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QUARANTE-UNIÈME HOMÉLIE. « Dieu apparut à Abraham, près du chêne de Mambré, lorsquil était assis à la porte de sa tente à midi. » (Gen. XVIII, 1).
ANALYSE.
1-2. Saint Chrysostome se plaint amèrement à ses auditeurs de ce qu'ils fréquentent les théâtres et l'hippodrome. S'il en était de la culture des âmes comme de celle des terres, il devrait cesser de cultiver un fonds qui reste stérile malgré ses efforts. Mais la récompense ne manque jamais à celui qui sème dans les âmes, soit que la semence donne des fruits , soit qu'elle n'en donne pas. C'est la raison qui le détermine à continuer ses instructions. Si le docteur qui néglige d'annoncer la parole mérite une punition, l'auditeur qui néglige d'en profiter en mérite une également. 3-6. Hospitalité exemplaire d'Abraham. Le patriarche exerce l'hospitalité avec empressement, il l'exerce par lui-même, il l'exerce pour plaire à Dieu. 7. Exhortation morale.
4. C'est avec l'hésitation et le découragement dans l'âme, que je me présente aujourd'hui pour faire l'instruction. Quand je songe que, malgré nos discours et nos exhortations quotidiennes, malgré ce festin spirituel que nous vous présentons, beaucoup des personnes qui assistent à ces instructions et qui s'approchent de la table mystérieuse et terrible, perdent leurs journées à l'hippodrome, sans s'inquiéter de nos conseils; mais comme s'ils obéissaient à une habitude invincible , au premier signe du démon, ils courent d'eux-mêmes à ce spectacle impie et se laissent prendre volontairement dans les filets du malin esprit; ils ne songent plus à nos avertissements, au danger qu'ils courent et à l'inutilité de l'instruction qu'ils viennent recevoir ici; quand je songe à cela, puis-je, de bon coeur, continuer d'offrir l'aliment de la doctrine à ceux qui n'en veulent pas profiter? Ne vous étonnez pas de mon découragement. Un laboureur dont le champ reste stérile, malgré toutes ses peines et tous ses soins, n'ose plus l'ensemencer et répugne à le cultiver. Lorsqu'un malade, rebelle aux ordonnances, semble vouloir chaque jour aggraver sa maladie, son médecin l'abandonne quelquefois à ses souffrances pour que l'expérience lui serve de leçon. De même les précepteurs, voyant les enfants négliger leurs premières études et oublier ce qu'ils ont appris, ne trouvent pas de meilleur moyen pour corriger leur paresse et les ramener au travail que de les abandonner quelque temps. Du reste, le laboureur a souvent raison de se décourager quand il voit ses pertes s'accroître avec ses fatigues et sa dépense, quand il travaille beaucoup et qu'il ne récolte rien, Le médecin a souvent raison d'abandonner son malade : car c'est le corps qu'il soigne, et il peut espérer qu'en le laissant à lui-même le sentiment de la douleur lui fera comprendre sa maladie et l'empêchera de repousser la médecine. Le précepteur rencontre trop souvent, dans les défauts du jeune âge, une juste occasion de châtier les enfants. Aujourd'hui nous chercherons à- les surpasser tous en montrant une affection paternelle à ceux qui sont en faute et en leur prouvant que s'ils y restaient, ce serait pour eux un nouveau sujet de condamnation. En effet, ce qui détourne le laboureur d'ensemencer, c'est qu'il craint que ses frais ne soient encore inutiles : mais nous n'avons pas la même inquiétude. Après avoir jeté cette semence spirituelle, si votre négligence nous empêche de rien recueillir, nous (275) n'en perdrons rien, car nous ne dépensons que l'argent qui nous est confié; et nous agis sons au nom du Seigneur. C'est aux auditeurs à rendre leurs comptes à celui qui leur redemandera ce dépôt avec usure. Mais nous ne songeons pas seulement à éviter tout reproche en faisant ce qui dépend de nous; notre désir est aussi de vous voir profiter de ce dépôt pour vous éviter la punition du serviteur qui avait caché son talent, et qui, loin de multiplier l'argent de son maître, l'avait enfoui en terre. Tels sont ceux qui écoutent ces instructions (car c'est1à ce que signifie le talent