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EXPLICATION DU PSAUME CXI. 1. « HEUREUX L'HOMME QUI CRAINT LE SEIGNEUR. »
ANALYSE.
1. De l'amour pour les commandements de Dieu.
2. Bonheur du juste, même ici-bas.
3. La justice de Dieu. preuve de l'antre vie.
4. En quel sens il est écrit que le Juste ne sera pas ébranlé.
5. Fondement de la constance du Juste. Que l'aumône est un placement.
6. Condition terrestre du méchant opposée à celle de l'homme juste et charitable.
1. Le début de ce psaume me paraît se rattacher étroitement à la fin du précédent, de sorte que ces deux psaumes forment pour ainsi dire un seul corps et une suite non interrompue. Le Psalmiste dit dans le précédent: « La crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse. » Il dit ici: « Bienheureux l'homme qui craint le Seigneur; » les mots sont différents, mais le sens reste le même c'est toujours un avertissement de craindre le Seigneur. Là, il donne à celui qui le craint le nom de sage: ici il l'appelle heureux : tel est le vrai bonheur, tandis que tout le reste n'est que vanité , ombres, futilités: tant les richesses que la puissance , tant la beauté que l'argent. On dirait des feuilles qui tombent, des ombres qui passent, des songes qui s'envolent. C'est dans la crainte de Dieu que consiste la vraie félicité. Puis attendu que les démons aussi craignent Dieu et le redoutent, le Psalmiste nous avertit de ne pas croire que cela suffise pour le salut, en faisant ici ce qu'il a fait plus haut. Après ces mots: « La crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse, » venaient les suivants: « Tous ceux qui agissent conformément à cette crainte sont remplis d'une intelligence salutaire; » c'est-à-dire pratique après la croyance: de même ici, après avoir parlé de la crainte , il montre qu'il ne s'agit pas seulement de la crainte qui vient à la connaissance, laquelle existe même chez les démons, en ajoutant ces paroles: « Et qui a une grande affection pour ses commandements. » Par là il exige une conduite parfaite et une âme éprise de la sagesse. Il ne dit pas: Qui accomplira ses commandements, mais : qui a de l'affection pour ses commandement c'est-à-dire qu'il réclame quelque chose de plus. Quoi donc? C'est de les accomplir avec empressement, avec zèle, d'être passionnés pour eux, de les exécuter ponctuellement : de les aimer, non pas en vue de la récompense promise à ceux qui s'y conforment, mais en vue de Celui qui les a promulgués; de (128) pratiquer la vertu avec délices, et non par crainte de l'enfer ni des châtiments qui menacent le vice, non dans l'espérance du royaume promis, mais pour l'amour du législateur. Il en est de même ailleurs encore. Le Psalmiste dit, pour exprimer la joie que lui causent les préceptes divins: « Que vos paroles sont douces à mon gosier ! elles sont au-dessus du miel pour ma bouche. » (Ps. CXVIII, 103.) Paul demande la même chose sous cette forme énigmatique : « Comme vous avez fait servir vos membres à l'impureté et à l'iniquité pour l'iniquité, ainsi maintenant faites servir vos membres à la justice pour votre sanctification. » (Rom. VI, 19.) C'est-à-dire mettez à rechercher la vertu tout l'empressement, toute l'ardeur que vous avez déployée dans la poursuite du vice, laquelle ne vous promettait pourtant, au lieu de couronnes, que des châtiments et des supplices. Néanmoins il prétend encore garder dans sa demande une juste mesure. Car il a soin de dire préalablement: «Je parle humainement à cause de la faiblesse de votre chair, » faisant voir par là qu'il ne faut pas manifester moins de passion pour la vertu qu'on n'en manifeste généralement pour le vice; c'est comme s'il disait: quelle pourrait être l'excuse de ceux qui ne montreraient pas une vertu égale à leur iniquité passée, qui n'auraient pas même pour la vertu l'empressement qu'ils ont eu pour le vice ? Voilà pourquoi notre prophète a dit : « Qui a une grande affection pour ses commandements. » En effet l'homme qui craint Dieu comme il faut, accueillir ses ordres avec beaucoup