ANNONCIATION II
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DEUXIÈME SERMON POUR L'ANNONCIATION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE. Sur les sept dons de l'Esprit en Jésus-Christ.

 

1. Mes frères, dans la solennité de l'Annonciation de Notre Seigneur que nous célébrons aujourd'hui, il faut voir la simple histoire de notre rédemption se présentant à nos yeux, comme une vaste et agréable plaine. L'ambassade dont l'ange Gabriel est chargé est nouvelle, la vertu que professe la Vierge est une vertu nouvelle, et le respect qui est témoigné à Marie l'est dans les termes d'une salutation nouvelle; aussi l'antique malédiction qui pesait sur la femme, est mise de côté; Marie reçoit une bénédiction nouvelle, comme sa maternité. Celle qui ne connaît point les ardeurs de la concupiscence est remplie de la grâce, et pour avoir dédaigné tout commerce avec un homme, elle va concevoir du Saint-Esprit, qui va survenir en elle, le Fils même du Très-Haut. L'antidote du salut entre chez nous par la même porte qu’était entré le venin du serpent, qui a infesté le genre humain tout entier. On peut cueillir aisément dans les prés, de nombreuses fleurs, pareilles à celles que je viens d'y prendre; mais j'aperçois au milieu un abîme d'une effroyable profondeur. Oui t'est un insondable abîme que le mystère de l'incarnation de Notre Seigneur, un abîme, dis-je, tout à fait impénétrable, « le Verbe s'est fait chair, il a habité parmi nous. » Qui peut en effet voir clair dans cet abîme, y découvrir, y saisir quelque chose? C'est un puits d'une grande profondeur, et je n'ai personne pour y puiser pour moi. Mais ordinairement, la vapeur qui s'élève des puits est assez aorte pour rendre un peu humide les linges qu'on étend au dessus de leur ouverture; c'est ce qui fait, Seigneur, que si je n'ose me plonger dans le puits de ce mystère, parce que j'ai conscience de ma propre infirmité, j'élève souvent les mains vers vous, car mon âme est devant vous, comme une terre sans eau. Et maintenant, si le léger tissu de ma pensée s'est pénétré un peu de l'humidité qui monte du fond de ce puits; je veux, mes frères, vous en faire part, si peu que ce soit, et ne point la garder pour moi; je veux presser le tissu, afin d'en faire sortir au moins quelques gouttes de la céleste rosée.

2. Et d'abord, je me demande pourquoi c'est le Fils plutôt que le père ou le Saint-Esprit qui s'incarne, puisque la gloire des trois personnes de la Sainte Trinité, est, je ne dis pas, est égale mais est une seule et même gloire ? Mais qui a connu les desseins de Dieu? Et qui est entré dans le secret de ses conseils (Rom. XI, 34)? C'est un profond mystère, et nous ne devons point en pareille matière hasarder imprudemment une opinion précipitée. Toutefois, ils me semble que si t'eût été le Père, ou le Saint-Esprit, qui se fût incarné, il serait résulté une inévitable confusion de la pluralité de Fils. attendu qu'une des trois personnes eût été le Fils de Dieu, et une autre eût été Fils de l'homme. D'ailleurs, il semble parfaitement convenable que celui-là devînt Fils de l'homme qui était déjà Ip Fils de Dieu, puisque par là se trouvait évitée l'ambiguïté des noms. Après cela, c'est une gloire singulière, et un privilège unique, excellent pour notre Vierge, pour Marie, d'avoir eu pour Fils, par un effet de la grâce. un seul et même Fils avec Dieu le Père, car il n'en eût certainement pas été ainsi, si ce n'avait point été le Fils qui se fût incarné. Et nous-mêmes, il n'aurait pu nous être donné, si les choses se fussent passées autrement, un égal motif d'espérer le salut et l'héritage du Ciel, tandis que, en le faisant l'aîné de tous ses frères, lorsqu'il était déjà le Fils unique du Père, il ne saurait manquer de nous appeler à partager son héritage, puisqu'il nous a appelés déjà à être adoptés pour enfants. Ainsi donc, Jésus-Christ, notre fidèle médiateur, après avoir uni. dans un ineffable mystère, la substance de l'homme, et celle de Dieu en une seule personne, sut également, par un dessein d'une grande profondeur, garder, en nous réconciliant, ce juste milieu qui lui fit donner à Dieu et à l'homme ce qui leur convenait, à Dieu la gloire, et à l'homme la pitié. C'est en effet, par un excellent compromis entre le Seigneur offensé et son esclave coupable, que celui-ci, n'a point été frappé d'une sentence trop sévère, par le hèle de la gloire de lieu, en même temps que Dieu n'a point été frustré de l'honneur qui lui est dû par une condescendance excessive pour l'homme.

