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CINQUANTE-CINQUIÈME HOMÉLIE. Et Laban dit à Jacob : « Parce que vous êtes mon frère, ce n'est pas une raison pour que vous serviez gratuitement. Dites-moi quelle rétribution vous désirez. » (Gen. XXIX, 15.)
ANALYSE.
1. Résumé de l'homélie précédente. Jacob met toute sa confiance en Dieu. Quelle était l'hospitalité des anciens. 2 et 3. Explication des versets 15-18. L'amour de Jacob pour Rachel accuse notre indifférence pour Dieu. Comment saint Paul aimait lieu, il faut l'imiter. 4 La longueur du temps n'est pas nécessaire pour obtenir la rémission des péchés. Puissance de l'aumône. 5. Exhortation à la pratique de l'aumône. .
1. Hier les préludes du voyage de l'homme juste nous ont assez montré la grandeur de sa sagesse, qui lui a mérité d'entendre de si magnifiques promesses de la part de Dieu. Ces prières, les voeux adressés par lui au Maître de l'univers, ont été ensuite, pour nous tous, un enseignement assez éloquent, si son exemple nous excite à imiter sa vertu. C'est en effet une chose admirable que ce juste, connaissant le pouvoir de Celui qui lui faisait les promesses, que ce juste qui entendait des promesses si magnifiques, même dans ces circonstances, n'ait pas songé à rien demander de grand ni de sublime. Qu'a-t-il demandé? ce que vous avez entendu hier; ce qui suffisait à sa nourriture de chaque jour, un vêtement pour secourir le corps, et bien vite, il s'engage, si Dieu lui accorde, comme il lui en a fait la promesse, de retourner au milieu des siens, à donner, de son côté, au Seigneur, la dîme de tous les biens qu'il en recevra. Toutes ses paroles montrent sa confiance dans le pouvoir de Celui qui lui fait la promesse; il nous enseigne à n'avoir de confiance qu'en lui. C'est que cet homme juste connaissait l'ineffable bonté du Seigneur; ce qui l'en assurait, c'était le soin que Dieu avait pris de son père, et il ne doutait pas que Dieu lui accordât à lui-même l'abondance de tous lesbiens. Aussi, ne demande-t-il rien de pareil au Seigneur; il n'y songe pas dans ses prières; mais sa promesse de donner un jour la dîme de tout ce qu'il recevra, montre assez toute sa confiance dans le pouvoir du Dieu qui lui a tant promis. Voilà pourquoi le Seigneur lui disait : Je suis le Dieu d'Abraham et d'Isaac ton père, sois sans crainte. (Gen. XXVI, 24.) Pense, lui disait-il, qu'Abraham venu sur cette terre, comme un voyageur que nul ne connaît, s'est élevé à une gloire si éclatante que toutes les bouches célèbrent son nom; considère, de même, que ton père est venu au jour, lorsque le vieil Abraham touchait aux dernières limites de l'âge, et que ton père a grandi de manière à exciter l'envie des habitants de la contrée. Eh bien donc ! attends, pour toi, les mêmes biens ; bannis toute crainte, toute inquiétude, et marche devant toi dans ces pensées. Le juste ne s'arrêtait pas à regarder son état présent. En effet , il ne portait absolument rien avec lui, qu'aurait-il pu emporter? il était seul et contraint à un long voyage. Mais, dès ce moment, avec les yeux de la