CLÉMENT
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SAINT CLÉMENT *

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Clément veut dire glorieux esprit, venant de cleos, gloire, et mens, esprit. En effet son esprit soit pur de toute tache, orné de tonte vertu, et décoré maintenant de toute félicité. Félicité. qui consiste, d'après saint Augustin, en son livre De la Trinité, en ce que notre être n'y sera pas sujet à la mort, notre science à l’erreur, et notre amour à contradiction. Ou bien Clément vient de clémence, parce qu'il fut clément et très miséricordieux. Ou bien encore Clément, ainsi qu'il est dit au Glossaire, signifie doux, juste, mûr et pieux. Il fut juste dans ses actions, doux dans ses paroles, mûr dans sa conduite, pieux dans ses intentions. Il a intercalé lui-même sa vie dans son itinéraire, principalement jusqu'à l’endroit où il montre comme il a succédé à saint Pierre dans son pontificat. Le reste est recueilli de ses gestes, qui se trouvent partout.

 

Clément, évêque, était d'une noble famille de Rome. Son père s'appelait Faustinien et sa mère Macidiane; il eut deux frères, Faustin et Fauste. Comme Macidiane était douée d'une merveilleuse beauté, le frère

 

* Dans la première préface du Sacramentaire attribué à saint Léon le Grand, on trouve indiqués un certain nombre de faits de la légende de saint Clément: on y voit qu'il quitta sa famille et sa patrie; qu'il parcourut la, terre et la mer afin de trouver la vérité auprès des apôtres. Alors que saint Pierre aurait été ; son maître, il recouvra ses parents dans un pays étranger. Il y est déclaré le successeur de saint Pierre, et enfin martyr. C'est le fond de toute la légende. Une seconde préface du même office dit qu'il alla à la recherche de ses parents, qu'il les trouva; qu'il s’attacha aux apôtres. Tout cela est pris de l’Itinéraire de saint Clément, livre sur lequel les érudits se sont fort partagés et que presque tous font remonter à la fin du IIe  siècle ou du moins au IIIe.

 

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de son mari s'éprit vivement pour elle d'un amour criminel. Or, comme il la tourmentait tous les jours et qu'elle ne voulait consentir en rien en ses desseins, que d'ailleurs elle n'osait pas révéler ses poursuites à son mari, dans la crainte de susciter des inimitiés entre les deux frères, elle pensa un certain temps à quitter sa patrie, pour laisser calmer cet amour illicite, qu'enflammait sa présence. Afin d'en obtenir la permission de son mari, elle feignit, avec une grande adresse, d'avoir eu, un songe qu'elle lui raconta ainsi : « Un homme  m’apparut et me commanda de quitter la, ville au plus tôt avec mes deux jumeaux, Faustinien et Fauste, et de rester absente jusqu'à ce qu'il me donnât l’ordre de revenir. Que si je ne le faisais pas,: je mourrais en même temps que mes deus fils. » En entendant ces paroles, Faustinien fut épouvanté; il envoya donc sa femme et; les deux enfants à Athènes avec de nombreux serviteurs. Quant au plus petit qui se nommait Clément, âgé seulement de cinq. ans, le père le garda auprès de soi comme un sujet de consolation. Or, comme la mère naviguait avec ses enfants, une nuit que le vaisseau fit naufrage elle fut jetée par les flots sur un rocher où elle se sauva sans eux. Dans la conviction qu»ils avaient péri, elle ressentit une si grande douleur qu'elle se serait précipitée au fond de la mer, si elle n'eût espéré recueillir leurs cadavres. Mais, quand elle vit qu'elle ne pouvait les retrouver ni vivants ni morts, elle se mit à pousser des clameurs et des hurlements extraordinaires, se déchirant les mains avec les dents; elle ne voulait accepter aucune consolation de qui que ce fût. Il y (354) avait là beaucoup de femmes qui lui racontaient leurs propres infortunes, mais sans qu'elle reçût aucun soulagement. Alors se présenta une femme qui dit avoir perdu dans la mer son mari qui était un jeune matelot; elle, ajouta que, par amour pour lui, elle avait refusé de se remarier. Macidiane, ayant ressenti quelque consolation auprès de cette femme, resta chez elle en se procurant sa nourriture de chaque jour du travail de ses mains. Quelque temps après, ses mains qu'elle avait déchirées par ses morsures répétées, devinrent insensibles et paralysées, au point qu'elle ne pouvait plus s'en servir pour aucun travail. La femme qui l’avait reçue tomba percluse, et ne put quitter le lit. Alors Macidiane fut forcée à mendier, et elle se nourrissait avec son hôtesse de ce qu'elle avait pu trouver. Un an après que Macidiane avait quitté sa patrie avec ses enfants, son mari envoya des messagers à Athènes pour les rechercher et savoir ce qu'ils faisaient. Mais ceux qui avaient été envoyés ne revinrent pas. Enfin il en envoya d'autres qui lui rapportèrent n'avoir trouvé d'eux aucune trace. Alors Faustinien laissa son fils Clément à des tuteurs, et s'embarqua lui-même pour aller chercher sa femme et ses fils; mais il ne revint pas à son tour. Pendant vingt ans, saint Clément resta abandonné et dans l’impossibilité d'avoir aucun renseignement sur sort père, sa mère et, ses frères. Il s'adonna à l’étude des lettres, et devint un grand philosophe. Il s'appliquait tout spécialement à savoir comment il, pourrait acquérir la preuve de l’immortalité de l’âme. Pour cela il fréquentait les écoles des philosophes, et quand il en (355) avait rencontré une où il avait découvert une preuve qu'il était immortel, il se trouvait dans le bonheur; mais si on venait. à conclure qu'il était mortel, il se retirait plein de tristesse.

