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EXPLICATION DU PSAUME CXL. 1. « SEIGNEUR, J'AI CRIÉ VERS VOUS; EXAUCEZ-MOI, ÉCOUTEZ MA VOIX, LORSQUE JE POUSSERAI MES CRIS VERS VOUS. »
ANALYSE.
1. Ce psaume se récitait tous les jours, le soir, à Antioche. Il est obscur et difficile à comprendre, c'est une raison de plus pour l'étudier avec soin. Le cri dont il est ici question, c'est le cri du coeur.
2. La prière digne d'être écoutée est celle qui demande les biens éternels, celle qui ne souhaite pas de mal aux ennemis.
3, A Jérusalem il y avait deux autels , un d'or , un d'airain. Sur le premier s'offrait matin et soir le sacrifice d'adoration qui est toujours dû à Dieu et qui était toujours, accepté ; sur le second s'offrait le sacrifice pour l'expiation des péchés, l'acceptation de celui-ci dépendait des dispositions de ceux qui l'offraient. Bonne odeur de l'oraison ; l'encensoir est un symbole , qui exprime la pureté de la langue et des. mains. Pourquoi faut-il. élever les mains dans l'oraison?
4. De la garde de la langue et de la bouche ; qu'il y a un temps de parler et un temps de Se taire; combien la langue ne doit-elle pas être pure, elle qui reçoit le corps du Seigneur!
5. C'est un mal de se taire quand il faudrait parler. Il faut compatir aux affligés.
6. On demandera compte même d'une parole inutile. Dans le coeur est la source de la vertu et du vice.
7. L'existence du libre arbitre constatée. L'excuse aggrave le péché , la confession l'efface , et apaise Dieu. Fuir les orgies et les théâtres comme la peste. Recevoir avec douceur les réprimandes des gens de bien.
8. La prière ne suffit pas si l'on n'y joint les bonnes couvres.
9. L'espérance en Dieu est une ancre sûre.
1. Voici un psaume dont les paroles sont, pour ainsi dire, connues de tout le monde; à tout âge on le chante; quant à la pensée que les paroles expriment, on l'ignore. Et des reproches assez sévères pourraient être adressés à ceux qui chantent tous les jours, avec les (251) lèvres, des paroles, sans rechercher le sens renfermé dans ces paroles. Supposez qu'une eau pure et limpide s'offre à vos yeux. Vous ne pouvez pas vous empêcher d'aller tout ,près, d'y tremper vos mains, de boire de cette eau; dans une prairie chaque jour fréquentée on ne résiste pas au plaisir de cueillir quelques fleurs. Quant à vous, qui, depuis l'enfance jusqu'au dernier jour de votre vieillesse, ne faites que chanter ce psaume, vous en savez les mots, voilà tout. Il y a là un trésor caché, vous êtes assis à côté; vous avez une bourse magnifique, vous la portez à droite et à gauche, mais toujours scellée et fermée, et il n'est personne parmi vous que la curiosité excite à rechercher ce que veut dire ce psaume. Ni recherches, ni examen. Et cependant, on ne peut pas dire que la clarté du psaume soit faite pour nous endormir, que le sens se présentant de lui-même il n'y a pas lieu de faire des recherches. L'obscurité d'un tel psaume à de quoi réveiller celui qui ne dort pas trop profondément, je me trompe, celui qui est tout à fait endormi. Car que dit-il? « Ne penchez point mon coeur vers des discours de malice (4). » Et que signifie maintenant : « Le juste m'instruira avec miséricorde et me reprendra (5) ? » Et ce qui suit, répondez-moi; toutes les ténèbres ont-elles rien de plus ténébreux? « Ma prière s'entendra encore au milieu des choses qui les flattent. Ils ont a été absorbés contre la pierre, leurs juges (6). » En dépit d'une si épaisse obscurité, comme si c'était là un cantique ordinaire, le grand nombre passe, sans arrêter. Mais nous ne voulons pas insister sur ce reproche, qui vous serait à charge ; arrivons à ce que nous dit le psaume. Attention, je vous en prie, car ce. n'est pas sans dessein, j'imagine, que les Pères ont décrété la lecture de ce psaume tous les soirs, et ce n'est pas parce que l'on y trouve « L'élévation de mes mains est comme le sacrifice du soir; » car cette pensée se rencontre dans d'autres psaumes. Ainsi : « Le soir, le matin et à midi, je raconterai et j'annoncerai. » (Ps. LIV, 18.) Et encore : « Le jour vous appartient, et la nuit est aussi à vous. » (Ps. LXXIII, 16.) Et encore : « Les pleurs se répandent le soir, et la joie le matin. » (Ps. XXIX, 6.) Et il ne manque pas de psaumes qui conviennent au soir. Ce n'est donc pas pour cette raison que les Pères ont décidé la récitation de ce psaume ; mais ils l'ont regardé comme un remède salutaire , comme une expiation des péchés ; ils ont voulu que toutes les souillures que nous aurions contractées dans toute la durée du jour, soit sur la place publique, soit chez nous, soit ailleurs, en quelque lieu que ce fût, nous pussions les laver le soir, par ce cantique spirituel. C'est un remède qui fait disparaître tout cela. Tel est aussi le psaume du matin; car rien n'empêche de le rappeler en peu de mots. Ce psaume ranime l'amour de Dieu, réveille notre âme , l'embrase d'un feu vif, la remplit de joie et de charité, et nous pouvons ensuite nous approcher de Dieu. Voyons-en les premières paroles, et ce qu'elles nous enseignent: « O Dieu, ô mon Dieu, je veille et j'aspire vers vous, dès que la lumière paraît; mon âme a soif de vous. » (Ps. LXII, 1.) Comprenez-vous l'amour brûlant qu'expriment ces paroles-? Or, où se trouve l'amour de Dieu, tous les vices disparaissent; où se trouve le souvenir de Dieu, tous les péchés s'évanouissent, et la méchanceté est anéantie. « Je me suis présenté devant vous ainsi dans votre sanctuaire pour contempler votre puissance et votre gloire. » (Ps. LXII, 3.) Qu'est-ce à dire, « Ainsi ? » avec ce désir, avec cet amour, afin de voir votre gloire qui, par toute la terre, est visible. Mais il ne faut pas abandonner ce que nous avons dans nos mains, pour prendre un autre psaume que nous rencontrons sur notre route. Donc nous nous contenterons de renvoyer l'auditeur à ce qui a été dit sur cet autre psaume ; attachons-nous à ce qui fait notre sujet aujourd'hui. Que nous dit donc aujourd'hui le Psalmiste ? « Seigneur, j'ai crié vers vous, exaucez-moi. » Que dis-tu, je t'en prie? C'est parce que tu as crié que tu veux qu'on t'exauce, et voilà le motif que tu donnes pour être exaucé? Donc, ce qu'il faut, c'est une voix forte et qui s'entende au loin ; mais voilà qui n'est pas raisonnable ; car quel est le péché de celui qui a la voix faible, qui n'a pas de voix, qui a la langue pesante et embarrassée? N'est-il pas vrai que Moïse n'avait pas un si bel organe et qu'il était écouté plus que tous les autres ? Est-ce que les Juifs ne poussaient pas, plus que tous les autres, de grands cris? Dieu cependant n'écoutait pas leurs prières. Evidemment une voix forte ou une voix grêle, ce sont des avantages ou des infirmités naturels. Or, cela ce fait pas que nous soyions exaucés (252) ou non. Car, il n'y a rien là qui mérite, soit la louange, soit le blâme. On voit un très-grand nombre d'avantages naturels accordés même à des scélérats : n'était-ce pas un bel homme, et d'une belle figure, et dont les cheveux bouclés relevaient la beauté, Absalon ? Et encore : N'est-il pas vrai qu'Elisée avait la tête chauve, au point d'être tourné en ridicule par les enfants? Eh bien ! la beauté de l'un ne lui a servi à rien; et celui-ci n'a en rien souffert de sa laideur. Et à quoi bon parler de voix faible et grêle, et de langue embarrassée, lorsqu'on entendait jusqu'au silence de Moïse, lorsque Anne n'avait pas besoin de parler ? Dieu disait aux Juifs : « Lorsque vous multiplierez vos prières , je ne vous écouterai point. » (Isaïe, I, 15.) Pourquoi donc le Psalmiste vient-il nous dire ici : « J'ai crié vers vous, exaucez-moi. » Il entend par là le cri intérieur d'une âme embrasée, d'un esprit contrit, le cri de Moïse, que Dieu exauçait; car, de même que celui qui pousse des cris, épuise toutes ses forces, de même celui qui pousse les cris de l'âme, y applique toutes les forces de sa pensée. 