3. Aussi prêtez une oreille attentive aux deux propositions qui se partagent le chant des anges là la naissance du Sauveur : «  Gloire à Dieu au plus haut des cieux, disent-ils, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté (Luc. II, 14), » et remarquez que l'esprit de crainte n'a point fait défaut à notre fidèle réconciliateur, Jésus-Christ, car c'est dans cet esprit qu'il n'a cessé de fendre à son Père le respect qui lai est dû, de rechercher sa gloire et de lui rendre ses hommages. L'esprit de piété ne lui a point non plus manqué; c'est dans cet esprit qu'il a compati avec miséricorde au malheureux sort des hommes. Mais pour tenir la balance égale entre la crainte et la piété, il dut nécessairement avoir l'esprit de science. Or notez que dans le péché de nos premiers parents on retrouve trois auteurs, dont chacun manqua de quelque chose en particulier. Ces trois auteurs du péché, ce sont Ève, le diable et Adam. Ce qui faisait défaut en Ève, c'est la science, puisque, selon le mot. de l'Apôtre, elle fut séduite et fut ainsi amenée à prévariquer (I Tim. II, 14); mais elle ne manquait point au serpent qui est représenté comme le plus rusé de tous les animaux; il est vrai qu'il n'eut point la piété puisqu'il fut homicide dès le principe. Quant à Adam, peut-être peut-on trouver une certaine piété en lui, puisqu'il ne voulut point contrister sa femme, mais il sacrifia la crainte de Dieu en obéissant à Ève plutôt qu'au Seigneur. Plût au ciel que la crainte de Dieu eût prévalu en lui ! comme nous voyons, en particulier, dans les Saintes Écritures, que Jésus fut rempli non de (esprit de piété, mais de l'esprit de crainte (Isa. XI, 3). Car en toutes choses, et par dessus tout, la crainte de Dieu doit l'emporter sur la piété, pour le prochain; il n'y a qu'elle qui puisse revendiquer pour elle la possession de l'homme tout entier. C'est donc par ces trois vertus, c'est-à-dire par la crainte, par la piété et par la science que notre médiateur a réconcilié les hommes avec Dieu, car c'est dans un esprit de conseil et de force qu'il nous a délivrés de la main de notre ennemi. En effet, c'est en donnant le conseil, c'est en donnant à notre ennemi le pouvoir de mettre une main violente sur l'innocent, qu'il l'a dépouillé de ses droits antiques; il a prévalu aussi par la force, et le mit hors d'état de retenir de force les hommes rachetés par lui, alors qu'il remonta des enfers en vainqueur, et que notre vie à tous ressuscita avec lui.

4. Dès lors, il nous nourrit du pain de vie et d'intelligence et nous donne en breuvage l'eau de la science du salut. En effet, l'intelligence des choses spirituelles et invisibles, c'est un vrai pain pour Pâme; un pain qui fortifie le coeur et lui donne l'énergie nécessaire pour toutes les bonnes oeuvres dans l'ordre spirituel. Quant à l'homme charnel qui ne comprend rien aux choses de l'esprit de Dieu, pour qui elles sont même une vraie folie, il ne peut que gémir et pleurer en disant : « Mon coeur s'est desséché parce que j'ai oublié de manger mon pain (Psal. CI, 5). » Ainsi, s'il est une vérité aussi simple que parfaite, c'est celle-ci : il ne sert à rien à l'homme de gagner le monde entier, s'il vient à perdre son âme. Or quand un avare arrive-t-il à comprendre cela? N'est-ce pas perdre son temps que de s'efforcer de lui faire goûter cette vérité-là? Pourquoi cela ? Évidemment parce que, pour lui, c'est une folie. Quoi de plus incontestable encore que cette vérité, que le joug de Jésus-Christ est doux? Présentez-la à l'homme du monde, et vous verrez s'il ne prend pas ce morceau de pain pour une pierre. Il n'est pourtant rien de plus certain, que c'est de l'intelligence de cette vérité-là que vit l'âme, qu'elle est pour elle une véritable nourriture spirituelle; car « l'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu (Deut. VIII, 3). » Mais tant que vous ne goûterez point cette vérité, il sera bien difficile qu'elle passe dans votre âme; mais à peine aurez-vous commencé à y prendre goût, que pour vous ce ne sera même plus une nourriture, ce sera un breuvage qui pénétrera, sans difficulté aucune, dans votre coeur, là où la nourriture spirituelle de l'intelligence se digère aisément, au contact du breuvage de la sagesse, et empêche que les membres de l'homme intérieur, c'est-à-dire ses sentiments, ne se dessèchent, et ne deviennent plus nuisibles qu'utiles.

5. Ainsi, rien de ce qui était nécessaire pour le salut des hommes n'a fait défaut au Sauveur. Or c'est de lui que parlait le prophète Isaïe, quand il disait : « Il sortira un rejeton de la tige de Jessé, et une fleur naîtra de sa racine. L'esprit du Seigneur se reposera sur lui, je veux dire l'esprit de sagesse et d'intelligence, l'esprit de conseil et de force, l'esprit de science et de piété ; et il sera rempli de l'esprit de la crainte du Seigneur (Isa. XI, 1 à 3). » Remarquez, je vous prie, que la fleur ne doit point apparaître sur le rejeton, mais sortir de la racine. Si la chair de Jésus-Christ avait été créée du néant dans la Vierge Marie, comme plusieurs l'ont cru, peut-être pourrait-on dire que la fleur n'a point poussé sur la racine, mais sur le rejeton; mais comme, d'après le Prophète, elle est sortie de la racine, il s'en suit qu'elle a été formée de la racine et qu'elle en partage la substance. S'il est dit que le Saint-Esprit s'est reposé sur cette fleur, il n'y a point là de contradiction. En effet, comme en nous l'esprit n'est point du tout supérieur, il ne se repose point, la chair lui fait une guerre continuelle, et l'esprit, de son côté, a des désirs en opposition avec ceux de la chair. Puisse vous délivrer de cette lutte, Celui qui n'a rien de semblable en lui, je veux dire l'homme nouveau, le vrai homme qui a reçu la vraie chair de notre origine, mais n'a point reçu avec elle le vieux levain de la concupiscence !

 

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