|
|
SAINT JÉRÔME *
Jérôme tire son étymologie de gerar, saint, et de nemus, bois, comme on dirait bois saint, ou bien de norna, qui veut dire loi. C'est pour cela que sa légende dit que Jérôme signifie loi sainte. En effet il fut saint, c'est-à-dire, ferme, ou pur, ou couvert de sang, ou destiné aux fonctions sacrées, comme lon dit des vases sacrés du temple, qu'ils sont destinés à des usages saints. Il fut saint, c'est-à-dire, ferme en bonnes oeuvres, à cause de la longanimité de sa persévérance, et pur en son esprit : et couvert de sang, par la méditation de la passion du Seigneur : il fut consacré à de saints usages, en interprétant et en expliquant lÉcriture sainte. Il signifie bois; parce qu'il habita quelque temps dans un bois; il veut dire loi, par rapport à la discipline régulière qu'il enseigna, à ses moines, ou bien encore parce qu'il expliqua et interpréta la loi sainte. Jérôme signifie encore, vision de beauté, ou juge des discours. La beauté est multiple; la première est la spirituelle, qui réside dans lâme; la seconde est la morale, qui consiste dans lhonnêteté des murs ; la troisième est lintellectuelle, qui est la beauté des anges : la quatrième est la (137) supersubstantielle, qui appartient à Dieu; 1a cinquième est la céleste, qui réside dans la patrie des saints. Jérôme vit en lui et posséda cette quintuple beauté. Il posséda la spirituelle, dans ses différentes vertus; la morale, par lhonnêteté de sa vie ; lintellectuelle, dans sa pureté éminente ; la supersubstantielle, dans son ardente charité ; la céleste, dans sa charité éternelle ou excellente. Il fut juge, des discours, des siens et de ceux des autres ; des siens, en ne parlant qu'avec poids ; de ceux des autres, en approuvant ce qu'ils contenaient de vrai, en réfutant ce qui s'y rencontrait de faux, et en exposant les choses douteuses.
* Cette légende parait compilée sur une prétendue vie du saint par Eusèbe de Crémone et rapportée en tête des couvres de saint Jérôme.
Jérôme fut le fils d'un homme noble nommé Eusèbc, et originaire de la ville de Stridonie, sur les confins de la Dalmatie et de la Pannonie. Jeune encore, il alla à Rome où il étudia à fond les lettres grecques, latines et hébraïques. Son maître de grammaire fut Donat, et celui de rhétorique, lorateur Victorin. Il s'adonnait nuit et jour à létude des saintes Ecritures. Il y puisa avec avidité ces connaissances qu'il répandit dans la suite avec abondance. A une époque, il le dit dans une lettre à Eustachius, comme il passait le jour à lire Cicéron et la nuit à lire Platon, parce que le style négligé des livres des Prophètes ne lui plaisait pas, vers le milieu du carême, il fut saisi d'une fièvre tellement subite et violente, que son corps se refroidit, et la, chaleur vitale s'était retirée dans sa poitrine. Déjà quon préparait ses funérailles, quand tout à coup, il est traîné au tribunal du souverain juge qui lui demanda quelle était sa qualité, il répondit ouvertement qu'il était chrétien. « Tu mens, lui dite juge; tu es cicéronien, tu n'es pas chrétien car où est ton trésor, là est ton coeur. » Jérôme se tut (133) alors et aussitôt le juge le fit fouetter fort rudement Jérôme se mit à crier : « Ayez pitié de moi, Seigneur, ayez pitié de moi. » Ceux qui étaient présents se mirent en même temps à prier le juge de pardonner à ce jeune homme. Celui-ci proféra ce serment : « Seigneur, si jamais je possède des livres profanes, si j'en lis, c'est que je vous renierai. » Sur ce serment, il fut renvoyé et soudain il revint à la vie. Alors il se trouva tout baigné de larmes, et il remarqua que ses épaules étaient affreusement livides des coups reçus devant le tribunal de Dieu. Depuis, il lut les livres divins avec le même zèle qu'il avait lu auparavant les livres païens. Il avait vingt-neuf ans quand il fut ordonné cardinal prêtre dans léglise romaine. A la mort du pape Libère, Jérôme fut acclamé par tous digne du souverain pontificat. Mais ayant repris la conduite lascive de quelques clercs et des moines, ceux-ci, indignés à lexcès, lui tendirent des pièges. D'après Jean Beleth, ce fut au moyen d'un vêtement de femme qu'ils se moquèrent de lui d'une façon honteuse. En effet Jérôme s'étant levé comme de coutume pour les matines trouva un habit de femme que ses envieux avaient mis auprès de son lit, et croyant que c'était le sien, il s'en revêtit et s'en alla ainsi à léglise. Or, ses ennemis avaient agi de la sorte afin qu'on crût à la présence d'une femme dans la chambre du saint. Celui-ci, voyant jusqu'où ils allaient, céda à leur fureur et se retira chez saint Grégoire de Nazianze, évêque de la ville de Constantinople Après avoir appris de lui les saintes lettres, il courut au désert et il y souffrit pour J.