2. Voilà donc le cri que Dieu nous demande, le cri qui convertit l'âme, ne la laisse jamais inactive, distraite. Il ne manque pas de gens en effet, qui sont présents dans le temple sans aucun doute, mais qui ne poussent vers Dieu aucun cri. Ce sont leurs lèvres qui crient, prononçant le nom de Dieu, qu'elles portent partout, mais la pensée ne soupçonne pas ce que disent les lèvres. Celui dont je parle ne crie pas, quand il ferait, de sa voix le plus grand vacarme ; celui dont je parle ne prie pas le Seigneur, quand même il paraîtrait tout à fait le prier, ce qui ne s'applique pas à Moïse. Il criait et il était exaucé. Aussi Dieu lui dit : « Pourquoi cries-tu vers moi ? » (Exode, XIV, 15.) Or, ce n'étaient pas seulement ses cris, mais son silence même , qui lui obtenaient ce qu'il désirait, parce qu'il s'était montré digne d'être exaucé par Dieu. Voulez-vous voir encore des pécheurs, soutenant le- cri ardent de leurs prières, criant d'une manière retentissante, et obtenant ce qu'ils désire . Voyez la courtisane, dont le silence est un cri (Luc, VII, 38) ; voyez le publicain ; sa prière a suffi pour le justifier. (Luc, XVIII, 13-14.) Le publicain aussi pousse un vrai cri, qui lui fait dire: « Seigneur, j'ai crié vers vous, exaucez-moi ; » et sa prière est faite pour être écoutée. « Lorsque je pousserai mes cris vers vous. » Voyez encore une autre vertu de la prière ! En effet, il ne demande pas d'être exaucé seulement pour l'ardeur qu'il apporte à sa prière, mais aussi parce que sa prière est digne d'attirer l'attention de ces yeux qui ne dorment jamais. De quelle nature est cette prière? C'est une prière qui ne souhaite aucun mal aux ennemis; qui ne demande ni richesses, ni opulence, ni puissance, ni gloire, ni rien de périssable, mais, uniquement, ce qui est impérissable, immortel. En effet, dit l'Ecriture « Cherchez le royaume de Dieu, et tout cela vous sera accordé par surcroît. » (Matth. VI, 33.) « Lorsque je pousserai mes cris vers vous.» Voyez-vous le zèle enflammé, la ferveur qu'il nous demande, lorsque nous invoquons le Seigneur? En effet, c'est alors surtout que le démon nous presse, et nous menace. Comme il sait que nos armes les plus fortes sont let prières; comme il sait que, quels que soient nos péchés, notre bassesse, si nous prions Dieu en appliquant toute notre âme à la prière, si i nous le prions d'une manière conforme à ses commandements, nous pouvons obtenir les plus grands biens, c'est alors que le démon s'efforce d'éteindre notre zèle, de distraire nos pensées, afin que nous ne recueillions aucun y fruit de nos prières. Instruits de ces vérités, fortifions-vous contre l'ennemi commun, n'adressons jamais à Dieu de prières contre nos ennemis, imitons les apôtres. Assaillis de maux innombrables, jetés , en prison, exposés aux plus grands de tous les périls, ils se réfugiaient dans la prière, ils disaient : « Considérez leurs menaces. » (Act. IV, 29.) Et après qu'ajoutaient-ils? Brisez-les ou exterminez-les, langage ordinaire de l'imprécation? Nullement, mais: « Et donnez à vos serviteurs la force d'annoncer votre parole.» (Ibid.) Comment et par quels moyens ? En mettant à mort les persécuteurs? en les écrasant? en les exterminant? nullement. Mais comment donc? « En faisant des merveilles et des prodiges, par le nom de votre saint Fils Jésus. » (Ibid. 30.) Voyez-vous la parfaite sagesse de la prière, (lui; après tant et de si grands maux, ne demande pas le supplice des ennemis? Tels se sont montrés les apôtres,. quand ils étaient pleins de vie; mais maintenant, Etienne, au moment de se voir arracher la vie présente, non-seulement ne souhaitait aucun mal à ses ennemis; mais, quand on le (253) lapidait. quand on lui donnait la mort, dans ce moment même, il ne pensait, par sa prière, qu'à soustraire ses ennemis à la colère à venir, à la punition de leur péché; il dit : « Ne leur imputez point ce péché. » (Act. VI, 59.) Quel pardon mériteront-ils donc, que diront-ils pour se défendre, ceux qui souhaitent du mal à leurs ennemis dans leurs prières? et le moyen que Dieu exauce des prières qui violent ses lois ? Donc, ne tenons jamais de pareils discours; il ne suffit pas de ne pas prier contre ses ennemis, il faut encore éteindre sa colère contre eux, et voilà pourquoi l'Apôtre dit: « Je veux que les hommes prient en tous lieux, levant des mains pures, sans colère, et sans contention (I Tim. II, 8) ; » c'est-à-dire, quoique vous ayez un ennemi qui vous poursuive, éteignez votre colère, avant de vous approcher du Seigneur; et, non-seulement gardez-vous, dans votre prière, de rien dire contre lui, mais encore purifiez votre âme du poison qui la souille. Si telle est votre prière, si vous invoquez Dieu avec un zèle ardent, vous n'aurez pas fini votre prière, que vous serez exaucé. C'est ce que demande le Psalmiste par ces paroles : « Ecoutez ma voix, lorsque je pousserai mes cris vers vous. » Par là, en effet, il rappelle la promesse de Dieu même : « Vous parlerez encore, et je vous dirai : me voici. » (Isaïe, LVIII, 9.) « Que ma prière s'élève vers vous, comme la fumée de l'encens en votre présence (2). » Autre texte : « Que ma prière se présente comme l'encens, en votre présence; » autre texte : « Se dispose. » « L'élévation de mes mains est le sacrifice du soir; » autre texte: « Est le don du soir; » autre texte : « L'oblation du soir. » Que veut nous enseigner le Prophète, en nous parlant du sacrifice du soir? C'est qu'il y avait autrefois deux autels, l'un d'airain, l'autre d'or; le premier était public, recevant les offrandes de presque tout le peuple; l'autre était situé dans le sanctuaire, et derrière le voile. Et, pour être plus clair, nous essayerons de tout reprendre dès le commencement. Les Juifs avaient autrefois un temple, long de quarante coudées, large de vingt; dans cette longueur, il y avait dix coudées, derrière le voile, d'interceptées, et ce qui était intercepté s'appelait le saint des saints. Ce qui était au dehors s'appelait simplement le saint. Et maintenant tout était resplendissant d'or dans le saint des saints. 