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QUARANTE-SEPTIÈME HOMÉLIE. « Après cela Dieu tenta Abraham. » (Gen. XXII, 1.)
ANALYSE.
1-4. Courage d'Abraham et obéissance d'Isaac. Le sacrifice d'Abraham figure du sacrifice de la croix. Exhortation.
1. Un gain considérable se montre pour nous dans la lecture d'aujourd'hui, trésor ineffable, caché dans ces paroles si courtes. Tel est le caractère des oracles divins: de grandes richesses s'y découvrent, non dans la multitude des paroles, mais dans la brièveté même des expressions. Eh bien donc, étudions le texte d'aujourd'hui, appliquons toute notre attention à la lecture de ce jour. C'est ainsi que nous comprendrons, de mieux en mieux, et la parfaite vertu du patriarche, et ce qu'il y a d'excellent dans la clémence de Dieu. Après cela Dieu tenta Abraham. Que signifient ces paroles : Après cela, Dieu tenta Abraham? Remarquez, je vous en prie, comme dès maintenant, la divine Ecriture se propose de nous découvrir la vertu du juste; elle va nous raconter comment Abraham fut tenté par Dieu. Mais d'abord, elle veut que nous sachions à quel moment le patriarche reçut cet ordre qui lui commandait de sacrifier Isaac; elle veut que vous compreniez la parfaite obéissance du patriarche, en quelle circonstance de temps ce patriarche montra que rien n'est préférable aux ordres de Dieu. Que signifient donc ces paroles : Après cela ? C'est que, après la naissance d'Isaac, Sara voyant Ismaël avec Isaac, comme nous vous l'avons dit hier, ne put supporter ce spectacle, et elle disait à Abraham : Chassez cette servante avec son fils, car le fils de cette servante ne sera point héritier avec mon fils. (Gen. XXI, 10.) Et comme cette parole paraissait dure au patriarche , Dieu voulant le consoler, lui dit : Ecoutez Sara, votre femme, et faites ce qu'elle vous a dit. Vous ne devez pas trouver dur ce qui vous a été dit touchant votre fils et votre servante : C'est d'Isaac que sortira la race qui doit porter votre nom. (Ibid. 12,) de le ferai le chef d'un grand peuple, parce qu'il est votre race. Et toutes les promesses , à lui faites par Dieu, se réduisaient à la prédiction que les enfants d'Isaac se multiplieraient de manière à former un grand peuple. Le juste vivait donc dans cette heureuse espérance; après tant d'épreuves si pénibles, après tant de douleurs, ayant reçu sa récompense, jouissant enfin d'une sécurité parfaite, voyant l'héritier qui devait lui succéder, il vivait tranquille , heureux , consolé. Mais celui qui connaît les secrets des coeurs, voulut nous découvrir la vertu de ce juste, la perfection de son amour pour Dieu. Et voilà pourquoi, après tant de promesses, après la dernière promesse, toute récente, dont le souvenir était si présent à l'esprit d'Abraham; au moment où Isaac était déjà grand, à la fleur de l'âge; au moment où croissait l'amour que lui portait son père ; après cette promesse, après avoir dit : C'est d'Isaac que sortira la race qui doit porter votre nom, et il sera votre successeur : Après cela, Dieu tenta Abraham, Qu'est-ce à dire, tenta ? Ce n'est pas parce que Dieu ne connaissait pas Abraham, qu'il (319) le tenta; il ne voulut pas l'éprouver; mais Dieu voulait, et que les hommes du temps d'Abraham, et que tous ceux qui se succéderaient, depuis ce temps jusqu'à nos jours, apprissent, par l'exemple du patriarche, à montrer le même amour , la même obéissance aux préceptes du Seigneur. Et, dit le texte, il lui dit : Abraham , Abraham, Abraham lui répondit : Me voici. Que veulent dire ces deux, Abraham, Abraham ? Grande preuve de la bienveillance du Seigneur pour le patriarche. Il lui montrait d'ailleurs, par la manière de l'appeler, qu'il avait à lui communiquer un ordre important. Donc, pour le rendre plus attentif, il l'appelle deux fois, et il lui dit: Abraham, Abraham. Et Abraham lui dit: Me voici. Et Dieu lui dit : Prenez Isaac votre fils chéri, que-vous chérissez, Isaac, et allez sur la hauteur et offrez-le en holocauste sur une des montagnes que je vous montrerai. (Ibid. 