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VINGT-TROISIÈME HOMÉLIE. « Noé trouva grâce devant le Seigneur Dieu. Voici les générations de Noé. Noé était un homme juste, accompli dans son temps : Noé plut à Dieu. » (Gen. VI, 9.)

 

 

ANALYSE.

 

1. La vertu met l'homme à l'abri de tous les maux, tandis que le vice l'expose à tous les orages qui bouleversent la vie humaine. — 2. Courage et constance de Noé qui demeure seul juste au milieu de la corruption universelle. — 3. Il est impossible que l'homme juste jouisse de l'approbation universelle. Malheur à vous lorsque tous les hommes diront du bien de vous. (Luc, VI, 86.) — 4. L'Écriture évite de donner le nom d'hommes aux méchants. Elle le donne à Noé, elle le donne aussi à Job. — 5. Explication du mot juste, il exprime la possession de toutes les vertus. — 6. Exhortation.

 

 

143

 

1. Vous avez reconnu, dans ce qui précède, l'étendue de la bonté de Dieu et l'excès de sa patience: vous avez vu la prodigieuse perversité des hommes de ce temps; vous avez appris quelle avait été, au milieu d'une pareille foule, la vertu du juste, qui n'avait souffert en rien de cet accord de tous dans le mal, et qui, loin de se laisser entraîner avec les autres, avait suivi la route opposée. De même qu'un bon pilote , maintenant d'une main ferme la direction de son esprit, il ne laissa pas submerger son vaisseau par les flots des vices déchaînés, mais il domina la tempête au milieu de cette mer, et parvint au port au moyen du gouvernail de la vertu, évitant le déluge qui devait engloutir tous les habitants de la terre. Tant il est vrai que la vertu est puissante, immortelle, invincible et supérieure à tous les accidents de cette vie : elle plane au-dessus des piéges de la méchanceté; placée, pour ainsi dire, sur un poste élevé, elle voit les choses humaines sous ses pieds et reste inaccessible à tout ce qui blesse les autres. De même que l'homme, debout sur une falaise élevée, se rit des flots qu'il voit frapper le rocher avec grand fracas et retomber ensuite en écume, de même celui qui cultive la vertu, en sûreté sans cet abri, ne souffre d'aucun trouble; il reste calme et tranquille, et comprend que la vie humaine ressemble à un fleuve, puisqu'elle s'écoule si rapidement. De même que nous voyons les flots de la mer tantôt s'élever, tantôt s'abaisser, de même nous voyons aussi ceux qui négligent la vertu et s'abandonnent au vice, tantôt montrer une joie orgueilleuse et se confier aux succès de cette vie , tantôt être abattus et tomber dans la dernière détresse. Ce sont eux que le bienheureux David indique, quand il dit : Ne crains rien en voyant s'augmenter la fortuné d'un homme et se multiplier la gloire de sa maison : quand il mourra, il n'emportera pas tout cela. (Ps. XLVIII, 17.) Il a raison de dire : Ne crains rien, ce qui signifie que l'opulence et la gloire du riche ne te troublent pas. Tu le verras bientôt gisant à terre, incapable d'aucune action, cadavre en proie aux vers, dépouillé de tout ce qu'il avait et qu'il a été obligé de laisser sans rien emporter. Que la vue des choses présentes ne t'inquiète donc pas et ne dis pas qu'un homme est heureux de ce qu'il possède, puisqu'il en est sitôt dépouillé.

