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HOMÉLIES SUR LES ACTES DES APOTRES (1).

 

HOMÉLIE I. J'AI ÉCRIT UN PREMIER LIVRE, Ô THÉOPHILE, DE TOUT CE QUE JÉSUS A FAIT ET ENSEIGNÉ DEPUIS LE COMMENCEMENT, JUSQU'AU JOUR OU IL MONTA AU CIEL, INSTRUISANT PAR LE SAINT-ESPRIT LES APÔTRES QU'IL AVAIT CHOISIS. (CHAP. I, 1, 2.)

 

ANALYSE.

1. Saint Ch rysostome annonce qu'il va expliquer le Livre des Actes, parce que ce Livre est peu connu, quoiqu'il renferme d'admirables instructions.

2. Il fait ensuite ressortir la modestie de saint Luc qui, parlant de son Evangile, l'appelle seulement un Livre, et il montre qu'on doit avoir toute confiance en un écrivain, témoin des faits qu'il raconte.

3. L'orateur entre ensuite dans l'explication détaillée des premiers versets, et observe que les apôtres ont eu soin de prouver principalement la résurrection du Sauveur, parce que ce point étant bien établi, il était facile d'en faire découler sa divinité.

4. Si Jésus- Ch rist voulut que les apôtres attendissent, à Jérusalem, la venue de l'Esprit-Saint, ce fut pour qu'ils ne s'élançassent pas au combat à demi-armés, et pour qu'ils donnassent à leurs concitoyens les prémices de leur mission.

5. L'Esprit-Saint lui-même ne descendit sur les apôtres que dix jours après l'Ascension, afin qu'ils se préparassent mieux à le recevoir comme Esprit de consolation.

6. Et saint Ch rysostome infère de ce titre la divinité du Saint-Esprit, autrement il n'eût pu les consoler de l'absence du Fils de Dieu.

7 et 8. Et à l'occasion de ces paroles : Vous serez baptisés dans l'Esprit-Saint, il s'élève vivement contre la pernicieuse coutume de ne recevoir le baptême qu'à la dernière extrémité, et réfute les vains prétextes dont on colorait cette négligence.

 

1. Plusieurs ignorent l'existence même du livre des Actes, ainsi que le nom de son auteur. J'ai donc cru utile d'en entreprendre l'explication pour remédier à cette profonde ignorance, et vous révéler le riche trésor que ce livre renferme. Sa lecture ne nous sera pas moins avantageuse que celle de l'Evangile lui-

 

1 Pour l'avertissement, voir tome I, page 372.

 

même, tant il abonde en maximes de sagesse, en vérités dogmatiques et en récit de miracles, principalement de ceux que l'Esprit-Saint a opérés. Il mérite ainsi d'être lu avec attention et d'être commenté avec soin. Nous y voyons en effet l'accomplissement des prédictions que Jésus- Ch rist a faites dans son Evangile ; la vérité y brille de toutes les clartés de (588) l'histoire, et, après la descente du Saint-Esprit, les apôtres y paraissent des hommes tout nouveaux. Jésus- Ch rist leur avait dit : « Celui qui croira en .moi fera les oeuvres que je fais et en fera de plus grandes ». Il leur avait également prédit qu'ils seraient conduits devant les magistrats et les rois, flagellés dans les synagogues et exposés à mille cruels traitements. Mais il leur avait promis qu'ils sortiraient victorieux de toutes ces épreuves, et il avait annoncé que son Evangile serait prêché dans le monde entier. Eh bien ! le livre des Actes nous raconte le parfait accomplissement de ces diverses prédictions et de plu sieurs autres que les apôtres avaient recueillies de la bouche de Jésus- Ch rist. (Jean, XIV, 12; Matth. X, 18.)

Vous y verrez les apôtres parcourir d'un vol rapide les continents et les mers, et de timides et grossiers qu'ils étaient naguère, devenir soudain des hommes nouveaux. Ils méprisent les richesses et la gloire, et ils se montrent supérieurs à la colère, à la volupté et à~toutes les autres passions. Vous les verrez encore s'aimer comme des frères, étouffer tout souvenir de leurs anciennes rivalités et bannir tout désir comme toute dispute de prééminence. Mais surtout vous admirerez en eux le radieux épanouissement de la charité ; car ils cultivent avec un soin tout particulier cette vertu que Jésus- Ch rist leur avait tant recommandée, et dont il avait dit : « Tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres ». (Jean, XIII, 35.) Quant aux vérités dogmatiques, ce livre en renferme un certain nombre que sans lui nous ne connaîtrions que très-imparfaitement; et l'on peut dire en général qu'il éclaire d'un jour tout nouveau la vie, les exemples et la doctrine de Jésus- Ch rist, qui est le chef de tous les chrétiens.

Toutefois, la plus grande partie des Actes contient le récit des travaux de saint Paul, qui a plus travaillé que 'tous les autres apôtres; et la raison en est que l'auteur de ce livre est saint Luc, son disciple. Au reste, la fidélité de ce disciple à ne pas abandonner son maître est, entre mille preuves de sa haute vertu, une des plus éclatantes. C'est le témoignage que lui rend saint Paul,'lorsqu'il écrit à Timothée Démas et Hermogène m'ont quitté pour aller, l'un en Galatie et l'autre en Dalmatie, et « Luc est seul avec moi ». (II Tim. IV, 11.) Dans la seconde épître aux Corinthiens, il dit de lui que « son éloge se trouve, à cause de l'Evangile, dans toutes les églises » (II Cor. VIII, 18) ; et dans sa première épître aux mêmes Corinthiens, il avait déjà dit: « Jésus- Ch rist apparut à Pierre et ensuite aux onze, selon l'Évangile que vous avez reçu ». (I Cor. XV, 5, 1.) Or cet évangile est celui de saint Luc. Mais si Jésus- Ch rist a inspiré le premier ouvrage, il n'est pas moins évident qu'il a aussi inspiré le second. Et si l'on me demande pourquoi saint Luc, qui est resté auprès de l'apôtre jusqu'à son martyre, n'a pas prolongé son récit jusqu'à ce moment, je répondrai que le livre des Actes, tel que nous le possédons, remplit parfaitement le but de l'écrivain. Car les évangélistes ne se sont proposé que d'écrire le plus essentiel; et ils ont si peu ambitionné la gloire de beaucoup écrire, qu'ils nous ont laissé un grand nombre de traditions orales.

