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PREMIER (a) SERMON POUR L'ANNONCIATION DE LA SAINTE VIERGE MARIE. Sur ces paroles de psaume LXXXIV, verset 10 : « Pour que la gloire habitât sur notre terre. »

 

1. « Pour que la gloire habitât sur notre terre, la miséricorde et la vérité se sont rencontrées, la justice et la paix se sont donné un baiser (Psal. LXXXIV, 10 et 11). » Or, « notre gloire à nous, dit l'Apôtre, c'est le témoignage de notre conscience (II Cor. I, 12) ;» non point celui que se rendait l'orgueilleux Pharisien et qu'il puisait dans une conscience séduite et séductrice, car ce témoignage n'était point exact, mais le témoignage que le Saint-Esprit rend au nôtre. Or ce témoignage est de trois sortes. D'abord nous devons croire, avant tout, que nous ne pouvons obtenir la rémission de nos péchés que par la. grâce de Dieu; ensuite que nous ne pouvons faire une seule bonne oeuvre sans le secours de cette même grâce, et enfin que nous ne saurions mériter la

 

e Dans le manuscrit des Feuillants, ce sermon est le troisième pour l'Annonciation; celui que nous plaçons ici comme étant le premier, se trouve le troisième, et notre troisième est le second.

 

vie éternelle par aucune œuvre, si Dieu ne nous l'accordait gratuitement. En effet, qui est-ce qui peut rendre pur l'homme conçu d'un germe impur, si ce n'est celui qui seul est pur (Job. XIV, 4) ? Certainement ce qui est fait ne peut pas ne pas être fait, mais s'il ne vous l'impute point ce sera comme si ce n'était pas; c'est ce qui faisait dire au Prophète : « Heureux l'homme à qui le Seigneur n'a point imputé le péché (Psal. XXXI, 2). » Quant aux bonnes oeuvres, il est hors de doute que personne n'en fait de soi-même. En effet, si l'humanité avant sa chute n'a pu se maintenir, à combien plus forte raison ne pourrait-elle se relever elle-même, maintenant qu'elle est tombée? Il est certain que toutes choses tendent, par elles-mêmes, à revenir à leur point de départ, et que c'est de ce côté qu'est leur pente naturelle. Ainsi en est-il de nous, qui, tirés du néant, ne cessons de tendre, la chose est évidente, vers le péché, qui n'est, après tout, que le néant.

2. Pour ce qui est de la vie éternelle, nous savons que tout ce qu'on peut souffrir eu cette vie ne saurait nous rendre dignes d'en obtenir la gloire, pas même si un homme endurait à lui seul toutes les souffrances à la fois. Car nos mérites ne sont pas tels que la vie éternelle leur soit due, à la rigueur, et que Dieu fût injuste, en quoi que ce soit, s'il ne nous l'accordait point. Car, sans m'arrêter à cette pensée que tous nos mérites sont des dons de Dieu, et que, par conséquent, ces mérites même nous rendent débiteurs de Dieu, au lieu de faire de Dieu notre débiteur, qu'est-ce, après tout, que tous nos mérites, en comparaison d'une si grande gloire? D'ailleurs, où trouver un homme meilleur que le Prophète, à qui Dieu a rendu ce témoignage insigne : « J'ai trouvé un homme selon mon cœur (I Reg. XIII, 14, et Act. 22) ? » Or cet homme-là s'est trouvé dans la nécessité de dire à Dieu : « Seigneur, n'entrez point en jugement avec votre serviteur (Psal. CXLII, 2). » Que personne donc ne se fasse illusion, car, s'il veut y réfléchir, il trouvera certainement qu'il ne saurait se présenter avec dix mille mérites devant celui qui vient à lui avec vingt mille (Luc. XIV, 31).

3. Mais ce dont je viens de parler ne suffit pas encore entièrement, il faut même le regarder plutôt comme le principe et le fondement de la foi. Si donc vous êtes convaincu que vos péchés ne peuvent être effacés que par Celui envers qui vous avez péché, mais en qui le péché n'a point de prise, vous avez raison; mais il faut encore que vous teniez pour certain que c'est par lui aussi que vos péchés vous sont pardonnés. Eu effet, d'après l'Apôtre, l'homme est justifié gratuitement par la foi (Rom. III, 28). Mais j'en dis autant des mérites : si vous pensez qu'on ne peut les acquérir que par lui, c'est bien, mais cela ne suffit pas, tant que l'Esprit de vérité ne vous rend pas témoignage que vous en avez obtenu par lui. Enfin, pour ce qui est de la vie éternelle, il vous faut encore le témoignage du Saint-Esprit, que vous ne pouvez de même y parvenir que par la grâce de Dieu. Car il n'y a que lui qui nous donne des mérites, et lui encore qui nous en récompense.