Telle est la nature de la félicité actuelle avec toutes ses richesses : elles ne nous suivent pas et il faut partir sans elles. Les riches laissent tout, ils sont nus en quittant la terre; ils ne (144) sont couverts que de leur perversité et de l'amas de leurs péchés. Quelle différence avec la vertu ! même ici-bas, elle rend ceux qui l'aiment plus puissants que leurs ennemis et les rend même invincibles; elle leur donne un bonheur sans mélange et ne leur laisse même pas sentir les accidents de la vie : mais en outre, quand ils partent d'ici, elle les accompagne, et surtout à l'instant où nous avons le plus besoin de son appui, elle nous offre son secours tout-puissant dans le jour terrible où elle apaise pour nous l'oeil de notre Juge; ainsi elle nous épargne dans le présent les misères de cette vie, et dans l'avenir les tourments de l'autre. Elle a encore un autre effet, c'est de nous faire jouir de biens inexprimables. Pour vous en assurer, pour vous faire concevoir que ces paroles ne sont pas de vaines déclamations, je vais en chercher la preuve dans les paroles qui ont été offertes à votre charité. Voyez comme cet homme admirable , je veux dire Noé, tandis que le genre humain tout entier parvenait à exciter la colère d'un Dieu de clémence, put lui seul éviter par sa vertu l'effet de cette colère et se concilier toute la bienveillance de Dieu. Parlons, si vous le voulez bien, de ce qui arrive dans la vie présente. Il y a peut-être bien des hommes qui ne croient pas aux choses futures et invisibles. Examinons donc ce qui se passe ici, voyons quel est le sort de ceux: qui se livrent au mal , et de ceux qui embrassent la vertu. Après que Dieu, malgré, sa bonté, eut décidé, à cause de l'accroissement des crimes, de punir le genre humain par une catastrophe universelle, et qu'il eut dit : J'enlèverai de la terre l'homme que j'ai créé, il montra jusqu'où allait son indignation en prononçant la sentence, non-seulement contre l'homme, mais contre les quadrupèdes, les reptiles et les volatiles; en effet, puisque les hommes devaient être détruits et submergés, il était juste et naturel de faire partager leur sort aux êtres qui avaient été créés pour eux. Cet arrêt était encore illimité et ne faisait point de distinction entre les hommes, pour faire voir que Dieu ne s'attache pas aux individus, mais aux coeurs qu'il visite sans dédaigner personne, et que, si nous lui en offrons la moindre occasion, il déploie son ineffable miséricorde s aussi, pour montrer qu'il ne voulait pas absolument détruire le genre humain, mais qu'il désirait en conserver l'étincelle, en sauver une racine qui pût donner encore d'immenses rameaux, l'Ecriture dit: Noé trouva grâce devant Dieu.

