HOMÉLIE XXXIV
Précédente Accueil Remonter Suivante

 

Accueil
Remonter
AVERTISSEMENT
HOMÉLIE I
HOMÉLIE II
HOMÉLIE III
HOMÉLIE IV
HOMÉLIE V
HOMÉLIE VI
HOMÉLIE VII
HOMÉLIE VIII
HOMÉLIE IX
HOMÉLIE X
HOMÉLIE XI
HOMÉLIE XII
HOMÉLIE XIII
HOMÉLIE XIV
HOMÉLIE XV
HOMÉLIE XVI
HOMÉLIE XVII
HOMÉLIE XVIII
HOMÉLIE XIX
HOMÉLIE XX
HOMÉLIE XXI
HOMÉLIE XXII
HOMÉLIE XXIII
HOMÉLIE XXIV
HOMÉLIE XXV
HOMÉLIE XXVI
HOMÉLIE XXVII
HOMÉLIE XXVIII
HOMÉLIE XXIX
HOMÉLIE XXX
HOMÉLIE XXXI
HOMÉLIE XXXII
HOMÉLIE XXXIII
HOMÉLIE XXXIV
HOMÉLIE XXXV
HOMÉLIE XXXVI
HOMÉLIE XXXVII
HOMÉLIE XXXVIII
HOMÉLIE XXXIX
HOMÉLIE XL
HOMÉLIE XLI
HOMÉLIE XLII
HOMÉLIE XLIII
HOMÉLIE XLIV
HOMÉLIE XLV
HOMÉLIE XLVI
HOMÉLIE XLVII
HOMÉLIE XLVIII
HOMÉLIE XLIX
HOMÉLIE L
HOMÉLIE LI
HOMÉLIE LII
HOMÉLIE LIII
HOMÉLIE LIV
HOMÉLIE LV
HOMÉLIE LVI
HOMÉLIE LVII
HOMÉLIE LVIII
HOMÉLIE LIX
HOMÉLIE LX
HOMÉLIE LXI
HOMÉLIE LXII
HOMÉLIE LXIII
HOMÉLIE LXIV
HOMÉLIE LXV
HOMÉLIE LXVI
HOMÉLIE LXVII

TRENTE-QUATRIÈME HOMÉLIE. « Le Seigneur dit à Abram après qu'il se fut séparé de Loth : Lève les yeux à partir de la place où tu es maintenant, au nord et au midi, à l'orient et vers la mer, car toute cette terre que tu vois, je te la donnerai. » . (Gen. XIII, 14, 15).

 

ANALYSE.

 

1. Eloge de la douceur. — 2. Explication du passage de l'Ecriture qu'on vient de lire. Dieu est si satisfait de la conduite qu.Abram a tenue à l'égard de Loth, qu'à peine Loth s'est-il éloigné que Dieu vient donner à Abram sa récompense. — 3. Imitons Abraham ; voici un pauvre, ne perdons pas une si belle occasion, donnons-lui l'aumône et Dieu nous rendra un «royaume dans le ciel. Dieu diffère l'accomplissement de sa promesse pour exercer la vertu du juste ; avant de donner un enfant à Sara; il attend qu'elle ait humainement perdu l'espoir d'en avoir, pour mieux faire éclater sa puissance. — 4. Grandeur de la promesse que Dieu vient de faire à Abram. Abram va planter sa tente au pied du chêne de Membré. — 5-6. Exhortation à la constance dans la foi.