foi, il voyait l'abondance qui devait bientôt être son partage; et il montrait sa reconnaissance. Avant d'avoir rien reçu, il fait un voeu, il consacre la dîme ; la promesse de Dieu lui inspire plus de confiance que la réalité même de la possession. Et en effet, nous devons moins nous fier à ce que nous tenons dans nos mains, à ce que nous voyons, qu'aux (362) promesses de Dieu, alors même qu'elles ne s'accomplissent pas aussitôt. Donc, plein de l'assurance que lui donnent les paroles de Dieu, le juste entreprend son voyage, et comment n'aurait-il pas eu pleine assurance? Dieu lui avait dit : Voici que je suis avec toi, ton gardien, partout où tu iras, et je multiplierai ta race, et je te ramènerai dans ce pays, et je ne te quitterai point, jusqu'à ce que j'aie accompli toutes mes promesses. (Gen. XXVIII, 15.) Je veux répéter ce que j'ai dit hier; considérez l'industrieuse sagesse de Dieu; considérez la constance, la reconnaissance de ce juste. Il se leva, après avoir entendu ces promesses, et se dirigea vers Chanaan; et le voilà encore voyageur, errant, mais à chaque heure éprouvant les effets de la divine grâce; c'est le Dieu d'amour qui lui prépare, en tous lieux, le chemin, et qui accomplit sa promesse. En effet, celui qui avait dit : Je suis avec toi; ton gardien, partout où tu iras, c'est celui-là qui conduisit le juste vers le puits où les bergers de ce pays allaient chercher l'eau. Il les interrogea, au sujet de Laban, le frère de sa mère; il apprit d'eux tout ce qui le concernait; il vit ensuite et la fille de Laban, et ses troupeaux: il vit les habitants du pays qui ne pouvaient pas ôter la pierre de dessus le puits afin d'abreuver leurs troupeaux; il accourut; et ce que ces hommes n'avaient pas la force de faire, il le fit, grâce au secours d'en-haut; il prévint les bienfaits de Laban, ôta la pierre, et abreuva les brebis, que faisait paître Rachel. Ensuite il baisa la jeune fille, lui dit qui il était, d'où il venait, et resta auprès de la fontaine. Mais, comme c'était Dieu qui disposait toutes choses en faveur de l'homme juste, Dieu excita la jeune fille à courir promptement pour porter la nouvelle à son père, qui était l'oncle de Jacob, le frère de sa mère; elle lui raconta le service que le voyageur venait de rendre, et à elle-même et à son troupeau; elle lui apprit que ce voyageur n'était, ni un étranger, ni un inconnu, mais le fils de sa soeur.
Considérez, mes bien-aimés, le soin que prend la divine Ecriture de nous faire connaître tous les détails, un à un, pour nous apprendre les moeurs antiques, l'ardeur des anciens hommes à pratiquer l'hospitalité. L'Ecriture veut nous montrer l'empressement de la jeune fille, et le texte ne se borne pas à dire: Elle alla porter la nouvelle de ce qui était arrivé; mais, elle courut; c'est-à-dire qu'elle était pénétrée d'une grande joie. (Gen. XXIX,12.) Et ensuite, au sujet de Laban, qui était le père de la jeune fille, le texte dit, que sur ce qu'elle lui raconta, il courut, lui-même aussi, au-devant de Jacob, et le baisa et l'amena dans sa maison. (Ibid. 13.)