2. Voyez combien l'Ecriture est précise, et comme elle ne contient pas une seule syllabe inutile t Après nous avoir exposé l'énormité des fautes dés hommes et la peine terrible réservée aux méchants, elle nous indique celui qui, dans une pareille foule, avait pu conserver la pureté de sa vertu.. En effet, la vertu par elle-même est toujours admirable, mais celui qui la pratique au milieu d'hommes qui la repoussent, mérite encore plus d'admiration. Aussi l'Ecriture sainte nous fait admirer ce juste mêlé à ceux qui allaient éprouver la colère de Dieu, et elle dit : Noé trouva grâce devant le Seigneur Dieu. Non-seulement il trouva grâce, mais devant le Seigneur Dieu. Elle nous enseigne ainsi qu'il n'a pas eu d'autre but que d'être bien vu de cet oeil qui ne connaît ni le sommeil ni l'assoupissement, et qu'il ne s'est pas inquiété de la gloire humaine, de la honte et des moqueries. Il est probable que lui, qui cultivait la vertu en opposition avec tout le monde , devait être un sujet de risées et de plaisanteries pour ceux qui faisaient le mal; en effet, c'est encore leur habitude à l'égard de ceux qui recherchent la vertu au lieu de les imiter. Nous voyons bien des hommes faibles qui, ne pouvant supporter ces vices et ces plaisanteries, préfèrent la gloire humaine à la gloire immortelle et seule véritable, et se laissent emporter et attirer par la malice des autres. En effet, il faut une âme énergique et constante pour résister à ceux qui cherchent à l'entraîner, et ne rien faire dans le but de plaire aux hommes, pour tenir son regard fixé sur 1'œil vigilant d'où elle attend sa sentence en méprisant celle du monde, pour ne pas tenir compte des louanges ou des injures humaines, mais les regarder comme des ombres ou des rêves. Car la honte mène au péché. (Eccl. IV, 25.) Bien des gens auraient cédé à ces risées, ces sarcasmes, ces plaisanteries; mais tel n'était pas le juste. Car il résista non-seulement à dix, à vingt, à cent hommes, mais à toute l'espèce humaine, à tous ces milliers de pécheurs. Il est probable qu'on se moqua de lui, qu'on le bafoua, qu'on l'insulta, qu'on l'injuria de toute manière; peut-être même l'aurait-on mis en pièces si l'on avait pu. Telle est toujours la fureur du vice contre la vertu; mais, loin qu'il lui porte aucun préjudice, il la fortifie par ses attaques. En effet, telle est la force (145) de la vertu, qu'elle triomphe de ses ennemis par ses souffrances, et qu'elle est plus victorieuse à mesure qu'on l'attaque davantage. Cela se voit dans une foule de circonstances. Mais pour vous donner l'occasion de le reconnaître, car, donnez l'occasion au sage et il deviendra plus sage (Prov. IX, 9), il faudrait vous citer bien des exemples de l'Ancien et du Nouveau Testament. Ainsi, dites-moi , je vous prie, Abel n'a-t-il pas été terrassé et tué par Caïn? Ne vous attachez pas seulement à ce fait que Caïn a vaincu et tué le frère dont il était jaloux et qui ne lui avait rien fait : mais considérez la suite. Observez qu'à partir de ce moment la victime a obtenu la couronne de la gloire avec celle du martyre, et que tant de siècles n'ont pu effacer son souvenir : voyez aussi que le meurtrier, le vainqueur, a mené depuis cet instant une existence plus pénible que la mort, et que depuis lors, jusqu'à présent, il est voué à l'infamie universelle pendant que toutes les bouches chantent chaque jour sa victime. Voilà ce qui regarde la vie actuelle; quant à celle de l'avenir, quelles paroles, quelle intelligence pourraient être à sa hauteur? Je sais que vous êtes bien capables de trouver dans les Ecritures beaucoup d'exemples analogues, car elles sont faites pour notre profit, pour nous engager à fuir le vice et à rechercher la vertu. Voulez-vous trouver d'autres preuves dans le Nouveau Testament ? Ecoutez ce que saint Luc raconte des apôtres qui se réjouissaient d'avoir été flagellés publiquement parce qu'ils avaient été dignes de supporter cet opprobre au nom du Christ. (Act. V, 41.) Cependant les coups,de fouet sont un sujet de chagrin et d'abattement plutôt que de joie, mais les recevoir pour Dieu et à cause de lui, voilà ce qui les réjouissait. Quant à ceux qui les avaient flagellés, ils étaient consternés et embarrassés au point de ne savoir que faire: après le supplice ils se consultent entre eux : Que ferons-nous à ces hommes? (Act. IV, 16.) Eh quoi ! Vous les avez fait flageller, vous leur avez fait subir mille souffrances et vous hésitez encore ? Tant il est vrai que la vertu est forte et invincible et que, par les tortures même, elle triomphe de ceux qui les lui infligent.

3. Mais pour ne pas nous arrêter trop longtemps sur ce sujet, il faut revenir à notre juste et admirer profondément comment sa vertu portée au comble put mépriser et dominer ce peuple qui riait de lui, s'en moquait, le plaisantait, le bafouait (je me répète, je le sais, mais je ne puis me détacher d'un tel sujet). Comment donc s'explique ce triomphe? Je vais vous le dire : Noé ne cessait de contempler l'oeil qui ne dort pas; là se fixait toujours le regard de sa pensée; tout le reste l'occupait aussi peu que s'il n'eût pas existé. On peut en être certain celui qui est possédé de l'amour divin au point de porter toujours ses désirs vers Dieu, finit par ne plus rien voir des choses visibles ; il songe continuellement à celui qu'il aime, la nuit et le jour, en se couchant comme en se levant. Ne vous étonnez donc pas que le juste, tenant sa pensée uniquement dirigée vers Dieu, ne se soit pas inquiété de ceux qui voulaient le faire succomber. Déployant tout son zèle et soutenu par la grâce d'en-haut, il leur était supérieur à tous. Noé trouva grâce devant le Seigneur Dieu. Devant la race des hommes du temps il ne trouvait ni grâce ni affection, car il ne suivait pas la même route, mais il trouva grâce devant celui qui sonde les cceurs et qui approuva ses pensées. Quel mal, dites-moi, pouvaient lui faire lès railleries et- les sarcasmes de ces contemporains, puisque Celui qui forme nos coeurs et connaît toutes nos actions le félicitait et le couronnait ? De quoi servent à un homme les éloges et l'admiration de toute la terre, si le Créateur de toutes choses, le Juge infaillible, le condamne dans le jour terrible ? Réfléchissons-y bien, mes bien-aimés, comptons pour rien les louanges des hommes et ne les recherchons en aucune manière, mais fuyons le vice et pratiquons la vertu uniquement pour Celui qui sonde les coeurs et les reins.

