HOMÉLIE IV
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QUATRIÈME HOMÉLIE. Dieu dit aussi : «Que le firmament soit fait au milieu des eaux ; et qu'il sépare les eaux d'avec les eaux » et cela se fit ainsi. (Gen. I, 6.)

 

ANALYSE.

 

1. Joie de l'orateur en voyant le concours et l'empressement de ses auditeurs. — Il peut donc espérer que ses instructions produiront des fruits abondants, et d'avance il en rapporte tout l'honneur à l'heureuse efficacité du jeûne. — 2. C'est ainsi par la force des armes spirituelles dont nous revêt l'Esprit Saint que nous vaincrons le démon, soyons donc toujours munis de ces aimes. — 3. 4. L’orateur poursuit ensuite son explication de l'oeuvre des six jours, et après avoir montré la puissance de Dieu dans !a création du firmament, il évite de rien décider sur la nature de ce corps, et engage les auditeurs à se contenter de ce que l'Ecriture nous en apprend. — Le nom de ciel donné au firmament le conduit à réfuter l'opinion de la pluralité des cieux, et il montre que dans les psaumes celte expression les cieux des cieux, doit être interprétée selon le génie de la langue hébraïque qui admet le pluriel pour le singulier. — 5. Il s'étend beaucoup sur la beauté du firmament, sa vaste étendue, et son admirable utilité. — 6. 7. 8. Cette description lui fournit le sujet de diverses moralités, et il termine par une vive exhortation au jeûne et à l'amour des ennemis.

 

1. En voyant croître chaque jour, mes très-chers frères, votre concours et votre empressement, je suis pénétré de joie, et je ne cesse de remercier le Seigneur de vos progrès en la vertu. Car si un bon appétit est le signe d'une bonne santé, le zèle et l'ardeur pour entendre la parole sainte est la. marque infaillible d'une âme pieuse. C'est pourquoi Jésus-Christ, dans le  (18) sermon de la montagne, et l'énumération des béatitudes, proclame : Heureux, ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu'ils seront rassasiés. (Matth. V, 6.) Qui peut donc vous louer dignement, vous que le Seigneur a déclarés bienheureux, et qui en attendez encore les plus riches faveurs? Car tel est notre divin Maître. Lorsqu'il trouve une âme qui se porte vers les biens spirituels avec un violent désir, et une vive ardeur, il l'enrichit libéralement de ses grâces et de ses dons. J'espère aussi qu'il m'accordera pour votre avantage et votre édification une parole plus facile et plus abondante. C'est pour vous, et pour votre avancement spirituel que j'ai entrepris ce travail, afin que vous arriviez promptement au faite des vertus chrétiennes. Vous deviendrez alors au sein de la famille et de l'amitié les prédicateurs des saintes maximes; et nous-même, nous vous parlerons avec plus de confiance, en voyant que nos labeurs ne sont point vains, ni stériles. Chaque jour la semence spirituelle croît en vos coeurs; et je suis bien plus heureux que le semeur de la parabole évangélique. Il perdit les deux tiers de son grain dont une partie seule fructifia : car celui qui tomba sur le grand chemin ne germa point, celui qui tomba parmi les épines fut étouffé, et celui qui, jeté sur la pierre, demeura sur la superficie du sol ne produisit aucun fruit. (Matth. XIII, 4-7.) Ici au contraire, j'espère que la semence de la parole sainte sera reçue dans une terre bien préparée, et que, par le secours de la grâce, elle produira dans les uns cent pour un, et dans les autres, soixante ou trente.