4. Or, vos témoignages, Seigneur, sont extrêmement dignes de confiance. En effet, pour la rémission des péchés, j'ai un argument sans réplique dans la passion de Notre-Seigneur. La voix de son sang a plus de force évidemment que celle du sang d'Abel, lorsqu'elle crie, dans le coeur des élus, la rémission des péchés. « Il a été livré, en effet, à cause de nos péchés (Rom. IV, 25); » je ne saurais clouter que sa mort soit plus efficace pour le bien que tous nos péchés pour le mal. Quant aux bonnes oeuvres, je trouve également un argument irrécusable dans sa résurrection, attendu qu'il « est ressuscité pour notre justification (Ibidem), » et pour ce qui concerne l'espoir de la récompense, nous le trouvons dans sa résurrection, car il est monté aux cieux pour notre glorification. Nous retrouvons ces trois choses dans les psaumes, quand le Prophète s'écrie : « Heureux l'homme à qui Dieu n'a point imputé le péché (Psal. XXXI, 2), » et ailleurs, « Heureux celui qui trouve son secours en vous, Seigneur (Psal. LXXXIII, 6), » et encore : « Heureux celui que vous avez choisi et enlevé, il habitera dans vos parvis (Psal. LXIV, 8). » Or la vraie gloire, la gloire qui habite en nous, est celle qui nous vient de Celui qui habite dans nos tueurs par la foi. Mais les enfants d'Adam, en recherchant la gloire qu'ils peuvent se donner les uns aux autres, rie voulaient point avoir la gloire qui ne vient que de Dieu et voilà comment, en n'ambitionnant que la gloire qui vient du dehors, la gloire qu'ils avaient, ils l'avaient plutôt dans les autres qu'eu eux.

5. Voulez-vous savoir d'où vient à l'homme la gloire qui se trouve en lui? Je vous le dirai en peu de mots, car la pensée, en moi, a hâte d'arriver au suris mystique, attendu que je n'avais que lui particulièrement en vue dans les paroles du Prophète que j'ai citées; mais les paroles de l'Apôtre, sur la gloire intérieure et le témoignage de la conscience, qui se sont tout de suite présentées à ma pensée, m'ont détourné vers le sens moral. Ainsi donc on peut dire que la gloire véritable dont j'ai parlé tout à l'heure, se rencontre même sur cette terre, si la miséricorde et la vérité se sont rencontrées et si la paix et la justice se sont donné le baiser. Il est nécessaire que la vérité de notre confession courre au devant de la miséricorde qui la prévient, et qu'ensuite nous embrassions la justice et la paix, sans quoi on ne saurait jouir de la vue de Dieu. Dès que la componction pénètre dans une âme, elle y est prévenue par la miséricorde, mais elle n'y entrera jamais si la vérité de la confession ne court au devant d'elle. « J'ai péché contre le Seigneur (II Reg. XII, 13), » s'écrie David, en parlant au prophète Nathan, qui était venu lui reprocher son adultère et sou homicide, et aussitôt le Prophète lui répond : « Le Seigneur a ôté votre péché de votre âme. » Il est clair que la miséricorde et la vérité venaient de se rencontrer. Tout cela soit dit pour nous tirer du mal; mais, pour faire le bien, il nous faut chanter en choeur, au son du tambourin, c'est-à-dire il nous faut mener de front, et dans un parfait accord, la mortification de la chair, les fruits de pénitence, et les oeuvres de justice, attendu que l'unité de l'esprit est le lien de la perfection, et ne nous écarter ni à droite ni à gauche, car il y en a dont la droite est une droite inique, comme il est arrivé pour ce Pharisien dont nous avons parlé plus haut et qui n'était pas comme le reste des hommes (Luc. XVIII, 1). Il se rendait témoignage à lui-même, comme je l'ai dit, mais son témoignage n'était pas vrai. Mais quel que soit celui en qui la miséricorde et la vérité se sont rencontrées, en même temps que la justice et la paie se sont embrassées, il peut se glorifier en toute sécurité, pourvu toutefois qu'il ne se glorifie qu'en celui qui se rend témoignage à lui-même dans l'esprit de vérité.