C'est pour cela que le Christ, en nous enseignant à ne pas être avides des louanges humaines, finit par dire : Malheur à vous, lorsque tous les hommes diront du bien de vous! (Luc, VI, 26.) Observez que ce mot : Malheur indique ce que sera la peine réservée. Cette exclamation présagé une calamité; c'est presque en déplorant déjà leur sort qu'il leur dit : Malheur à vous, lorsque tous les hommes diront du bien de vous ! Et voyez la précision de ces paroles. Il ne dit pas seulement: les hommes ; mais : tous les hommes. Il est impossible, en effet, que l'homme de bien qui suit la route étroite et pénible, et obéit à tous les ordres du Christ, soit loué et admiré par tous les hommes. Car le vice est bien puissant et bien hostile à (146) la vertu. Le Seigneur sait que celui qui ne s'écarte pas de la vertu et ne demande d'autre approbation que celle d'en-haut, ne peut être loué et approuvé par tous les hommes, et voilà pourquoi il plaint ceux qui négligent la vertu pour la gloire des hommes; car s'ils se réunissent tous pour vous louer, c'est la meilleure preuve que vous n'estimez pas assez la vertu. Comment, en effet, l'homme de bien pourrait-il plaire à tout le monde s'il veut délivrer les opprimés de leurs oppresseurs, les victimes des bourreaux ? De même, s'il veut corriger les pécheurs et louer les justes, n'est-il pas probable qu'il sera approuvé d'un côté et blâmé de l'autre? Aussi le Christ dit-il : Malheur à vous lorsque tous les hommes diront du bien de vous! Comment donc ne serions-nous pas frappés d'admiration pour ce juste ? ce que le Christ nous a annoncé en paraissant parmi nous, lui, sans autre instruction que la loi naturelle, il l'a accompli d'une manière parfaite, et méprisant l'opinion des hommes, il n'a recherché la vertu sur terre que pour obtenir la grâce de Dieu, car Noé trouva grâce devant le Seigneur Dieu. Du reste, c'est à cause des vertus dont il était doué qu'il a trouvé grâce devant le Seigneur Dieu, comme l'explique l'admirable prophète inspiré par le Saint-Esprit; il faut étudier la suite pour voir ce que Dieu pense de lui. Voici les générations de Noé: Noé fut un homme juste, accompli dans son temps ; Noé plut à Dieu. Voilà une manière étrange de commencer une généalogie. L'Écriture sainte commence par dire: voici les générations de Noé ; elle excite notre attention comme si elle allait raconter sa généalogie, dire quel était son père, d'où venait sa famille, comment lui-même était venu au monde, et enfin tout ce que l'on .trouve d'ordinaire dans les généalogies; mais elle laisse tout cela de côté, et, se mettant au-dessus des usages reçus, elle dit : Noé était un homme juste, accompli dans son temps; Noé plut à Dieu. Voyez quelle admirable généalogie ! Noé était un homme. Remarquez que le nom qui nous est commun à tous est employé ici pour glorifier le juste. Car, tandis que les autres, plongés dans les voluptés charnelles , avaient perdu la qualité d'hommes, Noé seul, au milieu d'un si grand peuple, gardé la vraie condition de l'homme. Ainsi il est homme parce qu'il cultive la vertu. En effet, avoir l'apparence d'un homme, les yeux, le nez, la bouche; les joues et tout le reste, ce n'est pas là ce qui fait l'homme, car tout cela appartient au corps. Nous appelons homme celui qui conserve intact le type de l'homme. Mais comment le définir ? On dit que c'est un être raisonnable. Quoi donc ! les méchants n'avaient-ils pas aussi la raison? Si, mais cela ne suffit pas: il faut aussi chercher le bien et fuir le mal, dominer les mauvaises passions et obéir aux ordres du Seigneur: voilà l'homme !