Enfin saint Barnabé vint à Rome et prêcha la foi de J.-C. ; mais les philosophes se moquaient de lui comme d'un fou et d'un insensé. L'un d'eux (quelques-uns pensent que c'était le philosophe Clément qui se moquait de l’apôtre tout d'abord comme les autres, et qui méprisait sa prédication) posa cette question à saint Barnabé par dérision : « Le moucheron est un tout petit animal; comment se fait-il qu'il ait six pattes et encore des ailes, tandis que l’éléphant, qui est si gros, n'a pas d'ailes et seulement quatre pattes? » « Insensé, lui répondit Barnabé, je pourrais bien facilement répondre à votre question, si vous paraissiez rechercher à connaître la vérité : mais ce serait chose absurde de vous parler des créatures, puisque leur créateur vous est inconnu. Que si vous ne connaissez pas le créateur, il est juste que vous vous trompiez au sujet des créatures. » Cette parole se grava. au fond du coeur du philosophe Clément qui, ayant été instruit par Barnabé, reçut la foi en J.-C., et s'en alla quelque temps après dans la Judée trouver saint Pierre. Cet apôtre lui expliqua la foi chrétienne et lui démontra avec évidence l’immortalité de l’âme. En ce temps-là, Simon le magicien avait deux disciples, Aquila et Nicolas, qui, reconnaissant ses impostures, l’abandonnèrent pour se réfugier auprès de saint Pierre dont ils devinrent les disciples. Saint- Pierre ayant interrogé Clément sur sa famille, celui-ci lui raconta tout au (356) long ce qu'il savait de sa mère et de ses frères, ensuite de son père ; il ajouta qu'il croyait que sa mère avait péri dans les flots avec ses frères, et que son père était mort de chagrin, ou bien aussi dans un naufrage. Quand saint Pierre entendit cela, il ne put retenir ses larmes. Une fois, saint Pierre vint avec ses disciples; à Antandros, et de là à une île éloignée de six milles, où restait Macidiane, la mère de Clément, et où se trouvaient des colonnes de verre d'une merveilleuse grandeur. Pierre étant à les admirer avec les autres, vit Macidiane qui mendiait, et lui fit des reproches de ce qu'elle ne préférait pas travailler de ses mains. Elle répondit : « Je parais bien avoir des mains, seigneur, mais elles ont été tellement affaiblies par les morsures qu'elles sont devenues tout à fait insensibles, et plût au ciel que je me fusse précipitée dans la mer pour ne plus vivre davantage. » « Que dites-vous là ? reprit saint Pierre; ne savez-vous pas que les àmes de ceux qui se suicident sont gravement punies? » « Plût à Pieu qu'il me soit prouvé que les âmes vivent après la mort : car je me tuerais bien volontiers afin que je puisse voir mes chers enfants, ne serait-ce qu'une heure ! » Alors saint Pierre lui ayant demandé la cause d'une si profonde tristesse, et Macidiane lui ayant raconté de point en point ce qui s'était passé, l’apôtre lui dit : « Il y a chez nous, un jeune homme nommé Clément qui prétend que ce que vous racontez est arrivé à sa mère et à ses frères. » En entendant cela, elle fut frappée d'une stupeur étrange et tomba évanouie. Revenue à elle-même, elle dit avec larmes : « C'est moi qui suis la mère du jeune homme. » Et (357) se jetant aux pieds de saint Pierre, elle le pria de daigner lui faire voir au plus tôt son fils. Pierre lui dit « Quand vous verrez ce jeune homme, dissimulez un peu, jusqu'à que ce nous soyons sortis de l’île avec le vaisseau. » Après qu'elle eut promis de le faire, Pierre lui prit la main et la conduisit au vaisseau où était Clément. Quand Clément vit saint Pierre conduisant une femme par la main, il se mit à rire. Aussitôt que la femme fut près de Clément, elle ne put se contenir, se jeta à son cou et se mit à l’embrasser une infinité de fois. Clément, qui la prenait pour une folle, la repoussait avec une grande indignation, et il n'en ressentit pas une moins grande contre saint Pierre. Celui-ci lui dit : « Que fais-tu, Clément, mon fils ? ne repousse pas ta mère. » A ces mots, Clément tout en larmes tomba dans les bras de sa mère qui était pâmée et commença à la reconnaître. Pierre se fit amener la paralytique qui avait donné l’hospitalité à Macidiane et la guérit aussitôt. Ensuite la mère s'informa de son mari auprès de Clément qui lui répondit : « Il est parti pour vous chercher et il n'est plus revenu. » En l’entendant elle poussa un soupir: car l’extrême joie d'avoir retrouvé son fils la consolait des autres douleurs.