 

1. Vous avez appris hier, mes bien-aimés, combien le patriarche avait d'humilité et de douceur. En effet, il était extraordinaire de voir ce vieillard, auquel Loth devait tant de bienfaits, si favorisé du Maître de l'univers, traiter d'égal à égal avec un jeune homme, avec son neveu, au point de lui céder l'avantage, de prendre ce qu'il laissait, afin de tout faire pour éviter la guerre et supprimer toute cause de dispute. Cherchons tous à l'imiter, ne publions jamais nos louanges , ne tombons jamais dans l'orgueil. Ne nous distinguons que par notre modestie, efforçons-nous de passer pour inférieurs aux autres, en oeuvres et en paroles, ne combattons jamais ceux qui nous ont fait tort quand même nous les aurions comblés de nos bienfaits (c'est là le comble de la sagesse) : ne nous fâchons d'aucune injure, même si elle vient de la part des inférieurs, mais apaisons toute colère par notre calme et notre douceur. Il n'y a rien qui montre plus de puissance et de force. C'est ainsi que notre âme parvient à être parfaitement tranquille , c'est là ce qui la maintient au port, pour ainsi dire, et facilite notre bonheur et notre repos. Voilà pourquoi le Christ nous donne ce divin précepte: Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez du repos pour vos âmes. (Matth. II, 29.) Car rien ne rend mieux à l'âme le repos et la tranquillité que la douceur et la modestie. Un- diadème honore moins celui qui le porte; l'illustration et la gloire n'ont rien qui vaille autant. Est-il, en effet, un plus grand avantage que d'être délivré d'une guerre civile? L'extérieur a beau être en paix avec nous, ou même nous être soumis, si le trouble dé nos pensées cause à l'intérieur des tumultes et des séditions, à quoi nous servira la paix extérieure? de même, que peut-il arriver de plus déplorable pour une ville, malgré tous ses murs et ses retranchements, que d'avoir des traîtres dans son sein? Je vous conjure donc, de songer avant tout à calmer le trouble de votre âme, à la mettre en repos et à la délivrer de tous ses dégoûts, afin que vous-mêmes puissiez être tranquilles et doux pour ceux qui vous approchent. En effet, on reconnaît surtout un homme raisonnable à ce qu'il est calme, facile à vivre, doux, modeste et tranquille; s'il ne se laisse pas entraîner comme un esclave par la (232) colère ou par d'autres passions; si la raison tempère son impétuosité naturelle, et l'empêche de tomber au rang des bêtes privées de sens. Et pour vous faire comprendre quelle est la force de la tranquillité et de la douceur, vertu qui peut à elle seule, si elle est pratiquée convenablement, mériter des louanges infinies, considérez que c'est elle qui est le plus célébrée chez le bienheureux Moïse et qui lui tresse la plus belle couronne. Moïse était le plus doux des hommes de la terre. (Nomb. XII, 3.) Vous voyez qu'un si grand éloge ne laisse aucun homme au-dessus de lui et même le met au-dessus des autres hommes. L'Écriture dit encore de David: Souvenez-vous, Seigneur, de David et de toute sa douceur. (Ps. CXXXI, 1.) C'est par là que notre patriarche a encore obtenu plus de bienveillance d'en-haut, et qu'en cédant ce qu'il possédait, il en a été récompensé et au delà, par la bonté de Dieu. Vous le saurez bientôt, quand vous aurez entendu la suite de l'instruction d'hier, et que nous aurons exposé à votre charité l'explication de la lecture qui vous a été faite. En effet, le patriarche, ayant eu l'extrême condescendance de laisser Loth choisir la meilleure part, se contente de la moins bonne afin d'éviter toute discussion; voyez maintenant quelle récompense Dieu lui donne, et comment il l'indemnise des richesses qu'il avait méprisées en lui rendant bien plus encore. Car tel est pour nous le Seigneur. Si nous lui sacrifions la moindre chose, il nous la rendra avec usure, et sera si libéral que tout ce que nous avons fait ne sera rien en comparaison de ses bienfaits.

