|
|
DEUXIÈME HOMÉLIE. A ceux qui blâmaient la longueur des instructions, et à ceux qui naimaient pas qu'elles fussent courtes; sur les noms de Saul et de Paul; pour le nom d'Adam donné au premier homme; aux nouveaux baptisés.
ANALYSE.
1° Les uns aiment les longues instructions, les autres les courtes ; comment contenter à la fois des goûts si différents ? L'orateur se déclare esclave de son auditoire, et il est plus glorieux de sou esclavage que l'empereur de sa pourpre. 2° Les changements de noms dans les Ecritures ont une importance et une signification sur lesquelles il ne faut pas passer légèrement. L'Apôtre s'est encore appelé Sau1 après sa conversion. 3° La première fois que le nom de Paul parait dans les Actes, c'est à l'occasion de la conversion du proconsul Sergius Paulus. Sur ces changements de noms deux questions s'offrent à traiter, premièrement, pourquoi Dieu a-t-il nommé quelques saints; et pourquoi pas tous ? deuxièmement, pourquoi, parmi ceux qu'il a daigné nommer, a-t-il nommé ceux-ci dans le cours de leur vie, ceux-là dès avant leur naissance ? Dieu nomma le premier homme Adam, d'Éden, qui veut dire terre vierge. Cette terre vierge de laquelle sortit Adam était la figure de la Vierge Marie, mère du second Adam. 4° Ce nom d'Adam terrestre avertissait sans cesse le premier homme d'être humble, et le prémunissait contre l'orgueilleuse pensée de se croire égal à Dieu. Le premier qui après Adam ait reçu de Dieu son nom est Isaac, et ce nom signifie vis. Enfant de la grâce, Isaac est la figure des chrétiens.
1. Quel parti prendre aujourd'hui? En vous voyant si nombreux je crains de donner trop d'étendue à cet entretien. En effet, lorsque l'instruction se prolonge en ces conditions, je vous vois serrés, pressés, manquant de place, et la gêne que vous éprouvez vous empêche beaucoup d'écouter avec fruit; un auditeur qui n'est pas à l'aise ne saurait prêter une sérieuse attention à l'orateur. En voyant donc cette foule si nombreuse, je crains, je le répète, de donner à mon discours trop d'étendue; mais d'un autre côté, quand je considère votre désir de la parole sainte, je voudrais bien ne pas resserrer mon instruction. Celui que la soif consume, aime que la coupe qu'on lui présente soit pleine, autrement c'est sans plaisir qu'il l'approche de ses lèvres. Quand même il ne la pourrait boire tout entière, néanmoins il la veut voir entièrement pleine. Vous me voyez donc dans la perplexité. Je voudrais par ma brièveté prévenir de votre part toute fatigue, et par la plénitude de mon instruction remplir votre désir. Mais souvent j'ai fait ces deux choses, et jamais je n'ai évité la critique. Bien souvent, pour vous ménager, j'ai abrégé mon discours, et j'étais accusé par ceux dont l'âme n'était pas encore rassasiée, par ceux qui s'abreuvent continuellement aux sources sacrées, et n'en ont pourtant jamais assez, par ces bienheureux qui ont faim et soif de la justice : (Matth. V, 6) aussi redoutant leurs reproches, j'ai cru pouvoir allonger mes homélies, et c'est (77) précisément pour cela que je me suis vu en butte à d'autres critiques. Ceux qui aiment la brièveté venaient me trouver et me priaient d'avoir pitié de leur faiblesse, et de resserrer des discours trop longs. Quand je vous vois pressés dans un étroit espace, j'ai envie de me taire: mais quand je vois que, malgré cette gêne, vous ne vous retirez pas; que toujours suspendus à nos lèvres vous êtes tous disposés à nous suivre encore plus loin, je me sens le désir de laisser courir ma parole. Je ne vois que difficultés de toutes parts. (Dan. XIII, 22.) Que faire? Celui qui ne sert qu'un maître, qui n'obéit qu'à une seule volonté, peut facilement plaire à son maître et ne pas se tromper; mais moi j'ai bien des maîtres, et je suis forcé d'obéir à tout ce peuple, si partagé de sentiments. Si j'ai parlé ainsi, ce n'est pas que je supporte avec impatience mon esclavage, loin de là, ni que je veuille me soustraire à votre domination. Rien ne m'est plus honorable que cette servitude. Il n'y a pas de roi qui