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HUITIÈME HOMÉLIE. Et Dieu dit : « Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance , et qu'il domine sur les poissons de la mer; et sur les oiseaux du ciel, et, sur les animaux, et sur toute la terre , et sur tous les reptiles qui se meuvent sur la terre.» (Gen. I, 26.)
ANALYSE.
1. Après quelques paroles de félicitation sur l'empressement de ses auditeurs à venir l'entendre. 2. L'orateur aborde la création de l'homme, et observe que si toutes les autres créatures ont été produites par le seul commandement du Seigneur, celui-ci emploie, pour la formation de l'homme, un langage tout autre, qui atteste déjà lexcellence. de ce nouvel être. 3. Il prouve ensuite aux juifs par ces mots : « Faisons lhomme à notre image, » lexistence du mystère de la Trinité, et aux ariens la consubstantialité du Verbe , puisque Dieu s'adresse à une personne divine., et que cette personne lui est égale en toutes choses. 4. Quand Moise dit que l'homme a été créé à l'image de Dieu, il ne veut point dire que Dieu ait la forme humaine, mais que le Seigneur en établissant l'homme roi de la nature, l'a fait entrer en participation de son autorité. 5. De là, l'orateur fait une brillante description des nobles prérogatives de l'homme, et combat l'absurdité de l'idolâtrie qui n'est que la dégradation de l'homme. 6. Il termine ensuite par lénumération des qualités du véritable jeûne, et exhorte ses auditeurs à la pratique de l'aumône et de l'humilité.
1. L'empressement que vous témoignâtes hier m'encourage, mes très-chers frères, à vous expliquer aujourd'hui les paroles de la Genèse que l'on vient de lire. Mais en vous priant d'écouter avec attention ce présent entretien , je vous demande de ne pas oublier ceux des jours précédents, afin que mon travail ne soit pas inutile. Car je m'efforce de vous faire parfaitement saisir le sens et la force de chaque verset de l'Ecriture, en sorte que vous les reteniez vous-mêmes, et qu'en les communiquant à vos frères, vous puissiez, selon le précepte de saint Paul, vous édifier les uns les autres. (I Thess. V, 11.) Car si vous faites quelques progrès dans la piété, et si vous retirez quelques fruits de ces instructions, ma joie sera grande. N'êtes-vous pas en effet tout mon bonheur, et toute mon allégresse! Oui, quelle est notre espérance, notre joie, et notre couronne de gloire ? n'est-ce pas vous, et votre progrès selon Dieu? ( I Thess. II, 19.) Le maître qui voit que ses disciples retiennent ses leçons, et les mettent en pratique, continue à les instruire avec une nouvelle ardeur. Et moi aussi, plus je vois que votre attention est grande, que votre désir est vif, et que votre intelligence déploie ses ailes au souffle de ma parole, plus je me sens pressé de vous ouvrir tous les trésors de la saine doctrine. Car ces trésors spirituels augmentent entre mes mains dans la même proportion que je vous les communique. Tel est l'heureux effet de ces entretiens qui vous édifient, et qui servent à l'utilité de vos âmes. Il n'en est pas de ces richesses comme de l'argent: plus nous donnons à nos frères, et plus nous diminuons notre trésor; plus nous sommes généreux, et plus nous nous appauvrissons, mais ici c'est tout le contraire. Nos richesses s'accroissent, et notre opulence s'augmente en proportion que nous répandons la saine doctrine dans les âmes qui ont soif de la posséder. Puisque la parole divine est ainsi pour nous une mine féconde, et pour vous un aliment spirituel, dont vous êtes saintement avides, recueillons aujourd'hui les instructions que nous donne Moïse dans le passage qui: vient d'être lu, ou plutôt celles que l'Esprit-Saint nous communique par son intermédiaire. Et Dieu dit : faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance. Mes chers frères, ne (43) passons point légèrement sur ces paroles, mais examinons-les en détail, et cherchons à les approfondir, afin d'y trouver le sens riche et abondant qu'elles renferment dans leur brièveté. Elles sont courtes, il est vrai ; et néanmoins elles cachent un précieux trésor, et il convient que nous apportions tous nos soins et toute notre application à le découvrir. Voyez-vous ceux qui exploitent une mine d'or. Ils ne se bornent pas à effleurer le sol, mais ils creusent profondément, et pénètrent jusque dans les entrailles de la terre. Ce n'est que par ce moyen qu'ils lui arrachent ce métal précieux; et souvent même après bien des travaux et des fatigués, ils n'en recueillent que quelques grains. Ici au contraire le travail est moindre, et le résultat toujours abondant. Telle est la loi de toutes les choses spirituelles. 