3. Quelques-uns ont prétendu qu'en dehors du saint des saints les poutres aussi avaient des clous d'or. Le grand prêtre seul entrait dans le saint des saints, une seule fois dans l'année; là, se trouvait l'arche avec les chérubins; là aussi se trouvait l'autel d'or, où s'offrait l'encens, et qui servait uniquement au sacrifice. Ce sacrifice ne s'accomplissait qu'une fois l'an. C'était donc, dans le temple extérieur, que se voyait l'autel d'airain, sur lequel chaque soir s'offrait l'agneau que l'on brûlait; c'est ce qui s'appelait le sacrifice du soir. Car il y avait de plus un sacrifice du matin, et, deux fois par jour, il fallait allumer lautel; sans compter les autres offrandes apportées par, le peuple; car il était prescrit. par la loi, et ordonné aux prêtres, de prendre, sur ce qui leur appartenait, en l'absence de toute autre offrande, une fois le matin, et une fois le soir, un agneau, que l'on sacrifiait et que l'on brûlait. Et cela s'appelait le sacrifice du matin, le sacrifice du soir. Or, Dieu avait prescrit ces sacrifices, pour montrer qu'il faut toujours l'honorer, et quand le jour commence, et quand le jour finit. Ce sacrifice était donc toujours accueilli, ce genre d'offrandes n'était jamais refusé. Quant à ce qui s'offrait pour les péchés, tantôt le sacrifice était accueilli, tantôt il ne l'était pas, selon que ceux qui le présentaient, se distinguaient par leurs vertus ou par leurs vices. Quant aux sacrifices offerts, non pour obtenir la rémission des péchés, mais parce qu'ils étaient ordonnés par la loi, prescrits pour le culte, ils étaient absolument accueillis. Le Psalmiste demande donc que sa prière ressemble à ce sacrifice que ne souillaient en aucune manière les péchés de celui (lui l'offrait; il demande que sa prière ressemble à la sainteté, à la pureté de l'encens, et sa demande nous enseigne que nos prières doivent être pures, et d'une odeur agréable. Telle est, en effet, l'odeur de la justice; le péché au contraire a une odeur fétide, dont le Prophète veut parler dans un autre endroit, disant : « Mes iniquités se sont élevées sur ma tête, et elles se sont appesanties sur moi, comme un fardeau insupportable; mes plaies ont été remplies de pourriture et de corruption. » (Ps. XXXVII, 5, 6.) L'encens est bon de soi et odoriférant , mais pour qu'il développe sa bonne odeur, il faut qu'il soit brûlé; de même la prière est bonne de soi, mais elle est meilleure, et d'une odeur plus suave , quand (254) elle sort d'une âme ardente, que la ferveur anime; quand l'âme est un encensoir, où s'allume un feu dévorant. En effet, on ne mettait pas l'encens avant qu'il y eût du feu dans le réchaud, avant que les charbons fussent allumés. Faites de même dans votre âme; embrasez-la d'abord par le désir, avant d'y mettre la prière. Le Psalmiste prie donc, afin que sa . prière ressemble à l'encens, que l'élévation de ses mains soit comme le sacrifice du soir; car et l'encens et le sacrifice sont accueillis. Comment? à quelles conditions? Si, des deux côtés, tout est pur; si, des deux côtés, il n'y a ni sujet de reproche, ni vice; si la langue et la main ne craignent aucun jugement; si les mains ne sont souillées ni par l'avarice, ni par la rapine; si la langue n'est pas chargée de mauvaises paroles, de même que l'encensoir doit être pur, ne rien porter que le feu et l'encens, de même la langue ne doit proférer aucune parole impure; elle ne doit exprimer que la sainteté, la bénédiction; et les mains à leur tour doivent être comme l'encensoir. Que votre bouché soit donc un encensoir, et gardez-vous de l'emplir de ce qui pourrait la souiller. Ceux qui souillent leur bouche; ce sont les hommes qui font entendre des paroles honteuses, impures. Maintenant, pourquoi ne dit-il pas : le sacrifice du matin, mais : « Le « sacrifice du soir? » A mon avis, l'expression est indifférente. S'il avait dit : le sacrifice du matin, ces personnes, qui n'ont rien de mieux à faire, auraient demandé pourquoi ne dit-il pas: comme le sacrifice du soir. Mais maintenant, si l'on ne vent pas y mettre une curiosité indiscrète, on peut se contenter de la réflexion que voici : le sacrifice du matin attend le sacrifice du soir; au contraire, le sacrifice du soir est le complément du sacrifice; le culte du jour a reçu son couronnement; tout est achevé. Mais que signifie maintenant l'élévation des mains dans la prière? c'est que tant de crimes, tant de coups donnés, de meurtres; de déprédations, d'oeuvres que l'avarice opère, et que produit la convoitise, s'accomplissent par le ministère des mains; et, si l'on nous ordonne de les. tendre dans la prière, c'est pour que cette fonction des matas soit comme un lien qui enchaîne l'iniquité, comme une expiation qui purifie de tout crime; c'est afin qu'au moment de pratiquer la rapine, de vous jeter sur le bien d'autrui, de frapper le prochain, la pensée qu'un jour vous élèverez vers Dieu ces mains pour vous défendre; la pensée qu'elles vous serviront à offrir ce sacrifice spirituel, vous empêche de les déshonorer., de les rendre auprès de Dieu impuissantes, parce qu'elles auront servi à des uvres coupables. Purifiez-les donc par l'aumône, par la clémence; employez-les à secourir l'indigent, avant de les tendre à Dieu, dans la prière. Si vous les lavez avant la prière, à bien plus forte raison convient-il que vous ne les souilliez pas par le péché. Si vous craignez ce qui à moins de gravité, redoutez ce qui en a davantage. Il n'est pas absolument contraire à la raison de faire sa prière avec des mains que l'eau n'a pas purifiées ; mais les offrir à Dieu, souillées de péchés sans nombre, voilà ce qui attire une, colère terrible. 4. Ces mêmes conseils, suivons-les aussi pour ce qui concerne et notre bouche et notre langue; que la corruption n'y trouve aucun accès, si nous voulons les employer à la prière. Une personne qui possède un vase d'or, ne s'en servira jamais pour un vil usage, parce que la matière est trop précieuse : à bien plus forte raison nos bouches, incomparablement plus précieuses que l'or et les perles, ne doivent pas être souillées de paroles honteuses, impudiques, de médisances, d'outrages ; ce n'est pas sur un autel d'airain ou d'or que vous offrez votre encens, mais dans un sanctuaire plus précieux, dans le temple spirituel. D'un côté, est une matière inanimée; en vous, c'est Dieu qui réside, et vous êtes un membre du Christ, et son corps. « Mettez, Seigneur; une garde à ma bouche (3). » Il a prié le Seigneur, lui demandant d'être exaucé; lui demandant d'accepter sa prière; voyez maintenant le premier désir qu'il exprime, la supplication qu'il fait entendre. En effet, il ne dit pas: accordez-moi la fortune; accordez-moi les honneurs que les . hommes recherchent ; accordez-moi la victoire sur mes ennemis; accordez-moi des enfants; rien de pareil. Il ne s'abaisse pas à tout cela; il ne demande à Dieu que des présents dignes de lui. Eh quoi ? ne peut-on pas demander à Dieu des biens sensibles? Assurément il est permis de les demander, mais avec la modération qui règle ces paroles de Job: « Si le Seigneur me donne du pain pour me nourrir, et des vêtements pour me vêtir. » (Gent. XXVIII, 20.) C'est ainsi que le Christ nous a ordonné de prier, et de prononcer ces paroles: « Donnez-nous aujourd'hui notre pain (255) quotidien. » (Math. VI, 11.) Avant tout, ce