ACTES XLIV
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HOMÉLIE XLIV. ÉTANT A MILET, PAUL ENVOYA A ÉPHÉSE ET CONVOQUA LES PRÊTRES DE CETTE ÉGLISE. LORSQU'ILS FURENT VENUS PRÉS DE LUI, IL LEUR DIT : « VOUS SAVEZ QUE DEPUIS LE PREMIER JOUR OU JE SUIS ENTRÉ EN ASIE, JE SUIS DEMEURÉ AVEC VOUS PENDANT TOUT LE TEMPS, SERVANT LE SEIGNEUR AVEC VOUS EN TOUTE HUMILITÉ, AVEC BEAUCOUP DE LARMES, ET AU MILIEU DE BEAUCOUP D'ÉPREUVES QUI NE SONT ARRIVÉES PAR LES EMBUCHES DES JUIFS; QUE JE N'AI RIEN NÉGLIGÉ DE CE QUI ÉTAIT NÉCESSAIRE POUR VOUS ANNONCER LA PAROLE ET VOUS INSTRUIRE EN PUBLIC ET EN PARTICULIER, PRÊCHANT AUX JUIFS ET AUX GENTILS LA PÉNITENCE ENVERS DIEU, ET LA FOI ENVERS NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST ». (CHAP. XX, 17-21, JUSQU'AU VERS. 31.)

 

221

 

ANALYSE. 1.3. Discours de saint Paul aux Ephésiens. — Eloge de l'humilité, et de la liberté de parole quand il s'agit.de la vérité. — Nécessité de la vigilance pour les pasteurs. — Les loups puissants ravageurs du troupeau. — Nécessité de la vigilance pour les disciples.

f. Reproches que saint Jean Chrysostome adresse à son peuple. — Il rappelle ce qu'il a fait depuis qu'il prêche, et se livre à sa douleur. — Ardeur de son désir pour le salut de son peuple.       `

 