2. Voilà ce que chacun peut observer à l'occasion de tout acte de vertu qu'il accomplit. Estil, dites-moi, rien de moins précieux que deux oboles? Cependant pour avoir mis deux oboles dans le tronc des aumônes, cette veuve est restée célèbre depuis cet instant jusqu'à présent. (Luc, XXI, 3. ) Mais pourquoi parler de deux oboles? Celui qui offre un verre d'eau froide en sera grandement récompensé, car Dieu couronne toujours l'intention de la vertu. Cela se voit encore à propos de l'assiduité dans les prières. S'il voit quelqu'un qui l'approche avec ferveur, il lui dit aussitôt : Je viens à toi tandis que tu parais encore. (Isaïe, LXV, 24.) Si cette assiduité ne se ralentit pas, si les prières sont faites avec un saint désir et une véritable ferveur, il les exauce et les couronne avant qu'elles soient formulées; c'est ce que le Seigneur a fait à l'égard de la Chananéenne. Quand il vit son énergie et sa persévérance infatigable, il l'exalta et la couronna, pour ainsi dire, par ses éloges, au point de la rendre illustre aux yeux de toute la terre, et dépassa encore ses prières par sa générosité. Car après avoir dit O femme, ta foi est grande! il ajouta : Qu'il soit fait comme tu le désires. (Mat. XV, 28.). Et si nous voulions prendre tous les exemples que nous offrent les saintes Écritures, nous y trouverions partout les preuves de la bonté dif Seigneur. Aussi le patriarche, sachant bien que celui qui cède quelque chose obtient davantage , ainsi que vous l'avez vu hier, accorda tout à Loth et prit le pays le moins avantageux pour supprimer toutes les occasions de dispute, et faire renaître, par la force de sa vertu, le calme dans la maison. Mais voyons, par ce que l'on vient de lire, quelles récompenses il a reçues de Dieu pour tant de douceur.

Dieu dit à Abram, après qu'il se fut séparé de Lot : Lève les yeux à partir de la place où tu es maintenant, au nord, au midi, à l'orient et vers la mer : car toute cette terre que tu vois, je te la donnerai, ainsi qu'à ta race, jusqu'à la fin des siècles. Voyez avec quelle promptitude Dieu protège et récompense le juste. Voulant nous montrer combien la bonté de Dieu appréciait l'humilité du patriarche, l'Écriture sainte, après avoir dit que Loth s'était séparé de lui, pour aller dans le pays qu'il avait choisi comme plus avantageux, ajoute immédiatement: Le Seigneur dit à Abram. Ensuite, pour nous bien faire comprendre qu'il est récompensé de sa conduite avec Loth, elle dit encore : Dieu dit à Abram, après qu'il se fut séparé de Loth; comme s'il lui eût parlé ainsi: Tu as eu assez de condescendance pour laisser à ton neveu la terre la plus avantageuse tu as montré une grande humilité, et tu as assez tenu à la paix pour tout faire dans le but d'éviter les disputes ; reçois donc les preuves de ma munificence : Lève tes yeux à partir de l'endroit où tu es maintenant, du côté de l'aquilon et du midi, de l'orient et de la mer toute cette terre que tu vois, je te la donnerai, ainsi qu'à ta race, jusqu'à la fin des siècles. Voyez-vous combien cette -récompense est encore supérieure aux actions qui l'ont méritée? Le Dieu de bonté répète les mêmes paroles qu'avait employées le patriarche en cédant ses droits. Car celui-ci avait dit : Ne vois-tu pas (233) toute la terre devant toi? Sépare-toi de moi; si tu vas à droite, j'irai à gauche, et si tu vas à gauche; j'irai à droite. De même le Seigneur dit : Lève tes ,yeux à partir de l'endroit où tu es maintenant; toute cette terre que tu vois, le te la donnerai à toi ainsi qu'à -ta race, jusqu'à la fixa des siècles.