2. Ne soyons donc pas moins actifs que ceux qui cherchent des trésors périssables, mais travaillons avec ardeur à découvrir le trésor spirituel qui est caché dans les paroles de la Genèse. Et d'abord considérons ce qu'elles renferment de nouveau, et de vraiment admirable : puis nous examinerons tous les termes divers que choisit l'écrivain sacré, ou plutôt que Dieu lui-même lui inspire. Et Dieu dit: faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance. Lorsqu'il eut créé le ciel et la terre, il dit : que la lumière soit: que le firmament soit entre les eaux ; que les eaux se réunissent dans un seul bassin, et que l'élément aride paraisse; et encore : que des corps de lumière soient, et que les eaux produisent des animaux vivants qui nagent. C'est ainsi que pendant cinq jours toutes les créatures furent formées par la seule parole du Seigneur. Mais aujourd'hui quel langage différent ! Il ne dit point : que l'homme soit, mais faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance. Quel sera donc cet ouvrage nouveau, et quelle merveille va se produire ! quel est cet être dont la formation semble exiger du Créateur tant de prudence et de circonspection? Ne vous en étonnez point, mes très-chers frères: car lhomme surpasse en dignité toutes les créatures visibles qui n'ont été créées que pour lui. Oui, le ciel, la terre et la mer; le soleil, la lune et les étoiles; les reptiles, les animaux domestiques et les bêtes féroces, tout en un mot n'a été créé que pour l'homme. Mais puisque l'homme surpasse en dignité toutes les créatures, pourquoi a-t-il été créé le dernier? Certes, c'est avec raison. Car, lorsqu'un roi doit entrer dans une ville, il y envoie d'abord ses gardes et ses officiers, afin qu'ils disposent le palais pour son arrivée. Et de même, le Seigneur, qui devait établir l'homme roi et souverain de l'univers, voulut d'abord l'orner et l'embellir, et puis il créa l'homme auquel il a donné l'empire du monde. C'est ainsi qu'il montre combien il honore l'homme. Interrogeons maintenant les Juifs, et demandons-leur de répondre à cette question. A qui le Créateur dit-il : Faisons l'homme à notre image ? Les Juifs se vantent de croire à Moïse qui a écrit ces paroles; mais réellement ils n'y croient pas, comme le leur reprochait Jésus-Christ. Si vous croyiez à Moïse, leur disait-il, vous croiriez aussi à moi (Jean, V, 46); ils sont, il est vrai, les dépositaires des saintes Ecritures, mais les chrétiens seuls en possèdent le sens. A qui donc le Seigneur dit-il . Faisons l'homme? Et auprès de qui prend-il conseil? Ce n'est pas que Dieu ail besoin de prendre conseil, et d'agir avec circonspection : non sans doute. Mais ces expressions figurées attestent toute l'excellence de l'être qu'il allait produire. Que répondent enfin ceux qui ont un voile sur les yeux, et qui ne veulent point comprendre l'Ecriture? Dieu, disent-ils, parle à un ange, ou à un archange. O folie ! ô impudence ! peut-on dire avec quelque apparence de raison, ô pauvre homme, que Dieu prenne conseil de ses anges, et le Créateur, de ses créatures? L'office des anges n'est point de donner des conseils, mais d'entourer le trône du Seigneur et d'exécuter ses ordres. En doutez-vous? écoutez cette magnifique vision du prophète Isaïe : J'ai vu des chérubins qui se tenaient à la droite du Très-Haut, et des séraphins qui se voilaient, de leurs ailes le visage et les pieds. (Isaie, VI, 2.) Ils se voilaient ainsi, parce qu'ils ne pouvaient soutenir l'éclat de la majesté divine. Aussi le Prophète les a-t-il vus tremblants et pénétrés de crainte. C'est en effet le devoir et l'office de ces intelligences célestes de se tenir près du Seigneur. 3. Les Juifs qui ne veulent point comprendre le sens des Ecritures nous répondent au hasard, et sans réflexion. Ainsi, après avoir réfuté leurs erreurs, exposons aux enfants de l'Eg
Ici s'élèvent d'autres hérétiques qui combattent l'enseignement de l'Eg
4. Nos adversaires veulent-ils encore, même après une explication si catégorique, entendre ce mot image d'une forme corporelle? nous leur dirons que Dieu n'est pas. seulement homme, mais femme aussi, puisque la forme humaine se retrouve dans les deux sexes. Mais ce serait vraiment trop absurde ; et il suffit pour s'en convaincre de lire ce passage de l'Apôtre : L'homme ne doit point se couvrir la tête, parce qu'il est l'image et la gloire de Dieu; au lieu que la femme est la gloire de l'homme. (I Cor. II, 7.) Et en effet, l'homme commande et la femme lui est soumise, ainsi que Dieu le lui a signifié dès le commencement. Tu seras sous la puissance de ton mari, et il te dominera. (Gen. III, 