ACTES XXVIII
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HOMÉLIE XXVIII. CEUX-CI DONC ENVOYÉS PAR L'ESPRIT-SAINT, DESCENDIRENT A SÉLEUCIE, ET DE LÀ ILS NAVIGUÈRENT VERS CHYPRE. ÉTANT ARRIVÉS A SALAMINE, ILS ANNONÇAIENT LA PAROLE DE DIEU DANS LES SYNAGOGUES DES JUIFS. ILS AVAIENT AUSSI JEAN POUR MINISTRE. (CHAP. XIII, 4, 5, JUSQU'AU VERS. 16.)

 

ANALYSE.

 

1et 2. Saint Paul et saint Barnabé prêchent l'Evangile ensemble. — Conversion du proconsul Sergius Paulus.

2 et 3. Parfois l'on triomphe d'un vice par un autre vice. — Qu'il faut fuir la gloire humaine, et quelle gloire il faut rechercher.

 

1. Après avoir reçu l'imposition des mains, ils partirent ensemble , et naviguèrent vers Ch ypre, parce que là il n'y avait pas de persécution, et que la parole était déjà répandue. Les chrétiens étaient nombreux à Antioche , la Phénicie était proche de la Palestine, Ch ypre (136) était éloignée. Du reste, ne demandez pas pourquoi, puisqu'ils sont poussés par l'Esprit-Saint. « Car ils n'avaient » pas seulement été élus, mais même envoyés par l'Esprit-Saint. «Et étant venus à Salamine, ils annonçaient la parole dans les synagogues des Juifs ». Voyez-vous leur empressement à annoncer tout d'abord la parole aux Juifs , afin de ne pas s'en faire des contradicteurs ? Les apôtres ne parlaient qu'aux Juifs seuls, et ceux-ci allèrent dans les synagogues. « Ils parcoururent l'île tout entière, et rencontrèrent un certain magicien faux prophète juif, nommé Bar Jesu, qui était avec le proconsul Sergius Paulus, homme sage, qui ayant fait venir Barnabé et Saul désirait entendre la parole de Dieu. Elymas le magicien (ainsi s'interprête son nom) leur résistait, et cherchait à détourner le proconsul de la foi (6-8) ». Voici de nouveau un magicien juif comme Simon. Remarquez encore que, tant que la parole de Dieu n'était prêchée qu'aux autres, il ne s'en indignait pas beaucoup, et qu'il ne s'émut que quand les apôtres vinrent chez le proconsul. Ce qu'il y a d'étonnant de la part du proconsul, c'est qu'étant prévenu par la magie, il voulut néanmoins entendre les apôtres. Ainsi tirent aussi les Samaritains. La magie vaincue ne sert qu'à faire éclater davantage la vertu divine. Partout la vaine gloire et l'amour du commandement sont la cause de grands maux. « Mais Saul, qui est aussi appelé Paul, rempli de l'Esprit-Saint, le regarda, et lui dit : Homme, plein de toute ruse et de toute tromperie, enfant du diable, ennemi de toute justice, ne cesseras-tu pas de pervertir les voies droites du Seigneur? Et voici maintenant que la main du Seigneur est sur toi, tu seras aveugle, et ne verras pas le soleil jusqu'à un certain temps (9-11) ». Ici le nom de l'apôtre est changé après l'ordination, comme il est arrivé à Pierre. Remarquez que ce n'est pas là une injure, mais une sévère réprimande. En effet , c'est ainsi qu'il faut mettre à la raison les turbulents et les impudents. « Homme plein de toute ruse et de toute tromperie, ennemi de toute justice ». Ici Paul révèle le fond de la pensée de cet homme qui, sous prétexte de sauver le proconsul, le veut perdre. « Ne cesseras-tu pas de pervertir les voies du Seigneur? » Et il dit avec foi : Ce n'est pas à nous que tu fais la guerre , contré nous que tu combats, mais tu bouleverses les voies du Seigneur, les voies droites, ajoute-t-il avec éloge. « Et maintenant voici que la main du Seigneur est sur toi, et tu seras aveugle ». Paul veut le convertir par le même miracle qui a servi à le convertir lui-même. Et ce mot « jusqu'à un certain temps » n'était pas la parole de celui qui châtie, mais plutôt de celui qui convertit. Si c'eût été la parole de celui qui châtie, il l'eût rendu aveugle pour toujours. Mais au contraire il ne le frappe que pour un temps, et seulement pour gagner le proconsul. « Aussitôt l'ombre et les ténèbres tombèrent sur lui, et tournant de tous côtés, il cherchait quelqu'un qui lui donnât la main. Alors le proconsul, voyant ce qui était arrivé , crut, admirant la doctrine du Seigneur (12) ». Il convenait qu'un homme adonné à la magie fût instruit par ce châtiment: ainsi furent instruits par les pustules les magiciens de l'Egypte. Remarquez que les apôtres ne perdent pas de temps en cet endroit; dès que le proconsul a cru, ils ne se laissent point amollir par les flatteries et les honneurs, ils se remettent aussitôt à l'oeuvre et se transportent dans le pays au delà de la mer.