2.) Il était lourd à porter le poids d'un tel ordre; voilà qui surpasse la force humaine : Prenez votre fils chéri, que vous chérissez , Isaac. Voyez comme ces paroles allument , activent le feu du bûcher, la fournaise de l'amour , que le juste éprouvait pour son Isaac : Prenez votre fils chéri, que vous chérissez, Isaac. Chacun de ces mots, tout seul, suffisait pour déchirer l'âme du juste. Dieu ne dit pas simplement, Isaac, mais il ajoute votre fils ; que, contre toute attente, vous avez engendré; que vous avez pu avoir dans votre vieillesse ; chéri : votre enfant aimé , que vous chérissez si tendrement, Isaac que vous attendez, comme votre héritier; dont je vous ai promis que sortirait votre race , qui se multiplierait tant, qu'elle égalerait en nombre la multitude des étoiles , et les grains de sable, le long du rivage de la mer. Eh bien, c'est lui-même : Prenez-le, et allez sur la hauteur , et offrez-le en holocauste sur une des montagnes que je vous montrerai. On s'étonne comment le juste a pu supporter d'entendre ces paroles : Eh bien, c'est lui-même, dit Dieu, votre fils tant désiré; offrez-le en sacrifice sur une des montagnes. Que fait alors le juste ?son esprit n'est pas troublé ; sa pensée n'est pas confondue; il n'hésite pas un seul instant devant un commandement qui devait le frapper de stupeur ; il ne fait pas de réflexion, de raisonnement : Qu'est-ce que cela veut dire? Celui qui, contre toute attente, m'accorde généreusement une postérité; qui, n'écoutant que sa propre bonté, a vivifié ce qui était mort , la stérilité de Sara ; maintenant que l'enfant a été nourri de son lait, a grandi, est dans la fleur de l'âge, voilà qu'il me commande de le tuer, de l'offrir en sacrifice lorsqu'il y a peu de moments encore, il me disait : C'est de lui que sortira la race qui doit porter votre nom; il me donne maintenant des ordres contraires. Et comment s'accompliront ces promesses ? Comment se peut-il qu'en coupant la- racine, on voie se propager les rameaux; qu'en abattant l'arbre, on en tire des fruits ; qu'en desséchant la source , on fasse jaillir des fleuves? Selon la raison humaine, de telles choses sont impossibles; mais tout est possible à la volonté de Dieu.
2. L'homme juste d'ailleurs ne fit aucune de ces réflexions. Comme un sage serviteur, supprimant tout raisonnement humain, il ne prit soin que d'une chose, d'accomplir, de réa
Ne passons point ici à la légère, mes bien. aimés, attention à la parole. Considérons, méditons; comment son âme ne s'est-elle pas envolée de son corps; comment, de ses propres mains a-t-il pu lier et sur le bois placer son enfant chéri, si digne d'amour, son fils unique? Et Abraham, dit le texte, étendit la main, et prit le couteau pour immoler son fils. O piété ! ô courage ! ô persistance de l'amour! ô raison victorieuse de la nature humaine ! Il prit, dit le texte, le couteau, pour immoler son fils. Qui doit le plus ici exciter notre admiration, nous frapper de stupeur? Le courage du patriarche, ou l'obéissance de l'enfant? Il ne lutte pas pour échapper, il ne se plaint pas, il se laisse faire, il obéit à son père, c'est un agneau paisible qu'on met sur l'autel, et l'enfant attend, doucement résigné, la main de son père. Mais une fois que cette âme, tout entière à Dieu, a montré sans aucune défaillance la consommation de toutes les vertus, la bonté du Seigneur se révèle et prouve qu'il n'a pas voulu la mort de l'enfant; qu'il a voulu bien plutôt manifester la vertu de l'homme juste. Au juste la couronne, pour le zèle de sa (321) volonté; le sacrifice est consommé dans là pensée du patriarche. Dieu l'agrée, et lui déclare maintenant son affection toute particulière. Et lange du Seigneur, dit le texte, lui cria du haut du ciel : Abraham, Abraham! (Ibid. 11.) Gomme il voyait le juste tout prêt, sur le point d'achever le sacrifice, décidé à accomplir l'ordre du Seigneur, du haut du ciel, il lui crie