qu'il faut demander, ce sont les biens spirituels; et c'est ce que fait le Psalmiste en disant : « Mettez, Seigneur, une garde à ma bouche. » Comprenez-vous cette prudence ? comprenez-vous cette sagesse? la prière qu'il fait tout d'abord ? Il demande la première de toutes les vertus, sans laquelle on tombe dans tous les finaux, avec laquelle on s'assure tous les biens. Il faut compter par milliers les maux qu'enfante la pétulance de la langue, et, de même, les biens que procure la circonspection. De même donc que c'est en vain que l'on possède maisons, villes, murailles, ouvertures, portes, si l'on n'a pas aussi des gardiens qui sachent les fermer, et les ouvrir quand il faut ; ainsi, ni la bouche ni la langue ne sont d'aucune utilité, sans la raison qui sait avec quel soin, avec quelle circonspection il faut fermer et ouvrir, ce qu'il faut laisser sortir, ce qu'il faut garder. « Il en est moins, » dit l'Ecriture, « qui sont morts par le glaive que par la langue. » (Ecclési. XXVIII, 22.) Et maintenant le Christ : « Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche, qui souille l'homme, mais ce qui en sort. » (Matth. XV, 11.) Et un autre: « Mettez une porte et un verrou à votre bouche. » (Eccl. XXVIII, 28.) Mais le sage, qui connaît, ici, toute la difficulté, a recours aux prières, et c'est Dieu qu'il appelle à son secours. Il fait mieux, il indique lui-même la difficulté, par ces paroles: « Qui donnera à mes lèvres un cachet qui les ferme ? » (Eccl. XXII, 33.) C'est qu'il faut, d'une part, contribuer de ce qui est en nous, voilà pourquoi il nous donne comme un précepte: « Mettez une porte et un verrou ; » il faut, d'autre part, invoquer le secours de Dieu, pour que notre zèle vienne à la pratique. Donc, ne nous lassons pas de garder notre bouche; 'servons-nous de la raison, comme d'une clef, non pas pour la tenir toujours fermée, mais pour ne l'ouvrir qu'au temps, convenable. Parfois en effet, le silence est plus utile que la parole, de même que la parole est plus utile que le silence; et aussi le sage disait : « Le temps de se taire, et le temps de parler. » (Eccl. III, 9.) En effet, si les bouches devaient toujours 'être ouvertes, il n'y aurait pas de portes; si elles devaient toujours être fermées, il n'y aurait pas besoin de gardes. A quoi bon garder ce qui est fermé ? Mais, s'il y a des portes et des gardes, c'est pour que nous fassions chaque chose en temps convenable. Maintenant un autre texte dit: « Faites un fléau de balance et un bassin pour votre langue. » (Eccl. XXVIII, 29), demandant par là une attention plus scrupuleuse; il ne suffit pas de faire entendre les paroles nécessaires, il faut de plus les produire avec circonspection, avec une réflexion attentive, les peser, pour ainsi dire, avec lu plus grand soin. Ce que nous faisons pour l'or, pour une matière périssable, faisons-le bien plus encore pour les paroles, de manière qu'il n'y ait rien de moins, rien de trop. De là ce que dit le sage : « Ne retenez pas la parole dans le temps salutaire. » (Eccl. IV, 28). Voyez-vous qu'il y a un temps où il convient que la parole sorte; un autre texte, indiquant le moment du silence, dit: « S'il faut parler , répondez, sinon que votre main soit sur votre bouche. » (Ibid. V, 14.) Et encore: « Celui qui abonde en paroles, sera détesté (Ibid. XX, 8) ; » et encore : « Mieux vaut l'homme qui cache sa sottise, que l'homme qui cache sa sagesse. » (Ibid. XX, 33.) Avez-vous entendu des paroles? « qu'elles meurent en vous, rassurez-vous, elles ne vous feront pas éclater. » (Ibid. XIX, 10.) Autre texte: « Pressé par la parole, l'insensé accouchera, comme pressée par l'enfant, celle qui enfante. » (Ibid. XIX, 11.) Ensuite, parlant de la mesure : « Parle, jeune homme , s'il te faut parler, au plus deux fois; si l'on t'interroge, résume en peu de mots beaucoup de choses. » (Ibid. XXXII, 10, 11.) Il faut beaucoup d'attention. pour manier la langue avec circonspection et sécurité. Aussi, le sage dit encore: « Il y a des réprimandes qui ne sont pas à propos, et il y a un silence qui est de la sagesse. » (Ibid. XIX, 28 ; XX, 5.) Car il lie suffit pas de se taire, ni de parler à propos; il faut encore y joindre beaucoup de grâce. De là, ce que disait Paul : « Que toutes vos paroles soient toujours accompagnées de grâce et assaisonnées du sel de la sagesse, en sorte que vous sachiez comment vous devez répondre à chacun. » (Colos. IV, 6.) Pensez que c'est l'organe qui nous sert à nous entretenir avec Dieu, à célébrer ses louanges; par cet organe, nous recevons la victime redoutable. Les fidèles comprennent nos paroles; voilà pourquoi il convient que la langue soit pure de toute accusation, de toute parole mauvaise, honteuse, calomniatrice; si quelque pensée impure nous agite, avec violence , étouffons-la au dedans de nous-mêmes, ne souffrons pas qu'elle se produise en (256) paroles. Si l'impatience, qui n'est qu'une faiblesse de l'âme, vous expose à quelque fâcheux éclat, il faut dessécher cette racine, tenir la porte bien fermée, la garder avec soin ; il ne faut pas laisser naître les pensées mauvaises; si elles naissent, il les faut étouffer à l'intérieur, il en faut dessécher la racine. 5. Cette garde, Job sut la faire; aussi ne proféra-t-il aucune parole mal sonnante. Le plus souvent il gardait le silence, et, quand il lui fut nécessaire de parler avec sa femme, il fit entendre les paroles de la sagesse. Car, la seule raison de parler, c'est que les paroles sont plus utiles que le silence. Voilà pourquoi le Christ aussi disait : « Les hommes rendront compte au jour du jugement de toute parole inutile (Math. XII, 36) ; » et Paul : « Que des paroles impures ne sortent pas de votre bouche. » (Ephés. IV, 29.) Et maintenant, le moyen de faire bonne garde à la porte, de n'avoir rien à se reprocher ? écoutez un autre texte : « Que toute explication, donnée par vous, soit selon la loi du Très-Haut. » (Eccl. IX, 23:) Car, si vous avez pour habitude de ne faire entendre aucune parole inutile; si votre pensée et votre bouche se retranchent toujours clans les récits de la sainte Écriture, ce sera pour vous une garde plus solide que le diamant. De la bouche, partent un grand nombre de chemins qui conduisent à la mort : telles sont les paroles honteuses, les basses plaisanteries, les discours de la vaine gloire, de la jactance, et de l'orgueil. Ainsi le Pharisien, pour n'avoir pas fermé la porte de sa bouche, perdit, par quelques paroles, tout ce qu'il avait chez lui. Il était comme un homme dont la maison n'a pas de porte : il y avait un trésor à l'intérieur,. il n'a pas su le garder, et tout à coup il est devenu pauvre. Considérez encore ici un autre orgueilleux, qui s'est perdu de même, par des paroles superbes. C'est celui qui disait. « Au-dessus des astres du ciel, j'établirai mon trône. » (Is. XIV,13.) Et maintenant les Juifs, pour s'être réjouis des maux du prochain, s'entendent appliquer ces,paroles « Parce que tu as dit, c'est bien , Israël est devenu comme les autres nations. » Et maintenant ils sont couverts d'opprobre; ce qui fait qu'ils murmurent, et disent: « Tous ceux qui font le mal, passent pour bons aux yeux du Seigneur, et ils lui sont agréables; et nous, nous regardons les étrangers comme heureux; et voici que l'on rétablit ceux qui font les crimes. Ne les voyez-vous pas inscrits dans le livre? » (Mal. II, 17 ; III, 15.) D'autres se perdent pour leurs murmures, comme dit Paul : « Ne murmurons point, comme murmurèrent quelques-uns, qui ont été frappés de mort par l'ange exterminateur. » (I Cor. X, 10.) Et quand donc murmurèrent-ils ? quand ils disaient: « Vous nous avez amenés ici, pour nous faire mourir dans la solitude, comme s'il n'y avait pas de sépulcres dans l'Égypte. » (Exod. XIV, 11.) D'autres, par les. frivoles plaisirs, comme dit l'Écriture : « Ils ont mangé, et ils ont bu, et ils se sont levés ensuite pour jouer. » (Exod. XXXII , 6.) D'autre, par leurs paroles de malédiction « Car quiconque dit à son frère, insensé, méritera d'être condamné par le jugement « (Math. V, 22) ; » et d'autres encore, en bien plus grand nombre, par d'autres péchés, ont trouvé la mort; ils n'avaient pas mis une garde à leurs lèvres. Et maintenant voulez-vous la preuve que quelques-uns sont morts pour avoir gardé un silence intempestif ? la voici : « Si vous n'avertissez pas le peuple, il mourra dans son péché, mais je vous redemanderai son sang. » (Ezéch. III, 20.) Un autre se perd parce que, sans aucune circonspection, il parle et révèle les secrets qui lui sont confiés : «Gardez-vous,» dit le texte, « de donner les choses saintes aux chiens, et ne jetez point vos perles devant les pourceaux. » (Math. VII, 6.) Un autre se perd par le rire; de là ces paroles : « Malheur à vous qui riez, parce que vous pleurerez ! » (Luc, VI, 25.) Voyez-vous, comme la bouche vous perd? voyez maintenant comment elle sauve, par des paroles contraires. Vous avez vu le pharisien perdu par sa bouche, voyez le publicain sauvé par sa bouche. Vous avez vu le châtiment du barbare orgueilleux et plein de jactance. Voyez l'homme juste, qui parle avec mesure et qui dit: « Je ne suis que poudre et que cendre (Gen. XVIII, 27) ; » vous avez vu l'homme qui se réjouit du mal d'autrui, repris et puni, voyez celui qui compatit, sauvé. En effet, dit l'Écriture, « Mettez un signe sur le visage des hommes qui pleurent et qui gémissent. » (Ezéch. IX, 4.) Voilà pourquoi Paul aussi disait : « Se réjouir avec ceux qui se réjouissent, et pleurer avec ceux qui pleurent. » (Rom. XII, 15.) Si vous ne pouvez , faire plus, dit-il, vous n'apporterez pas une faible consolation à l'affligé, en vous affligeant (257) avec lui. Vous avez vu le rieur, livré aux gémissements , voyez maintenant celui qui pleure, consolé. En effet, « bienheureux ceux qui pleurent, » dit le Sauveur, « parce qu'ils a seront consolés ! » (Matth. V, 5.) Vous avez vu que ceux qui murmurent sont punis, voyez maintenant comment ceux qui rendent dos actions de grâces sont sauvés : « Vous êtes béni, Seigneur, et il faut louer votre nom, parce que votre justice s'est montrée dans tout ce que vous nous avez fait. » (Dan. III, 26, 27.) Et un peu plus bas : « Toutes les choses que vous avez montrées parmi nous, vous les avez faites avec sagesse. » (Ibid. 28.) Ces Juifs disaient : « Tous ceux qui font le mal , passent pour bons aux yeux du Seigneur; » au contraire, ceux-ci répétaient : « Vos yeux sont purs, pour ne point souffrir le mal. » (Habac. I, 13.) Ces Juifs trouvaient les étrangers heureux, parce que ceux qui font les crimes sont rétablis, disaient-ils ; le Psalmiste, au contraire , proclame le bonheur de ceux à qui Dieu accorde son secours : « Heureux, » dit-il, « le peuple qui a le Seigneur pour son Dieu (Ps. CXLIII, 15) ; et encore : « Gardez-vous de porter envie aux méchants et n'ayez point de jalousie contre ceux qui commettent l'iniquité. » (Ps. XXXVI, 4.) Avez-vous vu les saints, donnant aux autres de bons conseils, et demeurant eux-mêmes inébranlables au milieu des tentations ? Ecoutez Jacob : « Si Dieu me donne du pain pour me nourrir et un vêtement pour me vêtir (Gen. XXVIII, 20); » et Abraham : « Je ne recevrai rien de vous, depuis un fil jusqu'à un cordon de soulier. » (Gen. XIV, 23.) Or, quand il voyait son épouse menacée d'un outrage, et quand il souffrait de la famine, il ne fit entendre aucune parole déplacée. Et, quand son fils lui dit : « Mon père, voici le bois et le feu, où est donc la brebis (Gen. XXII , 7) ? » voyez la douceur et la sagesse de la réponse : « Dieu verra la brebis qu'il lui faut, mon fils. » Ni la nature, ni la pitié ne troublent le langage qu'il tient à son fils dans ce tête-à-tête, où ils étaient seul à seul ; et cela, quand tout conspirait à rendre plus violent en lui l'amour paternel. Et qu'on ne dise pas, que c'est la crainte des autres qui a retenu ses larmes; loin de tout témoin, seul, il montre la solide vigueur de la sagesse. 6. Vous avez vu ceux à qui leurs rires ont attiré des châtiments , voyez maintenant ceux que leurs pleurs et leurs jeûnes ont sauvés, pensez aux Ninivites. (Jon. III.) Vous avez vu ceux qui, par leurs malédictions, se sont attiré des supplices. Considérez ceux qui, pour leurs paroles de bénédiction, ont reçu des récompenses : « Celui qui te bénit est béni et qui te maudit est maudit. » (Nombr. XXIV, 9.) « Bénissez ceux qui vous persécutent; priez pour ceux qui vous outragent, afin que vous soyez semblables à votre Père qui est dans les cieux. » (Matth. V, 41, 45.) Comprenez-vous bien qu'il ne faut être ni toujours fermé, ni ouvert pour toutes choses, mais savoir distinguer les temps? Voilà pourquoi le Psalmiste dit : « Mettez, Seigneur, une garde à ma bouche et à mes lèvres , une porte qui les ferme exactement. » Maintenant, quelle sera cette garde, sinon la pensée redoutable qui montre le feu réservé à ceux dont la bouche est indiscrète. Placez à votre porte le gardien armé des menaces de la conscience, jamais il n'ouvrira cette porte à contre-temps, il saura toujours l'ouvrir à propos pour votre utilité, pour vous assurer des biens innombrables. De là, ce que dit un sage : « Ayez toujours présente à la pensée votre fin dernière et vous ne pécherez jamais. » (Eccl. VII, 40.) Voyez-vous comme ici encore c'est la même pensée? Pour moi, je la fais plus terrible encore, en conseillant d'envisager non-seulement la mort, triais encore ce qui suit la mort. Qu'il en soit ainsi et aucune souillure ne naîtra dans l'âme. Après le Psalmiste, écoutez celui qui, à son tour, nous dit : « De toutes paroles oiseuses, tu rendras compte au jour du jugement.» (Matth. XII, 36.) Considérez encore que c'est par là que la mort est entrée dans le monde. Si en effet, la femme n'avait pas eu d'entretien avec le serpent; si elle n'avait pas accueilli ses paroles, il ne lui aurait fait aucun mal, elle n'aurait pas donné le fruit à son mari, celui-ci ne l'aurait pas mangé. Ce que je dis, ce n'est pas pour accuser la bouche ni la langue ; loin de moi cette intention, mais ce qu'il faut accuser, c'est l'abus, et l'abus vient du relâchement de la pensée. Il y a encore une autre voie de perdition dans la bouche , je parle des baisers honteux, impurs, ou