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SERMON POUR LA FÊTE DE SAINT CLÉMENT, PAPE ET MARTYR. Les trois eaux.
1. « C'est une chose précieuse aux yeux du Seigneur, que. la mort de ses saints (Psal. CXV, 5). » Que le pécheur l'entende et grince des dents, ou qu'il en frémisse et qu'il en dessèche. Il s'est pris à sa propre malice, il est tombé dans la fosse qu'il a creusée, il s'est embarrassé dans les filets qu'il a tendus. En effet, c'est par l'envie du diable que la mort est entrée dans le monde, mais voici que la mort des saints est .précieuse. Ecoute donc, ô ennemi de la vie, auteur de la mort, prête l'oreille. A quoi bon maintenant toute ta fourberie, et quel mal peut faire ta malice? Bien plus, pour augmenter ton supplice, voilà même que tout contribue au bien de ceux qui ont été appelés de Dieu pour être saints (Rom. VIII, 28). Ce nest point, en effet, autrement que par sa mort qui après tout, est ton ouvrage, que le bienheureux martyr dont nous faisons aujourdhui la fête, a triomphé de toi. En effet, il a fait, Je nécessité vertu, il a changé la peine du péché en une source de gloire , il s'est montré fidèle en petites choses, pour être jugé digne d'être établi sur de grandes, car on ne peut regarder que comme peu, très peu de chose même, en comparaison de la gloire que cette âme bienheureuse; s'est acquise parle martyre, tout ce qu'elle avait reçu auparavant. En effet, tous les bonheurs de ce monde, toute la gloire, tout ce qu'on peut désirer ici-bas est infiniment peu de chose en comparaison du bonheur, de la gloire et de la béatitude du ciel, je ne sais même s'il ne faudrait pas dire plutôt que c'est, non point peu de chose, mais un néant, une vapeur qui se dissipe en un moment. Saint Clément avait reçu en partage une illustre origine, de grands biens, lui héritage considérable; il ajoutait à cela un savoir très-étendu qui le faisait regarder comme le meilleur philosophe de son temps. Tout cela, il le tenait de Dieu, car tous ces biens sont aussi des dons du ciel. Il montra sa fidélité à celui qui les lui avait donnés en les méprisant tous par amour pour lui, en les regardant comme une peste, comme au vil fumier, afin de gagner Jésus-Christ (Philipp. III, 8). 2. Mais peut-être l'ennemi murmure-t-il entre ses dents comme autrefois : « L'homme donnera toujours volontiers la peau d'autrui pour sauver la sienne, et il abandonnera volontiers tout, ce qu'il possède pour conserver sa vie (Job. II, 4). » Eh quoi, penses-tu donc qu'il se montrera infidèle, du moins pour sauver la vie qu'il à reçue aussi du Seigneur et qu'il la lui préférera ? Eh bien, tout pouvoir t'est donné, fonds sur lui par tes satellites, et mets-le dans la nécessité, ou de quitter le Seigneur , ou de renoncer à son corps. Recherche des genres variés et cruels de supplices, mais sache que tu ne fais que tresser des couronnés à notre martyr, car, s'il a méprisé ce qui fait le bonheur et l'ornement de l'existence, il sait mépriser l'existence elle-même. Il t'abandonne son corps pour le faire mourir, il te maudit en face, et il verse le blasphème de sa bouche sacrée sur toutes tes idoles, il prêche librement au sein des tourments le Seigneur son Dieu, et le confesse avec courage. Il sera donc couronné, parce qu'il a combattu le légitime combat, parce qu'il a vaincu avec fidélité , parce qu'il ne s'est laissé séparer de la charité de Jésus-Christ, ni par les jouissances de la vie, ni par les horreurs de la mort. Dites-nous, je vous en prie, âme, sainte , qui exposez ainsi votre corps aux supplices, l'aimiez-vous ce corps, ou ne l'aimiez-vous pas? Je l'aimais beaucoup, me répond-il, car jamais personne n'a haï sa propre chair (Ephes. V, 29), je l'aimais, mais je l'aimais peu, je ne l'aimais que comme mon esclave, j'aimais le Seigneur mon Dieu bien davantage, et, pour prouver par les faits la vérité de mon amour, je suis allé de bon coeur au devant de la mort même de mon corps pour sa gloire. 