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SERMON POUR LA VEILLE DE LA FÊTE DE SAINT ANDRÉ, APOTRE. Comment on doit se préparer par le jeûne à la fête des saints.
1. L'autorité des pères a réglé que les principales fêtes des saints seraient précédées de jeunes et de prières ; ils l'ont fait également dans un but utile, et non point sans raison, comme chacun de nous pourra s'en convaincre pour peu qu'il y réfléchisse. En effet, nous commettons tous les jours une foule. dé fautes, et nous péchons en mille choses ; or, il n'est pas sûr pour nous de célébrer les tâtes saintes, surtout les plus grandes, sans avoir commencé par nous purifier, afin de nous montrer plus dignes et de nous mettre mieux en état de goûter les joies spirituelles. Voilà, en effet, comment le juste n'ouvre point la bouche sans commencer par s'accuser lui-même et ne loue les antres qu'après être blâmé. Si le juste même est saisi de crainte à la pensée de se présenter devant celui qui juge les justices même, que faisons-nous, nous autres, dont les péchés ne sont point encore ni jugés ni convertis ? N'est-il pas fort à craindre que nos fautes passées ne se montrent au grand jour pour le jugement? Si le juste lui-même n'ose se hasarder à louer les saints, sans éprouver un sentiment de crainte et de réserve, à combien plus forte raison le pécheur, dont les lèvres ne sauraient faire entendre une belle louange, devra-t-il appréhender de s'entendre dire : « Pourquoi racontez-vous mes justices (Psal. XLIX, 16) ? » Ou bien encore : « Mon ami, comment êtes-vous entré ici sans avoir la robe nuptiale (Math. XXII, 12) ? » Heureux, par conséquent, ceux qui ont conservé, avec une sollicitude de tous les instants, leur robe, je veux dire la gloire de leur conscience, pure de toute souillure, et la montrent toujours dans tant son éclat. Mais, comme il y en a peu qui gardent ainsi leur coeur avec un soin de tous les moments, et qu'il y en a beaucoup moins encore, si tant est qu'il y en ait, qui le conservent dans toute sa pureté, il. faut souvent laver, dans les eaux de l'abstinence, les souillures qui finissent par y entrer, surtout quand une plus grande fête se présente à célébrer 2. Mais il ne faut pas voir seulement une préparation à la fête qui approche dans le jeûne qui la précède, il faut y voir aussi une sorte d'avertissement, et même une leçon pleine d'importance. Un effet, il nous apprend quelle est la véritable voie qui conduit aux fêtes éternelles. Pourquoi faisons-nous précéder les fêtes solennelles d'un jeûne, sinon parce que nous ne pouvons entrer dans le royaume des cieux qu'en passant par mille tribulations? C'est se montrer indigne de la joie de la fête que de ne point observer l'abstinence prescrite la veille. Oui, je le répète, c'est se montrer indigne de jouir du repos et de la joie de la fête que de ne vouloir point affliger son âme la veille de cette fête. Toute la vie présente, avec la pénitence, est comme la vigile de la grande fête, de l'éternel Sabbat que nous espérons; et vous ne vous plaindrez point de sa longueur, si vous réfléchissez que le jour de cette fête sera éternel. Si les solennités d'un jour sont ordinairement précédées d'une préparation d'un jour aussi, celle de l'éternité n'en demande point une éternelle. Mais, où m'emporte en ce moment le doux souvenir de l'éternelle félicité, car c'est le nom ordinaire et peut-être le plus juste de cette fête? Revenons au sujet que nous avons à traiter. 3. La cause du jeûne de ce jour et le motif de la joyeuse solennité à laquelle nous nous préparons, c'est la bienheureuse passion de l'apôtre André. Il est juste, en effet, que si nous ne pouvons partager sa croix, du moins nous partagions son jeûne; car on ne peut douter qu'il ait jeûné pendant les deux jours qu'il demeura attaché à la croix. Participons donc en quelque chose à sa passion, et, s'il ne nous est pas donné de monter avec lui sur son gibet, prenons du moins part à son jeûne, afin que, par la miséricorde de Dieu, nous ayons part aussi à sa couronne, et que, dès à présent, nous soyons associés à ses joies spirituelles. Comment, en effet, ne tressaillerions-nous point d'allégresse au souvenir du triomphe d'un saint qui a tressailli de bonheur avec tant de force, à la vue des instruments de son supplice. Pourrait-ce ne pas être pour nous un jour de joie, qu'une fête où la croix elle-même se présente comme un sujet d'allégresse? On donne ordinairement le nom de fête à ce qui est gai, de même que le mot croix vient