de ceux que donnent la perfidie et la trahison. Mettez aussi une garde pour les prévenir: tel était le baiser de Judas, baiser perfide. Ce n'est pas là ce que Paul recommande, lorsqu'il prescrit aux frères de se donner le baiser mutuel : « Saluez-vous les uns les autres par un saint baiser. » (258) (II Cor. XIII, 12.) Tel n'était pas non plus le baiser de David à Jonathas, saint et chaste baiser, plein d'une affection sincère (I Rois, XX, 41) ; saints baisers encore, ceux qui tombèrent sur le cou de Paul, lorsque tes frères, se jetant sur lui, le traitaient. (Act. XX, 37.) Voilà pourquoi le Psalmiste dit : « Mettez, Seigneur, une garde à ma bouche et une porte; » et il ne se contente pas de dire « une porte, » mais : « Une porte qui la ferme exactement, » ajoute-t-il, qui soit une muraille pour la contenir et la fortifier. Ce n'est pas tout, il y a encore un autre genre de perdition par la langue, lorsque l'on dit : pourquoi ceci? dans quel but cela ? Voilà pourquoi Paul, réprimandant ceux qui tiennent. ce langage irréfléchi : « En vérité, » dit-il, « ô homme, qui êtes-vous pour contester avec Dieu ? » (Rom. IX, 20.) Mais il ne suffit pas de mettre une garde à la bouche, c'est à la pensée qu'il en faut mettre une, avant de garder la bouche ; aussi un sage a-t-il dit : « Qui donnera des verges à ma pensée, pour fustiger mon ignorance ? » (Eccl. XXIII, 2.) Et le Christ de son côté supprime au dedans de nous les pensées mauvaises, en disant : « Quiconque aura regardé une femme avec un mauvais désir, a déjà commis l'adultère. » ( Matth. V, 28.) Voyez-vous comme il ne laisse pas aux passions le temps de germer; comme il supprime, dès la racine, et la concupiscence et la colère? « Quiconque, » dit-il, «se mettra en colère; contre son frère, méritera d'être condamné au feu de l'enfer. » (Ibid. 22.) Ce n'est pas non plus un faible garant de sécurité, que d'être sobre de paroles; de là, ce que dit lEcriture : « La multitude des paroles ne sera point exempte de péché, mais celui qui est modéré dans ses discours, est très-prudent; ne portez point mon coeur à des paroles de malice, pour chercher des excuses à mes péchés (4). » Un autre texte: « Ne troublez point mon coeur par des discours mauvais, de manière qu'il conçoive des pensées criminelles. » Pourquoi l'ordre naturel est-il interverti ? Pourquoi parle-t il de la bouche d'abord avant de parler de la pensée? Ce n'est pas au hasard ni airs dessein qu'il procède ainsi. En effet, lorsque des prisonniers veulent s'enfuir, ceux qui sont chargés de les garder commencent par semparer des portes de la prison. C'est là, pour tous les geôliers, les premier soin ; une fois cette précaution prise, le reste est facile. De même ici le Psalmiste fait chaque chose en son temps, et les conseils qu'il donne reviennent à ceci : Que les portes soient closes et l'on aura bit,n vite raison des mauvaises pensées. Voilà pourquoi, dès le principe, il ne leur permet pas d'entrer venant du dehors; puis il arrache la mauvaise racine en disant: « Ne portez point mon cur à des paroles de malice. » Ce n'est pas que Dieu y porte le coeur, loin de nous cette pensée; mais ce qu'il dit doit s'entendre ainsi : Ne souffrez point que mon coeur se porte, ne souffrez point qu'il se détourne vers de mauvaises pensées. C'est là, en effet, qu'est la source de la vertu ou de la corruption, dans le coeur. Quelles sont les paroles de malice? nombreuses et diverses; il y a les paroles perfides, celles qui accusent Dieu, celles qui détournent de la vertu, celles qui recherchent le vice, celles qui développent des doctrines funestes, qui racontent les moeurs coupables et que l'on écoute avec plaisir. Ces paroles et les autres du même genre sont les paroles de malice; et comme il y a les pensées et les discours de malice, de même il y a les paroles de vie. Voilà pourquoi les disciples disaient au Christ : « Vous avez les paroles de la vie éternelle, à qui irons-nous? » (Jean, VI, 69.) Or, les paroles de vie sont celles qui donnent la vie ; on les appelle aussi les paroles du salut, parce qu'elles procurent le salut. De là, ce que dit un sage : « N'empêchez pas le discours dans !e temps du salut. » (Eccl. IV, 28.) Les paroles de malice, sont, en outre, tes paroles qui font des pervers de ceux qui les prononcent. 7. Il y a un air pestilentiel et qui engendre les maladies; il y a de même des paroles funestes. Le mal que cet air fait au corps, ces paroles le font à l'âme qui les reçoit. Le Psalmiste adresse donc à Dieu cette prière par les paroles qu'il ajoute, comme nous l'avons vu : ne souffrez pas que mon cur accueille des paroles de ce genre; ne permettez pas qu'il se. porte vers ces discours. Voyez-vous bien comme il montre ici la liberté propre à notre, âme, l'innocence propre à notre nature? elle n'a pas le vice en elle, mais c'est par négligence qu'elle incline au vice et l'accueille. « Pour chercher des excuses à mes péchés. » Voilà la grande route de la perdition, quand, l'âme pécheresse, bannissant la crainte, s'ingénie à trouver des excuses et des prétextes pour couvrir sa lâcheté ; c'est ce qui arrive quand un homme a commis un adultère et (259) qu'un autre l'engage à secouer les remords, et lui dit : est-ce ta faute? la faute, c'est à l'amour. C'est un malheur assurément que le péché, mais ce qui rend ce malheur plus terrible, c'est, après avoir commis le péché, de dire qu'il n'y a pas de péché. Voilà les armes les plus efficaces du démon ; c'est ce qui est arrivé à nos premiers parents : Adam aurait dû avouer son péché ; il le rejeta sur Eve ; Eve s'en prit au démon. (Gen. III.) Il fallait dire : nous avons péché; nous avons enfreint la loi; ces malheureux non-seulement n'avouent pas, mais encore ils composent une défense. Le démon savait bien que la confession du péché était l'affranchissement. du péché, et il leur persuada de payer d'impudence. Eh bien! toi, mon bien-aimé, quand tu auras péché, dis : j'ai péché. Rien de plus légitime que cette manière de se défendre; par là, tu te rends Dieu propice ; par là, tu obtiens encore de retomber moins vite dans les mêmes fautes. Si tu cherches, au contraire, de vains prétextes pour affranchir ton âme de ses craintes, tu ne fais que lui ménager une rechute plus facile dans les mêmes liens du péché, et tu irrites la colère de Dieu. Est-il un pécheur qui ne trouve, pour ses fautes, une excuse effrontée? le meurtrier s'en prend à la colère; le voleur, à la pauvreté ; l'adultère, à l'amour, set un autre, au pouvoir qui l'aurait contraint. Excuses insensées, raisonnements sans raison. Ces choses, ne font pas les péchés ; les seules causes des péchés ce sont les âmes des pécheurs. Et la preuve, je l'emprunte aux conséquences qui résultent nécessairement, de la disposition des âmes. Voici un homme, dont la vie se passe dans la pauvreté ; il a des désirs, il est soumis aux nécessités de la nature, et cependant il s'abstient du péché ; quelle excuse les autres allégueront-ils encore ? Voilà pourquoi le sage dit si bien : « Qui donnera des verges à ma pensée, pour fustiger mon ignorance ? » (Eccl. XXIII, 