d'argent), et qui ne songent pas à le faire fructifier et multiplier. On me dira peut-être que cette parabole des talents regarde les prédicateurs : j'en conviens. Mais si nous l'examinons avec attention, nous observerons que les prédicateurs sont seulement responsables du paiement ; quant aux auditeurs, ils doivent non-seulement conserver l'argent, mais le faire valoir. Pour vous en convaincre, il faut vous rappeler cette parabole : Le maître de maison, en partant, appela ses serviteurs et leur donna à l'un cinq talents, à l'autre deux, à un troisième un seul. Longtemps après, il revint, et ses serviteurs parurent devant lui : celui qui avait reçu cinq talents, s'approcha en disant Seigneur, tu m'avais confié cinq talents; en voici cinq autres que j'ai gagnés. (Mat. XXV, 14, 15, 19; 20.) Voilà un serviteur honnête; aussi le Seigneur le récompense-t-il abondamment. Que dit-il? Allons, bon et loyal serviteur : comme tu as été fidèle pour une petite somme, je t'en confierai de plus grandes entre dans la joie de ton maître. (Mat. XXV, 21.) Puisque tu as montré ta probité à propos d'un premier dépôt, tu mérites qu'on t'en remette un plus considérable. Celui qui avait reçu deux talents s'approcha aussi, disant : ne m'as-tu pas confié deux talents? En voici deux autres que je t'ai gagnés ! (Ibid. 22.) Celui-ci avait aussi bien administré l'argent de son maître, car il reçoit la même récompense que le premier. Et pourquoi celui qui rapporte deux talents a-t-il le même mérite que celui qui en a fait gagner cinq? C'est avec justice; car si l'un donne plus et l'autre moins, cela ne tient pas à l'inégalité du zèle déployé de part et d'autre, mais à la différence des sommes confiées. Quant au soin, tous deux ont été égaux; aussi reçoivent-ils la même récompense. 2. Le troisième avait agi tout indifféremment. Qu'avait-il fait? Il s'approcha en disant : Je sais que tu es un homme dur, moissonnant où tu n'as pas semé et recueillant où tu n'as rien mis : aussi, comme je te craignais, je suis allé cacher ton argent dans la terre. Voilà ce qui est à toi. (Ibid. V, 24, 25.) O méchant serviteur ! ô comble d'ingratitude ! au lieu d'avoir fait fructifier le talent, il n'apporte qu'une accusation. C'est l'effet de la perversité : elle obscurcit le jugement et entraîne dans le précipice celui qui s'est une fois écarté de la bonne route. Tout cela regarde les prédicateurs qui ne doivent pas enfouir leur dépôt, ruais au contraire mettre tout leur zèle à l'offrir à leurs auditeurs : ruais la suite va vous apprendre, mes bien-aimés, que les auditeurs aussi ont, des comptes à rendre et qu'on leur demande non-seulement le capital, ruais encore les intérêts; c'est ce que fait voir l'indignation même du maître contre le serviteur. Que lui dit-il? Méchant serviteur! (Ibid. V, 26.) Voilà une colère terrible et des menaces bien capables d'épouvanter. Tu savais que je moissonne où je n'ai pas semé, et que je recueille où je n'ai rien mis : tu devais donc placer raton argent entre les mains des banquiers, et, en venant, je l'aurais retrouvé avec usure. Cet argent signifie les discours édifiants, et les banquiers représentent les auditeurs qui les écoutent. Tu n'avais, dit le maître au serviteur, qu'à leur remettre l'argent; ensuite, c'était à moi à leur redemander, non-seulement cet argent remis, mais aussi l'intérêt qu'il aurait rapporté. Voyez, mes bien-aimés, combien ces paroles sont terribles. Que pourront dire ceux qui auront perdu le capital, lorsqu'on leur redemandera même des intérêts? Voyez la bonté du Seigneur. Dans les affaires matérielles il a défendu que l'argent rapportât de l'intérêt. Pourquoi, par quelle raison? Parce que c'est une convention fâcheuse aux deux parties. Le débiteur est ruiné, et le gain du créancier ne fait qu'accroître le fardeau de ses péchés. Voilà pourquoi, dès l'origine, Dieu a donné aux Juifs grossiers ce précepte : Tu ne prendras pas d'intérêt à ton père et à ton frère. (Dent. XXIII, 19). Quelle excuse peuvent donc avoir ceux qui sont plus inhumains que les Juifs, et qui, après avoir reçu du Seigneur tant de grâces et de bienfaits, ne s'élèvent pas si haut que ceux qui vivaient sous l'ancienne loi, ou, pour mieux dire, descendent plus bas?