4. Pour vous persuader que c'est l'usage di l'Écriture de ne pas accorder le nom d'hommes aux hommes qui se livrent au vice et négligent la vertu, écoutez les paroles de Dieu, que je vous citais hier : Mon Esprit ne restera pas chez ces hommes, car ils ne sont que chair. Cela veut dire : Je leur ai donné une nature composée de chair et d'âme, mais la chair les a tellement enveloppés qu'ils ne songent plus qu'à elle et négligent les vertus de l'âme. Voyez-vous comment, à cause de leur perversité, il les appelle de la chair et non des hommes ? Et une autre fois, comme vous allez le voir, l'Écriture dit qu'ils ne sont que de la terre, parce qu'ils s'absorbent dans les pensées de la terre, car elle dit : La terre était corrompue devant Dieu. Il ne s'agit pas ici de la terre proprement dite; ce sont les habitants eux-mêmes qu'elle appelle terre. Dans un autre endroit, elle ne les appelle ni chair, ni terre, mais elle ne les regarde pas comme vivants parce que la vertu leur manque. Écoutez les cris du prophète au milieu de Jérusalem et de cette multitude innombrable: Je suis venu, et il n'y avait pas un homme ; j'ai appelé et personne ne m'entendait. (Is. L, 2.) Ce n'était pas qu'il n'y eût bien du monde présent, mais c'était qu'ils ne profitaient pas plus des paroles du prophète que les absents. Et ailleurs encore : Courez et voyez s'il y en a un seul qui soit juste et équitable, et je lui serai propice. (Jér. V,1.)

Vous avez vu que l'Écriture sainte ne donne le nom d'homme qu'à celui qui cultive la vertu : quant aux autres, ils ne sont rien pour elle, mais elle les appelle quelquefois terre et quelquefois chair. Voilà pourquoi, après avoir annoncé le commencement de la généalogie des justes, la sainte Écriture nous dit d'abord : Noé était un homme. En effet, lui seul alors est un homme : les autres ne sont plus des hommes, quoiqu'ils en gardent l'apparence; ils ont été changés en animaux sans raison, et ont perdu par leur volonté perverse la (147) noblesse de leur nature. Quand les hommes raisonnables tombent dans le mal, et s'asservissent à des passions déraisonnables, l'Écriture sainte leur donne des noms d'animaux; ainsi elle dit : Ils sont devenus comme des chevaux qui hennissent après les cavales. (Jér. V, 8.) Voyez comment l'excès de la lubricité fait donner un nom de bête. Ailleurs encore : Le venin des serpents est sous leurs lèvres (Ps. XIII, 3 et 139, 4), pour ceux qui ressemblent à cet animal dissimulé et perfide. D'autres sont appelés chiens muets. (Is. LVI,10.) Il est encore écrit : Comme un serpent sourd et dont les oreilles sont fermées (Ps. LVII, 5), pour indiquer ceux qui ferment leurs oreilles à l'enseignement de la vertu. Il serait trop long de rappeler tous les noms de bêtes que l'Écriture impose à ceux qui se laissent aller à des passions déraisonnables. Ce n'est pas seulement dans l'ancienne loi qu'on peut le voir, mais aussi dans la nouvelle. Écoutez saint Jean-Baptiste disant aux Juifs: Race de vipères, qui vous a appris à fuir la colère prochaine? (Matt. III, 7.) Voyez-vous comment ici encore le nom d'une bête symbo lise la ruse? Quoi de plus misérable que ces pécheurs qui ont perdu jusqu'au nom d'homme en méritant les châtiments les plus terribles ! car ils ont méprisé les motifs de vertu que leur offrait leur nature et les ont négligés volontairement pour se livrer au vice. Comme ceux qui existaient alors se montraient indignes du nom d'hommes, tandis qu'au milieu d'une pareille disette de vertu, le juste en a montré une bien grande; l'Écriture, en racontant sa généalogie, commence par dire : Noé était un homme. Il est un autre juste auquel ce nom a été donné comme le plus grand éloge, au point qu'on l'appelle surtout ainsi, pour mieux montrer sa vertu. Qui estce donc? C'est le bienheureux Job, l'athlète de la piété, le vainqueur couronné aux applaudissements du monde entier ; qui seul a supporté des maux supportables et qui, après avoir essuyé les traits innombrables du démon est resté invulnérable: de même que le diamant qui reçoit impunément tous les chocs, il ne fut point submergé par cette tempête, il la domina, et ayant rassemblé sur son corps toutes les souffrances qui fussent au monde, il vit sa gloire en devenir plus brillante. Non-seulement les douleurs cruelles dont il était accablé ne l'effrayèrent point, mais elles lui inspirèrent de nouvelles actions de grâce : en exprimant sa reconnaissance au milieu de tant d'épreuves il fit au démon une blessure mortelle, et lui prouva qu'il avait tort de tenter l'impossible et de regimber sous l'éperon. Aussi le Dieu de miséricorde louant et vantant ce saint homme même avant qu'il eût subi autant de luttes et de combats, disait au diable : N'as-tu pas considéré mon serviteur Job, auquel nul homme n'est comparable sur la terre, homme irréprochable, ,juste, véridique, pieux, et s'abstenant de toute mauvaise action? (Job, I, 8.) Avez-vous observé que Dieu commence par le désigner du nom commun de notre nature ? N'as-tu pas considéré mon serviteur Job, auquel nul homme n'est comparable sur la terre? Cependant nous sommes tous semblables, non quant à la vertu, mais quant à la forme : eh bien ! cela ne suffit pas pour être homme, il faut encore s'abstenir du mal et faire le bien.

