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DIX-HUITIÈME HOMÉLIE. « Et Adam donna à sa femme le nom d'Eve, parce qu'elle est la mère de tous les vivants. Et le Seigneur Dieu fit à Adam et à sa femme des tuniques de peau, et il les en revêtit ; et il dit : Voici Adam devenu comme l'un de nous. » (Gen. III; 20, 21; 22.)
ANALYSE.
1. Saint Chrysostome rappelle d'abord que la punition de nos premiers parents doit nous rendre attentifs et vigilants à éviter le péché, puis il explique pourquoi Adam donna à son épouse le nom d'Eve. 2.-3. Les habits de peaux dont le Seigneur les revêtit, attestent sa bonté, et nous avertissent d'éviter le luxe et la somptuosité des vêtements. L'orateur prend l'occasion d'une sévère leçon aux riches, puis il explique, comme un ironique accomplissement des promesses du démon, cette parole : « Voilà qu'Adam est comme l'un de nous. » Ce fut aussi par un effet de miséricorde que Dieu chassa Adam du paradis terrestre, avant qu'il eût mangé du fruit de l'arbre de vie; parce que l'immortalité l'eût conduit toujours à pécher. Il l'obligea aussi à demeurer vis-à-vis du paradis terrestre, afin que la vue de ce lieu lui rappelât sa faute , et il l'assujettit à un dur travail pour qu'il ne s'attachât pas trop à la vie. 4. Au sujet de ces mots : « Adam connut son épouse, » saint Chrysostome fait observe que la virginité fut le premier état d'Adam et d'Eve, et il en relève l'excellence. 5. Il dit ensuite que si Dieu agréa les présents d'Abel, et rejeta ceux de Caïn, ce fut par suite de leurs dispositions intérieures, et il s'étend longuement sur la bonté avec laquelle le Seigneur parla à Caïn et chercha à lui inspirer de meilleurs sentiments. 6. Il termine enfin par quelques mots sur le: soin que bous devons avoir de fuir le péché dans lequel tomba Caïn.
1. Hier, vous avez pu apprécier l'indulgence du juge supérieur, et la bienveillance de ses paroles. Vous avez vu également la diversité des châtiments infligés aux coupables. Ainsi le tentateur a été puni tout autrement que ceux qu'il avait séduits; et la miséricorde divine a éclaté éminemment même dans la sentence rendue contre nos premiers parents. Il nous a donc été utile d'assister à ce solennel jugement, et d'en suivre tous les détails. Car nous avons connu de quels biens Adam et Eve se sont eux-mêmes privés par leur désobéissance; et nous avons appris comment le péché les a dépouillés d'une gloire. toute céleste et d'une existence tout angélique. Enfin, nous avons admiré la patience du Seigneur, et nous avons compris quel grand mal est la faiblesse puisqu'elle a entraîné pour l'homme la perte de si précieux avantages, et l'a plongé dans une humiliante dégradation. C'est pourquoi je vous en supplie, veillons sur nous-mêmes, afin que cette chute nous soit un salutaire avertissement, et que ce châtiment nous retienne dans une sage défiance. Nous serons en effet punis très-sévèrement, si ce terrible exemple ne nous détourne pas d'offenser Dieu. Car tout péché de rechute mérite d'être châtié plus rigoureusement. C'est ce que nous apprend l'illustre docteur des nations, le bienheureux Paul, quand il nous dit que tous ceux qui ont péché sans la loi, périront sans la loi, et que tous ceux qui ont péché sous la loi, seront jugés par la loi. (Rom. II, 12.) Le sens de ce passage est que ceux qui ont péché avant la loi évangélique seront traités avec plus d'indulgence que nous qui vivons sous cette loi, et qui mériterons un plus rigoureux châtiment parce que nous péchons après l'avoir reçue. Car tous ceux qui ont péché sans la loi, périront sans la loi; et ce leur sera un avantage par rapport au châtiment de n'avoir reçu ni la connaissance, ni les secours de la loi... Mais tous ceux qui ont péché sous la loi, seront jugés parla loi; parce qu'elle leur enseignait, (106) dit l'Apôtre, ce qu'ils devaient faire, et qu'ils n'ont point voulu suivre ses prescriptions. Aussi seront-ils, pour les mêmes péchés, punis plus sévèrement que les infidèles.
