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CHAPITRE II LES HAUTES ÉTUDES RELIGIEUSES
I. Des oeuvres dévotes de ce temps-là qui par leurs mérites d'ordre scientifique ou littéraire appartiennent à la littérature universelle. De la division du travail qui fera plus tard de la littérature dévote une littérature séparée. L'humanisme dévot hostile, par définition, à cette séparation des genres. Ignorance prétendue du clergé français au début du XVIIe siècle. Les livres qui se lisaient alors. Prestige, valeur et rayonnement de la Sorbonne. L'humanisme dévot et la scolastique. Il lui apprend le beau langage et il l'attendrit. François de Sales et une Somme de théologie. Renaissance théologique et renaissance mystique. Les oeuvres de haute vulgarisation religieuse. Quelques noms.
II. Le programme de la réforme bénédictine. Travail intellectuel et oraison mentale. Le « hanap » de la dévotion et le « portail de la retraite des Muses ». Dom Laurent Bénard et ses Parénèses. Causes morales de la décadence bénédictine. L'Abbé désarmant les jeunes moines « de lettres et de vertus ». Que l'Abbé doit être savant. Le prophète Balaam. Les ignorants jaloux et les dangers prétendus de la science. Panégyrique de « l'homme docte ». « Jamais un grand savant homme n'est bas de cur ». Que l'Abbé doit être éloquent.
III. L'histoire de l'Eglise. Prestige et action de Baronius. La table chronographique de Gaultier. Dom Laurent Bénard et l'Eglise des Pères et les moines du moyen âge. Histoire intime de l'Eglise. Le cyclope de Péronne.
I. Pour la plupart des spirituels qui nous occupent, les hautes études religieuses ont peu de secrets. A ne lire que leurs oeuvres proprement dévotes, on a bientôt vu qu'ils possèdent à fond la scolastique de leur temps, qu'ils se passionnent pour les grandes controverses théologiques et qu'ils ont étudié les Pères, très souvent de première main. De telles ou telles de ces oeuvres, il est parfois difficile de dire si elles s'adressent de préférence aux dévots ou aux savants. Les uns et les autres peuvent en faire
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également leur profit. Alors même qu'il ne serait pas un maître écrivain, François de Sales n'en appartiendrait pas moins à la littérature universelle. Descartes qui ne médite pas à la manière des cloîtres a trouvé stimulantes les élévations de Bérulle et de plusieurs oratoriens. Nous l'avons déjà montré, je crois, par des citations convaincantes, nous le montrerons encore, un profane même, un simple honnête homme, s'il est sérieux, a plaisir à lire ces livres. Il en admire le style, les analyses morales, les constructions métaphysiques. Je sais bien que cette rencontre ne devrait étonner personne. Il est tout naturel qu'une oeuvre d'édification soit aussi une oeuvre d'art ou de science. Mais si j'en fais la remarque à propos de nos auteurs, c'est que les choses n'iront pas toujours ainsi. Heureuse à tant de titres, fâcheuse à tant d'autres, la division du travail fera peu à peu et de plus en plus de la littérature dévote une littérature spéciale, séparée, moins spéculative que pratique, qui se suffit à elle-même et n'empiète pas sur les autres provinces du savoir humain. Je ne dis pas, et à Dieu ne plaise, que les spirituels modernes fassent profession d'ignorance. Il y a sans doute parmi eux des lettrés de race, des philosophes, des théologiens et des savants de métier; mais ceux-ci, lorsqu'ils écrivent des livres pieux ne laissent presque rien paraître de leur science ou de l'originalité de leur esprit, et presque rien de leur dévotion quand ils écrivent des livres savants. A tort ou à raison, l'humanisme dévot ne saurait s'accommoder d'une division du travail aussi rigoureuse, d'une vie intérieure ainsi partagée un divers étages qui ne communiquent entre eux que par un grêle escalier de service, toujours obstrué. La renaissance chrétienne finira comme elle a commencé, poursuivant d'un même élan, avec une même joie lyrique, le vrai et le beau, la science et la vertu ; quelquefois brouillant un peu ces objets, mais d'ordinaire très habile à fondre harmonieusement les plus nobles activités de l'homme. Nos humanistes dévots ressembleront à leurs
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pères, les humanistes dont Nicolas Rapin a chanté l'avidité magnifique :
On les voyait sur un tome Ou de saint Jean Chrysostome Ou bien de saint Augustin ; Passant et soir et matin Dessus la sainte Ecriture, En prière ou en lecture; Puis extraire de Platon, De Plutarque et de Caton, De Tulle et des deux Sénèques, Les fleurs latines et grecques; Mêlant d'un soin curieux Le plaisant au sérieux. De là leur esprit agile S'égayait dans le Virgile Dont la pure netteté Ne sent que la chasteté...
Ils étaient alors fort nombreux, les prêtres, les laïques et même les femmes qui auraient pu se reconnaître dans ce lyrique portrait. On a trop gémi sur la décadence du clergé français pendant le XVI° siècle et les premières années du XVII° ; les biographes de saint Ignace, de Bérulle, de Condren, d'Olier, ont trop montré ces grands réformateurs catholiques tombant du ciel, pour ainsi dire, dans une France avilie et morte. « Les débauches et la négligence des prêtres, écrit le P. Amelote dans sa vie au P. de Condren, avaient laissé entrer les hérésies, les erreurs populaires et l'ignorance des ecclésiastiques les avait rendus vils et méprisables... Le nom même de prêtre était devenu honteux et infâme et il ne s'employait presque plus dans le monde que pour exprimer un ignorant et un débauché (1). » On n'a pas le droit de parler ainsi, de faire porter à tous la honte de quelques-uns. S'il y avait, en ce temps-là, de graves abus et trop de scandales,
(1) Vie du P. de Condren, pp. 390 391.
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si l'on rencontrait dans la foule obscure des desservants plusieurs prêtres qui savaient à peine lire, l'histoire ne justifie aucunement les amplifications éloquentes du P. Amelote. L'histoire, j'entends celle qui se rapproche le plus des certitudes mathématiques. Il est facile de dresser une statistique approximative des livres sérieux qui furent imprimés et réimprimés à l'usage du clergé pendant cette période qu'on affirme si ténébreuse. Sérieux n'est pas assez dire. C'étaient souvent des livres énormes, des montagnes d'in-folio. Les imprimeurs de Lyon, s'ils avaient cru que prêtre et ignorant étaient synonymes, auraient-ils publié par exemple, et à tant d'exemplaires, les vingt ou trente volumes de Suarez, déjà publiés à Rome ou à Coïmbre? Ainsi pour Baronius je prends les plus gros Baronius qui se vendait alors chez nous comme aujourd'hui Fustel de Coulanges ou Albert Vandal. Combien d'autres ouvrages de même importance ne pourrais-je pas rappeler, combien de plus modestes mais qui pourtant feraient peur aux moins frivoles d'aujourd'hui ! Nous avons un autre moyen de contrôle qui nous impose exactement les mêmes résultats. Nous connaissons, par le menu, l'histoire de' la Sorbonne, nous savons le nombre de ses élèves qui accouraient de toutes les provinces, nous savons le mérite, le prestige et l'influence de ses maîtres. « C'est une aire d'aigles que l'illustre famille de Sorbonne » (1), écrit encore le P. Amelote et dans l'ouvrage même que nous venons de citer. L'image est à peine trop poétique et plus tard Bossuet n'exaltera pas avec moins d'enthousiasme cette « maison » qui l'avait formé. Insigne maison en vérité, mère et maîtresse d'une multitude d'excellents esprits. Elle a disparu depuis si longtemps, et les sujets qui la passionnaient nous sont devenus si étrangers, qu'oubliant sa grandeur nous ne connaissons plus que ses ridicules. Pour un peu, guidés par Pascal,
(1) Vie du P. de Condren, p. 251.
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nous assimilerions aux chanoines du Lutrin tant d'estimables docteurs qui ont travaillé, pour leur bonne part, au développement de notre génie classique. « Une aire d'aigles », nous dit-on ; mais quoi, ces aigles avaient de qui tenir : fortes creantur fortibus et leurs aiglons portaient dans la France entière le rayonnement de la Sorbonne (1). Les disciplines qui président aujourd'hui à la formation des jeunes clercs sont-elles supérieures à celles de ce temps-là, je l'ignore. Certes nos séminaires diocésains ont réalisé le progrès le plus bienfaisant : ils atteignent tous les candidats au sacerdoce; ils rendent impossible cette ignorance totale et sordide qui humilia jadis les basses couches du clergé français. Quoi qu'il en soit, nos vieux docteurs ont grand air. Ils manquent d'originalité, d'éclat, de génie, mais ils nous en imposent toujours par leur solidité, leur universelle maîtrise, leur sobre élégance et par je ne sais quelle majesté. Je comprends très bien que Sainte-Beuve ait été si fort impressionné par Antoine Arnauld, mais je comprends moins qu'un tel curieux ne
(1) Prenons une promotion de Sorbonne, au début du XVII° siècle, et, par exemple, la « licence » de 1604, François Gaultier, élève de Navarre, tient le premier rang ; Philippe Cospean, le second ; Asseline, le troisième. Cospean est bien connu. Il a fait depuis un beau chemin. Asseline, qui entrera bientôt chez les Feuillants où il prendra le nom d'Eustache de Saint-Paul, est un de nos mystiques. Nous aurons plus tard à le célébrer. Ses manuels de philosophie furent longtemps populaires. J'ignore la carrière de Gaultier, mais il me suffit qu'il ait momentanément éclipsé Cospean et Asseline. Viennent ensuite : Paul Baudot, futur évêque de Saint-Omer, puis d'Arras ; Georges Froget, curé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet; Louis Messier, curé de Saint-Landry; Yves Kerbic, théologal de Tréguier; Claude Durand qui publiera un abrégé de Baronins Noël Mars, bénédictin de Marmoutiers, un des initiateurs de la réforme bénédictine; Laurent Bénard, supérieur du collège de Cluny, réformateur lui aussi et dont nous parlerons bientôt. Je ne cite naturellement que les plus connus et j'ajoute d'ailleurs que ce fut là une promotion exceptionnellement brillante. On disait alors : la licence de 1604, comme nous disons : la promotion About. (Cf. La vie du R. P. Dom Eustache de Saint-Paul, Asseline par Antoine de Saint-Pierre, pp. 15 sqq. Ce livre donne une idée très nette de l'activité intellectuelle dans la Sorbonne de cette époque. Evidemment ces vieux noms ne nous émeuvent plus guère, mais enfin on parlait alors d'André Duval et de Gamache, comme nous parlions hier de Villemain et aujourdhui de M. Bergson. Bérulle est d'une licence à peine plus ancienne : François de Sales aussi, Condren est plus jeune.