Sur ces entrefaites, arrivèrent Nicétas et Aquila qui, eu voyant une femme avec saint Pierre, demandèrent qui elle était. Clément leur. dit : « C'est ma mère que le Seigneur m’a rendue, par l’entremise de mon maître Pierre. » Après quoi saint Pierre leur raconta tout ce qui était arrivé. Quand Nicétas et Aquila eurent entendu ce récit, il se levèrent subitement, saisis de (358) surprise, et commencèrent à dire: « Seigneur Dieu créateur, est-ce vrai ce que nous avons ouï, ou bien est-ce un songe? » Pierre leur dit : « Mes enfants, nous ne sommes pas insensés, mais tous ces détails sont vrais. » Alors Nicétas et Aquila s'embrassant : « C'est nous qui sommes Faustin et Fauste que notre mère croit avoir été engloutis dans la mer. » Ils coururent se jeter dans les bras de leur mère et ne cessaient de l’embrasser. « Que signifie ceci, reprit Macidiane ? » Pierre répliqua : « Ce sont tes fils Faustin et Fauste que, tu croyais avoir péri dans la mer. » En entendant ces paroles, Macidiane, devenue, comme insensée, tomba en pâmoison ; et quand elle fut revenue à elle-même : « Je vous en conjure, dit-elle, mes très chers enfants, racontez-moi comment vous avez échappé. » « Après que le vaisseau eut été brisé, répondirent-ils, nous nous étions mis sur une table, quand des pirates, qui nous rencontrèrent, nous firent monter sur leur vaisseau, et après nous avoir fait changer de nom, ils nous vendirent à une honnête veuve appelée Justine, qui nous traita comme ses enfants et nous fit instruire dans les arts libéraux; enfin nous avons étudié la philosophie, et nous nous sommes attachés à Simon, un magicien qui avait été élevé avec nous: mais quand nous avons découvert ses fourberies, nous l’avons quitté tout à fait pour devenir les disciples de Pierre par l’entremise de Zachée. » Le lendemain saint Pierre prit les trois frères et descendit dans un lieu- retiré pour prier. Un vieillard vénérable, mais d'un extérieur qui indiquait la pauvreté, les harangua en ces termes : « J'ai compassion de vous, mes frères, parce que sous (359) l’apparence de la piété, je vois que vous vous trompez lourdement car il n'existe point de Dieu, il ne doit donc exister aucun culte : ce n'est pas la providence c'est le hasard et la destinée dès le moment de la naissance qui font tout dans le monde; ainsi que je  m’en suis convaincu moi-même, car je suis bien plus instruit que les autres dans la science des mathématiques Ne vous y trompez point, que vous priiez ou non, ce que votre horoscope contient; vous arrivera. » En regardant ce vieillard, Clément se sentait intérieurement touché, et il lui semblait qu'il l’avait vu quelque part ailleurs. Or, comme d'après l’ordre de saint Pierre, Clément, Aquila et Nicétas avaient longtemps discuté avec ce vieillard, et lui avaient démontré par des raisons évidentes l’existence de la providence, il leur était arrivé de l’appeler, par déférence, du nom de père, quand Aquila dit: « Qu'est-il besoin que nous l’appelions père, puisque sur la terre nous n'avons pas le droit de donner ce nom à personne ? » Puis regardant le vieillard: « Ne prenez pas comme une injure, père, le reproche que j'ai adressé à mon frère de vous avoir appelé père; car nous avons l’ordre de ne donner ce nom à personne. » Comme Aquila parlait ainsi tous ceux qui étaient présents se mirent à rire, le vieillard et saint Pierre ayant demandé pourquoi on riait : « C'est, lui dit Clément, que tu fais ce que tu reproches aux autres, en appelant le vieillard père. » Mais Aquila disait que non : « Au reste je ne sais, dit-il, si je l’ai appelé père. » Enfin quand on eut assez discuté sur la providence, le vieillard prit la parole : « Je croirais bien qu'il existe une providence, mais (360) ma propre conscience  m’empêche d'adhérer à cette croyance. En effet j'ai connu mon horoscope et celui de ma femme, et je sais que ce qu'il pronostiquait à chacun de nous est arrivé. Écoutez le thème de ma femme et vous trouverez ce qui devait lui arriver et qui lui est arrivé en effet. Elle eut Mars avec Vénus au centre, la lune était au couchant dans le rayon de Mars et le voisinage de Saturne. Pronostic qui indique l’adultère, l’amour de ses esclaves, les voyages lointains, la mort dans l’eau; or, c'est ce qui est arrivé réellement : car elle aima son esclave, et redoutant le péril et le mépris, elle s'enfuit avec lui et périt en mer. En effet, d'après ce que mon frère  m’a rapporté, elle s'éprit d'abord de lui-même, mais comme il ne voulut point l’écouter, elle reporta son amour criminel sur un esclave ; il ne faut pourtant pas lui en faire un crime, parce que son horoscope l’a poussée à agir ainsi ; ensuite il me raconta qu'elle avait simulé un songe, les circonstances de son départ pour Athènes, avec ses enfants, enfin sa mort dans la mer. »