5. Vous avez vu quels sont ceux auxquels l'Écriture sainte a coutume de réserver le nom d'hommes. Aussi dès l'origine le Maître de toutes choses voyant sa créature, dit : Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance, c'est-à-dire pour qu'il commande à toutes les choses visibles et à ses propres passions, pour qu'il commande et ne soit pas commandé. Si , trahissant sa dignité, il supporte le joug au lieu de l'imposer il cesse d'être homme et prend un nom de brute. Voilà pourquoi l'Écriture Sainte, voulant glorifier la vertu de ce juste, dit d'abord : Voici les générations de Noé. Noé était un homme juste. Voici encore un plus grand éloge : juste; ce mot comprend toutes les vertus, car c'est le nom que nous donnons d'ordinaire à celui qui les pratique toutes. Ensuite pour faire concevoir qu'il était parvenu au comble de la vertu, telle qu'on pouvait l'exiger à cette époque, l'Écriture dit : juste et accompli dans son temps. Il a rempli tous les devoirs que renferme l'exercice de la vertu. Voilà ce que signifie le mot accompli : il n'a rien oublié, il n'a fait aucune faute. Il ne faisait pas bien d'un côté et mal de l'autre, il était accompli en toute vertu ; c'était cette perfection qu'il fallait montrer au monde. Du reste, pour rendre notre juste plus illustre encore, en considérant l'époque où il vivait et la comparant avec d'autres, l'Écriture dit : accompli dans son temps ; à cette époque , dans cette génération si perverse , si adonnée au mal qu'elle ne conservait plus (148) aucune trace de vertu. Eh bien ! dans une pareille génération et dans ces temps, le juste non-seulement montra de la vertu, mais la porta au comble, il fut accompli et parfait en tout. Car, ainsi que je l'ai dit, c'est encore donner une plus grande preuve de vertu que de faire le bien au milieu de ceux qui le combattent et de le pratiquer parmi ceux qui voudraient nous en détourner; ainsi tout cela rehausse encore la gloire du juste: Ce n'est. pas là que s'arrêtent les éloges de l'Ecriture : elle montre encore l'excellence de sa vertu par l'approbation de Dieu lui-même , puisque , après avoir dit : accompli dans son temps, elle ajoute : Noé plut à Dieu. Sa vertu était si complète qu'elle mérita les éloges de Dieu. Noé plut à Dieu, ce qui revient à dire, il fut approuvé de Dieu, il plut par ses bonnes oeuvres à cet oeil qui ne dort jamais, il s'en fit bien voir par la pureté de sa vie au point que, non-seulement il fut sauvé de l'indignation qui allait tout engloutir, mais encore qu'il fut à la tête des autres survivants. Noé plut à Dieu. Quel homme fut jamais plus heureux, qui put jamais montrer tant de vertu, puisque le Seigneur de l'univers est son panégyriste !

