PSAUME XLIII
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EXPLICATION DU PSAUME XLIII. A L'AUTEUR DE LA VICTOIRE, POUR LES FILS DE CORÉ. — «NOTRE DIEU , NOUS AVONS ENTENDU DE NOS OREILLES , NOS PÈRES NOUS ONT FAIT CONNAITRE L'OEUVRE QUE TU AS OPÉRÉE EN LEURS  JOURS, DANS DES JOURS ANCIENS. » — UN AUTRE INTERPRÈTE TRADUIT : « DANS LES JOURS D'AUPARAVANT » ; ET UN AUTRE : « DANS LES JOURS DU COMMENCEMENT. »

 

ANALYSE.

 

1. Ce psaume fut composé par David, mais il s'applique aux Macchabées.

2. C'est un devoir pour les pères de raconter à leurs enfants les pieuses et nobles traditions.

3. De l'extrême pauvreté des riches.

4. Si Dieu ordonna aux Hébreux qui allaient tourner autour de Jéricho, de prendre leurs armes, c'était pour soutenir leur foi.

5. et 6. Explication des versets 4-11. — Tout le long du jour signifie ici toute la vie.

7. et 8. Versets 12-24. — Ce que c'est que l'ombre de la mort.

9. Verset 25. —La beauté du corps n'est que de la boue. —N'admirez la beauté que pour glorifier le Créateur.

 

1. C'est le Prophète qui prononce ce psaume; mais il le prononce non pas en son propre nom , mais au nom des Macchabées, et il y raconte et y proclame d'avance ce qui doit avoir lieu de leur temps. Tels sont les prophètes: ils parcourent tous les temps, passés, présents et à venir. Mais quels sont ces Macchabées, quelles ont été leurs souffrances , leurs belles actions ? c'est ce qu'il est nécessaire de dire en premier lieu , afin de rendre plus claires les paroles de notre texte. Ce sont des hommes qui , lors de l'invasion d'Antiochus, surnommé Epiphane, alors que ce roi avait tout dévasté, et contraint beaucoup de Juifs à fouler aux pieds la religion de leurs pères, demeurèrent invulnérables à ces tentations (I Macc. I, 11 et suiv.), et quand (23) la guerre soufflait avec rage et que la résistance n'eût servi de rien, ils se cachaient. Aussi bien, les apôtres faisaient la même chose, ainsi donc, on ne voyait pas toujours les Macchabées, mêlés aux événements, s'élancer au milieu des dangers; mais parfois aussi, cédant à la nécessité, ils fuyaient et ne se montraient point. Puis, lorsqu'ils avaient repris haleine un instant, semblables à de jeunes lions pleins de courage, ils s'élançaient de leurs cavernes, ils se précipitaient hors de leurs retraites, résolus à sauver non plus seulement eux-mêmes, mais encore les autres, en aussi grand nombre qu'ils en seraient capables; alors, parcourant la ville entière et toute la campagne , ils recueillaient tous ceux qu'ils trouvaient sains et saufs ; et même parmi les malades et ceux dont la corruption s'était emparée, ils en ramenaient plusieurs, qu'ils persuadaient d'accourir se ranger de nouveau souslaloi observée par leurs pères. Ils leur disaient que Dieu aimait les hommes, et que jamais il ne refusait le salut au repentir. Par ce langage, les Macchabées recrutaient des armées de guerriers généreux; car ces guerriers ne combattaient pas seulement pour leurs femmes, leurs enfants, et leurs serviteurs, pour conjurer la destruction et l'asservissement de la patrie, mais ils combattaient pour la loi et les principes suivant lesquels vivaient leurs pères, et Dieu même était leur chef. Lors donc qu'ils en étaient venus aux mains , et qu'ils exposaient leur vie , ils défaisaient leurs ennemis, ayant confiance non dans leurs armes, mais dans le motif de leur lutte qui leur tenait lieu de toutes les armes possibles. Eu marchant au combat, ils ne poussaient point de clameurs, ne chantaient pas d'hymnes guerriers, comme font certaines troupes, ils ne faisaient pas venir avec eux des joueurs de flûte , comme cela arrive dans d'autres armées ; mais ils invoquaient Dieu , le priant de descendre parmi eux, d'être leur auxiliaire, de leur tendre la main, lui pour qui ils combattaient, pour la gloire de qui ils soutenaient cette lutte. Voyons (lotie ce qu'elle dit, cette armée de Dieu, fortifiée du secours spirituel, lorsqu'elle va fondre sur l'ennemi. « O Dieu, nous avons entendu de nos oreilles. » C'est qu'il y en avait dans leurs rangs qui , à la vue de la multitude et du déploiement de forces d'Antiochus , de ces troupes victorieuses qui enlevaient tout au premier assaut, et songeant d'autre part à leur propre faiblesse et à. leur petit nombre , perdaient une partie de leur fermeté, de leur énergie; alors, pour réveiller les courages, et faire voir que Dieu est le chef de qui tout dépend, que même sans armées, nous pouvons avoir le dessus, s'il combat pour nous, le Prophète compose pour ses soldats, sous forme de prière, un avertissement, un conseil, et c'est en s'adressant à Dieu qu'il augmente leur ardeur. Cela entre pour beaucoup dans son exhortation. Sa parole n'eût pas eu , interpellant les siens , la même force qu'adressée à Dieu même. Aussi continue-t-il en ces termes : « Ce n'est pas par leur glaive qu'ils ont hérité  de cette terre, et ce n'est pas leur droite qui les a sauvés (4). » Ces paroles étaient bien celles d'un homme qui relève des courages faiblissant en face des maux, et cherchant la victoire dans un ordre de choses tout humain. Toute cette prière est donc un encouragement aux soldats, puisqu'elle leur commande de s'en remettre de tout à Dieu , et de rattacher leur victoire à l'espérance des secours d'en-haut. Et pourquoi n'a-t-il pas dit simplement : « Nous avons entendu, » mais a-t-il ajouté : « de nos oreilles? » Est-ce que l'on entend par quelqu'autre organe du corps ? N'est-ce point là une surabondance de mots? A Dieu ne plaise ! mais c'est une habitude générale parmi les hommes, quand ils racontent des choses dont ils ont la certitude, quand le récit a pour sujet des faits graves et très-importants , et s'adresse à des gens qui n'en sont pas encore très-convaincus, d'ajouter toujours cette expression, en disant qu'ils l'ont entendu de leurs oreilles. Nous avons cette habitude, non-seulement en ce qui concerne l’ouïe, mais encore à propos de nos autres facultés, prenant ainsi à témoin nos différents sens eux-mêmes. Ainsi, c'est le propre de ceux qui veulent convaincre leur auditeur , d'ajouter cette expression : de mes oreilles. Et il en est de même à l'égard de nos yeux et de nos mains, comme quand nous disons: Nous avons touché de nos mains. Et les apôtres disaient: « Ce que  nos yeux ont vu; ce que nos mains ont touché. » (I Jean, I, 1.) Et voyez, dès à présent, ales l’introduction même, la vertu de ces hommes : après tant et de si grands maux soufferts pour Dieu, bannis de leur patrie, privés de leur liberté, tombés au milieu des dangers, plusieurs même d'entre eux, réduits à l'état de fugitifs, s'en allant chercher les montagnes et les déserts, ils ne tiennent pourtant aucun (24) langage comme celui-ci: Nous avons, pour toi, souffert telle et telle chose; viens à notre secours; mais comme si ces titres leur manquaient, comme s'ils n'avaient pas dans leurs propres mérites un motif de confiance, ils invoquent les faveurs dont Dieu prit autrefois l'initiative à l'égard de leurs ancêtres. Que des gens que rien n'autorise à cette confiance, en agissent de la sorte, cela n'a rien d'étonnant, la nécessité les y entraîne; mais que ces hommes, qui pouvaient parler avec assurance à cause de leurs propres mérites, ne considèrent pas cela comme un titre à leur propre conservation, et ne se fondent que sur la bonté de Dieu , dont leurs pères ont été favorisés avant eux, ceci est la preuve de leur grande humilité; et par là ils se préparent encore un grand sujet de hardiesse. Car l'invocation seule de Dieu suffit à mettre fin à des guerres innombrables.