s'enorgueillisse de son diadème et de sa pourpre comme je me glorifie d'être l'esclave de votre charité. Cette première royauté périra par la mort; mais mon esclavage, s'il est bien supporté, sera couronné par la royauté des cieux. Bienheureux le serviteur fidèle et prudent que le maître a établi sur tous ses compagnons pour leur distribuer leur mesure de froment. Je vous dis en vérité qu'il l'établira sur toits les biens qu'il possède. (Luc, III, 42.) Voyez-vous quelle est la récompense de cet esclavage; quand il est bien supporté? Ce serviteur est établi sur tous les biens du maître. Je ne fuis pas cette servitude, car je la partage avec Paul. Il dit en effet que nous ne nous prêchons pas nous-mêmes, mais Jésus-Christ Notre-Seigneur, nous déclarant vos serviteurs à cause de Jésus. (II Cor. IV, 5.) Et que dis-je, Paul? si Celui qui était dans la forme de Dieu, s'est anéanti lui-même prenant la forme d'esclave dans l'intérêt des esclaves (Ph. II, 6, 7), qu'y a-t-il d'étonnant à ce que moi, esclave, je me fasse esclave de rues compagnons d'esclavage dans mon intérêt propre? Ce n'est donc pas pour fuir votre domination que j'ai parlé de la sorte, mais pour obtenir grâce si la table que je vais dresser ne convient pas à tous. Ou plutôt faites ce que je vais vous dire. Vous qui ne pouce? jamais vous rassasier, mais qui avez faim et soit de la justice, qui désirez de longues instructions, prenez pitié de la faiblesse de vos frères et souffrez que je retranche un peu à la mesure habituelle de mes discours. Et vous qui désirez la brièveté parce que vous êtes plus faibles , considérez le désir de vos frères qui demandent une nourriture plus abondante, et pour eux, endurez une fatigue légère, portant les fardeaux les uns des autres et accomplissant la loi du Christ. Ne voyez-vous pas qu'aux jeux olympiques les athlètes restant au milieu de l'arène, en plein midi, comme dans une fournaise ardente, reçoivent sur leur corps nu les rayons du soleil, comme s'ils étaient des statues d'airain, et luttent contre le soleil, contre la poussière, contre la chaleur, pour ceindre de lauriers une tête qui aura tant souffert? Et pour vous, ce n'est pas une couronne de lauriers, mais une couronne de justice qui sera la récompense de votre docilité ; et encore, loin de vous retenir jusqu'en plein midi, votre faiblesse nous forcera à vous renvoyer presque dès le commencement du jour, quand l'air est encore assez frais, que les rasons du soleil ne l'ont pas encore échauffé; et nous ne vous exposons pas tête mue aux ardeurs du soleil, mais nous vous rassemblons sous cette voûte admirable, nous vous prodiguons tous les secours imaginables, afin que vous puissiez écouter plus longtemps. Ne soyons pas plus délicats que nos enfants quand ils vont à l'école; ils n'oseraient rentrer à la maison avant midi ; mais à peine sevrés, à peine séparés du sein de leur mère, avant même l'âge de cinq ans, ils supportent tout dans un corps tendre et jeune encore; quelque chaleur, quelque soif, quequ'incommodité qu'ils ressentent, ils restent assis dans l'école, supportant tout avec courage et patience. A défaut d'autres, imitons au moins nos enfants, nous hommes, nous parvenus à l'âge viril. Si nous n'avons pas le courage d'écouter parler de la vertu, qui pourra nous faire croire que nous supporterons au besoin les travaux qu'elle exige? Si nous éprouvons tant de peine quand il s'agit d'écouter, qui nous montrera que nous serons plus vaillants pour agir? Si nous abandonnons le devoir le plus facile, comment supporterons-nous le plus difficile? Mais le lieu est resserré ! on y est gêné ! Ecoutez : On n'emporte le royaume des cieux qu avec violence. (Matth. XI, 12.) Elle est étroite et resserrée la voie qui conduit à la vie. (Matth. VII, 14.) Comment éviter d'être serrés et à l'étroit, quand on doit marcher par une voie étroite et resserrée ? Pour qui se met au large et à l'aise, une telle voix n'est pas (78) facile parcourir: on ne peut guère y passer qu'en se faisant petit, en se resserrant, en se gênant beaucoup. 