« Paul et les siens ayant mis à la voile , passèrent de Ch ypre à Perge de Pamphilie.  Jean s'étant séparé d'eux, retourna à Jérusalem. Pour eux, après avoir traversé Perge, ils se rendirent à Antioche de Pisidie, et étant entrés dans la synagogue; ils s'assirent (13, 14) ». Ils entraient toujours dans la synagogue , selon l'habitude des Juifs , pour n'être ni attaqués ni chassés; c'est avec cette prudence qu'ils menaient leur oeuvre à bonne fin. « Après la lecture de la loi et des prophètes, les princes de la synagogue envoyèrent vers eux, en disant : Hommes nos frères, si vous avez quelque discours d'exhortation pour le peuple, pariez (15) ». Ce sont maintenant les actes de Paul que nous apprenons à connaître; ceux de Pierre nous ont été assez exposés dans ce qui précède. Mais reprenons notre texte. « Lorsqu'ils furent arrivés à Salamine, dit l'auteur, ils annonçaient la parole de Dieu » dans la métropole de Ch ypre. Ils passèrent une année à Antioche. Il fallait en sortir, et ne pas y rester toujours; il fallait aux chrétiens d'Antioche de plus grands docteurs. Remarquez qu'ils ne perdent pas le temps à Séleucie, sachant que le voisinage d'Antioche avait déjà beaucoup profité aux (137) Séleuciens. Mais ils ont hâte d'aller où il y a urgence. Lorsqu'ils furent arrivés à la métropole de l'île, ils désiraient convertir le proconsul. Cette. parole : « Etait avec le proconsul homme prudent », n'est pas une flatterie; et l'événement même vous l'apprend , car il n'eut pas besoin de nombreux discours, et il voulut aussitôt les entendre. L'auteur rapporte le nom des villes, pour montrer que, puisque les habitants avaient reçu la parole récemment, il était .nécessaire de les encourager à persévérer dans la foi. C'est pour cela qu'ils y vont souvent. Voyez aussi que Paul ne dit rien au magicien, tant que celui-ci n'en donna pas l'occasion. Mais ils annonçaient seulement la parole. Voyant l'attention que les autres donnaient à la parole de Dieu, le magicien n'eut plus qu'une préoccupation , celle d'empêcher le proconsul d'être persuadé. Pourquoi l'apôtre ne fit-il pas un autre miracle? Parce qu'il n'y en avait pas de plus propre à prendre l'ennemi.