2. « Nos pères nous ont raconté. —» Ecoutez, vous tous qui négligez vos enfants, qui les laissez chanter des chants diaboliques, et qui négligez les récits divins. Tels n'étaient pas les hommes dont nous parlons, ils passaient toute leur vie à raconter les oeuvres de Dieu; et ils y gagnaient doublement. Car ceux qui avaient reçu de lui des bienfaits, devenaient meilleurs par le souvenir qu'ils en conservaient; et leur postérité, puisant dans ces récits une grande ressource pour connaître Dieu, acquéraient ainsi du zèle pour la vertu. Leurs livres, c'était la bouche des auteurs de leurs jours, et toutes leurs études comme tous leurs entretiens consistaient dans ces récits, dont rien ne surpassait le charme et l'utilité. En effet, si des narrations de faits ordinaires, ou des fables et des fictions ont en général le don d'intéresser les auditeurs, à bien plus forte raison, en retraçant les événements qui prouvaient combien est grande la bienfaisance de Dieu à notre égard, sa puissance, sa sagesse, et sa sollicitude pour nous, devait-on transporter de joie l'auditeur, et augmenter en lui la vertu. Car c'étaient les témoins et les spectateurs mêmes de ces événements qui les transmettaient aux oreilles d'autrui, et l'audition était aussi efficace que la vue à en établir la croyance. Ceux qui n'avaient été ni témoins, ni spectateurs, ne croyaient pas moins que ceux qui l'avaient été. Et cela même n'était pas médiocrement propre à fortifier la foi. Mais voyons à présent ce qu'on leur avait raconté, et si l'on y faisait mention d'un état de choses analogue au leur. En effet, lorsque l'on a quelque chose à demander, il faut, pour obtenir l'objet de sa prière, la fonder sur une faveur pareille accordée précédemment à d'autres. Je m'explique : un serviteur, par exemple, nous demande un présent; s'il nous fait voir qu'un autre en a déjà obtenu un semblable, c'est le plus grand droit qu'il puisse faire valoir à en obtenir autant, à moins que son exemple ne soit infirmé par certaines différences. Or, il y a différence de personnes et différence de choses. Si, en effet, celui qui a obtenu est revêtu du même caractère que celui qui demande, et que la chose demandée soit de même nature que la chose obtenue, l'exemple a de la valeur; si celui qui a obtenu en était digne, et que celui qui demande né le soit pas autant, une plus grande supplication sera nécessaire. Ceci a besoin d'être éclairci par des passages de l'Ecriture : la Chananéenne, quand elle eut entendu dire cette parole : « Il n'est pas bien de prendre le pain des enfants pour le donner aux chiens, » répondit : « Oui, Seigneur; mais les chiens mangent les miettes de la table de leurs maîtres. » (Matth. XV, 26, 27.) Et saint Paul écrivait aussi : « Si d'autres ont part à ce droit sur vous, à bien plus forte raison nous autres (I Cor. IX, 12); » et il fortifiait ici son droit par la différence des personnes. Ecrivant à Philémon, il dit encore : « Car les entrailles des saints se sont reposées grâce à toi; mon frère ; c'est pourquoi, quelque enhardi que je sois en Jésus-Christ à te commander ce qui convient, j'aime mieux t'en conjurer par la charité. » (Philém. 7, 8.) Ici la comparaison repose sur des droits égaux. Et en effet, quand une première personne a obtenu quelque chose, c'est comme une introduction qu'elle ménage à une seconde personne, si celle-ci est revêtue du même caractère que la première, et qu'elle demande la même chose. Mais ce n'est pas seulement ce qu'on a donné aux autres qui donne de la force à notre prière, c'est souvent aussi ce que nous avons déjà reçu nous-mêmes. C'est ce dont saint Paul se prévalait lorsqu'il écrivait aux Philippiens : « Car déjà, à Thessalonique, vous m'avez envoyé une première fois, puis une seconde, ce qui m'était nécessaire. » (Philipp. IV, 16.) Aussi beaucoup de ces personnes qui donnent à beaucoup de monde recommandent-elles de n'en rien dire (25) à d'autres, de peur que la faveur faite à l'un n'attire à l'auteur du bienfait un grand nombre de demandes, car lorsqu'on a donné aux uns; on ne peut plus recourir à aucune raison pour ne point donner aux autres. Or, il est naturel que les hommes fassent de telles recommandations, parce, qu'à force de donner ils deviennent pauvres; mais Dieu, au contraire, proclame et publie ce qu'il donne aux uns pour fournir aux autres un motif de lui demander à leur tour. Ce qu'il donne ne fait que montrer sa richesse plus grande encore. Aussi saint Paul dit-il : « Celui qui est riche pour tous, et en faveur de tous ceux qui l'invoquent. » (Rom. X, 12.) Ne voyez-vous pas là un nouveau caractère de la richesse? Imitez, vous aussi, cette libéralité. Car lorsque vous emploierez de la sorte les richesses que vous avez en réserve, vous les rendrez encore plus grandes; et si vous les enfouissez, vous ne faites que les diminuer. Et qu'y a-t-il d'étonnant qu'il en soit ainsi dans l'ordre spirituel, lorsque cela arrive même dans l'ordre matériel? En effet, si un homme, voulant économiser le blé qu'il a chez lui, ne le consomme point, et ne le jette pas dans les champs, il le livre en pâture aux vers; si au contraire il le sème, il augmente sa récolte.

