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PREMIÈRE PARTIE.
SAINT FRANÇOIS DE SALES, LES ORIGINES ET LES TENDANCES DE L'HUMANISME DÉVOT

 

CHAPITRE PREMIER. DE L'HUMANISME CHRÉTIEN A L'HUMANISME DÉVOT

 

I. L'humanisme dévot, être de raison qui représente pour nous les tendances communes, les directions principales de la littérature religieuse pendant la première moitié du XVII° siècle.

II. Qualités et défauts des humanistes. — Qu'il ne faut pas les juger sur quelques enfantillages. — Particularités de l'humanisme au temps de la Renaissance. — Le lettré du Moyen âge et le lettré d'aujourd'hui. — Térence et Shakespeare. — How beauteous mankind is!

III. Que l'humanisme de la Renaissance est une culture morale et une philosophie. — Glorification plus ou moins enthousiaste de la nature humaine.

IV. Chaque humaniste adapte à sa propre conception religieuse l'esprit de l'humanisme. — Humanisme naturaliste et humanisme chrétien. — L'Eglise et l'humanisme chrétien. — Adversaires de l'humanisme; les Occamistes. — Le cardinal Morone et Salmeron. — Que la plupart des théologiens des XVe et XVIe siècles sont des humanistes. — Les jésuites et l'humanisme.

V. L'humanisme dévot, moins spéculatif, plus pratique et plus populaire que l'humanisme chrétien.

 

 

I. Du Père Richeome au Père Yves de Paris, du plus ancien au plus jeune, les auteurs dévots dans l'intimité desquels nous allons entrer, bien qu'ayant publié leurs ouvrages entre 1590 et 166o, appartiennent tous encore à ce grand seizième siècle qui ne s'est décidé à mourir pour de bon qu'après la mort de Louis XIII et qui, d'ailleurs,

 

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n'avait pas attendu pour naître l'année 1499. A bien prendre les choses, cela est vrai plus ou moins des écrivains profanes, mais les religieux, moins soucieux ou moins au courant de la mode, sont rarement des écrivains d'avant-garde. Stat crux dum volvitur orbis. Ils savent que le siècle qui les a précédés a travaillé pour eux; ils moissonnent, dans la joie et dans la clarté, les semences déjà anciennes qui ont grandi, souvent dans la tristesse et presque toujours dans les ténèbres. Omnia propter electos... sinite crescere. Ainsi l'histoire dévote du temps d'Henri IV et de Louis XIII est le dernier chapitre de l'histoire de la Renaissance. Ainsi nos auteurs achèvent l'oeuvre de Pic de la Mirandole et de Sadolet. Humanistes comme ceux-ci, mais d'un nouveau genre. Pour les distinguer de leurs pères nous les appelons humanistes dévots.

Ai-je besoin de le dire? L'humanisme dévot n'est qu'un être de raison, comme l' « esprit classique » de Taine, la « sociabilité française » de Brunetière, ou le « romantisme » de M. Lasserre. Nous rassemblons un certain nombre de témoignages sur la vie religieuse, morale, politique ou littéraire d'une période ; nous tâchons de réduire ces témoignages à l'unité — seul moyen pour nous de connaître ou de croire que nous connaissons ; enfin cette synthèse, d'abord provisoire, puis de plus en plus confirmée par des observations nouvelles, nous la cristallisons en deux mots. Chaque historien fait ainsi, bien inspiré si, d'une part, il n'impose pas despotiquement aux faits qu'il étudie un ordre que ces faits repoussent, et si d'autre part, il ne prête pas à de simples abstractions la solidité des choses réelles. Ai-je su discerner et interpréter les textes, le lecteur en jugera puisqu'on va mettre ces textes sous ses yeux, mais, avant d'aller plus loin il reste bien entendu, premièrement, que sur une foule de points que mon hypothèse veut secondaires, tel humaniste dévot peut et doit différer de tel autre, comme le jour de la nuit; secondement, que

 

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chez ses représentants les plus authentiques, cet humanisme dévot, est et doit être ou modifié ou même combattu par d'autres esprits.