3. Qu'avons-nous à répondre à cela, mes frères? nous applaudissons au martyr, mais sa gloire n'est pas sans nous couvrir d'une certaine confusion. En effet, saint Clément était un homme semblable à nous, passible comme nous, revêtu de la même infirmité que nous, et tenant à sa chair par les mêmes liens du coeur qui nous attachent nous-mêmes à la nôtre. Si donc il a glorifié, comme il l'a fait, le Christ dans son corps, et s'il a accepté le calice du salut, que rendons-nous à Dieu nous autres pour toutes les choses qu'il nous a données? Il est certain qu'il nous a marqués de la même image, rachetés dû même sang, et appelés ah même héritage, incorruptible, incontaminé, éternel et conservé dans les cieux. Pourquoi donc ne pourrions nous boire aussi le calice du Christ, comme l'a bu saint Clément? Peut-être me répondra-t-on Nous le pourrions certainement, si l'occasion se présentait de le faire, mais nous ne sommes plus au temps de la persécution. A vrai dire, je n'en crois pas un mot. En effet, il n'est pas de jour où vous ne cédiez à la simple piqûre d'une épingle, et vous prétendez que vous pourriez résister à la pointe d'une épée ? Montrez donc au moins dans les moindres assauts que vous sauriez résister courageusement à de plus rudes attaques. On ne vous dit plus, en effet, sacrifiez aux idoles, et vous aurez la vie sauve, ils vous font mourir dans les supplices de toute sorte. Le Seigneur connaît notre limon et il ne nous expose pas à de pareils combats; mais il a voulu que saint Clément eût une lutte vigoureuse à soutenir pour qu'il en sortit vainqueur et qu'il apprît que là sagesse, est plus forte que tout. 4. Mais vous, mes frères, quel est votre combat? Tous les jours, le démon, parlant à vos coeurs vous répète ces mots,: Déchirez votre ordre, murmurez, plaignez-vous, n'ayez point tant de zèle, faites le malade, et contentez vos désirs. Il n'ajoute pas, si vous le faites, vous mourrez, mais le plus ordinairement, il dit, vous aurez bien de la peine, et bien ales difficultés à résister à votre; penchant. Qui pourrait supporter de pareilles choses? Voilà ce que nous entendons au dedans de nous le plus ordinairement, et voilà aussi ce que nous répondons aux exhortations des hommes ou aux inspirations secrètes du Saint-Esprit. Si donc nous courons quelque danger an milieu de semblables lattes, si nous ne résistons qu'à peine, si même parfois nous succombons, qu'aurions-nous fait au milieu des assauts si graves du martyre ? Si nous sommes faibles au point de reculer devant de fragiles roseaux, comment aurions-nous résisté aux javelots? Voyez-vous comme nous sommes tombés à rien ? Semblables à de petits enfants ou à de faibles femmes, nous louons les combats des autres, incapables de combattre nous-mêmes. Mais. que faisons-nous, mes. frères? Ne sommes-nous pas, tous conviés aux noces de l'Agneau ? Or, il ne nous est pas permis de nous présenter devant lui les mains vides. Remarquons donc avec soin ce qui nous est offert, car nous devrons rendre un semblable festin. Saint Clément a remarqué le vin que le Seigneur, lui servait, et comme il était riche, il servit à son tour, aux noces de l'Agneau, le vin de son propre sang. Mais nous qui sommes pauvres, nous n'avons pas de vin, Seigneur. « Emplissez les urnes d'eau (Joan, II, 7), » nous répondit-il. Et quoi, est-ce qu'on recevra même de l'eau, si nous en apportons? Certainement, elle sera reçue, d'ailleurs, si, selon la recommandation de la Sagesse (Prov. XXXIII, 1), nous remarquons avec soin ce qui nous est servi, nous verrons bien que celui qui est venu, non-seulement avec Peau, mais avec l'eau, et le sang (I Joan. V, 6), nous a servi de l'eau avec le vin. C'est le témoignage que nous rend celui qui a vu Peau et le sang sortir du côté entr'ouvert de Jésus, endormi sur la croix (Joan. XIX, 35). 