16.) Ainsi l'homme a été fait à l'image de Dieu parce qu'il entre en participation de son autorité, et non point parce que Dieu a une forme humaine. L'homme commande donc à toutes les créatures, et même à la femme qui lui est assujettie. C'est pourquoi saint Paul a dit de l'homme qu'il est l'image et la gloire de Dieu, et de la femme, qu'elle est la gloire de l'homme. Mais si les paroles de l'Écriture devaient s'entendre de la forme et de la figure, la distinction . que fait ici l'Apôtre serait inutile, puisque la nature humaine est la même dans l'homme et dans la femme. Tel est le véritable sens de ce passage de la Genèse, et il ne laisse aucun prétexte ,à ceux qui s'obstinent aveuglément à le rejeter. Mais, quoiqu'il en soit, ne cessons point de les traiter avec douceur, car peut-être le Seigneur leur donnera-t-il l'esprit de pénitence qui les amènera à reconnaître la vérité. (II Tim. II, 25.) Ainsi donnons à notre zèle une nouvelle activité, et efforçons-nous par notre douceur de les arracher aux pièges du démon. Citons-leur (45) encore l'autorité de l'Apôtre, qui disait aux Athéniens que nous ne devons pas croire que la divinité soit semblable à l'or ou à l'argent, ou à la pierre dont l'art et l'industrie des hommes a fait des figures. (Act. XVII, 29.) Et observez ici avec quelles précautions ce sage docteur sape dans leur base les raisonnements de lhérétique; car il dit que non-seulement la divinité ne peut avoir une forme corporelle, mais il ajoute même que l'imagination de l'homme ne saurait la représenter. Citez-leur donc ces paroles, et employez tous vos soins pour les détromper et les faire revenir de leurs erreurs. Au reste, si vous devez toujours les instruire avec bonté, vous devez également connaître à fond les dogmes de l'Eg
5. Et en effet, le Seigneur ne veut point qu'un chrétien se contente de travailler à son salut, mais il lui ordonne d'édifier son prochain par une saine doctrine, et surtout par sa vie et sa conduite. C'est là le moyen le plus puissant pour ramener les pécheurs dans les voies de la vérité; car ils considèrent bien plus nos actions que nos paroles. Ce n'est que trop vrai. Aussi, serait-ce en vain que nous disserterions éloquemment sur le pardon des injures si , dans l'occasion, nous n'en donnions l'exemple. Nos discours n'auraient jamais alors autant d'efficacité pour le bien que notre conduite pour le mal. Mais si l'exemple précède et accompagne nos paroles, on nous croira, parce que nous pratiquerons nous-mêmes les leçons que nous donnerons aux autres. C'est de ces chrétiens que Jésus-Christ a dit : Heureux celui qui fera et qui enseignera ! (Matth. V, 19.) Et observez comme il met l'action avant la doctrine. Et en effet, quand même la parole ne suivrait point l'exemple , celui-ci suffirait pour instruire tous ceux qui le voient. Appliquons- nous donc à édifier nos frères par nos bonnes oeuvres, et puis nous leur adresserons de bons discours; autrement on pourrait nous appliquer cette parole de l'Apôtre : Vous qui instruisez les autres, vous ne vous instruisez pas vous-mêmes. (Rom. II, 21.) Lorsque nous voudrons donner à quelqu'un des avis utiles à son salut, commençons à les mettre d'abord en pratique. Nous pourrons alors parler et instruire avec plus d'assurance. C'est ainsi que nous travaillerons avec zèle et avec succès au salut des âmes et que, réprimant les mouvements de la chair, nous observerons le vrai jeûne, celui qui consiste à s'abstenir du péché; car l'abstinence des viandes n'a été établie que pour dompter la chair et en faire un coursier soumis et docile. Le chrétien qui jeûne doit, avant tout, réprimer les saillies de la colère, et acquérir la patience et la douceur; il doit ensuite` s'exciter à la contrition du coeur et arrêter les mouvements de la concupiscence, et puis ne jamais perdre de vue cet oeil du Seigneur qui veille sans cesse, ni ce tribunal où siège un Juge incorruptible. Il doit enfin se montrer supérieur à l'amour des richesses, généreux envers les pauvres et attentif à écarter toute pensée qui blesserait la charité envers le prochain. Tel est le véritable jeûne que Dieu lui-même nous prescrit par la bouche du prophète Isaïe : Est-ce là le jeûne choisi par moi ? nous dit-il, que l'homme courbe sa tête comme un roseau, et qu'il dorme dans un cilice et sur la cendre, est-ce là un jeûne agréable au Seigneur? Non sans doute; mais déchirez les contrats injustes, partagez votre pain avec celui qui a faim, et recevez sous votre toit le pauvre qui est sans abri. Si vous faites ces choses, votre lumière brillera comme l'aurore, et je vous rendrai la santé. (Isaïe, LVIII, 5, 6, 8.)