Mais expliquons le passage qui vient d'être lu. Et Adam donna à sa femme le nom d'Eve, qui signifie vie, parce qu'elle est la mère de tous les vivants. Observez ici le soin que prend, l'écrivain sacré de nous transmettre ces détails. Nous apprenons ainsi qu'Adam donna un nom à son épouse, et qu'il l'appela Eve, c'est-à-dire vie, parce qu'elle est la mère de tous les vivants. Elle est en effet la tige du genre humain et comme la racine et le principe de toutes les générations. Mais après nous avoir instruit de quelle manière Adam donna un nom à son épouse, Moïse nous fait connaître de nouveau la bonté de Dieu qui n'abandonna pas ses créatures dans la honteuse nudité où elles s'étaient plongées. Et le Seigneur Dieu, dit-il, fit à Adam et à sa femme des tuniques de peau, et il les en revêtit. Le Seigneur agit alors comme un bon père se conduit envers un enfant prodigue. Ce fils de famille était doué d'un bon naturel et avait été élevé avec soin. Il jouissait dans la maison paternelle d'une riche abondance, portait des vêtements de soie, et avait à sa disposition un opulent patrimoine. Mais voilà que l'excès même de la prospérité le précipite dans le mal; et alors son père lui retranche tous ces divers avantages, le retient de plus près sous sa dépendance, et remplace ses somptueux vêtements par un habit simple et commun qui cache seulement sa nudité. C'est ainsi qu'Adam et Eve s'étant rendus indignes de cette gloire brillante qui les couvrait et qui les affranchissait de tous les besoins du corps, Dieu leur retira cet éclat ainsi que la possession de tous les biens dont ils jouissaient avant cette épouvantable chute. Cependant, il eut compassion d'une si grande infortune, et les voyant honteux d'une nudité qu'ils ne pouvaient ni couvrir, ni cacher, il fit des tuniques de peau et les en revêtit.
Voilà donc où aboutissent les artifices du démon. Dès que nous prêtons l'oreille à ses suggestions, il nous séduit par l'amour de quelque plaisir passager, et nous entraîne dans l'abîme du péché. Puis il nous abandonne, tout couverts de honte et de confusion, à la pitié et aux regards de tous. Mais le Seigneur, qui s'intéresse toujours au salut de nos âmes, ne détourna point ses yeux du triste état où nos premiers parents étaient réduits, et il leur donna un vêtement dont la simplicité seule était un souvenir de leur chute. Et le Seigneur Dieu fit donc à Adam et à son épouse des tuniques de peau, et il les en revêtit. Observez ici, je vous le demande, avec quelle condescendance l'Ecriture se proportionne à notre faiblesse. Mais, je l'ai dit, et je le répète, il faut toujours lui donner un sens digne de Dieu. Ainsi ce mot : Dieu fit des tuniques, doit être pris dans ce sens qu'il commanda que ces tuniques existassent; et il voulut que nos premiers parents s'en couvrissent, afin que ce vêtement leur rappelât sans cesse leur désobéissance.
2. Ecoutez, ô riches ! ô vous qui vous enorgueillissez du travail des vers à soie, et qui vous parez des plus superbes étoffes ! écoutez cette leçon de modestie que le Seigneur nous a donnée dès les premiers jours de la création. L'homme avait mérité la mort par son péché, et il avait besoin d'un vêtement pour cacher sa nudité; et voilà que Dieu se borne à le revêtir d'une tunique de peau. Il voulut ainsi nous apprendre à fuir une vie molle et voluptueuse, et à embrasser de préférence une vie dure et austère. Mais peut-être les riches, rebutés de cette morale sévère, me diront-ils Eh quoi ! voulez-vous que nous nous habillions de peaux de bêtes? Je ne dis point cela; et nos premiers parents eux-mêmes n'ont pas toujours porté cette sorte de vêtements, car la bonté divine ne cesse jamais de se montrer généreuse et bienfaisante. C'est ainsi que du jour où Adam et Eve furent soumis aux besoins de la nature, et qu'ils perdirent cette douce et angélique existence dans laquelle ils avaient été créés, le Seigneur leur permit de tisser la laine pour s'en faire des vêtements. Il convenait en effet que l'homme, être raisonnable, fût vêtu, et qu'il ne vécût point, comme un animal, dans la honte et la nudité. Nos habits nous rappellent donc les biens que nous avons perdus, et le châtiment que, par leur désobéissance, Adam et Eve, ont attiré sur tout le genre humain.
Mais comment excuser ce luxe effréné qui rejette l'usage de la laine, pour ne porter que de la soie, et qui même pousse l'extravagance jusqu'à la rehausser de broderies d'or. Ce sont principalement les femmes qui s'adonnent à ces vanités; et moi, je leur dis : pourquoi parer ainsi votre corps? et pourquoi vous (107) enorgueillir de ce pompeux attirail? Vous oubliez donc que les habits sont une suite du châtiment infligé à nos premiers parents. Aussi l'Apôtre nous dit-il : Ayant de quoi nous nourrir et de quoi nous couvrir, nous devons être contents. (I Tim. 6, 8.) Ainsi il faut borner notre sollicitude au strict nécessaire; et il suffit que notre corps soit couvert, sans nous inquiéter de la beauté, ni de la variété des habits. Mais poursuivons le récit de la Genèse.