3. Ecoutez, vous tous qui êtes de mauvaise volonté pour l'aumône. Ecoutez, vous qui diminuez vos richesses en les tenant sous clef. Ecoutez, vous dont l'état ne vaut pas mieux que celui d'un homme qui rêve qu'il est riche. La vie présente ne vaut pas mieux qu'un songe; comme certaines gens qui, pendant leur sommeil, se figurent avoir une fortune, quand même ils se croiraient alors possesseurs des trésors des rois, sont néanmoins les plus pauvres du monde quand arrive le jour; ainsi, celui qui dans cette vie n'aura pu rien amasser pour l'autre, sera un jour le plus pauvre de tous, quand même ici-bas il aurait possédé les richesses de tous; il n'aura été riche qu'en songe. Si donc vous voulez me montrer l'homme opulent, montrez-le-moi quand sera venu le jour où nous partirons pour notre patrie de l'autre monde; car pour l'instant je n'admettrai point de distinction entre le riche et le pauvre. Il y a là non des choses véritables, mais plutôt des mots brillants et sonores. De même que le vulgaire appelle polubépontes les aveugles, et que le fait ne confirme pas l'expression, puisqu'elle désigne précisément ceux qui n'y voient point, de même je prétends que le nom de riches est prodigué ici-bas à ceux qui ne possèdent rien là-haut. Quelqu'un est-il riche en ce monde, c'est à cela surtout que je vois qu'il est pauvre; s'il n'était pas si pauvre, il ne serait pas si riche. Tant qu'un homme, dont la vue est abîmée, n'est pas complètement aveugle, on ne l'appelle pas polublepon ; eh bien! il faut faire le même raisonnement relativement aux riches. Laissons donc de côté la tromperie des mots, et attachons-nous à la vérité des faits. Car les faits ne dépendent pas de leurs appellations, mais c'est la nature des faits qui leur assigne des dénominations conformes à leur essence propre. Un tel est appelé riche, mais il ne l'est pas. Et comment ne l'est-il pas, puisqu'il regorge d'argent, d'or, de pierres précieuses, de vêtements tissus d'or, et de tout le reste? Parce que ce n'est pas l'or, ni les vêtements, ni la fortune, mais l'aumône qui rend l'homme riche. Ces prétendues richesses ne sont qu'un peu d'herbe, de bois et de paille. En effet, quel est le vêtement, dites-moi, qui pourra revêtir en ce jour-là l'homme comparaissant dépouillé de tout devant le terrible tribunal? Aussi saint Paul disait-il avec crainte : « Si toutefois nous nous sommes trouvés vêtus, et non point nus. » (II Cor. V, 3.) Quelles richesses pourront alors le sauver du danger? quels serviteurs seront là pour assister leur maître flagellé? quelles habitations? quelles pierres précieuses? quels bains pourront enlever les souillures de ses péchés? Jusques à quand vous trompez-vous vous-mêmes? jusques à quand ne discernez-vous pas la vérité des choses, et êtes-vous en admiration devant des songes, lorsque le jugement est tout près de vous, à votre porte? Mais revenons à notre sujet: « Nos pères nous ont fait connaître l'œuvre que nous avons opérée en leurs jours, dans des jours anciens. » Cette parole peut être prise dans le sens anagogique. Car s'ils ont entendu les récits de leurs pères, à nous la grâce de Dieu a donné d'apprendre par la visitation de l'Esprit-Saint ce qui est arrivé à eux-mêmes. Et comment prendre ces paroles anagogiquement? En les appliquant aux bienfaits de la grâce nouvelle qui nous a introduits dans le ciel, qui a daigné nous admettre au royaume éternel, qui a déterminé Dieu à se faire homme, et qui a détruit le mur de séparation qui, était entre lui et nous. Mais revenons maintenant au sens historique. « L'œuvre que nous avons (26) opérée en leurs jours, dans des jours anciens. » Le Prophète fait mention d'un récit ancien, il met sous nos yeux des bienfaits d'une époque reculée. Et pourquoi ne rappelle-t-il pas quelque événement récent, de fraîche date? Parce que, quand nous parlons à des hommes, il est tout naturel que nous leur racontions du nouveau, et que cela les attache, leur mémoire s'affaiblissant vite; mais pour Dieu, tout est également connu, faits anciens et nouveaux. « Voici, » dit le Psalmiste, « vous avez connu  toutes choses, les plus lointaines dans l'avenir et les anciennes. » (Ps. CXXXVIII, 5.) Il n'importe donc pas qu'on lui parle d'événements antiques ou récents, pourvu qu'ils soient appropriés à notre sujet. Eh bien ! de quel événement ancien le Prophète veut-il lui parler? Écoutons : « Votre main a exterminé les nations, et eux, vous les avez plantés; vous avez affligé les peuples et vous les avez chassés. » Reconnaissez-vous de quelle guerre il parle, de quelle victoire, de quels trophées, ou bien mes paroles manquent-elles encore pour vous de clarté? Je pense que déjà beaucoup d'entre vous en ont saisi le sens; néanmoins pour ceux qui l'ignorent encore, je dois en ajouter l'explication moi-même. De quels triomphes fait-il donc mention? de quels prodiges ? De ceux qui eurent lieu en Egypte, de ceux qui eurent lieu dans le désert, de ceux qui eurent lieu dans la terre de promission ; ou disons mieux de ceux qui eurent lieu en vertu de la promesse. Car ce ne furent point ceux qui étaient sortis d'Égypte qui parvinrent en Palestine, ils étaient tous morts dans le désert. (Nombres, XIV, 23; Héb. III, 17.) Lors donc que leurs fils et leurs petits-fils, nourris dans le désert, entrèrent en Palestine, alors, dit l'Écriture, ils n'eurent pas besoin d'armes; mais par leurs clameurs . seules ils s'emparèrent des villes; lorsqu'ils eurent passé le Jourdain; la première ville qu'ils rencontrèrent fut Jéricho-. or, ils la détruisirent comme des gens en fête plutôt que comme des guerriers. (Josué, VI.) Car ils s'avancèrent ornés de leurs armes, comme on l'est, non pas dans les combats, mais dans une fête et une réjouissance publique; ils s'en étaient revêtus comme d'une parure plutôt que comme d'un moyen de sûreté; ils avaient mis aussi leurs robes sacrées, et dans cet appareil, avec les lévites marchant à la tête de l'armée, ils firent le tour des murs. C'était un  spectacle admirable et surprenant, que tous ces milliers de soldats marchant en ordre et eri mesure, dans un grand calme et en grande pompe, et, comme s'il n'y eût eu là personne, menant à bien toute l'entreprise avec le seul concert de leurs trompettes. Honte à ceux qui font du tumulte dans l'ég lise ! Si, en effet, au retentissement des trompettes, un si bel ordre put régner alors, quelle sera l'excuse de ceux qui, là où la voix de Dieu se fait entendre, empêchent, par le bruit qu'ils font, qu'on puisse entendre distinctement ses paroles? Mais, direz-vous, pourquoi n'a-t-il pas mentionné ceux qui étaient sortis d'Égypte? Parce que tous étaient morts, tous avaient été punis. Et pourquoi tous périrent-ils? Parce qu'ils avaient grandement péché. Et dès lors Dieu concertait un autre plan, c'était que ceux qui devaient entrer en possession de la Palestine n'auraient point été spectateurs des vices de l'Égypte, de la superstition, de tous les genres d'impiété, et qu'ils n'auraient personne à l'école de qui ils pussent apprendre une telle perversité. Car leurs pères étaient si infatués, si esclaves des coutumes égyptiennes, que même, après tant de miracles et au milieu du désert, ils n'avaient pas entièrement effacé en eux les restes de leurs erreurs. Supposez qu'après avoir été à l'école des Egyptiens, ils fussent allés à celle, encore pire, des Chananéens, et jugez à quel degré d'impiété ils seraient descendus. C'est pourquoi Dieu retint dans le désert ceux qui y étaient nés jusqu'à ce que leurs enfants fussent parvenus à l'âge d'hommes.

4. Et je ne parle pas ici d'après moi-même, niais je puis vous montrer dans l'Écriture les preuves de ce que je dis. En effet, Dieu reproche aux Hébreux, par la bouche d'Ezéchiel, que les ayant conduits dans le désert et leur ayant beaucoup parlé, il n'en était pas écouté. Mais pourquoi leur ordonna-t-il de prendre leurs armes en marchant contre Jéricho? Car la chose eût été plus étonnante s'ils y fussent allés sans armes. Eh bien ! s'il leur ordonne ainsi de faire une action purement humaine et de s'adjoindre un secours matériel , c'est principalement pour se mettre au niveau de leur faiblesse. Car que pouvait cet appareil d'armes pour détruire des murailles ? Que pouvait aussi le son des trompettes? S'ils eussent eu des hommes à combattre, on aurait pu fonder quelque espoir sur des armes, mais si les murailles devaient tomber, à quoi leur (27) servait d'être revêtus de leurs armes? Et du temps de Gédéon, les guerriers qui furent pris étaient égaux à ceux qui ne le furent pas, car ils étaient tous en évidence (1). (Juges, VII.) Pourquoi donc tout cela arrive-t-il ainsi ? Pour que ceux qui reçoivent ces ordres soient amenés à croire. En effet, notre âme vivant avec notre corps, et ne voyant jamais rien d'immatériel, est en admiration devant les objets sensibles, et elle a besoin d'être conduite par les choses visibles aux choses intelligibles. C'est pour cela que les prophètes, en pariant de Dieu, ont été obligés d'emprunter des termes désignant les diverses parties du corps humain, non pas qu'ils voulussent assimiler à nos organes cette nature incorruptible, mais c'était pour enseigner, au moyen de choses humaines, des dogmes surhumains, à cette âme qui vit associée à, une nature matérielle. Ainsi, comme l'action même de Dieu est quelque chose d'intelligible, pour que les hommes d'alors n'y fussent pas incrédules, Dieu y met quelque chose de sensible. S'il eût dit : En sept jours la ville sera détruite sans que vous bougiez, sans que vous fassiez rien, peut-être plusieurs n'y auraient pas cru. Au lieu de cela, il leur donne les ordres que nous avons vus, comme pour servir de soutien à leur pensée humaine. Et afin que vous ne supposiez pas que ceci est une pure conjecture, je veux vous raconter une antique histoire qui donnera du crédit à mes paroles. Il y avait un certain syrien qui s'appelait Naaman. Il avait été atteint de la lèpre et était honteux de son mal; comme il courait aussi un grand danger, il vient en Palestine (car il faut que j'abrége) pour obtenir du prophète la délivrance de son mal. Il arrive donc, et se tenant à la porte de l'homme de Dieu, il appelait celui qui devait le guérir. Le prophète entendit, mais il ne sortit pas, il envoya des gens à Naaman pour lui ordonner de se plonger dans le Jourdain. Comme l'ordonnance était toute simple, très-facile à saisir, et qu'elle n'exigeait pas une intelligence bien profonde, Naaman n'y crut point. Au lieu de cela, que dit-il? « Je me disais : il sortira de chez lui, il mettra sa main sur moi, il invoquera son Dieu et il guérira la lèpre. » (IV Rois, V, 11.) Vous voyez cet esprit, comme il avait besoin d'une figure sensible. Ne point croire qu'il suffisait de l'ordonnance du médecin, mais qu'il fallait

 

1 Cet endroit est très-obscur, et l'éditeur bénédictin avoue ne pas le comprendre.

 

encore l'attouchement de la main, cela tenait à l'état de maladie de celui qui se faisait soigner. Eh bien! ceci nous donne la clef de bien d'autres choses. C'est pour cela que Jésus ne guérit pas toujours par la parole, mais aussi avec la main. En effet, il mit son doigt sur la bouche et sur la langue du muet ; d'autres fois, c'est par la parole seule, d'autres fois par sa volonté qu'il fait tout, lorsqu'il s'agit de guérir ceux qui viennent à lui. (Marc, VII, 33.)