d'empressement. L'amour qu'il a pour le maître lui fait aimer la loi , quelque rigoureuse qu'elle puisse paraître. Et que personne ne me fasse un crime d'employer ici cet exemple de l'amour. Paul lui-même s'en est servi en disant: « Comme vous avez fait servir vos membres à l'impureté, ainsi faites-les servir à la justice. » L'homme épris d'une courtisane, même insulté, injurié, battu, déshonoré, même chassé de sa patrie, exclu de l'héritage paternel et du coeur de son père , même en butte à des épreuves encore plus redoutables, endure tout avec délices par un effet de son amour déréglé. Eh bien ! si l'on trouve du plaisir dans de telles humiliations, comment ne recevrait-on pas avec délices les ordres de Dieu, ces ordres salutaires et glorieux , qui nous inspirent la sagesse et améliorent. notre âme? Comment y trouverait-on quelque chose de rigoureux? Ce qui fait cette apparente rigueur, ce n'est point la nature même des préceptes , mais bien la tiédeur du vulgaire. Qu'on les reçoive au contraire avec ferveur,. on les trouvera commodes et légers. Aussi le Christ disait-il: « Mon joug est aimable, et mon fardeau est léger. » (Matth. XI, 30.) Et vous allez vous convaincre qu'en effet il en est comme je dis, que c'est la tiédeur du vulgaire qui lui rend pénibles des choses aisées, tandis que la ferveur facilite les plus pénibles. Quand les Juifs avaient la manne pour nourriture , ils se plaignaient, ils souhaitaient la mort: Paul au contraire, en proie à la faim, se réjouissait et tressaillait d'allégresse. Les Juifs disaient: « Notre vie est languissante à cause de la manne. » (Num. XI, 6.) « Nous avez-vous fait sortir pour nous tuer parce qu'il n'y avait pas de sépulcres en Egypte? » (Exod. XIV, 11.) Mais voici comment parlait Paul : « Je me réjouis dans mes souffrances, et accomplis dans ma chair ce qui manque aux souffrances du Christ. » Dans quelles souffrances? La faim, la soif, la nudité et toutes les misères. « Qui a une grande affection pour ses commandements. » Comment cela peut-il se faire? Par une crainte parfaite et un parfait amour de Dieu; par une considération attentive de ce qu'est la vertu: avant d'être couronnée, elle trouve en elle-même sa récompense. Quand vous fuyez l'adultère , l'homicide, songez quel bonheur ce sera pour vous de n'être point condamné par votre conscience, de n'avoir point à rougir devant les autres, de pouvoir jeter sur tout le inonde des regards assurés. Il n'en est pas ainsi de l'adultère : tout le fait frémir et trembler , il redoute jusqu'aux ombres. 2. L'avare, l'envieux, subiront un châtiment pareil. Ce sera tout le contraire pour celui qui sera demeuré exempt de ces vices. «Sa postérité sera puissante sur la terre (2). » Par ce mot de postérité lEcriture désigne souvent non la succession par voie de génération, mais une transmission de vertu. Aussi Paul expliquant la parole « je te donnerai cette terre à toi et à ta postérité, » disait-il « tous ceux qui sont issus d'Israël ne sont pas Israël, et ceux qui appartiennent à la race d'Abraham ne sont pas tous ses enfants: mais c'est en Isaac que sera ta postérité. » (Rom. IX, 6-7.) Ailleurs il dit: « Dans ta race seront bénies (129) toutes les nations. » (Gal. III, 8.) Qu'il ne s'agit pas ici des Juifs, c'est ce que les faits montrent clairement ; ces hommes chargés de malédictions, comment auraient-ils pu procurer des bénédictions à d'autres? Il est question de l'Ég
Pourquoi ce mot « sur la terre. » Pour montrer qu'il en sera ainsi même avant qu'ils partent d'ici-bas, avant qu'ils fassent l'expérience des biens d'en-haut. Car, ainsi que je l'ai dit précédemment, la vertu trouve sa récompense en elle-même, avant d'avoir obtenu sa couronne. Que l'homme dont nous parlons a une postérité puissante, due celui qui a la vertu pour rempart est plus fort que qui que ce soit, les apôtres l'enseignent, les prophètes le montrent. Et le Seigneur fait entendre la même chose en disant: « Quiconque entend mes paroles et les accomplit, sera comparé à un homme sage qui a bâti sa