Et le Seigneur Dieu dit : Voici Adam devenu comme l'un de nous, sachant le bien et le mal; maintenant donc craignons qu'il n'avance la main et ne prenne aussi de l'arbre de vie, et qu'il n'en mange et ne vive éternellement. Et le seigneur Dieu le mit hors du jardin de délices, pour qu'il cultivât la terre d'où il avait été tiré. (Gen. III, 22, 23.) Ici encore le Seigneur use d'expressions proportionnées à notre faiblesse : Et le Seigneur Dieu dit : voici Adam devenu comme l'un de nous, sachant le bien et le mal. Quelle simplicité de langage ! mais comprenons-le dans un sens digne de Dieu. Il nous rappelle donc de quelle manière le démon, par l'organe du serpent, trompa nos premiers parents. Il leur avait dit : Si vous mangez de ce fruit, vous serez comme des dieux; et ils en mangèrent dans le fol espoir de s'égaler à la divinité. C'est pourquoi Dieu, voulant de nouveau leur faire sentir la grièveté de leur faute, et l'illusion de leurs espérances, dit ironiquement: Voici Adam devenu comme lun de nous.
Cet amer reproche était tout personnel et ne pouvait que jeter Adam dans une extrême confusion. C'est comme si le Seigneur lui eût dit : tu as transgressé mon commandement pour t'égaler à moi. Eh bien! ce que tu as désiré est arrivé, ou plutôt ce que tu ne désirais pas, mais ce que tu méritais justement. Car tu es devenu comme l'un de nous, sachant le bien et le mal. Le démon avait encore dit à Eve, par l'organe du serpent : Vos yeux seront ouverts, et vous serez comme des dieux, sachant le bien et le mal. Aussi le Seigneur ajouta-t-il : Et maintenant craignons qu'il n'avance la main, et ne prenne de l'arbre de vie, et qu'il n'en mange et ne vive éternellement. Ici encore se manifeste la miséricorde divine; mais il nous faut approfondir chacune de ces paroles pour n'en rien perdre, et en découvrir toutes les richesses cachées. Lorsque Dieu fit un commandement à Adam, il lui permit l'usage de tous les fruits, à l'exception d'un seul, le menaçant de mort, s'il osait y toucher. Mais en lui faisant ce commandement et cette menace, il ne lui dit rien de l'arbre de vie. Adam, créé immortel, pouvait donc, selon moi, et autant que je comprends ce passage, manger du fruit de cet arbre, comme de tous les autres; et ainsi il eût pu s'assurer l'immortalité, puisqu'il n'avait reçu aucune défense touchant cet arbre.
3. Si l'on me demandait curieusement pourquoi cet arbre est appelé l'arbre de vie, je répondrais que la raison humaine est incapable par elle-même de comprendre toutes les oeuvres de Dieu. Nous savons seulement qu'il a plu au Seigneur que, dans le paradis terrestre, l'homme eût comme une matière à la vertu d'obéissance et au péché de désobéissance. C'est pourquoi il planta ces deux arbres, l'un de vie et l'autre de mort, pour ainsi parler. Car c'est pour avoir mangé du fruit de ce dernier contre l'ordre de Dieu, que l'homme a été assujetti à la mort. Mais dès l'instant ou il toucha au fruit défendu, le péché entra dans le monde et l'homme devint sujet à la mort, et à toutes les infirmités de la nature. Cependant cette mort était dans les conseils divins une grâce plus encore qu'un châtiment; aussi le Seigneur ne voulut-il plus qu'Adam habitât le paradis terrestre. Il l'en chassa donc, lui prouvant, par cette rigueur même, qu'il n'agissait que par bonté et dans son intérêt. Mais cette doctrine exige un examen plus approfondi de ce passage.
Et maintenant, dit le Seigneur, craignons qu'Adam n'avance la main, et ne prenne aussi du fruit de l'arbre de vie, et qu'il n'en mange et ne vive éternellement. C'est comme s'il eût dit : Un excès d'intempérance a porté l'homme à transgresser mon commandement, et son péché l'a soumis à la mort. Aujourd'hui donc, s'il osait toucher au fruit de l'arbre de vie, il acquerrait l'immortalité et ne cesserait de pécher. C'est pourquoi il lui est avantageux que je le chasse du paradis terrestre; et je lui donnerai en cela plutôt une marque de bonté que de colère et de vengeance. Ainsi parla le Seigneur; et il est vrai de dire que ses châtiments comme ses bienfaits font éclater sa miséricorde. Ainsi ce dur exil devint pour Adam une salutaire leçon. Car si Dieu n'eût prévu que l'impunité rendrait les hommes plus coupables, il n'eût point chassé Adam du paradis terrestre. (108) Mais ce fut pour empêcher en eux les progrès du vice et fermer la voie à une malice qui n'aurait point su s'arrêter, qu'il châtia Adam dans une pensée toute de miséricorde; et c'est ce qu'il fait encore chaque jour à l'égard des pécheurs.