Toutes choses sont donc admirables en ce livre , mais principalement le langage simple et familier avec lequel les apôtres, sous la direction du Saint-Esprit, expliquent la divine économie de notre salut. Il faut observer aussi que, dans les questions élevées qui se rattachent à Jésus- Ch rist, ils ont peu parlé de sa divinité et se sont longuement étendus sur son humanité, sa passion, sa résurrection et son ascension. Car l'important, alors, était d'établir ces points de notre foi; en sorte que l'on crût en Jésus- Ch rist ressuscité et monté aux cieux. Nous voyons dans l'Évangile que le divin Sauveur se préoccupe surtout de prouver qu'il a été envoyé par le Père; et dans le livre des Actes, il insiste spécialement sur ces trois faits .. qu'il est ressuscité, qu'il est monté au ciel, et qu'il est revenu vers celui qui l'avait envoyé. Ce dernier article était celui qu'il fallait proposer le premier; autrement les dogmes de la résurrection et de l'ascension n'eussent rendu l'ensemble de la foi que plus incompréhensible aux Juifs. C'est pourquoi on les initie peu à peu et comme insensiblement aux plus sublimes vérités du christianisme. Aussi l'apôtre, annonçant Jésus- Ch rist dans Athènes, ne parle-t-il que de son humanité. Et c'était prudence de sa part; car lorsque le Ch rist lui-même révélait aux Juifs son égalité de nature avec Dieu le Père, ils le traitaient de blasphémateur et voulurent plusieurs fois le lapider; mais comment eussent-ils, après le supplice du calvaire, accueilli ce même (559) langage dans la bouche de pauvres pêcheurs?

2. Et pourquoi parler des Juifs, quand les apôtres eux-mêmes se troublaient et s'offensaient de la doctrine sublime que Jésus- Ch rist leur développait? Aussi leur disait-il : « J'ai beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter à présent ». (Jean, XVI, 12.) Si tels étaient les apôtres qui avaient vécu plusieurs années avec lui; qui avaient vu ses miracles et qui avaient connu les secrets du royaume des cieux, des hommes tout récemment arrachés aux autels et aux sacrifices de l'idolâtrie, détrompés du culte des chats et des crocodiles, et éclairés à peine sur lés erreurs du paganisme , pouvaient-ils soudain comprendre les sublimes mystères de la foi? Quant aux Juifs, qui chaque jour répétaient ce précepte de la loi mosaïque : « Ecoute, Israël, le Seigneur ton Dieu est le seul Seigneur, et il n'y a point d'autre Dieu que lui» (Deut. VI, 4), qui avaient vu Jésus- Ch rist attaché à la croix, qui l'avaient eux-mêmes crucifié et mis dans le tombeau, et qui ne l'avaient point vu ressuscité; s'ils eussent entendu tout d'abord proclamer que ce même Jésus était Dieu et égal à Dieu le Père, ils se seraient récriés contre cette doctrine et se fussent retirés. C'est pourquoi les apôtres ne leur révèlent que par degré la sublimité de nos dogmes, et se proportionnent à leur faiblesse. Remplis eux-mêmes de la plénitude de l'Esprit-Saint, ils opèrent des miracles plus grands que ceux dé Jésus- Ch rist; et ils les opèrent en témoignage de sa résurrection, et pour guérir ces infortunés paralytiques.

Ainsi saint Luc se propose, dans le livre des Actes, de prouver la résurrection de Jésus- Ch rist, parce que ce point gagné, tout le reste suit facilement; c'est le but de son livre, et comme le sommaire de tout son récit. Au reste, en voici la préface : «J'ai écrit un premier livre, ô Théophile, de tout ce que Jésus a a fait et enseigné ». Pourquoi rappeler son Evangile? Afin de montrer sa scrupuleuse véracité. Car au commencement de son Evangile, il a dit : « J'ai cru qu'après avoir été exactement informé de toutes choses, depuis leur commencement, je devais en écrire l'histoire avec ordre ». Bien plus, peu content de ses propres recherchés, il s'en réfère au témoignage des apôtres, et continue ainsi : « Comme nous les ont racontées ceux qui dès le commencement les ont vues, et qui ont été les ministres de la parole ». (Luc, I,1, 3.) Mais parce que, dans ce premier ouvrage, il s'est gagné la confiance de ses lecteurs, il n'a pas besoin dans celui-ci dé recourir à de nouveaux témoignages; Car Théophile est déjà persuadé, et de plus le livre lui-même porte tous les caractères d'une scrupuleuse véracité. Et en effet, nous ajoutons foi aux récits de saint Luc, quand il nous raconte ce que d'autres lui ont appris; mais ne devons-nous pas le croire plus encore, quand il écrit, non d'après les récits qui lui ont été, faits, mais d'après ce qu'il a vu et entendu lui-même? Aussi semble-t-il nous dire que si nous avons reçu son témoignage sur la vie de Jésus- Ch rist, nous ne saurions le récuser sur les apôtres. Mais quoi! le livre des Actes est-il purement historique, et ne renferme-t-il aucun sens spirituel? Nullement; et en voici la raison. C'est que les apôtres, qui avaient rapporté à saint Luc les actions du divin Sauveur, qui en avaient été les témoins, et qui avaient été les ministres de la parole, étaient eux-mêmes remplis de l'Esprit-Saint. Et pourquoi ne dit-il pas : comme nous ont rapporté les choses ceux qui avaient mérité de recevoir l'Esprit-Saint, mais. « qui les ont vues eux-mêmes dès le commencement? » Parce qu'un témoin oculaire inspiré toujours une plus grande confiance. D'ailleurs, un autre langage eût peut-être paru vain et orgueilleux à des esprits prévenus ou bornés.