Cette espérance ranime mon ardeur, et excite mon zèle : car je sais que je ne parlé point inutilement, et que vous me prêtez une oreille attentive, et de bienveillantes dispositions. Ce langage n'est point en ma bouche celui de la flatterie ; et il exprime seulement la joie qu'hier mon discours parut vous causer. Je vous voyais en effet comme suspendus à mes lèvres, et soigneux de ne perdre aucune de mes paroles. Bien plus, vos continuels applaudissements me prouvaient assez que vous les accueilliez avec une véritable satisfaction. Or un discours qui est écouté avec plaisir fait en nous une profonde impression. Il se grave au plus intime de la mémoire; et celle-ci en garde un impérissable souvenir. Qui pourrait donc et vous louer dignement, et assez nous féliciter nous-même de votre bienveillante attention? Car le Sage a dit : Heureux celui qui parle à des hommes qui l'écoutent! (Eccli. XXV, 12.) Mais j'en réfère tout l'honneur au jeûne; et si dès les premiers jours il produit de tels fruits dans nos âmes, quelle ne sera pas, dans le cours de la sainte quarantaine, sa divine efficacité ! Je ne vous demande donc qu'une seule chose c'est d'opérer votre salut avec crainte et tremblement (Phil. II, 12), et de ne donner aucun accès à l'ennemi de vos âmes. Il écume de rage et de fureur à la vue de vos richesses spirituelles, et comme un lion rugissant, il tourne autour de vous, cherchant quelqu'un à dévorer. (I Pierre, V, 8.) Mais si nous sommes sur nos gardes, il ne pourra, par la grâce de Dieu, nuire à personne.

2. Et en effet l'armure dont nous revêt l'Esprit-Saint, comme je vous le disais hier, est véritablement une armure invincible, et si nous avons soin de toujours nous en couvrir, aucun des traits de notre ennemi ne pourra nous atteindre. Ils retomberont sur lui, sans nous frapper. Car la grâce divine nous rend plus solides que le diamant , et même , si nous le voulons, entièrement invulnérables. Celui qui frappe un diamant ne l'ébrèche point et ne fait que se fatiguer et s'épuiser lui-même. Le coursier qui résiste à l'éperon se met les flancs tout en sang; et c'est ce qui arrive à l'égard de l'ennemi de notre salut, lorsque nous sommes toujours couverts des armes que nous offre la grâce de l’Esprit-Saint. Leur vertu est si grande que le démon ne saurait en soutenir l'éclat, et que ses yeux en sont tout éblouis. Soyons donc toujours munis de ces armes, et nous pourrons paraître avec sécurité dans la place publique, ou au milieu de nos amis, et vaquer à nos différentes occupations. Mais que parlé-je de la place publique? C'est revêtus de ces armes que nous devons venir à l'ég lise , et retourner dans nos maisons. Bien plus, nous ne devons les quitter, durant toute la vie, ni le jour, ni la nuit; car elles sont les compagnes de notre voyage, et nous aideront puissamment à atteindre notre destinée. Elles ne surchargent point le corps comme une armure matérielle, mais elles le rendent plus dispos, plus agile et plus robuste. Seulement ayons soin de les tenir nettes et brillantes, afin que leur éclat éblouisse les yeux de nos ennemis, qui emploient mille moyens pour nous perdre.

Mais c'est assez parler de cette armure spirituelle, et il convient maintenant de vous servir (19) le festin accoutumé. Reprenons donc le récit de la création à l'endroit ou nous l'avons laissé hier, et, sous la conduite de Moïse, notre saint prophète, asseyons-nous à la table d'une bonne et solide doctrine. Voyons donc ce qu'il veut aujourd'hui nous apprendre, et prêtons à ses paroles une oreille attentive. Car il ne parle point de lui-même, et il n'est que l'organe de l'Esprit-Saint qui par sa bouche instruit tous les hommes. Après nous avoir donc raconté la création de la lumière, il a terminé l'œuvre du premier jour en disant que du soir et du matin se fit le premier jour. Puis il a ajouté : Et Dieu dit: que le firmament soit fait ait milieu des eaux, et qu'il divise les eaux d'avec les eaux. Considérez ici, mes frères, la suite et l'enchaînement de cette doctrine. Moïse nous a d'abord révélé la création du ciel et de la terre; il nous a appris ensuite que celle-ci était invisible et informe, et il nous en donne la raison. C'est qu'elle était couverte par les ténèbres et les eaux, car il n'y avait encore que les eaux et les ténèbres. Alors la lumière se produisit au commandement du Seigneur, qui la sépara des ténèbres, et qui appela la lumière, jour, et les ténèbres, nuit. Et maintenant Moïse nous enseigne que de même que le Seigneur, après avoir créé la lumière, l'avait séparée des ténèbres, et les avait distinguées par un nom spécial, il ordonne ici que les eaux soient divisées.