2. Lorsque Laban. eut appris de lui tout ce qu'il voulait savoir, Laban lui dit: vous êtes de mes os et de ma chair (Ibid. 94); c'est-à-dire, puisque vous êtes le fils de ma sueur, vous êtes de notre chair, vous êtes notre frère. Et, dit le texte, il resta avec lui un mois; le juste se trouva là, comme dans sa propre maison, au sein de l'abondance, affranchi de toute espèce de soin. Mais comme Dieu disposait, toutes choses dans l'intérêt de ce juste, et lui manifestait, en toutes choses, sa faveur et sa grâce, il excita pour lui l'affection de Laban et celui-ci, voyant l'honnêteté du juste, lui dit : Parce que vous êtes mon frère, ce n'est pas une raison pour que vous me serviez gratuitement; Dites-moi quelle rétribution vous est due. Considérez que le juste,. de lui-même, redemandait rien ; c'est Laban, qui sans aucune provocation, de son propre mouvement, fait cette proposition au juste; et considérez encore, lorsqu'un homme s'appuie sur le bras d'en. haut, comme tout afflue vers lui, ce n'est pas une raison, dit le texte, pour que vous me serviez gratuitement; Dites-moi quelle rétribution vous est due. Cependant ce bienheureux aimait Laban, et il lui suffisait de trouver auprès de lui la nourriture de chaque jour; et, pour ce seul avantage, il lui témoignait toute sa reconnaissance ; mais Laban, qui a vu toute son honnêteté, le prévient, en lui promettant de souscrire à la rétribution que lui-même fixera. Que fait donc le juste? Considérez encore ici, sa parfaite sagesse, son parfait désintéressement, ion mépris de. l'argent; ce n'est pas un mercenaire qui conteste avec Laban, qui réclame quoi que ce soit; il ne pense qu'à sa mère, qu'aux ordres qu'il a reçus de son père, et il montre l'excellence de sa sagesse; dans sa réponse à Laban : Je vous servirai sept ans, pour Rachel, votre seconde fille. (Ibid.18.) C'est qu'aussitôt qu'il l'avait vue auprès du puits, il l'avait aimée ; et voyez l'intelligence de Jacob ; il fixe l'intervalle de temps ; et,parce chiffre de sept années, il montre suffisamment la sagesse qui l'inspire. Et pourquoi vous étonner, mes bien-aimés, d'entendre dire qu'il pro. mit de servir sept ans pour la jeune fille qu'il (363) aimait? La divine Ecriture a voulu nous montrer l'excès de son amour en fixant la longueur du travail et du temps qu'il propose : Jacob le servit donc sept ans, pour Rachel, et ces années lui parurent des jours en bien petit nombre, au prix de laffection que, lui avait pour elle. (Ibid. 20.)
Ce nombre de sept ans, dit le texte, ce n'était que comme quelques jours, à cause de sa vive affection pour la jeune fille. C'est que l'homme blessé par l'amour ne voit rien de pénible; tous les dangers, toutes les épreuves, tout lui semble léger, parce que ses regards ne voient qu'une chose, parce qu'il n'a qu'une pensée, rassasier son amour.
Soyons attentifs, nous tous, que tient la lâcheté et l'abattement d'esprit, et qui ne montrons au Seigneur que notre ingratitude. Si ce juste, parce qu'il aimait cette jeune fille, s'est assujetti à servir pendant sept années, a supporté les fatigues des bergers et n'a ressenti ni ces fatigues, ni la longueur du temps; si tout lui a paru léger et facile, parce qu'il avait pour soutenir son courage, l'attente de la félicité à venir; si ce temps si long lui a paru comme un petit nombre de jours bien vite passés, quelle sera notre excuse, à nous, qui n'avons lias le même amour pour le Dieu qui nous aime, qui nous comble de bienfaits, qui nous entoure de ses soins, qui se donne tout à nous? S'agit-il d'un de ces profits du monde; nous voilà pleins d'ardeur, prêts à tout, acceptant les fatigues, quoique ce bien que nous poursuivons, ne soit que trop souvent un pesant fardeau, une occasion, de honte et de châtiment, dans le présent et dans l'avenir. Mais s'il s'agit de notre salut, s'il faut nous concilier la faveur d'en-haut, nous sommes sans énergie, sans courage, et notre vigueur s'en va. Quelle pourra être notre excuse , que pourrons-nous dire pour justifier notre nonchalance, nous, sans coeur, qui n'avons pas pour Dieu le même amour que ce bienheureux pour cette jeune fille, et cela malgré tant de bienfaits depuis longtemps reçus, malgré tant de bienfaits, que nous recevons encore chaque jour? Oui, nous sommes des ingrats; le bienheureux Paul n'était pas un ingrat, lui, dont l'amour bouillant, dont la charité ardente trouvait des paroles, des cris, des accents vraiment dignes de sa grande âme : Qui nous séparera de l'amour de Jésus-Christ? (Rom. VIII, 35.) Voyez la chaleur de l'expression et la force qu'elle recèle, voyez la ferveur de l'amour violent, voyez la charité embrasée. Qui nous séparera, c'est-à-dire, quoi donc peut nous séparer de l'amour pour Dieu, quoi donc parmi les choses visibles, quoi donc parmi les invisibles?