II. C'est une règle que nous apprenons à nos dépens et que trop d'historiens ont méconnue, quand on aborde l'étude de la Renaissance, il faut se décider une fois pour toutes à n'attacher qu'une importance secondaire aux enfantillages de tant d'humanistes, à leurs pantagruélismes, leurs outrances de plume et d'attitude — affectations conscientes, voulues, qui ne prouvent rien. La mesure n'était pas la qualité maîtresse des humanistes pris dans leur ensemble. Ils jettent leur gourme, ils montrent les qualités et les défauts, l'enthousiasme, l'ardeur, l'indiscrétion, l'impatience, les bizarreries et les folies de leur âge. Car ce sont des hommes nouveaux ou qui se croient tels — et cela revient au même : magnifiques parvenus, mais qui ont brûlé l'étape, et chez qui s'étale parfois la naïve outrecuidance, commune aux primaires de tous les temps ; enfants drus et bien nourris qui battent leur nourrice, le Moyen âge. Je les traite avec le sans-façon que permet une longue amitié, une admiration sûre d'elle-même. Comme tout homme d'aujourd'hui, je suis leur fils et je m'en fais gloire. Ils ont fait, pour mieux dire, ils ont commencé de grandes choses et qui ne passeront pas. Mais j'ai d'autres pères, ceux dont ils descendent eux-mêmes et qu'au besoin je saurais défendre contre eux. Après tout, qu'ont-ils inventé? Détail par détail, que trouve-t-on chez eux dont le germe ou la fleur ne se trouve pas déjà dans la Patrologie de Migne? En fait de résultats dogmatiques proprement nouveaux, leur « nouvelle science » nous parait courte. Où est la Somme de cette science, où leur saint Thomas? Bégaiements spéculatifs, aspirations et non pas systèmes. Burckhardt, insigne d'ailleurs, s'est donné une peine infinie h tâcher de les « construire », et le résultat est médiocre. La plupart des historiens de la Renaissance irritent fort quiconque n'ignore pas

 

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tout à fait la pensée complexe, hardie, vivante du Moyen âge. Quoi qu'il en soit, ne jugez pas les humanistes sur leurs airs de bravoure, ne prenez pas Gargantua pour un géant, Erasme pour un Voltaire. Les meilleurs d'entre eux sont beaucoup plus timides qu'ils ne veulent le paraître. Individualistes, va-t-on répétant. J'aime peu ce mot que je n'arrive pas à comprendre, mais je sais que l'humaniste, frondeur à ses heures, est au fond un ami de l'ordre, un conservateur. L'Eglise ne s'est pas mal trouvée de leur avoir fait un si large crédit, puisqu'enfin la plupart d'entre eux, les plus grands, les plus libres, les plus frondeurs, ont terriblement déçu les espoirs et gêné les progrès de la Réforme. Au demeurant, l'expérience, les bonnes lettres, leur propre vertu aussi, peu à peu les rendront sages. Morus, le futur martyr, collabore joyeusement à l'Eloge de la Folie. « Nous aurions écrit avec moins de liberté, dira-t-il plus tard, si nous avions prévu Luther. » Léon X l'avait-il prévu? Pardonnez-leur d'être jeunes. Le jour n'est pas loin où un nouvel humanisme, moins exubérant mais aussi moins croyant, moins traditioniste que le premier, causera des inquiétudes plus sérieuses. Du point de vue chrétien, l'ivresse platonisante de Pic et de Ficin, les saillies d'Erasme et de Morus, paraissent moins redoutables que la tranquille sagesse des Essais.

Bien qu'on les appelle souvent du même nom, l'humaniste de la Renaissance ne ressemble que de loin à nos lettrés ou à nos scholars modernes — Rapin, Jouvency, Fénelon, Rollin, l'abbé Barthélemy, Boissonnade, Sainte-Beuve, sir Richard Jebb ou nos deux Croiset. Ce type d'humaniste qui menace à son tour de disparaître bientôt se rencontre, toutes choses égales d'ailleurs, beaucoup plus fréquemment au Moyen âge que pendant le siècle de Léon X (1).

 

(1) J'étonnerai peut-être plus d'un lecteur en faisant ainsi remonter l'humanisme — et proprement dit — jusqu'au Moyen-âge. Deux historiens que j'estime fort, veulent en effet que l'humanisme soit un des faits nouveaux et, en somme, le fait nouveau de la Renaissance. « L'humanisme, dit M. Hauser dans son article de l'Humanisme et de la Réforme en France (reproduit dans ses Etudes sur la Réformé française, Paris, 1909) qui vaut à lui seul un gros ouvrage — est essentiellement la conception des litteræ humaniores, c'est-à-dire, l'affirmation hardie que l'étude des lettres antiques rendra l'humanité plus civilisée, plus noble, plus heureuse... Or, cette idée apparaît pour la première fois dans le monde, avec Pétrarque » (ib., p. 9). D'après M. Imbart de la Tour (cf. sa grande histoire des Origines de la Réforme, II, Paris, 1909, pp. 315, seq), le Moyen âge n'aurait pas pénétré le génie et la culture » antiques, il n'aurait vu dans les chefs-d'oeuvre classiques « qu'une préparation du christianisme », il ne les aurait étudiés « qu'à la lumière et en fonction du christianisme ». Je suis très assuré de n'avoir pas saisi le plein sens de ces affirmations qui, telles que je les entends, me paraissent invraisemblables a priori et contraires aux faits les plus certains. Il est invraisemblable qu'un long et studieux commerce avec les anciens ne soit pas « civilisant ». Quoi qu'il en soit, des textes sans nombre nous prouvent que le Moyen âge a cherché, et directement, ce résultat civilisateur. Dès le VIe siècle, saint Colomban chante une certaine muse qu'il ne tâche aucunement de métamorphoser en sibylle : lnclyta vates — nomine Sappho. De Gerbert, voici ce que dit sir Richard Jebb, lui-même humaniste consommé : « He had not merely read a great deal of the best Latin literature, but had appreciated it on the literary ride, had imbibed something of ifs spirit, and had found in it an instrument of self culture » (Cambrigde Modern history, I, p. 536 (Cf. aussi H. O. Taylor : The medieral mind, Londres, 1911, t. II, ch. XXX : The spell of the classics). Bernard de Chartres et son élève Jean de Salisbury sont humanistes, au plein sens du mot. Et combien d'autres! Je ne parle pas du culte de Virgile. On pourrait épiloguer là-dessus, mais Ovide, niais Térence, leurs poètes de prédilection? Et que dire du Roman de la Rose et des Carmina Burana? Que dire des remords qu'inspirait à plusieurs leur trop de goût pour les lettres anciennes : « Olim mihi Tullius dulcescebat, dit Pierre Damien, blandiebantur carmina poetarum... et sirenes usque in exitium dulces meum incantaverunt intellectum (Taylor, op. cit., I, 260). Et que dire encore de la prodigieuse influence de Boèce ? Très certainement, le Moyen âge n'a pas regardé les littératures anciennes comme l'unique principe de toute civilisation, mais la Renaissance non plus.