C'est ainsi que le Précurseur disait aux Juifs « Je l'ai vu, et j'ai rendu témoignage qu'il est Fils de Dieu » (Jean, I, 34), et que le Sauveur lui-même éclairait par les paroles suivantes l'ignorance de Nicodème : « Ce que nous savons, nous le disons, et ce que nous avons vu, nous le témoignons, mais personne ne reçoit notre témoignage ». (Jean, III, 11.) C'est encore à ce même témoignage des yeux que Jésus- Ch rist faisait allusion, quand il disait à ses apôtres : « Vous me rendrez témoignage, parce que vous avez été avec moi dès le commencement ». (Jean, XV, 27.) Enfin les apôtres eux-mêmes tiennent souvent ce langage : « Nous en sommes tous témoins, ainsi que l'Esprit-Saint que Dieu a donné à ceux qui croient en lui ». (Act. II, 32.) Et saint Pierre, pour attester pleinement le fait de la résurrection de Jésus- Ch rist, dit : « Nous avons mangé et bu avec lui ». (Act. X, 4l.) Mais si les Juifs admettaient ainsi de (560) préférence le témoignage des apôtres qui avaient vécu avec le Sauveur, c'est qu'ils ignoraient complètement la nature et. les opérations de l'Esprit-Saint. Aussi saint Jean, pariant du sang et de l'eau qui découlèrent du coté de Jésus, dit-il dans son évangile, qu'il l'a vu; et il donne ce témoignage comme le plus certain de tous. Toutefois, l'inspiration de l'Esprit-Saint est pour tout autre qu'un infidèle, bien supérieure au témoignage des yeux. Au reste, saint Luc avait, lui aussi, reçu l'Esprit-Saint comme l'attestent les prodiges qu'opéraient alors tous les fidèles auxquels l'Esprit-Saint se communiquait indistinctement. Nous en avons encore une seconde preuve dans l'éloge que lui donne saint Paul, et dans la charge honorable que les églises lui avaient confiée. « Nous vous avons envoyé avec Tite », écrit-il aux Corinthiens, « un de nos frères dont l'éloge se trouve à cause de l'Evangile dans toutes les églises, et qui de plus a été choisi par ces églises pour nous accompagner dans nos voyages et prendre part au soin que nous avons de procurer cette assistance à nos frères ». (Il Cor. VIII, 18, 19.)

3. Et maintenant, admirons tout d'abord la modestie et l'humilité de cet auteur. Il ne dit point: J'ai écrit un premier évangile, mais « un premier livre », jugeant ce mot, évangile, trop beau pour son ouvrage; et cependant l'apôtre assure que « son éloge se trouve, à cause de cet évangile, dans toutes les églises ». Il s'exprime donc avec cette exquise modestie: « J'ai écrit un premier livre, ô Théophile, de tout ce que Jésus a fait et enseigné». Et pour mieux préciser l'époque qu'embrasse sa narration, il ajoute: « Depuis le commencement jusqu'au jour où il monta au ciel ». Mais l'évangéliste saint Jean nous déclare formellement qu'on ne saurait écrire toutes les actions et toutes les paroles de Jésus- Ch rist. « Si elles étaient rapportées en détail », dit-il, « je ne crois pas que le monde pût contenir les livres où elles seraient écrites ». (Jean, XXI, 25.) Comment donc saint Luc dit-il qu'il a écrit un livre de tout ce que Jésus a fait et enseigné? Il suffit d'observer qu'il ne dit pas: J'ai écrit tout ce que Jésus a fait et enseigné , il dit seulement: « J'ai écrit un livre de tout ce que Jésus a fait et enseigné », c'est-à-dire, comme un abrégé qui comprend ce que ses miracles , ses paroles et ses actes nous offrent de plus essentiel et de plus important.

Remarquons ensuite combien est humaine et apostolique l'âme de saint Luc. Il entreprit cette oeuvre pénible et difficile, la rédaction de son évangile, pour le salut d'un seul homme, « pour vous faire connaître », dit-il, « la vérité « dès choses qu'on vous a enseignées ». (Luc, I, 4.) C'est qu'il avait médité cette parole du Sauveur Jésus : « Ce n'est pas la volonté de mon Père qu'un seul de ces petits périsse ». (Matth. XVIII, 14.) Mais pourquoi, au lieu de ne faire qu'un seul livre , adressé a un seul et même lecteur , a-t-il voulu diviser l'ouvrage en deux parties ? C'est d'abord calcul de prudence , pour ne pas trop fatiguer son lecteur, et puis C'est que les deux récits sont bien différents.

Mais , avant de poursuivre ce sujet, je veux vous faire observer comment Jésus- Ch rist lui-même a soin d'appuyer ses paroles de l'autorité de ses exemples; il exhorte ses disciples à la douceur, et il leur dit: « Apprenez de moi « que je suis. doux et humble de cœur ». (Matth. XI, 29 .) Il enseignait la pauvreté, et il la pratiquait si sévèrement qu-il pouvait dire: « Le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête ». (Matth. VIII, 20.) Il pria sur la croix pour ses bourreaux, et accomplit ainsi cette parole: « A celui qui veut disputer en jugement avec vous, et vous enlever votre tunique, abandonnez encore votre manteau». (Matth. V , 40.) Mais il a donné plus que ses vêtements , puisqu'il a donné tout son sang. C'est cette même règle de conduite qu'il a prescrite à ses disciples; aussi l'apôtre disait-il aux Philippiens : « Conduisez-vous selon le modèle que vous avez vu en nous ». (Philip. III, 17.) Et en effet, rien de plus froid qu'un docteur qui ne sait que discourir: il est moins un philosophe„ qu'un comédien. Les apôtres out donc voulu agir avant que de parler; et véritablement ils avaient d'autant moins besoin de parler, que leurs actions elles-mêmes étaient fané éloquente prédication. On peut aussi, en ce même sens, appeler la passion du Sauveur son oeuvre par excellence; car c'est en souffrant qu'il a réalisé l'oeuvre admirable de son triomphe sur la mort, et assuré notre rédemption.

« Jusqu'au jour où,il s'est élevé au ciel, instruisant, par le Saint-Esprit, les apôtres qu'il avait choisis ». « Les instruisant par le Saint-Esprit », c'est-à-dire, leur révélant une doctrine toute spirituelle, et nullement humaine.

 

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Cette parole peut encore s'entendre dans ce sens qu'il leur enseignait ce que lui communiquait l'Esprit-Saint. Et c'est ainsi que Jésus- Ch rist, parlant humblement de lui-même, disait:,« Je chasse les démons par l'Esprit de Dieu ». (Matth. XII, 28.) Et, en effet, l'Esprit-Saint opérait en lui comme dans son sanctuaire. Mais quelles instructions donnait-il à ses apôtres? « Allez », leur disait-il, « enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit; leur enseignant à garder,tout ce que je vous ai confié ». (Matth. XXVIII, 19.) Combien est glorieuse cette mission des apôtres, qui reçoivent l'ordre d'évangéliser l'univers, et dont les paroles seront remplies de l'Esprit-Saint ! Car c'est ce qu'indique cette remarque de l'écrivain sacré : « Jésus les instruisait par l'Esprit-Saint » , c'est-à-dire, que les paroles qu'il leur adressait étaient esprit et vie.