3. Ensuite, il énumère un à un tous les malheurs particuliers, pour bien montrer à tous, que rien ne peut triompher de l'amour qui le possède, de son amour pour le Seigneur; il ajoute : La tribulation ? l'affliction ? la faim ? la persécution? la nudité ? les périls? le glaive? O délirante folie, mère de la vraie sagesse ! De tout ce qui peut nous arriver, Qu'est-ce donc qui nous séparera de l'amour de Dieu? Les tribulations de chaque jour? non ; les afflictions ? non; les persécutions? non, jamais. Quoi donc alors ? la faim? non, pas même la faim; mais alors les périls? et que dis-je? la faim et la nudité, et les périls? Ah ! le glaive? eh bien, dit-il, la mort même, fondant sur nous, n'aura pas ce pouvoir; impossible, absolument impossible. Nul autre, non, jamais personne n'a mérité de ressentir l'amour pour le Seigneur, autant que cette âme bienheureuse ; c'était comme un esprit affranchi du corps, séjournant dans les espaces sublimes, ne touchant plus la terre, quand il faisait entendre de telles paroles; son amour pour Dieu, la charité qui l'embrasait, transportait sa pensée loin des choses sensibles , vers la vérité pure; loin des choses présentes, vers les biens à venir ; loin des choses visibles, vers celles que l'il ne voit pas. Voilà ce que fait la foi, voilà l'amour de Dieu. Et, comprenez la grandeur du sentiment qui le pénètre, voyez quel amour pour le Seigneur; voyez quelle charité brûlante, dans la fuite, dans la persécution, dans les verges, dans les innombrables épreuves qu'il supporta, qu'il énumérait ainsi: J'ai plus souffert de travaux, plus reçu de coups: souvent, j'ai vu mille morts; j'ai reçu des Juifs, à cinq reprises différentes, trente-neuf coups de fouet; j'ai été battu de verges, par trois fois; j'ai été lapidé une fois; j'ai fait naufrage trois fois; j'ai passé, un jour et une nuit, au fond de la mer; j'ai été souvent dans les voyages, dans les périls sur les fleuves, dans les périls des voleurs, dans les périls de la part des faux frères, dans la peine et dans les fatigues. (II Cor. XI, 23-27.)
Et celui qui subissait tant d'épreuves, se réjouissait et tressaillait d'allégresse ; il savait, il avait au fond du coeur la conviction, que les (364) fatigues présentes lui assuraient les plus glorieuses récompenses; que ses périls lui valaient des couronnes. Si Jacob , dans son amour pour Rachel, regardait comme le court espace de quelques jours une durée de sept années, à bien plus forte raison, ce bienheureux méprisait-il toutes les choses présentes, embrasé qu'il était de son amour pour Dieu, supportant tout, pour son Christ bien-aimé. Appliquons-nous donc, nous aussi, je vous en conjure, à aimer le Christ, car, Que demande-t-il de vous , dit l'Evangéliste? rien autre chose , que de l'aimer de tout votre coeur, et d'accomplir ses commandements. (Marc. XII, 30). Il est évident que celui qui aime Dieu, comme il convient, fera tous ses efforts pour accomplir ses préceptes ; l'amour fraternel fait tout avec ardeur, pour s'attirer l'amour du bien-aimé; et nous aussi, si notre coeur chérit sincèrement le Seigneur , nous nous empresserons d'accomplir ses commandements; nous ne ferons rien qui puisse aigrir contre nous le bien-aimé. Voilà la royauté du ciel; voilà, des vrais biens la vraie jouissance ; voilà ce qui renferme les biens infinis, la sincérité, la perfection de l'amour. Et notre amour pour Dieu est sincère, quand l'affection que nous lui portons, nous excite à montrer, à nos compagnons d'esclavage, la tendresse d'un ardent amour. Toute la loi des prophètes, dit l'Evangéliste, sont renfermés dans ces deux commandements (Matth. XXII, 40), à savoir: Que vous aimiez le Seigneur, votre Dieu, de tout votre coeur , de toute votre âme et de toutes vos forces, et votre prochain comme vous-même. (Marc, XII, 