-C. tout ce qu'il raconte lui-même à Eustochium en ces termes : « Tout (134) le temps que je suis resté au désert et dans ces vastes solitudes qui, brûlées par les ardeurs du soleil, sont pour les moines une habitation horrible, je me croyais être au milieu des délices de Rome. Mes membres déformés étaient recouverts d'un cilice qui les rendait hideux; ma peau, devenue sale, avait pris la couleur de la chair des Ethiopiens. Tous les jours se passaient dans les larmes ; tous les jours des gémissements, et si quelquefois un sommeil importun venait maccabler, la terre nue servait de lit à mes os desséchés. Je ne parle point du boire ni du manger, quand les malades eux-mêmes usent d'eau froide, et quand manger quelque chose de cuit est un péché de luxure : et tandis que je n'avais pour compagnons que les scorpions et les bêtes sauvages, souvent je me trouvais en esprit dans les assemblées des jeunes filles ; et dans un corps froid, dans une chair déjà morte, le feu de la débauche membrasait. De là des pleurs continuels. Je soumettais ma chair rebelle à des jeûnes pendant des semaines entières. Les jours et les nuits étaient tout un le plus souvent, et je ne cessais de me frapper la poitrine que quand le Seigneur mavait rendu à la tranquillité. Ma cellule elle-même me faisait peur, comme si elle eût été le témoin de mes pensées. Je mirritais contre moi, et seul je menfonçais dans les déserts les plus affreux. Alors, Dieu men est témoin, après ces larmes abondantes il me semblait quelquefois être parmi les churs des anges. » Il fit ainsi pénitence pendant quatre ans, après quoi il revint à Bethléem, où il s'offrit à rester comme un animal domestique auprès de la crèche du Seigneur. Il relisait (135) les ouvrages de sa bibliothèque qu'il avait rassemblée avec le plus grand soin, ainsi que d'autres livres; et jeûnait jusqu'à la fin du jour. Il réunit autour de lui un grand nombre de disciples, et consacra quarante-cinq ans et six mois à traduire les Ecritures ; il demeura vierge jusqu'à la fin de sa vie. Bien que dans cette légende, il soit dit qu'il fut toujours vierge, il s'exprime cependant ainsi dans une lettre à Pammachius : « Je porte la virginité dans le ciel, non pas que je laie. » Enfin sa faiblesse labattit au point que couché en son lit, il était réduit, pour se lever, à se tenir par les mains à une corde attachée à une poutre, afin de suivre comme il le pouvait, les offices du monastère. Une fois, vers le soir, alors que saint Jérôme était assis avec ses frères pour écouter une lecture de piété, tout à coup un lion entra tout boitant dans le monastère. A sa vue, les frères prirent tous la fuite; mais Jérôme s'avança au-devant de lui comme il leût fait pour un hôte. Le lion montra alors qu'il était blessé au pied, et Jérôme appela les frères en leur ordonnant de laver les pieds du lion et de chercher avec soin la place de la blessure. On découvrit que des ronces lui avaient déchiré la plante des pieds. Toute sorte de soins furent employés et le lion guéri, s'apprivoisa et resta avec la communauté comme un animal domestique. Mais Jérôme voyant que ce n'était pas tant pour guérir le pied du lion que pour lutilité qu'on en pourrait retirer que le Seigneur le leur avait envoyé, de lavis des frères, il lui confia le soin de mener lui-même au pâturage et d'y garder lâne qu'on emploie à apporter du bois de la forêt. Ce qui se fit : (136) car lâne ayant été confié au lion, celui-ci, comme un pasteur habile, servait de compagnon à lâne qui allait tous les jours aux champs, et il était son défenseur le plus vigilant durant qu'il paissait çà et là. Néanmoins, afin de prendre lui-même sa nourriture et pour que lâne pût se livrer à son travail d'habitude, tous les jours, à des heures fixes, il revenait avec lui à la maison. Or, il arriva que comme lâne était à paître, le lion s'étant endormi d'un profond sommeil, passèrent des marchands avec des chameaux : ils virent lâne seul et lemmenèrent au plus vite. A son réveil, le lion ne trouvant plus son