Voyez, je vous prie, quel excès de bienfaisance ! Tu lui as, dit le Seigneur, laissé le choix, tu lui as laissé prendre la terre qu'il a voulue, et tu t'es 'contenté de ce qu'il abandonnait. Mais moi, je serai si bienfaisant avec toi, que toute cette terre qui est là devant tes yeux, de tous les côtés, du nord au midi et de l'orient au couchant, toute cette terre que tu vois t'appartiendra; et non-seulement à toi, mais à ta race jusqu'à la fin des siècles. Voyez-vous quelle munificence digne de la bonté divine? Voyez-vous ce qu'il avait cédé et ce qu'il reçoit maintenant? Apprenons par là à faire de larges aumônes afin de mériter une plus grande récompense au moyen d'une offrande qui sera toujours petite. En effet, cela peut-il se comparer? Donner un peu d'argent et obtenir la rémission de ses péchés? Nourrir un homme qui a faim, et être justifié dans ce jour terrible et entendre ces paroles préférables à un empire : J'avais faim, et vous m'avez donné à manger. (Mat. XXV, 35.) Celui qui vous a procuré tant d'abondance n'aurait-il pas pu soulager la misère de cet indigent? Mais il a permis que cet homme fût pauvre pour qu'il pût être généreusement récompensé de sa patience, et que vous-mêmes fussiez justifiés par l'aumône.

3. Admirez la bonté du Seigneur ! n'a-t-il pas tout disposé pour notre salut? Aussi quand vous songez que c'est pour vous, dans votre intérêt que ce malheureux lutte avec la faim et la misère, ne passez point sans pitié , mais soyez un intendant fidèle des biens que le Seigneur vous a confiés, afin qu'en soulageant cet infortuné vous attiriez sur vous toutes les grâces d'en-haut. Glorifiez alors le Seigneur de ce qu'il a permis la pauvreté de cet homme pour vous donner l'occasion de laver vos péchés, et qu'après avoir bien administré ce que le Seigneur vous avait prêté, vous méritiez son approbation qui est au-dessus de tout langage et de toute pensée. Il vous dira : Courage; serviteur bon et fidèle ; tu as été fidèle à propos de petites choses; je t'en donnerai de plus importantes ;entre dans la joie de ton Dieu. (Mat, XXV, 23.) Si nous faisons ces réflexions, nous regarderons les pauvres comme des bienfaiteurs qui peuvent nous donner les occasions de faire notre salut; il faut donc les secourir abondamment et de bon coeur, ne jamais les refuser, mais leur parler avec beaucoup de bienveillance et de douceur. Prêtez l'oreille au pauvre et répondez-lui avec douceur et bonté (Eccl. IV, 8); alors, même avant d'avoir fait l'aumône , vous aurez relevé par votre bienveillance l'âme abattue du pauvre. La parole vaut encore mieux que le bienfait. (Eccl. XVIII, 16.) Tant il est vrai que l'âme est fortifiée et consolée par de bonnes paroles !

Aussi quand nous faisons l'aumône , ne considérons pas seulement celui qui la reçoit, mais songeons à celui qui recueille ce que l'on donne au pauvre, et qui promet de nous le rendre; songeons à lui sans cesse, pour exciter notre zèle charitable, et semons avec abondance, tandis qu'il en est encore temps, afin d'avoir plus tard une riche moisson. Celui qui sème peu, récoltera peu. (II Cor. IX, 6.) Répandons avec profusion ces semences, pour avoir une moisson opulente quand le jour sera venu. Maintenant c'est le jour des semailles, ne l'oublions pas, je vous en conjure-; quand viendra celui de la rétribution, nous recueillerons les fruits de ce que nous aurons semé, et nous obtiendrons la miséricorde du Seigneur. En effet, il n'est aucune de nos bonnes actions, aucune aussi capable d'éteindre l'incendie de nos péchés que l'abondance des aumônes; c'est elle qui efface nos fautes, qui nous justifie devant Dieu, et qui nous prépare pour récompense des biens ineffables. Mais je vous en ai dit assez pour vous y exhorter et pour vous montrer que les moindres dons sont magnifiquement récompensés par le Seigneur. En effet, nous sommes arrivés à recommander l'aumône en disant que le patriarche, pour avoir laissé à Loth la meilleure terre et gardé la moins bonne, s'était rendu Dieu si favorable, qu'il en avait obtenu une promesse au-dessus de tout ce que la pensée pouvait concevoir. Lève tes yeux à partir de l'endroit où tu es maintenant, du côté de l'aquilon et du midi; toute cette terre que tu vois, je te la donnerai à toi et à ta race, jusqu'à la fin des siècles. Tu as cédé une portion de terre à ton neveu ; moi je te promets toute la terre, et non-seulement à toi, mais à ta race jusqu'à la fin des siècles, c'est-à-dire à perpétuité ! Voyez-vous quelle lutte de bienfaits? Dieu sachant que le patriarche ne (234) désirait rien davantage, et que rien ne pouvait mieux corroborer sa constance, lui dit: Je multiplierai ta race comme le sable de la terre. Si quelqu'un peut compter le sable de la terre, il comptera aussi ta race. En vérité, une pareille promesse dépassait la nature humaine; non-seulement il lui donne l'assurance de le rendre père, malgré tout ce qui semblait s'y opposer, mais aussi de multiplier ses enfants comme le sable de la terre, voulant, par cette hyperbole, indiquer qu'ils seraient .innombrables.