2.) Voyez David; il ne s'excuse pas après son péché ; il dit: « J'ai péché envers le Seigneur. » (II Rois, III, 13.) Or il aurait pu dire : pourquoi cette femme était-elle nue ? pourquoi se baignait elle devant moi ? mais il savait bien que ce sont là de frivoles excuses, qu'il n'y a là aucune raison ; aussi arrive-t-il à la seule excuse possible, il dit : « J'ai péché. » Saül ne fit pas de même; quand on le réprimandait au sujet de la femme ventriloque, il disait : « Je suis réduit à l'extrémité, les étrangers me font la guerre. » (I Rois, XXVIII, 15.) Aussi le supplice de Saül fut terrible. Il aurait dû dire : j'ai péché, j'ai désobéi à la loi ; ce n'est pas là ce qu'il dit. Mais il allait, venait, cherchant des excuses insensées, « Comme les hommes qui commettent l'iniquité. » Le Psalmiste ajoute ces paroles, pour montrer que cest là ce qui les distingue, les excuses impudentes; et voilà pourquoi David conseille, avec autant d'assiduité qu'il recommande la vertu, de fuir les réunions de ces hommes. Et, de tout le livre des psaumes, la première parole est pour dire : « Heureux l'homme qui ne s'est point laissé aller à suivre le conseil des impies, qui ne s'est point arrêté dans la voie des pécheurs, qui ne s'est point assis dans la chaire de ceux qui sont corrompus ! » (Ps. I, 1.) Et voilà pourquoi vous le trouverez lui-même confessant toujours ses péchés. Ainsi, après avoir fait le dénombrement du peuple, il disait : «C'est moi qui ai péché, « c'est moi qui suis le pasteur , et qui suis « coupable. » (II Rois, XXIV, 7.) Il ne dit pas quel mal ai je fait en dénombrant le peuple? mais il se condamne lui-même, et il obtient le pardon pour tout le peuple, En effet, rien ne nous rend Dieu plus propice que la confession des péchés, et nous la ferons toujours si nous fuyons la société de ceux qui affranchissent de toute crainte les consciences coupables et les jettent dans le relâchement. Voilà pourquoi Paul et Jérémie reviennent souvent sur ce sujet, et tous les deux nous donnent le conseil de fuir !a société des méchants, et de; ceux qui négligent la vertu. Job aussi met cette conduite au rang des vertus : « Si j'ai marché, » dit-il, « avec ceux qui pratiquent la dérision. » (Job, XXXl, 5.) Pour le Psalmiste, il montre de plus, qu'il ne s'est pas même assis au milieu d'eux : « Je ne me suis point assis dans l'assemblée de ceux qui plaisantent. » Voilà pourquoi Paul à son tour ne veut pas que l'on prenne ses repas avec les méchants et défend tout commerce avec eux: « Si quelqu'un n'obéit pas à ce que nous ordonnons par notre lettre, notez-le et n'ayez point de commerce avec lui. » (II Thess. III, 14.) « Pour moi, je ne communiquerai pas avec les meilleurs d'entre eux. » Un autre texte « Je ne veux pas manger de leurs mets agréables ; » un autre texte : « Je ne veux pas prendre ma part de leurs délices. » Dans ce (260) passage le Psalmiste donne le même conseil que l'Apôtre : il recommande de fuir les délices, les banquets de ces méchants; c'est là surtout que le péché s'aggrave; c'est là que s'accroît la licence. 8. Ce n'est has une faible marque de la vertu, ce n'est pas un médiocre moyen de correction que de fuir les banquets de ce genre , de pareilles assemblées, de ne pas tenir à de pareilles amitiés, de ne pas se faire l'esclave de son ventre, au risque de briser le nerf de l'âme , de frapper d'engourdissement le ressort de la sagesse. C'est pour avoir ménagé l'amitié , qu'un grand nombre s'engloutissent dans les flots de l'ivresse, qu'un grand nombre se laissent prendre à la fornication , s'embrasent du feu des voluptés, conséquences funestes des banquets et des théâtres, où pullule l'iniquité. Le Psalmiste montre aussi qu'il n'a pas voulu s'asseoir à ces tables impures: « Que le juste me reprenne et me corrige avec charité, mais que l'huile du pécheur ne graisse point ma tête (5).» Autre texte: « Que le juste me plaigne dans sa miséricorde et me reprenne.» Ajoutez encore cette disposition à la première; ce n'est pas une petite vertu que de savoir accepter les réprimandes adressées par les hommes justes. Or, ce que dit le Psalmiste, revient à ceci: il en est qui parlent pour vous faire plaisir, et qui vous perdent: je ne veux jamais me trouver dans leurs assemblées; mais ceux dont la sévérité vous corrige , vous découvre vos fautes , vous reprend , voilà ceux que je veux choisir. Et en effet, la plus grande marque de la miséricorde et de l'affection, c'est de guérir les blessures: « Mais que l'huile du pécheur ne graisse point ma tête. » Voyez-vous quelle âme affermie dans la vertu ? Elle supporte avec plaisir les réprimandes des hommes justes , mais elle repousse les flatteries de ceux qui transgressent la loi. Pourquoi? c'est que souvent la compassion même de ces hommes est mortelle ; les autres, par la véhémence de leurs réprimandes et de leurs reproches, vous corrigent, et, au blâme qu'ils vous adressent, se joint la compassion; la compassion des autres, au contraire, c'est la mort. Voilà pourquoi un sage a dit: « Les blessures faites par les amis valent mieux que les baisers offerts par les ennemis. » (Prov. XXVII, 6.) Considérez maintenant ce que signifie cette parole de l'Apôtre : « Reprenez , gourmandez, exhortez. » (II Tim. IV, 2.) Telle est en effet, la réprimande des saints. C'est ce que font aussi les médecins; non-seulement ils coupent, mais de plus ils pansent. C'est pourquoi le Christ de son côté, pour faire que la réprimande soit acceptée, ne souffre pas qu'elle soit a d'abord publique ; il dit : « Allez lui représenter sa faute en particulier. » (Matth. XVIII,15.) C'est aussi la conduite que tenait Paul, unissant la réprimande à la miséricorde, tantôt disant : « O Galates insensés (Gal. III, 1) ! » tantôt : « Mes petits enfants , pour qui je sens de nouveau les douleurs de l'enfantement. » (Galat. IV, 19.) Il faut en effet que celui qui reprend , invente mille moyens pour rendre sa ! réprimande acceptable; il faut une grande,, adresse pour administrer ce remède , et il en faut plus assurément à celui qui réprimande, qu'à celui qui coupe les chairs. Pourquoi? y C'est que, d'un côté , ce que l'on coupe est différent de ce qui ressent la douleur; ici. au contraire, c'est la même substance qui est coupée et que la douleur atteint. « Mais que l'huile du pécheur ne graisse point ma tête. » Qu'est-ce à dire? Le pécheur, dit-il, ne recherche point l'intérêt de celui qui l'écoute, mais son intérêt à lui : il veut paraître plein de douceur, d'agrément et d'affection. Le juste, au contraire, préfère au plaisir d'être agréable , l'utilité d'autrui. De là, entre les deux, la plus grande différence. Et maintenant, sils compassion même du méchant doit être repoussée, quand donc faut-il l'admettre près de soi? Jamais. Aussi, quand même il vous fournirait de l'argent; quand même il vous ? promettrait plaisirs délicieux et honneurs, repoussez le méchant, fuyez-le; suivez le juste, au contraire, même quand il vous raille, même quand il vous réprimande , car voilà celui qui vous aime. « Car ma prière subsistera pendant leurs plaisirs. » Un autre