1. Paul, quoique pressé de passer outre, ne néglige rien et pourvoit à tout. Il fait venir les chefs de l'église d'Éphèse et leur dit ce qu'on vient de lire. On ne peut qu'admirer comment, forcé qu'il est de dire quelque chose de glorieux pour lui, il s'y prend modestement. Ainsi Samuël, sur le point de remettre le commandement à Saül, dit à Israël: « Vous êtes témoins, ainsi que Dieu, si j'ai reçu quelque chose de vous ». (I Rois, XII, 5.) Et David, en qui l'on n'avait pas foi, dit aussi : « J'étais dans la bergerie, paissant les brebis ode mon père.; et lorsque vint l'ours, je le déchirai de mes mains ». ( I Rois, XVII, 34, 35.) Et Paul lui-même dit aux Corinthiens «J'ai été insensé; vous m'y avez forcé ». (II Cor. XII, 10.) Dieu fait de même aussi : il ne parle pas simplement de lui-même, mais lorsqu'on ne veut pas croire en lui, il allègue ses bienfaits. Voyez donc ce que fait Paul d'abord il en appelle au témoignage de l'auditoire, pour qu'on ne pense pas qu'il parle avec vanité, et il atteste les auditeurs eux-mêmes qu'il n'a pas menti en disant ce qu'il a dit. Rien ne donne tant d'autorité à un docteur que d'avoir pour témoins de ses propres bonnes oeuvres ceux qu'il a instruits. Ce qui est étonnant, c'est qu'il employa non pas un ou deux jours, mais plusieurs années à cette oeuvre. « Vous savez», dit-il, « que j'ai été avec vous pendant tout le temps ». Il veut donc les exhorter à supporter avec courage toutes choses, et leur séparation de lui, et les épreuves qui doivent arriver, de même que firent Moïse et Jésus. Et voyez aussi ce qu'il ajoute : « Que j'ai été avec vous pendant tout le temps, servant le Seigneur en toute humilité ». Remarquez ce qui convient surtout à ceux qui commandent. « Haïssant l'orgueil » ; paroles qui se rapportent surtout aux princes que l'élévation de leur état pousse à l'idée exagérée d'eux-mêmes. Cette vertu est tellement la source des bonnes oeuvres, que le Christ disait : « Bienheureux les pauvres en esprit ». (Matth. V, 3.) Non-seulement Paul dit : avec humilité, mais bien : « en toute humilité ».  Il y a beaucoup de sortes d'humilité; car on peut voir l'humilité en paroles, en actions, envers les supérieurs, envers les inférieurs. Si vous le voulez, je vous dirai les divers modes de l'humilité. Il y en a qui sont humbles avec les humbles, et superbes avec les superbes; cela n'est pas (222) l'humilité. Il y en a d'autres qui, à l'occasion, conservent l'humilité et la grandeur envers toutes les personnes; et c'est là surtout de l'humilité. Paul ne voulant pas passer pour orgueilleux en enseignant l'humilité, donne une base solide à son enseignement, en supprimant d'avance tout soupçon de ce genre. En effet, si j'ai vécu avec toute humilité, ce n'est pas par vanité que je dis ce que je vous dis. Ensuite il allègue sa douceur: « Je fus avec vous, servant le Seigneur », dit-il, pour montrer qu'ils furent les compagnons de ses bonnes oeuvres. Ainsi, partout la vie commune est bonne. Il rend donc ses bonnes oeuvres communes, et il ne s'attribue rien d'éminent. Pourquoi donc? direz-vous. Est-ce qu'il pouvait être arrogant envers Dieu? Il y en a beaucoup qui sont arrogants envers Dieu; Paul n'était pas même arrogant envers ses,disciples. C'est l'oeuvre parfaite du maître de former ses disciples par ses bonnes actions propres. Ensuite il montre sa force d'âme sur laquelle il passe rapidement : «Avec beaucoup de larmes, « au milieu de beaucoup d'épreuves qui me sont arrivées par les- embûches des Juifs ». Voyez-vous comme il s'attriste de ce qui est arrivé? Là il me semble indiquer clairement sa commisération; il s'affligeait sur ceux qui périssaient, sur les auteurs de ses tribulations. Il se réjouissait des maux qui lui arrivaient; car il faisait partie de ce collège apostolique dont les membres se réjouissaient d'avoir été jugés dignes de souffrir l'injure à cause de son nom ». (Act. V, 41.) Il dit lui-même . « Maintenant je me réjouis de ce que j'ai souffert à cause de vous » ; et. encore : « Une affliction légère et de courte durée nous acquiert un poids éternel de gloire au-dessus de toute grandeur dans le ciel ». (Coloss. I, 24; Il Cor. IV, 17.) Mais il dit cela par modestie. Ici il montre son courage, et non pas tant son courage que sa patience. C'est comme s'il disait : « J'endurais des maux, mais c'était avec vous; ce qui est grave de la part des Juifs ». Voyez maintenant le caractère de la doctrine; et il place en même temps la charité et la force : « Que je n'ai rien négligé », dit-il. Ceci montre un zèle qui n'a rien épargné. « De ce qui était utile ». Il parle avec raison ainsi. Il y avait des choses qu'il était inutile aux fidèles de savoir. Si cacher certaines choses eût été de la méchanceté, tout dire eût été de la sottise. C'est pour cela qu'il a ajouté : « De ce qui était utile ». Il indique par là qu'il a enseigné la doctrine, ne se bornant pas à l'énoncer une fois seulement pour l'acquit de sa conscience : que ce soit là le vrai sens, écoutez ce qu'il dit ensuite; cela vous le prouvera, car il ajoute : « En public et dans les maisons » ; et il montre ainsi ses grands travaux, son zèle immense et sa persévérance Attestant aux Juifs et aux gentils ». Non à vous seulement, dit-il, mais aussi aux gentils. Là est la parole franche et libre ; cela veut dire qu'un apôtre doit parler, dût sa parole être inutile. Ce mot attester» qu'il emploie, signifie qu'il prêchait même à ceux qui n'étaient pas attentifs à sa parole; c'est le sens le plus fréquent d'attester. « J'atteste le ciel et la terre », dit Moïse; et Paul : « Attestant aux Juifs et aux gentils la pénitence envers Dieu ».