30, 31.) Voilà la somme, voilà le fondement de toutes les vertus. En même temps que l'amour de Dieu fait son entrée dans les âmes, y entre aussi l'amour du prochain; qui aime Dieu, ne méprise pas son frère, ne préfère pas les richesses à celui qui est un de ses membres; au contraire, c'est l'amour, c'est la bonté qui se manifeste au souvenir de cette parole : Autant de fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi-même que vous l'avez fait. (Matth. XXV, 40.) Cette pensée que ce que l'on fait au prochain, est fait à Dieu même, qui nous l'attribue comme un bienfait ,qu'il a reçu de nous, donne au vrai fidèle l'allégresse de la charité. Dès lors, d'une main généreuse, il répand autour de lui l'aumône; il ne s'arrête pas à l'extérieur méprisable du pauvre; il ne considère que la grandeur de Celui qui a pro. mis qu'il regarderait comme fait à lui-même tout ce qui aurait été fait aux pauvres. Gardons-nous donc de dédaigner, je vous en conjure, ce profit de nos âmes, ce remède de nos blessures, Voilà, en effet, voilà, par excellence, le remède salutaire, qui fera disparaître les ulcères de nos âmes, jusqu'aux vestiges de toutes les cicatrices; qui produira une cure, impossible pour le corps. Vous avez beau, d'après les conseils des médecins, mettre cataplasmes sur cataplasmes ; il faut que, sur le corps, la cicatrice demeure, et cela se comprend; c'est le corps en effet qu'il s'agit de guérir ; au contraire, quand il s'agit de guérir l'âme, la bonne. volonté produit une amélioration merveilleuse; les plaies disparaissent, comme la poussière que dissipe la violence des vents. Les Ecritures sont pleines d'exemples qui le prouvent. Ainsi Paul est devenu, de persécuteur, apôtre; et celui qui d'abord combattait l'Eg
4. Comprenez-vous le changement? comprenez-vous la transformation? C'est ainsi que le larron, qui avait commis tant de meurtres, a pu, pour quelques paroles que vous connaissez, en moins d'un instant, si bien laver toutes ses fautes, qu'il a entendu, de la bouche du Seigneur : Aujourd'hui, vous serez avec moi dans le paradis. (Luc, XXIII, 43.) C'est ainsi que;le publicain, pour s'être frappé la poitrine, pour avoir confessé ses fautes, est descendu du temple plus justifié que le pharisien. (Luc, XVIII, 13.) C'est que tous ces pécheurs manifestèrent la bonne disposition de leur âme; ils confessèrent leurs péchés, ils en obtinrent la rémission. Eh bien ! maintenant, voyons la force de ce précepte, l'abondance qui accompagne les largesses de l'aumône; apprenons quel profit en résulte pour nous, afin de la pratiquer avec ardeur. Peut-être son pouvoir est-il si grand que, non-seulement elle purifie les péchés, mais déconcerte la mort. Comment cela? je vais le dire : Et qui donc, m'objectera-t-on, pour avoir fait l'aumône, a triomphé de la mort? A coup sûr, on voit bien que nous sommes tous asservis à la mort. Cessez de vous troubler, mes bien-aimés; apprenez, par la réalité môme des choses, comment l'aumône triomphe de la tyrannie de la mort. Il y avait une femme, appelée Tabitha, nom qui correspond au grec Dorcas; chaque jour cette femme (365) s'appliquait à amasser les richesses qui viennent de l'aumône. Elle donnait, dit le texte, des vêtements aux veuves, et leur fournissait 3 toutes les autres choses qui leur sont nécessaires. Il arriva qu'elle tomba malade, et mourut. Voyez ici, mon bien-aimé, quelle récompense ; les veuves donnèrent à cette femme bienfaisante, qui prenait soin d'elle, qui leur donnait des vêtements. Elles entourèrent l'apôtre, dit le texte, et lui montrèrent ces vêtements, et toutes les preuves de la bonté de Dorcas, et des vertus qu'elle- manifestait, quand elle était encore au milieu d'elles. Ces veuves redemandaient celle qui les nourrissait, et elles versaient des larmes, et elles touchèrent vivement