2. Remarquez que la réprimande précède le châtiment. Il justifie d'avance la punition qu'il va lui infliger, en disant : « O homme plein de toutes sortes de ruses ! » c'est-à-dire, qui n'en néglige aucune. Et c'est avec justesse qu'il dit « de toutes sortes de ruses », le magicien rusait en effet : « fils du diable », car il faisait son couvre. « Ennemi de toute justice », la doctrine à laquelle il s'opposait était en effet de toute justice. Il me semble que Paul disait ces choses pour attaquer sa vie. Pour démontrer que ces paroles n'étaient pas inspirées par la colère, l'auteur dit auparavant . « Paul rempli du Saint-Esprit », c'est-à-dire de la force du Saint-Esprit. « Et maintenant, voici que la main du Seigneur est sur toi ». Ce n'était pas une vengeance, mais un remède. Comme s'il disait : Ce n'est pas moi qui agis, mais la main de Dieu; remarquez sa modestie : « Tu seras aveugle, et tu ne verras pas la lumière du soleil jusqu'à un certain temps ». Il lui dit cela pour lui donner lieu de se repentir. Les apôtres ne cherchaient pas à se signaler parla terreur, même en ne frappant que leurs ennemis. Ils usaient parfois de sévérité envers leurs disciples quand c'était nécessaire, mais jamais contre les étrangers, afin qu'on ne pût attribuer les progrès de leur oeuvre à la contrainte et à la terreur. La preuve de la cécité fut qu'il cherchait quelqu'un qui lui tendît la main. Le proconsul voit cette cécité, et aussitôt il croit, frappé d'étonnement, ajoute le texte. Il vit que ce n'étaient pas là des paroles et rien de plus, ni de purs prestiges. Voyez quel amour de la doctrine dans cet homme revêtu d'une dignité si haute ! Paul ne dit pas au mage : Vous ne cessez de pervertir le proconsul, mais a les voies du Seigneur » : ce qui était bien plus grand, et ne ressemblait en rien à une flatterie. Pourquoi Jean s'éloigne-t-il d'eux? L'auteur dit en effet : « Jean s'étant séparé d'eux, retourna à Jérusalem » ; parce qu'il redoutait un plus long voyage; il n'était cependant que ministre, et eux seuls s'exposaient au danger. Venant à Perge, ils ne font que traverser les autres villes, car ils se hâtaient d'arriver à la métropole, à Antioche. Voyez combien l'écrivain abrége. « Ils s'assirent »; dit-il, « dans la synagogue le jour du sabbat » ; comme pour préparer la voie à la parole. Ils ne parlent pas les premiers, mais on les invite et on les engage comme des hôtes à parler. S'ils ne fussent pas restés en cet endroit, ils auraient manqué l'occasion de parler ; c'est là que Paul prêche pour la première fois. Voyez sa prudence; là où la parole s'est répandue, il ne fait que passer; là où il n'y avait pas de disciple, il demeurait plus longtemps; il le dit lui-même lorsqu'il écrit : « Ainsi j'ai cherché à évangéliser là où n'a pas encore été nommé le Ch rist». (Rom. XV, 20.) C'était là le fait d'un grand courage. Paul fut un homme admirable dès le commencement; crucifié, placé au premier rang, il savait de quelle grande grâce il était privilégié, il montra un zèle égal. Il ne s'irrita pas contre Jean, car il n'était pas à lui; mais il s'attachait à l'oeuvre de Dieu; il ne redouta rien, il ne craignit pas au milieu d'une immense multitude qui l'entourait. Remarquez comment la Providence fait que Paul ne prêche pas à Jérusalem; il suffit qu'on y soit instruit de sa conversion; mais la haine que les Juifs lui portaient, ne lui eût pas permis d'y prêcher. Il s'en va donc au loin, là où il n'est pas connu. Il confondit d'abord le magicien, et montra ce qu'était cet homme, et le prodige fil voir qu'il était tel que Paul avait dit. Ce miracle était l'image dé l'aveuglement de son âme. Il est affligé pour un certain temps, afin qu'il fasse pénitence. Ils entrèrent à propos dans la synagogue, le jour du sabbat, lorsque les Juifs y étaient assemblés : « Et après la lecture de la loi et des prophètes, les princes de la (138) synagogue leur envoyèrent dire: Hommes, nos «frères, si vous avez quelque discours d'exhortation pour le peuple, parlez ». Remarquez qu'ils agissent alors sans, nulle envie; après, il n'en fut plus de même. Vous auriez dû, ô Juifs, désirer plus que jamais entendre les apôtres, après les avoir entendus une fois. Mais, ô amour de la puissance, ô amour de la vaine gloire, comme tu perds et détruis tout ! Cette passion pousse les hommes à travailler contre leur propre salut et contre celui des autres; elle rend tellement infirme et aveugle, qu'il faut chercher des conducteurs. Plût au ciel qu'il en fût même ainsi ! Plût au ciel que les gens avides de vaine gloire cherchassent des conducteurs ! Mais ils ne souffrent pas qu'on les conduise, et ne s'en rapportent en tout qu'à eux-mêmes. Cet amour nous aveugle , il est devant les yeux comme un brouillard, et un nuage à: travers lequel on ne saurait voir.

Quel moyen de défense aurons-nous, nous qui triomphons d'un vice par un autre vice, mais non par la crainte de Dieu? Exemple Beaucoup qui étaient libertins et avares, par la parcimonie ont vaincu le plaisir; d'autres, épris de la vaine gloire, ont triomphé de ces deux vices en dépensant sans économie, et en affectant une sagesse vaine ; d'autres , fort désireux de vaine gloire, font taire cette passion et affrontent le déshonneur, poussés par la convoitise et la cupidité; d'autres, pour assouvir leur fureur, subissent mille maux, et n'en ont aucun souci, pourvu qu'ils accomplissent leur volonté. Et ce que la passion humaine peut faire, la crainte. de Dieu ne le peut. Et que dis-je, la passion? Ce que peut le respect humain , la crainte de Dieu ne le peut faire. Nous: faisons beaucoup de bonnes oeuvres, comme nous commettons beaucoup de péchés par respect humain, mais nous ne craignons pas Dieu. Combien par honte ont dépensé leur fortune ? Combien , par une vaine ambition, n'ont pas servi leurs amis pour le mal ? Combien, par crainte pour leurs amis, ont commis mille péchés?