Voyez comment la bonté du Seigneur exerce peu à peu la vertu du juste! Il lui a dit tout à l'heure : Je donnerai cette terre à ta race; maintenant il dit encore : Je la donnerai à ta race jusqu'à la fin des siècles et je multiplierai ta race comme le sable de la terre. Voilà de belles promesses, mais ce ne sont encore que des paroles ! Il se passe beaucoup de temps entre la promesse et son accomplissement, afin de nous montrer la piété du patriarche et l'infinie puissance de Dieu. Il en diffère et en recule la réalisation, afin que ceux qui en avaient reçu l'assurance, étant parvenus à l'extrême vieillesse, et ayant perdu toute espérance humaine, puissent éprouver la faiblesse de leur nature et la puissance incomparable de Dieu.

4. A ce sujet, réfléchissez, je vous prie, à la fermeté d'esprit du patriarche, pendant un si long espace de temps; tout était perdu au point de vue humain, mais songeant à la puissance de Celui qui lui avait fait cette promesse, il n'avait ni trouble, ni crainte. Vous savez que d'ordinaire nous finissons par ne plus croire aux promesses souvent répétées, quand elles tardent à s'accomplir: nous pouvons avoir raison, s'il s'agit d'un homme. Mais quand il s'agit de Dieu, qui dirige notre existence avec sa prudence parfaite, s'il a une fois promis quelque chose, nous devons nous y fier, malgré des obstacles innombrables, nous devons ne songer qu'à sa puissance absolue, raffermir notre raison et savoir que toutes ses paroles s'accompliront n'importe comment. Rien ne peut retarder l'effet de ses promesses, puisque c'est Dieu à qui tout est possible; mais il les recule quand il veut: s'il n'y a pas de chemins, il sait en trouver et nous rendre l'espérance au milieu de notre désespoir, afin de faire briller encore mieux à nos regards sa puissance et sa sagesse.

Il dit : Lève-toi et promène-toi en long et est large sur la terre que je te donnerai. Voyez comme il s'empresse toujours de maintenir le juste en sécurité ! Il dit: lève-toi, promène-toi, mesure la longueur et la largeur, pour que tu apprécies la terre dont tu jouiras et qu'avant même d'en jouir, tu te repaisses d'espérance pour premier bonheur. Car je te donnerai toutes les terres à l'entour pour te montrer que tu n'as pas abandonné autant que tu dois recevoir. Ne crois pas maintenant avoir eu la plus mauvaise part, quand ton neveu est allé occuper ce qu'il avait préféré. Les événements te prouveront bientôt que cet avantage ne lui a servi à rien; et lui-même apprendra quel inconvénient on trouve à rechercher la meilleure part. En attendant, recueille la récompense de la modération et de la condescendance que tu as eues pour ton neveu, reçois ma promesse, visite cette terre dont tu es le maître, et que tu posséderas bientôt, ainsi que ta race, jusqu'à perpétuité : Je la donnerai à ta race jusqu'à la fin des siècles. Quelle révélation de Dieu, quelle générosité du souverain Maître, quelle immense récompense accordée, par sa bienveillance et sa miséricorde, à ce juste et à toute la race qui devait sortir de lui !