Il ordonna donc, par bienfaisance et par bonté, que l'homme fût chassé du paradis terrestre. Et le Seigneur Dieu, dit l'Ecriture, mit Adam hors du jardin de délices, pour qu'il labourât la terre d'où il avait été tiré. Remarquez ici l'exactitude de l'écrivain sacré. Il nous apprend que le Seigneur Dieu mit Adam hors du jardin de délices, pour qu'il labourât la terre d'où il avait été tiré. L'arrêt divin reçoit dès lors son exécution, et l'homme, chassé du jardin de délices, fut contraint de travailler la terre. Ce n'est pas non plus sans raison que l'Ecriture ajoute : d'où il avait été tiré. Car ce travail devait être pour lui une leçon continuelle d'humilité, en lui rappelant que son corps avait été formé du limon de la terre. Aussi est-il dit expressément : Pour qu'il travaillât la terre d'où il avait été tiré. C'est encore comme la conséquence de cette autre parole du Seigneur : Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front , qu'Adam reçut alors l'ordre de travailler la terre d'où il avait été tiré.
L'Ecriture nous apprend ensuite à quelle distance du paradis terrestre Dieu l'établit, puisqu'elle ajoute que le Seigneur Dieu chassa Adam, et le fit habiter en face du jardin de délices. Mais ici observons comme dans toutes ses couvres Dieu se montre plein de miséricorde, même quand il nous châtie. Ainsi c'est par bonté et par miséricorde qu'il châsse Adam du paradis terrestre; et s'il l'établit ensuite en face de ce même séjour, c'est afin que chaque jour il conçoive un nouveau regret de son ancien état, et une douleur nouvelle de ses malheurs présents. Sans doute cette vue lui était bien triste et bien amère, et toutefois il y trouvait une utile leçon; car elle le rendait plus sage et plus vigilant, et l'empêchait de pécher. Il n'est en effet que trop ordinaire à l'homme d'abuser des biens dont il jouit, et de ne se corriger que quand il les a perdus. Car l'expérience lui révèle sa faute, et son infortune lui fait apprécier le bonheur dont il est déchu et ressentir les maux qui l'environnent. Ce fut donc de la part de Dieu un trait de providence et de bonté que d'établir Adam en face du paradis terrestre, puisque la vue de ce lieu devait entretenir en lui de salutaires remords. Enfin pour l'empêcher que par un trop grand attachement à la vie, il n'essayât de rentrer dans le jardin de délices et de manger du fruit de l'arbre de vie, le Seigneur, selon le récit de l'Ecriture, récit proportionné à notre faiblesse, le Seigneur plaça un chérubin avec un glaive flamboyant qui s'agitait toujours, pour garder la voie de l'arbre de vie.
La négligence de nos premiers parents à observer le commandement divin, fut cause que le Seigneur fit garder avec tant de précaution l'entrée du paradis. Et il est juste d'observer que si sa bonté et sa miséricorde avaient déjà paru lorsqu'il bannit Adam, elles n'éclatèrent pas moins quand il plaça un chérubin avec un glaive flamboyant qui s'agitait sans cesse pour garder l'entrée du jardin de délices. Ce n'est pas sans raison aussi qu'il est dit de ce glaive qu'il s'agitait sans cesse. Car nous comprenons par là que tous les chemins qui pouvaient conduire à ce jardin étaient fermés, et que ce glaive flamboyant en défendait toutes les approches. Mais quels souvenirs il rappelait, et quelle terreur il inspirait à Adam !