3. Mais voyez combien est grande la puissance divine; et combien elle surpasse toute intelligence humaine ! Dieu commande, et soudain un élément nouveau se produit et un autre se retire... Et Dieu dit: que le firmament soit fait au milieu des eaux, et qu'il divise les eaux d'avec les eaux. Qu'est-ce donc que cette parole : Que le firmament soit fait? C'est à peu près comme si nous disions dans notre langage : qu'un mur soit établi entre deux éléments pour leur servir de séparation. Et afin de nous faire mieux comprendre et la prompte obéissance des éléments , et le souverain pouvoir du Seigneur, Moïse ajoute immédiatement : Et il fut fait ainsi. Dieu parla et l'œuvre fut achevée... Dieu fit le firmament, et sépara les eaux qui étaient sous le firmament de celles qui étaient au-dessus du firmament. Après donc que Dieu eut créé le firmament, il ordonna qu'une moitié des eaux resterait sous le firmament, et que l'autre moitié demeurerait suspendue au-dessus. Mais enfin qu'est-ce que le firmament? Dirons-nous qu'il est une eau condensée, un air étendu, ou quelque autre élément? Nul homme prudent n'oserait l'affirmer : et il nous convient de recevoir les paroles de l'Ecriture avec une humble reconnaissance, sans franchir les bornes naturelles de notre savoir, ni approfondir des mystères qui surpassent notre intelligence. Il nous suffit donc de savoir et de croire que Dieu, par sa parole, a créé le firmament pour séparer les eaux, et qu'effectivement les unes sont au-dessus et les autres au-dessous.

Et Dieu appela le firmament, ciel. Considérez la suite et l'enchaînement de l'Ecriture. Hier elle s'exprimait ainsi : Que la lumière soit, et la lumière fut; et Dieu sépara la lumière d'avec les ténèbres, et il appela la lumière, jour. Aujourd'hui elle nous dit que le firmament a été fait au milieu des eaux; et de même qu'elle nous a révélé l'usage de la lumière, elle nous apprend ici celui du firmament. Qu'il sépare, dit-elle, les eaux d'avec les eaux. Enfin comme Dieu, après avoir déclaré le but et les fonctions de la lumière, lui avait donné un nom, il en donne également un au firmament. Et Dieu appela le firmament, ciel, c'est-à-dire cette voûte éthérée que nous voyons. Comment donc quelques-uns, direz-vous, peuvent-ils soutenir que plusieurs cieux ont été créés? certes, une telle doctrine ne repose point sur l'Ecriture, elle n'existe que dans leur imagination. Car Moïse ne nous apprend que ce que nous venons de dire; il nous a dit d'abord : Qu'au commencement Dieu créa le ciel et la terre, et que la terre était invisible, parce qu'elle était cachée sous les ténèbres et les eaux. Il nous a ensuite raconté la création de la lumière; et puis la suite du récit l'amenait à nous parler du firmament. Et Dieu dit : que le firmament soit. Mais à quel usage est-il destiné? c'est ce que Moïse a soin de nous apprendre, en disant : Qu'il sépare les eaux d'avec les eaux. Enfin il nous fait connaître que ce même firmament qui séparait les eaux, fut appelé ciel. Qui pourrait donc, après une explication si claire et si lucide, supporter ces esprits qui parlent d'eux-mêmes, et qui contre l'autorité de l'Ecriture, soutiennent la pluralité des cieux? mais ils objectent que le saint prophète David a dit dans ses psaumes : Louez le Seigneur, cieux des cieux. (Ps. CXLVIII, 4.) Eh bien ! ne vous troublez point, mes frères, et ne croyez point que (20) l'Ecriture se contredise jamais. Tout au contraire reconnaissez sa véracité, attachez-vous à sa doctrine, et fermez l'oreille aux cris de l'erreur.