texte: « au milieu de leurs vices; » un autre texte: «dans leurs perversités. » Il s'agit ici de ce qu'il demande; tout à l'heure il était question de ce qu'il tire de lui-même. Et par là, il nous montre qu'il ne suffit pas de prier avec confiance, pour ne rien faire et s'endormir, mais qu'il faut, de plus, agir, personnellement. Or , ici, qu'apporte-t-il de lui-même? il n'apporte pas des brebis, des boeufs, des sommes d'argent, mais la pureté des moeurs et l'extrême attention à fuir les pervers. Non-seulement , dit-il, je fuirai leurs pernicieuses flatteries, je n'accepterai pas leurs (261) réprimandes, mais, de plus, je m'opposerai à leurs convoitises. Tant s'en faut que j'accepte leur compassion, qu'au contraire j'opposerai ma prière à leurs désirs; car c'est là ce que signifie cette expression : « Ma prière subsistera pendant leurs plaisirs. Leurs juges ont été précipités, absorbés, contre la pierre. » Un autre texte: « Seront brisés dans une main de pierre (6). » Le Psalmiste montre ici combien il est facile d'exterminer le péché, comme le vice est près du gouffre. Les chefs mêmes, dit-il, qui dévastaient tout, ont péri. Et maintenant, il ne dit pas, ont péri, mais : « Ont été absorbés , » montrant par là qu'il ne reste plus d'eux aucune trace; c'est ce qu'il dit encore de l'impie. « J'ai passé , il n'était plus ; je l'ai cherché , et je n'en ai plus trouvé la place. » (Ps. XXXVI, 36.) Qu'est-ce à dire, « Contre? » C'est-à-dire « auprès. » Ces paroles reviennent à ceci : De même que la pierre jetée dans la mer ne reparaît plus, ainsi leur prospérité s'abîme, ne reparaît plus. C'est une destruction complète. Si vous voulez , voici ce qu'il dit. C'en est fait absolument de leur nom, de leur gloire , ou encore : de leur force, de leur puissance, si solidement établie. C'est là en effet ce que signifie le second texte : « Ils seront brisés dans une main de pierre. Ils écouteront mes paroles , parce qu'elles sont a devenues agréables. » Un autre texte. « Parce qu'elles sont puissantes; » un autre texte : « parce qu'elles sont fortifiées d'une garde puissante; » un autre texte : « Parce qu'elles sont devenues recommandables par l'apparence; » c'est-à-dire, l'expérience leur apprendra la douceur de mes exhortations et de mes conseils: comment cela? c'est le fruit de la réprimande des justes, et leur enseignement apporte un grand plaisir. 9. Telle est en effet la vertu : pour une peine d'un instant qu'elle demande, elle procure un bien-être sans fin. «Comme une terre compacte que l'on rompt et que l'on répand sur le champ, nos os ont été brisés et dispersés le long du sépulcre. » Un autre texte: « De même qu'il arrive, quand le laboureur fend la terre, ainsi nos os ont été brisés à la bouche de l'enfer; » un autre texte : « De même que le fer qui brise et découpe la terre, nos os ont été brisés dans l'enfer; » un autre texte : « De même que celui qui s'entend à cultiver et à creuser la terre, nos os ont été brisés près de l'enfer (7).» Après avoir dit que ses paroles renferment le vrai plaisir, il rappelle les antiques calamités. Quoique nous ayons, dit-il, souffert les derniers malheurs, comme une terre déchirée, labourée, creusée; quoique nous ayons été tous dispersés, que nous ayons péri, que nous soyons arrivés aux portes mêmes de la mort, cependant, même ainsi traités, nous préférons la réprimande et la correction des justes à la compassion des pécheurs. En effet, quoi qu'il nous soit arrivé, nous sommes suspendus à l'espérance qui nous vient de vous, et rien ne nous arrivera qui puisse nous empêcher de regarder vers vous. Ce qui fait qu'il ajoute: « Parce que vers vous, Seigneur, Seigneur, se sont élevés mes yeux; j'ai espéré en vous, ne m'ôtez pas la vie (8). » Malgré, dit-il, les calamités sans nombre qui fondent sur nous, malgré les guerres, malgré les batailles, malgré les morts, malgré les portes de l'enfer, nous ne lâchons pas lancre sainte, nous nous attachons à l'espérance que vous combattrez avec nous, et, répudiant les armes et les combats, nous espérons la délivrance qui nous viendra de votre secours. « C'est en vous que j'ai espéré, ne m'ôtez pas la vie. » Autre texte : « Ne rendez pas vide ma vie, » c'est-à-dire ne souffrez pas que je m'en aille sans avoir rien fait. » « Gardez-moi du piège qu'ils m'ont dressé et des embûches de ceux qui commettent l'iniquité (9). » Il ne parle pas ici seulement des haines déclarées, mais des perfidies secrètes, cachées, difficiles à observer, à connaître, dont on ne peut se préserver que par le secours d'en-haut. Et maintenant, il termine son discours par la prière qui l'a commencé; il montre que, pour ce qui dépend de lui, il l'apporte, l'espérance en Dieu, des regards tournés sans cesse vers Dieu, l'aversion pour la société des méchants, la haine des désirs coupables, et maintenant, il attend de Dieu la force, le secours qui fait supporter facilement ce qui est le plus insupportable, et rend supérieur à tout. Voilà en effet, ce qui forme le tissu complet de la vertu ; notre zèle d'une part, d'autre part, le secours de Dieu. « Les pécheurs tomberont dans le filet, pour moi, je suis seuil jusqu'à ce que je passe (10). » Dans quel filet tomberont-ils? Dans le filet de Dieu; c'est-à-dire, ils seront vaincus, ils seront pris. En effet, le propre des justes est de se redresser, de voir leur sagesse se ranimer; les pécheurs, au contraire, dont le mal est sans remède, vont (262) jusqu'au châtiment, jusqu'au supplice: «Pour moi, je suis seul jusqu'à ce que je passe. » Autre texte: « Ensemble avec moi, jusqu'à ce que je passe; » autre texte: « Concentré en moi-même; » c'est-à-dire, je suis un tout compacte, bien uni,non dispersé; si vous voulez, comme l'entendent les Septante, loin des méchants, pur de tout commerce avec eux, et comme vivant seul, ce qui est la plus haute vertu. Et maintenant, ce n'est pas pour lui la conduite d'un, de deux ou de trois jours, mais de sa vie tout entière. Voilà le mur inexpugnable, voilà la forteresse; c'est là ce qui fait grandir la vertu, fuir les méchantes, se ramasser sur soi-même, et se tenir ainsi replié tant que dure la vie, et, loin des corrupteurs, vivre dans la solitude. La solitude ne consiste pas à être seul; elle réside dans l'âme, que possède l'amour et le zèle de la sagesse. C'est ainsi qu'au milieu des villes, des places publiques, de tous les bourdonnements du dehors, on peut être des hommes de solitude lorsqu'on fuit les assemblées corrompues, lorsqu'on se joint aux assemblées des justes. Voilà la route où l'on ne bronche pas. Donc, que celui qui est propre à corriger les autres, vive avec ceux qui sont capables de recevoir le remède, et les rende meilleurs ; que le faible s'enfuie loin des méchants, afin de n'en souffrir aucun dommage. C'est ainsi que la. vie présente se passera polir lui dans la sécurité, dans la sûreté, et qu'il obtiendra les biens à venir. Puissions-nous tous les posséder, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et l'empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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