Or, saint Luc ne s'exprime ainsi que pour concilier aux apôtres la pleine confiance de son lecteur, et pour exciter en celui-ci le désir de connaître les secrets que Jésus- Ch rist leur a confiés. Et en effet, les apôtres vont parler selon l'inspiration de l'Esprit-Saint, et ils nous révéleront les préceptes qu'ils reçurent du Sauveur « jusqu'au jour où il fut élevé dans le ciel ». Saint Luc ne dit pas: Jusqu'au jour où le Ch rist monta dans le ciel, parce qu'il ne parle encore de lui que comme homme. Sans doute Jésus- Ch rist., après sa résurrection, avait donné plusieurs instructions à ses apôtres ; mais aucun des évangélistes n'a écrit en détail et avec soin cette partie de sa vie. Saint Jean et saint Luc s'y arrêtent; il est vrai , un peu plus que -les deux autres; et néanmoins leur récit est loin d'être précis et complet, car ils se hâtaient vers un autre but. Ce sont donc les apôtres qui , en nous rapportant ce qu'ils avaient entendu, nous ont fait connaître les derniers enseignements de Jésus- Ch rist. « Auxquels il se montra vivant ». Après avoir parlé de l'ascension de Jésus- Ch rist, saint Luc mentionne sa résurrection; et parce qu'il avait dit: « Il fut élevé dans le ciel » , il ajoute aussitôt qu' « il se montra vivant à ses apôtres », afin de prévenir ce doute qu'il ne se serait élevé dans le ciel que par un secours étranger. Car s'il s'est ressuscité lui-même , à plus forte raison a-t-il monté au ciel par sa propre vertu, puisque ce second miracle est moins étonnant que le premier.

4. Voyez-vous donc quels dogmes sublimes sont cachés sous cette simple parenthèse ! « Leur apparaissant durant quarante jours ». C'est que Jésus- Ch rist ne vivait pas au milieu d'eux comme avant sa résurrection. Aussi saint Luc ne dit-il pas : Leur apparaissant quarante jours, mais « durant quarante jours»; car il se montrait et disparaissait successivement. Et pourquoi? Parce qu'il voulait spiritualiser davantage leurs pensées, et rendre moins humain l'amour qu'ils lui portaient. Cette conduite attestait encore de sa part une profonde sagesse ; car elle disposait prudemment les apôtres à croire qu'il était ressuscité, et à confesser qu'il était plus qu'un homme. Or, le dogme de la résurrection de Jésus- Ch rist et celui de sa divinité semblaient se contredire ; car l'un s'appuyait sur des faits humains, et l'autre sur des faits tout opposés. Et cependant tous deux ont été établis en temps opportun.

Mais pourquoi Jésus- Ch rist ne s'est-il montré qu'aux apôtres, et non à tous les Juifs? Parce que le plus grand nombre, ignorant le mystère d'un Dieu homme, l'eussent pris pour un fantôme. Et en effet, si d'abord les apôtres eux-mêmes furent troublés et demeurèrent incrédules, et s'ils ne se rendirent qu'après avoir touché ses plaies; et après avoir mangé avec lui, quels eussent été les sentiments de la multitude? C'est pourquoi Jésus- Ch rist voulut confirmer par de nouveaux miracles celui de sa résurrection, mais ces miracles n'ont pas eu seulement pour but de convaincre les apôtres, et ils sont encore pour nous tous une preuve certaine de la résurrection de Jésus- Ch rist. Cette même conviction qu'ils portèrent alors dans l'esprit de ceux qui en furent les témoins, se transmettra d'âge en âge à tous ceux qui les croiront. De là ce dilemme dont nous poursuivons les incrédules : Si Jésus- Ch rist n'est pas ressuscité, et s'il est encore mort, comment les apôtres ont-ils fait des miracles, en son nom? Mais ils n'ont fait aucun miracle. Comment donc le christianisme s'est-il établi ? Car son établissement est un fait qui tombe sous les yeux et dont on ne peut ni contester, ni récuser la réalité.

Ainsi l'incrédule qui nie les miracles se confond lui-même, car ce serait le plus grand de tous les miracles, que, sans miracle, l'univers se soit converti à la voix de douze hommes pauvres et ignorants ; et en effet, ces pêcheurs (562) n'ont point vaincu l'idolâtrie par l'argent, l'éloquence ou tout autre moyen naturel. Il faut donc reconnaître forcément en eux une vertu divine puisque leur couvre est au-dessus de toute force humaine. Jésus- Ch rist resta donc sur la terre encore quarante jours après sa résurrection, et il se montra fréquemment à ses apôtres, afin qu'ils pussent bien s'assurer de la vérité, et bien se convaincre qu'il n'était point un fantôme; mais, à cette première preuve, il voulut en ajouter une seconde, et, comme nous le dit saint Luc, « il mangea avec eux ». Aussi les apôtres ont-ils toujours soin de citer ce fait comme un témoignage certain de sa résurrection. « Nous avons mangé », disent-ils, « et nous avons bu avec lui ». (Act. X, 41.)

Mais quel était l'objet de ces fréquentes apparitions ? Saint Luc nous l'apprend par ces mots : « Il leur apparaissait et leur parlait du royaume de Dieu ». Les apôtres étaient découragés et troublés par tout ce qui était arrivé ; et, en outre, Jésus- Ch rist allait les lancer sur de terribles champs de bataille : il leur découvre donc l'avenir pour les fortifier, et « leur commande de ne point quitter Jérusalem, mais d'y attendre la promesse du a Père ». D'abord, dans le premier instant de leur crainte et de leur frayeur, il les avait amenés dans la Galilée, afin qu'ils pussent écouter sa parole avec plus d'assurance et de liberté; mais, après qu'ils eurent entendu cette parole, et joui de ses entretiens pendant quarante jours, « il leur commanda de ne point quitter Jérusalem » ; et pourquoi ? Le général retient ses soldats dans les rangs jusqu'à ce qu'ils soient complètement armés, et il ne lance point sa cavalerie avant que chaque cheval n'ait reçu son cavalier ; et ainsi Jésus- Ch rist ne veut point que ses apôtres affrontent le combat sans avoir reçu l'Esprit-Saint, de peur qu'ils ne succombent sous la multitude de leurs ennemis.