Dans cette idée maîtresse de l'humanisme, M. Hauser distingue quatre éléments qu'il ne me parait pas difficile de retrouver dans la littérature du Moyen âge : 1° L'idée que l'homme est à lui tout seul pour l'homme an digne sujet d'étude, et cette idée est l'humanisme même — et je le renvoie aux théologiens médiévaux, aux romans, à tant de traités et d'allégories sur les passions ; 2° l'idée et le désir de la gloire — et je le renvoie aux lettres d'Héloïse; en quoi Abailard est-il moins a glorieux a que Pétrarque ? 3° l'idée de la continuité du monde antique dans le monde actuel — mais pour ne pas parler de la rage qu'ils avaient de descendre des Troyens (cf. Le Roman de Troie), le Moyen âge a certes cru à la continuité de l'homme éternel; 4° enfin l'idée de beauté — et je le renvoie, entre cent autres, à un très vieil ancêtre de Joachim du Bellay, à Hildebert de Lavardin (B. Hauréau, Mélanges poétiques de H. de L., Paris, 1882, p. 60).

 

Par tibi, Roma, nihil, cum sis proue iota ruina...

hic superum formas superi mirantur et ipsi

Et cupiunt fictis vultibus esse pares...

Vultus adest his numinibus...

Urbs felix…

 

Non, rien de tout cela n'est absolument nouveau,mais à ces choses très anciennes, la Renaissance donne, pour ainsi dire, un accent nouveau que nous essaierons de dégager à quoi les travaux de M. Hauser et de M. Imbart de la Tour nous aideront puissamment.

 

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Pourquoi nous reprocher d'étudier les anciens — écrit Pierre de Blois, lequel est mort aux environs de 1200 — n'est-il pas dit que : in antiquis est scientia ? Jérôme se vante d'avoir lu Origène, Horace, d'avoir relu cent fois son Homère.

 

Origène, Homère, remarquez ce rapprochement.

 

Quel profit pour moi, quand j'étais gamin, à mettre en vers des histoires vraies ; quel profit encore à savourer les lettres de Hildebert du Mans, ces lettres d'un si joli ton et d'une si exquise gentillesse ! Enfant, on me les faisait apprendre par

 

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coeur. J'ai vécu dans l'intimité de Trogne-Pompée, de Josèphe, de Suétone... de Tacite et de Tite-Live... et j'en ai la d'autres, oh ! tant d'autres, qui ne sont pas, mais pas du tout, des historiens. Chez tous, que de fleurs charmantes n'ai-je pas cueillies et quelles bonnes leçons d'urbanité ne nous donne pas leur doux style ! (1)

 

N'est-ce pas déjà tout Fénelon, et le culte des bonnes lettres comme on l'a pratiqué depuis? Culte paisible et modeste. Semblable à nos modernes, l'humaniste du XIX° siècle est un sage, un délicat, un raffiné. Il a laissé tomber l'ardeur des folles passions. Quel que soit son âge — il ne peut avoir moins de trente ans — nous le voyons presque vénérable et nous le reconnaissons dans le portrait de l' « honnête homme n tracé par un des plus fameux humanistes du Moyen âge, Bernard de Chartres. « Le grand vieillard de Chartres, senex carnotensis, nous dit Jean de Salisbury, avait énuméré les clefs de la sagesse dans ces vers dont je goûte médiocrement la musique, mais dont le sens me va tout à fait :

Mens humilis, studium quærendi, vita quieta,

Scrutinium tacitum, paupertas, terra aliena (2). »

 

(1) Petrus Blesensis, P. L., 207, col. 312.

(2) Polycraticus, P. L., 199, col. 666.