2. Qu'attestez-vous donc? Qu'il faut changer de vie, qu'il faut se repentir et revenir à Dieu. Les Juifs ne l'avaient pas connu parce qu'ils avaient méconnu le Fils; parce qu'ils n'avaient pas les oeuvres; non plus que la foi dans le Seigneur Jésus. Pourquoi dites-vous cela? Pourquoi rappelez-vous ces choses? Que s'est-il passé? Quelle accusation portez-vous? «Et voilà que maintenant, enchaîné par l'Esprit-Saint, je vais à Jérusalem; ignorant ce qui doit m'y arriver, si ce n'est que dans toutes les villes où je passe l'Esprit-Saint me dit et m'atteste que des chaînes et des persécutions m'attendent. Mais je n'en fais aucun cas; ma vie ne m'est pas si précieuse que d'accomplir ma course avec joie, et le ministère que j'ai reçu du Seigneur Jésus, d'attester l'Évangile de la grâce de Dieu (22-24) ». Pourquoi Paul dit-il cela? Pour les préparer et les rendre capables de supporter-les dangers visibles ou cachés, et d'obéir en tout à l'Esprit-Saint. Il montre qu'il est conduit à de grandes choses. « Si ce n'est que l'Esprit-Saint me dit et m'atteste dans toutes les villes par où je passe ». Il parle ainsi pour faire voir qu'il agit librement, et afin qu'on ne pense pas qu'il n'est pas libre, mais poussé par la nécessité. Ensuite il ajoute : « Ma vie ne m'est pas si précieuse que d'accomplir ma course avec joie, ainsi que le ministère que j'ai reçu du Seigneur Jésus ». Vous voyez que ce ne sont pas là les paroles d'un homme qui se lamente, mais d'un homme modeste qui enseigne et qui ne reste pas indifférent aux événements. Il ne dit (223) pas: Nous sommes dans l'angoisse; mais: Il faut supporter nos maux; il ne dit pas même Je juge que... Il parle de la sorte, non pour se louer lui-même, mais pour leur enseigner d'abord l'humilité, ensuite le courage, la liberté de parole. C'est comme s'il disait: Je n'aime pas cette vie plus que l'autre; je pense qu'il est plus précieux pour moi d'accomplir ma course, et « d'attester avec insistance la doctrine de l'Evangile ». Il ne dit pas : Prêcher, enseigner; mais quoi donc? « Attester l'Evangile de la grâce de Dieu ». Il va dire quelque chose de plus pénible : « Je suis pur du sang de tous ».  Il les prépare donc et leur montre qu'il ne reste plus rien. Comme il allait leur laisser la charge et le fardeau tout entiers, il attendrit leur coeur en disant : « Je sais maintenant que vous ne verrez plus désormais mon visage ». Puis il ajoute: « Je suis pur du sang de tous ». La douleur est double : ils ne verront plus son visage et eux tous. En effet, dit-il : « Vous ne verrez plus mon visage, vous tous, au milieu de qui je suis passé, prêchant le royaume de Dieu ». Je vous atteste donc avec raison, parce que je ne serai plus désormais avec vous, « que je suis pur du sang de tous ; car je n'ai pas craint de vous annoncer toute la volonté de Dieu ». Ne voyez-vous pas comme il les effraie et comme il accable leurs âmes affligées et troublées? C'est avec raison, car c'était nécessaire. «Car je n'ai pas craint de vous annoncer toute la volonté de Dieu ». Celui qui ne parle pas est responsable du sang de l'homme, c'est-à-dire du meurtre. Rien de plus effrayant que cela. Il leur montre que ceux qui n'agiront pas comme lui, sont responsables du sang. Il semble se disculper, et il les épouvante : « Veillez donc sur vous et sur tout le troupeau, sur lequel le Saint-Esprit vous a constitués évêques, pour paître a l'Eglise de Dieu qu'il a acquise par son propre sang ». Voyez-vous ; il leur ordonne deux choses : redresser seulement les autres ne procure aucun bénéfice. « Je crains qu'ayant prêché les autres, je ne sois moi-même réprouvé » (I Cor. IX, 27) ; non plus que de n'avoir soin que de soi-même. En effet, celui qui s'aime soi-même et ne recherche que ce qui le concerne, est semblable à celui qui a enfoui son talent. Ce qu'ajoute l'apôtre ne veut pas dire que notre salut est plus précieux que celui du troupeau; mais parce que, si nous veillons sur nous-mêmes, le troupeau aussi en profite. « Sur lequel l'Esprit-Saint vous a constitués évêques, pour paître l'Eglise de Dieu ». Voyez quelles grandes obligations ! Vous avez été ordonnés par l'Esprit-Saint; c'est ce que veut dire, en effet : « Vous a constitués ». C'est là une obligation; ensuite pour paître l'Eglise de Dieu », voilà la seconde ; et voici la troisième: « Qu'il a acquise par son propre sang ». Ces paroles montrent la grandeur du ministère pastoral. Le danger non plus n'est pas médiocre pour nous, puisque le Seigneur, pour l'Eglise, n'a pas épargné son propre sang, si nous négligeons le salut de nos frères. Le Seigneur, pour réconcilier des ennemis, a versé son sang ; et vous n'avez pas même la force de conserver ceux qui sont devenus des amis. « Je sais qu'après mon départ des loups terribles viendront au milieu de vous, qui n'épargneront pas le troupeau (21-29) » . Il les fait ainsi porter leurs regards vers l'avenir, comme lorsqu'il dit ailleurs : « Nous n'avons pas à lutter contre la chair et le sang. (Ephés. VI, 12.) Il viendra au milieu de vous des loups terribles ». Double malheur qu'il ne soit plus là, et qu'il doive venir des ennemis menaçants. Pourquoi vous en allez-vous, ô Paul , si vous prévoyez cela? L'Esprit me pousse, dit-il.