J'ajoute encore deux autres raisons : la première, qu'un grand nombre de Juifs devaient croire dans Jérusalem, et la seconde, pour qu'on ne dît pas qu'abandonnant leurs amis et leurs concitoyens, ils allaient par orgueil prêcher l'Evangile à des peuples étrangers. C'est 'pourquoi ils annonceront d'abord la résurrection de Jésus- Ch rist à ces mêmes Juifs qui l'ont mis à mort, qui l'ont crucifié et enseveli, et dans les lieux mêmes où ce déïcide a été commis. Disons aussi que rien ne frappa davantage les païens ; car, voyant la conversion (le ceux mêmes qui avaient crucifié Jésus- Ch rist, ils en conclurent la réalité de leur crime et la certitude des mystères de la croix et de la résurrection. Enfin, Jésus- Ch rist veut en dernier lieu prévenir cette objection que pouvaient lui faire les apôtres : Comment nous, qui sommes si peu nombreux et si faibles, pourrons-nous vivre au milieu de cette foule d'hommes pervers et homicides? Mais voyez comme le divin Sauveur aplanit d'avance et résout toutes les difficultés « en leur commandant d'attendre la promesse du Père, que vous avez », dit-il, « entendue de ma bouche ». Et quand est-ce qu'ils l'ont entendue? Lorsqu'il leur avait dit : « il vous est avantageux que je m'en aille, car, si je ne m'en vais, l'Esprit consolateur ne viendra pas en vous »; et encore : « Je prierai mon Père et il vous enverra un autre Consolateur qui demeurera avec vous ». (Jean, XVI, 14, 16.)

5. Et maintenant pourquoi l'Esprit-Saint ne fut-il pas donné en présence même de Jésus- Ch rist, ou du moins immédiatement après son ascension. Car Jésus- Ch rist ne monta au ciel que le quarantième jour, et le Saint-Esprit ne descendit sur les apôtres que le cinquantième; en outre, puisque l'Esprit-Saint n'avait pas encore été donné, comment Jésus- Ch rist avait-il pu dire : « Recevez l'Esprit-Saint ? » (Jean, XX, 22.) Je réponds à cette dernière objection que, par cette parole, Jésus- Ch rist disposait et préparait ses apôtres à recevoir l'Esprit-Saint. Car si le prophète Daniel trembla à la vue d'un ange, combien plus l'approche d'une si grande grâce devait-elle troubler les apôtres ! On peut répondre aussi que le Sauveur parlait de ce qui devait arriver, comme d'une chose déjà faite. C'est ainsi qu'il avait dit à ces mêmes apôtres : « Foulez aux pieds les serpents et les scorpions, et toute la puissance de l'ennemi». (Luc, X, 19.)

Mais pourquoi la descente du Saint-Esprit n'eut-elle pas lieu immédiatement? C'est qu'il fallait que, par l'ardeur de leurs désirs, les apôtres méritassent de la recevoir. De plus, l'Esprit-Saint ne descendit sur eux que lorsque Jésus- Ch rist les eut quittés, car s'il fût venu pendant que le divin Sauveur était au milieu d'eux, ils l'eussent beaucoup moins désiré; et il différa même huit ou neuf jours après l'ascension, parce que rien ne nous porte plus à Dieu que le sentiment du besoin. Ainsi Jean (563) le précurseur n'envoie ses disciples à Jésus- Ch rist qu'au moment où sa captivité leur rendait ce secours nécessaire. D'ailleurs, il convenait que notre nature prît d'abord possession du ciel, et qu'ainsi fût accompli l'acte de notre réconciliation ; alors seulement la venue de l'Esprit-Saint pouvait inonder les coeurs d'une joie pure. Et en effet, si Jésus- Ch rist eût attendu pour se retirer la venue de  l'Esprit-Saint, la présence de celui-ci eût apporté aux apôtres moins de consolation, car ils étaient si fortement attachés à leur divin Maître, qu'ils ne pouvaient s'en séparer qu'avec une peine extrême. Aussi leur disait-il lui-même pour les consoler : « Il vous est avantageux que je m'en aille ». (Jean, XVI, 17.) Il voulut donc retarder de quelques jours l'envoi de l'Esprit-Saint, afin que, pénétrés et de douleur pour son absence et du vif sentiment de leur faiblesse, ils éprouvassent, comme je l'ai dit, une joie pure et parfaite.

Mais si l'Esprit-Saint était inférieur au Fils, il n'eût pu être pour les apôtres une consolation suffisante; et comment Jésus- Ch rist leur eût-il dit : « Il vous est avantageux que je  m'en aille? » C'est pourquoi il était réservé à ce divin Esprit clé répandre en eux les plus vives lumières de la science et de la doctrine, afin qu'ils ne le crussent pas inférieur au Fils. Il n'était pas moins nécessaire que Jésus- Ch rist leur commandât de rester à Jérusalem, en même temps qu'il leur promettait de leur envoyer le Saint-Esprit. Autrement ils se fussent dispersés après son ascension ; mais l'attente de ce divin Esprit fut comme un lien qui les retint dans Jérusalem. Ainsi, Jésus- Ch rist commanda à ses apôtres « d'attendre la promesse du Père , que vous avez », dit-il , « entendue de ma bouche. Car Jean », ajouta-t-il, « a baptisé dans l'eau; mais vous serez baptisés dans le Saint-Esprit sous peu de jours ». (Act. I, 5.) Le Sauveur déclare ici quelle distance le sépare du précurseur; et ce n'est point obscurément, comme quand il avait dit : « Le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que lui ». (Matth. XI, 11.) Mais il parle manifestement : « Jean », dit-il, « a baptisé dans l'eau , mais vous serez baptisés dans le Saint-Esprit ». Ainsi, il n'allègue donc plus l'autorité du précurseur, et se contente de le nommer, rappelant ainsi les divers témoignages qu'il lui a rendus. Il révèle ainsi à ses apôtres leur propre supériorité sur Jean-Baptiste, parce qu'ils doivent être baptisés dans l'Esprit-Saint. Observez encore que Jésus- Ch rist ne leur dit ras : Je vous baptiserai dans l'Esprit-Saint; mais : « Vous serez baptisés ». Et cette parole est pour nous une leçon d'humilité : car il est évident, par le témoignage même du précurseur, que c'était Jésus qui baptiserait. « Il vous baptisera », avait-il dit, « dans le Saint-Esprit et dans le feu ». (Luc, III, 16.) Aussi, le Sauveur se contente-t-il de nommer saint Jean.