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se soit pas avisé que, sous le règne de Louis XIII et de Louis XIV, il y avait chez nous quelques centaines d'Arnaulds. L'humanisme dévot intervient directement et d'une façon très efficace dans cette renaissance des hautes études religieuses qui, prise en elle-même, ne serait pas de notre sujet. Humanistes pour la plupart, ces théologiens sont des lettrés. Ni la langue spéciale et peu élégante, ni certaines abstractions plus ou moins absconses de la scolastique ne leur agréent pleinement. Ce n'est pas qu'ils se révoltent contre la méthode traditionnelle, contre ce que l'un d'eux appelle « la rude, mais nécessaire expression du cahier » (1). Ils possèdent fort bien ces rudes cahiers, mais, leurs grades conquis, ils veulent je ne sais quoi de plus humain dans la manière soit d'approfondir soit de traduire la doctrine. « Consultons les Pères, dont les pensées sont plus libres et moins chicaneuses que celles des scolastiques », s'écrie le même humaniste (2). Les étudiants, écrit Dom Laurent Bénard,
ne doivent prendre qu'en passant les études des matières qui sont d'elles-mêmes sèches et stériles, pour craindre d'éteindre en eux la ferveur de l'esprit... partant ils ne doivent prendre des abstractions quintessenciées d'une scolastique, des arguties et sophistiqueries d'une dialectique, sinon autant qu'il en faut pour bien entendre les fondements et la substance d'une théologie et philosophie (3).
Toujours tout à fait sage dans l'expression de sa pensée, François de Sales ne pense pas autrement sur le fond des choses. Un docteur de Sorbonne, Dom Eustache de Saint-Paul, désirait soumettre à l'approbation du saint une
(1) Octave du Saint-Sacrement..., par le R. P. Germain Cortade, p. 216. (2) Ib., p. 208. (3) Parénèses chrétiennes... (1616), p. 361. Il ajoute, et ces mots sont remarquables, qu'on doit garder les forces de son corps et de son esprit « pour comprendre et pratiquer les sciences solides et vraiment utiles d'une positive, d'une controverse, des cas de conscience ou de la prédication », p. 362.
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Somme de théologie dont il lui avait envoyé la première ébauche.
Mon opinion serait, dit François de Sales, que vous retranchassiez, tant qu'il vous serait possible, toutes les paroles méthodiques, lesquelles, bien qu'il faille employer en enseignant, sont néanmoins superflues, et, si je ne me trompe, importunes en écrivant.
Paroles d'autant plus significatives qu'il s'agit ici d'un ouvrage proprement scolaire. Le saint veut encore que l'on s'étende « en questions de conséquence » et qu'on expédie promptement les « questions inutiles à tout ».
Certes, il n'est pas grand besoin de savoir « si les anges sont dans le lieu par leur essence ou par leurs opérations ; s'ils se meuvent d'un endroit à un autre sans passer par un milieu » (1).
Enfin et surtout, François de Sales demande à son ami d'écrire « en style affectif» style qu'il distingue expressément du style oratoire « en style affectif, sans amplifier, ains en abrégeant » (2). Ce conseil résume, renforce et couronne les autres. On ne saurait écrire dévotement, cordialement, humainement sur des « questions inutiles ». Si la nature même du sujet qu'il traite condamne un théologien à la froideur et à la sécheresse, qu'il se ravise aussitôt, qu'il abandonne une matière indigne de lui. C'est qu'en effet les vrais humanistes tiennent pour stérile et vaine toute science qui se nourrit d'elle-même et ne se tourne pas à aimer. La spéculation les enchante, mais celle-là seule qui promet d'entretenir et de stimuler la vie intérieure. Ils ne disent pas tout à fait avec l'auteur de l'Imitation qu'ils aiment mieux sentir la componction que savoir la définir. Certes, s'il fallait choisir, qui hésiterait? Mais il ne faut pas choisir. Savoir et sentir sont
(1) C'était là, vraisemblablement, un des problèmes indiqués par Dom Eustache dans le projet soumis au saint. Le problème est en latin dans le texte des lettres. (2) Oeuvres de saint François de Sales..., XV, pp. 117-110.
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bons tous les deux et d'une même bonté. Ils s'appellent et s'enrichissent l'un l'autre. Plus on connaît le bien, plus on le désire; le définir, c'est déjà commencer à le posséder. Un de nos auteurs, Molinier, l'a fort bien dit, remerciant Dieu de l'avoir fait naître à l'apogée d'une grande renaissance théologique qui est en même temps une grande renaissance mystique.
N'est-il pas vrai, s'écrie-t-il avec allégresse, que jamais la connaissance des divins mystères ne fut si grande au monde il écrit en 1646 jamais l'Ecriture si expliquée, la Théologie si éclaircie, les difficultés si décidées, la vérité si manifestée ;... que jamais on ne vit tant de théologiens, tant de casuistes, tant de contemplatifs et spirituels en voix et en encre, en chair et en papier, tant de voies et tant d'adresses ouvertes vers le ciel (1)?
Les lettres humaines d'une part nous l'avons vu plus haut les sciences religieuses de l'autre, autant « d'adresses ouvertes vers le ciel », Tel était le sentiment unanime de nos écrivains. Lettrés, théologiens et dévots, ou s'explique dès lors que l'idée leur soit venue de composer ces oeuvres de haute vulgarisation religieuse dont je parlais au début de ce chapitre, et qui ne sont, à proprement parler, ni de simples essais littéraires, ni des traités scientifiques, ni des livres de piété, mais qui satisfont tout ensemble les amateurs, les savants et les âmes saintes. Les humanistes dévots de langue française ont implanté chez nous ce genre dont le Socrate chrétien fut un des premiers chefs-d'oeuvre et dans lequel excelleront plus tard le Malebranche des Conversations chrétiennes et des Entretiens, Bossuet, Fénelon, l'auteur de l'Essai sur l'indifférence et celui des Soirées de Saint-Pétersbourg. Il ne s'agit pas d'égaler nos oubliés à tous ces génies, mais de rappeler la fécondité et la noblesse de tant de bons travailleurs qui ont su rendre aimable à nos pères la méditation des sujets
(1) Le lys du Val de Guaraison, p. 65.
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les plus relevés. J'en ai célébré déjà plusieurs, j'en célébrerai d'autres encore. Mais comment-les nommer tous, comment les connaître? Du moins saluerons-nous en passant, puisque nous n'aurons plus l'occasion de le retrouver, le plus jeune de cette équipe, Nicolas de la Fayolle, qui avait dix-huit ans lorsqu'il publia son Génie de Tertullien (1), et un autre laïque, un vieux magistrat forézien, très fier de venir du pays de l'Astrée, le sieur Henrys, a premier avocat du Roi au Présidial de Foretz » qui dédiait en 1645, à Alphonse de Richelieu : l'Homme-Dieu ou le parallèle des actions divines et humaines de Jésus-Christ. Mon attention a plus ou moins sombré dans ces deux in-quarto qui n'ont pas de fin, mais j'ai retenu quelques lignes de la préface.
Nous étant voué dès notre jeunesse au barreau, et ayant toujours cru que ce n'est point vivre que d'être inutile au monde nous avons cru pareillement qu'après avoir été avocat des parties et depuis avocat du roi, nous pouvions l'être de Dieu et qu'il exigeait de nous nos dernières veilles. Nous voulons dire qu'après avoir soutenu le droit de Titius et de Mevius et ensuite l'intérêt du Prince et du public, nous devions enfin maintenir la cause de Dieu et plaider pour lui contre tant de libertins, ou, pour mieux dire, d'athées. Si le lecteur... trouve encore étrange que, laissant nos Digestes, nous nous soyons mêlés d'écrire de nos mystères... qu'il sache que notre jurisprudence est une théologie et qu'elle enveloppe aussi bien la connaissance des choses divines que des affaires humaines. Qu'il sache qu'un jurisconsulte parle aussi bien du ciel que du monde et des lois de Dieu que de celles que les princes établissent; qu'en effet nos codes, tant du Droit romain que français, parlent premier de Dieu que des hommes et de leur foi que de leurs négoces... Que si c'est
(1) Ce jeune homme fait dans sa préface une remarque qu'il n'avait certainement pas empruntée à Pascal : « Je n'ai pas été si scrupuleux que de ne pousser par exemple une antithèse de peur de redire un mot dont je me serais peut-être servi dans quelques pages d'auparavant ». (2) La manchette porte ici les mots de Senèque : Otium sine litteris mors est. La traduction libre de ce beau texte confirme ce qui vient d'être dit sur l'humanisme dévot qui n'admet ni la science pour la science, ni l'art pour l'art.
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être théologien que de parler de Dieu, ne devons-nous pas tous l'être, puisque nous ne pouvons pas être ses enfants sans le connaître, ni le connaître sans parler de lui. Quoi qu'en dise Charron, nos langues et nos plumes ne sauraient avoir un emploi ni plus digne, ni plus juste. Dieu... n'a conversé parmi les hommes que pour leur révéler ses mystères et les obligez à les publier, aussi bien que ses louanges (1).
II. Un des épisodes les plus marquants dans l'histoire ecclésiastique du XVII° siècle, une des plus éclatantes victoires de l'humanisme dévot, je veux dire la réforme française de l'ordre bénédictin, confirme, par de rares exemples, les observations générales que nous avons faites sur la renaissance des hautes études religieuses et sur l'étroite relation qu'on établissait alors entre la science et la prière. Cette réforme a donné lieu à une foule de livres et de pamphlets qui sont parfois d'une violence extraordinaire. Les réformateurs notamment n'y allaient pas de main morte.
N'est-il pas vrai, écrit l'un d'eux, qu'à présent les monastères de saint Benoit sont comme l'arche de Noé où toute sorte d'animaux sont tous les bienvenus (2).
On imagine les fauves développements qu'amorce une telle phrase. Nos pauvres moines, bousculés dans la possession de privilèges déjà anciens, n'avaient d'autre recours que d'anathématiser la modernité de leurs adversaires. On leur répondait de bonne encre :
Je me moquerai hardiment, avec saint Bernard, de ceux, lesquels ne pouvant trouver une couleur assez propre pour ternir une chose bonne, ont accoutumé de la barbouiller du
(1) L'Homme-Dieu..., I, pp. 6-8. (2) L'anatipophile bénédictin aux pieds du Roi... peur la réformation de l'ordre bénédictin... Paris, 165, p. 31. Ce petit livre, fort curieux, ressemblē°trop souvent à l'Apologie pour Hérodote. Comme presque tous les réformateurs, l'auteur de l'Anatipophile exagère certainement. C'est là du moins mon impression. Je reviendrai plus tard là-dessus dans le chapitre des Abbesses bénédictines.
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nom de nouveauté... (tirant) du trésor de leur vieille malice le brocard de nouveleté... vieux boucs qui ne peuvent plus supporter la force du vin nouveau (1).
Ce vin nouveau, dont la seule odeur faisait tomber en pâmoison ces moines dégénérés, c'était le travail intellectuel, c'était l'oraison mentale. Nos réformateurs ne séparent jamais ces deux articles essentiels de leur programme :
Aurions-nous opinion que notre Père (saint Benoit) ait voulu que ses enfants séjournassent ordinairement dans une nuit obscure d'ignorance ? Non, il a voulu et commandé étroitement qu'après avoir acquis le grade d'orateur mental et la maîtrise de la vie dévote, ils s'adonnassent à recueillir les roses vermeilles de la doctrine, dans le parterre des sciences (2).
Ou encore :
C'est un malheur déplorable de voir ceux qui n'ont jamais touché de l'extrémité des lèvres le sucré hanap de la douce dévotion ni jamais salué le portail de la retraite des Muses, contre-carrer impudemment... la réforme louable et nécessaire (3).