3. Remarquez qu'il ne dit pas seulement « des loups» et que ce n'est pas sans raison qu'il ajoute « terribles » pour marquer leur violence et leur audace; et ce qui est plus grave, il, dit que ces loups devront surgir du milieu d'eux: ce qui, certes, est terrible puisque ce sera une guerre civile. Il dit donc avec beaucoup de raison : «Veillez», pour montrer que la chose exige beaucoup de zèle (il s'agit de l'Eglise); que le danger est grand  (le Christ l'a rachetée de son sang), et que la guerre doit être grande, et qu'elle sera double. C'est là ce qu'il veut indiquer clairement en disant : « Et il surgira du milieu de vous des hommes proférant des paroles perverses pour entraîner les disciples à leur suite ». Ensuite, comme il les a tout à fait effrayés par cette parole : des « loups terribles », et aussi par celle-ci, savoir: qu'il surgirait du milieu d'eux des hommes proférant des paroles perverses, comme si quelqu'un embarrassé lui demandait : Comment donc? comment faudra-t-il veiller? il ajoute : « Veillez, et souvenez-vous que pendant trois années, nuit et jour, je n'ai (224) cessé d'avertir avec larmes chacun de vous (32) ». Voyez quelle surabondance de zèle Avec larmes, nuit et jour, chacun de vous ». Qu'épargnait-il pour un grand nombre, celui qui savait ne rien épargner pour une seule âme. Ainsi il les unit tous. Ce qu'il dit signifie Ce que j'ai fait suffit; je suis resté trois :ans; ils sont suffisamment confirmés dans la foi, les racines sont assez fortes. « Avec larmes », dit-il. Voyez-vous qu'il faut verser des larmes dans ce ministère? Faisons de même nous aussi. Le méchant ne s'attriste pas : attristez-vous, il s'attristera peut-être. Lorsqu'un malade voit le médecin prendre de la nourriture, il est excité par l'exemple. Ainsi en sera-t-il alors. S'il vous voit pleurer, il sera attendri, et deviendra un homme bon et doux. « Ne sachant pas», dit Paul, « ce qui doit m'arriver ». Mais quoi ! vous en allez-vous pour cela? Nullement ; mais je. sais sûrement que des chaînes et des tribulations m'attendent. Que des épreuves m'attendent; je le sais ; quelles elles sont, je ne le sais pas, ce qui était plus grave. Ne croyez pas que je dise ces choses pour me plaindre; je ne tiens pas ma vie comme si précieuse. Il parle ainsi pour leur rendre l'énergie, et leur persuader non-seulement de ne pas fuir, mais de souffrir avec courage. Il appelle sa mission une course et un ministère, pour leur faire envisager d'une part la gloire qui provient de la course , et le devoir qu'impose le ministère. Je suis ministre, . dit-il, je n'ai rien de plus. Il a soin de les consoler à l'avance et de prévenir la douleur que pourraient leur causer les maux qu'il doit souffrir, et de leur dire que c'est avec joie qu'il les endure, et ce n'est qu'après avoir montré le fruit qu'il vient à parler des choses pénibles. Il agit ainsi pour ne point accabler leur coeur. Quelles sont-elles ces choses pénibles? « Il surgira du milieu de vous des hommes proférant des paroles perverses ». Quoi donc , dira quelqu'un, vous croyez-vous si grand, que si vous vous en allez nous mourions? Je ne dis pas , répondit-il, que mon absence puisse avoir cet effet; mais quoi? Il surgira du milieu de vous ». Paul ne dit pas : à cause de mon départ; mais « après mon départ », c'est-à-dire, après que je vous aurai quittés; cela est déjà arrivé mais si cela est déjà arrivé, à plus forte raison cela arrivera-t-il après que je vous aurai quittés. Ensuite il donne le but de ces méchants : « Pour entraîner les disciples à leur suite ». Les hérésies n'ont pas d'autre motif que celui-là. Puis vient la consolation : « Qu'il s'est acquise par son propre sang » : S'il (le Christ) l'a acquise par son propre sang, il triomphera complètement: « Jour et nuit avec larmes », dit Paul, « je n'ai cessé d'avertir » : Ces choses nous seraient dites avec raison; le discours semble s'adresser spécialement aux docteurs , mais il est commun à tous les disciples. Pourquoi en effet parlerai-je, avertirai-je, pleurerai-je jour et nuit, si le disciple ne veut pas se laisser convaincre ?Afin que personne ne pense que c'est assez; pour sa défense, d'être.disciple et de ne faiblir pas. Paul, après avoir dit : « J'atteste », ajoute ces mots : « Que je n'ai jamais négligé de vous annoncer». Le docteur seul doit donc annoncer, prêcher, enseigner, ne rien négliger, annoncer nuit et jour; mais lorsque ces oeuvres sont accomplies, s'il n'est rien fait de plus, vous savez ce qui reste. Ensuite vient une, autre apologie : « Je suis pur du sang de tous ». Ne croyez pas que ces choses ne soient dites qu'à nous, car ce discours s'adresse aussi à vous, afin que vous fassiez attention à nos paroles, et que vous, ne vous éloigniez pas des discours publics.