d'un genre de tourment particulier, ou tout au moins le nom de ce tourment vient du mot croix lui-même. Avec quelle allégresse la terre entière doit-elle célébrer une merveille si grande et si nouvelle, une oeuvre si magnifique de la vertu divine ?André était un homme semblable à nous, passible comme nous, mais il était dévoré d'une soif si ardente de la croix, il tressaillait d'une allégresse si inconnue jusqu'à ce jour, quand il l'aperçut de loin élevée pour lui, qu'il s'écria (a) : « O croix, que j'appelle de tous mes voeux depuis si longtemps, et que je vois enfin sur le point de combler tous mes désirs, c'est le coeur plein de calme et de joie que je viens à toi, reçois-moi dans tes bras, avec une allégresse semblable à la mienne. » Vous voyez, il ne se possède même plus dans lexcès de son bonheur; reçois-moi aussi dans tes bras avec allégresse, dit-il. Est-ce donc un si grand bonheur que la croix elle-même doive. tressaillir de joie, non pas d'une joie quelconque, mais d'une joie telle qu'elle en soit agitée tout entière ? Dira-t-on qu'il est moins extraordinaire, moins au dessus de la raison et de la nature à la croix qu'an crucifié de tressaillir d'aise? La nature a refusé à l'une; tout sentiment de joie, quant à l'autre, tout ce qui excède ses forces détruit tout ce qui est bonheur, pour ne laisser subsister en lui que la douleur : « J'ai toujours été ton amant, continue-t-il, et mon plus grand désir n'a cessé d'être dans tes bras. » Mes frères, c'est un feu dévorant, non une langue d'homme qui parle ainsi, ou si c'en est une, c'est une langue de feu, un de ces tisons ardents du feu que le Seigneur avait envoyé du haut des cieux dans ses os. Plût à Dieu que ce fussent des charbons dévastateurs qui consument et brûlent toute affection charnelle en nous. Quelles étincelles, en effet, et de quel brasier intérieur elles s'élancent ! 4. On peut bien dire, ô saint André, que votre foi est le grain de sénevé, tant est inespérée la chaleur que produit ce grain dès qu'il a commencé à être broyé. Que serait-ce donc s'il était soumis à une pression plus forte encore? Quelle âme pourrait en supporter l'ardeur, quelles oreilles seraient capables d'entendre de semblables paroles. Tant que Égée ne le menaçait pas, le grain de sénevé semblait peu digne d'attention, il était intact et on ne pouvait savoir quelle vertu il renfermait. « Le Seigneur m'a envoyé, dit-il, il m'a envoyé vers cette province, où je lui ai réuni un peuple assez nombreux. » Que l'aiguillon des menaces paraisse maintenant, son goût n'en semblera que plus
a Ces paroles sont extraites des actes de saint André, dont la rédaction est attribuée à quelques prêtres d'Achaïe. Beat, abbé espagnol, est le premier, que nous sachions, qui ait cité ces actes, il y a neuf siècles environ, vers la fin de son livre I contre Elipand. (Note de Mabillon).
brûlant, et sa parole n'en sera que plus constante. Égée pense qu'il va l'effrayer s'il lui offre, en perspective, le supplice de la croix; mais il n'i:n cil, point ainsi, le menace, l'excite au contraire, et il s'écrie d'une vois fibre : « Pour moi, si je redoutais le gibet de la croix, je ne prêcherais point la gloire de la croix. » Aussi, à peine aperçut-il le bois de la croix qui lui était préparée, qu'enflammé à cette vue, il l'applaudit avec enthousiasme, et lui parle comme à une bien-aimée ; il la salue avec tout plein de respect, l'embrasse avec des transports d'amour, la prend dans ses bras avec bonheur, lui adresse des paroles de félicitation et de gloire, et lui crie du coeur plus encore que de la voix : « Salut, croix précieuse, toi qu'a consacrée le corps du Christ, toi que ses membres ont ornée comme autant de pierres précieuses ! » C'est donc à bien juste titre que les serviteurs de la croix vénèrent cet amant de la croix; niais il réclame , avec raison, une dévotion plus grande de ceux qui ont tout particulièrement formé le dessein de porter leur croix. C'est à vous que je m'adresse, mes frères, et c'est pour vous que je parle ainsi, pour vous, dis-je, qui n'avez point fermé l'oreille à ces paroles de l'Évangile : « Quiconque ne porte point sa croix, et ne me suit pas, ne peut-être mon disciple (Luc. XIV, 27). » Montrez-vous prêts à apporter tout le soin de votre âme à cette solennité, et à la célébrer de tout votre coeur; car si nous savons creuser et chercher, nous trouverons un riche trésor de consolation et d'encouragement caché dans son sein.
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