Mais j'ai hâte d'en venir à un moine d'une autre envergure, à Dom Laurent Bénard, le réformateur de Cluny. Celui-ci est tout à fait grand et son témoignage n'a pas de prix. De tous les auteurs oubliés que mon étoile m'a fait rencontrer, après Yves de Paris et Bonal, aucun ne me parait mériter plus d'admiration, plus de sympathie que Bénard. Trop jeune sans doute, trop exubérant et trop chaud, mais vivant d'une vraie vie, ardente et harmonieuse, allègre et profonde. Il avait certainement quelques-uns des dons qui font l'écrivain, et, ce qui vaut mieux, une nature très noble et très généreuse. Docteur de Sorbonne, avant d'entrer à Cluny, élève de Gamache, condisciple
(1) L'Anatipophile, pp. 86, 87. (2) Ib., p. 99. (3) Ib., p. 315.
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de Cospean et d'Asseline, il fut un des collaborateurs les plus actifs de Dom Didier de la Cour dans cette magnifique réforme de Saint-Vanne d'où devait naître la congrégation de Saint-Maur. De son collège de Cluny, Bénard nous montre Saint-Germain-des-Prés. Il annonce Mabillon (1). Lui non plus, il ne manque pas de vivacité dans ses descriptions de la décadence bénédictine.
Ordre monastique... où sont tes grands Basile, tes Athanase... tes quatorze mille écrivains... Le Seigneur a ôté du milieu de moi tous mes magnifiques .. Mes frères, n'est-ce pas cela, la voix de votre mère veuve ? Ha ! pauvre veuve de si grands et vénérables abbés... Comme est-ce que le Seigneur... a couvert de ténèbres, a enseveli d'ignorance, la fille de Sion ? Doms Abbés, Pères Prieurs, les ambitions et avarices d'aucuns de vos devanciers ont fait cette défaite. Quand, pour être absolus et régner sans contredit comme des Césars, quand pour remplir leurs coffres comme des Crésus... ils ont avorté dans le ventre ceux qui les en pouvaient empêcher, ils ont désarmé de lettres et de vertus la jeunesse d'un cloître, comme jeunes poulets de leurs petits ergots, et de coqs courageux en ont fait des peureux et dégénérés chapons... Sur cela, qu'est-ce que Dieu a fait ? Il a ruiné de fond en comble les maisons et exterminé du monde la race de ces Abbés parâtres... Et nous, mes frères, qui craignions qu'une jeunesse ne devînt plus savante, plus vertueuse que nous, nous avons mieux aimé nous donner en proie aux... commendataires que de devoir à l'éloquence, au savoir et à la vertu de nos.., frères cadets notre défense et garantie. Soyez sages à notre exemple, vous autres, mes chers petits frères... n'enviez à vos confrères la science et la vertu : ce sont vos garde-corps, les tutélaires domestiques et gratuits de vos monastères (2).
Comme on le voit, il ne se contente pas de gémir ou de s'indigner : il veut s'expliquer à lui-même la ruine de ce grand Ordre, il met à nu la plaie la plus funeste peut-être,
(1) Sur Dom Laurent Bénard, cf. l'excellente brochure de Dom DIDIER-LAURENT : Dom Didier de la Cour... et la réforme des bénédictins de Lorraine (Nancy, 1604), passim et pp. 187 sqq. (2) Parénèses chrétiennes (1616), p. 385-388.
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cette jalouse bassesse des supérieurs et des moines « désarmant de lettres et de vertus » la jeunesse monacale, les premiers persuadés qu'ils régneront plus à leur aise sur le néant; les seconds donnant leur suffrage à d'indignes abbés plutôt que d'encourager le mérite de moines pieux et savants. Les mêmes idées reviennent dans un beau chapitre qui a pour titre : que l'Abbé doit être savant. Le passage que je vais citer est un peu fort, mais soulevé par une de ces nobles passions qui excusent presque tout. Il paraphrase l'histoire de Balaam et de son ânesse :
Voilà le juste emblème du supérieur ignorant... C'est un baudet qui conduit un âne... Que si, par aventure, le pauvre âne est plus ouvert de vue que n'est son ânier, si le moine est plus entendu, plus savant que son abbé et que, voyant le danger, il le veuille esquiver, s'excuser de faire, dire ou aller contre Dieu et son ange... cet ignorant de supérieur, comme un aveugle Balaam, le battra de censures, à grands coups de disciplines, à belles injures... Hélas, nies frères, gardez-vous de tels abbés: pauvres montures, Dieu vous garde de semblables écuyers!
Les autres, les jaloux ont aussi leur tour :
Il me semble que je vois déjà ces vieux ignorants et envieux tout ensemble, qui, comme une armée de frelons mutinés bourdonnent dans un cloître contre les études d'une belle jeunesse. Ces Balaam aveuglés, ces ânes débâtés, brayent, crient, tempêtent que le service de Dieu en demeurera, que cette jeunesse se perdra et deviendra orgueilleuse, qu'elle perdra l'air du cloître et de la régularité, qu'elle ne voudra plus reprendre le collier, subir le joug régulier du culte divin... Tout beau, tout beau, un peu de patience, il y a remède à tout (1).
Ce remède contre les mauvais effets de l'étude, mais il est dans la science elle-même :
Il est donc vrai, écrit ce grand moine avec l'enthousiasme des tout premiers humanistes, il le faut confesser, malgré l'envie mesquine et casanière des gros ignorants : l'homme
(1) Les parénèses..., pp. 349-353.
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docte, dit le Sage, est d'un esprit précieux. Les âmes des autres sont tirées d'une carrière de pierres communes, mais celle d'un savant homme, comme elle est taillée en diamant, aussi est-elle coupée d'une roche de pierre précieuse. Et pourrions-nous dire à bon droit si les âmes étaient petites tranches et parcelles de Dieu, selon Anaxagoras, si Dieu avait des membres, comme le voulaient les Anthropomorphites, que l'homme savant serait tiré de ses yeux et l'ignorant de son talon, tant y a de différence entre l'un et l'autre... Ne craignez donc plus, mes frères, que la science et l'éloquence qui a sauvé l'Église, ruine la religion, altère la piété. Tout au contraire, c'est la science et la connaissance qui fait la dévotion, qui engendre la piété, comme la foi attire la charité.
Le grave Mabillon aura moins de flamme, il sera moins pénétrant et moins décisif peut-être, quand il réfutera plus tard les mêmes sophismes si maladroitement réédités par Rancé :
Coeur ne veut ce qu'oeil ne voit. Ignoti nulla cupido... L'ignorance du bien rend l'ignorant tout froid ; c'est une sauce d'eau. Appétit de rien. Ne me parlez pas de cela pour un serviteur de Dieu...
Nam neque mutatur nigra pice lacteus humor, Nec quod erat candens, fit terebinthus, ebur.
Le lait doux et blanc ne se tourne pas en poix et l'ivoire blondissant en un noir térébinthe. Vous avez toujours pied ou aile de raison avec un homme docte, en dépit qu'il en ait, car la raison le touche, l'entame et pénètre... Pour s'en secouer et libérer, il vous accorde quelque chose et se met à moitié raison...
Quelle complexité séduisante ! Il a du bon sens, toutes les ardeurs d'une âme neuve, et la finesse d'un observateur très délié. Par cette pente psychologique de son esprit, il me fait souvent penser à Newman. Il conclut splendidement :
Ne craignez, mes Pères, jamais un grand savant homme n'est bas de coeur (1).
(1) Parénèses chrétiennes..., pp. 379-382.
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Au moine de son rêve, à l'abbé surtout, la science ne suffit pas. Avec Maldonat, Dom Laurent Benard voulait « qu'un chacun fût éloquent en la langue du pays, qu'il parlât la latine congrûment, qu'il entendît le grec et pût lire l'hébreu » (1). Jolie gradation descendante. Orateur et poète, un P. Abbé mène, comme il le veut, le coeur et l'esprit de ses moines : « Il n'a que faire de la crosse au poing ».
Il ne se peut dire combien une langue diserte a d'empire et de pouvoir sur les esprits; c'est elle qui baille le goût et le tranchant de l'appétit à tout ce que nous voulons ; c'est l'éperon qui donne carrière et met en course les esprits plus rétifs et la bride qui retient et ramène les plus effrénés ; c'est la grande hache qui retranche les vices et le bouclier qui tient l'innocence à couvert et la vertu sous sa sauvegarde ; c'est un lénitif de douleurs aiguës et poignantes; c'est un feu sous le ventre qui fait sauter et bondir à la vertu une âme languissante. Aussi, se dit l'Apôtre, pour cet effet la vertu de Jésus-Christ, ce Verbe du Père, cette langue céleste, a paru en terre pour rompre et dissiper les oeuvres du diable ; raison pourquoi les grecs surnommèrent Périclès, l'Olympien (2).
Indissoluble alliance des lettres, de la science et de la piété, pouvais-je rencontrer un représentant plus authentique de l'humanisme dévot? III. L'histoire de l'Église, pittoresque, émouvante, édifiante et chargée de dogme devait nécessairement passionner ces hommes qui menaient ainsi de front le plus de vies possible, si l'on peut ainsi parler. Certes, ils ne négligeaient ni la critique qui est un des legs sacrés de l'humanisme, ni les sciences auxiliaires de l'histoire. On n'ignore pas que la chronologie et la géographie furent parmi les derniers jeux de la Renaissance expirante (3). Mais ces disciplines plus rigoureuses n'entraînaient pas encore
(1) Parénèses chrétiennes, p. 363. (2) Ib., pp. 364-372. (3) On voit que je fais allusion à Scaliger et à Petau par exemple. Quant à la géographie qui fut une des idoles du XVII° siècle, on a souvent remarqué l'estime qu'en faisaient les jésuites.
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cette curiosité impersonnelle et froide, ce détachement que Richard Simon va bientôt pousser assez loin. A l'histoire de l'Eglise, la plupart de nos écrivains demandent avant tout de belles visions, des thèmes oratoires, des arguments apologétiques, des leçons de théologie et des exemples de sainteté'. Je parlais tantôt de ce Baronius qui les a presque tous marqués de son empreinte. Ils l'ont lu et relu avec des transports incroyables, si bien que l'on ne saurait exagérer l'importance de cette oeuvre monumentale dans le développement du catholicisme moderne. Pour la première fois, les fastes du passé chrétien se présentaient à leurs yeux comme une fresque immense. l'Eglise ressuscitait devant eux. Ils la saluaient avec les prophètes :
Quelle Jérusalem nouvelle Sort du fond du désert brillante de clartés!
Aux prédicateurs, aux controversistes, aux prêtres de paroisse qui n'auraient pas eu le temps de relire Baronius, le jésuite Jacques Gaultier présentait le manuel d'ailleurs in-folio et pesant qui a pour titre Table chronologique de l'état du christianisme depuis la naissance de Jésus-Christ.
Je n'ai eu, disait-il, en ce petit miroir de l'état de l'Église, et ne veux avoir d'autre but que de faire voir oculairement à un chacun qu'elle est et qu'elle a toujours été la vraie Epouse de l'Agneau (2).
Ce curieux livre, dédié par l'auteur à Henri IV et qui se trouva bientôt dans toutes les bibliothèques, mérite une mention particulière. C'est « un tableau synoptique en douze colonnes, où sont indiqués, par centuries ou par siècles, les noms des Souverains Pontifes, des anti-papes, quand il y en a eu, des Conciles et des Patriarches, des écrivains
(1) Newman aussi d'ailleurs (cf. Historical Skteches et un long chapitre dans mon Newman, essai de biographie psychologique, pp. 118-z52). (2) Cf. PRAT. Recherches sur la compagnie de Jésus... du temps du P. Coton, II, p. 573.