Les enfants voulaient se jeter à son cou et lui expliquer, ce qu'il en était, mais saint Pierre les en empêcha. «Restez tranquilles, leur dit-il, jusqu'à ce qu'il me plaise.» Puis il dit au vieillard : « Si aujourd'hui je te montrais ta femme, ayant toujours gardé la chasteté, de plus tes trois. fils, croiras-tu que la destinée n’est rien ? » «Il t’est aussi impossible; répondit le vieillard, de montrer ce que tu  m’as promis, qu'il est impossible que rien n'arrive contre les lois du Destin. » « Eh bien! lui dit saint Pierre, voici ton fils Clément, et voilà tes deux jumeaux Faustin et Fauste. » A ces (361) mots le vieillard tomba pâmé et sans mouvement. Alors ses fils se précipitèrent pour l’embrasser; tout en craignant qu'il ne pût reprendre ses esprits. Enfin revenu à lui; il écouta les détails de tout ce qui était arrivé. Tout à coup sa femme arriva en criant avec larmes : « Ou est mon époux et mon maître? » Et comme elle criait cela ainsi que l’aurait fait une insensée, le vieillard accourut et l’embrassa avec larmes en la pressant, dans ses bras. Or, ils étaient encore ensemble quand arriva, une personne annonçant qu'Apion et Ambion, deux amis intimes de Faustinien, étaient logés avec Simon le magicien. Faustinien, très joyeux de leur arrivée, alla leur faire visite ; à l’instant un courrier vient annoncer que le ministre de César était à Antioche pour rechercher tous les magiciens et les punir de mort. Alors Simon, en haine des deux enfants qui l’avaient abandonné, fit prendre les traits de son visage à celui de Faustinien en sorte que tout le monde croyait voir Simon le magicien et non pas Faustinien. Ce qu'il fit pour que ce dernier fût appréhendé à sa place par les ministres de César et fût mis à mort. Quant à Simon il quitta le pays. Faustinien étant revenu vers saint Pierre et vers ses enfants, ceux-ci furent épouvantés de voir les traits de Simon, et d'entendre la voix de leur père. Saint Pierre seul voyait le visage naturel du vieillard. Ses enfants et sa femme le fuyaient et le maudissaient, tandis qu'il leur disait : « Pourquoi maudire votre père et le fuir? » Ils lui répondirent qu'ils le fuyaient parce qu'il apparaissait avec le visage de Simon le magicien. Et en effet Simon avait confectionné une espèce d'onguent dont il avait frotté la figure (362) de Faustinien et par la vertu de soir art magique, il lui avait fait prendre ses traits. Alors Faustinien se désolait : « Quel est donc, disait-il, mon malheur ! le même jour que je suis reconnu par ma femme et mes enfants, ne pourrais-je me réjouir avec eux? » Son épouse, les cheveux épars, et' ses enfants pleuraient beaucoup.