6. « Pour que la gloire habitât sur notre terre, la miséricorde et la vérité se sont rencontrées, la justice et la paisse sont donné un baiser.» Si un fils sage est la gloire de son père, comme il n'y a personne de plus sage que la Sagesse même, il est clair que la gloire de Dieu le Père est Jésus-Christ, la vertu, la sagesse de Dieu. Et comme il avait été prédit dans les prophéties, en diverses occasions, et de diverses manières, qu'il serait vu sur la terre et qu'il vivrait au milieu des hommes (Hebr. I, 1) le Psalmiste nous apprend comment cela s'est fait, et comment se sont accomplies les paroles des prophètes, pour que la gloire ait habité sur notre terre. C'est comme s'il nous avait dit en propres termes : Pour que la vertu se fît chair et habitât parmi nous « la miséricorde et la vérité se sont rencontrées, la justice et la paix se sont donné un baiser (Psal. LXXXIV, 11). » 11 y a là un grand mystère, mes frères, et bien digne d'être approfondi, si l'intelligence ne nous manquait pour le sonder, et si les expressions ne nous faisaient défaut pour rendre ce que nous aurions compris. J'essaierai pourtant de dire du mieux qu'il me sera possible ce que je sens; peut-être donnerai-je par là au sage l'occasion d'acquérir plus de sagesse. Il me semble, mes frères bien-aimés, que je vois l'homme au sortir des mains du Créateur, orné de quatre vertus, et, si je puis parler le langage du Prophète, revêtu des vêtements du salut (Isa. LXI, 10), car le salut n'est autre part qu'en elles, et ne peut subsister sans elles, d'autant plus que l'une d'elles sans les autres ne saurait même être une vertu. L'homme avait donc reçu la miséricorde comme gardienne et comme suivante, pour marcher devant ses pas et venir après lui, pour le protéger et le conserver partout. Vous voyez quelle nourrice Dieu a procurée à son jeune entant, et quelle suivante il a donnée à l'homme à peine sorti de ses mains, Mais il lui fallait de plus un maître, comme il convient à une créature noble et raisonnable, afin qu'il ne fût point gardé comme on garde le bétail, mais élevé comme un enfant; doit l'être. Or, pour cet emploi nul précepteur plus capable ne pouvait. se trouver que la vérité même qui devait le conduire un jour à la connaissance parfaite de la Vérité suprême. Après cela, pour qu'il ne se trouvât point savant pour le mal et qu'il ne commit pas la faute de ne point faire le bien qu'il sait être bien, il lui fat donné la justice pour guide. La main pleine de bonté du Créateur ajouta une quatrième vertu aux trois autres, la paix pour le bercer et le charmer; mais une paix double qui ne laissât subsister ni combats au dehors, ni craintes au dedans, une paix, dis-je, qui ne permît point à la chair de désirer contre l'esprit, ni à quelque créature que ce fût de lui inspirer de la crainte. Aussi est-ce lui qui donna librement leur nom à tous les animaux, et le serpent lui-même n'osa point l'attaquer ouvertement, il dut recourir à la ruse. Que manquait-t-il à celui qui avait la miséricorde pour garde, la vérité pour maîtresse, la justice pour guide et la paix pour berceuse ?