En l'entendant, le patriarche, frappé de l'ineffable bonté de Dieu, leva sa tente et habita auprès du chêne de Membré, qui est au pays de Chèbron. Ainsi , après avoir reçu cette promesse et s'être séparé de Loth, il transporta sa tente au chêne de Membré. Voyez quelle résignation et quelle élévation dans l'esprit! comme il se transporte facilement et n'é-, prouve aucune difficulté à passer d'un lieu à un autre. Jamais vous ne le trouverez retenu ni embarrassé par aucune habitude, ce qui arrive souvent à bien des gens qui se prétendent parvenus au faite de la sagesse et supérieurs aux misères du monde. Si pourtant ils sont appelés par quelque circonstance à changer de place, souvent même, pour une affaire spirituelle, ils deviennent chagrins, tristes et supportent avec peine ce déplacement, parce qu'ils sont prévenus par l'habitude. Il n'en était pas ainsi de ce juste , qui avait déjà toutes les qualités de la sagesse chrétienne : comme un voyageur ou un étranger, il se transportait tantôt d'un côté, tantôt d'un autre, et s'empressait partout de déployer sa piété par ses actions. Car après avoir placé sa tente près du chêne de Membré, il y construisit un autel au Seigneur. Voyez quelle reconnaissance ! Aussitôt qu'il a placé sa tente, (235) il s'empresse d'offrir au Seigneur des actions de grâces pour sa promesse. Et dans tous les endroits où il place sa tente, vous trouvez qu'il songe avant tout à dresser un autel pour y offrir ses prières et accomplir le précepte de l'Apôtre qui nous ordonne de prier partout, et d'élever au ciel des mains pures. (I Tim. II, 8.) Voyez les ailes que l'amour prête à son âme pour voler à Dieu, et le remercier de toutes choses ! Il n'attendit pas que les promesses fussent accomplies; il le remercia de sa promesse, et il fit tout pour engager, par ses actions de grâce anticipées, le Seigneur à en précipiter l'accomplissement.

5. Imitons-le donc et ayons confiance dans les promesses divines. Que notre ardeur ne se. ralentisse pas avec le temps, que les obstacles répandus sur notre route n'affaiblissent pas notre courage; mais, toujours confiants dans la puissance de Dieu, comme si nous pouvions déjà voir ses promesses se réa lise r, montrons toujours une foi sincère. Car Dieu nous a fait des promesses considérables, immenses même, et qui confondent notre raison, puisqu'elles consistent à nous faire entrer dans son royaume et participer avec les anges à des biens ineffables, en nous délivrant de l'enfer. Gardons-nous de douter, sous prétexte qu'il nous est impossible de voir avec les yeux du corps , mais songeons que Celui qui a fait ces promesses ne peut mentir ; songeons à l'étendue de sa puissance, regardons tous ces biens avec les yeux de la foi, et d'après ce qu'il nous a déjà accordé, ayons bonne espérance pour l'avenir. En effet, c'est pour cela que nous avons déjà reçu mille bienfaits qui doivent nous conduire vers ces biens et nous en donner l'espoir; car Celui qui nous a donné son Fils par amour pour nous,, comment ne nous donnerait-il pas tout le reste? Aussi, Paul dit-il: Celui qui n'a pas épargné son propre Fils, et qui l'a livré pour nous tous, comment ne nous donnerait-il pas tout en même temps ? (Rom. VIII, 32.) S'il a livré son Fils pour nous autres pécheurs, s'il nous a accordé la grâce du baptême, s'il nous adonné la rémission des péchés qui l'ont précédé, s'il nous a ouvert la route de la pénitence, et s'il a encore -travaillé pour notre salut de bien d'autres manières, il est clair qu'il nous réserve un avenir bienheureux. Car lui, dont la bonté nous a préparé tous ces trésors avant que nous fussions au monde, comment ne nous permettrait-il pas d'en jouir? Pour voir qu'il les avait préparés d'avance, écoutez ce qu'il dit à ceux qu'il met à sa droite : Venez, les bien-aimés de mon Père, recevez pour héritage le royaume qui vous a été préparé avant la création du monde. (Mat. XXV, 34.)