maison sur la pierre. La pluie est descendue et les fleuves ont débordé, et les vents ont soufflé et sont venus fondre sur cette maison, elle n'a pas été renversée, parce qu'elle était fondée sur la pierre. » (Matth. VII, 24-25). Combien de peuples ameutés, de tyrans furieux , combien d'épées, de lances, de traits, de fournaises, d'animaux dévorants, combien de précipices, de mers, combien de complots, de dénonciations, de fourberies n'eurent point à affronter les apôtres : néanmoins rien ne les ébranla, ils furent supérieurs à tout; leur essor les éleva au-dessus de la portée des flèches; ils réussirent même à attirer dans leurs rands ceux qui conspiraient leur perte. En effet, rien n'égale le pouvoir de la vertu ; ni la pierre n'en a la solidité, ni le bronze, la force: le vice, au contraire, est ce qu'il y a de plus vil et de plus faible au monde, quelle que puisse être l'opulence qui l'environne, et l'étendue de son pouvoir apparent. Que si telle est déjà leur force ici-bas, jugez quelle sera dans les cieux la puissance de ces justes. « La génération des hommes droits sera bénie. » La voyez-vous resplendir , trouver de toutes parts des hérauts, des panégyristes, des admirateurs? Et cela, non parmi les premiers venus, mais chez les hommes intelligents. Car pour ceux qui rampent à terre, ils ne sauraient comprendre ses mérites. Ceux qui la loueront, l'admireront, la célébreront principalement , ce seront ceux qui auront conservé un esprit sain. Réfléchissez à ce que doit être un bien dont la possession vous rend l'égal des anges, des apôtres, des -rands hommes que l'on admire : en effet, si tels doivent être ceux qui le célèbrent, on petit juger par lit de ce qu'il est lui-même. « Gloire et richesse sont dans sa maison. » Voilà qu'il passe encore des choses sensibles à celles que l'intelligence peut seule apercevoir. Car l'Écriture appelle richesse la richesse qui consiste dans les bonnes oeuvres, lorsqu'elle dit par exemple : « Faire le bien. être riche de bonnes actions. » (I Tim. VI, 18. ) Telle est en effet la vraie richesse ; l'autre n'est qu'un vain nom sans réalité. Toutefois, si c'est la richesse matérielle qu'on veut voir ici, nous ne serons pas pour cela réduits au silence. Qui fut jamais plus riche, même d'argent, que les apôtres chez qui les biens affluaient comme à torrents ? Tous ceux qui étaient possesseurs de terres ou de maisons les vendaient et en apportaient le prix qu'ils déposaient aux pieds des apôtres. Voyez-vous quelle opulence? les biens de tous étaient à eux, sans qu'ils eussent pour leur part aucun souci : ils en étaient les intendants plutôt que les maîtres. Ceux qui possédaient une propriété y renonçaient pour l'offrir aux apôtres : ils se chargeaient eux-mêmes de la vendre, d'en faire de l'argent, et leur laissaient pleins pouvoirs pour la distribution. De là ces mots de Paul : « Comme n'ayant rien et possédant tout. » (II Cor. VI, 10.) Ce qu'il y a d'admirable,c'est qu'au sein d'une pareille opulence, ils n'étaient point les esclaves de leurs trésors tant de biens n'avaient pas le pouvoir de les asservir. Voilà justement la richesse par excellence, celle qui consiste à n'avoir pas besoin de richesse. « Gloire et richesse sont dans sa « maison. » Il n'est plus besoin d'explication sur ce point. Leur gloire leur venait de Dieu. Car la gloire aussi les suivait selon la divine parole : « Cherchez le royaume de Dieu , et toutes ces choses vous seront données par surcroît. » ( Matth. VI, 33.) Qui jamais inspira plus de respect? On les accueillait comme des anges du Seigneur, on leur apportait des trésors qu on déposait à leurs pieds. Ils étaient plus illustres que ceux dont le front est ceint du diadème. Quel roi marcha jamais au milieu d'une pompe semblable à celle qui (130) accompagnait Paul, partout admiré quand il parlait, quand il ressuscitait les morts, guérissait les malades, mettait les démons en fuite, et cela par le simple contact de ses vêtements? Il faisait de la terre un autre ciel, et amenait tous les hommes à la vertu. 