Abraham, Abraham, et il fait bien de l'appeler deux fois, pour prévenir la rapidité de lhomme juste. Et la voix qui se fait entendre, retient la main du juste qui déjà égorge l'enfant. Et Abraham répondit : Me voici. Et l'ange dit : Ne mettez point la main sur l'enfant, et nelui faites rien. Je. connais maintenant que vous. craignez Dieu , puisque pour m'obéir , vous n'avez point épargné votre fils unique. (Ibid. 12.) Ne mettez point la main, dit le texte, sur l'enfant. Je n'ai pas donné le commandement pour que l'ordre s'accomplisse ; je ne veux pas que ton fils soit tué de tes mains , mais je veux rendre ton, obéissance manifeste devant tous les hommes ; donc ne lui fais rien. Il me suffit de ta volonté, et , pour cette bonne volonté, je te couronne, et je proclame ta gloire. Car, maintenant, je sais bien que tu crains le Seigneur. Voyez, ici, comme le discours s'accommode à notre infirmité. Quoi donc ! est-il vrai de dire que Dieu, jusqu'à ce moment, ignorait la vertu de l'homme juste, que ce n'est qu'à partir de ce moment qu'il commence à la connaître, lui, le Seigneur de toutes les créatures? Non; le texte ne veut pas dire que ce soit dès cet instant seulement que Dieu connaît la vertu d'Abraham; mais que veut dire le texte? C'est maintenant, dit-il, que tu as manifesté à tous, que tu crains Dieu, sincèrement, du fond du coeur. Je n'avais pas besoin, moi, de mieux connaître mon serviteur; mais l'action que tu viens de faire , sera, et pour les hommes d'aujourd'hui, et pour les générations à venir, un enseignement. Car, dès ce moment, tu as fait connaître à tous, que tu crains le Seigneur, et que tu te hâtes d'accomplir ses commandements. Puisque tu n'as pas épargné ton fils chéri; à cause de moi, ce fils qui t'est si cher, que tu aimes d'un amour si ardent, tu ne l'as pas épargné ; à cause de moi , à cause de mon, commandement; tu as préféré mon ordre à ton fils. Et bien, maintenant je te rends ton fils, car c'est pour te récompenser, que je t'ai promis que ta race s'étendrait à travers les siècles. Reçois donc la couronne de ton obéissance, et va-t'en, car c'est à la volonté que j'accorde la couronne ; c'est à l'âme que je décerne les riches récompenses. Il faut réa
Maintenant, toute cette histoire était la figure de la croix. Voilà pourquoi le Christ disait aux Juifs: Abraham, votre père, a désiré avec ardeur de voir mon jour, il l'a vu et a été rempli de joie. (Jean, VIII, 56.) Comment l'a-t-il vu, lui qui vivait tant d'années auparavant? Il en a vu la figure, il en a,vu l'ombre; car, de même qu'ici le bélier a été offert à la place d'Isaac, de même l'Agneau spirituel a été offert à la place du monde. Il fallait, en effet, une figure pour dépeindre par avance la vérité. Voyez, en effet, je vous en conjure, mes bien-aimés, comment toute l'histoire du Christ est ici figurée par avance. Fils unique d'un côté, fils unique de l'autre; fils chéri, d'un côté, propre fils; fils chéri, de l'autre côté, propre fils également; car celui-ci est mon Fils bien-aimé, dans lequel j'ai mis toute mon affection. (Matth. III, 17.) L'un a été offert par son père en sacrifice; et l'autre, son père l'a livré; c'est ce que nous crie la voix de Paul : Lui qui n'a pas épargné son propre Fils, mais qui l'a livré à la mort pour nous tous, ne nous donnera-t-il point aussi toutes choses avec lui ? (Rom. VIII, 32.) Jusqu'ici, nous n'avons qu'une figure; mais ensuite, c'est la vérité, laquelle se montre (322) bien supérieure à la figure; car l'Agneau spirituel a été offert pour le monde entier; il a purifié la terre entière; il a délivré les hommes de l'erreur, et les a ramenés à la vérité; il a changé la terre, pour en faire le ciel. Ce n'est pas qu'il ait changé la nature des éléments, mais c'est qu'if a apporté les vertus célestes aux hommes qui vivent sur la terre. Par cet, agneau, le culte des démons a été anéanti; par cet agneau, il est arrivé que les hommes n'adorent plus des pierres et des morceaux de bois; que les êtres doués de raison ne s'inclinent plus devant des objets insensibles ; que toute erreur a été bannie, que la lumière de la vérité a éclairé le monde.