L'Evangile nous raconte donc les actions et les discours de Jésus- Ch rist, et les Actes des Apôtres contiennent le récit des opérations diverses du Saint-Esprit. Sans doute, ce divin Esprit n'avait point cessé d'agir, de même que le Ch rist continue encore sa puissante action; mais il avait agi jusqu'alors par l'humanité sainte du Sauveur, en laquelle il résidait, comme dans son sanctuaire, et maintenant il agit par ses apôtres. Il s'était reposé dans le sein virginal de Marie, et y avait formé le corps du Sauveur Jésus, en qui il habitait, comme dans son tempe; mais il descendit alors sur les apôtres. il avait apparu autrefois sous la figure d'une colombe , et dans ce jour il se montra sous celle de langues de feu. Pourquoi ces symboles différents? Parce qu'au baptême de Jésus- Ch rist, il annonçait le règne de la douceur, et qu'au jour de la Pentecôte, il prophétisait la sévérité de la vengeance. Et c'est avec raison qu'on nous parle ici de jugement; car, si la miséricorde divine surabonde seule dans la rémission des péchés, il est juste, quand une âme a reçu les dons dé l'Esprit-Saint, examiner et d'apprécier l'usage qu'elle en fait.

Mais comment Jésus- Ch rist a-t-il pu dire : « Vous serez baptisés » , puisqu'il n'y avait point d'eau dans le cénacle? C'est que l'Esprit-Saint supplée à l'élément de l'eau. Et c'est ainsi qu'on dit de Jésus qu'il est Ch rist, quoiqu'il n'ait reçu aucune onction d'huile, parce que l'Esprit-Saint s'est reposé en lui. Au reste, il est facile de prouver que les apôtres ont également reçu le bapiême de l'eau, mais antérieurement. La pratique aujourd'hui est d'administrer en même temps le baptême et la confirmation, mais il n'en a pas été ainsi des apôtres, car ils furent d'abord baptisés par Jean-Baptiste. Et ne nous en étonnons point, les publicains et les courtisanes accouraient à son baptême, à plus forte raison ceux (564) qui devaient être baptisés dans l'Esprit-Saint. Mais comme le Sauveur avait souvent entretenu ses apôtres de la venue de l'Esprit-Saint, ils eussent pu penser qu'il s'en tiendrait encore à une promesse qui ne se réaliserait jamais. C'est pourquoi il a soin d'ajouter que « ce sera sous peu de jours ». Toutefois, il ne précise point le jour, afin d'exciter leur vigilance; mais il le leur annonce comme proche, pour entretenir leur courage; et s'il ne le leur fait point connaître plus explicitement, c'est qu'il veut qu'ils se tiennent toujours prêts et disposés. A ce premier motif de confiance), la brièveté du retard, il en ajoute un second, l'assurance « de la promesse qu'ils a ont entendue de sa bouche n. Car ce n'est plus ici, semble-t-il leur dire, une simple parole, mais une promesse solennelle. Quant à nous, ne nous étonnons point que Jésus- Ch rist nous cache le jour de son dernier avènement, puisqu'il n'a point voulu révéler à ses apôtres le jour si proche de la descente du Saint-Esprit. Et son silence à cet égard a eu pour but de les maintenir dans une attente vive et inquiète.

6. Et en effet, la grâce, je ne saurais trop le dire, la grâce ne se communique qu'aux âmes attentives et vigilantes. Aussi, le prophète Elie dit-il à son disciple : « Si tu me vois, lorsque je serai enlevé, tu auras ce que tu as demandé ». (IV Rois, II, 10.) Le Sauveur lui-même adressait presque toujours cette question à ceux qui l'approchaient : Croyez-vous? car si nous ne désirons vivement le bienfait que nous sollicitons, nous n'en apprécierons que faiblement le prix et l'importance. C'est ainsi encore que saint Paul ne recouvra pas la vue sur-le-champ, mais il resta aveugle pendant trois jours; et durant cet intervalle , la crainte le purifiait de ses péchés, et le disposait à recevoir l'Esprit-Saint. L'ouvrier qui teint en pourpre, fait subir aux étoffes une certaine préparation afin qu'elles retiennent mieux l'éclat de la couleur. Et c'est ainsi que Dieu veut que d'abord notre âme se dispose par une active vigilance à recevoir la plénitude de ses grâces. Il n'envoya donc point tout aussitôt l'Esprit consolateur, et attendit jusqu'au jour de la Pentecôte.

Peut-être demanderez-vous pourquoi nous ne conférons pas le baptême en ce jour, mais seulement à la fête de Pâques? La raison en est que si la grâce du sacrement est la même

dans ces deux jours, le jeûne qui précède le second y dispose mieux l'âme. Un second motif, non moins grave, se tire du temps même de la Pentecôte. Quel est-il? Nos pères ont considéré le baptême comme un frein puissant contre les passions, et une forte leçon de morale, en sorte qu'à l'époque même des plaisirs, il puisse nous retenir dans les bornes de la tempérance chrétienne. C'est pourquoi, lorsque nous devons nous nourrir de Jésus- Ch rist, et nous asseoir à sa table sainte, nous évitons les moindres péchés, et nous nous préparons à la communion par le jeûne, la prière et la vigilance. Celui que le prince nomme à une charge importante, ne néglige rien de ce qu'exige sa nouvelle dignité; et l'argent, le temps et les soins ne lui coûtent point pour se mettre à la hauteur de sa position. Mais quels châtiments ne méritons-nous pas, nous qui nous approchons de la table sainte avec tant de négligence, qui nous préparons si peu à recevoir cet aliment céleste, et qui, après l'avoir reçu, sommes si tièdes et si lâches?

Mais si nous sommes lâches après la communion, c'est qu'avant de nous y présenter, nous n'avons pas veillé sur nous-mêmes. Aussi, en voit-on plusieurs retourner presque immédiatement à leur premier vomissement. On dirait qu'ils n'ont été délivrés de leurs anciens péchés que pour tomber dans un état plus grave encore, et se rendre dignes de plus rigoureux supplices. Et, en effet, rien n'irrite plus le courroux du souverain Juge que cette coupable négligence après la grâce d'une heureuse guérison. Aussi réalisent-ils à leur égard cette menace de Jésus- Ch rist au paralytique : « Voilà que vous êtes guéri; ne péchez plus désormais, de peur qu'il ne vous arrive quelque chose de pis ». (Jean, V, 14.) Le Sauveur fit aussi la même prédiction aux Juifs, et leur annonça que leur ingratitude serait punie des plus terribles châtiments. « Si je n'étais venu», dit-il, « et si je ne leur eusse parlé, ils ne seraient pas coupables ». (Jean, XV, 22.) Le péché de rechute est donc empreint d'une double et quadruple malice. Et comment? Parce qu'après avoir reçu l'honneur de la régénération spirituelle, nous devenons ingrats et pécheurs. Aussi le baptême n'est-il point pour nous un titre à un châtiment moins sévère.