Or, Simon le magicien, durant son séjour à Antioche, avait beaucoup décrié saint Pierre, en publiant que c'était un magicien pernicieux et un homicide : enfin il avait tant excité le peuple contre le saint apôtre que beaucoup tenaient à le trouver, afin de déchirer sa chair avec les dents. Alors saint Pierre dit à Faustinien : « Puisqu'on te prend pour Simon le magicien, vas à Antioche, et là, devant tout le peuple, disculpe-moi, et rétracte tout ce qu'a dit Simon de son propre chef, à mon sujet : après quoi j'irai à Antioche, et je ferai disparaître ce visage qui n'est pas le tien, et devant tout le peuple, je te rendrai les traits qui t'appartiennent. Il est toutefois absolument incroyable que saint Pierre eût commandé de mentir, puisque Dieu n'a pas besoin de nos mensonges. Aussi l’Itinéraire de saint Clément, où l’on trouve écrits ces détails, est-il un livre apocryphe, et on ne doit pas y ajouter confiance dans des récits pareils, quoi qu'en disent certaines gens: On peut l’excuser néanmoins, car si l’on pèse bien les paroles de saint Pierre, on voit qu'il n'a pas dit à Faustinien de s'annoncer comme étant Simon le magicien, mais de se montrer au peuple sous les traits imprimés en sa figure et de recommander saint Pierre au nom de Simon, en même temps qu'il démentirait (363) toutes les méchancetés que Simon lui-même avait répandues. Alors Faustinien dit qu'il était Simon, non pas quant à la réalité, mais quant à l’apparence. Ainsi les paroles de Faustinien rapportées plus haut : « Moi, Simon, etc. » doivent s'entendre ainsi, quand à l’apparence je parais être Simon. Ce fut Simon... c'est-à-dire, qu'on le prit pour Simon. Faustinien; père de Clément, alla donc à Antioche, et dit au peuple convoqué: « Moi, Simon, je vous annonce et vous confesse que je vous ai trompés en tout point au sujet de Pierre: non seulement ce n'est pas un séducteur ni un magicien, mais il a été envoyé pour le salut du monde. En sorte que s'il  m’arrivait encore de parler contre lui, chassez-moi comme un séducteur et un malfaisant; aujourd'hui je fais pénitence, et reconnais avoir mal parlé. Je vous avertis donc de le croire, dans la crainte que vous et tous vos concitoyens ne périssiez ensemble. » Après avoir exécuté tous les ordres de saint Pierre, en faveur duquel il avait excité la bienveillance du peuple, l’apôtre vint le trouver, et après une prière il fit disparaître à l’instant de sa figure le masque du visage de Simon. Or, le peuple d'Antioche ayant reçu saint Pierre avec bonté et avec de grands honneurs, l’éleva sur la chaire épiscopale. Quand Simon en fut instruit, il alla à Antioche, convoqua, le peuple et dit : « Je  m’étonne que vous ayant donné des avis salutaires, et vous ayant prémuni contre Pierre, non seulement vous ayez reçu ce séducteur, mais encore que vous l’ayez élevé sur le siège épiscopal. » Alors tous lui dirent avec colère : « Tu n'es pour nous qu'un monstre ; il y a trois jours tu nous disais que tu te (364) repentais, et aujourd'hui tu voudrais nous entraîner avec toi dans le précipice! » Ils se jetèrent donc sur lui et le chassèrent aussitôt avec ignominie. Voilà tout ce que raconte de soi Clément, dans sou livre, où il rapporte cette histoire.