4. Or, Adam connut Eve, son épouse. (Gen. IV, 1.) Remarquez la date précise de ce fait. Ce ne ne fut qu'après leur désobéissance et leur exil qu'Adam et Eve eurent commerce ensemble. Auparavant ils vivaient comme des anges, et ils ignoraient les plaisirs de la chair. Ah ! comment les eussent-ils connus, puisqu'ils n'étaient point assujettis aux besoins du corps ! Ainsi, dans l'ordre des temps, la virginité possède la palme de la priorité; mais lorsque la faiblesse de l'homme eut introduit la désobéissance et le péché, elle se retira, parce que la terre n'était plus digne de la posséder; et alors s'établit la loi de la concupiscence. Comprenez donc, mon cher frère, quelle est la dignité de la,virginité. Elle est une vertu bien élevée et bien sublime, et sa possession est trop au-dessus des forces humaines pour que nous puissions l'acquérir sans un secours tout spécial de la puissance divine. Et, en effet, Jésus-Christ lui-même nous déclare que les vierges sont dans un corps mortel les émules des anges. Les Sadducéens l'interrogèrent un jour surfa résurrection et lui dirent : Maître, il y avait parmi nous sept frères; et le premier ayant épousé une femme, est mort, et, n'ayant point eu d'enfants, il laissa sa femme à son frère. Il en fut de même du second, du troisième, et de tous jusqu'au septième. Au jour de la résurrection, duquel des sept sera-t-elle femme ? car (109) tous l'ont eue pour épouse. Mais Jésus-Christ leur répondit : Vous êtes dans l'erreur, ne sachant ni les Ecritures, ni la puissance de Dieu. Car au jour de la résurrection les hommes n'auront point de femmes, ni les femmes de maris; mais ils seront comme les anges. (Matth. XXII, 25-30.) Comprenez-vous maintenant que ceux qui, par amour pour Jésus-Christ, embrassent la sainte virginité, mènent sur la terre et dans un corps mortel la vie des anges? Mais plus cet état est grand et élevé, et plus brillantes sont les couronnes, plus magnifiques les récompenses et plus abondants les biens qui sont promis à tous ceux qui joignent à la chasteté la pratique des autres vertus.
Or, Adam connut son épouse qui conçut et enfanta Caïn. Le péché était entré dans le monde par la désobéissance de nos premiers parents, et l'arrêt divin les avait soumis à la mort. C'est pourquoi le Seigneur, qui veillait à la conservation du genre humain, permit qu'il se propageât par l'union de l'homme et de la femme. Et Eve dit : J'ai possédé un homme par la grâce de Dieu. Voyez-vous comme le châtiment infligé à la femme l'a rendue meilleure et plus réservée? Car elle n'attribue point aux seules lois de la nature la naissance de cet enfant; mais elle la rapporte à Dieu et lui en fait hommage. Ainsi le châtiment a été pour elfe une utile leçon. Car J'ai possédé un homme, dit-elle, par la grâce de Dieu, et je le tiens plutôt de sa bonté que de la nature.
Et de nouveau elle enfanta Abel, son frère. La naissance de ce second fils fut la récompense de sa vive reconnaissance pour celle du premier. Car c'est ainsi que le Seigneur nous traite; et quand nous le remercions d'un premier bienfait, il paie nos hommages par de nouvelles faveurs. Eve devint donc mère une seconde fois, parce que dans la première elle avait reconnu la main du Seigneur. Or, cette fécondité, depuis que le péché l'avait soumise à la mort, lui était une bien grande consolation. Aussi Dieu voulut-il dès le principe diminuer pour nos premiers parents la sévérité du châtiment, et comme effacer l'image de la mort sous le tableau de générations nouvelles. Et, en effet, ces générations qui se succèdent les unes aux autres, sont un emblème de l'immortalité. Et Abel, dit l'Ecriture, fut pasteur de brebis, et Caïn laboureur. Nous apprenons ainsi que chacun des deux frères exerça un art différent; l'un embrassa la vie pastorale, et l'autre s'adonna à l'agriculture.
Mais il arriva, longtemps après, que Caïn offrit au Seigneur un sacrifice des fruits de la terre. (Gen. IV, 3.) Observez ici quelles lumières le Créateur avait répandues dans la conscience de l'homme. Car qui avait révélé à Caïn la notion du sacrifice? La voix de sa conscience ; il offrit donc au Seigneur un sacrifice des productions de la terre, parce qu'il ne pouvait méconnaître qu'il devait lui faire hommage des fruits de son travail. Ce n'est pas que Dieu eût besoin de ses sacrifices; mais il convenait que, recevant ses bienfaits, il lui témoignât sa reconnaissance. Et en effet, Dieu, qui se suffit à lui-même et qui ne réclame rien de nous, veut bien, dans son extrême bonté, s'abaisser jusqu'à notre pauvreté, et permettre par intérêt pour notre salut, que la connaissance de ses attributs nous soit une école de vertus.
Et Abel offrit aussi les premiers-nés de son troupeau. Ce n'est pas sans raison que dans notre précédent entretien je vous disais que Dieu, qui ne fait acception de personne, sonde les volontés et récompense l'intention du coeur. Cette remarque trouve ici sa juste application. C'est pourquoi ce passage de la Genèse mérite un profond examen, et il convient de s'y arrêter sérieusement pour bien comprendre ce qui est dit de Caïn et d'Abel. Car il n'y a rien d'inutile dans l'Ecriture, et une syllabe, une lettre même recèle un riche trésor, puisqu'on peut toujours en tirer un sens moral. Or que nous dit-elle? Et il arriva, longtemps après, que Caïn offrit au Seigneur un sacrifice des fruits de la terre, et Abel offrit aussi les premiers-nés de son troupeau et les plus gras.