Voilà les honneurs que reçut Noé, et tout homme raisonnable les préférera à tout ce qu'il y a de plus élevé en richesses, en gloire, en puissance, et en toute espèce de félicité humaine : celui qui aime Dieu sincèrement doit les mettre au-dessus d'un royaume. En effet, c'est la véritable royauté que de pouvoir, par une existence irréprochable, nous rendre Dieu clément et propice. Si nous devons craindre l'enfer, ce n'est point pour son feu inextinguible , ses peines terribles et ses tourments éternels, c'est pour la douleur d'avoir offensé un Maître si bon et d'être privés de sa grâce; de même, nous ne devons rechercher cette royauté que par amour pour lui et afin de jouir de sa grâce. Car le plus désirable dans cette royauté est d'obtenir la bienveillance de notre Maître clément; de même ce qu'il y a de plus pénible dans l'enfer, c'est d'avoir perdu cette bienveillance.

Vous avez vu combien la seule appellation de juste nous a été utile à développer, et quel trésor de réflexions nous a fourni la généalogie de cet homme admirable. Suivons donc les règles de l'Ecriture sainte, et si nous avons à raconter une généalogie, ne parlons point du père, du grand-père et des aïeux, mais faisons voir seulement la vertu de l'homme dont il s'agit. Voilà la meilleure manière de faire une généalogie. Quel avantage y a-t-il à descendre de parents illustres et vertueux, si l'on a mal vécu? Au contraire, quel inconvénient y a-t-il à n'avoir que des parents obscurs et inconnus, si l'on brille par son mérite? Tel était ce juste, et s'il s'est concilié la faveur de Dieu, ce n'est point à cause de ses parents, car l'Ecriture ne nous fait pas remarquer leurs vertus. Cependant, malgré tant d'obstacles et d'embarras, il parvint au comble de la vertu; ce qui vous montre que, si vous êtes attentifs et vigilants, et que vous cherchiez à faire votre salut, rien ne peut vous en empêcher. Si nous cédons à la mollesse, les moindres choses nous arrêteront; mais si nous restons attentifs, mille ennemis conjurés pour nous pousser au mal ne pourront altérer notre zèle. Ainsi les efforts de tant de pécheurs ne peuvent empêcher ce juste de pratiquer la vertu. Il ne faut donc jamais accuser. personne et rendre un autre responsable de sa faute ; mais tout imputer à sa propre faiblesse. Et pourquoi m'arrêter aux autres hommes? Le diable lui-même ne doit jamais être regardé comme assez puissant pour, empêcher personne de marcher dans le chemin de la vertu. Il trompe les faibles et les fait succomber, mais il ne les arrête pas de force et ne leur fait point violence. L'expérience nous prouve que si nous voulions veiller, nous montrerions tant de fermeté que les efforts de tous ceux qui voudraient nous pousser au mal seraient impuissants contre nous; nous serions plus solides que le diamant, et nous fermerions l'oreille à ces conseils détestables, Mais si nous sommes négligents, notre inclination nous conduira naturellement dans la route du vice, sans que personne nous conseille ou nous séduise. Si cela n'était pas remis à notre volonté et à la décision de notre âme, si le bon Dieu n'avait pas donné le libre arbitre à notre nature, il aurait fallu que ceux qui appartiennent; à cette nature et sont soumis aux mêmes impressions fussent tous méchants ou tous bons. Mais quand nous voyons nos semblables, éprouvant les mêmes impressions, ne pas en être affectés comme nous; quand nous voyons que par l'énergie de leur raison ils gouvernent leur nature, domptent leur impétuosité, mettent un frein à leur concupiscence, triomphent de la colère, fuient la jalousie, repoussent l'envie, dédaignent la passion des richesses, (149) négligent la gloire, méprisent toutes les félicités de la vie présente, et que, ne respirant que pour la véritable gloire; ils préfèrent la faveur divine à toutes les choses visibles ; n'est-il pas évident que le zèle qui leur est propre les justifie avec l'aide de la grâce d'en-haut, tandis que notre faiblesse naturelle compromet notre salut en nous privant de cette assistance divine?