7. Mais hélas ! pour son malheur et dans sa folie cet homme descendit de Jérusalem à Jéricho, et il tomba au milieu des voleurs, qui commencèrent par le dépouiller de tout (Luc. X, 30). Ne vous semble-t-il point assez dépouillé, cet homme qui se plaint d'être nu quand le Seigneur vient à lui ? Il n'aurait jamais pu se revêtir, ni recouvrer les vêtements qui lui avaient été enlevés, si le Christ n'avait pas été dépouillé des siens; car, de même que son âme n'aurait pu recouvrer la vie sans la mort corporelle du Christ, ainsi ne pouvait-elle reprendre ses vêtements si le Christ n'eût été dépouillé des siens. Peut-être même, est-ce à cause des quatre parties dont se composait le vêtement qu’avait perdu le premier, le vieil homme, que ceux du second, de l'homme nouveau, ont été divisés en quatre parts. Vous voulez savoir sans doute ce que représente sa tunique sans couture dont le sort décida : selon moi, elle est l'image divine qui n'a point été cousue à la nature humaine, mais qui fut placée et comme imprimée en elle, et qu'on ne peut ni partager ni déchirer. En effet, l'homme a été créé à l'image et ressemblance de Dieu, à son image, dis-je, par le libre arbitre, et à sa ressemblance par les autres vertus. Quant à la ressemblance, elle disparut tout à fait, mais l'image dure autant que l'homme, En effet, elle peut être brûlée même dans l'enfer, mais non point consumée ; elle peut rougir au feu, mais jamais s'effacer. Voilà donc la tunique qui n'a point été déchirée, et qui fut tirée au sort. En quelque lieu que l'âme se trouve, elle se trouvera avec elle. Quant à la ressemblance, il n'en est pas de même, elle se conserve dans l'homme de bien, et s'il . pèche elle s'altère misérablement, pour ne plus laisser à l'homme que la ressemblance avec les animaux sans raison.

8. J'ai dit que l'homme s'est vu dépouillé de ses quatre vertus, il me reste à vous montrer à présent comment chacune d'elles lui fut. enlevée. Il perdit la justice à l'instant où Ève obéit à la voix du serpent, et Adam à la voix d'Ève, plutôt qu'à celle de Dieu. Il leur restait pourtant un moyen qu'ils pouvaient prendre, et que le Seigneur leur suggérait, par l'interrogatoire même auquel il les soumit ; mais ils le laissèrent échapper, en se laissant aller à des paroles de malice, et eu cherchant des excuses à leur péché; car la justice se compose de deux éléments, d'abord, ne point pécher, et, en second lieu, détruire le péché par la pénitence. Pour la miséricorde, Ève la perdit au moment où elle céda à la concupiscence avec tant d'ardeur que, s'oubliant elle-même, oubliant son mari et les enfants qui devaient naître d'elle un jour, elle les voua tous avec elle à une terrible malédiction et à la mort. Adam la perdit de son côté, quand il offrit à la colère de Dieu la femme pour laquelle il avait péché, comme s'il eût voulu s'abriter derrière elle, contre sa flèche vengeresse. « La femme vit donc que le fruit de l'arbre était beau à l'oeil et doux au goût (Gen. III, 6), » et le serpent lui avait dit qu'ils seraient comme des Dieux. Il y avait là pour elle un triple réseau difficile à rompre, le réseau de la curiosité, du plaisir et de la vanité. Pour le monde, tout est là, concupiscence de la chair et des yeux, orgueil de la vie. Attirée, emportée par cette triple concupiscence (Jacob. I, 44), notre cruelle mère dépouilla tout sentiment de miséricorde. De même. Adam, qui avait eu la miséricordieuse faiblesse de pécher pour sa femme, n'eut pas la bonne miséricorde de prendre sa faute sur lui. Quant à la vérité, Ève s'en trouva dépouillée dès l'instant où, changeant d'une manière coupable les paroles qu'elle avait entendues : » Tu mourras de mort, » elle dit : « De peur que peut-être nous ne mourrions, » et lorsqu'elle ajouta foi aux discours du serpent qui niait hardiment qu'il dût en être ainsi, et qui disait « Non, non, vous ne mourrez point (Gen. III, 4). » Adam se vit également dépouillé de la vérité quand il rougit de la confesser, et mit en avant les feuilles dont il se couvrait, je me trompe, dont il couvrait ses excuses. En effet, c'est elle, cette Vérité qui a dit : « Je rougirai devant mon Père de quiconque aura rougi de moi devant les hommes (Luc. IX, 26). » Enfin, ils perdirent la paix, attendu qu'il n'y a point de paix pour les impies, dit le Seigneur. En effet, n'ont-ils point trouvé dans leurs membres une loi d'opposition, quand ils commencèrent à rougir de leur nudité ? « J'ai craint, dit Adam, parce que je me voyais nu (Gen. III, 10). » Ah ! malheureux Adam, tu 'ne craignais pas ainsi auparavant, tu ne cherchais point des feuilles pour te couvrir, quoique tu fusses nu comme tu l'es maintenant.