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sacrés, des saints et autres personnages illustres dans l'Église, des empereurs, des rois de France, des souverains des autres principales monarchies, des écrivains profanes, des hérétiques, et les événements les plus remarquables de l'histoire ecclésiastique... Sublime tableau où l'on voit l'Église de Dieu dans sa majestueuse unité s'avancer triomphalement à travers les siècles, au milieu des sociétés politiques qui s'élèvent, se supplantent et disparaissent, et des trônes qui croulent à ses pieds, comme pour rendre hommage au privilège de son immutabilité. Victorieuse des persécutions, de la force brutale, de l'orgueil de l'esprit humain, des hérésies qu'elle foudroie, elle est défendue par ses docteurs et elle resplendit des vertus célestes de ses saints et de la gloire de ses martyrs » . Le P. Gaultier montrait aussi, plus en détail, les a variations » de toutes les hérésies et, comme le dit Henri IV lui-même dans une belle lettre au jésuite, « la conformité de notre créance avec celle de nos pères de siècle en siècle » (1). Sur ces canevas somptueux, toutes les facultés de nos humanistes dévots se donnaient carrière. Lisez plutôt cette page frémissante, écrite par Dom Laurent Bénard, sous la dictée de Baronius :
Passerons-nous sous silence le grand Athanase, la colonne de l'Orient, l'épouvantail des empereurs hérétiques, la terreur de Julien l'Apostat, la grande hache de l'idolâtrie, le Marcellus et le Fabius de l'Église romaine, son épée de chevet, et son bouclier impénétrable contre tout l'arianisme. Pendant que « tout un monde était en pleurs, tout le christianisme en larmes pour se voir arien en ses chefs et évêques qui y avaient souscrit, jusqu'à cinq cents prélats au concile d'Ariminie » ; pendant qu'un Hosius, le père des évêques, le dictateur des conciles généraux, le grand agent de toute l'Eglise de Dieu, s'oubliant soi-même, se rendait à l'empereur Constance, signait l'arianisme au lieu de l'Homousios, au lieu du symbole de Nice qu'il avait conçu et dicté à tout le christianisme, comme président qu'il était à ce premier concile ;
(1) Cf. PRAT, loc. cit., p. 571-575.
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pendant que la pierre fondamentale de toute l'Église de Dieu chancelait toute tremblante aux furieux assauts des portes d'enfer ; lorsque le pape Liberius semblait parlementer pour se rendre à l'arianisme ; presque un seul Athanase était debout, tenant l'enseigne déployée contre les peuples, les évêques et empereurs hérétiques, quarante ans durant. C'était être catholique que lui être associé ; c'était être hérétique, de lui faire contre-pointe ; c'était lui qui donnait aux catholiques le mereau de la foi orthodoxe, la signature et la lettre formée de la vraie chrétienté ; son clergé était aux chrétiens l'église catholique ; son Alexandrie, leur Rome ; sa maison épiscopale, leur concile oecuménique, stationnaire et arrêté: cet homme, plus qu'homme, était moine et quand il se voulait vanter et mettre sur ses grands chevaux, tout Athanase qu'il était, il se vantait d'avoir été serviteur au désert du Père des moines, l'ermite saint Antoine, de lui avoir plusieurs fois donné à laver (1).
N'est-ce pas déjà presque Bossuet, et, chose plus curieuse, n'est-ce pas déjà presque Lacordaire ? Ce qui me frappe en effet, dans ces sensations historiques, c'est leur caractère moderne et, pour tout dire, leur romantisme. Dom Laurent Bénard comprend le moyen âge et il le sent comme il a compris et senti l'église primitive. Son évocation de saint Anselme au concile de Bar est d'une couleur et d'un sentiment admirables (2). Bossuet historien-orateur n'a pas d'égal, mais les frontières de son enthousiasme sont plus limitées. Aurait-il écrit avec Dom Laurent : « Nous mettons encore aujourd'hui le portail de l'église de Reims entre les raretés plus singulières de France... ce miracle d'ouvrage » ? (3). Des moines d'occident, ce bénédictin du temps de Louis XIII parle avec la même émotion que Montalembert. Sa parénèse septième : du nom de moine et de son excellence, réimprimée en 1850, aurait précipité une centaine de jeunes gens sur la route de Solesmes. Le seul nom de Cluny est miel sur ses lèvres.
(1) Parénèses chrétiennes, p. 147-149. (2) Ib., pp. 374-376. Le morceau est malheureusement trop long pour que je le cite. (3) Ib., p. 582.
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Sont aussi été les moines cénobitiques qui ont toujours tenu table ouverte à tout un monde, comme les hôtes communs de tout l'univers ; témoin en est non seulement Cluny pour jadis, mais encore pour le jourd'hui, un moine de Cluny, digne cénobite, digne écolier jadis de notre collège de Cluny... Dom Pierre Donnauld (1).
Il parle enfin de « ce grand Abbé de Père éternel » et des anges dans son ciel, dans sa grande Abbaye » (2). Moderne aussi me parait la curiosité qui porte plusieurs de nos écrivains à décrire la vie intime de l'Église. L'individualisme luthérien dont il avait fallu combattre les séductions; les travaux du Concile de Trente sur la grâce habituelle; le rationalisme déjà commençant; la fréquentation assidue des Pères et notamment des Pères grecs; toutes ces causes et d'autres encore avaient dirigé de plus en plus les théologiens, Ripalda, Lugo, par exemple, vers la psychologie religieuse nouveau nom d'une vieille chose. On pense bien que nos humanistes n'éprouvaient que joie à suivre cette heureuse consigne.
Je m'étonne, disait l'un d'eux, que les écrivains ont été si diligents à rechercher et mettre en vue les monstres de nature avec tout ce que les causes secondes produisent de plus hideux sur la surface de la terre, et qu'ils aient été si négligents à remarquer les prodiges de la grâce et ce que la vertu d'en haut opère de plus divin dans la sainte Église. J'en vois un, homme docte (Gabriel du Préau, tome II de son histoire sous Henri III), et savant qui a fait profession d'écrire les histoires et produire en public l'état et succès de l'Église, s'être porté de curiosité à remarquer le monstrueux Cyclops qui naquit à Péronne, l'an 1577, etc comme un autre Callimache français,
(1) Parénèses..., pp. 205-206. La charité de Donnauld qui fut évêque de Mirepoix est bien connue (cf. Picot, I, 237, 194). Par ses aumônes, continue Dom Laurent Bénard, il n sauva la vie, il y a bien quinze ans, à 10.000 pauvres, et l'année dernière passée, 1614, en nourrissait par jour de 7 à 8 mille et avait l'ouïe tant battue du tonnerre de leurs voix, leur aumônant en personne, qu'il la perdit pendant une semaine qu'il ne leur parla que par signes ». Il dit ailleurs avec un orgueil ingénu « Pierre Abélard, notre moine de Cluny », p. 192. (2) Parénèses..., p. 745, 52.
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par une trop rare et affectée diligence, coter la paroisse et mettre la date du mois et du jour ; en après, en médecin et chirurgien, déduire toutes les parties du corps et en faire l'anatomie : de plus, en astrologue, conjecturer ce que pouvait augurer de sinistre cette monstrueuse aventure... Or, si son dessein était en la production de ce monstre de nature de nous imprimer la crainte des jugements de Dieu, et nous faire entendre la rigueur de sa justice, pourquoi, par le narré des merveilles de la grâce, ne nous a-t-il pas donné plutôt moyen d'espérer et de respirer par l'air de sa miséricorde (1).
Il a raison et plus peut-être qu'il ne le pense lui-même. Que veut-il en effet sinon que l'historien de l'Église nous rende avant tout comme visible la vie religieuse de l'Église. Pas de monstres, ou le moins possible. Entendez cette consigne humoristique et complétez-la. Du point de vue proprement religieux, beaucoup sinon la plupart des incidents qui encombrent les histoires ecclésiastiques présentent à peine plus d'intérêt que la naissance ou l'anatomie du cyclope de Péronne. L'histoire de l'Église n'est, à la bien prendre, que l'histoire intime des saints, en donnant à ce nom de saint le sens que lui donnaient les apôtres. Or il se trouve qu'à cette histoire des saints l'humanisme dévot s'est consacré avec un zèle
(1) Le pèlerinage de Notre-Dame de Moyen-Pont... par le R. P. T. Jean le Boucher, péronnais, religieux minime (1623) préface. C'est un charmant livre. Ne demandez pas ce que vient faire cette sortie dans un livre sur un pèlerinage. J'ai déjà dit que la division du travail n'était pas encore inventée. Du reste, quoi de plus simple! L'auteur se demande comment il se fait que personne n'ait encore décrit les merveilles du Moyen-Pont. Voici, par exemple, un docteur en théologie, un historien, un péronnais, qui se mêle d'écrire, et qui va nous parler d'un cyclope. Pourquoi pas du Moyen-Pont ? Bon, voilà-t-il pas encore, qu'en la même ville de Péronne, est né, le 27 janvier 1621, un autre enfant monstrueux. Pourvu qu'on n'aille pas encore écrire sur lui ! Cette question des monstres, pour le dire en passant, occupa longtemps les esprits. On se demandait s'il fallait les baptiser. On trouve là-dessus de curieux renseignements dans la vie de Lazare Bocquillot (le fameux liturgiste et l'un des appelants). Bocquillot avait posé le cas à plusieurs médecins et plusieurs docteurs de Sorbonne, tous concluant, contre le rituel romain, qu'il faut baptiser. Une des consultations médicales est signée : Dodart. Cf. Vie et ouvrage de M. Lazare-André Bocquillot et sur ce livre, les mélanges hist. et phil. de Michault (II, p. 403).
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extraordinaire confine le chapitre suivant nous le montrera (1).
(1) Un de nos auteurs, aujourd'hui totalement oublié, le P. Rapine, recollet, a composé une sorte de grande histoire psychologique de l'Eglise, un immense discours sur l'histoire universelle prise, si j'ose dire, par le dedans, à la manière de Neander, de Newman et, pour citer un nom plus récent, du P. Tacchi-VENTURI (Storia della Compagnia di Gesu, t. I. La vita religiosa in Italia durante la prima eta dell ordine (Rome, 1910). Ce Rapine est un esprit très original, un peu hardi peut-être, un véritable érudit et un écrivain très éloquent. Son oeuvre devait comprendre de neuf à dix volumes. Je ne connais que les III et IV, car il est parmi les introuvables. Le premier volume est consacré au Christianisme naissant. Rapine y expose « la foi, la religion et l'innocence des hommes sous la loi de nature ». Le second volume : Le Christianisme florissant donne « le portrait de Jésus-Christ..., celui de la vraie religion... et celui de la sainteté ». Les deux volumes que j'ai sous la main ont pour titre général Le christianisme fervent dans la primitive Eglise et languissant dans celle de nos derniers siècles, pour titres particuliers : tome I : La face de l'Eglise universelle où il est traité de l'établissement de l'Église dans le monde, de sa perpétuité dans la communion romaine, de sa police sacrée et de ses principales affaires en tous les temps. Tome II : La face de l'Eglise primitive considérée dans ses exercices de piété où il est traité des sacrements. La lecture de ce Rapine a quelque chose d'enivrant comme une visite aux basiliques de Rome. LES HAUTES ÉTUDES RELIGIEUSES
I. Des oeuvres dévotes de ce temps-là qui par leurs mérites d'ordre scientifique ou littéraire appartiennent à la littérature universelle. De la division du travail qui fera plus tard de la littérature dévote une littérature séparée. L'humanisme dévot hostile, par définition, à cette séparation des genres. Ignorance prétendue du clergé français au début du XVIIe siècle. Les livres qui se lisaient alors. Prestige, valeur et rayonnement de la Sorbonne. L'humanisme dévot et la scolastique. Il lui apprend le beau langage et il l'attendrit. François de Sales et une Somme de théologie. Renaissance théologique et renaissance mystique. Les oeuvres de haute vulgarisation religieuse. Quelques noms.