4. Ecoutez donc avec beaucoup d'attention ce que je vais vous dire, et ne vous laissez point facilement ébranler par ceux qui vous débitent toutes leurs rêveries. Tous les livres sacrés de l'Ancien Testament ont été originairement composés en hébreu, personne ne le contredit. Or, quelques années avant la naissance de Jésus-Christ, le roi Ptolémée, curieux de réunir une riche bibliothèque, voulut joindre nos Livres saints à tous ceux de divers genres qu'il avait déjà rassemblés. C'est pourquoi il fit venir de Jérusalem quelques juifs pour les traduire en grec, ce qu'ils exécutèrent heureusement. Et voilà comment il arriva, par une disposition particulière de la Providence, que non-seulement ceux qui entendaient l'hébreu, mais généralement tous les peuples, purent profiter de nos saints Livres. N'est-il pas aussi bien surprenant que ce dessein ait été conçu par un prince idolâtre, et qui, loin de suivre la religion des Juifs, observait un culte tout opposé? Mais c'est ainsi que le Seigneur dispose toutes choses, afin que les ennemis de la vérité soient les premiers à la faire éclater.

Au reste cette digression historique était nécessaire , pour vous rappeler que l'Ancien Testament n'a pas été écrit en grec, mais en hébreu. Or les hébraïsants les plus distingués nous apprennent que dans cette langue on emploie toujours le mot ciel au pluriel. Les docteurs syriens en conviennent eux-mêmes; et ainsi un hébraïsant ne dira jamais le ciel, mais les cieux. Le psalmiste a donc eu raison de dire les cieux des cieux. Et ce n'est point qu'il y ait plusieurs cieux, car. Moïse ne vous le dit pas; mais c'est le génie de la langue hébraïque qui emploie le singulier pour le pluriel.

S'il y avait en effet plusieurs cieux, l'Esprit-Saint nous en aurait appris par Moïse l'existence et la formation. Retenez avec soin cette observation, afin que vous puissiez fermer la bouche à tous ceux qui avancent des dogmes contraires à l'enseignement de l'Eg lise , et que vous demeuriez convaincus de la véracité de nos saintes Ecritures. Car vous ne vous réunissez ici fréquemment, et nous ne vous faisons d'amples instructions que pour vous mettre en état de rendre raison de votre foi. (I Petr. III,115.)

Mais revenons, s'il vous plait, à notre sujet. Et Dieu appela le firmament, ciel; et il vit que cela était bon; observez comme Moïse se proportionna à notre faiblesse. Il a dit de la lumière : et Dieu vit qu'elle était bonne; et maintenant il dit du firmament ou du ciel, et Dieu vit qu'il était bon. Cette parole nous donne une juste idée de sa beauté : et n'y a-t-il pas lieu de s'étonner que depuis tant de siècles, il la conserve dans tout son éclat? Il semble même qu'elle augmente avec le cours des années. Au reste, quelle n'est point la splendeur du firmament, puisque Dieu lui-même l'a loué ! Quand on nous présente quelque chef-d'oeuvre de l'art, une statue, par exemple, nous en admirons les traits, la pose, la délicatesse, les proportions, l'élégance et les autres qualités, mais qui pourrait célébrer dignement les couvres de Dieu, surtout lorsqu'il les a lui-même louées? Moïse ne s'exprime donc ainsi que par condescendance pour notre faiblesse; et il répète le même éloge après chaque création partielle, afin de réfuter par avance ceux qui, dans le cours des siècles, devaient critiquer l'œuvre divine, et aiguisant leur langue, demander pourquoi le Seigneur a fait telle et telle créature. Il les prévient et les confond par cette seule parole : et Dieu vit que cela était bon. Mais lorsqu'on vous dit que Dieu vit et loua son ouvrage, il faut entendre qu'il l'a loué d'une manière digne de lui. Car Celui qui a créé le ciel, en connaissait la beauté avant que de le produire; et néanmoins, parce que nous autres hommes, nous sommes si peu intelligents, que nous ne saurions comprendre autrement les choses, il a proportionné les paroles de Moïse à notre faiblesse, et lui a inspiré pour notre instruction ce langage imparfait et grossier.