Plus tard, saint Pierre étant venu à Rome et voyant qu'il était. menacé d'être mis à mort, ordonna Clément pour être évêque après lui. Quand donc le prince des apôtres fut mort, Clément, en homme prévoyant et craignant que plus tard chaque pape ne voulût, appuyé sur cet exemple, se choisir un successeur et posséder le sanctuaire comme un héritage, céda le siège pontifical d'abord à Lin, ensuite à Clet. Quelques-uns avancent que ni Lin, ni Clet ne furent souverains pontifes, mais seulement les coadjuteurs de l’apôtre saint Pierre; de là vient qu'ils n'ont pas l’honneur de figurer dans le catalogue des papes. Après eux fut élu Clément qui fut forcé de présider l’Eglise. Telle était la douceur de ses moeurs qu'il était aimé des Juifs et des Gentils comme de tous les chrétiens. Il avait par écrit le nom des pauvres de toutes les provinces et ceux qu'il avait purifiés dans les eaux saintes du baptême, il ne souffrait pas qu'ils fussent réduits à vivre de la mendicité publique. Après avoir donné le voile sacré à la vierge Domitille, nièce de l’empereur Domitien, et avoir converti à la foi Théodora, la femme de Sisinnius, l’ami de l’empereur, cette dernière ayant promis de vivre dans la chasteté, Sisinnius se fit conduire à l’église où il entra en cachette à là suite de sa femme, dans l’intention de savoir pour quel motif elle fréquentait ainsi l’église. —Saint Clément fit (365) alors une prière à laquelle le peuple répondit, et à l’instant Sisinnius devint aveugle et sourd. Aussitôt il dit à ses esclaves : « Prenez-moi vite et me mettez dehors. » Or, ses esclaves le faisaient tourner autour de l’église, sans en pouvoir trouver la porte. Théodora, qui les voyait ainsi égarés, commença par éviter leur rencontre dans la pensée que son mari la pourrait reconnaître. Mais enfin elle leur demanda ce que cela signifiait: «C'est, dirent-ils, que notre maître, en voulant voir et entendre ce qui lui est défendu, est devenu aveugle et sourd. » Elle se mit alors en prières pour que son mari pût sortir, et quand elle eut fini de prier, elle dit aux esclaves : « Allez maintenant et conduisez votre maître à la maison. » Quand ils furent partis, Théodora fit savoir à saint Clément ce qui était arrivé. Alors le saint, à la demande de Théodora, vint trouver Sisinnius, qui avait les yeux ouverts, sans pouvoir rien distinguer, et qui n'entendait rien, Clément pria pour lui, et Sisinnius recouvra l’ouïe et la vue; mais en voyant Clément à côté de sa femme, il devient furieux et soupçonne qu'il est le jouet de la magie; il commande à ses esclaves de mettre la main sur Clément en disant: «C'était pour avoir commerce avec ma femme qu'il  m’a rendu aveugle par ses sortilèges. » Alors il ordonna à ses sicaires de lier Clément et après l’avoir lié de le traîner. Mais ces esclaves se mirent à lier des colonnes qui étaient couchées par terre et même les pierres, pensant et Sisinnius aussi, qu'ils garrottaient et traînaient saint Clément avec ses clercs. Clément dit à Sisinnius : « Pour avoir appelé dieux ce qui n'est que des pierres, tu as mérité de (366) traîner des pierres. » Mais Sisinnius qui le pensait réellement garrotté, lui dit : « Je te ferai tuer. » Alors Clément se retira et pria Théodora de ne pas discontinuer ses prières jusqu'à ce que le Seigneur eût visité son mari. Or, pendant que Théodora était en prières, l’apôtre saint Pierre lui apparut et lui dit : « Par toi, ton mari sera sauvé, afin que s'accomplisse ce qu'a dit mon frère Paul : « Le mari infidèle sera sauvé par sa femme fidèle. » En disant ces mots, il disparut. A l’instant, Sisinnius fit venir sa femme auprès de lui et la conjura de prier pour lui et de faire venir saint Clément. Celui-ci vint, l’instruisit dans la foi et le baptisa avec trois cent treize personnes de sa maison. Par l’entremise de Sisinnius, beaucoup de nobles et d'amis de l’empereur Nerva crurent au Seigneur. Alors celui qui était chargé des récompenses sacrées distribua de l’argent à beaucoup de personnes et excita contre saint Clément une très violente sédition.