3. S'il en est ainsi sur la terre, songez à la gloire qui attend les mêmes hommes dans les cieux. Qu'est-ce à dire : « Dans sa maison ? » C'est-à-dire avec lui. Quant aux richesses mondaines, elles ne sont pas, à vrai dire, avec celui qui les possède, puisque la possession n'en est jamais assurée : elles sont entre les mains des sycophantes, des flatteurs des magistrats, des esclaves de la maison : voilà pourquoi on les répand de tous côtés, comme si l'on craignait de les garder chez soi : de là tant de surveillance, de précautions parfaitement inutiles, puisqu'il n'est pas de sentinelle qui puisse empêcher la fuite de pareils trésors. « Et sa justice subsiste dans les siècles des siècles. » Un autre traduit : « Et sa miséricorde subsiste dans les siècles des siècles. » Ou il parle ici de la vertu en général, ou, spécialement, de la vertu opposée à l'injustice ; ou encore, si l'on adopte l'autre interprétation, par miséricorde il faut entendre la bonté. Telle est la puissance de la miséricorde . c'est une chose immortelle, impérissable, quine saurait jamais s'éteindre. Toutes les choses humaines sont emportées par le temps : seul, le fruit de la miséricorde subsiste éternellement sans se flétrir : et il n'est pas de conjoncture fâcheuse qui puisse en avoir raison. En vain le corps se dissout, elle lui survit; elle part avant nous pour nous préparer ces gîtes dont parle le Christ en disant : « Dans la maison de mon Père j'ai des gîtes nombreux. » (Jean, XIV, 2.) De sorte qu'en cela encore elle domine de beaucoup les choses humaines, qui sont loin d'avoir la même perpétuité. Nommerez-vous la beauté? la maladie la flétrit, la vieillesse la consume. La puissance ? elle passe de main en main. La richesse, ou tout autre des avantages qui brillent d'un vif éclat dans la vie présente ? ou ils nous quittent de notre vivant, . ou ils nous abandonnent à l'instant de la mort. Il n'en est pas ainsi da fruit de la justice : le temps ne l'altère point, la mort ne le détruit pas; au contraire, il n'est jamais si bien en sûreté qu'une fois à l'abri dans ce port tranquille. « La lumière s'est levée dans les ténèbres pour les hommes droits (4). » Voulant décrire la félicité de l'homme qui craint. Dieu, le Psalmiste énumère jusqu'aux avantages qu'il recueille dans cette vie : par exemple, en disant que ses biens sont impérissables, qu'il jouira de la gloire, qu'il sera supérieur à tous, qu'il verra résister à toutes les attaques ceux qui lui ressemblent par leur vertu et deviennent, à ce titre, ses enfants , qu'au milieu des plus grands embarras, il jouira d'une sécurité parfaite. Voilà ce qui signifie : « La lumière s'est levée dans les ténèbres pour les hommes droits. » Dieu fera briller la lumière au milieu de l'obscurité en faveur des hommes ainsi disposés, de ceux qui marchent droit. Qu'est-ce à dire dans les ténèbres ? Cela signifie que même dans les tribulations, la détresse, les tentations, Dieu les comblera subitement de joie. C'est ce que Paul indique en disant : « Je ne veux pas que vous ignoriez, touchant la tribulation qui nous est survenue en Asie, que le poids en a été excessif et au-dessus de nos forces , au point que nous étions las de vivre. » Voilà les ténèbres. « Mais nous, nous avons reçu en nous-mêmes l'arrêt de la mort, afin que nous ne mettions pas notre confiance en nous, mais en Dieu qui ressuscite les morts, qui nous a délivrés de si grands périls. » (II Cor. C, 8-10 .) Voyez-vous la lumière qui se lève ? Vous pouvez observer la même chose au sujet des trois enfants. Ils s'attendaient à être brûlés , et une rosée pure tomba sur eux. De même pour Daniel et les autres prophètes. Que si quelqu'un veut voir ici une autre figure, il la trouvera justifiée par ce qui s'est passé dans le monde. Les ténèbres couvraient la terre et l'océan, lerreur était partout répandue : alors, d'en-bas se leva le Soleil de la justice. En effet, comme les hommes d'alors, oubliant le ciel, cherchaient Dieu sur la terre, c'est là qu'il leur apparut dans sa