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Mais pour les choses spirituelles Dieu autorise l'usure. Pourquoi cela? Parce que les biens spirituels diffèrent complètement des biens temporels. Les uns, quand on les réclame avec rigueur, réduisent à une misère complète celui qui en est privé; les autres, quand le débiteur les paye de bon coeur, attirent d'autant mieux sur lui la récompense céleste, que l'usure est plus considérable. Aussi , mes bien-aimés , quand nous vous offrons ce qui nous a été confié, vous contractez l'obligation d'une double peine à prendre, d'une double vigilance à déployer : d'abord il faut garder vous-mêmes ce dépôt et le conserver fidèlement; ensuite il faut vous empresser de le communiquer aux autres pour en amener le plus possible dans la route de la vertu; ainsi, votre profit sera double par votre propre salut et par l'avantage d'autrui. En faisant cela, vous nous rendrez bienheureux, car bienheureux est celui qui touche les oreilles de ses auditeurs (Eccl. XXV, 12), et vous ferez régner plus, d'abondance sur cette table spirituelle. Ainsi, ne négligez point vos frères et ne vous inquiétez pas seulement de ce qui vous regarde. Que chacun s'occupe d'arracher son prochain au gouffre de l'enfer, le détourne de ces spectacles impies et le ramène à l'Eg
3. Du reste, vous le ferez, j'en suis bien persuadé. Je lis sur vos visages, je crois que vous avez reçu avec plaisir mon exhortation, et j'espère que vous ferez tout ce qui dépendra de vous. Aussi nous terminerons ici cet avertissement et nous vous offrirons un festin simple et frugal, afin que vous retourniez chez vous après avoir reçu l'instruction ordinaire. Il faut vous parler aujourd'hui du patriarche Abraham, et vous apprendre comment Dieu le récompensa de son hospitalité. Dieu lui apparut près du chêne de Mambré, comme il était assis à la porte de sa tente, à midi. Examinons avec soin chaque parole , et après avoir ouvert le trésor, étudions les richesses qu'il renferme. Pourquoi ce commencement? Dieu lui apparut. Admirez la bonté de Dieu, et considérez la reconnaissance de son serviteur. Quand Dieu lui était déjà apparu et lui avait, entre autres choses, donné le précepte de la circoncision , cet homme admirable s'était toujours empressé d'accomplir les ordres de Dieu. Sans mettre aucun retard, il exécuta le commandement en pratiquant la circoncision sur lui-même, sur Ismaël et tous ses serviteurs; quand il eut ainsi montré sa profonde obéissance, Dieu lui apparut encore. Le bienheureux Moïse commence ainsi : Dieu lui apparut auprès du chêne de Mambré, pendant qu'il était assis devant sa tente à midi. Observez ici la vertu du juste. Il était assis devant sa tente. Il pratiquait tellement l'hospitalité qu'il ne laissait à aucun de ses inférieurs le soin de recevoir les étrangers. Ce vieillard qui avait trois cent dix-huit domestiques, qui était accablé par l'âge, puisqu'il était parvenu à cent ans, était assis devant sa porte pour attendre des hôtes. Il y mettait toute son attention, sans trouver d'obstacle dans sa vieillesse ni dans le soin de son repos; il ne se tenait point couché à l'intérieur, mais assis à la porte. Bien d'autres, loin d'avoir un pareil soin, cherchent au contraire à fuir la vue et l'approche des étrangers, de peur d'être forcés de les recevoir malgré eux. Tel n'était pas le juste qui restait assis à sa porte à midi. Car (277) son hospitalité et sa vertu sont d'autant plus admirables qu'il se tenait ainsi à midi. C'était avec raison; il savait, en effet, que ceux qui sont forcés de voyager ont, surtout à cette heure, besoin de secours; aussi, choisissait-il cet instant de la journée et guettait-il les passants, mettant son repos à soulager la fatigue des voyageurs. Il cherchait à abriter sous sa tente ceux que brûlait la chaleur, sans examiner les passants et sans leur demander