II. Le programme de la réforme bénédictine. Travail intellectuel et oraison mentale. Le « hanap » de la dévotion et le « portail de la retraite des Muses ». Dom Laurent Bénard et ses Parénèses. Causes morales de la décadence bénédictine. L'Abbé désarmant les jeunes moines « de lettres et de vertus ». Que l'Abbé doit être savant. Le prophète Balaam. Les ignorants jaloux et les dangers prétendus de la science. Panégyrique de « l'homme docte ». « Jamais un grand savant homme n'est bas de cur ». Que l'Abbé doit être éloquent.
III. L'histoire de l'Eglise. Prestige et action de Baronius. La table chronographique de Gaultier. Dom Laurent Bénard et l'Eglise des Pères et les moines du moyen âge. Histoire intime de l'Eglise. Le cyclope de Péronne.
I. Pour la plupart des spirituels qui nous occupent, les hautes études religieuses ont peu de secrets. A ne lire que leurs oeuvres proprement dévotes, on a bientôt vu qu'ils possèdent à fond la scolastique de leur temps, qu'ils se passionnent pour les grandes controverses théologiques et qu'ils ont étudié les Pères, très souvent de première main. De telles ou telles de ces oeuvres, il est parfois difficile de dire si elles s'adressent de préférence aux dévots ou aux savants. Les uns et les autres peuvent en faire
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également leur profit. Alors même qu'il ne serait pas un maître écrivain, François de Sales n'en appartiendrait pas moins à la littérature universelle. Descartes qui ne médite pas à la manière des cloîtres a trouvé stimulantes les élévations de Bérulle et de plusieurs oratoriens. Nous l'avons déjà montré, je crois, par des citations convaincantes, nous le montrerons encore, un profane même, un simple honnête homme, s'il est sérieux, a plaisir à lire ces livres. Il en admire le style, les analyses morales, les constructions métaphysiques. Je sais bien que cette rencontre ne devrait étonner personne. Il est tout naturel qu'une oeuvre d'édification soit aussi une oeuvre d'art ou de science. Mais si j'en fais la remarque à propos de nos auteurs, c'est que les choses n'iront pas toujours ainsi. Heureuse à tant de titres, fâcheuse à tant d'autres, la division du travail fera peu à peu et de plus en plus de la littérature dévote une littérature spéciale, séparée, moins spéculative que pratique, qui se suffit à elle-même et n'empiète pas sur les autres provinces du savoir humain. Je ne dis pas, et à Dieu ne plaise, que les spirituels modernes fassent profession d'ignorance. Il y a sans doute parmi eux des lettrés de race, des philosophes, des théologiens et des savants de métier; mais ceux-ci, lorsqu'ils écrivent des livres pieux ne laissent presque rien paraître de leur science ou de l'originalité de leur esprit, et presque rien de leur dévotion quand ils écrivent des livres savants. A tort ou à raison, l'humanisme dévot ne saurait s'accommoder d'une division du travail aussi rigoureuse, d'une vie intérieure ainsi partagée un divers étages qui ne communiquent entre eux que par un grêle escalier de service, toujours obstrué. La renaissance chrétienne finira comme elle a commencé, poursuivant d'un même élan, avec une même joie lyrique, le vrai et le beau, la science et la vertu ; quelquefois brouillant un peu ces objets, mais d'ordinaire très habile à fondre harmonieusement les plus nobles activités de l'homme. Nos humanistes dévots ressembleront à leurs
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pères, les humanistes dont Nicolas Rapin a chanté l'avidité magnifique :
On les voyait sur un tome Ou de saint Jean Chrysostome Ou bien de saint Augustin ; Passant et soir et matin Dessus la sainte Ecriture, En prière ou en lecture; Puis extraire de Platon, De Plutarque et de Caton, De Tulle et des deux Sénèques, Les fleurs latines et grecques; Mêlant d'un soin curieux Le plaisant au sérieux. De là leur esprit agile S'égayait dans le Virgile Dont la pure netteté Ne sent que la chasteté...
Ils étaient alors fort nombreux, les prêtres, les laïques et même les femmes qui auraient pu se reconnaître dans ce lyrique portrait. On a trop gémi sur la décadence du clergé français pendant le XVI° siècle et les premières années du XVII° ; les biographes de saint Ignace, de Bérulle, de Condren, d'Olier, ont trop montré ces grands réformateurs catholiques tombant du ciel, pour ainsi dire, dans une France avilie et morte. « Les débauches et la négligence des prêtres, écrit le P. Amelote dans sa vie au P. de Condren, avaient laissé entrer les hérésies, les erreurs populaires et l'ignorance des ecclésiastiques les avait rendus vils et méprisables... Le nom même de prêtre était devenu honteux et infâme et il ne s'employait presque plus dans le monde que pour exprimer un ignorant et un débauché (1). » On n'a pas le droit de parler ainsi, de faire porter à tous la honte de quelques-uns. S'il y avait, en ce temps-là, de graves abus et trop de scandales,
(1) Vie du P. de Condren, pp. 390 391.
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si l'on rencontrait dans la foule obscure des desservants plusieurs prêtres qui savaient à peine lire, l'histoire ne justifie aucunement les amplifications éloquentes du P. Amelote. L'histoire, j'entends celle qui se rapproche le plus des certitudes mathématiques. Il est facile de dresser une statistique approximative des livres sérieux qui furent imprimés et réimprimés à l'usage du clergé pendant cette période qu'on affirme si ténébreuse. Sérieux n'est pas assez dire. C'étaient souvent des livres énormes, des montagnes d'in-folio. Les imprimeurs de Lyon, s'ils avaient cru que prêtre et ignorant étaient synonymes, auraient-ils publié par exemple, et à tant d'exemplaires, les vingt ou trente volumes de Suarez, déjà publiés à Rome ou à Coïmbre? Ainsi pour Baronius je prends les plus gros Baronius qui se vendait alors chez nous comme aujourd'hui Fustel de Coulanges ou Albert Vandal. Combien d'autres ouvrages de même importance ne pourrais-je pas rappeler, combien de plus modestes mais qui pourtant feraient peur aux moins frivoles d'aujourd'hui ! Nous avons un autre moyen de contrôle qui nous impose exactement les mêmes résultats. Nous connaissons, par le menu, l'histoire de' la Sorbonne, nous savons le nombre de ses élèves qui accouraient de toutes les provinces, nous savons le mérite, le prestige et l'influence de ses maîtres. « C'est une aire d'aigles que l'illustre famille de Sorbonne » (1), écrit encore le P. Amelote et dans l'ouvrage même que nous venons de citer. L'image est à peine trop poétique et plus tard Bossuet n'exaltera pas avec moins d'enthousiasme cette « maison » qui l'avait formé. Insigne maison en vérité, mère et maîtresse d'une multitude d'excellents esprits. Elle a disparu depuis si longtemps, et les sujets qui la passionnaient nous sont devenus si étrangers, qu'oubliant sa grandeur nous ne connaissons plus que ses ridicules. Pour un peu, guidés par Pascal,
(1) Vie du P. de Condren, p. 251.
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nous assimilerions aux chanoines du Lutrin tant d'estimables docteurs qui ont travaillé, pour leur bonne part, au développement de notre génie classique. « Une aire d'aigles », nous dit-on ; mais quoi, ces aigles avaient de qui tenir : fortes creantur fortibus et leurs aiglons portaient dans la France entière le rayonnement de la Sorbonne (1). Les disciplines qui président aujourd'hui à la formation des jeunes clercs sont-elles supérieures à celles de ce temps-là, je l'ignore. Certes nos séminaires diocésains ont réalisé le progrès le plus bienfaisant : ils atteignent tous les candidats au sacerdoce; ils rendent impossible cette ignorance totale et sordide qui humilia jadis les basses couches du clergé français. Quoi qu'il en soit, nos vieux docteurs ont grand air. Ils manquent d'originalité, d'éclat, de génie, mais ils nous en imposent toujours par leur solidité, leur universelle maîtrise, leur sobre élégance et par je ne sais quelle majesté. Je comprends très bien que Sainte-Beuve ait été si fort impressionné par Antoine Arnauld, mais je comprends moins qu'un tel curieux ne
(1) Prenons une promotion de Sorbonne, au début du XVII° siècle, et, par exemple, la « licence » de 1604, François Gaultier, élève de Navarre, tient le premier rang ; Philippe Cospean, le second ; Asseline, le troisième. Cospean est bien connu. Il a fait depuis un beau chemin. Asseline, qui entrera bientôt chez les Feuillants où il prendra le nom d'Eustache de Saint-Paul, est un de nos mystiques. Nous aurons plus tard à le célébrer. Ses manuels de philosophie furent longtemps populaires. J'ignore la carrière de Gaultier, mais il me suffit qu'il ait momentanément éclipsé Cospean et Asseline. Viennent ensuite : Paul Baudot, futur évêque de Saint-Omer, puis d'Arras ; Georges Froget, curé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet; Louis Messier, curé de Saint-Landry; Yves Kerbic, théologal de Tréguier; Claude Durand qui publiera un abrégé de Baronins Noël Mars, bénédictin de Marmoutiers, un des initiateurs de la réforme bénédictine; Laurent Bénard, supérieur du collège de Cluny, réformateur lui aussi et dont nous parlerons bientôt. Je ne cite naturellement que les plus connus et j'ajoute d'ailleurs que ce fut là une promotion exceptionnellement brillante. On disait alors : la licence de 1604, comme nous disons : la promotion About. (Cf. La vie du R. P. Dom Eustache de Saint-Paul, Asseline par Antoine de Saint-Pierre, pp. 15 sqq. Ce livre donne une idée très nette de l'activité intellectuelle dans la Sorbonne de cette époque. Evidemment ces vieux noms ne nous émeuvent plus guère, mais enfin on parlait alors d'André Duval et de Gamache, comme nous parlions hier de Villemain et aujourdhui de M. Bergson. Bérulle est d'une licence à peine plus ancienne : François de Sales aussi, Condren est plus jeune.