Et pourquoi cette conduite? C'est par égard pour la faiblesse de ceux qui viennent le trouver. La preuve en est qu'il donnait des éloges à ceux qui n'avaient pas besoin de ces sortes de signes. « En vérité je vous le dis, que même en Israël je n'ai pas trouvé une aussi grande  foi (Matth. VIII, 10); » parole qu'il prononce, parce que le centenier ne l'avait pas fait venir chez lui, mais avait dit que son ordre suffisait. Aussi,. à l'égard du roi Ezéchias, il n'y arien de tel, mais seulement une prédiction, à laquelle n'était ajouté aucun signe humain, et pour cette raison aussi, sous le monarque qui s'enflamma de jalousie à propos de son épouse, l'ordre donné avait quelque chose de plus matériel. Et si vous voulez prendre ceci dans le sens ananogique, « Car toutes choses, » dit l'Apôtre, « leur arrivaient par figure; et elles ont été écrites pour l'instruction de nous « autres, qui sommes venus à la fin des siècles (I Cor. X,11) ; » songez aux docteurs les plus excellents de l'Eg lise , qui en guise de trompette se servent de la parole pour renverser les murailles de nos adversaires, songez aux peuples qui sont revêtus de toutes les « armes » de Jésus. Ce nombre de sept jours abolit d'avance pour nous le sabbat. Car ces sortes de commandements de la loi n'ont pas été donnés d'une manière essentielle. Aussi l'Ecriture dit-elle au sujet des sacrifices: « Qui est-ce qui a exigé ces choses de vos mains? » (Isaïe, I, 12.) Et autre part : « Est-ce que les prières et les viandes sacrées effacent les péchés ? » (Jér. XI, 15.) Et encore : « Est-ce que « vous m'avez offert des victimes et des sacra« faces dans le désert pendant quarante ans? » (Amos, V, 25.) Et ceci : « Pourquoi m'apportes« tu de l'encens de Saba, et du cinnamome d'un pays lointain ? » (Jér. VI, 20.) Et dans un autre endroit : « Vous n'avez pas voulu de sacrifice ni d'offrande. » (Ps. XXXIX, 7.) Et encore : « Dieu veut-il d'autres holocaustes et d'autres sacrifices, que notre obéissance (28)  envers lui? » (I Rois, XV, 22.) Et ailleurs: « Si vous aviez voulu un sacrifice, je vous en aurais offert. » (Ps. L, 18.) Puis encore : « L'obéissance vaut mieux que le sacrifice. » (I Rois, XV, 22.) Elle dit aussi, rejetant les fêtes : « Je hais, je repousse vos fêtes. Eloigne de moi le son de tes chants, et je n'entendrai pas les cantiques de tes harpes. » (Amos, V, 21, 23.) Puis ailleurs : « Je ne puis souffrir vos jours de fête, et mon âme hait votre jeûne et votre repos. » (Isaïe, I, 13, 14.) Et plus loin : « Ce n'est pas là le jeûne que j'ai choisi. » (Isaïe, LVIII, 5.) Ezéchiel aussi disait : « Je vous donnerai des préceptes qui ne seront pas bons, et dans lesquels vous ne trouverez pas la vie. » (Ezéch. XX, 25.) Ainsi le sabbat même est ici aboli. Mais pourquoi l'Écriture dit-elle « Qui est-ce qui a exigé ces choses de vos mains? » Je vous laisse cette solution à. trouver : or vous serez capables de trouver les choses de ce genre, si vous offrez l'exemple d'une vie pure.

5. Si en effet Dieu appela le centurion Corneille à la connaissance de ses mystères à cause: d'une vie vertueuse (Act. X, 4), s'il les fit connaître aussi à l'eunuque , parce qu'il lisait assidûment (Act. VIII, 27 et suiv.) , à bien plus forte raison augmentera-t-il la clarté de votre science, à vous qui jouissez déjà de la foi, et qui avez offert l'exemple d'une conduite régulière. Car de même qu'une vie impure empêche la connaissance de ces mystères (comme le dit saint Paul : « Je n'ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, parce qu'il y a parmi vous des dissensions et des jalousies (I Cor. III, 1, 3) ; » et Isaïe : « Ils désireront connaître mes voies, comme un peuple a qui aurait pratiqué la justice (Is., LVIII, 2) ; » de même une vie pure nous conduit à cette connaissance, et aussi le zèle que nous avons pour la chercher. En effet l'Écriture nous dit « Cherchez, et vous trouverez. » (Luc, XI, 9.) C'est ce que nous montre encore la parabole de cet homme qui demande des pains à son ami déjà endormi. (Ibid. 5, 8.) C'est encore pour cette raison que Salomon, ayant demandé les dons spirituels, reçut en outre ce qu'il n'avait pas demandé. (III Rois, III, 11.) Ainsi, quand vous aurez pour vous et la persévérance, et la demande spirituelle, et une vie pure, songez quelle facilité vous aurez pour obtenir, puisque la persévérance toute seule y a réussi. Car l'Écriture ajoute : « Je vous le dis, quand même il ne lui donnerait pas eu égard à leur amitié, il lui donnera du moins à cause de son opiniâtreté. » (Luc, XI, 8.) Mais revenons à notre texte.