s'ils étaient connus ou inconnus. Car l'hospitalité n'admet point une pareille perquisition, elle exige avec tous une libéralité bienveillante, et, comme il avait déployé le filet de l'hospitalité, il mérita de recevoir le Tout-Puissant avec ses anges. Aussi saint Paul disait : Ne négligeons point l'hospitalité; c'est en la pratiquant que quelques-uns ont reçu pour hôtes des anges, sans le savoir (Héb. XIII, 2) ; il est clair que c'est une allusion au patriarche. Aussi le Christ disait: Celui qui recevra un des plus petits en mon nom, me reçoit moi-même. (Mat. XVIII, 5.) Méditons cela, mes bien-aimés, et quand il s'agit de recevoir un hôte , ne demandons jamais qui il est et d'où il vient. Si le patriarche avait fait ces questions, peut-être aurait-il eu tort. Mais, direz-vous, il savait quels étaient ces visiteurs. Où voyez-vous cela? En quoi son action aurait-elle été admirable? Son hospitalité aurait été bien moins méritoire, si elle avait commencé par des questions; maintenant, ignorant ceux qui viennent, il leur montre autant de zèle et de respect qu'un serviteur à son maître; il les enchaîne, pour ainsi dire, à force de prières, en les suppliant de ne pas refuser et de ne pas lui causer une pareille affliction. Il savait ce que vaut l'hospitalité, de là son empressement à en recueillir les fruits abondants. Mais écoutons les paroles de l'Ecriture elle-même et remarquons, dans un âge si avancé, l'ardeur renaissante de ce vieillard rajeuni, qui semblait trouver un trésor dans l'arrivée de ces hôtes. Levant les yeux, il regarda, et voici : trois hommes se tenaient devant lui; en les voyant, il se leva de la porte de sa tente, pour courir à leur rencontre. Ce vieillard court et vole ; il a trouvé sa proie, il ne songe plus à sa faiblesse et court à la chasse sans appeler ses serviteurs , sans donner d'ordres à son fils, il court lui-même sans retard, comme s'il disait : voilà un grand trésor, une grande affairé, je veux m'en charger par moi-même, pour n'en pas perdre le mérite. Voilà ce que faisait le juste, croyant recevoir des hommes et des voyageurs inconnus. 4. Méditons à ce sujet, et imitons les vertus du juste; c'est le moyen de parvenir nous-mêmes à faire une aussi bonne chasse, car on peut toujours ce que l'on veut. Voilà pourquoi le Seigneur bienveillant, pour nous encourager à faire bon accueil aux étrangers et à ne pas les examiner de trop près, nous dit : Celui qui recevra un des plus petits en mon nom me reçoit moi-même. (Matth., XVIII, 5.) Ne considérez pas le peu d'importance réelle ou apparente de celui qui passe, mais songez qu'en l'accueillant vous accueillez votre Seigneur. Car si vous le secourez en son nom, vous serez récompensé comme si vous l'aviez reçu lui-même. Si cet homme ne mérite point votre bienveillance et néglige d'en profiter, ne vous en inquiétez point; vous serez pleinement récompensé si vous agissez pour la gloire du Seigneur, et si vous imitez les vertus de notre patriarche. En les voyant, il se leva de la porte de sa tente et courut à leur rencontre. Ce mot courut, montre bien qu'ils passaient comme des inconnus et qu'ils ne sont pas entrés d'eux-mêmes dans la tente. Aussi, pour ne pas perdre ce bénéfice spirituel, ce vieillard aux cheveux blancs, ce centenaire accourt, et par son empressement fait preuve de son zèle. Et les ayant vus , il se prosterna contre terre, et dit: Mon seigneur, si j'ai trouvé grâce devant toi, ne passe pas devant ton serviteur. Qu'on prenne de l'eau et qu'on lave vos pieds, et rafraîchissez-vous sous cet arbre : j'apporterai du pain et vous mangerez, et après cela vous continuerez le chemin qui vous a fait passer devant votre serviteur. Les paroles du juste sont bien frappantes. Ce qui doit étonner, ce n'est pas qu'il ait désiré recevoir ces hôtes, mais c'est qu'il l'ait fait avec tant de zèle et qu'il n'ait pas tenu compte de leur âge ni du sien, car ils lui semblaient peut-être jeunes; c'est qu'il n'ait pas cru pouvoir se borner à leur parler. Il se prosterna contre terre, presque en suppliant, et