 

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Lettré fervent, discret, qui n'est fanatique de rien, pas même des lettres, auxquelles il ne demande que ce qu'elles peuvent donner. Elles ne gênent pas sa religion, s'il en a une, mais elles ne s'y mêlent qu'à peine. Sa vie morale s'organise en dehors d'elles, à cette exception près qu'elles le rendent plus humain en tout. Humanisme indépendant, séparé. Le plaisir que lui donne la contemplation des chefs-d'oeuvre est très noble, très civilisant, mais enfin il n'est qu'un plaisir. Grecs et latins le ravissent, mais ne l'exaltent point au-dessus de lui-même; ils le déprimeraient plutôt s'ils ne lui avaient appris que la médiocrité est toute dorée. Que si dans les rêves que ses livres lui procurent, il lui arrive parfois de prendre quelque attitude héroïque, de refaçonner le monde, de jouer à l'imperator ou au demi-dieu, il se réveille bientôt, souriant de ses propres enfantillages, content de sa vie cachée, résigné à son néant.

 

Then, smilingly, contentedly, awakes

To the old solitary nothingness (1).

 

L'humaniste de la Renaissance est tout différent. Ne lui parlez pas de son néant, du néant de l'homme ; il crierait au sacrilège. Les délices du goût, savourer mollement quatre vers d'Horace, qu'est-ce que cela? Ce qu'il demande avant tout aux modèles antiques, c'est de le rendre lui-même plus homme. Dans ces vieux textes, il a retrouvé les titres perdus de sa propre noblesse, la carte des immenses domaines qui lui appartiennent de droit et qu'il entend conquérir. A lire Platon ou Virgile, il s'enivre d'orgueil plus que de plaisir. On répète qu'ils ont restauré te culte de la beauté ; dites plutôt le culte de l'homme glorifié par la beauté qu'il imprime à ses ouvrages. Beauté, science, philosophie, autant d'esclaves qui poussent le char ,de son propre triomphe. L'anima mi s'aggrandisce,

 

(1) C'est la magnifique et intraduisible péroraison du discours de Capnn sacchi dans The Ring and the Book de Browning.

 

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mi se magnifica l'intelletto, disait Giordano Bruno. Tout son être se dilate, se gonfle, se soulève, il se sent devenir — ou redevenir — roi, presque dieu : il touche du front les étoiles.

D'où vient que la découverte de l'Amérique n'a pas moins d'importance dans l'histoire de l'humanisme, que la fameuse apparition des savants grecs et de leurs manuscrits exilés de Constantinople. Maîtres d'un continent et d'un ciel nouveau, ils se sentirent plus hommes. Les Indiens que l'on exhiba chez nous et que Ronsard acclamait si chaudement, c'étaient des survivants de « l'âge doré », des hommes d'avant les livres, d'avant la mythologie classique et par suite, encore plus vrais, encore plus hommes. Ils n'avaient pas écrit le Manuel d'Epictète, ils le vivaient, maîtres d'eux-mêmes, « capitaines de leurs âmes », libres de s'épanouir à leur guise.

 

Vivez heureusement, sans peine et sans souci

Vivez joyeusement, je voudrais vivre ainsi.

 

Mais ils voudraient vivre aussi toutes les vies imaginables, tout pouvoir et pour cela tout savoir. Humani nil alienum, c'est leur devise. Devise aussi de l'humanisme éternel, mais pour nous et le Moyen âge, devise d'humilité, d'indulgence, de compassion, d'humanité au sens le plus tendre de ce mot. Quand nous répétons le vers de Térence, nous voulons surtout dire que nulle des humaines faiblesses ne nous étonne et que nous prenons notre part de la commune misère. Pleurant près de sa mère morte, François de Sales s'écrie : « hélas, je suis tant homme que rien plus ! » — en d'autres termes : je ne rougis pas de n'être qu'un homme. Pour la Renaissance au contraire, Humani nil alienum est consigne d'assaut, d'espérance, promesse et cri de victoire. Rien de ce que peuvent atteindre les facultés de l'homme n'est trop pour nous. Vous n'êtes qu'un homme! Eh quoi! N'est-ce pas déjà assez beau ? Un homme, la splendide chose, dira le dernier

 

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et le plus grand des poètes de la Renaissance : How beauteous mankind is ! (1)