Observez, en effet, que ce sacrement efface (565) tous les péchés, quelque graves qu'ils soient l'homicide ou l'adultère. Oui, il n'est aucun péché, ni aucune impiété que le baptême ne puisse remettre, parce que la grâce divine est pleine et entière. Supposons donc maintenant qu'après votre baptême vous retombiez dans ces mêmes crimes, sans doute le pardon qui vous a été précédemment accordé, n'est point révoqué, « car les dons de Dieu et sa grâce sont sans repentir » (Rom. XI, 29); mais vous n'en mériterez pas moins, pour ces nouveaux péchés, un même châtiment plus rigoureux que si les premiers ne vous eussent pas été pardonnés. Car ici ce n'est plus un simple péché, mais un double et triple caractère de malice. Au reste, l'apôtre nous apprend combien est grande la punition de ces péchés. «Celui », dit-il, « qui viole la loi de Moïse, est mis à mort sans miséricorde, sur la déposition de deux ou trois témoins; songez donc combien mérite de plus grands supplices celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, profané le sang de l'alliance, et outragé l'esprit. de la grâce ». (Hébr. X, 28, 29.)

Je crains que quelques-uns n'interprètent mes paroles comme un conseil de différer leur baptême. Mais telle n'est point mon intention, et je veux seulement exhorter ceux qui l'ont reçu à persévérer dans la tempérance et la douceur chrétiennes. J'appréhende, me direz-vous, de ne pas conserver l'innocence de mon baptême. Vous la conserverez en recevant ce sacrement dans de pieuses dispositions. Mais je ne le reçois point par un effet de cette même appréhension. Eh quoi ! ne craignez-vous pas de mourir sans baptême? Le Seigneur est miséricordieux, me répondrez-vous. C'est pourquoi vous devez recevoir le baptême, car le Seigneur est bon et secourable. Or, quand il est question d'agir sérieusement, vous oubliez cette bonté, et quand il ne faut que différer selon vos désirs, vous vous en faites un prétexte et un motif. Mais aujourd'hui le moment est favorable pour user de cette bonté, et plus nous aurons fait ce qui dépend de nous, et plus aussi elle s'épanchera large et abondante. Celui qui se confie à la miséricorde divine, obtiendra par la pénitence le pardon des péchés commis après le baptême, mais celui qui veut raffiner sur cette même miséricorde, s'expose, s'il meurt sans la grâce du baptême, à d'inévitables supplices.

Et pourquoi hasarder ainsi votre salut? Car il est impossible, oui, il est impossible, selon moi, que, bercé par de telles espérances, vous fassiez quelque chose de vraiment grand et généreux. Que ne bannissez-vous ces craintes chimériques? Et pourquoi attendre un avenir incertain? Ne vaut-il pas mieux échanger la crainte contre l'activité et le travail qui vous rendront devant Dieu grand et élevé? Est-ce que vous préféreriez la crainte au travail ? Mais si l'on vous mettait dans une maison qui menace ruine et qu'on vous dît : Attendez indolemment que la charpente tombe sur votre tête, car elle peut tomber comme elle peut tenir encore, ou bien remuez-vous et passez dans un bâtiment plus sûr. Je vous le demande, choisiriez-vous une indolence pleine de dangers, plutôt qu'un travail plein de sécurité ? Eh bien ! agissez de même aujourd'hui, car l'avenir est incertain et ressemble à une maison qui menace ruine; mais la réception du baptême, quelque laborieuse qu'elle soit, nous préserve de tout danger.

7. Sans doute, fasse le ciel que nous ne péchions point après notre baptême ! Mais si ce malheur nous arrivait, ne nous décourageons pas, car le Seigneur est miséricordieux, et il nous facilite mille moyens d'obtenir notre pardon. Au reste, de même que le chrétien qui pèche après son baptême mérite d'être puni plus sévèrement que le catéchumène, ainsi ceux qui connaissent les voies de la pénitence et ne veulent point les suivre, sont dignes de plus rigoureux châtiments. Et en effet, autant est immense la bonté de notre Dieu, autant, si nous n'en profitons point, s'accroîtront nos supplices. Que dis-tu, ô homme? Rempli de malice et de misères, soudain tu es rentré en grâce avec ton Dieu, et par un don gratuit de sa bonté, et non par tes propres efforts, tu as été élevé à l'honneur de partager son héritage, et voilà que de nouveau tu retombes dans tes premiers désordres, quoique tu n'ignores pas que tu en seras sévèrement puni. Cependant, ce même Dieu, loin de te repousser, multiplie sous tes pas les voies de la pénitence et les moyens de recouvrer son amitié; mais toi, tu ne veux te donner ni action, ni mouvement.

Comment mériter ton pardon? Et comment échapper aux justes railleries des gentils qui traitent ta conduite de mensonge et d'hypocrisie? Si votre religion, nous disent-ils, est la véritable, pourquoi un si grand nombre négligent-ils de s'y faire initier? Certes, vos (566) mystères sont sublimes et bien dignes d'être recherchés. Mais nul ne témoigne un sincère désir de se purifier par le baptême, et chacun le renvoie même à ce moment suprême, qui est bien plus l'heure de faire un testament que de demander l'initiation sacrée. Car celle-ci exige un esprit sain et une âme sobre et vigilante. Ainsi parlent les gentils; et moi j'ajoute que, dans l'état où vous demandez le baptême, vous ne voudriez pas faire un testament de peur de donner prise à quelques chicanes. C'est pourquoi on a soin d'ajouter cette clause à tout testament: Moi vivant, et jouissant de toutes mes facultés, j'écris les présentes dispositions. Comment donc le catéchumène, qui n'a pas la conscience de ses actions, pourra-t-il dignement recevoir le saint baptême ?