Mamertin, préfet de la ville, qui voyait avec peine une sédition semblable, se fit amener Clément. Comme il le tançait et qu'il essayait de lui faire partager ses sentiments, Clément lui dit : « Je désirerais bien te faire entendre raison. En effet, des chiens en grand nombre auraient beau aboyer après nous et nous déchirer par leurs morsures, jamais ils ne nous pourront enlever cette prérogative d'être des hommes doués de la raison, tandis qu'ils ne sont, eux, que des chiens privés de raison. Or, la sédition qui a été excitée par des insensés ne repose sur aucun prétexte certain ni vrai. » Mamertin en référa par écrit à l’empereur Trajan qui lui fit répondre que Clément devait sacrifier, (367) ou bien qu'il fallait l’envoyer en exil au delà du Pont-Euxin, en un désert proche de la ville de Chersonèse. Ce fut alors que le préfet dit en pleurant à saint Clément: « Que ton Dieu que tu honores si dignement, te soit en aide! » Ensuite il lui fournit un navire et tout ce qui lui était nécessaire. Or, un grand nombre de clercs et de laïques suivirent le saint eu exil. Arrivé dans l’île, il y trouva plus de deux mille chrétiens condamnés depuis longtemps à scier le marbre. Quand ils virent saint Clément, ils poussèrent des gémissements mêlés de larmes. Il leur dit pour les consoler : « Ce n'est pas à mes mérites que je dois d'avoir été envoyé vers vous par le Seigneur, pour partager, votre couronne. » Et quand ils lui eurent raconté qu'ils étaient obligés de porter de l’eau sur leurs épaules d'un endroit éloigné de six milles, il leur dit « Prions tous Notre-Seigneur J.-C. d'ouvrir en ce lieu une fontaine et des veines d'eau. Que celui qui a ordonné de frapper, dans le désert de Sinaï, le rocher d'où ont jailli des torrents, daigne nous accorder une source abondante, afin que nous puissions le remercier de ses bienfaits. » Il fit donc une prière et ayant regardé çà et là autour de lui, il vit un agneau debout qui levait le pied droit comme pour indiquer un lieu à l’évêque. Il comprit alors que c'était Notre-Seigneur J.-C. qui se faisait voir seulement à lui; il alla à cet endroit et dit : « Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, frappez ici. » Mais comme aucun ne touchait à l’endroit où se tenait l’agneau, il prit lui-même un petit sarcloir et frappa un léger coup sous le pied de l’agneau, et à l’instant jaillit une très grande (368) fontaine qui devint un fleuve *. Alors tous furent remplis de joie et saint Clément dit : « Un fleuve impétueux réjouit la cité de Dieu (Ps. XLV). » A cette nouvelle, une multitude de personnes accourut, et plus de cinq cents reçurent le baptême des mains du saint : les temples des idoles furent détruits dans toute la province et dans l’espace d'un an, quatre-vingt-cinq églises furent construites. Trois ans après, l’empereur Trajan (qui commença à régner l’an du Seigneur 106), informé de cela, y envoya un général. Celui-ci, voyant que tous souffraient la mort de plein gré, laissa là la multitude et fit précipiter dans la mer saint Clément seul, après l’avoir lié par le cou à une ancre. « Maintenant, dit-il, ils ne pourront pas l’adorer comme un Dieu. » Toute la multitude se tenait sur le rivage; alors Corneille et Phébus, disciples du saint, commandèrent à tous les chrétiens de se mettre en prières, afin que le Seigneur leur montrât le corps de son martyr. Aussitôt la mer se retira de trois milles ; tous alors entrèrent à pied sec et trouvèrent un édifice de marbre ayant la forme d'un temple que Dieu avait disposé, où était, sous une voûte, le corps de saint Clément et l’ancre à côté de lui. Mais il fut révélé à ses disciples de ne point en retirer son corps, et chaque année, au temps de son martyre, pendant sept jours, la mer se retire à une distance de trois milles et offre un chemin à sec pour ceux qui se rendent au tombeau.