Voyez l'excès de bonté, la bienveillance qu'il a eue pour notre race, puisqu'il nous préparait la jouissance de ce royaume même avant la: création du monde! Ne soyons donc pas ingrats, je vous en conjure, ne nous. rendons pas indignes de pareils bienfaits, mais chérissons, comme nous le devons tous, notre Maître et ne faisons rien qui puisse diminuer sa bienveillance pour nous. Est-ce nous qui avons fait les premiers pas? C'est lui, qui de lui-même nous a ouvert le trésor inépuisable de sa charité. Combien 'ne serait-il pas insensé de ne point aimer de toutes nos forces celui qui nous aime ainsi ! Son amour pour nous lui a fait tout supporter avec plaisir; il a voulu prendre, en quittant le sein de son Père, pour ainsi dire, la forme d'un-esclave, subir toutes les misères de l'humanité, supporter les injures et les- opprobres des Juifs, et enfin le supplice de la croix, la mort la plus ignominieuse, afin que nous, qui nous traînions à terre, écrasés du poids de mille péchés, la foi pût en lui nous en affranchir. Aussi en y réfléchissant, saint Paul, dont l'amour pour le Christ était si ardent, qui parcourait l'univers comme avec des ailes, et qui, malgré son corps, agissait presque comme un être incorporel, s'écriait-il : La charité du Christ nous possède. (II Cor. V, 14.) Voyez quelle reconnaissance , quel excès de vertu , quelle ferveur de zèle ! La charité du Christ nous possède, c'est-à-dire nous presse , nous pousse, nous excite.

Ensuite, voulant expliquer ce qu'il vient de dire, il ajoute : Nous jugeons que si un seul est mort pour tous, c'est que tous étaient morts. Et il est mort pour tous, afin que les vivants ne vécussent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui était mort et ressuscité pour eux. Vous voyez dans quel sens il a dit : T a charité du Christ nous possède. S'il est mort pour nous tous, il est donc mort afin que nous ne vivions plus pour nous, mais pour lui qui est mort et ressuscité pour nous. Mais, dira-t-on; comment pourrons-nous ne plus vivre pour nous-mêmes? Ecoutez encore les paroles de l'Apôtre : Je ne suis plus vivant, c'est le Christ qui vit en moi. (Gal. II, 20.) Vous voyez que, tout en (236) restant sur terre et dans les liens de la chair, il vivait cependant comme un habitant du ciel et assimilé aux puissances immatérielles. Il dit encore ailleurs : Ceux qui sont au Christ ont crucifié leur chair ove ;ses passions et ses désirs. (Gal. V, 24.) C'est là ne plus vivre pour soi-même, mais pour Celui qui est mort et ressuscité pour nous, afin d'être comme mort à cette vie présente et de ne plus être sensible à rien de visible. Car Notre-Seigneur a été crucifié pour que nous échangions la vie actuelle pour la vie future; ou plutôt pour que l'une nous fasse acquérir l'autre. La vie actuelle, si nous voulons être attentifs et vigilants, nous conduit au bonheur de la vie éternelle; pour peu que nous ayons de soin, et que nous cherchions à ouvrir l'oeil de l'esprit, nous saurons, ici-bas, nourrir sans cesse la pensée de ce bonheur, négliger et dédaigner le présent, pour ne songer qu'à l'avenir éternel, et suivre les leçons de ce saint qui nous dit : Maintenant je vis dans la chair, mais je vis dans la foi du Fils de Dieu qui m'a aimé, et qui s'est livré pour moi. (Gal. II, 20.)