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se soit pas avisé que, sous le règne de Louis XIII et de Louis XIV, il y avait chez nous quelques centaines d'Arnaulds. L'humanisme dévot intervient directement et d'une façon très efficace dans cette renaissance des hautes études religieuses qui, prise en elle-même, ne serait pas de notre sujet. Humanistes pour la plupart, ces théologiens sont des lettrés. Ni la langue spéciale et peu élégante, ni certaines abstractions plus ou moins absconses de la scolastique ne leur agréent pleinement. Ce n'est pas qu'ils se révoltent contre la méthode traditionnelle, contre ce que l'un d'eux appelle « la rude, mais nécessaire expression du cahier » (1). Ils possèdent fort bien ces rudes cahiers, mais, leurs grades conquis, ils veulent je ne sais quoi de plus humain dans la manière soit d'approfondir soit de traduire la doctrine. « Consultons les Pères, dont les pensées sont plus libres et moins chicaneuses que celles des scolastiques », s'écrie le même humaniste (2). Les étudiants, écrit Dom Laurent Bénard,
ne doivent prendre qu'en passant les études des matières qui sont d'elles-mêmes sèches et stériles, pour craindre d'éteindre en eux la ferveur de l'esprit... partant ils ne doivent prendre des abstractions quintessenciées d'une scolastique, des arguties et sophistiqueries d'une dialectique, sinon autant qu'il en faut pour bien entendre les fondements et la substance d'une théologie et philosophie (3).
Toujours tout à fait sage dans l'expression de sa pensée, François de Sales ne pense pas autrement sur le fond des choses. Un docteur de Sorbonne, Dom Eustache de Saint-Paul, désirait soumettre à l'approbation du saint une
(1) Octave du Saint-Sacrement..., par le R. P. Germain Cortade, p. 216. (2) Ib., p. 208. (3) Parénèses chrétiennes... (1616), p. 361. Il ajoute, et ces mots sont remarquables, qu'on doit garder les forces de son corps et de son esprit « pour comprendre et pratiquer les sciences solides et vraiment utiles d'une positive, d'une controverse, des cas de conscience ou de la prédication », p. 362.
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Somme de théologie dont il lui avait envoyé la première ébauche.
Mon opinion serait, dit François de Sales, que vous retranchassiez, tant qu'il vous serait possible, toutes les paroles méthodiques, lesquelles, bien qu'il faille employer en enseignant, sont néanmoins superflues, et, si je ne me trompe, importunes en écrivant.
Paroles d'autant plus significatives qu'il s'agit ici d'un ouvrage proprement scolaire. Le saint veut encore que l'on s'étende « en questions de conséquence » et qu'on expédie promptement les « questions inutiles à tout ».
Certes, il n'est pas grand besoin de savoir « si les anges sont dans le lieu par leur essence ou par leurs opérations ; s'ils se meuvent d'un endroit à un autre sans passer par un milieu » (1).
Enfin et surtout, François de Sales demande à son ami d'écrire « en style affectif» style qu'il distingue expressément du style oratoire « en style affectif, sans amplifier, ains en abrégeant » (2). Ce conseil résume, renforce et couronne les autres. On ne saurait écrire dévotement, cordialement, humainement sur des « questions inutiles ». Si la nature même du sujet qu'il traite condamne un théologien à la froideur et à la sécheresse, qu'il se ravise aussitôt, qu'il abandonne une matière indigne de lui. C'est qu'en effet les vrais humanistes tiennent pour stérile et vaine toute science qui se nourrit d'elle-même et ne se tourne pas à aimer. La spéculation les enchante, mais celle-là seule qui promet d'entretenir et de stimuler la vie intérieure. Ils ne disent pas tout à fait avec l'auteur de l'Imitation qu'ils aiment mieux sentir la componction que savoir la définir. Certes, s'il fallait choisir, qui hésiterait? Mais il ne faut pas choisir. Savoir et sentir sont
(1) C'était là, vraisemblablement, un des problèmes indiqués par Dom Eustache dans le projet soumis au saint. Le problème est en latin dans le texte des lettres. (2) Oeuvres de saint François de Sales..., XV, pp. 117-110.
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bons tous les deux et d'une même bonté. Ils s'appellent et s'enrichissent l'un l'autre. Plus on connaît le bien, plus on le désire; le définir, c'est déjà commencer à le posséder. Un de nos auteurs, Molinier, l'a fort bien dit, remerciant Dieu de l'avoir fait naître à l'apogée d'une grande renaissance théologique qui est en même temps une grande renaissance mystique.
N'est-il pas vrai, s'écrie-t-il avec allégresse, que jamais la connaissance des divins mystères ne fut si grande au monde il écrit en 1646 jamais l'Ecriture si expliquée, la Théologie si éclaircie, les difficultés si décidées, la vérité si manifestée ;... que jamais on ne vit tant de théologiens, tant de casuistes, tant de contemplatifs et spirituels en voix et en encre, en chair et en papier, tant de voies et tant d'adresses ouvertes vers le ciel (1)?
Les lettres humaines d'une part nous l'avons vu plus haut les sciences religieuses de l'autre, autant « d'adresses ouvertes vers le ciel », Tel était le sentiment unanime de nos écrivains. Lettrés, théologiens et dévots, ou s'explique dès lors que l'idée leur soit venue de composer ces oeuvres de haute vulgarisation religieuse dont je parlais au début de ce chapitre, et qui ne sont, à proprement parler, ni de simples essais littéraires, ni des traités scientifiques, ni des livres de piété, mais qui satisfont tout ensemble les amateurs, les savants et les âmes saintes. Les humanistes dévots de langue française ont implanté chez nous ce genre dont le Socrate chrétien fut un des premiers chefs-d'oeuvre et dans lequel excelleront plus tard le Malebranche des Conversations chrétiennes et des Entretiens, Bossuet, Fénelon, l'auteur de l'Essai sur l'indifférence et celui des Soirées de Saint-Pétersbourg. Il ne s'agit pas d'égaler nos oubliés à tous ces génies, mais de rappeler la fécondité et la noblesse de tant de bons travailleurs qui ont su rendre aimable à nos pères la méditation des sujets
(1) Le lys du Val de Guaraison, p. 65.
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les plus relevés. J'en ai célébré déjà plusieurs, j'en célébrerai d'autres encore. Mais comment-les nommer tous, comment les connaître? Du moins saluerons-nous en passant, puisque nous n'aurons plus l'occasion de le retrouver, le plus jeune de cette équipe, Nicolas de la Fayolle, qui avait dix-huit ans lorsqu'il publia son Génie de Tertullien (1), et un autre laïque, un vieux magistrat forézien, très fier de venir du pays de l'Astrée, le sieur Henrys, a premier avocat du Roi au Présidial de Foretz » qui dédiait en 1645, à Alphonse de Richelieu : l'Homme-Dieu ou le parallèle des actions divines et humaines de Jésus-Christ. Mon attention a plus ou moins sombré dans ces deux in-quarto qui n'ont pas de fin, mais j'ai retenu quelques lignes de la préface.
Nous étant voué dès notre jeunesse au barreau, et ayant toujours cru que ce n'est point vivre que d'être inutile au monde nous avons cru pareillement qu'après avoir été avocat des parties et depuis avocat du roi, nous pouvions l'être de Dieu et qu'il exigeait de nous nos dernières veilles. Nous voulons dire qu'après avoir soutenu le droit de Titius et de Mevius et ensuite l'intérêt du Prince et du public, nous devions enfin maintenir la cause de Dieu et plaider pour lui contre tant de libertins, ou, pour mieux dire, d'athées. Si le lecteur... trouve encore étrange que, laissant nos Digestes, nous nous soyons mêlés d'écrire de nos mystères... qu'il sache que notre jurisprudence est une théologie et qu'elle enveloppe aussi bien la connaissance des choses divines que des affaires humaines. Qu'il sache qu'un jurisconsulte parle aussi bien du ciel que du monde et des lois de Dieu que de celles que les princes établissent; qu'en effet nos codes, tant du Droit romain que français, parlent premier de Dieu que des hommes et de leur foi que de leurs négoces... Que si c'est
(1) Ce jeune homme fait dans sa préface une remarque qu'il n'avait certainement pas empruntée à Pascal : « Je n'ai pas été si scrupuleux que de ne pousser par exemple une antithèse de peur de redire un mot dont je me serais peut-être servi dans quelques pages d'auparavant ». (2) La manchette porte ici les mots de Senèque : Otium sine litteris mors est. La traduction libre de ce beau texte confirme ce qui vient d'être dit sur l'humanisme dévot qui n'admet ni la science pour la science, ni l'art pour l'art.
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être théologien que de parler de Dieu, ne devons-nous pas tous l'être, puisque nous ne pouvons pas être ses enfants sans le connaître, ni le connaître sans parler de lui. Quoi qu'en dise Charron, nos langues et nos plumes ne sauraient avoir un emploi ni plus digne, ni plus juste. Dieu... n'a conversé parmi les hommes que pour leur révéler ses mystères et les obligez à les publier, aussi bien que ses louanges (1).
II. Un des épisodes les plus marquants dans l'histoire ecclésiastique du XVII° siècle, une des plus éclatantes victoires de l'humanisme dévot, je veux dire la réforme française de l'ordre bénédictin, confirme, par de rares exemples, les observations générales que nous avons faites sur la renaissance des hautes études religieuses et sur l'étroite relation qu'on établissait alors entre la science et la prière. Cette réforme a donné lieu à une foule de livres et de pamphlets qui sont parfois d'une violence extraordinaire. Les réformateurs notamment n'y allaient pas de main morte.
N'est-il pas vrai, écrit l'un d'eux, qu'à présent les monastères de saint Benoit sont comme l'arche de Noé où toute sorte d'animaux sont tous les bienvenus (2).
On imagine les fauves développements qu'amorce une telle phrase. Nos pauvres moines, bousculés dans la possession de privilèges déjà anciens, n'avaient d'autre recours que d'anathématiser la modernité de leurs adversaires. On leur répondait de bonne encre :
Je me moquerai hardiment, avec saint Bernard, de ceux, lesquels ne pouvant trouver une couleur assez propre pour ternir une chose bonne, ont accoutumé de la barbouiller du
(1) L'Homme-Dieu..., I, pp. 6-8. (2) L'anatipophile bénédictin aux pieds du Roi... peur la réformation de l'ordre bénédictin... Paris, 165, p. 31. Ce petit livre, fort curieux, ressemblē°trop souvent à l'Apologie pour Hérodote. Comme presque tous les réformateurs, l'auteur de l'Anatipophile exagère certainement. C'est là du moins mon impression. Je reviendrai plus tard là-dessus dans le chapitre des Abbesses bénédictines.
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nom de nouveauté... (tirant) du trésor de leur vieille malice le brocard de nouveleté... vieux boucs qui ne peuvent plus supporter la force du vin nouveau (1).
Ce vin nouveau, dont la seule odeur faisait tomber en pâmoison ces moines dégénérés, c'était le travail intellectuel, c'était l'oraison mentale. Nos réformateurs ne séparent jamais ces deux articles essentiels de leur programme :
Aurions-nous opinion que notre Père (saint Benoit) ait voulu que ses enfants séjournassent ordinairement dans une nuit obscure d'ignorance ? Non, il a voulu et commandé étroitement qu'après avoir acquis le grade d'orateur mental et la maîtrise de la vie dévote, ils s'adonnassent à recueillir les roses vermeilles de la doctrine, dans le parterre des sciences (2).
Ou encore :
C'est un malheur déplorable de voir ceux qui n'ont jamais touché de l'extrémité des lèvres le sucré hanap de la douce dévotion ni jamais salué le portail de la retraite des Muses, contre-carrer impudemment... la réforme louable et nécessaire (3).