5. Quand vous élevez donc vos regards vers les cieux et que vous en contemplez la magnificence , l'étendue et la beauté , remontez jusqu'au Créateur, selon ce que dit le Sage que la grandeur et la beauté de la créature peut faire connaître, et rendre en quelque sorte visible le Créateur. (Sag. XIX, 5.) Comprenez aussi, par la création de tant d'éléments divers, quelle est la puissance de votre Maître. Et en effet si l'homme voulait appliquer son intelligence à l'étude de chacune des merveilles de la nature, ou même s'il se bornait à l'examen de sa propre formation, il ne lui en faudrait pas davantage pour proclamer l'ineffable et (21) immense puissance du Seigneur. Mais dès lors que les créatures visibles célèbrent ainsi la grandeur et la puissance du Créateur, que sera-ce quand vous vous élèverez jusqu'aux créatures invisibles? Oui, atteignez par la pensée les phalanges célestes, les anges et les archanges, les vertus et les trônes, les dominations et les principautés, les puissances, les chérubins et les séraphins, et dites-moi quel génie, et quelle langue pourraient expliquer l'ineffable magnificence des oeuvres du Seigneur !

Le saint prophète David s'écriait, à la vue des merveilles de la création : ô Dieu, que vos oeuvres sont magnifiques! vous avez tout accompli avec sagesse. (Ps. C, 24.) Mais si ce prophète, rempli du Saint-Esprit qui lui révélait les mystères de la Sagesse éternelle, faisait entendre ces accents d'admiration, que dirons-nous, nous qui ne sommes que cendre et poussière ! Nous ne pouvons que tenir nos regards humblement abaissés, et notre esprit continuellement, ravi des ineffables bontés du Seigneur. Et maintenant, après le Psalmiste, écoutons le bienheureux Paul. Cet apôtre, élevé dans un corps mortel jusqu'au plus haut des cieux, et qui sur la terre rivalisait d'amour avec les esprits angéliques, parcourant un jour avec la vive ardeur de l'esprit la vaste étendue des cieux, s'arrêta sur les secrets de la prédestination divine. Il s'agissait des juifs et des gentils, dont les uns ont été rejetés et les autres substitués en leur place; et comme il hésitait, et que sa vue se troublait, il s'écria: O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu! que ses jugements sont incompréhensibles, et ses voies impénétrables! (Rom. II, 33.)

Mais ici j'interrogerais volontiers ceux qui veulent curieusement approfondir la génération du Verbe, ou qui tentent de diminuer la dignité de l'Esprit-Saint, et je leur dirais: d'où Nous vient cette audacieuse témérité, et qui peut vous inspirer cette extravagante folie ? Car si Paul, avec tout son génie et ses lumières, déclarait que les jugements du Seigneur, c'est-à-dire l'ordre et l'économie de sa providence, sont impénétrables et incompréhensibles, en sorte que nul ne doit se permettre de les approfondir; et s'il proclame que ses voies, c'est-à-dire ses commandements et ses préceptes, se dérobent à toutes nos recherches, comment osez-vous discourir curieusement sur la nature du Fils unique de Dieu, et rabaisser, autant qu'il est en vous, la dignité de l'Esprit-Saint?