les exhorta de toutes ses forces pour que sa demande n'eut pas l'air d'une simple politesse. Aussi l'Ecriture sainte, voulant nous montrer toute l'étendue de la vertu du juste, dit : Il se prosterna contre terre, et par ses gestes, ainsi que par la chaleur de ses paroles, il montrait beaucoup d'humilité, son zèle hospitalier et son extrême sollicitude. S'étant prosterné contre terre, il dit : (278) Seigneur, si j'ai trouvé grâce devant toi, ne passe point devant ton serviteur. Comment pourrait-on louer dignement ce juste? et comment des milliers de bouches suffiraient-elles pour faire son éloge? Le mot de Seigneur n'a rien d'extraordinaire; mais dire : Si j'ai trouvé grâce devant toi, voilà qui est étrange. Il leur dit : C'est moi qui suis l'obligé et non le bienfaiteur. Telle est la véritable hospitalité : elle a tant d'ardeur, qu'elle croit recevoir plutôt que donner. Que personne ne songe à diminuer la vertu du juste, et ne suppose qu'en parlant ainsi il savait qui étaient ces voyageurs : en effet, s'il l'avait su, ces paroles, comme on l'a dit souvent, n'auraient eu rien d'extraordinaire; mais, ce qui les rend extraordinaires et admirables, c'est qu'il croyait les adresser à des hommes. Ne vous étonnez pas qu'en voyant trois voyageurs, le juste parle comme à un seul et dise : Seigneur. C'est sans doute que l'un d'eux paraissait supérieur aux autres, et c'est à lui qu'il s'adresse. Ensuite il continue en parlant d'une manière plus générale, et dit: Qu'on prenne de l'eau et qu'on lave vos pieds; et aussi : Rafraîchissez-vous sous cet arbre, vous mangerez du pain et vous continuerez le chemin qui vous a fait passer devant votre serviteur. Vous voyez que sans savoir qui ils sont, il leur parle comme à des voyageurs ordinaires, les engage tous ensemble et s'appelle deux fois leur serviteur. Voyez aussi comme il les prévient de la simplicité de sa table, ou plutôt de son abondance. Qu'on prenne de l'eau et qu'on lave vos pieds, et rafraîchissez-vous sous cet arbre. Comme vous êtes fatigués et que vous avez supporté une grande chaleur, daignez entrer chez votre serviteur. Voilà ce que je puis faire pour vous. Je peux seulement vous procurer de l'eau pour laver vos pieds pendant que vous vous reposerez sous cet arbre. Ensuite il leur donne une idée de sa table. Ne croyez pas, dit-il, qu'elle soit splendide, qu'il y ait une foule de mets et d'assaisonnements : vous mangerez du pain, et vous continuerez le chemin qui vous a fait passer devant votre serviteur. 5. Voyez de combien de manières il cherche à retenir ces voyageurs par ses actions, ses paroles, et tous ses efforts. D'abord il se prosterne devant eux, ensuite il les appelle seigneurs et lui-même serviteur : puis il leur dit ce qu'il va faire pour eux, mais sans se vanter et en montrant que c'est peu de chose. J'ai, dit-il, de l'eau pour laver vos pieds, du pain et un abri sous cet arbre. Ne dédaignez pas ma. tente, ne méprisez pas ma vieillesse, ne repoussez pas ma demande. Je sais quelle fatigue vous avez subie, je devine quelle chaleur vous avez éprouvée; aussi je veux vous soulager un peu. Le père le plus tendre montre-t-il à son fils autant de bonté que le patriarche en montrait à: des étrangers inconnus et qu'il n'avait jamais vus. Comme il fit preuve de beaucoup de zèle et d'activité, il réussit dans sa poursuite et par. vint à prendre sa proie dans ses filets. Et ils dirent : Nous ferons comme tu as dit. Le vieillard se trouva rajeuni. J'ai, dit-il, un trésor sous la main; j'ai gagné une fortune, je ne songe plus à ma vieillesse. Voyez comme il se réjouit d'une pareille circonstance; il saute presque de joie et il est aussi heureux que s'il tenait dans ses mains toutes les richesses du monde. Abraham s'en alla en hâte dans la tente. Quand il allait les guetter, l'Ecriture sainte nous montre sa joie et son empressement, en nous disant : Il courut à leur rencontre. Maintenant qu'il a vu ces voyageurs et' qu'il a obtenu ce qu'il désirait, son ardeur ne s'affaiblit pas; elle devient, au contraire, plus ardente