Mais si les lois interdisent à celui qui ne possède point le plein usage de sa raison, de disposer de choses terrestres et de sa propre fortune, quand il s'agit du royaume des cieux et de ses biens infinis, serez-vous capable, affaibli par la maladie, de recevoir pleinement l'instruction chrétienne? Comment pourrez,vous dire que vous êtes enseveli avec Jésus- Ch rist, puisque vous êtes sur le point de quitter la vie? Que dis-je? les paroles ne suffisent pas et la reconnaissance doit se manifester par les oeuvres. Mais vous agissez comme celui qui se fait inscrire pour la milice lorsque la guerre est terminée, ou comme l'athlète qui se dépouille de ses vêtements quand les spectateurs quittent le cirque. Et en effet, le soldat ne revêt point son armure pour prendre incontinent la fuite, mais il veut combattre l'ennemi et remporter la victoire. Au reste, n'accusez point mes paroles d'être intempestives, parce que nous ne sommes plus au temps du carême; car c'est pour moi une peine extrême que de vous voir observer si scrupuleusement à cet égard les temps et les moments. L'eunuque dont il est parlé au livre des Actes était en voyage, et toutefois il n'attendit pas une circonstance plus favorable. Et le geôlier de la prison où l'apôtre était détenu, le voyant battu de verges, chargé de fers et exposé à une longue captivité, se hâta de recevoir le baptême. Mais ici, on ne peut alléguer ni les embarras du voyage, ni les rigueurs de la prison, et l'on diffère jusqu'au dernier soupir.

8. Doutez-vous encore de la divinité de Jésus- Ch rist? Eh bien ! sortez de ce lieu, n'écoutez plus la parole sainte, et rasez votre nom de la liste des catéchumènes. Mais si vous croyez au Ch rist Dieu et homme, et si vous êtes éclairé sur la religion, pourquoi ces retards, ces délais et cette négligence? Je crains, dites-vous, de retomber dans le péché. Eh ! vous ne craignez pas un malheur plus grand encore, celui de quitter la vie tout chargé du poids de vos iniquités. Car l'on est plus coupable de ne pas recevoir la grâce qui nous est offerte, que d'échouer dans ses efforts pour la conserver. Dites-moi , que répondrez-vous au Seigneur quand il vous demandera pourquoi vous ne vous êtes pas approché du sacrement de la régénération, ou pourquoi vous n'en avez pas entièrement rempli les engagements? Ici vous pourrez alléguer la difficulté des commandements et des vertus ; mais il n'en est pas de même à l'égard du baptême, puisqu'il est une grâce toute gratuite et un plein affranchissement.

Vous craignez de retomber dans le péché c'est bon à dire après le baptême; et c'est alors en effet que vous devrez craindre de perdre votre liberté. Mais aujourd'hui pourquoi craindre d'en recevoir le don gratuit? Eh quoi! avant le baptême vous êtes pieux et fervent, et après le baptême vous seriez tâche et négligent! Vous voulez attendre l'époque du carême. Et pourquoi ? Ce temps est-il plus privilégié qu'un autre? Car ce ne fut pas au temps de Pâques, mais dans un autre, que les apôtres reçurent cette grâce. Ces huit mille hommes convertis par saint Pierre, le centurion Corneille, l'eunuque de la reine Candace et une multitude d'autres, n'ont pas été baptisés dans les solennités pascales. C'est pourquoi ne différons pas jusqu'à ce terme encore éloigné, de peur que, retardant toujours, nous ne soyons surpris par la mort vides de ce bienfait et privés de cette grâce. Ah! vous ne sauriez croire combien je souffre lorsque, apprenant qu'un d'entre vous est mort sans baptême, je songe aux épouvantables tourments et aux inévitables supplices de l'enfer ! Mais mon anxiété n'est pas moins douloureuse quand j'en vois d'autres toucher à leurs derniers moments et ne témoigner aucun désir du baptême.

Aussi comme les choses se passent alors tout contrairement à la dignité de ce sacrement ! Car le baptême devrait toujours être une occasion de joies pieuses, de réjouissances et de (567) fêtes, et voilà que l'épouse du malade apprenant qu'on se hâte sur l'avis du médecin, se répand en larmes et en soupirs, comme à l'approche d'un malheur. Bientôt, en effet, toute la ' maison retentit de cris et de gémissements, et l'on dirait qu'un criminel condamné à mort est conduit au supplice. Cependant le malade lui-même devient plus souffrant, et la guérison, quand elle a lieu, augmente son anxiété et semble le frapper d'un coup terrible. C'est que, ne s'étant point préparé au sacrement, il ne montre qu'une honteuse faiblesse et fuit les luttes de la vertu. Voyez-vous donc quels artifices déploie le démon, et combien il rend aux yeux dos païens notre foi risible et ridicule ! Mais si nous voulons nous soustraire à toutes ces dérisions, vivons selon les préceptes du divin Sauveur. Or, il a institué le baptême non pour crue nous le recevions à nos derniers moments, mais pour qu'après l'avoir reçu nous produisions des fruits de vie. Et comment direz-vous à un mourant : Couvrez-vous de fruits? Et cependant ne savez-vous pas que « les fruits de l'Esprit-Saint sont la charité, la joie et la paix?» (Gal. V, 22.)

Mais hélas! tout le contraire arrive. Une épouse verse des larmes quand elle devrait se réjouir; des enfants sanglotent, quand ils devraient se livrer à la joie; et le malade lui-même, déjà entouré des ombres de la mort, ne manifeste que trouble et qu'inquiétude; ce jour devrait être pour lui un jour de fête, et il s'abandonne à un profond chagrin, parce qu'il va laisser ses enfants orphelins, son épouse veuve et sa maison déserte. Est-ce ainsi, je vous le demande, qu'on s'approche des saints mystères et que l'on s'asseoit à la table eucharistique? En vérité, ce n'est pas supportable. Lorsque l'empereur adresse aux prisonniers 'des lettres de grâces, c'est un sujet de joie et d'allégresse. Et quand, du haut des cieux, le Seigneur envoie son divin Esprit et nous remet, non une dette pécuniaire, mais tous nos péchés, vous n'accueillez cette grâce que par des pleurs et des gémissements. N'est-ce  pas là une révoltante anomalie? Je ne dis pas encore que l'eau baptismale n'est versée que sur un cadavre et qu'un sacrement est profané, car le ministère du prêtre n'est pas ici en cause, et je n'attaque que l'indifférence de quelques-uns. C'est pourquoi, je vous en conjure, élevez-vous au-dessus de toutes ces difficultés et approchez-vous du baptême avec un saint empressement. L'ardeur que nous aurons montrée sur la terre pour mener une vie chrétienne, nous donnera l'assurance de parvenir un jour au bonheur céleste. Puissions-nous tous l'obtenir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus- Ch rist, à qui soient la gloire et l'empire, dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

 

 

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