III. Ces deux humanismes qu'on vient de décrire, l'humanisme éternel et celui que je voudrais qu'on appelât l'humanisme flamboyant, malgré les particularités qui les distinguent, s'inspirent d'un même esprit, traduisent une même philosophie, le premier avec plus de modération, le second avec plus de fougue. L'esprit commun qui les anime est cette curiosité, cette sympathie qui nous inclinent vers toutes les manifestations de l'activité, vers tous les aspects de l'histoire humaine; tendance extra-littéraire, si l'on peut ainsi parler, morale plutôt et sans laquelle il n'y a pas d'humanisme au sens propre; — morale ici ne veut pas dire ascétique. Education, civilisation, mais par le plaisir. Humanisme n'est pas vertu. Il ne se confond pas avec la charité, ni même avec la bienveillance, la tendresse qu'il développe en nous n'ayant pour objet que des êtres imaginaires, ou mieux n'ayant en définitive, d'autre objet que nous-mêmes. « Nous sommes charmés de la douleur que Nisus et Euryale nous coûtent. » « On croit être au milieu de Troie. » « Il faut... que je m'imagine voir ce beau lieu... que j'envie le bonheur de ceux qui sont dans cet autre lieu dépeint par Horace. » — C'est toute la Lettre de Fénelon à l'Académie, ce parfait manuel d'humanisme, qu'il faudrait citer. Dans la vie réelle, beaucoup d'humanistes manquent tout à fait d'humanité. Tel pleure sur Didon qui n'a pas le droit de jeter la pierre au pieux Enée. « Le danger d'une éducation littéraire et élégante, disait Newman, est de rompre la relation entre le sentiment et l'action. » De là vient peut-être en partie du moins, soit dit en passant, la faiblesse morale de certains humanistes, même chrétiens. L'humanisme dévot, comme nous verrons, exclut nécessairement cette faiblesse.

 

(1) Cf. Henry Sidgwick « There is no thing more characteristic of the Elizahethan time than enthusiasm for human excellence ». Miscellaneous assays and addresses, Londres, 1904, p. 118.

 

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Quant à la doctrine fondamentale de l'humanisme, elle est simple. En effet on ne s'intéresse pas longtemps, on s'attache moins encore à ce que l'on méprise. L'humaniste ne croit pas l'homme méprisable. Il prend toujours et cordialement le parti de notre nature. Même s'il la voit misérable et impuissante, il l'excuse, il la défend, il la relève. Confiance inébranlable dans la bonté foncière de l'homme, toute sa philosophie tient dans ces deux mots et s'adapte sans peine aux autres philosophies — naturalistes, mystiques, peu importe pour l'instant — qui s'accommodent elles-mêmes d'un tel optimisme. Aussi bien, dans l'expression de ce dogme unique, et dans les sentiments qui en découlent, autant de nuances que d'humanistes particuliers. Humble toujours et content de peu, l'humaniste ordinaire mêle beaucoup de pitié à la confiance que lui inspire ou son propre moi ou celui des autres ; l'humaniste flamboyant, au contraire, ne connaît que notre grandeur et la sienne propre. Il magnifie la nature humaine avec un enthousiasme éperdu. La splendide chose que l'homme. How beauteous mankind is ! (1) Mais extrême ou modérée, il n'est pas d'humaniste qui ne se fasse une haute idée de l'homme, et qui ne règle sur cette idée sa propre vie littéraire, sociale, intérieure et religieuse. Aspiration plus ou moins indéterminée, ou doctrine précise,

 

 

(1) Sur ce point qui me parait capital, je suis très heureux d'avoir pour moi la grande autorité de M. Mauser. Dès 1531-1535, dit-il, à propos de Marguerite d'Angoulême, l'on peut discerner chez elle a le point où se sépareront bientôt la Renaissance littéraire et la Renaissance religieuse (la Réforme). L'Evangile, à son avis, n'a pas de plus perfide ennemi, ni Satan de suppôt plus habile que le Cuyder. Or, « Cuyder », c'est-à-dire la confiance de l'homme en soi, ce n'est pas seulement la croyance que nous serons sauvés par nos propres mérites, c'est encore, d'une façon plus générale, le sens individuel, l'orgueil de vivre et d'agir, le sentiment qu'on est quelque chose : mais tout cela, c'est la Renaissance » (op. cit., p. 39). Oui, si l'on s'en tient au simple cuyder, si l'on ne va pas jusqu'à l'outre cuyder, jusqu'à cette a cuydance » « fille de fol amour » dont parlait déjà le roi René (cf. Dict. de Godefroy). L'humanisme chrétien, le seul après tout qui s'occupe de la théologie du salut, ne croit pas à la suffisance, mais à l'efficacité du mérite humain; il ne prêche pas l'orgueil, mais la joie de vivre et d'agir; il veut l'épanouissement, mais non l'affranchissement absolu du sens individuel.

 

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l'humanisme est essentiellement une tendance à la glorification de la nature humaine. Seule définition, me semble-t-il, qui convienne à tout le défini, qui aille vraiment au fond des choses et qui nous permette de distinguer l'humaniste du simple lettré. Helléniste distingué, grand écrivain, Calvin nous humilie et nous accable, il désespère de nous il n'est donc pas humaniste.

IV. Qu'est-ce que l'homme, d'où vient-il, où va-t-il, l'humanisme, livré à ses seules lumières, n'est pas en mesure de répondre à ces questions. A chacun de les résoudre d'après sa philosophie ou sa théologie particulière. D'où les deux groupes qui se partagent les vrais renaissants, d’une part l’humanisme chrétien, le seul qui nous intéresse présentement, d'autre part l'humanisme naturaliste. En face des uns et des autres se dresse la Réforme protestante.