« L'oeuvre que vous avez opérée en leurs jours, dans des jours anciens. Votre main a exterminé les nations, et eux, vous les avez plantés. » Voyez avec quelle propriété le prophète emploie cette expression. Vous n'avez pas, veut-il dire, arrêté les événements d'alors à la victoire des uns et à la défaite des autres; non, tout a marché plus avant : et pourtant, dans le principe, les conditions de la lutte n'étaient pas égales. Les uns voulaient rester maîtres chez eux, les autres étaient des nonveaux-venus; néanmoins il se fit un tel changement, que les premiers furent radicalement extirpés du sol, et que les derniers y devinrent citoyens et habitants. C'est pourquoi le Prophète dit en parlant de ceux-là : « Votre main a exterminé les nations » ; et en parlant des Juifs: « Elle les a plantés. » Par le mot « main » il désigne la puissance de Dieu. Or si Dieu a voulu que ceux qui arrivaient du dehors, qui n'avaient ni ville ni maison, ni aucun endroit pour se mettre en sûreté ou s'arrêter, devinssent en si peu de temps plus puissants que les habitants mêmes du pays, à bien plus forte raison ne nous abandonnera-t-il pas, l'Écriture nous le dit, nous qui avons été chassés de l'héritage de nos pères. Et que veut dire ce mot : « Vous les avez plantés? » Cela signifie : vous les avez fixés. En effet ce qui a été planté devient stable et fixe. Eh! quoi? n'ont-ils pas émigré? demandera-t-on. N'ont-ils pas été chassés en des lieux étrangers? Oui, ils ont été chassés, mais non par suite de la faiblesse de celui qui les avait établis; ce fut à cause de la malice de ceux qui avaient été plantés. Si les obstacles ne fussent venus de leur part, rien ne les eût empêchés de demeurer en ce séjour. « Vous avez affligé les peuples, et vous les avez chassés. » Il y en a qui disent qu'il est ici question des Égyptiens; je pense, moi, qu'ici encore il s'agit des autres nations. Car il a fait éprouver ses châtiments à ces dernières aussi, en manifestant sa puissance de l'une et de l'autre manière, en détruisant les ennemis, et en fortifiant son peuple. « Car ce n'est pas par leur glaive (4), » ou suivant un autre interprète, « par leur épée, qu'ils ont hérité de cette terre. Ce n'est pas leur bras qui les a sauvés; mais c'est votre droite, c'est votre (29) bras, et la clarté de votre visage. » Un autre interprète traduit : « la lumière. Parce que vous vous êtes complu en eux. » Il est vrai qu'ils étaient tous armés lorsqu'ils triomphaient à la guerre; mais quoiqu'ils fussent armés, la victoire n'était pas l'oeuvre de leurs armes, mais de Dieu qui était leur chef. Voyez-vous comme le Prophète, sous forme de prière à Dieu, nous présente un conseil, nous recommandant de tout remettre entre les mains de Dieu ? Et comment appelle-t-il cette possession un héritage, alors que ni leurs pères, ni leurs aïeuls, ni leurs bisaïeuls n'avaient été maîtres de ce pays, et avaient succombé dans d'autres circonstances? C'est que la promesse avait été faite à leurs pères.«Viens, dit l'Ecriture, dans la terre que je te montrerai (Gen. XII, 1) ; » et plus loin : « Je te donnerai cette terre, ainsi qu'à ta postérité. » (Gen. XIII, 15.) Et après s'être servi de ces expressions de « droite » et de « bras, » qui étaient toutes matérielles, voyez comme le Prophète continue le même langage, en ajoutant : « Et la clarté de votre  visage, » c'est-à-dire, votre assistance, votre providence. Car sa volonté, sa présence leur a suffi. Vient ensuite le motif : « Parce que vous vous êtes complu en eux, » c'est-à-dire, parce que vous les avez aimés, parce que vous l'avez voulu. De sorte que ces événements furent un effet de la grâce de Dieu, et non des belles actions des Juifs, et qu'ils durent ces succès non pas à leur vertu personnelle, mais à la bonté divine. « C'est vous qui êtes mon roi et mon Dieu, qui donnez vos ordres pour le salut de Jacob. » (Ibid. 5.) Ou selon un autre interprète : « Donnez vos ordres pour le salut de Jacob. » Et comment ces paroles arrivent-elles ici? Par une grande liaison avec ce qui précède. Car voici ce que veut dire le Prophète : Nous sommes les descendants de ces hommes, et vous, vous êtes le même Dieu, qui avez opéré ces choses et alors et de nos jours. D'où dent donc un si grand changement? Le Dieu d'alors n'était pourtant pas autre que vous, vous êtes toujours le même.

6. Il n'est pas vrai non plus que, vous étant le même, je m'attribue, à moi, un autre Dieu, mais « C'est vous qui êtes mon roi et mon Dieu. » Nous ne nous sommes pas soustraits à votre empire, nous n'avons pas adopté un autre chef. « Qui donnez vos ordres pour le salut de Jacob ; » c'est-à-dire, le Dieu est le même, et ses desseins sont les mêmes. D'où vient donc un si grand changement dans les événements ? Et que veut donc dire : « Qui donnez vos ordres ? » Cela signifie : Qui commandez, qui prescrivez que Jacob soit sauvé. Ici encore le prophète nous présente la facilité du secours, et la grandeur de la puissance; et ce n'est point par hasard qu'il fait mention de son ancêtre : il met en avant la vertu de Jacob comme un titre, voulant par là fléchir Dieu. « C'est en vous que nous heurterons nos ennemis (6). » Ainsi, vous êtes le même Dieu, veut dire le prophète: vos desseins sont les mêmes; de notre côté, c'est vous que nous reconnaissons, et nous avons fait usage des mêmes armes. Car c'est ce que signifie : « C'est en vous que nous heurterons nos ennemis. » Un autre interprète traduit ainsi « Nous heurterons ceux qui nous oppriment. Et en votre nom nous mépriserons ceux qui s'élèvent contre nous. » Suivant un autre interprète: « Nous foulerons aux pieds. » Et pourquoi dis-je : « En vous? » veut encore dire le Prophète. C'est qu'il suffit d'invoquer seulement votre nom, pour tout accomplir avec le plus grand succès. Car il n'a pas dit Nous les vaincrons, ou, nous l'emporterons sur eux ; mais : « Nous les mépriserons, » nous les regarderons comme rien, c'est ce que veut dire le Prophète, nous ne les craindrons pas, mais nous les poursuivrons comme s'ils n'étaient rien. C'est l'idée que rend un autre interprète par l'expression : « Nous marcherons dessus; » il indique ainsi la victoire de vive force, l'exploit sans lutte , le combat sans crainte. « Car je n'espérerai pas en mon arc (7). » Suivant un autre interprète : « Je ne me suis pas confié en mon arc. Et ce n'est pas mon glaive qui me sauvera. » Et pourquoi donc t'es-tu servi de ces moyens de défense ? Pourquoi t'armer, et prendre en main l'arc et l'épée ? C'est que Dieu l'a ordonné ainsi; c'est pour cela que j'ai fait usage de ces armes, mais je me repose de tout sur lui. Voilà comme les Macchabées, fortifiés par l'inspiration d'en-haut, apprenaient à combattre les ennemis corporels, et aussi, les ennemis incorporels. Et vous, par conséquent, lorsque vous luttez contre le démon, dies-vous ceci : Ce n'est pas en mes propres armes que j'ai confiance; c'est-à-dire, ce n'est pas en ma propre force, ni en mes propres mérites, mais en la miséricorde de Dieu. C'était le langage de Daniel : « Ce n'est pas en nous fondant sur nos propres mérites (30) que nous venons jeter à vos pieds nos prières suppliantes. » (Dan. IX, 48.) Car vous nous avez « sauvés de ceux qui nous opprimaient, et vous avez confondu ceux qui nous haïssent. » Suivant une autre version : « Parce que vous nous avez sauvés. » Pourquoi, veut dire ici le Prophète , parler des événements anciens, arrivés à nos ancêtres ? Nous avons nous-mêmes bien des gages de vos desseins à notre égard, nous pouvons compter de brillants trophées, et une suite de victoires admirables, extraordinaires. C'est ce qui lui fait dire : « Vous avez confondu ; » par ces mots il proclame ceci : ô Dieu ! vous ne nous avez pas simplement délivrés et arrachés à nos persécuteurs, mais vous l'avez fait en les couvrant de honte. « Nous serons loués en Dieu tout le long du jour; et nous rendrons gloire à votre nom dans l'éternité (9). »