9. A partir de ce moment-là, je crois, pour en revenir à la parabole du Prophète, qui nous montre les vertus allant au-devant les unes des autres, et se mettant enfin d'accord d'ans un baiser de paix, après cela, dis-je, il me semble qu'il s'éleva une sorte de lutte terrible entre les vertus. La vérité et la justice accablaient le malheureux Adam, mais la paix et la miséricorde, moins ardentes que les deux autres, étaient d'avis qu'il fallait l'épargner. ; car ces deux vertus sont soeurs de lait comme le sont aussi les deux premières entre elles. De là vient que les unes persévérèrent dans les pensées de la vengeance, et, frappant chacune de son côté le prévaricateur Adam qu'elles menaçaient des supplices de l'autre vie, en même temps qu'elles l'accablaient de maux présents, les deux autres remontèrent dans le coeur du Père et revinrent au Seigneur qui les avait données à l'homme. Aussi n'y avait-il que lui qui eût des pensées de paix quand tout paraissait plein d'affliction. En effet, la paix ne se tenait point en repos, la miséricorde ne gardait point le silence, mais, s'adressant l'une et l'autre à Dieu,    elles s'efforçaient d'émouvoir ses entrailles paternelles par leurs douces paroles. Elles lui disaient: « Dieu nous repoussera-t-il donc toujours, et ne voudra-t-il plus jamais se montrer un peu plus favorable ? Oubliera-t-il sa bonté compatissante , et son courroux arrêtera-t-il le :meurs de ses miséricordes (Psal. LXXVI, 7 et 9) ? » Aussi bien que le Père des miséricordes parut longtemps ne point s'apercevoir de leurs discours, pour n'écouter d'abord que le zèle de la justice et de la vérité, pourtant les prières des deux autres ne furent point vaines, et elles finirent par être exaucées en leur temps.

10. Peut-être peut-on supposer qu'à leurs instances il fut répondu .en ces termes ou en des termes semblables : « Jusques à quand me prierez-vous ? Je dois écouter aussi vos lieux, soeurs, la Justice et la Vérité, que vous voyez à l'oeuvre de la vengeance parmi les hommes ; qu’on les appelle, qu'on les fasse venir, et tenons conseil ensemble sur le sujet qui nous occupe. Aussitôt les messagers célestes partent en diligence, mais en voyant la misère des hommes et les maux cruels dont ils souffrent, « ces,anges de la paix se mirent à verser des larmes amères (Isa. XXXIII, 7), » s'il faut en croire, le Prophète. Au fait, qui est-ce qui rechercherait avec plus,de fidélité et demanderait plus ardemment ce qui a rapport à la paix, que les anges même de la paix ? Je me figure donc que, après s'être concertée avec sa soeur, la Vérité ,:vint au jour fixé, et s'éleva jusqu'aux nues, non pas. dans tout son éclat, mais tant soit peu voilée, et cachée sous le zèle de l'indignation. Alors il arriva, selon le Prophète, « que votre miséricorde, ô mon Dieu, se ,trouva dans les cieux, tandis que votre vérité s'élevait jusques aux nues (Psal. XXXV, 6). » Entre elles était assis le Père des lumières, et chacune d'elles fit valoir les arguments les plus favorables à sa cause. Ah! qui est-ce qui eut le bonheur d'assister à cet entretien, et pourra nous en dévoiler, le, secret?.Qui l'a entendu et nous le racontera ? Peut-être ont-elles dit des choses inénarrables qu'il n'est pas donné à l'homme de répéter. Toutefois, il me semble que le, débat tout entier peut se résumer ainsi : « La créature raisonnable a besoin qu'on ait pitié d'elle, disait la Miséricorde, parce qu'elle est devenue malheureuse et excessivement ,digne de pitié. Le temps est venu d'avoir compassion d'elle; il s'est même. écoulé déjà bien des jours depuis qu'il aurait dû en être ainsi. » De son côté, la Vérité répondait : « Il faut que tout ce que vous avez dit, Seigneur, s'accomplisse. Il faut que tout Adam meure avec tous ceux qui étaient en lui; il ne peut en être autrement depuis le jour où il a mangé du fruit défendu, dans sa prévarication. En ce cas, reprenait la Miséricorde, :pourquoi, ô mon. Père, m'avez-vous donné le jour, si je devais vivre si peu de temps ? Votre vérité sait bien elle-même que votre miséricorde a péri, et que c'en est fait d'elle à jamais si vous ne cédez enfin à la pitié. » Et la Vérité, à son tour, disait de même : « Qui, ne sait que si l'homme, devenu pécheur, échappe à la sentence de mort, portée contre lui, votre vérité, Seigneur, n'est plus, elle a cessé d'être à jamais ? »