condescendance pour leur faiblesse, afin de les élever aux sublimes hauteurs. « Le Seigneur Dieu est miséricordieux, compatissant et juste. » Il vient de dire que « la «justice de Dieu subsiste, » afin de nous consoler. Mais comme parmi les hommes miséricordieux et ceux dont la vie est droite, il en est beaucoup dont le sort ne répond pas à leur mérite, il ajoute ensuite cette autre consolation : « Le Seigneur est miséricordieux, compatissant et juste; » d'où l'on peut tirer une (131) double conclusion. En effet, si le Seigneur est miséricordieux, s'il accorde souvent aux pécheurs leur pardon, à plus forte raison ne souffrira-t-il pas que les justes s'en aillent sans couronne. Que s'il ne leur donne pas ici-bas leur récompense, il le fera certainement là-haut. Il ajoute « et juste » : s'il est juste, comme il l'est en réalité, il rendra à chacun selon ses oeuvres, quand bien même cette rétribution n'aurait pas lieu en ce monde: et c'est même la plus forte preuve que nous ayons de la résurrection. En effet, lorsque tant d'hommes de bien ont eu à endurer mille maux, lorsque tant de pervers ont vécu dans une complète impunité, que deviendrait cette justice promise à chacun sans une résurrection, sans une autre vie, un jugement, une rétribution? Ensuite, après avoir effrayé son auditeur par cette mention de la justice, lui avoir inspiré la crainte de voir ses péchés soumis à une enquête, il se hâte d'adoucir cette crainte, en ajoutant: « L'homme qui est sensible à la compassion et qui prête est bon: il réglera ses discours au jugement (5). » 4. Voyez quelles palmes il promet à l'homme charitable: le fruit de sa bonté est éternel ; les tentations ne l'assiégeront pas; il imitera Dieu qui est lui-même un Dieu de miséricorde : il recevra le pardon de ses péchés. Car c'est ce que signifie « il réglera ses discours au juge« ment. » C'est-à-dire il trouvera un avocat, il aura les moyens de se défendre. Il ne sera point frappé de condamnation, grâce à la miséricorde qui plaidera éloquemment pour lui. Un autre interprète dit: « Réglant ses affaires avec jugement. » Cela veut dire qu'il jouira d'une félicité parfaite, qu'il ne fera aucune entreprise coupable : tant sa conduite sera habile. Tout au contraire l'homme cruel, inhumain, sans miséricorde, est tout à fait incapable de diriger ses affaires. En effet, quoi de plus triste que d'épargner son argent, quand on voit son âme en péril, et de ne pas songer à celle-ci ? Voilà pourquoi le Christ a loué cet intendant qui, se voyant en danger, diminua des créances. Eh bien ! si lorsqu'il s'agit de la vie présente, on peut abandonner tous ses biens pour se racheter du péril, quand on est menacé du châtiment éternel, comment ne serait-il pas absurde de ne point recourir à la même précaution ? Voilà pourquoi le Psalmiste appelle bande économe l'homme compatissant qui donne peu pour avoir beaucoup, de l'argent pour avoir le ciel, qui sacrifie un vêtement pour obtenir un royaume, un pain et de l'eau fraîche, afin de participer aux biens de la vie future. En effet, conçoit-on une administration plus intelligente que celle qui abandonne des biens périssables, fugitifs, éphémères, pour entrer en possession d'impérissables trésors, et. par le même moyen, de la sécurité dans la vie présente ? De là ces paroles : « Il réglera ses discours au jugement; » ou suivant l'autre interprétation: « Réglant ses actions avec jugement. » De quel jugement est-il ici question ? Est-ce du jugement dernier ? Ou bien cela veut-il dire qu'il arrangera bien ses affaires, que nul désordre ne s'y fera remarquer, que chaque chose sera à sa place, que tout marchera en bon ordre et avec méthode, sans confusion, sans embarras, grâce au secours fourni par la miséricorde ? C'est ce qu'indique plus clairement le second interprète, en disant: « Réglant ses actions avec jugement. » En effet, c'est l'homme miséricordieux qui règle ainsi ses affaires ; tandis que l'autre est incapable d'administrer, de faire fortune. «Parce qu'il ne sera jamais ébranlé (6). » Que peut-on