Voyez donc, mes chers frères , combien il est malheureux de ne pas s'attacher au vrai sens des saintes Ecritures ! Et en effet, si ces hérétiques avaient reçu leur divin enseignement avec un esprit droit et un coeur bon , ils ne se fussent point ainsi égarés dans leurs propres raisonnements, et jamais ils ne fussent tombés dans cette extrême folie. Cependant nous ne cesserons de leur opposer les témoignages de nos livres saints, ni de fermer l'oreille à leurs funestes doctrines.

6. Je ne sais comment l'impétuosité de la pensée et de la parole m'a entraîné bien loin de mon sujet : je me hâte donc d'y revenir. Et Dieu, dit Moïse, appela le firmament, ciel, et Dieu vit que cela était bon; et du soir et du matin se fit le second jour. Ainsi après que Dieu eut donné un nom au firmament et qu'il eut approuvé son ouvrage, il termina le second jour de la création, et il dit : Et du soir et du matin se fit le second jour. Remarquez ici quelle précision Moïse met dans son enseignement. Il nomme soir la fin du jour, et matin, la fin de la nuit, puis il appelle jour la durée comprise entre l'une et l'autre; en sorte qu'il prévient toute erreur et ne nous permet pas de considérer le soir comme la fin du jour, car nous savons manifestement que le jour se compose du soir et du matin. Ainsi l'on parle exactement en disant que le soir est la disparition de la lumière, le matin celle de la nuit, et que la durée de l'une et de l'autre forme le jour. C'est ce que l'Écriture a voulu nous faire entendre par ces mots : Et du soir et dit matin se fit le second jour.

Je me suis peut-être plus étendu que je ne voulais, et je me suis laissé entraîner par le Pot des idées, comme l'on est quelquefois emporté par le courant d'un fleuve. Vous en êtes la cause, vous qui nous écoutez avec tant de dé plaisir. Car rien n'excite plus un orateur et ne féconde mieux sa pensée que la joie et l'empressement de ses auditeurs. Au contraire quand ils sont froids et indifférents, ils frappent de stérilité la bouche la plus éloquente. C'est pourquoi je vous rends ce témoignage, que, par la grâce de Dieu, lors même que je serais plus muet qu'une pierre, vous me forceriez à secouer cette léthargie et à dissiper cette somnolence, pour vous adresser des paroles qui vous conviennent et qui soient (22) propres à vous édifier. Mais puisque vous êtes si bien disposés et si éclairés de Dieu même,. que vous pouvez, selon la pensée de l'Apôtre, instruire les autres, je vous conjure de travailler à la sanctification de vos âmes, principalement pendant ces jours de jeûne. Et alors vous ne vous lasserez point de m'entendre traiter souvent les mêmes sujets : car, selon le mot de saint Paul, il ne m'est pas pénible, et il vous est avantageux que je vous dise les mêmes choses. (Philip. III, 1.) Notre âme, qui est naturellement paresseuse, a besoin d'être sans cesse excitée ; et de même que nous nourrissons chaque jour notre corps, de peur que la faiblesse ne le rende incapable de tout service, nous devons à notre âme une nourriture spirituelle et une sage direction qui lui fasse contracter l'habitude de la vertu, qui la rende victorieuse de ses ennemis et qui la préserve de leurs embûches.