5. Pour nous donc, mes frères, si nous voulons nous montrer fidèles à notre Dieu, à défaut du martyre de sang, or, martyre signifie témoignage, recherchons le témoignage de l'eau, et Dieu ne le repoussera point. Il y a trois choses qui rendent témoignage sur la terre l'esprit, l'eau et le sang. Heureux qui peut rendre ce triple témoignage, car nu triple lien se rompt, difficilement (Eccl. IV, 12). Si nous n'avons point le témoignage du sang, nous avons du moins celui de l'eau et de l'esprit, mais, sans le témoignage de l'esprit, ni celui du sang ni celui de l'eau ne sauraient suffire, bien plus, si l'esprit est seul, sans l'eau et le sang, son témoignage suffit. encore, car le témoignage de l'esprit est celui de la vérité; ce n'est ni le sang ni l'eau qui servent à quelque chose par eux-mêmes, ils ne servent que par l'esprit qui rend témoignage en eux. Mais je ne pense pas qu'on trouve, ou du moins ce ne peut être que bien rarement, l'esprit lui-même sans l'eau et le sang. Voilà pourquoi, mes bien-aimés, nous devons rechercher l'eau, puisque nous n'avons point le sang. Mais, comme je vous ai parlé des urnes tout-à-l'heure, voyons ce que signifient ces deux ou trois mesures que chacune d'elles pouvait contenir. Jésus-Christ sert trois sortes d'eau, et quiconque parmi nous fera, comme lui, c'est-à-dire pourra avoir trois mesures, sera parfait. S'il est dit, avec un disjonctive, deux ou trois mesures, c'est pour que nous sachions bien qu'il y en a deux au moins d'absolument indispensables, et que la troisième n'est pas absolument exigée de tous. 6. Or, voici ces trois sortes d'eau que le Sauveur vous sert: il pleure sur Lazare et sur la ville de Jérusalem, c'est la première sorte d'eau; il sue à l'approche de la passion, c'est la seconde sorte d'eau ; elle coule non-seulement des yeux, mais de tous les membres à la fois, de plus, elle est teinte de rouge et elle a la couleur du sang, selon ces mots de lEcriture : « Il eut une sueur comme des gouttes de sang qui découlaient jusqu'à terre (Luc. XXII, 44). » sa troisième eau est celle dont j'ai parlé plus haut, et qui sortit de son côté mêlée à son sang. Or, vous avez la première de ces eaux, si vous arrosez de vos larmes la couche de votre conscience et si vous effacez les taches de vos péchés passés par la douleur de la componction, Vous avez aussi la seconde sorte d'eau, si vous ne mangez votre pain qu'à la sueur de votre visage, si vous châtiez votre corps sous le travail de la pénitence, et si vous éteignez les flammes de la concupiscence. Cette eau aura aussi la couleur du sang, soit à cause de la fatigue, soit même à cause des reflets du feu de la concupiscence qu'elle éteint. Si vous pouvez aller jusqu'à la grâce de 1a dévotion, vous vous désaltérerez aux eaux salutaires de la sagesse, et l'esprit de Jésus-Christ, qui est plus doux que le miel, deviendra en vous une source d'eau jaillissante pour la vie éternelle. Or, rappelez-vous bien que c'est là l'eau qui s'écoule du côté de Jésus endormi et qui jaillit sans fatigue aucune. Il faut être mort au monde pour goûter les délices de cette grâce. Ainsi, pour me résumer en peu de mots, la première eau lave la conscience de ses fautes passées; la seconde, la prémunit pour l'avenir, en éteignant la concupiscence, et la troisième, si vous avez le bonheur d'arriver à avoir cette eau-là, rafraîchit l'âme altérée.
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