compagnon, se mit à courir çà et là en rugissant. Enfin, ne le rencontrant pas, il s'en vint tout triste aux portes du monastère, et n'eut pas la hardiesse d'entrer comme il le faisait d'habitude, tant il était honteux. Les frères le voyant rentrer plus tard que de coutume et sans lâne, crurent que, poussé par la faim, il avait mangé cette bête; et ils ne voulurent pas lui donner sa pitance accoutumée, en lui disant : « Va manger ce qui t'est resté de lânon, va assouvir ta gloutonnerie. » Cependant comme ils n'étaient pas certains qu'il eût commis cette mauvaise action, ils allèrent aux pâtures voir si, par hasard, ils ne rencontreraient pas un indice prouvant que lâne était mort, et comme ils ne trouvèrent rien, ils vinrent raconter le tout à saint Jérôme. D'après les avis du saint, on chargea le lion de remplir la fonction de lâne ; on alla couper du bois et on le lui mit sur le dos. Le lion supporta cela avec patience: mais un jour qu'il avait rempli sa tâche, il alla dans la campagne et se mit à courir çà et là, dans le désir de (137) savoir ce qui était advenu de son compagnon, quand il vit venir au loin des marchands conduisant des chameaux chargés et un âne en avant. Car lusage de ce pays est que quand on va au loin avec des chameaux, ceux-ci afin de pouvoir suivre une route plus directe, soient précédés par un âne qui les conduit au moyen d'une corde attachée à son cou. Le lion ayant reconnu lâne, se précipita sur ces gens avec d'affreux rugissements et les mit tous en fuite. En proie à la colère, frappant avec force la terre de sa queue, il força les chameaux épouvantés d'aller par devant lui à létable du monastère, chargés comme ils létaient. Quand les frères virent cela, ils en informèrent saint Jérôme : « Lavez, très chers frères, dit le saint, lavez les pieds de nos hôtes ; donnez-leur à manger et attendez là-dessus la volonté du Seigneur. » Alors le lion se mit à courir plein de joie dans le monastère comme il le faisait jadis, se prosternant aux pieds de chaque frère. Il paraissait, en folâtrant avec sa queue, demander grâce pour une faute qu'il n'avait pas commise. Saint Jérôme, qui savait ce qui allait arriver, dit aux frères : « Allez, mes frères, préparer ce qu'il faut aux hôtes qui viennent ici. » Il parlait encore quand un messager annonça qu'à la porte se trouvaient des hôtes qui voulaient voir labbé. Celui-ci alla les trouver; les marchands se jetèrent de suite à ses pieds, lui demandant pardon pour la faute dont ils s'étaient rendus coupables. L'abbé les fit relever avec bonté et leur commanda de reprendre leur bien et de ne pas voler celui des autres. Ils se mirent alors à prier saint Jérôme d'accepter la moitié de leur huile et de les bénir. Après (138) bien des instances, ils contraignirent le saint à accepter leur offrande. Or, ils promirent de donner aux frères, chaque année, une pareille quantité, d'huile et d'imposer la même obligation à leurs héritiers *. Autrefois chacun chantait à léglise ce qu'il voulait mais lempereur Théodose, d'après Jean Beleth (ch. XIX), pria le pape Damase de confier à quelque savant le soin de régler loffice ecclésiastique. Le pape qui savait saint Jérôme instruit à fond dans les langues grecque et hébraïque et dans toutes les sciences, le chargea de cette rédaction. Alors saint Jérôme partagea le psautier entre les féries et assigna à chacune d'elles un nocturne particulier ; il institua de chanter à la fin de chaque psaume le Gloria Patri, selon que le rapporte Sigebert. Ensuite il mit dans un ordre convenable les épîtres et les évangiles qu'on devait chanter dans tout le cours de lannée, enfin tout ce qui concerne loffice, excepté le chant. De Bethléem il envoya son travail au souverain Pontife qui en fit de grands éloges ainsi que les cardinaux et qui en confirma lusage pour la suite. Après quoi saint Jérôme se fit construire un tombeau à lentrée de la grotte où Notre-Seigneur fut enseveli; et ce fut là, après avoir accompli quatre-vingt-dix ans et six mois, qu'il reçut la sépulture. On voit quel profond respect eut pour lui saint Augustin par les lettres qu'il lui adressa. Dans lune, d'elles, il lui écrit en ces termes : « Au, seigneur très
* On prétend que toute cette histoire du lion est attribuée à la légende de saint Jérôme, par lerreur d'un copiste qui aurait lu dans le Pré spirituel (ch. CVII) Hyéronime au lieu de Gérasime.
