdu et poussé par une inclination enracinée, forte et secrète vers une chose que vous aviez

 

VIII

 

autrefois uniquement cultivée ». Il ajoutait qu'étant siamois et grand docteur, j'avais fait quelque petit péché par châtiment duquel j'étais tombé à naître français, mais qu'enfin je devais me consoler dans mon bannissement, puisque, étant fini par la mort, je renaîtrais une autre fois siamois et deviendrais un grand roi (1). » Avec bien plus de raison que ce vénérable talapoin, nos mystiques et nos dévots du temps passé pourraient tenir, tiendront, je l'espère, au lecteur un langage presque semblable. Ils sont beaucoup plus près de nous que nous ne le pensons. De ce qu'ils furent jadis « il est demeuré en nous un petit reste et comme une certaine réminiscence ».

Pour ne pas encombrer cette préface, je vais dire, dans une note spéciale à l'adresse des critiques, le détail de la méthode que j'ai cru devoir suivre, le plan et les sources du présent travail. Il ne me reste donc ici qu'à remercier tous ceux qui ont cordialement aidé mes recherches : les religieuses du Premier Carmel de Paris qui m'ont communiqué de précieux inédits ; les RR. PP. bollandistes qui m'ont ouvert toute grande leur riche bibliothèque, et qui m'ont encouragé de bien des manières à poursuivre mes recherches ; le R. P. dom Thibaut, de Maredsous, qui a mis à ma disposition sa collection de mystiques bénédictins et les notes qu'il avait préparées sur un sujet tout voisin du mien; le R. P. Edouard d'Alençon, archiviste général des FF. mineurs capucins ; M. Raymond Toinet, qui m'a fait connaître et généreusement prêté des poèmes rarissimes ; mon compatriote Edouard Aude, conservateur

 

(1) Joseph Grandet. Les saints prêtres français du XVII° siècle, ouvrage publié pour la première fois, d'après le manuscrit original, par G. Letourneau. Paris, 1898, III, pp. 347, 348.

 

IX

 

de l'insigne bibliothèque Méjanes, qui avait comme fait sien mon propre travail ; enfin et surtout mon cher ami, André Pératé, à qui je dois plus que je ne saurais dire et qui, je l'espère. achèvera bientôt la présente histoire par une étude sur l'illustration des livres religieux au XVII° siècle.

Paris, juillet 1914.

 

 

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