Mais j'ai hâte d'en venir à un moine d'une autre envergure, à Dom Laurent Bénard, le réformateur de Cluny. Celui-ci est tout à fait grand et son témoignage n'a pas de prix. De tous les auteurs oubliés que mon étoile m'a fait rencontrer, après Yves de Paris et Bonal, aucun ne me parait mériter plus d'admiration, plus de sympathie que Bénard. Trop jeune sans doute, trop exubérant et trop chaud, mais vivant d'une vraie vie, ardente et harmonieuse, allègre et profonde. Il avait certainement quelques-uns des dons qui font l'écrivain, et, ce qui vaut mieux, une nature très noble et très généreuse. Docteur de Sorbonne, avant d'entrer à Cluny, élève de Gamache, condisciple
(1) L'Anatipophile, pp. 86, 87. (2) Ib., p. 99. (3) Ib., p. 315.
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de Cospean et d'Asseline, il fut un des collaborateurs les plus actifs de Dom Didier de la Cour dans cette magnifique réforme de Saint-Vanne d'où devait naître la congrégation de Saint-Maur. De son collège de Cluny, Bénard nous montre Saint-Germain-des-Prés. Il annonce Mabillon (1). Lui non plus, il ne manque pas de vivacité dans ses descriptions de la décadence bénédictine.
Ordre monastique... où sont tes grands Basile, tes Athanase... tes quatorze mille écrivains... Le Seigneur a ôté du milieu de moi tous mes magnifiques .. Mes frères, n'est-ce pas cela, la voix de votre mère veuve ? Ha ! pauvre veuve de si grands et vénérables abbés... Comme est-ce que le Seigneur... a couvert de ténèbres, a enseveli d'ignorance, la fille de Sion ? Doms Abbés, Pères Prieurs, les ambitions et avarices d'aucuns de vos devanciers ont fait cette défaite. Quand, pour être absolus et régner sans contredit comme des Césars, quand pour remplir leurs coffres comme des Crésus... ils ont avorté dans le ventre ceux qui les en pouvaient empêcher, ils ont désarmé de lettres et de vertus la jeunesse d'un cloître, comme jeunes poulets de leurs petits ergots, et de coqs courageux en ont fait des peureux et dégénérés chapons... Sur cela, qu'est-ce que Dieu a fait ? Il a ruiné de fond en comble les maisons et exterminé du monde la race de ces Abbés parâtres... Et nous, mes frères, qui craignions qu'une jeunesse ne devînt plus savante, plus vertueuse que nous, nous avons mieux aimé nous donner en proie aux... commendataires que de devoir à l'éloquence, au savoir et à la vertu de nos.., frères cadets notre défense et garantie. Soyez sages à notre exemple, vous autres, mes chers petits frères... n'enviez à vos confrères la science et la vertu : ce sont vos garde-corps, les tutélaires domestiques et gratuits de vos monastères (2).
Comme on le voit, il ne se contente pas de gémir ou de s'indigner : il veut s'expliquer à lui-même la ruine de ce grand Ordre, il met à nu la plaie la plus funeste peut-être,
(1) Sur Dom Laurent Bénard, cf. l'excellente brochure de Dom DIDIER-LAURENT : Dom Didier de la Cour... et la réforme des bénédictins de Lorraine (Nancy, 1604), passim et pp. 187 sqq. (2) Parénèses chrétiennes (1616), p. 385-388.
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cette jalouse bassesse des supérieurs et des moines « désarmant de lettres et de vertus » la jeunesse monacale, les premiers persuadés qu'ils régneront plus à leur aise sur le néant; les seconds donnant leur suffrage à d'indignes abbés plutôt que d'encourager le mérite de moines pieux et savants. Les mêmes idées reviennent dans un beau chapitre qui a pour titre : que l'Abbé doit être savant. Le passage que je vais citer est un peu fort, mais soulevé par une de ces nobles passions qui excusent presque tout. Il paraphrase l'histoire de Balaam et de son ânesse :
Voilà le juste emblème du supérieur ignorant... C'est un baudet qui conduit un âne... Que si, par aventure, le pauvre âne est plus ouvert de vue que n'est son ânier, si le moine est plus entendu, plus savant que son abbé et que, voyant le danger, il le veuille esquiver, s'excuser de faire, dire ou aller contre Dieu et son ange... cet ignorant de supérieur, comme un aveugle Balaam, le battra de censures, à grands coups de disciplines, à belles injures... Hélas, nies frères, gardez-vous de tels abbés: pauvres montures, Dieu vous garde de semblables écuyers!
Les autres, les jaloux ont aussi leur tour :
Il me semble que je vois déjà ces vieux ignorants et envieux tout ensemble, qui, comme une armée de frelons mutinés bourdonnent dans un cloître contre les études d'une belle jeunesse. Ces Balaam aveuglés, ces ânes débâtés, brayent, crient, tempêtent que le service de Dieu en demeurera, que cette jeunesse se perdra et deviendra orgueilleuse, qu'elle perdra l'air du cloître et de la régularité, qu'elle ne voudra plus reprendre le collier, subir le joug régulier du culte divin... Tout beau, tout beau, un peu de patience, il y a remède à tout (1).
Ce remède contre les mauvais effets de l'étude, mais il est dans la science elle-même :
Il est donc vrai, écrit ce grand moine avec l'enthousiasme des tout premiers humanistes, il le faut confesser, malgré l'envie mesquine et casanière des gros ignorants : l'homme
(1) Les parénèses..., pp. 349-353.
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docte, dit le Sage, est d'un esprit précieux. Les âmes des autres sont tirées d'une carrière de pierres communes, mais celle d'un savant homme, comme elle est taillée en diamant, aussi est-elle coupée d'une roche de pierre précieuse. Et pourrions-nous dire à bon droit si les âmes étaient petites tranches et parcelles de Dieu, selon Anaxagoras, si Dieu avait des membres, comme le voulaient les Anthropomorphites, que l'homme savant serait tiré de ses yeux et l'ignorant de son talon, tant y a de différence entre l'un et l'autre... Ne craignez donc plus, mes frères, que la science et l'éloquence qui a sauvé l'Église, ruine la religion, altère la piété. Tout au contraire, c'est la science et la connaissance qui fait la dévotion, qui engendre la piété, comme la foi attire la charité.
Le grave Mabillon aura moins de flamme, il sera moins pénétrant et moins décisif peut-être, quand il réfutera plus tard les mêmes sophismes si maladroitement réédités par Rancé :
Coeur ne veut ce qu'oeil ne voit. Ignoti nulla cupido... L'ignorance du bien rend l'ignorant tout froid ; c'est une sauce d'eau. Appétit de rien. Ne me parlez pas de cela pour un serviteur de Dieu...
Nam neque mutatur nigra pice lacteus humor, Nec quod erat candens, fit terebinthus, ebur.
Le lait doux et blanc ne se tourne pas en poix et l'ivoire blondissant en un noir térébinthe. Vous avez toujours pied ou aile de raison avec un homme docte, en dépit qu'il en ait, car la raison le touche, l'entame et pénètre... Pour s'en secouer et libérer, il vous accorde quelque chose et se met à moitié raison...
Quelle complexité séduisante ! Il a du bon sens, toutes les ardeurs d'une âme neuve, et la finesse d'un observateur très délié. Par cette pente psychologique de son esprit, il me fait souvent penser à Newman. Il conclut splendidement :
Ne craignez, mes Pères, jamais un grand savant homme n'est bas de coeur (1).
(1) Parénèses chrétiennes..., pp. 379-382.
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Au moine de son rêve, à l'abbé surtout, la science ne suffit pas. Avec Maldonat, Dom Laurent Benard voulait « qu'un chacun fût éloquent en la langue du pays, qu'il parlât la latine congrûment, qu'il entendît le grec et pût lire l'hébreu » (1). Jolie gradation descendante. Orateur et poète, un P. Abbé mène, comme il le veut, le coeur et l'esprit de ses moines : « Il n'a que faire de la crosse au poing ».
Il ne se peut dire combien une langue diserte a d'empire et de pouvoir sur les esprits; c'est elle qui baille le goût et le tranchant de l'appétit à tout ce que nous voulons ; c'est l'éperon qui donne carrière et met en course les esprits plus rétifs et la bride qui retient et ramène les plus effrénés ; c'est la grande hache qui retranche les vices et le bouclier qui tient l'innocence à couvert et la vertu sous sa sauvegarde ; c'est un lénitif de douleurs aiguës et poignantes; c'est un feu sous le ventre qui fait sauter et bondir à la vertu une âme languissante. Aussi, se dit l'Apôtre, pour cet effet la vertu de Jésus-Christ, ce Verbe du Père, cette langue céleste, a paru en terre pour rompre et dissiper les oeuvres du diable ; raison pourquoi les grecs surnommèrent Périclès, l'Olympien (2).
Indissoluble alliance des lettres, de la science et de la piété, pouvais-je rencontrer un représentant plus authentique de l'humanisme dévot? III. L'histoire de l'Église, pittoresque, émouvante, édifiante et chargée de dogme devait nécessairement passionner ces hommes qui menaient ainsi de front le plus de vies possible, si l'on peut ainsi parler. Certes, ils ne négligeaient ni la critique qui est un des legs sacrés de l'humanisme, ni les sciences auxiliaires de l'histoire. On n'ignore pas que la chronologie et la géographie furent parmi les derniers jeux de la Renaissance expirante (3). Mais ces disciplines plus rigoureuses n'entraînaient pas encore
(1) Parénèses chrétiennes, p. 363. (2) Ib., pp. 364-372. (3) On voit que je fais allusion à Scaliger et à Petau par exemple. Quant à la géographie qui fut une des idoles du XVII° siècle, on a souvent remarqué l'estime qu'en faisaient les jésuites.
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cette curiosité impersonnelle et froide, ce détachement que Richard Simon va bientôt pousser assez loin. A l'histoire de l'Eglise, la plupart de nos écrivains demandent avant tout de belles visions, des thèmes oratoires, des arguments apologétiques, des leçons de théologie et des exemples de sainteté'. Je parlais tantôt de ce Baronius qui les a presque tous marqués de son empreinte. Ils l'ont lu et relu avec des transports incroyables, si bien que l'on ne saurait exagérer l'importance de cette oeuvre monumentale dans le développement du catholicisme moderne. Pour la première fois, les fastes du passé chrétien se présentaient à leurs yeux comme une fresque immense. l'Eglise ressuscitait devant eux. Ils la saluaient avec les prophètes :
Quelle Jérusalem nouvelle Sort du fond du désert brillante de clartés!
Aux prédicateurs, aux controversistes, aux prêtres de paroisse qui n'auraient pas eu le temps de relire Baronius, le jésuite Jacques Gaultier présentait le manuel d'ailleurs in-folio et pesant qui a pour titre Table chronologique de l'état du christianisme depuis la naissance de Jésus-Christ.
Je n'ai eu, disait-il, en ce petit miroir de l'état de l'Église, et ne veux avoir d'autre but que de faire voir oculairement à un chacun qu'elle est et qu'elle a toujours été la vraie Epouse de l'Agneau (2).
Ce curieux livre, dédié par l'auteur à Henri IV et qui se trouva bientôt dans toutes les bibliothèques, mérite une mention particulière. C'est « un tableau synoptique en douze colonnes, où sont indiqués, par centuries ou par siècles, les noms des Souverains Pontifes, des anti-papes, quand il y en a eu, des Conciles et des Patriarches, des écrivains
(1) Newman aussi d'ailleurs (cf. Historical Skteches et un long chapitre dans mon Newman, essai de biographie psychologique, pp. 118-z52). (2) Cf. PRAT. Recherches sur la compagnie de Jésus... du temps du P. Coton, II, p. 573.