quand il est certain d'avoir réussi. Il nous arrive souvent d'être tout de feu en commençant; mais, quand l'affaire est en train, nous nous relâchons. Tel n'était pas le juste. Que fait-il? Il se hâte et s'empresse de nouveau; tout vieux qu'il est, il court dans la tente chercher Sarra, et lui dit : Dépêche-toi et prends trois mesures de fleur de farine. Voyez comment il prend Sarra pour complice de sa chasse, et comment il lui apprend à imiter sa vertu. Il l'excite à faire promptement son devoir, et lui dit : Dépêche-toi. Une heureuse aventure nous est survenue; ne perdons pas cette bonne occasion : Dépêche-toi et prends trois mesures de fleur de farine. Comme il savait l'importance d'une oeuvre de cette nature, il voulait faire partager la récompense à la compagne de sa vie. Pourquoi, dites-moi, ne donna-t-il cet ordre à aucune de ses servantes; mais à sa femme, si avancée en âge, car elle avait quatre-vingt-dix ans? Du reste, Sarra ne résiste pas à cet ordre et montr6la même joie. Maris et femmes, retenez bien cela. Que les maris habituent leurs femmes, s'il se présente quelque gain spirituel, à ne pas agir par leurs. domestiques, mais à tout faire par elles-mêmes; que les femmes s'empressent à aider leurs maris dans leurs (279) bonnes oeuvres, et ne rougissent pas d'exercer l'hospitalité et d'en accomplir tous les devoirs; qu'elles imitent la vieillesse de Sarra, qui se chargeait, à son âge, d'un pareil travail avec plaisir et remplissait l'office des servantes. Mais je sais que presque personne ne m'écoutera. Maintenant, tout le monde fait le contraire, la mollesse des femmes est extrême et elles mettent tous leurs soins dans les beaux habits, dans les parures d'or, les colliers, le luxe extérieur, sans songer le moins du monde à leur âme. Elles n'entendent pas la voix de saint Paul qui leur crie : Qu'elles n'aient point de cheveux frisés, d'or, de perles, ni d'habits somptueux. (I Tim. II, 9.) Vous voyez que cette âme, qui touchait le ciel, n'a pas dédaigné de vous parler de frisure : il avait raison, car il s'inquiétait de tout ce qui pouvait servir à lâme. Il savait que la parure est ce qui nuit le plus à l'âme; aussi ne craint-il pas de donner les meilleurs conseils aux personnes qui ont cette faiblesse; il leur dit : si vous voulez vous parer, prenez la véritable parure , celle qui convient aux femmes pieuses, celle des bonnes oeuvres. C'est elle qui fait l'ornement de l'âme, qu'aucune ordonnance ne peut réprimer, qu'aucun voleur ne peut ravir et qui reste toujours inaltérable. La parure extérieure engendre mille maux: je ne parle pas seulement de ceux de l'âme, l'arrogance qui en résulte, le mépris du prochain, l'orgueil de l'esprit, la corruption du coeur, une foule de plaisirs défendus; mais ces toilettes splendides peuvent être dérobées par les domestiques ou pillées par les voleurs; elles vous exposent à des accusations calomnieuses, enfin on n'y trouve que des peines infinies et des amertumes perpétuelles. Telle n'était pas Sarra qui possédait la véritable parure-; aussi fut-elle digne du patriarche : il s'empressa et courut dans la tente; elle s'empressa d'accomplir son ordre et prit trois mesures de fleur de farine. Comme il y avait trois hôtes, le juste avait dit de prendre trois mesures pour faire promptement les pains. Après cet ordre, il courut aussitôt vers les boeufs. Quelle jeunesse dans cette vieillesse ! quelle énergie dans cette âme ! Il court aux boeufs et n'y laisse aller aucun de ses serviteurs : dans sa conduite tout fait voir à ses hôtes de quel plaisir il était pénétré, combien il appréciait leur présence et quel trésor c'était pour lui qu'un tel honneur. Il prit un veau tendre et délicat. Ainsi , il fait son choix lui-même, il confie l'animal à un serviteur qu'il engage à se presser, pour servir le plus. tôt possible. 