la compassion de l'apôtre. Que fit alors le bienheureux Pierre? Il se mit à genoux, en prières, et, se tournant vers le corps, il dit: Tabitha, levez-vous; elle ouvrit les yeux, vit Pierre, et se mit sur son séant. Il lui donna aussitôt la main et la leva; et, ayant appelé les saints et les veuves, il la leur rendit vivante. (Act. IX, 40, 41.) Voyez-vous la vertu de l'apôtre, disons mieux, la vertu du Seigneur, opérant par lui? Voyez-vous la grandeur de la rétribution qui récompense la charité envers les veuves, la grandeur de la rémunération, même dans la vie présente? Eh quoi ! répondez-moi, cette femme a-t-elle fait, pour les veuves, autant que les veuves ont fait pour elle? elle leur donna des vêtements et de la nourriture, mais les veuves, en retour, l'ont rendue à la vie ; elles ont repoussé la mort loin d'elle; disons mieux, ce ne sont pas ces veuves qui ont repoussé la mort, c'est dans sa clémence, Notre-Seigneur, jaloux de récompenser les soins de cette bienfaitrice.
Comprenez-vous la puissance de ce remède, ô mes bien-aimés? Appliquons-le donc, tous tant que nous sommes, à nous-mêmes ; ce n'est pas un remède dispendieux ; quoiqu'il soit d'une si grande efficacité, il coûte peu, on se le procure sans frais; car la grandeur de l'aumône ne consiste pas dans la valeur de l'argent, dans le prix des richesses, mais dans l'allégresse de la charité qui s'épanche. Voilà pourquoi celui qui donne un verre d'eau froide est agréable au Seigneur; et, de même, la pauvre femme qui jette dans le tronc deux petites pièces de monnaie. (Math. X, 42. Luc. XXI, 2.) Ces exemples nous,apprennent que c'est, en toutes choses, la pureté de l'intention que demande le Seigneur Dieu de tous les êtres. Il peut se faire que celui qui n'est pas riche , montre une grande libéralité, s'il a dans son coeur une grande charité ; il peut se faire que le riche paraisse moins généreux que le pauvre, si ce riche a une âme sordide. Versons donc, je vous en prie, ce que nous possédons, dans les mains des indigents; faisons-le , d'une âme charitable et magnifique, avec les dons que nous tenons du Seigneur; ce que nous avons reçu de lui, rendons-le lui encore,afin que, de cette manière encore, ces biens redeviennent nôtres, avec plus de profit. Telle est, en effet, la générosité du Seigneur; quoiqu'il ne reçoive que ce que lui-même nous a donné, il ne croit pas pourtant recevoir de nous ce qui lui appartient en propre; mais, dans sa grande munificence, il nous promet de tout nous rendre, à là seule condition que nous fassions ce qui dépend de nous; que nous sachions bien, quand nous donnons aux pauvres, que nous faisons un dépôt dans les mains du Seigneur; que nous soyons bien assurés que, quels que soient les trésors déposés dans ses mains, non-seulement il nous les rendra, mais nous les rendra avec usure, avec un très-grand profit, qui attestera la gloire de son incomparable magnificence. Et que dis-je? que Dieu nous rendra nos dons avec profit; non-seulement la main divine rend ce qu'on lui donne, mais, à tous ces présents, elle ajoute le don du royaume des cieux, et la gloire partout proclamée, et les couronnes, et des biens qui ne se peuvent compter; et cela, à la simple condition, pour nous , de prélever, sur tant de bienfaits reçus de Dieu, une toute petite part, que lui offre notre bonne volonté. Y a-t-il donc là une exigence lourde et importune? De notre superflu, il veut faire, pour nous, le nécessaire; de ces trésors que nous déposons, sans but sérieux, inutilement dans des coffres d'où ne sort aucun profit, il veut que nous fassions un bon emploi, qui lui permette de nous décerner de splendides couronnes. Car Dieu est impatient, et il nous presse, et il fait tout, et il met tout en oeuvre, pourquoi ? Pour nous rendre dignes de toutes ses promesses.