Or, dans une de ces solennités, une femme y vint avec son tout petit enfant, et, la fête étant terminée,

 

* Bréviaire.

 

369

 

l’enfant s'endormit, quand le bruit des eaux qui revenaient se fit entendre tout à coup. La mère, effrayée, oublie son enfant et s'enfuit sur le rivage avec la foule qui se trouvait là, Mais aussitôt, le souvenir de son fils se présente à son esprit ; elle pleure en poussant des gémissements étranges ; ses cris lamentables montaient jusqu'au ciel ; elle courait sur le rivage, en jetant des clameurs et des plaintes, pour voir si, par hasard, les flots ne rejetaient pas le corps de son fils ; mais, ayant perdu tout espoir, elle revint chez elle, oit elle passa toute cette année dans le deuil et les larmes. L'aimée suivante, quand la mer se fut retirée, elle devança tous les pèlerins pour accourir en toute gâte au tombeau de saint Clément, dans l’espérance d'y trouver quelque reste de son fils. S'étant donc mise en prière devant le tombeau, en se levant, elle vit son enfant, qui dormait à l’endroit oit elle J'avait laissé. Dans la pensée qu'il était mort, elle s'approcha de plus près, comme pour ramasser un cadavre; mais s'étant aperçue qu'il n'était qu'endormi, elle l’éveilla avec précipitation, et aux veux de tout le peuple, elle le leva sain et sauf dans ses bras, puis elle lui demanda où il avait été pendant cette année-là. L'enfant répondit qu'il ne savait pas si une année entière s'était écoulée, mais qu'il pensait avoir dormi très tranquillement l’espace d'une nuit. — Saint Ambroise dit dans sa préface : « La rage du persécuteur, excitée par le diable, à accabler saint Clément dans les supplices, ne lui infligea pas les tortures, mais lui procura le triomphe. Le martyr est jeté dans les flots, pour être noyé, et c'est de là qu'il reçoit sa récompense, (370) comme saint Pierre; son maître, gagne le ciel. Tous les deux, au milieu de la mer, reçoivent les encouragements de J.-C., qui appelle saint Clément du fond des eaux, pour le faire jouir des honneurs du martyre, et qui soutient saint Pierre sur les flots, pour qu'il ne fût pas englouti, afin de l’élever jusqu'au royaume des cieux. » — Léon, évêque d'Ostie *, rapporte que du temps de Michel, empereur de la nouvelle Rome, un prêtre qui, à cause de la sagacité de son esprit dès son jeune âge, avait reçu le nom de Philosophe, vint à Chersonèse, et s'informa auprès des habitants de ce pays de ce qui est rapporté dans l’histoire de saint Clément. Ils lui répondirent qu'ils l’ignoraient, car ils étaient plutôt étrangers qu'indigènes. En effet, depuis longtemps le miracle de la mer qui se retirait n'avait plus lieu, par la faute des habitants; et, à l’époque où il s'opérait, les barbares vinrent faire une incursion ; alors, le temple fut détruit, et la châsse fut engloutie avec le corps dans les flots de la mer, en punition des crimes des habitants. Philosophe, étonné de cela, vint en une petite ville nommée Géorgie, avec l’évêque, le clergé et le peuple, et se dirigea vers une île où l’on pensait que se trouvait le corps du martyr, afin d'en rechercher les précieux restes. On se mit à fouiller, en chantant des hymnes et des prières, et Dieu permit qu'on trouvât le corps de saint Clément et l’ancre avec laquelle il avait été jeté à la mer ; on les porta à Chersonèse. Dans la suite, Philosophe vint à Rome avec le corps

 

* Baronius rapporte ce passage en entier dans ses Annales, an. 867.

 

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de saint Clément, qui opéra une quantité de miracles, et qui fut placé avec honneur dans l’église portant aujourd'hui le nom du saint. On lit, cependant, dans une autre chronique, que la mer, ayant laissé le lieu à sec, le corps de saint Clément fut porté à Rome par le bienheureux Cyrille, évêque des Moraves.

 

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