6. Voyez avec quelle rapidité, quel zèle ardent, quelle joie, quel bonheur, quel plaisir il fait tout cela. Le vieillard ne se repose pas et fait de nouveau l'office de serviteur. Il prit du beurre, du lait et le veau qu'il avait tué et leur servit tout cela. Ainsi il fait tout et sert tout lui-même. Et il ne s'est pas trouvé digne de s'asseoir avec eux, mais pendant que ceux-ci mangeaient il restait debout près de l'arbre. O culte de l'hospitalité ! ô excès d'humilité ! ô piété parfaite ! ce centenaire restait debout pendant leur repas. Il me semble que son ardeur et son zèle ont suppléé à sa faiblesse et 1ui ont donné de la force. Souvent, en effet, l'excitation d'une âme énergique triomphe de la faiblesse du corps. Ainsi le patriarche restait debout comme un serviteur, regardant comme un grand honneur de servir ses hôtes et de soulager les fatigues de leur voyage. Voyez jusqu'où allait l'hospitalité du juste! Ne vous dites pas seulement qu'il leur avait offert des pains et un veau; remarquez encore avec quelle humilité et quel respect il pratique l'hospitalité. Il ne faisait pas comme ceux qui, s'ils accueillent des hôtes, en tirent vanité et méprisent même ceux qu'ils ont reçus, parce qu'ils ont pourvu à leurs besoins. Cela ressemble à ce que ferait un homme qui recueillerait et amasserait des richesses, et qui, tout à coup, jetterait à pleines mains tout ce qu'il aurait gagné. Celui qui rend un service avec orgueil et qui croit donner plus qu'il ne reçoit, celui-là ne sait ce qu'il fait : il perd tout ce qu'il en pouvait attendre. Mais le juste sachant ce qu'il faisait montrait en tout sa bonne volonté. Après avoir répandu avec joie et abondance cette semence d'hospitalité, il en recueillit aussitôt une copieuse moisson. Quand il eut fait tout ce qui dépendait de lui, sans manquer à rien et qu'il eut accompli tous les devoirs de l'hospitalité, et montré jusqu'où allait sa vertu; alors, pour que le juste connût ceux qu'il avait reçus et tous les avantages qu'entraîne l'hospitalité, son visiteur se dévoile et lui montre peu à peu toute l'étendue de sa puissance. Car le voyant debout près du chêne, en signe d'honneur et de respect pour ses hôtes, il lui dit : Où est Sarra ton épouse ? Cette question montre aussitôt que ce n'est pas le premier venu, puisqu'il sait le nom de cette femme. Abraham (280) répond: la voici dans la tente. Comme l'hôte va lui promettre, étant Dieu lui-même, des événements surnaturels, cette promesse, jointe à la connaissance qu'il avait du nom de Sarra fut une preuve que cet hôte reçu sous la tente était supérieur à l'humanité. Je reviendrai ici dans un an à la même époque, et Sarra ta femme aura un fils. Voyez les fruits de l'hospitalité, la récompense de la bonne volonté, la compensation des peines de Sarra. Celle-ci écoutait près de la porte de la tente derrière laquelle elle se tenait. Et agant entendu cela, elle rit en elle-même, disant : cela ne m'est pas arrivé jusqu'à présent et mon seigneur est vieux. Pour excuser Sarra, l'Ecriture sainte nous a d'abord avertis que Abraham et Sarra étaient avancés dans leurs jours; et de plus elle ajoute: Sarra n'avait plus ce qu'ont les femmes. La fontaine était desséchée, l'oeil avait perdu la lumière, l'organe était désormais impuissant. Sarra considérant tout cela, songeait à son âge et à la vieillesse du patriarche. Mais pendant qu'elle réfléchissait ainsi dans la tente, Celui qui connaît les secrets du coeur, voulant montrer toute sa puissance et faire voir qu'il n'y avait rien de caché pour lui, dit à Abraham : Pourquoi Sarra a-t-elle ri en elle-même, disant est-il vrai que j'enfanterai, moi qui suis si vieille ? En effet, voilà ce qu'elle pensait. Est-il rien, dit-il, d'impossible à Dieu ? Ici le visiteur se dévoile ouvertement. Vous ne savez pas, dit-il, que je suis le Maître tout-puissant de la nature, que je puis, si je le veux, ranimer des entrailles desséchées et les rendre fécondes. Rien n'est impossible à Dieu. N'est-ce pas moi qui fais et transforme tout? ne puis-je pas donner la vie et la mort ? Est-il rien d'impossible à Dieu ? ne l'ai-je pas déjà promis ? mes paroles manquent-elles jamais de s'accomplir? Ecoute maintenant : dans un an je reviendrai à pareille époque et Sarra aura un