comparer à l'administration d'un homme qui trouve un pareil moyen de se mettre à l'abri des dangers imprévus, d'échapper aux orages de la vie, de se dérober à toutes les chances ordinaires de la condition humaine, ou, s'il y reste en butte, de ne pas y succomber ? Ce qu'il y a d'étonnant, en effet, c'est que l'assaut des tentations ne puisse l'abattre ni l'ébranler. Mais quoi ? N'a-t-on pas vu beaucoup d'hommes compatissants servir de jouets a la tempête ? Jamais. Ces hommes ont pu devenir pauvres, tomber au dernier degré de l'indigence, être précipités dans l'infortune : néanmoins ils n'ont pas succombé, parce qu'ils se sont rappelé leurs actions, parce qu'ils ont su attirer sur eux la protection et la faveur divines, parce qu'ils ont su trouver dans leur bonne conscience une ancre forte et assurée. Aussi le Psalmiste ne dit-il point qu'ils ne seront pas attaqués, mais bien qu'ils ne seront pas ébranlés. C'est ainsi que le Christ, en parlant de l'homme qui bâtit sur la pierre, ne dit pas qu'il ne sera point assailli par la tempête, mais seulement que les efforts mêmes de la tempête seront impuissants contre lui. Et ce qu'il y a justement d'admirable, c'est que sa sécurité, au lieu d'être due uniquement à l'absence de tentations, subsiste (132) invariablement au fort des artifices dirigés contre lui. Il est impossible qu'une âme riche de miséricorde soit jamais submergée par l'infortune. « La mémoire du juste sera éternelle (7). » Voyez comment ce n'est pas durant sa vie seule, mais après sa mort même, qu'il instruit, qu'il catéchise les hommes. Comment donc pourrait-il jamais être à plaindre de son vivant, celui qui restera même après sa mort un maître de contentement pour autrui? C'est comme une preuve mise ici-bas sous les yeux des plus incrédules, qu'une récompense éternelle l'attend dans les cieux : son corps est déjà enseveli et confié à la terre, que son nom vole de bouche en bouche. Tel est le pouvoir de la vertu. Le temps ne prévaut point sur elle; le nombre des jours ne saurait la flétrir. Ce privilège lui est accordé en vue du salut des méchants. Car les justes n'ont pas besoin de nos louanges : mais ces louanges sont nécessaires à ceux gui vivent dans l'iniquité afin que la renommée des bonnes oeuvres d'autrui les rendent plus sages et les guérissent de leur perversité. Où sont donc ces hommes qui élèvent des tombeaux magnifiques, et font sortir de terre de superbes monuments ? Qu'ils viennent apprendre le moyen d'immorta
5. Et d'où lui viendra cette sécurité? C'est en vain qu'il voit la guerre déchaînée, des villes renversées par des tremblements de terre, des pirates, des brigands livrer tout au pillage, des barbares envahir son pays, la maladie mettre ses jours en péril, la colère d'un juge menacer sa tète, que sais-je encore? il ne craint rien. C'est qu'il a eu soin de mettre à l'avance ses biens en dépôt dans un inviolable asile : loin de trembler aux approches de la mort, il se hâte au contraire de partir pour le pays où il doit trouver son bénéfice. Car « où est le trésor de l'homme, là est son coeur. » (Matth. VI, 21.) Si des trafiquants, pour peu qu'ils aient envoyé dans leur pays quelques marchandises vénales, n'ont pas de repos qu'ils n'aient revu leur trésor : à plus forte raison notre juste, qui a mis en dépôt dans les cieux toutes ses épargnes, sera-t-il pressé de rompre tous les liens qui l'attachent à la terre pour s'élancer dans la vie future. Aussi rien n'est-il capable de l'effrayer. « Son coeur est préparé à espérer dans le Seigneur. » D'après un autre : « Son cur est inébranlable, » c'est à dire la même chose en expliquant le mot « préparé. » Voici ce qu'il veut dire : rien n'est, capable de l'ébranler, ni de l'attacher aux choses d'ici-bas. Il est constamment et tout entier élevé vers Dieu voilà son espérance, l'attente dans laquelle il persévère invariablement, sans se laisser amollir ni distraire par aucune des choses d'ici-bas. Car tel est l'effet des soucis intéressés; ils partagent et dérangent l'esprit. Il faut