6. Aussi, je vous conjure de réfléchir à tout cela et d'avoir sans cesse dans l'esprit que nous ne devons jamais nous en prendre au diable, mais à notre propre faiblesse. Quand je dis cela, ce n'est pas pour le décharger de toute accusation : loin de là, car il rôde comme un lion. ravisseur,, rugissant et cherchant à tout dévorer. Mais je veux vous affermir, je veux que vous ne pensiez pas être à l'abri du reproche, vous qui, de vous-mêmes, tombez si facilement dans le mal, je veux que vous cessiez de répéter ces paroles frivoles : Pourquoi Dieu a-t-il permis à cet être malfaisant de nous abattre et de nous terrasser? Ces paroles sont complètement insensées. Pourquoi ne pas songer plutôt en vous-même que si Dieu l'a permis, c'est surtout pour exciter en vous la terreur, afin qu'en attendant l'attaque de l'ennemi vous montriez une vigilance et une fermeté continuelles, afin que l'espoir des récompenses, l'attente de ces biens éternels et inexprimables allègent pour vous toutes les fatigues de la vertu? Pourquoi vous étonner que Dieu ait permis tout cela au diable, justement dans l'intérêt de notre salut, pour réveiller notre paresse et trouver l'occasion de nous couronner? Il a préparé l'enfer lui-même pour que la crainte des punitions et des châtiments nous ouvrît l'entrée de son royaume. Voyez combien la bonté du Seigneur est ingénieuse, comment elle fait et dispose tout, non-seulement pour sauver ses créatures, mais pour les rendre dignes de ses ineffables bienfaits. Voilà pourquoi il nous a donné le libre arbitre et mis dans notre âme et notre conscience la connaissance du vice et de la vertu ; voilà pourquoi il nous a laissés en présence du diable et nous a menacés de l'enfer; c'est pour que nous ne connaissions pas l'enfer et que nous entrions dans son royaume. Pourquoi vous étonner qu'il ait fait tout cela et bien d'autres choses encore ? Il a consenti à quitter le sein de son Père pour prendre une forme d'esclave, à subir toutes les entraves d'un corps, à être enfanté et mis au monde par une femme, par une vierge qui l'a porté pendant neuf fois; à recevoir des langes; à passer pour fils de Joseph, l'époux de Marie; à grandir peu à peu , à être circoncis, à participer aux sacrifices, à souffrir la faim, la soif, la fatigue et enfin la mort, mais, de plus, une mort regardée comme ignominieuse, celle de la croix. Voilà tout ce qu'il a accepté pour notre salut, ce Créateur de toutes choses, ce Dieu immuable qui a tout appelé du néant à l'existence, dont les regards font trembler la terre, dont la gloire éclatante ne peut être contemplée par les chérubins, ces puissances qui n'ont pas de, corps et qui se voilent la face avec leurs ailes pour nous montrer leur admiration; lui qui est chanté par mille et mille anges et archanges, il a consenti pour nous, pour notre salut, à devenir un homme pour nous mieux ouvrir la route de la vie et nous enseigner le meilleur usage à faire de cette nature qu'il nous avait empruntée. Quelle excuse nous resterait-il après tant de prodiges faits pour notre salut, si nous rendions tous ces bienfaits inutiles, si nous trahissions nous-mêmes la cause de notre salut? Aussi je vous conjure d'être vigilants et de ne pas vous laisser aller seulement aux habitudes des autres, mais à examiner chaque jour votre vie avec soin et de voir vos mauvaises et vos bonnes actions. Ainsi travaillons à corriger nos péchés , afin d'attirer sur nous la protection d'en-haut, de devenir agréables à Dieu comme ce juste, et d'entrer dans le royaume des cieux, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, gloire, honneur, puissance, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

Traduction de M. HOUSEL.

 

 

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