6. Une autre version porte: « Nous chantons chaque jour des hymnes à Dieu. » En effet, veut dire le Prophète, si le temps de la victoire est passé, celui des actions de grâces nous reste. Par l'expression atout le long du jour,» il entend toute la vie. En effet, nous ne cessons, ô Dieu ! de faire de vos secours le sujet de nos chants et de notre honneur. Car c'est là notre gloire, notre orgueil, c'est de cela que nous sommes fiers auprès de tous les hommes; ce n'est pas d'avoir une cité grande et admirable, ni d'être les premiers à remporter la victoire, ni de l'emporter parla force du corps; mais c'est d'avoir le vrai Dieu, voilà notre orgueil; et, non pas seulement lorsque vous nous assistez, mais lors même que vous nous abandonnez. Car, voilà ce que signifie : « Tout le long du. jour; » comme dit encore saint Paul : « Pour moi, à Dieu ne plaise que je me glorifie, sinon dans la croix de Jésus-Christ ! » (Gal. VI, 14.) En effet, il n'y a point, non, il n'y a point d'autre gloire pareille à celle-là. C'est ce qui lui fait dire aussi : « Et non-seulement cela, mais encore nous glorifions en Dieu. » (Rom. V, 11.) C'est que nul sujet de gloire n'égale celui-là. Que personne ne tire donc vanité de ses richesses, ni d'aucune chose de cette vie, mais uniquement de ceci, d'avoir Dieu pour maître. Cela est préférable à toute liberté, cela vaut mieux que le ciel même. Car si l'on a souvent pu trouver à se vanter, devant les hommes, de servir tel ou tel personnage, songez quelle gloire il nous reviendra d'être les serviteurs de Dieu. C'est pourquoi saint Paul aussi compte cela comme un grand titre d'honneur, lorsqu'il dit : « Or, ceux qui sont au Christ , ont crucifié leur chair (Galat. V, 24.) ici une « pause » dans le psaume. Un autre interprète, au lieu d'y voir cette indication, traduit le mot par : Toujours. Dans l'hébreu il y a : « Sel » (Selah). « Et maintenant, vous nous avez repoussés, vous nous avez couverts de honte. » (Ps. XLIII, 10.) Selon une autre version : « Quoique vous nous ayez repoussés.» Suivant une autre: «Et toutefois vous nous avez repoussés. » Suivant un autre encore: « Et après cela vous nous avez rejetés. « Et vous ne sortirez pas, ô Dieu ! pour venir au milieu de nos puissances. » Un autre interprète traduit : « Et vous ne vous avancerez pas au milieu de nos expéditions. » C'est qu'eu effet, quand Dieu nous a repoussés, nous ne tardons pas à être couverts de honte, et en butte aux mauvais traitements de tous. Il appelle ici puissances leurs armées, parce que c'est en elles que consiste la force d'un prince, et Dieu encore ici a bien réglé les choses, de manière qu'il y ait un lien entre le gouvernant et les gouvernés. Le prince a besoin de ses sujets, ceux-ci en même temps ont besoin de leur chef, et ils se sont mutuellement d'une grande nécessité. Car afin de prévenir l'infatuation des princes, Dieu a voulu que les grands eussent fréquemment besoin des petits. Il en a disposé ainsi, même dans l'ordre matériel. Souvent un simple caillou, placé soles une colonne qui chancelle, l'empêchera de tomber, et un petit gouvernail dirige et soustrait, au danger, un vaisseau qui porte des milliers de personnes. Et que signifie : « Quoique vous nous ayiez repoussés? » C'est-à-dire, même après de telles souffrances , nous ne nous sommes pas séparés de vous, nous avons continué à vous glorifier, à chanter vos louanges, à mettre notre orgueil en vous. « Vous nous avez fait retourner en arrière à la vue de nos ennemis. Et ceux qui nous haïssent nous dépouillaient à loisir. » Suivant un autre interprète : « Vous nous avez mis au-dessous de tous nos adversaires (11). » Voyez comme il grandit leurs souffrances par ses expressions, comme il amplifie leur malheur, pour faire voir que, bien qu'ils fussent de grands pécheurs, ils avaient subi toutefois un châtiment suffisant !

7. C'est avec cette même redondance que parlèrent les jeunes hébreux dans la fournaise,  (31) alors qu'ils chantaient et qu'ils disaient: «Vous nous avez livrés entre les mains d'ennemis impies, acharnés, apostats, et au pouvoir d'un roi injuste et le plus pervers de tonte la terre. » (Dan. III, 32.) Et encore : « Nous avons été rendus plus petits que toutes les nations , et nous sommes humiliés entre tous sur la terre. » (Ibid. 37.) Le Psalmiste énonce la même idée, et ce qu'il dit revient à ceci : Nous sommes devenus vils entre tous, parce que vous nous avez retiré votre Providence; et nos malheurs ne se sont pas arrêtés là; nous sommes devenus la pâture de nos ennemis, qui nous ont déchirés suivant leur caprice. Car c'est le sens de ces mots : « Ils nous dépouillaient à loisir, » c'est-à-dire sans que personne les en empêchât. « Vous nous avez livrés comme des brebis destinées à être mangées et vous nous avez dispersés parmi les nations (12). » Une autre version donne : « Vous nous avez vannés. » Que veut dire « Comme des brebis destinées à être mangées? » Cela signifie : Parce que vous nous avez rendus très-faciles à saisir, et que vous avez montré notre peu de valeur. Car il y a aussi des brebis destinées à être conservées, ce sont celles qui sont propres à reproduire l'espèce ; mais les autres, soit par vieillesse, soit par stérilité, ne sont bonnes qu'à être mangées. Mais ce qui était encore plus affligeant, c'était d'avoir été dispersés parmi les nations; cela était pour eux plus insupportable que tout le reste, parce que chez ces peuples ils ne pouvaient observer exactement la loi, et qu'ils étaient déshérités de leurs usages paternels. Et ce n'est pas chez une seule nation, mais partout, vous donne à entendre le Prophète, et nous ne sommes plus préparés qu'à une chose, à subir de mauvais traitements; quant à nous venger ou à lever nos bras contre ces hommes, nous ne le pouvons même pas. C'est là le sens de cette comparaison prise des brebis. « Vous avez cédé votre peuple pour rien (13). » On suivant une autre version : « Pour une rétribution peu considérable. » Et une autre : « Sans rétribution considérable. Et il n'y a point eu de somme importante payée lors de notre échange. » Un autre interprète traduit : « Et vous ne les avez pas mis à un prix élevé. » Dans tous les cas voici le sens ; car le texte paraît ici fort obscur, mais prêtez attention, afin de chanter ce verset avec intelligence. Que signifie-t-il donc? Il exprime l'abjection et la nullité où ils étaient tombés. Vous nous avez abandonnés comme si nous n'avions aucune valeur, comme des gens vils et méprisables. Et le Psalmiste parle ainsi d'après les habitudes humaines. Car c'est la coutume parmi nous, de donner, même pour rien, ce qui n'a aucun prix, aucune valeur; mais les choses dont-nous faisons grand cas, si nous les vendons,. ce n'est que fort citer; quant aux objets auxquels nous n'attachons pas beaucoup de prix, nous en faisons encore cadeau. Ainsi, les serviteurs infidèles, on les vend pour la moitié de leur prix, et d'autres fois on les cède pour rien. Et si la cession à bas prix prouve le peu de valeur de l'objet vendu, à plus forte raison, lorsqu'on n'en demande même aucun prix, lorsqu'on le cède pour rien. C'est donc comme si le Psalmiste disait : Semblable à un homme qui se déferait de ce qui lui appartient et qui n'en demanderait nul prix, ainsi vous nous avez abandonnés comme si nous étions sans valeur, vous nous avez grandement méprisés. C'est encore le sens des paroles qui suivent : « Et il n'y a pas eu de somme importante payée lors de notre échange ; » c'est-à-dire , quand nous avons été achetés. C'est pourquoi une autre version porte : « Lors de notre estimation; » ce qui signifie, de notre vente. Car le paiement est un échange; il arrive maintes fois que lorsque nous donnons un serviteur, nous recevons de l'argent ou de l'or.

14. « Vous avez fait de nous l'objet des insultes de nos voisins, la moquerie et la risée de ceux qui nous entourent. » Suivant une autre traduction : « le jouet de ceux qui nous entourent. »

15. « Vous avez fait de nous la fable des nations. » Ce châtiment est pénible, intolérable, surtout de se voir injurié par des impies, d'avoir à endurer ce traitement de la part d'ennemis, d'avoir tout autour de soi des gens qui vous insultent, d'être environné de tous côtés par ceux qui vous outragent. Et que veut dire être la fable? C'est être le texte de leurs récits, l'objet de leurs affronts. Oui, car ceux qui les entouraient étaient des gens tarés, sans coeur, qui non contents de ne pas, les plaindre, les accablaient d'outrages, et c'est là ce qui était le plus cuisant pour les Juifs. Je crois que le Prophète veut parler ici des Arabes, un des peuples qui habitaient dans le voisinage. « Vous avez fait de nous l'objet de (32) mouvements de tête parmi les peuples. » Un autre traducteur dit: « Tu nous as fait émigrer à travers les peuples. » Il y a dans l'hébreu Manoud. Ainsi, ou bien cela signifie: Tu nous as fait passer d'un lieu dans un autre, ou bien le Prophète veut indiquer par cette image du mouvement de tête l'arrogance que donne la joie.