donc redire cette maxime évangélique : « Où est le trésor de l'homme, là est son coeur. Son coeur est fixé, il ne sera point ébranlé (8). » Reconnaissez-vous l'homme quia bâti sa maison sur la pierre? Que pourrait craindre un homme nu et alerte qui ne donne prise d'aucun côté? que pourrait craindre celui que Dieu protège et favorise? Il est assuré de deux côtés, là-haut par la grâce de Dieu, ici-bas parla tranquillité de son âme; et rien ne peut l'ébranler, ni pertes d'argent, ni persécutions, ni calomnies. Il échappe à toutes les atteintes parce qu'il a quitté la terre pour chercher un abri dans les cieux, dans cet asile inaccessible à tous les complots des méchants. Car vous n'ignorez pas que tous ces complots ont pour cause et pour objet l'argent, que c'est l'argent qui excite tout l'empressement des hommes. « Jusqu'à ce qu'il méprise ses ennemis. » Qui sont-ils, ces ennemis, sinon les méchants démons, et le diable lui-même? « Il a dissipé, il a donné aux pauvres : sa justice demeure éternellement (9). » Il a parlé de l'aumône, de prêt, de miséricorde : mais il y a bien des degrés dans l'aumône : l'un donne moins, l'autre davantage; voyons quel homme charitable il a en vue, (133) celui qui retranche de son superflu pour donner, ou celui qui épuise ses ressources. Il est clair que c'est celui qui épuise ses ressources, celui qui n'épargne rien pour son oeuvre. C'est ce que Paul demande, lorsqu'il dit : « Celui qui sème dans les bénédictions, moissonnera aussi dans les bénédictions. » (II Cor. IX, 6.) Voyez la justesse des termes employés par le Prophète. Il ne dit pas, a distribué, a répandu, mais « a dissipé, » indiquant par là en même temps et la prodigalité de celui qui donne, et le rapport de son oeuvre avec l'action de semer. Les semeurs pareillement dissipent ce qu'ils ont en réserve, et sacrifient un bien présent pour un bénéfice futur. Cela vaut mieux que d'amasser : on gagne moins à entasser qu'à prodiguer -de la sorte.. On dissipe de l'argent et on récolte de la justice; on dissipe des biens qui passent afin de se procurer les biens qui durent : ainsi font les cultivateurs. Seulement, les cultivateurs travaillent pour un profit incertain, car c'est la terre qui reçoit leurs graines : vous, au contraire, vous semez dans la main de Dieu, de façon que vous ne sauriez rien perdre. Ainsi quand vous trouverez que l'or est une belle chose, et que vous hésiterez à vous en défaire, songez aux semeurs, songez aux prêteurs, songez aux marchands, qui tous commencent par faire des frais et des dépenses; et encore leur placement est-il chanceux, car les flots, le sein de la terre, les créances, tout cela est incertain. Il arrive souvent que celui qui a prêté perd jusqu'à son capital : mais celui qui ensemence le ciel n'a rien à craindre de semblable; il peut être rassuré et sur son capital et sur ses intérêts, s'il est permis d'appeler de ce nom ce qui dépasse le capital de beaucoup. Car le capital, c'est l'argent; les intérêts ici, c'est le royaume des cieux. Voyez-vous ce placement qui rapporte des intérêts supérieurs au capital? Voilà pour l'avenir; quant au présent, vous y jouirez d'une liberté complète. Vous serez à l'abri des complots; vous éteindrez la convoitise des sycophantes et des fourbes; vous passerez votre vie entière dans la sécurité; car, au lieu d'être torturé par les soucis au sujet de vos biens actuels , l'espérance vous donnera des ailes pour vous élever jusqu'aux choses futures. « Sa gloire sera exaltée. » Il revient souvent sur cette idée si chère aux hommes, de la gloire et des honneurs : la gloire attend les justes là-haut; et ici-bas même elle leur sera libéralement octroyée. Car il n'y a personne d'aussi glorieux, d'aussi illustre, que l'homme miséricordieux. 