5. Un esprit pénétrant comprend à la simple lecture le sens de ce passage. Mais je me dois à tous, et la doctrine évangélique s'adresse également à tous; je vais donc entrer dans quelques explications, afin que vous en soyez mieux instruits. Caïn, dit l'Ecriture, offrit au Seigneur un sacrifice des fruits de la terre. Quant à Abel il choisit pour matière du sien les productions de l'art pastoral. Et il offrit les premiers-nés de son troupeau et les plus gras. Déjà ces seuls mots nous montrent toute la piété d'Abel, car il n'offre pas seulement quelques brebis prises au hasard dans son troupeau, mais les premiers-nés, c'est-à-dire les plus beaux et les plus précieux; et même parmi ceux-ci les (110) plus gras, c'est-à-dire tout ce qu'il y avait de meilleur et de plus excellent. Mais à l'égard de Caïn , l'Écriture n'entre dans aucun détail ; elle se contente de nous dire qu'il offrit un sacrifice des fruits de la terre et nous laisse ainsi supposer qu'il prit les premiers qui lui tombèrent sous la main, et qu'il dédaigna de choisir les plus beaux.
Je l'ai déjà dit, et je ne cesserai de le redire. Si Dieu reçoit nos sacrifices, ce n'est pas qu'il en ait besoin. Il veut seulement nous faciliter les moyens de lui témoigner notre reconnaissance. C'est pourquoi l'homme qui offre en sacrifice les biens mêmes qu'il tient de Dieu, doit, pour remplir ce devoir religieux, choisir tout ce qu'il a de meilleur. Autrement, il ne comprendrait pas combien Dieu lui est supérieur et combien il est lui-même honoré de remplir ces fonctions sacerdotales. Observez aussi, mon cher frère , et concluez de cet exemple quels rigoureux châtiments mérite le chrétien qui, par lâcheté, néglige son salut. J'ajoute que nul docteur n'instruisit Caïn et Abel et que nul conseiller ne leur suggéra l'idée d'offrit un sacrifice : leur conscience seule les en avertit, et les lumières que le Seigneur avait répandues dans l'esprit de l'homme. Ce fut aussi la pureté de l'intention qui fit agréer le sacrifice de l'un et la malice de la volonté qui fit rejeter celui de l'autre.
Et Dieu, dit l'Écriture, regarda Abel et ses dons. Voyez-vous comme s'accomplit ici cette parole de l'Évangile: les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers? (Matth. XIX, 30.) Car celui qui avait le privilège du droit d'aînesse, et qui le premier offrit son sacrifice, fut mis au-dessous de son frère, parce que son intention n'était pas droite. Tous deux offrirent un sacrifice; mais c'est seulement d'Abel que l'Écriture dit : le Seigneur regarda Abel et ses dons. Que signifie ce mot , regarda ? il marque que Dieu approuva l'action d'Abel , loua son intention, couronna sa bonne volonté et, en un mot, fut satisfait de sa conduite. Car si nous osons dire quelque chose de Dieu et ouvrir la bouche pour parler de cet Etre éternel, nous ne pouvons le faire, parce que nous sommes hommes , que dans un langage humain. Mais, ô prodige ! Dieu regarda Abel et ses dons, c'est-à-dire l'offrande qu'il lui fit de ses brebis les plus grasses et les meilleures. Ainsi Dieu regarda Abel, parce que son sacrifice partait d'un coeur pur et sincère. Il regarda aussi ses dons, parce que les brebis étaient sans tache et précieuses, soit par rapport à l'intention de celui qui les offrait, soit en elles-mêmes, puisqu'elles avaient été prises parmi les premiers-nés du troupeau, et qu'elles en étaient les plus grasses, c'est dire qu'elles étaient un choix fait dans tout ce qu'il y avait de meilleur.
Et Dieu regarda Abel et ses dons; mais il ne regarda ni Caïn ni ses sacrifices. (Gen. VII, 5.) Le sacrifice qu'Abel offrit, avec un coeur pur et une volonté droite, fut donc agréable au Seigneur,qui l'agréa et qui daigna même le. louer. Ainsi il appela dons l'offrande d'Abel pour mieux honorer la sincérité de son intention. Mais il ne regarda ni Caïn ni ses sacrifices. Observez ici avec quelle exactitude s'exprime lécrivain sacré. En disant que Dieu ne regarda point Caïn, il nous apprend qu'il rejeta ses présents, et en appelant ceux-ci du nom de sacrifices, il nous donne une utile leçon. L'action et la parole divine nous apprennent donc que le Seigneur exige nos sacrifices comme un témoignage extérieur des sentiments de notre âme et comme une protestation publique que nous le reconnaissons pour notre Maître et pour le Créateur qui nous a tirés du néant. Et en effet, lEcriture, qui nomme dons l'offrande de quelques brebis, et sacrifices celle de quelques fruits de la terre, nous enseigne que le Seigneur recherche la pureté de l'intention bien plus qu'il ne se soucie qu'on lui offre des animaux ou des fruits. C'est donc cette pureté qui rendit le sacrifice d'Abel agréable à Dieu; et c'est une disposition toute contraire qui fit rejeter celui de Caïn.