5. Donc, je vous en prie, ne nous privons pas de biens si précieux; si l'agriculteur diligent, vide ses greniers, confie les semences à la terre, dépense ce qu'il a mis longtemps à recueillir, et fait cette avance avec plaisir, dans l'espérance dé recueillir de plus grands biens, et cela, quoiqu'il n'ignore pas les intempéries (366) des saisons, la stérilité, dont parfois la terre est frappée, un grand nombre d'autres accidents; les sauterelles infestant les campagnes; la nielle, tous les fléaux qui, souvent, trompent son attente; si l'espérance qui le soutient, lui fait braver tout et confier hardiment à la terre ce qu'il a mis en réserve : à bien plus forte raison , nous, qui avons des réserves inutiles, dépensons-les utilement, pour les pauvres , pour nourrir les malheureux ; et cela, puisqu'il n'est pas à craindre que l'espérance nous trompe, ni que la terre, ici, soit stérile. Ne savez-vous pas ce que dit le texte: Il a dispersé, il a donné aux pauvres, (Ps. CXI, 9.) Ecoutez encore la suite: Sa justice demeure éternellement. O l'admirable semeur ! il a fait, en quelques instants, sa distribution, et c'est dans l'éternité des siècles que sa justice demeure. Qui a jamais vu opération plus heureuse? Aussi, je vous en conjure, acquérons, nous aussi , la justice qui vient de l'aumône, afin que, de nous aussi, on puisse dire: ils ont dispersé, ils ont donné aux pauvres; leur justice demeure ,éternellement. Quand le texte dit: Il a dispersé, il a donné, vous pourriez croire que ce qui a été dispersé , est perdu; voilà pourquoi le texte aussitôt ajoute , Sa justice demeure éternellement, c'est-à-dire, par suite de cette, dispersion, il faut qu'une justice demeure , dont rien ne triomphe; une justice qui s'étende dans toute la durée des siècles, sans jamais rencontrer de fin. Et, avec l'aumône, pratiquons aussi, ardemment, les autres vertus; réprimons les passions de la chair: bannissons de notre âme toute illégitime concupiscence, toute pensée mauvaise: la colère, la haine, l'envie; parons, de tous .les ornements, la beauté de notre âme; par l'éclat de cette beauté, concilions-nous ; l'amour du Dieu du ciel, et puisse-t-il habiter avec nous ! Aussitôt qu'il verra les grâces aimables de notre âme, vite il viendra vers nous ; c'est lui qui fait entendre ces paroles. Sur qui jetterai-je les yeux, sinon sur l'homme, doux et paisible, et humble, qui écouté mes paroles avec tremblement. (Isaïe, LXVI, 2.) Voyez-vous comme le prophète nous apprend les couleurs spirituelles qui peuvent rendre éclatante la beauté de l'âme? Sur l'homme doux, dit-il, et paisible et humble. Ensuite, il ajoute la cause qui produit cet étai: Et qui écoute mes paroles avec tremblement. Que signifie: qui écoute mes paroles avec tremblement? C'est, l'obéissance, qui réa
Traduit par M. PORTELETTE.
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