L'humanisme chrétien plie aisément aux dogmes et à l'esprit de l'Eglise les deux devises que nous avons dites; avec Térence, et mieux et plus que Térence, il entend bien que rien d'humain ne lui soit étranger, et cela, parce que dans tout ce qui est humain il reconnaît l'image de Dieu, et un frère dans chaque homme; avec Shakespeare et plus haut que Shakespeare, il s'écrie lui aussi : que l'humanité est belle ! et cela parce que l'humanité a été rachetée par un Dieu fait homme et que la grâce l'élève au-dessus de sa naturelle perfection. Eh quoi! N'est-ce rien de plus nouveau, de plus rare? — Qu'attendait-on de plus ? Comme théologie, l'humanisme chrétien accepte purement et simplement celle de l'Eglise. Le prenait-on pour une secte? Il n'est qu'un esprit. Sans négliger aucune des vérités essentielles du christianisme, il met de préférence en lumière celles qui paraissent les plus consolantes, les plus épanouissantes, en un mot les plus humaines, qu'il tient du reste pour les plus divines, si l'on peut dire, pour les plus conformes à la bonté infinie: Ainsi il ne croit pas que le dogme central, c'est le péché originel, mais

 

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la Rédemption. Qui dit Rédemption dit faute, mais faute bienheureuse, puisqu'elle nous a valu un tel et si grand et si aimable Rédempteur : o felix culpa! Ainsi encore, il ne met pas en question la nécessité de la grâce, mais cette grâce, loin de la mesurer parcimonieusement à quelques prédestinés, il la voit libéralement présentée à tous, plus anxieuse de nous atteindre que nous ne pouvons l'être de la recevoir. L'homme qu'il exalte n'est pas uniquement ni principalement, mais il est aussi l'homme naturel, avec les dons simplement humains que celui-ci aurait eus dans l'état de pure nature et qu'il garde aujourd'hui encore, plus ou moins blessé depuis cette chute, mais non pas vicié, corrompu dans ses profondeurs et incapable de tout bien. Sur tous ces points, l'Eglise condamne des exagérations opposées, d'une part Pélage et les semi-pélagiens, d'autre part, Calvin, Baïus et Jansénius. Entre ces extrêmes, elle permet aux docteurs d'interpréter à leur guise le dogme commun, de mettre l'accent où ils veulent, de faire pencher la balance en faveur du rigorisme ou de l'humanité. L'humanisme chrétien va d'instinct à cette crémière. Qu'on les prenne, par exemple, lorsqu'ils discutent le sort des enfants morts sans baptême. Le système qu'ils combattent, ils le jugent faux parce qu'il est inhumain. Le mot y est et souvent.

Pourquoi n'y serait-il pas? Le jansénisme accréditera plus tard cette idée que plus on élève l'homme et plus on l'invite à se passer de Dieu. Nos humanistes disent au contraire, avec l'un des auteurs préférés de sainte Thérèse, le grand scotiste Ossuna : Quo major est creatura, eo amplius eget Deo (1). Mais à quoi bon prolonger cette description ! En matière doctrinale, humanisme chrétien et humanisme dévot ne font qu'un et ce dernier nous dira i bientôt ce qu'il pense.

Je n'ai pas à présenter ici l'apologie — eh! qu'a-t-il

 

(1) Cf. la belle série : Ossuna et Duras Scot, du R. P. Michel-Ange. Etudes franciscaines, 1910, article III, La Vie en Dieu, p. 184.

 

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besoin d'être défendu, lui que tant de papes ont encouragé? — ni à résumer l'histoire — près de trois siècles — de l'humanisme, mais je dois dire un mot de ses adversaires.

En face de lui se dressent en effet, non pas seulement, comme je l'ai déjà rappelé, la réforme protestante, mais encore une école que l'Église a tolérée jusqu'aux décisions de Trente et qui a compté de nombreux adeptes dans les milieux catholiques les plus fervents. Occamistes, au moins d'esprit, ceux-ci n'étaient pas des révoltés, mais ardemment soucieux de maintenir en face du naturalisme toujours menaçant, en face du paganisme éternel, la doctrine fondamentale du christianisme — la gratuité, la transcendance, la nécessité du don divin qui nous fait enfants de Dieu — ils tiraient de ces vérités essentielles des conséquences inacceptables, concevant de la façon la plus dure, les droits de Dieu, les principes de la morale, la misère de l'homme déchu. Un Dieu terrible, façonnant au gré de son caprice des lois morales qu'il pourrait aussi bien remplacer par un code tout contraire ; l'intelligence humaine, raisonnant à vide, condamnée à ne produire que des concepts abstraits et purement « nominaux », incapable d'atteindre à une réalité quelconque; la foi en contradiction flagrante avec la raison, la surnature avec la nature : bref en religion, la terreur; en morale, le rigorisme; en philosophie, le scepticisme, Luther et Calvin plus encore ont sans doute exagéré cette doctrine inhumaine mais ils ne furent pas les premiers à la soutenir. De 1450 à 1550, je parle à vue de pays, cet esprit dont la contre-réforme commençante s'est inspirée mais pour s'en affranchir peu à peu, cet esprit, plus ou moins explicitement formulé, plus ou moins atténué par l'esprit contraire a possédé, en les exaltant et en les déprimant tout ensemble, des âmes très hautes, Michel-Ange par exemple, Vittoria Colonna, Morone, Contarini. Et voilà qui suffit à nous expliquer la résistance