11. Mais voici venir un. chérubin, qui suggère la pensée de les renvoyer l'une et l'autre au roi Salomon, puisque, dit-il, tout jugement est déféré au Fils (Joan. V, 22). La miséricorde et la justice se rendent en conséquence devant lui, et là chacune répète les arguments que je vous ai dits. «J'avoue, dit la Vérité, que ce que dit la Miséricorde part d'un bon sentiment, mais plût au ciel que son zèle fût réglé sur la science : mais pourquoi est-elle plus portée en faveur de l'homme pécheur que de moi qui suis sa soeur. Mais vous, ma soeur, reprend la Miséricorde, vous n'épargnez ni le pécheur ni moi dans votre indignation contre le pécheur: quel mal ai-je donc fait ? Si vous avez quelque chose à me reprocher, dites-le moi; sinon, pourquoi me persécutez-vous ? » La querelle ne laisse point que d'être grande, mes frères, et la dispute singulièrement emmêlée. Ne serait-on pas en droit de .s'écrier en entendant. cela : « Il vaudrait mieux que l'homme ne fût pas né. » Oui, mes bien-aimés frères, oui, les choses en étaient là, et il ne semblait pas qu'il fût possible de concilier pour l'homme la miséricorde et la justice. Et quand la Vérité ajoutait, en s'adressant au Juge lui-même, que l'injustice qui lui serait faite retomberait sur lui-même, et continuait en disant que c'était à lui à faire en sorte que la parole de son Père ne fût pas une parole vaine, que cette parole efficace et vivante (Hebr. IV, 12), ne fût point éludée à toute occasion; la Paix intervint en s'écriant: «Trêve, je vous en prie, trêve de semblables discours ; de pareilles discussions ne sont point faites pour nous; il ne convient pas aux vertus de disputer entre elles.

12. Mais le juge s'étant baissé, écrivait du doigt sur la terre, et la Paix qui était la plus rapprochée de lui, lut à haute voix ce qu'il avait écrit, le voici. L'une dit : C'en est fait de moi, si Adam ne meurt, et l'autre reprend : Je suis perdue, s'il ne lui fait miséricorde. Que la mort devienne bonne, et chacune aura gagné son procès. A ces mots, chacun est dans l'étonnement, on est frappé de cette parole de sagesse, en même temps que de la forme du compromis et du jugement. Il était clair, en effet, qu'elles n'avaient plus, ni l'une ni l'autre, motif de se plaindre, puisque ce que chacune réclamait devenait possible, car il devait y avoir eu même temps mort et miséricorde. Mais, disent-elles, comment cela sera-t-il? La mort est très cruelle et excessivement amère, la mort est terrible, on ne peut en entendre prononcer le nom sans trembler: comment donc peut elle devenir bonne? Mais le juge : la mort des pécheurs, dit-il, est très mauvaise, mais celle des saints est précieuse peut-il en être autrement quand elle devient la porte de la vie, la porte de la gloire? Oui, répondent-elles, cette mort est précieuse, ruais comment en sera-t-il ainsi ? Il en sera ainsi, reprend le juge, s'il se trouve quelqu'un. qui, ne devant rien à la mort, veuille bien souffrir la mort par amour pour l'homme, car la mort ne saurait retenir un innocent, et comme on dit, la mâchoire de Leviathan sera percée (Job. XL, 19), le milieu de la muraille sera détruit, le grand chaos qui sépare la vie ale la mort sera comblé. Car l'amour est aussi fort, est plus fort que la mort ; si ce fort armé entre dans la maison de l'autre , il la garrottera, il s'emparera de tous ses meubles, et, en passant, il ouvrira un passage au fond même de la mer, pour que ceux qu'il aura délivrés puissent passer aussi.