6. Vous voyez quelle âme de feu, à quelle hauteur plane cet esprit, quel amour pour Dieu dans ce coeur enflammé ! Je vis maintenant, mais je vis dans la foi. Ne croyez pas, dit-il, que je fasse rien pour ce qui regarde la vie présente. Quoique je sois enveloppé de chair et soumis aux nécessités de cette nature, cependant je vis dans la foi, dans celle du Christ, c'est à lui que je songe sans cesse, l'espoir que j'ai en lui me fait devancer l'avenir et mépriser le présent. Enfin, pour vous montrer toute la perfection de son amour, il dit : Je vis dans la foi du Fils de Dieu qui m'a aimé et s'est livré pour moi. Quelle preuve d'extrême reconnaissance ! Que dis-tu, ô saint Paul? Tu disais un peu avant : Dieu n'a pas épargné son propre Fils, et l'a livré pour nous tous (Rom. VIII, 32) ; et maintenant tu dis : il m'a aimé, et tu sembles considérer comme particulier à toi un bienfait général. Oui, dit-il, car bien que ce sacrifice ait été offert pour tout le genre humain, cependant mon amour me le fait considérer comme s'il m'était particulier. C'est l'usage des prophètes de dire, ô Dieu, mon Dieu (Ps. XXI, CXVII et CXLI), quoique ce soit le Dieu de tout l'univers; mais l'amour a cela de particulier qu'il particularise ce qui est général. La foi du Fils de Dieu qui m'a aimé. Que dis-tu? Es-tu le seul qu'il ait aimé? Il a aimé toute la nature humaine, mais je lui rends grâces comme s'il m'avait aimé seul. Et qui s'est livré pour moi. Quoi donc? est-ce pour toi seul qu'il a été crucifié? Ne dit-il pas: Quand je serai élevé, j'attirerai tout à moi? (Jean, XII, 32.) N'as-tu pas dit toi-même: Il s'est livré pour nous tous? Oui, j'en conviens, mais je cherche à nourrir mon amour. — Voyez ce qu'il nous apprend encore sur ces paroles. Après avoir plus haut dit du Père Il l'a livré pour nous tous, il dit ici : Il s'est livré lui-même. C'est pour montrer l'accord et l'égalité entre le Père et le Fils et pour faire allusion au mystère de la croix; aussi dit-il ailleurs : il a été obéissant jusqu'à la mort (Phil. II, 8), prouvant partout sa foi pour cette union. Ici il a dit : Il s'est livré lui-même, pour montrer qu'il a supporté la passion volontairement, non par force et par violence, mais qu'il avait désiré et voulu souffrir sur la croix pour le salut de tout le genre humain.

Comment notre amour pourra-t-il jamais être digne d'une si abondante charité? Quand même nous sacrifierions notre existence pour obéir à ses lois et pour maintenir les préceptes qu'il nous a donnés, nous ne serions pas encore à la hauteur de cette charité qu'il a déployée pour notre nature. C'est Dieu qui a souffert pour les hommes, le Maître pour les esclaves; et non-seulement pour des esclaves, mais pour des ingrats qui lui montrent une haine implacable. C'est lui qui a offert de lui-même ses généreux bienfaits à des hommes indignes et tombés mille fois; tous nos efforts ne pourront jamais récompenser dignement une pareille bienfaisance. Tout ce qui vient de nous est une obligation, un tribut; de lui viennent des largesses immenses et gratuites. Méditons sur ces vérités, aimons le Christ comme Paul l'a aimé, sans nous inquiéter des choses présentes, et conservant son amour constant et inébranlable dans notre âme. C'est ainsi que nous prendrons en pitié la vie actuelle et que nous habiterons la terre comme si nous étions déjà au ciel, sans ralentir notre zèle dans la prospérité, sans nous abattre dans l'adversité. Oublions tout pour courir vers notre Maître adorable, ne nous affligeons point pendant l'attente, mais disons comme notre saint : Maintenant nous vivons dans la chair, mais nous vivons dans la foi du Fils de Dieu, qui nous a aimés et s'est livré pour nous. Ainsi nous passerons sans affliction notre vie actuelle, et nous mériterons (237) les biens à venir, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit soient gloire, puissance et honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

Haut du document

 

  Précédente Accueil Remonter Suivante