 

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prolongée que l'humanisme chrétien a rencontrée dans l'Église même. Ajoutez à cela les imprudences, les hardiesses, le seini-naturalisme, ou foncier ou du moins apparent, de quelques représentants de la « science nouvelle ».

Un bel épisode nous rend ce conflit sensible. Je veux parler de la mémorable querelle entre l'humaniste Salmeron, jésuite, l'un des théologiens de Trente, et l'insigne cardinal Morone, l'un des Pères du même concile, catholique certes décidé mais séduit, plus que de raison, par le pessimisme d'Occam.

Très lié avec les premiers compagnons de saint Ignace, Morone avait fait venir Salmeron dans sa ville épiscopale que menaçait la propagande luthérienne. J'assistai à un de ses sermons, racontera-t-il plus tard « et je l'entendis exalter tellement les mérites des oeuvres qu'il me sembla donner par là aux hommes l'occasion d'être plus arrogants et superbes envers Dieu. Je l'appelai en particulier; nous commençâmes une conférence tous les deux et nous en vînmes au point en question. Lui, jeune, hardi, savant, me parlait avec vivacité, et je l'ai reconnu depuis, uniquement guidé par la ferveur de son zèle. J'eus peu de patience : moins poli que mon interlocuteur, et irrité par ses discours, je me levai le premier et lui dis, je pense, maintes sottises. Je me rappelle celle-ci seulement : que je ne connaissais pas tous ces mérites; que même en disant la messe, la plus sainte des oeuvres que l'homme puisse accomplir, je faisais un péché. Salmeron me répliqua que c'était là une opinion mauvaise. Elle l'est en effet, si l'on entend que dire la messe est un péché; mais ma pensée était qu'il m'arrivait souvent, à cause de mon peu de dévotion et de respect, ou des distractions de mon esprit, d'être forcé de me repentir des manquements commis dans un si grand mystère. Toutefois, je confesse avoir mal agi dans cette rencontre, et depuis, j'ai réparé mes torts envers Salmeron, non seulement par des paroles, mais par des

 

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actes » (1). En bon humaniste, le jésuite n'admettait pas que pour une peccadille, on mît en question le mérite des bonnes oeuvres, il ne permettait pas non plus que l'on présentât Dieu comme un maître inhumain. Morone, de son côté, n'allait certainement pas à ces extrêmes, mais d'une conscience délicate et plus ou moins sous l'influence des doctrines occamistes, il n'avait pas assez le courage de son humanisme. Beaucoup des écrivains que nous allons étudier sont ainsi très indulgents, très larges avec le prochain, impitoyables vis-à-vis d'eux-mêmes. Mais en rapportant ce trait, je voulais surtout qu'il symbolisât l'étroite alliance qui fut scellée de bonne heure entre l'humanisme et la Contre-Réforme. On sait bien que la Compagnie de Jésus a collaboré à celle ci d'une manière assez efficace, mais beaucoup d'historiens semblent ignorer que, pendant leur premier siècle, les jésuites ont soutenu, sans relâche, et continué brillamment les traditions de l'humanisme chrétien. Laynès, Salmeron, Canisius, Campion, l'helléniste délicat, le martyr, Maldonat, le grand Maldonat, Molina, Lessius, Possevin — l'humaniste errant à la vie épique, le maître de François de Sales, — Petau enfin et combien d'autres, c'est bien toujours le même esprit, la même doctrine. Croyez-en plutôt la belle injure que leur prodigueront leurs adversaires: pélagien, semi-pélagien, façon un peu sommaire, un peu vive de dire : humaniste chrétien. Ainsi quand les barbares disent : pédant, il faut entendre : lettré (1).

 

 

(1) J'ai cité la traduction que donne le P. Prat dans sa vie du P. Claude Le Jay, Lyon, 1874, pp. 455, 456. Sur les suites de cet incident, cf. Cantu, Les hérétiques d'Italie, t. II, de la trad. franç., p. 520, sqq, et, mieux encore, le P. Tacchi-Venturi, Storia della Camp. di Gesu in Italia, Rome, iglo, t. I, pp. 533-538. D'après Salmeron, Morone aurait été plus extrême et dit : quod pro bona opera sua merebatur infernum (cf. Tacchi-Venturi, p. 540). Hyperbole manifeste et que Salmeron eut le tort de prendre à la lettre, car il conclut de cet entretien que Morone était presque luthérien. Etrange conclusion, si l'on pense que Morone fut un des fondateurs les plus généreux du Collège Germanique.