7. Appliquons-nous donc chaque jour à exercer les forces de cette âme, et ne négligeons point l'examen de notre conscience. Tenons comme un registre exact de ce que nous recevons et de ce que nous dépensons : avons-nous toujours parlé utilement et à propos? ne nous est-il point au contraire échappé quelque parole oiseuse, et nos entretiens ont-ils été utiles ou nuisibles? Il convient aussi de nous prescrire là-dessus certaines règles et de nous fixer certaines limites, en sorte que toujours la réflexion précède en nous la parole. Quant à notre pensée elle-même, elle doit être si bien dirigée que jamais elle ne s'arrête sur le mal; et s'il lui arrivait de s'échapper au dehors par quelques mots peu convenables, nous devons sur-le-champ les condamner comme inutiles et dangereux. Il importe aussi de chasser par une bonne pensée toute impression mauvaise, et d'être bien persuadés qu'il ne suffit pas, pour être sauvés, de jeûner jusqu'au soir. Et en effet le Seigneur, par la bouche du prophète, adressait ces reproches aux Juifs corrompus : Quand vous avez jeûné le cinquième et le septième mois pendant soixante et dix. ans, est-ce pour moi que vous avez accompli ce jeûne? et quand vous avez mangé et quand vous avez bu, n'est-ce pas pour vous que vous avez mangé et que vous avez bu ? Voici donc ce que dit le Seigneur, le Dieu des armées : Jugez selon la justice, et usez de clémence et de miséricorde les uns envers les autres ; n'opprimez point la veuve, ni l'orphelin, ni l'étranger, ni le pauvre, et que nul ne médite dans son coeur le mal contre son frère. (Zach. VII, 5, 6... 9, 10.)

Mais si le jeûne seul ne servait de rien aux Juifs qui étaient assis à l'ombre de la mort et plongés dans les ténèbres de l'erreur, parce qu'ils n'y joignaient pas la pratique des bonnes oeuvres et qu'ils n'arrachaient point de leurs coeurs les pensées mauvaises contre leurs frères, quelle excuse pourrons-nous alléguer, nous qui sommes appelés à une vertu bien plus sublime, nous qui devons et pardonner à nos ennemis et les aimer et leur faire du bien? Que dis-je? ce n'est pas encore assez nous devons prier Dieu pour eux et lui recommander leur salut. Ces sentiments de charité et de bienveillance à l'égard de nos ennemis seront notre principale défense au grand jour du jugement, et ils nous obtiendront la rémission de nos péchés. Sans doute l'amour des ennemis est un précepte grand et difficile; mais si nous considérons quelle récompense est attachée à son exacte observation, il nous paraîtra léger, quelque ardu qu'il soit en lui-même. Et en effet, que nous dit le Sauveur? Si vous faites cela, vous serez semblables ci votre Père qui est dans les cieux; et pour mieux nous manifester sa pensée, il ajoute qui fait luire le soleil sur les bons et sur les méchants, et qui fait pleuvoir sur les justes et les injustes. (Matth. V, 45.) Ainsi en aimant ses ennemis, on imite Dieu autant que la faiblesse humaine peut le permettre. Car de même qu'il fait luire le soleil sur ceux qui commettent le mal non moins que sur les justes, et qu'il dispense selon les saisons la pluie et la rosée sur les champs de l'homme de bien et du méchant, vous, en aimant non-seulement ceux qui vous aiment, mais vos ennemis eux-mêmes, vous vous montrez le digne émule du Seigneur.

Vous voyez donc que l'amour des ennemis nous élève jusqu'au faîte de la vertu. Mais ne vous arrêtez pas, mon cher frère, à ne considérer que la difficulté du précepte; réfléchissez aussi à l'honneur qui vous en reviendra, et cette pensée vous rendra léger tout ce qu'il renferme de lourd et de pénible. N'est-ce pas une grâce insigne que de trouver, en faisant du bien à son ennemi, l'occasion de s'ouvrir vers Dieu les portes de la confiance, et de racheter ses péchés ? Mais peut-être voulez-vous aujourd'hui vous venger de votre ennemi, et lui rendre avec usure le mal qu'il vous a fait? eh bien ! quelle utilité en (23) retirerez-vous ? Vous n'y gagnerez rien; et quand vous paraîtrez devant le redoutable tribunal, votre jugement n'en deviendra que plus rigoureux, parce que vous aurez méprisé et violé les lois du Juge suprême. Dites-moi encore: Si un roi imposait, sous peine de mort, l'amour des ennemis, tous, par la crainte seule du supplice, s'empresseraient à observer cette loi. Mais quels reproches ne mérite donc pas celui qui, disposé à tout entreprendre pour sauver une vie que la nature doit inévitablement lui arracher, néglige la pratique des préceptes divins, quoiqu'on le menace d'une mort qui n'aura ni fin, ni consolation?