Que ferai-je ? Voici que tous les jours je me fatigue à crier,: Eloignez-vous du théâtre; beaucoup se rient de nous; abstenez-vous des serments, de l'avarice; nous donnons mille avertissements, personne ne nous entend. — Mais je ne prêche pas la nuit. — Je voudrais le faire, même la nuit ; je voudrais, si les mille affaires qui m'occupent me le permettaient, m'asseoir à vos tables, auprès de vous, et vous parler ; mais si vous êtes négligents lorsque nous ne vous convoquons qu'une fois par semaine, négligents à tel point que beaucoup ne viennent pas, et que ceux qui viennent ne retirent aucun fruit de nos paroles, que feriez-vous donc si nous vous prêchions plus souvent? Que ferons-nous? Beaucoup, je le sais, se moquent de nous parce que nous parlons sans cesse sur le même sujet, tant nous leur sommes à charge. Ce n'est pas notre faute, c'est la vôtre. En effet, celui qui agit bien aime à entendre les mêmes choses, comme s'il entendait son éloge; celui, au contraire, qui ne veut pas bien agir, pense qu'on l'importune, et s'il a entendu seulement deux fois parler de quelque sujet, il s'imagine (225) l'avoir entendu souvent. « Je suis innocent du sang de tous», dit l'apôtre.

4. Il convenait à Paul de ;prononcer cette parole, mais nous n'osons la dire, nous qui avons conscience de mille négligences. A lui, en effet, toujours vigilant, toujours debout, à lui qui supportait tout pour le salut de ses. disciples, il convenait de parler ainsi ; pour nous, nous emploierons la parole de Moïse et nous dirons : « Le Seigneur s'est irrité contre moi à cause de vous, parce que vous nous entraînez nous-mêmes dans beaucoup de péchés ». (Deutér. III, 26.) Lorsque nous perdons courage en voyant que vous ne faites aucun progrès, est-ce que la plus grande partie de nôs forces ne nous abandonne pas? Qu'est-il donc arrivé, dites moi? Voici que, par la grâce de Dieu, nous aussi depuis trois années, nous exhortons, non pas nuit et jour, il est vrai, mais souvent trois jours par semaine, et quelquefois sept. Quel avantage en avez-vous retiré? Nous accusons, nous réprimandons, nous pleurons, nous nous affligeons, sinon ouvertement, au moins au fond de notre coeur. Les larmes qui coulent sont moins amères que celles qui ne sortent pas du coeur; celles-là soulagent la douleur, celles-ci l'augmentent en la concentrant en nous-mêmes. Ainsi, lorsqu'on est dans la peine et qu'on ne peut exprimer son chagrin, pour ne pas paraître rechercher la vaine gloire, on souffre plus vivement que si l'on donnait cours à sa douleur. Si personne ne me croyait désireux de vains éloges, vous me verriez tous les jours verser des torrents de larmes qui n'ont pour témoins que ma petite demeure et la solitude. En effet, croyez-moi, j'ai désespéré de mon salut en pleurant sur vos maux ; je n'ai pas le loisir de pleurer sur les miens, tant vous êtes tout pour moi. Si je vous vois faire des progrès, ce bonheur m'empêche de sentir mes maux; si je m'aperçois que vous ne faites aucun progrès , j'oublie encore une fois mes maux. Je suis encore joyeux de votre bien, même lorsque j'endure mille peines; je serais encore triste de vos douleurs quand mille biens m'arriveraient. Quel espoir reste-t-il au docteur si le troupeau se corrompt? Quelle vie? quelle attente? Avec quelle confiance se présentera-t-il devant Dieu ? Que dira-t-il? Admettons qu'il ne lui soit pas fait de reproches, qu'on ne lui inflige pas de châtiment, mais qu'il soit pur du sang de tous, alors encore il souffrira cruellement ; car, quoique les pères ne doivent pas être accusés à cause de leurs fils, cependant ils gémissent et sont dans le chagrin.