16. « Pendant tout le jour ma confusion est devant mes yeux. » Suivant une autre version : « Mon déshonneur. Et la honte de mon visage m'a couvert. »

17. « A la voix de celui qui m'insultait et parlait contre moi. » Suivant un autre interprète: « Et me diffamait à l'aspect de mon en« nemi et persécuteur». Cela était pour eux plus cuisant que les supplices. Car comme ils obtenaient toujours et continuellement des succès, et triomphaient de leurs ennemis, toutes les bouches s'ouvrirent, alors qu'ils furent tombés, qu'ils eurent été renversés à terre, et qu'ils ne pouvaient pas même relever la tête, mais qu'ils souffraient des mauvais traitements continuels.

18. « Tout cela est venu fondre sur nous, et nous ne vous avons. pas oublié, et nous n'avons pas péché contre votre testament. » Suivant  une autre version : « Et nous n'avons pas trompé vôtre alliance. ». Le Prophète veut dire : Nous avons, marché dans une voie opposée à celle des autres. Car ils ont été renversés même avant leurs maux; et nous, même après nos maux, nous sommes restés fermes, et l'âme inébranlable. Ce qu'ils disent pour donner bon espoir à ceux qui sont avec eux.. Aussi, voilà pourquoi, tandis que Daniel et les trois enfants s'écrient: « Nous avons péché, nous avons prévariqué (Dan. III,  29), » les nôtres disent: « Nous n'avons pas péché contre votre testament, » pour relever le courage de leurs compagnons d'armes, Car, veut dire le Prophète, si vois avons, souffert les plus grands maux, si nous sommes les descendants de ceux qui ont reçu de si grands bienfaits, et si dans nos malheurs nous n'avons point faibli, nous devons espérer une délivrance signalée.

8. Je vous répète donc ce que le vous disais en commençant, que sous, la forme d'une prière ils préparent les courages de leurs compagnons, comme s'ils leur disaient; Pourquoi avez-vous désespéré de votre salut? Nous avons Dieu à, notre tête; même si nous avons commis quelque faute, nous avons subi un châtiment suffisant; nous sommes demeurés généreusement fermes dans les épreuves; nous avons pour guide Celui qui conduit toujours même les pécheurs : ainsi nous devons sous tous les rapports nous attendre à une heureuse issue. Et que signifie: « Nous n'avons point péché contre votre testament? » Cela veut dire: Nous n'avons point failli contre ce qui nous avait été confié, mais nous l'avons gardé avec soin. En effet, c'est la plus grande des injustices, de transgresser cette loi qui nous protège, qui ne permet pas même que nous soyons lésés par le prochain, et qui empêche le vice; c'est la plus grande des injustices de se montrer ingrat envers une loi qui nous procure de tels biens.

19. « Et notre coeur n'a point reculé.» Autre traduction: « Ne s'est point retiré. Et vous  n'avez pas écarté nos sentiers de votre voie.» Autre version : « Et les choses qui nous dirigent n'ont point été détournées. » Ou encore suivant un autre: « Et notre coeur ne s'est point retourné en arrières et nos pas: n'ont point dévié. »  Ce qu'il a dit précédemment, il le redit, ici , qu'au milieu d'une telle tempête de maux, ils n'ont pas été le moins du monde agités.: Et il exprime fort bien cette idée. Car de, même que la loi nous conduit en avant, de même la transgression de la loi nous fait reculer; et comme la loi nous fait marcher dans le droit chemin, ainsi la transgression de la loi détourne l'homme en des régions désertes et impraticables. C'est,donc la loi qu'il appelle ici une route. Quant à ces mots:. « Vous avez écarté, » ou, selon, d'autres. interprètes: « Et les choses qui nous dirigent n'ont point été détournées de vôtre voie » le texte hébreu porte:: « Ouathet aschourenou meni orach; » et si d'on veut traduire avec les Septante, et non suivant les autres, par: « Vous avez écarté nos sentiers de la voie; » cela signifie alors: Vous nous avez exilés de votre temple, et vous nous avez fait habiter la terre étrangère; ce qui ne leur permettait pas d'accomplir les cérémonies du culte.

20. « Car vous nous avez humiliés dans le lieu de l'affliction. » Autre version: « Dans  un lieu inhabitable; » ou encore: « Dans le séjour des sirènes. Et l'ombre de la mort nous a couverts. » Un autre interprète traduit: «Vous nous avez murés. » Ceci me paraît se rattacher à ce qu'ils disent plus haut (33) en racontant leurs maux : « La honte de mon visage m'a couvert, à la voix de celui qui m'insultait et parlait contre moi : Car  vous nous avez humiliés. »

Si toutefois on veut le faire rapporter à : « Vous avez écarté nos sentiers de votre voie, » cela offre encore une suite avec l'idée dont nous parlions tout à l'heure. En effet, cela fait voir comment il les a repoussés de leurs sentiers, c'est-à-dire de leurs usages et de leurs lois, pour les mener dans des lieux déserts, et les abandonner au milieu de leurs ennemis. Car c'est le sens de : « L'ombre de la mort nous a couverts; » le Psalmiste entend par là les dangers qui causent la mort, les dangers dont le trépas est voisin, de même que l'Ecriture les appelle les angoisses de la mort et les portes de l'enfer. Et il représente ici ce que les maux ont d'inévitable sous la figure de l'ombre et d'une chose qui nous couvre, pour exprimer qu'on rie saurait y trouver aucune délivrance ni le moindre relâche. « Si nous avons oublié le nom de notre Dieu, et si nous avons tendu nos mains vers un Dieu étranger (21). Dieu ne recherchera-t-il pas ces crimes? Car il connaît les secrets des coeurs (22). » C'est le fait de serviteurs fidèles, lorsqu'ils éprouvent de mauvais traitements, de continuer à servir leur maître; ce sont là les enseignements de la sagesse. Et ici, nos héros apprennent en outre à ceux qui écoutent leurs discours, à ne point feindre, mais à servir Dieu de tout coeur. « Car Dieu, est-il dit, connaît les secrets de l'âme. » Et ils parlent ainsi pour les effrayer, afin qu'ils n'aient aucune pensée qui soit indigne de Dieu. Voyez encore quel grand surcroît de vertu, car le Prophète ajoute : « Car, à cause de vous, nous souffrons la mort tout le jour, nous avons été considérés comme des brebis destinées à être égorgées. » C'est que s'il est grand de demeurer dans le service de Dieu et de ne pas lui échapper pour passer à un autre, il est encore bien plus grand, de lui conserver un tel amour quand nous sommes continuellement menacés de la mort, et exposés à des dangers de tous les jours. Et songez quel haut degré de sagesse il y a en cela,. puisque c'est celui que possède saint Paul, énumérant dans son épître aux Romains (Rom. VIII, 36), tout ce déluge de périls auquel l'Apôtre fut exposé. Ainsi, quelles couronnes ne méritèrent pas les Macchabées qui, sous l'ancienne loi, nous apparaissent comme ayant d'avance atteint la mesure des luttes soutenues sous la loi nouvelle? Car ce que dit saint Paul: « Je meurs tous les jours (I Cor. XV, 31), » les Macchabées le font aussi, non pas en réalité, non pas en effet, mais en intention. Et pourquoi le psaume porte-t-il : « A cause de vous? » C'est-à-dire, il nous était loisible de passer à l'ennemi, d'abandonner les usages de nos ancêtres, et de vivre en sûreté; mais nous préférons endurer de mauvais traitements, et garder les moeurs de nos pères, plutôt que de jouir de la paix après être déchus de ces mêmes moeurs. « Nous avons été considérés comme des brebis destinées à être égorgées. » Telle est, veut dire le Psalmiste, la facilité avec laquelle on nous détruit. Et par là il fait voir en outre leur douceur. Et malgré cela, quoique étant pour eux une proie si facile, nous demeurons avec notre âme inébranlable. Ici nous devons en outre admirer la puissance de Dieu, de ce que ces hommes exposés à la merci de leurs ennemis comme des brebis destinées à être égorgées, il les a conservés, et de ce qu'il n'a pas laissé tomber victimes de la mort ces hommes qui souffraient la mort tous les jours. « Levez-vous; pourquoi sommeillez-vous, Seigneur (23) ? » Une autre version porte : « Pourquoi êtes-vous endormi? » Une autre : « Réveillez-vous. » Et une autre : « Eveillez-vous, levez-vous, et ne nous repoussez pas jusqu'à la fin. Pourquoi détournez-vous votre visage (24) ? » Et suivant un autre interprète : « Pourquoi cachez-vous votre visage? Oubliez-vous notre dénuement et notre tribulation ? » Suivant une autre version

« Notre état misérable? » Dans tous les cas, c'est comme s'il y avait : vous pouvez mettre un terme à nos maux; car ce n'est pas par votre impuissance que tout cela arrive, mais par votre permission. Le Psalmiste appelle ici sommeil l'absence d'action de la part de Dieu, il appelle réveil le châtiment, et visage, sa protection, sa providence, sa sollicitude, son secours.