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sacrés, des saints et autres personnages illustres dans l'Église, des empereurs, des rois de France, des souverains des autres principales monarchies, des écrivains profanes, des hérétiques, et les événements les plus remarquables de l'histoire ecclésiastique... Sublime tableau où l'on voit l'Église de Dieu dans sa majestueuse unité s'avancer triomphalement à travers les siècles, au milieu des sociétés politiques qui s'élèvent, se supplantent et disparaissent, et des trônes qui croulent à ses pieds, comme pour rendre hommage au privilège de son immutabilité. Victorieuse des persécutions, de la force brutale, de l'orgueil de l'esprit humain, des hérésies qu'elle foudroie, elle est défendue par ses docteurs et elle resplendit des vertus célestes de ses saints et de la gloire de ses martyrs » . Le P. Gaultier montrait aussi, plus en détail, les a variations » de toutes les hérésies et, comme le dit Henri IV lui-même dans une belle lettre au jésuite, « la conformité de notre créance avec celle de nos pères de siècle en siècle » (1). Sur ces canevas somptueux, toutes les facultés de nos humanistes dévots se donnaient carrière. Lisez plutôt cette page frémissante, écrite par Dom Laurent Bénard, sous la dictée de Baronius :
Passerons-nous sous silence le grand Athanase, la colonne de l'Orient, l'épouvantail des empereurs hérétiques, la terreur de Julien l'Apostat, la grande hache de l'idolâtrie, le Marcellus et le Fabius de l'Église romaine, son épée de chevet, et son bouclier impénétrable contre tout l'arianisme. Pendant que « tout un monde était en pleurs, tout le christianisme en larmes pour se voir arien en ses chefs et évêques qui y avaient souscrit, jusqu'à cinq cents prélats au concile d'Ariminie » ; pendant qu'un Hosius, le père des évêques, le dictateur des conciles généraux, le grand agent de toute l'Eglise de Dieu, s'oubliant soi-même, se rendait à l'empereur Constance, signait l'arianisme au lieu de l'Homousios, au lieu du symbole de Nice qu'il avait conçu et dicté à tout le christianisme, comme président qu'il était à ce premier concile ;
(1) Cf. PRAT, loc. cit., p. 571-575.
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pendant que la pierre fondamentale de toute l'Église de Dieu chancelait toute tremblante aux furieux assauts des portes d'enfer ; lorsque le pape Liberius semblait parlementer pour se rendre à l'arianisme ; presque un seul Athanase était debout, tenant l'enseigne déployée contre les peuples, les évêques et empereurs hérétiques, quarante ans durant. C'était être catholique que lui être associé ; c'était être hérétique, de lui faire contre-pointe ; c'était lui qui donnait aux catholiques le mereau de la foi orthodoxe, la signature et la lettre formée de la vraie chrétienté ; son clergé était aux chrétiens l'église catholique ; son Alexandrie, leur Rome ; sa maison épiscopale, leur concile oecuménique, stationnaire et arrêté: cet homme, plus qu'homme, était moine et quand il se voulait vanter et mettre sur ses grands chevaux, tout Athanase qu'il était, il se vantait d'avoir été serviteur au désert du Père des moines, l'ermite saint Antoine, de lui avoir plusieurs fois donné à laver (1).
N'est-ce pas déjà presque Bossuet, et, chose plus curieuse, n'est-ce pas déjà presque Lacordaire ? Ce qui me frappe en effet, dans ces sensations historiques, c'est leur caractère moderne et, pour tout dire, leur romantisme. Dom Laurent Bénard comprend le moyen âge et il le sent comme il a compris et senti l'église primitive. Son évocation de saint Anselme au concile de Bar est d'une couleur et d'un sentiment admirables (2). Bossuet historien-orateur n'a pas d'égal, mais les frontières de son enthousiasme sont plus limitées. Aurait-il écrit avec Dom Laurent : « Nous mettons encore aujourd'hui le portail de l'église de Reims entre les raretés plus singulières de France... ce miracle d'ouvrage » ? (3). Des moines d'occident, ce bénédictin du temps de Louis XIII parle avec la même émotion que Montalembert. Sa parénèse septième : du nom de moine et de son excellence, réimprimée en 1850, aurait précipité une centaine de jeunes gens sur la route de Solesmes. Le seul nom de Cluny est miel sur ses lèvres.
(1) Parénèses chrétiennes, p. 147-149. (2) Ib., pp. 374-376. Le morceau est malheureusement trop long pour que je le cite. (3) Ib., p. 582.
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Sont aussi été les moines cénobitiques qui ont toujours tenu table ouverte à tout un monde, comme les hôtes communs de tout l'univers ; témoin en est non seulement Cluny pour jadis, mais encore pour le jourd'hui, un moine de Cluny, digne cénobite, digne écolier jadis de notre collège de Cluny... Dom Pierre Donnauld (1).
Il parle enfin de « ce grand Abbé de Père éternel » et des anges dans son ciel, dans sa grande Abbaye » (2). Moderne aussi me parait la curiosité qui porte plusieurs de nos écrivains à décrire la vie intime de l'Église. L'individualisme luthérien dont il avait fallu combattre les séductions; les travaux du Concile de Trente sur la grâce habituelle; le rationalisme déjà commençant; la fréquentation assidue des Pères et notamment des Pères grecs; toutes ces causes et d'autres encore avaient dirigé de plus en plus les théologiens, Ripalda, Lugo, par exemple, vers la psychologie religieuse nouveau nom d'une vieille chose. On pense bien que nos humanistes n'éprouvaient que joie à suivre cette heureuse consigne.
Je m'étonne, disait l'un d'eux, que les écrivains ont été si diligents à rechercher et mettre en vue les monstres de nature avec tout ce que les causes secondes produisent de plus hideux sur la surface de la terre, et qu'ils aient été si négligents à remarquer les prodiges de la grâce et ce que la vertu d'en haut opère de plus divin dans la sainte Église. J'en vois un, homme docte (Gabriel du Préau, tome II de son histoire sous Henri III), et savant qui a fait profession d'écrire les histoires et produire en public l'état et succès de l'Église, s'être porté de curiosité à remarquer le monstrueux Cyclops qui naquit à Péronne, l'an 1577, etc comme un autre Callimache français,
(1) Parénèses..., pp. 205-206. La charité de Donnauld qui fut évêque de Mirepoix est bien connue (cf. Picot, I, 237, 194). Par ses aumônes, continue Dom Laurent Bénard, il n sauva la vie, il y a bien quinze ans, à 10.000 pauvres, et l'année dernière passée, 1614, en nourrissait par jour de 7 à 8 mille et avait l'ouïe tant battue du tonnerre de leurs voix, leur aumônant en personne, qu'il la perdit pendant une semaine qu'il ne leur parla que par signes ». Il dit ailleurs avec un orgueil ingénu « Pierre Abélard, notre moine de Cluny », p. 192. (2) Parénèses..., p. 745, 52.
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par une trop rare et affectée diligence, coter la paroisse et mettre la date du mois et du jour ; en après, en médecin et chirurgien, déduire toutes les parties du corps et en faire l'anatomie : de plus, en astrologue, conjecturer ce que pouvait augurer de sinistre cette monstrueuse aventure... Or, si son dessein était en la production de ce monstre de nature de nous imprimer la crainte des jugements de Dieu, et nous faire entendre la rigueur de sa justice, pourquoi, par le narré des merveilles de la grâce, ne nous a-t-il pas donné plutôt moyen d'espérer et de respirer par l'air de sa miséricorde (1).
Il a raison et plus peut-être qu'il ne le pense lui-même. Que veut-il en effet sinon que l'historien de l'Église nous rende avant tout comme visible la vie religieuse de l'Église. Pas de monstres, ou le moins possible. Entendez cette consigne humoristique et complétez-la. Du point de vue proprement religieux, beaucoup sinon la plupart des incidents qui encombrent les histoires ecclésiastiques présentent à peine plus d'intérêt que la naissance ou l'anatomie du cyclope de Péronne. L'histoire de l'Église n'est, à la bien prendre, que l'histoire intime des saints, en donnant à ce nom de saint le sens que lui donnaient les apôtres. Or il se trouve qu'à cette histoire des saints l'humanisme dévot s'est consacré avec un zèle
(1) Le pèlerinage de Notre-Dame de Moyen-Pont... par le R. P. T. Jean le Boucher, péronnais, religieux minime (1623) préface. C'est un charmant livre. Ne demandez pas ce que vient faire cette sortie dans un livre sur un pèlerinage. J'ai déjà dit que la division du travail n'était pas encore inventée. Du reste, quoi de plus simple! L'auteur se demande comment il se fait que personne n'ait encore décrit les merveilles du Moyen-Pont. Voici, par exemple, un docteur en théologie, un historien, un péronnais, qui se mêle d'écrire, et qui va nous parler d'un cyclope. Pourquoi pas du Moyen-Pont ? Bon, voilà-t-il pas encore, qu'en la même ville de Péronne, est né, le 27 janvier 1621, un autre enfant monstrueux. Pourvu qu'on n'aille pas encore écrire sur lui ! Cette question des monstres, pour le dire en passant, occupa longtemps les esprits. On se demandait s'il fallait les baptiser. On trouve là-dessus de curieux renseignements dans la vie de Lazare Bocquillot (le fameux liturgiste et l'un des appelants). Bocquillot avait posé le cas à plusieurs médecins et plusieurs docteurs de Sorbonne, tous concluant, contre le rituel romain, qu'il faut baptiser. Une des consultations médicales est signée : Dodart. Cf. Vie et ouvrage de M. Lazare-André Bocquillot et sur ce livre, les mélanges hist. et phil. de Michault (II, p. 403).
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extraordinaire confine le chapitre suivant nous le montrera (1).
(1) Un de nos auteurs, aujourd'hui totalement oublié, le P. Rapine, recollet, a composé une sorte de grande histoire psychologique de l'Eglise, un immense discours sur l'histoire universelle prise, si j'ose dire, par le dedans, à la manière de Neander, de Newman et, pour citer un nom plus récent, du P. Tacchi-VENTURI (Storia della Compagnia di Gesu, t. I. La vita religiosa in Italia durante la prima eta dell ordine (Rome, 1910). Ce Rapine est un esprit très original, un peu hardi peut-être, un véritable érudit et un écrivain très éloquent. Son oeuvre devait comprendre de neuf à dix volumes. Je ne connais que les III et IV, car il est parmi les introuvables. Le premier volume est consacré au Christianisme naissant. Rapine y expose « la foi, la religion et l'innocence des hommes sous la loi de nature ». Le second volume : Le Christianisme florissant donne « le portrait de Jésus-Christ..., celui de la vraie religion... et celui de la sainteté ». Les deux volumes que j'ai sous la main ont pour titre général Le christianisme fervent dans la primitive Eglise et languissant dans celle de nos derniers siècles, pour titres particuliers : tome I : La face de l'Eglise universelle où il est traité de l'établissement de l'Église dans le monde, de sa perpétuité dans la communion romaine, de sa police sacrée et de ses principales affaires en tous les temps. Tome II : La face de l'Eglise primitive considérée dans ses exercices de piété où il est traité des sacrements. La lecture de ce Rapine a quelque chose d'enivrant comme une visite aux basiliques de Rome.
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