6. Considérez, si vous le voulez, ceux qui prodiguent inutilement leur argent dans les théâtres et les hyppodromes; amenez au milieu d'eux celui qui fait l'aumône, et vous verrez alors ce que rapportent à chacun ses dépenses. L'homme charitable, on ne cesse de lui applaudir unanimement, de l'admirer, de voir en lui un père commun, un refuge ouvert à tous; l'autre, quand on lui a prodigué pendant un jour des applaudissements excessifs et tumultueux, on le décrie ensuite comme un homme sans coeur, sans humanité, un vaniteux, un instrument de libertinage, un ministre de corruption. Dans les entretiens qui peuvent avoir lieu à ce sujet, on flétrit, on condamne les dépenses de l'un ; l'autre, au contraire, il n'est pas d'homme assez impudent, assez pervers, assez inhumain, pour lui marchander ses éloges et son admiration. C'est en effet le propre de la vertu que d'obtenir les hommages de ceux mêmes qui ne la pratiquent pas ; tandis que le vice est un objet d'horreur et de blâme, même pour ceux qui s'y adonnent. D'où il suit que ceux qui prodiguent leur argent en folles dépenses ne reçoivent pas même les éloges de ceux qu'ils enrichissent comme les prostituées, les conducteurs de chars, les danseurs, et sont même décriés par eux; l'homme charitable, au contraire, est célébré non-seulement par les pauvres qu'il secourt, mais encore par ceux mêmes qui ne profitent point de ses largesses. Tous l'admirent et l'ont en affection. « Le pécheur le verra, et il en sera irrité; il grincera des dents et séchera de dépit (10). » La vertu est, en effet, une chose incommode et importune au vice. De même que le feu consume les ronces, ainsi la bonté irrite les hommes cruels et inhumains: ils y voient, en effet, comme un reproche, un blâme à l'adresse de leur méchanceté. Mais considérez comment jusqu'au milieu du dépit qui le ronge, le pécheur n'ose rétorquer l'accusation ni regarder en face le visage serein de la vertu; comment, dans la douleur qui dévore son âme et se manifeste au dehors par des grincements de dents, il n'ose élever la voix, et reste en proie. à une torture secrète. Voilà ce que c'est que le, vice : même sur les degrés du trône, même aux côtés de ceux (134) qui portent le diadème, il reste ce qu'il y a au monde de plus faible et de plus vil : quelles que soient les apparences de pouvoir dont il est revêtu, ce n'est jamais que trouble, qu'orage, que tempêtes; tandis que c'est tout le contraire pour la vertu. Jusque dans l'extrême dénuement, jusque dans les cachots, elle efface l'éclat de la pourpre, elle jouit d'une sécurité parfaite, elle échappe aux orages comme dans l'abri d'un port paisible, non-seulement garantie contre les atteintes des méchants, mais capable encore de se venger d'eux dans son silence même, et de leur faire expier cruellement leur perversité. En effet, quoi de plus malheureux qu'un homme vicieux qui, esclave de l'argent, est en outre tourmenté par le spectacle des bonnes oeuvres d'autrui, qui trouve son châtiment dans la bonne renommée du prochain, qui se punit lui-même, en déchirant sa conscience, en tourmentant son coeur, en jouant vis-à-vis de lui-même le rôle de bourreau i Voyez-vous quel est le pouvoir incomparable de la vertu? Voyez-vous la faiblesse et la misère du vice? Et ce n'est pas seulement en cela que réside son infortune : on pourrait en citer bien d'autres marques. C'est ce que le Psalmiste lui-même indique en ajoutant : « Le désir des pécheurs périra. » Qu'est-ce à dire : « Le désir des pécheurs périra? » Cela signifie qu'il ne trouve pas où se fixer. En effet, comme les objets de ce désir sont fugitifs et périssables, le désir lui-même leur emprunte cette inconstance : il s'éteint, il meurt, il ne prend racine nulle part. Mais si telle est ici-bas la condition des pécheurs, songez à la destinée qui les attend dans la vie future. Afin d'échapper à un pareil sort, fuyons leurs traces; entrons et marchons résolument dans cette autre voie sûre, heureuse, glorieuse, qui nous conduit au ciel, qui nous assure en toutes choses la protection divine, qui nous prépare à la sagesse, et nous procure des biens si nombreux que la parole aurait peine à en faire le compte. Puissions-nous tous les obtenir, ces biens, par la grâce et la bonté, etc.
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