 

(2) En soulignant le « premier siècle » de l'Ordre, j'entends le distinguer des générations d'humanistes qui ont suivi, les Rapin, les Commire, humanistes et chrétiens sans doute, mais non pas humanistes chrétiens, au sens historique de ce mot.

 

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Ceci nous rappelle qu'on n'a pas encore écrit l'histoire vraie de l'humanisme. On oublie toujours de faire leur juste part dans cette histoire aux théologiens proprement dits. Parmi ceux-ci les humanistes abondent, l'esprit de l'humanisme domine. Pour s'en convaincre à vue de pays, que l'on prenne par exemple les auteurs si bien résumés par Dupin dans sa Bibliothèque. On se laisse absorber et étourdir par le fracas des grandes batailles publiques. Or il n'y a là souvent que des frères ennemis que la passion aveugle et qu'un entretien pacifique de quelques heures aurait mis d'accord. On accorde trop d'importance aux prétendus défenseurs du passé — ennemis du grec, troyens, comme on disait à Oxford du temps de Morus, — minorité plus bruyante que dangereuse et vaincue d'avance, puisque très certainement l'Eglise n'était pas avec elle. Le Dr Barry l'a fort justement remarqué, les humanistes, Erasme notamment, ne se sont jamais plaint que les chefs de l'Eglise eussent manqué à leur devoir de protéger la science (1). Laissons-les se débattre et songeons au bon et paisible travail qui se poursuivait dans les cellules et qui préparait les définitions dogmatiques de Trente; à l'union facile et nécessaire qui se nouait insensiblement, à la transfusion féconde qui s'opérait entre la vieille scolastique et le jeune humanisme. Historiquement voilà ce qui compte, mais cela, pour le bien connaître, il faudrait suivre de près le mouvement théologique de cette longue période, les grands théologiens du Concile et l'élite qui les a suivis, Maldonat, Molina, Bellarmin, Ripalda, Lugo, Petau et tant d'autres. Pas de révolution — cela eût été providentiellement et moralement impossible — mais progrès constant. Lentement on s'est corrigé, on a laissé tomber les inutiles subtilités de la scolastique décadente, on a parlé une langue moins barbare — Cano,

 

(1) « Nowhere does he hint, under no provocation is he (Erasmus) tempted to imagine Chat authority frowns upon « good letters ». (Cambridge modern history, I, p. 642.)

 

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Maldonat, Bellarmin, Petau, autant d'écrivains de marque; mais surtout on a continué activement la vie ancienne, on s'est enrichi, développé et toujours selon les directions convergentes de la théologie traditionnelle et de l'humanisme chrétiens.

V. L'humanisme chrétien est plus spéculatif que pratique, plus aristocratique que populaire ; il cherche d'abord le vrai et le beau plutôt que le saint, il s'adresse à l'élite plutôt qu'à la foule. Ces deux traits le distinguent de l'humanisme dévot. Celui-ci en effet est avant tout une école sainteté personnelle ; une doctrine, une théologie sans doute, mais affective et toute dirigée vers la pratique. D'un autre cote s propagande veut atteindre tous les fidèles, même les plus simples. Philothée n'aurait compris ni Pic de la Mirandole, ni Sadolet, ni Molina; elle pourra comprendre François de Sales. En d'autres termes l'humanisme dévot applique aux besoins de la vie intérieure, met à la portée de tous et les principes et l'esprit de l'humanisme chrétien.

 

 

(1) On peut consulter à ce sujet le livre — savant, pénétrant, original mais déconcertant — de M. Humbert : Les origines de la théologie moderne, Paris, 1911. Dans ce livre qui n'était qu'une introduction, l'auteur allait à montrer, je crois, que la théologie moderne — celle qui s'est cristallisée pour la première fois à Trente — est due, en grande partie, au travail des humanistes. D'un autre côté, il établit une sorte d'opposition absolue entre l'humanisme et la tradition catholique, ce qui me paraît contraire à l'histoire, et ce qui est certainement contraire au dogme. Nil innovetur nisi quod traditum est. Cf. un article de moi, un peu dur : L'humanisme chrétien et les origines de la théologie moderne. (Annal. de phil. chrét., 40 série, XI, n° 5.) Pour voir que je n'exagère rien en parlant des directions a convergentes » de l'humanisme et de la théologie traditionnelle, cf. l'article du R. P. Cavallera : Le Décret du Concile de Trente sur le péché originel (Bulletin de Toulouse, juin-juillet 1913). Il est d'ailleurs évident que Bains, Jansénius et les autres vont sinon toujours contre la lettre expresse, du moins contre l'esprit du Concile. Mais ici encore, on doit regretter que les historiens ignorent l'activité proprement doctrinale de ce concile et ne s'intéressent qu'aux décrets de réforme. Cf. H. Bremond, Léonce Couture et l'humanisme chrétien. La Correspondance, 25 mars 1912.

 

 

 

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