8. Mais je m'oublie en parlant ainsi à des chrétiens qui négligent envers leurs bienfaiteurs les devoirs mêmes de la reconnaissance. Qui pourra donc nous garantir des supplices éternels puisque, loin d'aimer nos ennemis, nous en faisons moins que les publicains. Si vous aimez, dit Jésus-Christ, ceux qui vous aiment, quel effort faites-vous ? Les publicains ne le font-ils pas aussi? (Matth. V, 45.) Mais puisque nous n'allons pas même jusque-là, quelle espérance de salut nous reste-t-il encore? C'est pourquoi je vous exhorte à vous montrer miséricordieux les uns envers les autres, à réprimer toute pensée contraire à la charité, et à ne riva lise r entre vous que de bienveillance et d'amitié: chacun doit aussi, selon la parole de l'Apôtre, croire les autres au-dessus de soi (Philip. II, 3), et ne point se laisser vaincre en bons offices. C'est ainsi que nous nous surpasserons mutuellement en charité, et que nous témoignerons à ceux qui nous aiment plus de zèle et d'affection. La charité est en effet le plus ferme appui, et la plus grande consolation de notre vie; et ce qui distingue éminemment l'homme de la brute, c'est qu'il ne tient qu'à nous, si nous le voulons, d'entretenir la paix et l'union avec nos frères, et de leur montrer la plus cordiale bienveillance. Il suffit pour cela de conserver entre nous l'ordre convenable et la bonne harmonie, et d'enchaîner notre colère, qui est véritablement une bête féroce. Traînons-la en esprit au pied du redoutable tribunal, afin de la plier à aimer nos ennemis soit par l'espoir des plus magnifiques récompenses, soit par la crainte des plus affreux supplices, si elle persévère dans son ressentiment.

Le temps ne nous est point donné pour que nous le perdions en des occupations inutiles et frivoles. Mais nous devons chaque jour, et à chaque heure du jour, nous remettre sous les yeux les jugements du Seigneur, afin de mieux connaître ce qui alors nous donnera plus de confiance, ou nous inspirera plus de crainte. Cette pratique et ces réflexions nous aideront beaucoup à dompter nos mauvaises inclinations, et à réprimer les mouvements de la concupiscence. Faisons mourir en nous, comme parle l'Apôtre, les membres de l'homme terrestre, la fornication, l'impureté, les passions déshonnêtes, les mauvais désirs, l'avarice, la colère, la vaine gloire et l'envie. (Coloss. III, 5.) Si ces affections mauvaises sont réellement mortes en nous, et si elles ne s'y font plus sentir, nous mériterons de recevoir les fruits de l’Esprit-Saint, qui sont la charité, la joie, la paix, la patience, la bénignité, la bonté, la foi, la douceur et la chasteté. (Gal. V, 22.) Tel est le caractère qui doit distinguer le chrétien de l'infidèle, et telles les marques qui doivent le faire reconnaître. Ne nous parons donc pas d'un nom vide et stérile, et ne nous enflons point d'un vain orgueil, parce que nous étalons les apparences extérieures de la piété. Mais quand même nous posséderions toutes les vertus que je viens d'énumérer, loin d'en tirer vanité, ne songeons qu'à nous humilier davantage, selon cette parole du Sauveur : Lorsque vous aurez fait tout ce qui vous a été commandé, dites: nous sommes des serviteurs inutiles. (Luc, XVII, 10.) Cette sollicitude pour notre salut nous sera utile à nous-mêmes, puisqu'elle nous garantira des supplices éternels; elle ne sera pas moins avantageuse à nos frères qui s'instruiront en voyant nos bonnes couvres. Enfin, après une vie vraiment chrétienne, nous obtiendrons de la bonté divine ces récompenses éternelles que je vous souhaite, par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient la gloire, l'empire et l'honneur dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

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