Il faut également entendre dans un sens digne de Dieu ces paroles : Le Seigneur regarda Abel et ses dons; mais il ne garda ni Caïn, ni ses sacrifices. Elles signifient que le Seigneur fit comprendre à l'un qu'il approuvait sa bonne volonté, et à l'autre qu'il repoussait son ingratitude. Telle fut la conduite de Dieu; et maintenant expliquons le verset suivant. Et Caïn fut violemment attristé, et son visage fut abattu. D'où provenait cette violente tristesse ? d'un double principe : Le Seigneur avait rejeté son sacrifice, et il avait agréé celui d'Abel. Voilà donc pourquoi Caïn fut violemment attristé, et pourquoi son visage fut abattu. Ces deux causes se réunissaient pour aggraver sa tristesse; le Seigneur avait repoussé son offrande, et il avait reçu celle d'Abel. Or, (111) puisqu'il avait péché, il devait faire pénitence et se corriger, car notre Dieu est toujours plein de miséricorde, et il hait en nous moins le péché que (endurcissement dans le péché. Mais Caïn n'en tint aucun compte.
6. Au reste, la conduite du Seigneur montra bien alors toute la grandeur de sa miséricorde, non moins que l'excellence de sa bonté, et même l'excès de sa patience. Et en effet, quand il vit Caïn violemment attristé, et comme submergé par les flots de la douleur , il ne détourna point ses regards de dessus lui, mais il se souvint qu'il avait agi envers Adam avec une tendre compassion, qu'il lui avait facilité après son crime l'occasion d'en obtenir le pardon, et qu'il lui avait comme ouvert la porte d'un humble aveu par cette interrogation : Adam, où es-tu? Aussi le voyons-nous témoigner à cet ingrat la même bonté, et lui tendre, sur le bord de l'abîme, une main secourable. C'est ainsi que pour lui aplanir les voies de la pénitence et du repentir, il lui adressa ces paroles : Pourquoi es-tu triste, et pourquoi ton visage est-il abattu ? Ton offrande était bonne en elle-même, mais n'as-tu pas péché dans le choix des fruits ? apaise donc ton irritation; son recours sera en toi et tu le domineras. Considérez ici, mon cher frère, l'indulgente et ineffable bonté du Seigneur. Il vit que Caïn était en proie à un mal violent, et qu'une noire jalousie l'assaillait fortement; et voilà qu'il se hâte, dans sa miséricordieuse tendresse, de lui présenter un salutaire remède. Bien plus, il lui tend une main secourable pour l'arracher aux flots qui menacent de le submerger.
Pourquoi es-tu triste, lui dit-il; et pourquoi ton visage est-il abattu? D'où vient cette tristesse si grande qu'on lit sur ton front les signes d'un profond chagrin ? Pourquoi ton visage est-il tout abattu ? et quelle est la cause de cette mélancolie ? Pourquoi n'as-tu pas réfléchi à ce que tu faisais ? et croyais-tu offrir tes sacrifices à un homme qu'on peut tromper ? Enfin ignores-tu que je n'ai nul besoin des présents de l'homme, et que je ne considère dans le sacrifice que l'intention de celui qui l'offre ? Pourquoi donc es-tu triste ? et pourquoi ton visage est-il abattu ? ton offrande était bonne en elle-même; mais n'as-tu pas péché dans le choix des fruits? Oui, la pensée de m'offrir un sacrifice était louable; et le choix mauvais des fruits offerts m'a seul fait rejeter ce sacrifice. L'oblation d'un sacrifice exige de grandes précautions, et la distance infinie qui sépare le Dieu qui le reçoit de l'homme qui le lui présente, commande à. celui-ci une sévère attention dans le choix de la matière. Mais tu n'as fait aucune de ces réflexions, et tu m'as offert les premiers fruits que tu as trouvés sous ta main. Aussi n'ai-je pu agréer ton sacrifice.