139
cher, et très honoré, et honorable ami Jérôme, Augustin, salut, etc. » Autre part, il écrit ainsi de lui : « Le prêtre Jérôme, très versé dans le grec, le latin et lhébreu, vécut jusqu'à une extrême vieillesse dans les saints lieux, se livrant à létude des saintes lettres. La sublimité de ses discours brille de lOrient à lOccident comme la lumière du soleil. » Saint Prosper en ses chroniques en parle ainsi: « Jérôme, prêtre illustre dans le monde entier, habitait Bethléem, il rendit des services à léglise par son génie éminent et ses travaux. » Le saint parle aussi de soi-même en ces termes à Albigensis : « Il n'y a rien que je n'aie évité avec soin dès mon enfance comme lesprit d'orgueil et la fierté de caractère qui attirent la colère de Dieu.». Il dit autre part : « J'ai de lappréhension dans les choses qui paraissent certaines. » Plus loin: « Dans le monastère, nous exerçons lhospitalité de tout tueur; tous ceux qui viennent à nous, excepté les hérétiques, nous les recevons avec un visage gai et nous leur lavons les pieds à leur arrivée. Isidore s'exprime ainsi dans son livre des Etymologies * : « Jérôme possédait trois langues; son interprétation est préférée à celle des autres, parce qu'il saisit mieux la valeur des termes, et que ses expressions sont claires et nettes ; en outre, parce qu'il est chrétien, il est plus sûr. » Sévère Sulpice, disciple de saint Martin, dans un de ses dialogues, parle, en ces termes, de saint Jérôme, son contemporain : « Saint Jérôme, indépendamment du mérite de sa foi et de ses vertus, était instruit dans le
* Liv. VI.
140
latin, le grec et même lhébreu, à tel point que personne n'oserait se comparer à lui pour telle science que ce fût : ses combats et ses luttes contre les méchants étaient de tous les jours et de tous les instants : les hérétiques le haïrent parce que toujours il les attaqua; les clercs le haïrent parce qu'il reprit leurs crimes et leur manière de vivre : mais les gens de bien, sans exception, ne cessent de ladmirer et de laimer. En effet, tous ceux qui le pensent hérétique sont des extravagants. Toujours occupé à lire, toujours au milieu des livres, il ne se repose ni le jour, ni, la nuit. Toujours ou bien il lit ou bien il écrit. » Ainsi qu'on peut s'en assurer par ce qu'il en dit lui-même, il eut à souffrir d'un grand nombre de persécuteurs et de détracteurs. Mais il supporta de bon coeur ces persécutions. C'est ce qu'il écrit à Asella : « Je rends grâce à Dieu d'être digne de la haine du monde. On se moque de moi comme d'un malfaiteur; mais je sais que, pour arriver au ciel, il faut supporter la bonne comme la mauvaise renommée. Plût à Dieu que, pour le nom de mon Seigneur et pour la justice, la foule entière des infidèles me poursuivît. Que le monde ne peut-il s'élever encore avec plus de fureur pour mavilir ! Je n'espère qu'une récompense: c'est de mériter les éloges de J.-C. et la réalisation de ses promesses. Il est doux, il est bon d'être éprouvé, quand on peut en attendre la rémunération de J. -C. dans le ciel. Les malédictions ont beau être grandes, si elles sont compensées par les encouragements de Dieu. » Il mourut vers lan du Seigneur 398.
|