fils. Lorsque je reviendrai à pareille époque, Sarra aura appris par l'événement même que sa vieillesse et sa stérilité n'étaient pas des obstacles : ma parole ne pouvait être vaine, et cette naissance lui prouvera mon pouvoir. Du reste, quand elle vit que ses pensées même ne pouvaient rester cachées, elle nia, en disant: je n'ai pas ri; car la frayeur lui avait troublé l'esprit. Aussi l'Ecriture attribue tout à s faiblesse, et dit : elle fut effrayée. Mais 1e patriarche lui répond : non, mais tu as ri. Ne crois pas, lui dit-il, quoique tout se soit passé dans ton esprit, et que tu n'aies ri qu'en toi-même, ne crois pas échapper au pouvoir de notre hôte. Aussi ne va pas nier ce que tu as fait, n'aggrave pas ta faute. L'hospitalité que nous avons exercée aujourd'hui nous sera bien avantageuse. 7. Imitons-le tous, et mettons un grand zèle à pratiquer l'hospitalité, non pas dans le seul but d'en recevoir une rémunération passagère et corruptible, mais pour être récompensés par des biens éternels. Si nous le faisons, nous recevrons ici-bas le Christ, et lui-même nous recevra dans les demeures qu'il a préparées à ses élus, où il nous dira : Venez, vous qui êtes bénis par mon Père, et recevez le royaume que je vous ai préparé depuis l'origine du monde. (Mat. XXV, 34, 36.) Pourquoi et par quelle raison? J'avais faim et vous m'avez donné à manger; j'avais soif et vous m'avez donné à boire; j'étais étranger et vous m'avez recueilli; j'étais prisonnier et vous m'avez visité. Quelle difficulté y a-t-il à tout cela? Nous a-t-il dit de faire des enquêtes et de rechercher ceux que nous devions soulager? Fais ce qui dépend de toi; dit-il, si vil et si abject que te paraisse l'indigent; je prends pour moi ce qui est fait pour eux. Aussi a-t-il ajouté : Ce que vous avez fait pour le moindre de vos frères, vous l'avez fait pour moi. (Ibid. V, 40.) Puisque l'hospitalité offre de tels avantages, ne la dédaignons pas, mais cherchons à en trouver chaque jour l'heureuse occasion; sachant que Notre-Seigneur considère la bonne volonté plutôt que la quantité des mets; le bon accueil, plutôt que la magnificence de la table; un mot de charité d'un coeur sincère, plutôt que des protestations verbeuses. Voilà pourquoi le Sage dit : la parole vaut mieux que le présent. (Eccl. XVIII,16.) Souvent un mot de bonté touche plus lindigent que le bienfait lui-même. Puisque nous le savons, ne soyons pas désagréables à ceux qui: nous approchent; si nous pouvons adoucir leur misère, faisons-le de bonne grâce et de,bon coeur pour qu'ils reçoivent encore plus que nous ne donnons: si cela nous est impossible, ne les affligeons pas; soulageons-les, du moins en paroles, et rée pondons-leur doucement. Pourquoi repousser le pauvre avec rudesse? Est-ce qu'il use de contrainte et de violence? Il prie, il implore, il conjuré; avec tout cela, on ne mérite pas d'outrages. Que dis. je, il prie? il implore et demande mille faveurs pour nous, et tout cela (281) pour une obole due nous ne lui donnons même pas. Quel pardon méritons-nous? Quelle excuse donnerons-nous? Chaque jour nous sommes à une table abondante où souvent nous dépassons le besoin, et nous ne voulons pas leur en abandonner la moindre chose quand nous obtiendrions ainsi des biens immenses. O déplorable négligence ! quelle perte nous faisons ainsi, quels gains nous laissons échapper ! Nous voyons fuir l'occasion que Dieu nous présentait pour notre salut, et nous n'y songeons pas! Nous ne réfléchissons point au peu qu'il faudrait donner et à l'immensité des récompenses. Nous aimons à renfermer l'or dans des armoires pour que la rouille le consume ou que des voleurs le dérobent; nous aimons mieux laisser nos habits de toutes couleurs se manger aux vers, et nous ne voulons même pas faire un bon usage de ceux qui ne peuvent plus nous servir en les donnant à ceux qui les garderaient pour nous, afin de nous mériter des biens ineffables. Puissions-nous les obtenir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
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