Les dispositions mauvaises avec lesquelles tu as offert ton sacrifice, me l'ont fait rejeter; et au contraire la pureté du coeur et le choix exquis des victimes m'ont fait accepter celui de ton frère. Toutefois je ne me hâte pas de punir ton péché, et je ne veux en ce moment que te le remettre sous les yeux, et te donner un bon conseil. Si tu le suis, tu obtiendras ton pardon, et tu éviteras d'affreux malheurs. Quel est donc ce conseil ? tu as péché, et grièvement; mais je punis moins le crime que l'endurcissement dans le crime, car je suis bon, et je neveux point la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive. (Ezéch. XVIII, 27.) Aussi parce que tu as péché, apaise ton ressentiment, rends le calme à tes pensées, bannis de ton esprit le trouble et l'inquiétude, et arrache ton âme aux flots tumultueux qui menacent de l'engloutir, mais surtout garde-toi de tomber dans un péché plus grave encore, et de te précipiter dans un désespoir irrémédiable. Tu as péché, apaise donc ta colère.
Le Seigneur savait bien que Caïn s'élèverait contre son frère, et c'est pourquoi il s'efforçait de prévenir en lui cette coupable résolution. Car tous les secrets de nos coeurs lui sont connus, et il découvrait les mouvements qui agitaient celui de Caïn. Aussi cherche-t-il à le guérir par de paternels avis, et par un langage plein de condescendance pour ses coupables dispositions. Il n'omet donc nulle tentative qui eût pu ramener Caïn à de meilleurs sentiments; mais le malheureux repoussa le remède, et se précipita dans l'abîme du fratricide. Tu as péché, lui disait le Seigneur, apaise donc ta colère. Sans doute j'ai rejeté ton sacrifice à cause de tes mauvaises dispositions, et j'ai agréé celui de ton frère par suite de son intention pure et droite; mais ne pense pas que je veuille pour cela te priver de l'honneur et des privilèges du droit d'aînesse. Apaise ta colère, car quoique j'aie honoré Abel, et reçu ses dons; tu n'en seras pas moins son aîné, et il te sera soumis. Ainsi, même après ton péché, je (112) maintiens à ton égard les privilèges du droit d'aînesse, et je veux que ton jeune frère reconnaisse ta supériorité et ton autorité.
Admirez donc avec quelle bonté le Seigneur cherche à modérer la fureur et l'irritation de Caïn, et par quelles douces paroles il s'efforce de calmer l'emportement de sa colère ! Il voit le trouble et l'agitation de son coeur, et il n'ignore pas ses projets cruels et homicides; c'est pourquoi il essaie d'éclairer sa raison; et pour ramener dans son âme le calme et la sérénité, il l'assure que son frère lui sera soumis, et qu'il ne perdra rien de son autorité. Mais tant de bontés et de prévenances furent inutiles; Caïn n'en profita point, et il s'opiniâtra dans sa malice et son obstination.
7. Je m'arrête, car je craindrais qu'un plus long discours ne fatiguât vos oreilles, et que mes paroles ne devinssent un fardeau et peut-être un ennui pour votre bienveillante attention. Je termine donc en vous exhortant à ne point imiter ce malheureux. Notre devoir est de renoncer au péché, et d'observer fidèlement les préceptes divins, surtout après ces grands et fameux exemples. Car désormais qui pourrait s'excuser sur son ignorance ! Caïn n'avait sous les yeux aucun exemple précédent qui pût le retenir, et néanmoins il fut condamné à ce terrible et affreux châtiment que nous connaissons tous. Quel sera donc celui des chrétiens qui, comblés de grâces, commettent les mêmes péchés, et de plus énormes encore ! Ne méritent-ils pas le feu éternel, le ver qui ne meurt point, le grincement des dents, les ténèbres extérieures, les flammes de l'enfer, et tous les supplices qui nous sont inévitablement réservés? Eh ! de quelles excuses pourrions-nous pallier notre négligence et notre lâcheté ! Ne savons-nous pas ce que nous devons faire, et ce que nous devons omettre? D'ailleurs, ignorons-nous que ceux qui pratiquent la vertu, obtiendront des couronnes immortelles, et que ceux qui commettent le mal, sont destinés a des supplices éternels? Je vous en conjure donc, ne rendez pas nos assemblées inutiles, mais traduisez en actions les paroles que vous y entendez. C'est ainsi que, rassurés par le bon témoignage de notre conscience, et appuyés sur l'espérance chrétienne, nous traverserons la mer orageuse de cette vie, et arriverons au port de l'heureuse éternité. Puissions-nous y jouir de ces biens ineffables que le Seigneur a promis à ceux qui l'aiment ! Et puissions-nous les obtenir, par la grâce et la miséricorde de son Fils unique, à qui soient, avec son saint et adorable Esprit, la gloire, l'honneur et l'empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Traduit par DUCHASSAING.
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