9. « Pourquoi oubliez-vous notre dénuement? » Voyez encore une fois la sagesse du Prophète. Il ne dit pas : nos belles actions; il ne dit pas : notre coeur inébranlable; il ne dit pas notre âme à l'épreuve des tentations. On met tout cela en avant quand on cherche à se justifier; mais quand on demande assistance, on tire ses arguments de salut de la condamnation que l'on a subie. C'est, dit-il, parce (34) qu'ils ont été punis, c'est parce qu'ils ont souffert les derniers châtiments.  Saint Paul tient souvent ce langage, et d'autres prophètes aussi. Et ces derniers parlaient de la sorte, quoique ne sachant encore rien de l'enfer, ni du royaume du ciel, sans avoir été instruits à voir tout cela d'une âme élevée, et ils supportaient tout avec résignation : «Car notre âme a été abaissée dans la poussière ; notre ventre a été appliqué contre terre (25). » En effet, comme il a dit : « Vous oubliez notre dénuement, » ce qui signifie notre affliction; il insiste ensuite sur cette affliction. Et voici à quoi revient ce qu'il en dit : nous sommes perdus, nous sommes enfouis, notre état n'est en rien meilleur que celui des morts. Et l'on peut bien dire avec raison de ceux qui sont attachés aux choses de ce monde, que leur âme est abaissée dans la poussière, et de ceux qui sont esclaves de leur ventre, que leur ventre est appliqué contre terre.

En effet, celui qui est enchaîné par l'amour, qui est en admiration devant de la boue, et qui asservit a cette cendre la faculté incorporelle qui existe en lui, cet homme, on peut le dire à juste titre, est dans l'état dont nous parlons. Qu'est en effet la beauté du corps, sinon de la poussière, de la boue, ou plutôt, quelque chose de plus hideux encore ? Si vous ne me croyez pas, allez fouiller les sépultures humaines, et vous verrez cette boue et cette poussière. Car une fois que l'enveloppe corporelle est destituée de la vie présente, alors cette enveloppe apparaît ce qu'elle est : que dis-je? cela lui arrive même avant la mort. En effet, quand la vieillesse sera venue, ou que la maladie l'aura frappée, vous verrez alors quelle sera son apparence ; car elle n'est que boue; seulement Dieu, en sage créateur, â fait sortir d'une matière si vile une beauté inexprimable, et cela, non pour vous porter à la fornication, mais afin de vous offrir une preuve de sa sagesse. N'outragez donc pas l'artisan, en faisant de l'oeuvre de sa sagesse, l'objet de votre impureté et de votre débauche. Que votre admiration pour la beauté n'aille que jusqu'à rendre gloire à l'artisan ; ne la poussez pas plus avant, vous exciteriez la passion. L'ouvrage est beau : il faut donc adorer l'ouvrier, et non pas lui faire outrage. Si un homme, dites-moi, allait s'emparer de la statue en or de quelqu'un, de l'image de quelque prince, et la souillait de bourbe et d'autres immondices, n'en serait-il pas puni avec la dernière rigueur? Et si une telle irrévérence à l'égard des hommes mérite un si grand châtiment, que devra subir celui qui déshonore de même l'oeuvre de Dieu, et surtout lorsqu'ayant une femme il mènera une pareille conduite ? Car ne me parlez pas des désirs de la nature. Le mariage a été accordé aux hommes, pour les empêcher de franchir les limites de la société conjugale. Considérez quel châtiment vous mériteriez. Dieu a pourvu à votre repos et à votre honneur, en sorte que vous puissiez satisfaire cette rage de la nature au moyen de votre femme, .et le faire sans danger, â l'abri de toute ignominie. Et vous allez, de gaîté de coeur, outrager celui qui est pour vous si prévoyant ? Car dites-moi, s'il n'eût pas voulu instituer le mariage, quels tourments, quels supplices n'auriez-vous pas eu à endurer ? Ainsi, vous devez remercier et glorifier Dieu de vous avoir retranché la majeure partie de vos peines, en imaginant un adoucissement admirable; et au lieu de cela, vous l'outragez avec ingratitude, avec impudence, vous transgressez les limites qu'il a posées, et vous avilissez votre propre honneur. N'entendez-vous pas saint Paul vous disant dans ce moment même, et criant au milieu de tous: « Fuyez la fornication ? » (I Cor. VI, 18.) Que dis-je ? N'entendez-vous pas Jésus-Christ inspirant l'âme de l'apôtre ? Pourquoi étudiez-vous une beauté étrangère ? pourquoi scruter ce visage qui ne vous appartient pas ? pourquoi courir au travers des précipices? pourquoi vous jeter dans les filets ? Mettez un rempart à vas yeux, une fortification à vos regards, imposez une loi à votre vue. Ecoutez Jésus-Christ qui vous menace, et qui juge vos regards déréglés à l'égal de l'adultère. » (Matth. V, 28.) De quelle utilité est le plaisir, lorsqu'il engendre un ver rongeur, une crainte perpétuelle ? lorsqu'il devient pour celui qui en a joui la source d'un châtiment éternel ? Combien ne vaut-il pas mieux, après avoir, pendant un temps bien court supporté ta violence de nos propres pensées, être pour toujours dans le calme, plutôt qu'après avoir fait des concessions, bien courtes aussi, à nos désirs insensés, en être éternellement puni ? « Non, mes enfants, ne faites pas ainsi : les choses que j'entends dire de vous ne sont pas bonnes. » (I Rois, II, 24.) Je sais bien quels sont ceux à qui ce discours s'adresse, il ne s'adresse pas à tous; mais là où il trouve (35) une blessure, il applique son remède. Pourquoi outragez-vous le mariage ? pourquoi violez-vous la société conjugale ? pourquoi blessez-vous votre propre chair ? pourquoi avilissez-vous votre propre honneur ? Sapez cette passion, extirpez cette mollesse. » (I Cor. VI, 15.) Car la mollesse et l'ivresse sont les sources de la fornication. Si vous ne faites du repos l'usage qu'il faut, il vous amènera l'affliction. Ecoutez ce qui arriva aux Juifs qui avaient forniqué, qui n'avaient pas participé au corps de Jésus-Christ, qui n'avaient pas profité du banquet spirituel. « Ne forniquons pas, » dit l'Apôtre, « comme certains d'entre eux forniquèrent, et périrent en un seul jour au nombre de vingt-trois mille. » (I Cor. X, 8.) « Levez vous, Seigneur, secourez-nous, et rachetez-nous à cause de votre nom (26). » Suivant une autre traduction : « Soyez-là pour nous défendre, et délivrez-nous à cause de a votre miséricorde. » Voyez comment nos héros terminèrent leurs discours; après leur mille et mille exploits, quels motifs croient-ils devoir invoquer pour leur salut ? La miséricorde, la bonté de Dieu; c'est aussi à. cause de son nom. Et que signifie: « à cause de votre nom ? » Afin que ce nom ne soit point profané. Et il dit souvent lui-même : « Je le fais à cause de mon nom. » Vous avez vu tout à l'heure l'humilité, la contrition de leurs coeurs? Et quels sont les motifs qu'ils, croient devoir invoquer pour leur salut ? La bonté de Dieu, sa miséricorde : comme les gens qui sont au dépourvu de belles actions, qui n'ont aucun titre à faire valoir pour leur salut, et quoiqu'ils fussent décorés de tant de fatigues et de dangers, ils rapportaient tout à Dieu. Imitons-les donc nous aussi, qui vivons sous la loi de la grâce, et renvoyons la gloire à Dieu, à qui elle appartient dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

Traduit par M. E. MALVOISIN.

 

 

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