13. Ce discours parut bon, il était juste et digne d'être bien accueilli (I Tim. II, 15). Mais où trouver cet innocent qui veuille bien mourir, non pour acquitter une dette, mais par bon vouloir, non pour l'avoir mérité, mais pour l'avoir bien voulu ? La Vérité jette un regard sur l'univers entier et personne ne s'offre à 'ses yeux exempt de toute souillure, personne, dis-je, pas même l'enfant qui ne compte encore qu'un jour de vie sur la terre. La Miséricorde, de son côté, cherche dans le ciel, et si elle ne trouve point de coupables parmi les anges, elle n'en trouve point non plus qui ait cet excès d'amour. La victoire, en effet, était réservée à un autre qu'à l'un d'eux, à un autre, dont personne parmi les anges ne pût surpasser la charité qui devait le conduire jusqu'à sacrifier sa vie pour, des serviteurs, non-seulement inutiles, niais indignes de plus. Car s'il ne nous donne point le nom de serviteurs, cela ne tient qu'à l'excès même de son amour, qu'à l'excellence de sa bonté. Mais, pour nous, lors même que nous ferions tout ce qui nous est commandé, quel nom devrions-nous nous donner, si ce n'est celui de serviteurs inutiles (Luc. XVII, 12) ? Mais qui est-ce qui osera le questionner sur ce point. La Vérité et la Miséricorde reviennent au jour fixé, d'autant plus inquiètes l'une et l'autre, qu'elles n'ont point trouvé ce qu'elles désirent.

14. C'est alors que la Paix les prenant en particulier, les console en ces termes : Ne savez-vous point une chose, et n'y pensez-vous donc point ? Il n'y a absolument personne pour faire cette bonne action; non il n'y a personne si ce n'est un : que celui qui a indiqué le remède, le donne. Le Roi sut ce qui se disait, et il s'écria alors : « Je suis fâché d'avoir fait l'homme (Gen. VI, 7.), » oui, dit-il, j'en suis peiné; il faut que j'en souffre, et que je fasse pénitence pour l'homme que j'ai créé. C'est alors qu'il dit : me voici, je viens, car ce calice ne peut s'éloigner, il faut que je le boive. Appelant alors l'archange Gabriel, il lui dit : « Vas, et dit à la fille de Sion : « Voici ton roi qui vient. » L'ange vole et dit : « Sion, prépare ta chambre nuptiale, et reçois ton Roi (Zach. IX, 9). » Mais la Miséricorde et la Vérité prévinrent l'arrivée de leur Roi, selon ce qui est écrit : « La Miséricorde et la Vérité marcheront devant vous (Psal. LXXXIV, 11). » Quant à la justice, elle lui prépare son trône, comme il est dit : « La justice et le jugement sont la préparation de son trône. » Pour ce qui est de la Paix, elle vient avec le Roi lui-même, pour vérifier ces paroles d'un Prophète : « Il sera notre paix sur la terre, quand il sera venu. » Aussi le Seigneur était à peine né, que les chœurs des anges faisaient entendre ces chants : « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté (Luc. III, 14). » Enfin la Justice et la Paix se sont embrassées, quand jusqu'alors elles n'avaient pas paru peu divisées entre elles. En effet, la première, s'il y a une justice d'après la loi, avait plutôt un dard en main que le baiser sur les lèvres, et inspirait beaucoup moins d'amour que de crainte; mais elle ne se réconcilia point alors avec la Paix, comme le fait aujourd'hui la paix qui naît de la justice. Autrement, comment se serait-il fait que, ni Abraham, ni Moïse, ni aucun juste de ces temps-là, n'auraient pu obtenir, à leur mort, la paix de la bienheureuse éternité, ni entrer dans le royaume de la paix? Évidemment alors, la Justice et la Paix, ne s'étaient pas encore donné le baiser. Mais à présent, mes frères bien aimés, nous devons rechercher la Justice, avec d'autant plus de zèle et d'ardeur, que la Paix et la Justice, se sont embrassées, et ont fait une éternelle alliance. Désormais, quiconque se présente avec le témoignage de la justice, ne peut manquer d'être accueilli par la Paix, avec un visage serein, et les bras tout grands ouverts, où il peut se reposer et dormir.

 

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