3. Si donc la passion, et le respect humain peuvent.nous porter aux péchés et aux bonnes oeuvres, c'est en vain que nous dirons : je ne peux pas; nous pouvons ce que nous voulons. Il faut que tous veuillent. Mais, dites-moi : Pourquoi ne pouvez-vous triompher de la vaine gloire , lorsque d'autres la vainquent, qui ont la même âme, le même corps, la

même forme, et vivent de la même vie? Pensez à Dieu , pensez à la gloire d'en-haut, mettez-la en face des choses présentes, et aussitôt vous fuirez cette gloire vaine. Si vous désirez la gloire, soyez avide de la vraie gloire. Qu'est-ce que la gloire, lorsqu'elle engendre l'infamie? Qu'est-ce que la gloire, lorsque vous êtes forcé de rechercher les louanges de vos inférieurs, et que vous en avez besoin? C'est un honneur de jouir de la gloire qui vient de plus grand que soi. Si vous aimez vraiment la gloire, aimez celle qui vient de Dieu. Si, par amour de la gloire qui vient de Dieu, vous dédaignez celle qui vient des hommes, vous verrez combien celle-ci est méprisable. Tant que vous ne comprendrez pas cette gloire qui vient de Dieu, vous ne verrez pas combien la gloire qui vient des hommes est honteuse et ridicule. De même que ceux qui sont épris de l'amour d'une femme laide et méchante, tant qu'ils, lui sont affectionnés, ne sauraient voir sa laideur, parce que la passion obscurcit leur jugement; de même, dans le cas présent, tant que nous sommes retenus par la passion, nous ne pouvons comprendre la grandeur du mal. Comment, direz-vous, nous en délivrerons-nous donc? Pensez à ceux qui ont dépensé de grands biens, sans en avoir retiré aucun fruit; pensez aux morts qui ont joui de cette gloire instable qui périt et s'évanouit; pensez que cette gloire en porte le nom seulement, et n'est pas la gloire elle-même. Qu'est-ce donc que la gloire, dites-le-moi, donnez m'en une définition ? C'est d'être l'admiration de tous, direz-vous. Justement ou injustement? Si c'est injustement, ce ne serait pas l'admiration, mais l'accusation, l'adulation, la calomnie ; si c'est justement , cela ne saurait être. Le peuple ne juge pas avec droiture; et il admire ceux qui servent ses désirs. Et, si vous le voulez, examinez ceux qui jettent leur fortune, aux, courtisanes, aux cochers, aux danseurs. Mais nous ne parlons pas de ceux1à, dites-vous, nous parlons des hommes justes et droits, qui peuvent faire beaucoup de bien. Plût à Dieu qu'on voulût les admirer ! la pratique des bonnes oeuvres serait facile; mais il en est autrement. Qui maintenant a des louanges pour l'homme juste et droit? C'est le contraire qui arrive. Quoi de plus insipide que la justice, si. pour prix de la justice, on attend les louanges de la foule ? C'est la même chose que, si un excellent peintre, après avoir (139) fait le portrait d'un roi, recevait les louanges des ignorants. D'ailleurs, l'homme qui agit en vue de la gloire humaine, abandonnera bien vite la pratique de la vertu. En effet, s'il aspire aux louanges des hommes, il fait ce qu'ils veulent, et non ce qu'il voudrait lui-même. Que vous conseillerai-je donc? Je vous conseillerai de vous attacher à Dieu , de vous contenter de ses louanges, de faire tout ce qui lui plaît, de faire le bien , et de n'aspirer nullement aux louanges des hommes : car elles corrompent le jeûne, l'aumône et la prière, et rendent vaines toutes vos bonnes actions; pour n'avoir pas à essuyer ce dommage , fuyons cette passion. Ne visons qu'aux louanges de Dieu , à son approbation, et à la bonne renommée qui nous vient du Seigneur commun des hommes, de sorte qu'après avoir passé la vie présente dans la vertu, nous jouissions des biens promis avec ceux qui aiment, Dieu, par la grâce et la bienveillance de Notre-Seigneur Jésus- Ch rist, avec qui soient au Père et à l'Esprit-Saint, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours , dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il !

 

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