Mais, dira-t-on, ne suffit-il pas au pasteur , pour qu'il soit justifié devant Dieu , qu'il ait veillé sur nos âmes? Mais ils veillent comme devant rendre compte (Hébr. XIII, 17) : ce qui paraît effrayant pour quelques-uns; mais pour moi je n'en ai aucun souci. Si vous venez à périr, que je rende compte ou non, cela m'importe peu. Mon désir est que vous soyez sauvés, dussé-je rendre compte pour vous; oui, que vous soyez sauvés, et que je sois accusé de n'avoir pas fait mon devoir. Je n'ai pas souci que vous soyez sauvés par mon moyen, pourvu que, par n'importe quelle voie, vous arriviez au salut. Vous ne savez pas la tyrannie des enfantements spirituels, vous ne savez pas que celui qui enfante de cette manière préférerait être coupé en morceaux que de voir un seul de ceux qu'il a enfantés périr ou se corrompre. Comment vous le persuader? Nous ne nous servirons pas pour cela d'autre chose que de ce qui a été lu aujourd'hui. Nous pouvons dire, nous aussi, que nous n'avons rien négligé ; mais cependant nous nous attristons; et la preuve en est que nous préparons que nous inventons mille moyens. Cependant nous aurions pu vous dire : Quel souci puis-je avoir? J'ai fait ce qui dépendait de moi, je suis pur du sang; mais cela ne console pas; si notre coeur pouvait se déchirer et se montrer à vos yeux, vous verriez que vous y êtes renfermés et y occupez une large place, vous tous, femmes, enfants et hommes. Car telle est la force de-la charité, qu'elle rend l'âme plus vaste que le ciel. « Recevez-nous », dit Paul , « nous n'avons fait d'injustice à personne. (II Cor. VII, 2.) Vous n'êtes point dans nous à l'étroit ». (Ibid. VI, 12.) Nous aussi nous disons: Recevez,nous. Paul avait Corinthe entière dans son coeur, et il dit : « Dilatez-vous, vous aussi ; vous n'êtes point. à l'étroit ». (Ibid. XIII, 12.) Mais moi, je ne saurais parler ainsi, car je sais bien que vous m'aimez et que vous me recevez; mais quel bien retirer de ma charité ou de la vôtre, si les choses de Dieu ne font pas de progrès C'est là une grande source de peine, une grande cause de dommage. Je ne puis vous accuser en rien: « Car je vous rends témoignage que si cela eût été possible, vous vous (226) seriez arraché les yeux et me les eussiez donnés». (Gal. IV, 15.) Nous désirerions vous donner, non-seulement l'Evangile, mais même notre propre vie. Nous sommes aimés et nous aimons, mais cela n'est pas en question. Nous aimerons le Christ d'abord ; car le premier commandement est celui-ci : « Vous aimerez le Seigneur votre Dieu ; le second lui est semblable : Et le prochain comme vous-même ». (Matth. XXII, 37, 39; Marc, XII, 30.) Nous observons le second, nous manquons encore au premier. Oui, il nous manque beaucoup à l'égard du premier, à vous et à moi.

Nous l'observons, mais non comme il convient. Vous savez la grande récompense promise à ceux qui aiment le Christ. Nous l’aimerons de toute la ferveur de notre âme, de sorte que, jouissant de sa bienveillance, nous éviterons les tempêtes de la vie présente, et mériterons d'acquérir les biens promis à ceux qui l'aiment, par la grâce et la miséricorde du Fils unique, avec qui appartiennent, au Père et à l'Esprit-Saint, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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