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6. Vous comprenez maintenant, mon cher frère, quel est ce véritable jeûne que nous devons observer; car il serait absurde de nous borner, comme la plupart des chrétiens, à différer notre repas jusqu'au soir. Ce que l'Eg
Mais pourquoi parler ici de gloire et de vanité, puisqu'à l'exclusion même des récompenses que Dieu nous réserve, la raison seule nous dit de ne considérer dans l'aumône que la beauté de l'action, et le plaisir de soulager nos frères: Si , nous ne. pouvons nous élever jusqu'aux motifs sublimes de la religion, faisons du moins l'aumône pour elle-même, et non en vue de l'estime des hommes. Autrement nous perdrions et le fruit de cette bonne oeuvre, et la récompense qu'elle mérite. Mais ce que je dis de l'aumône, je l'applique également à toute autre oeuvre spirituelle. Car nous ne devons jamais nous y proposer la louange ni l'honneur. Aussi le jeûne, la prière, l'aumône, et toutes les bonnes oeuvres en général, ne nous sont-elles d'aucune utilité dès que nous n'agissons pas uniquement pour Celui qui connaît le secret des curs, et qui pénètre jusqu'aux plus intimes profondeurs de la pensée. Mais si vous agissez pour Dieu, comment, mon cher frère, recherchez-vous les louanges d'un homme semblable à vous? que dis-je, les louanges? au lieu de vous louer, souvent il vous déchire. Car il se rencontre des esprits si malicieux, qu'ils interprètent en 'mauvaise part toutes nos bonnes oeuvres. D'où vient donc, dites-le moi, que vous estimiez tant des juges si prévenus? mais l'oeil du Seigneur ne se ferme jamais, et aucune de nos actions ne peut échapper à son active vigilance. C'est pourquoi cette pensée doit nous porter à régler notre conduite avec autant de soin que s'il nous fallait à chaque instant rendre compte de nos paroles, de nos actions et de nos sentiments. Ne négligeons donc point l'oeuvre de notre salut. Car, mon cher frère, rien n'est plus grand ni meilleur que la vertu. C'est elle qui après la mort nous garantit des supplices de l'enfer, et qui nous introduit dans le royaume des cieux. Mais dès cette vie, elle nous établit au-dessus des mauvais desseins des hommes et des démons, et nous fait triompher de l'ennemi de notre salut. Eh ! que comparer donc à la vertu qui y met ainsi ses disciples à l'abri des embûches de l'homme, et qui-les rend vainqueurs des démons eux-mêmes ! Mais la véritable vertu méprise le monde, songe, à l'éternité, et ne s'enthousiasme pour aucun bien de la terre car elle sait que toutes ses prospérités sont plus fugitives qu'une ombre et qu'un songe. La véritable vertu est, à l'égard des plaisirs de la vie, aussi insensible qu'un cadavre; et à l'égard du péché qui souillerait l'âme, elle est morte et inactive, parce que toute sa vie et toute son action se concentrent dans les pensées et les exercices de la foi. C'est ainsi que l'Apôtre disait : Je vis, ou plutôt, ce n'est pas moi qui vis, c'est Jésus qui vit en moi. (Gal. II, 20.) A son exemple, mes très-chers frères, agissons nous-mêmes comme revêtus de Jésus-Christ, et gardons-nous de contrister l'Esprit-Saint. Lors donc que nous nous sentirons troublés par la concupiscence, ou par quelque affection déréglée, par la colère, l'emportement, ou par l'envi;, songeons que Dieu habite en nous, et éloignons toutes ces pensées. Conservons avec un soin respectueux les grâces éminentes que le Seigneur nous a départies, et réprimons les désirs mauvais de la chair. Puissions-nous ainsi, après avoir, pendant cette vie fragile et passagère, légitimement combattu, mériter les brillantes couronnes de l'éternité, et paraître sans crainte à ce jugement qui sera si terrible pour les pécheurs, et si consolant pour les justes ! Oui, puissions-nous obtenir ces biens ineffables, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'empire et l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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