4. Comprenez-vous l'excellence de la vérité? Comprenez-vous ce qui est l'ombre d'une part, d'autre part, la vérité? Et Abraham, dit le texte, appelai ce lieu d'un nom qui signifie le Seigneur voit. C'est pourquoi on dit encore aujourd'hui : Le Seigneur a été vu sur la montagne. (Ibid. 14.) Voyez la piété de l'homme juste; comme toujours il donne aux lieux des noms pris des événements gui s'y sont accomplis. Il veut rappeler la visite que Dieu lui a faite, la graver, pour ainsi dire, sur une colonne d'airain; dans le nom qu'il donne au lieu. De là, il appela ce lieu d'un nom qui signifie le Seigneur voit. Sans doute,.c'était pour le juste une assez belle récompense, que de ramener Isaac vivant, que d'avoir mérité la gloire insigne de s'entendre dire : Je connais maintenant que vous craignez Dieu. Mais celui qui est jaloux de nous surpasser par ses dons, qui triomphe toujours par ses bienfaits, comble le riche de la variété de ses récompenses, et il lui dit encore : L'ange du Seigneur appela Abraham pour la seconde fois, du haut du ciel, et lui dit : Je jure par moi-même, dit le Seigneur, que puisque nous avez fait cette action, et que, pour m'obéir, vous n'avez point,épargné votre fils unique, je vous bénirai, vous bénissant moi-même; je, multiplierai, la multipliant moi-même, votre race, comme les étoiles du ciel et comme le sable qui est sur le rivage de la, mer: Votre postérité possédera les villes de ses ennemis, et toutes les nations de la terre seront bénies dans Celui qui sortira de vous, parce que vous avez obéi à ma voix. (Ibid. 15, 16, 17,18.) Attendu, dit-il, que vous avez accompli mon commandement, que vous m'avez, par tous les moyens, manifesté votre obéissance, écoutez : Je jure, par moi-même, dit le Seigneur. Voyez la cou. descendance que Dieu nous montre dans son langage: Je jure, dit-il, par moi-même, afin de vous donner une parfaite confiance, que mes paroles seront réalisées. Les hommes, quand ils ajoutent des serments aux promesses, rendent la promesse plus digne de foi, pour ceux à qui elle s'adresse. Voilà pourquoi le Seigneur prononce ces paroles, en se conformant aux habitudes humaines : Je jure par moi-même que, puisque vous avez fait cette action, et que, pour m'obéir, vous n'avez point épargné votre fils chéri. Considérez, je vous en conjure, la clémence du Seigneur. Vous n'avez point épargné, pour m'obéir, votre fils chéri. Et cependant il le ramène vivant. Ne considérez pas le fait, mon bien-aimé, mais la volonté, mais l'intention qui faisait accomplir sans raisonner, sans hésiter l'ordre reçu. En ce qui concerne la volonté, le patriarche avait ensanglanté sa main ; il avait enfoncé le glaive dans la gorge de l'enfant; il avait offert; consommé le sacrifice. Le Seigneur regarde le sacrifice comme consommé, et il loue le juste; et il dit : Pour m'obéir, vous n'avez point épargné votre fils chéri. Vous, de votre côté, vous ne l'avez pas épargné, par obéissance; mais moi, de mon côté, je l'épargne, à cause de votre obéissance. Et, pour vous récompenser de cette obéissance: Je vous bénirai, et, multipliant moi-même, je vous multiplierai. Voyez : la bénédiction est à son comble; c'est-à-dire je multiplierai votre race. Celui que votre volonté a tué, propagera votre race, qui se multipliera, au point d'égaler les étoiles du ciel et le sable: Et toutes les nations de la terre seront bénies dans votre race, parce que vous avez obéi à ma voix. Tous ces dons, dit le Seigneur, seront la récompense de votre obéissance parfaite.
Ainsi, voilà qui nous attire des biens sans nombre; l'obéissance à Dieu, la docilité à ses ordres , la simplicité qui s'abstient, comme ce patriarche , d'examen curieux; qui ne se de. mande pas pourquoi tel ordre a été donné. Il faut donc, pour mériter ces biens, obéir comme font les serviteurs sages , sans demander de comptes au Seigneur. Fortifiés par ces enseignements, nous pourrons, nous aussi, montrer l'obéissance de ce juste et obtenir les mêmes couronnes. L'obéissance, comment ? en accomplissant, par nos actions, les ordres de Dieu. Car, ce ne sont point, dit l'Apôtre, ceux qui écoutent la loi, qui seront (323) justifiés, mais ceux qui la pratiquent. (Rom. II,13.) En effet, quelle utilité d'entendre chaque jour la. loi, et d'en négliger les oeuvres? C'est pourquoi, je vous en prie, hâtons-nous de pratiquer les bonnes oeuvres ; impossible autrement d'obtenir le salut; pratiquons-les, afin d'expier nos péchés, afin de mériter la clémence du Seigneur, parla grâce, parla miséricorde, par les mérites de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, et à l'Esprit saint et vivifiant, la gloire, maintenant, et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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