2. Ce n'est pas une chose oiseuse qui nous occupe, mais une question qui, commencée hier, n'a pu recevoir une solution définitive, tant sont nombreux les points à examiner ! Quelle est-elle? C'est la question des noms que Dieu a donnés aux saints. Chose qu'on jugera bien simple, à n'écouter que cet exposé, mais bien féconde, si on l'étudie avec soin. Les terrains aurifères que l'on rencontre dans les mines ne présentent aux hommes inexpérimentés et inattentifs qu'une apparence tout ordinaire, et entièrement semblable à celle des autres terrains; mais ceux dont les regards sont exercés, reconnaissent la qualité de cette terre, et la faisant passer par le feu ils eu montrent tout le prix. Il en est de même pour les saintes Ecritures: si on ne fait qu'en parcourir les mots, on n'y verra que des mots ordinaires et semblables aux autres; mais si on les parcourt avec les regards de la foi, avec des yeux exercés, si on les fait passer par le feu du Saint-Esprit, on en découvrira facilement toute la richesse. Quelle est l'origine première de cette question ? car ce n'est pas sans motif que nous avons entrepris cet examen, et l'on ne saurait nous accuser de pure curiosité, Nous avions hâte de raconter les grandes actions de Paul; déjà nous touchions au commencement de son histoire, et nous trouvions que la narration commençait ainsi : Saul respirant encore la menace et le meurtre contre les disciples du Seigneur. (Act. IX, 1.) Dès l'abord, nous fûmes troublés de ce changement de nom, car, dans toutes ses épitres et dans leurs formules initiales il s'appelle non Saul, mais Paul; et ce n'est pas à lui seul, mais à bien d'autres encore que la même chose est arrivée. Par exemple, Simon s'appelait d'abord Pierre; les fils. de Zébédée, Jacques et Jean, reçurent assez tard le nom de Fils du tonnerre; dans l'Ancien Testament, nous trouvons aussi les noms de quelques personnages changés : ainsi Abraham s'était d'abord nommé Abram, Sarra s'était d'abord nommée Sara, Jacob fut surnommé Israël. Or, il nous a semblé qu'il eût été contraire à la raison de parcourir un champ si fertile sans le creuser. Ne se passe-t-il pas quelque chose d'analogue pour les princes séculiers? Ceux-ci aussi prennent un double nom; voyez plutôt : Félix eut pour successeur Porcins Festus; et encore Quelqu'un se trouvait avec le proconsul Sergius Paulus, et celui qui livra Jésus aux Juifs s'appelait Ponce-Pilate. Mais outre les chefs, les soldats aussi et beaucoup de ceux qui sont restés dans la vie privée ont reçu, en certaines occasions, par suite de certains faits, un double nom. Pour eux, il ne nous sera pas utile de rechercher ce qui leur a fait donner ces noms; mais quand c'est Dieu qui les donne, il nous faut de tous nos efforts en rechercher la cause. Car Dieu ne dit ni ne fait rien en vain et sans motif; il agit en tout avec la sagesse qui lui convient. Pourquoi donc saint Paul était-il appelé Saul, lorsqu'il était persécuteur, et fut-il appelé Paul, lorsqu'il eut reçu la foi? Quelques-uns disent que lorsqu'il troublait, agitait, bouleversait tout et persécutait l'Eg
3. Voici que le Saint-Esprit le prend à part et il garde toujours son nom. Niais suivons-le à Salamine; il rencontre un magicien, alors écoutons saint Luc : Saul, aussi nommé Paul, étant rempli du Saint-Esprit, dit (Act. XIII, 9). C'est la première fois qu'il est question d'un changement de nom. Discutons, sans nous rebuter, la raison des noms. Connaître les noms a son importance même dans les affaires de ce monde. Que de reconnaissances opérées, que de parentés, longtemps ignorées, tout à coup mises au jour par la découverte d'un nom ! Que de litiges jugés devant les tribunaux, que de querelles vidées, que de dissensions éteintes, que de réconciliations amenées par le même moyen! Grande dans les affaires de cette vie, la vérité des noms l'est encore davantage dans la sphère des choses spirituelles. Il est donc nécessaire que les questions qui s'élèvent soient résolues avec exactitude. La première question que lon fait est celle-ci :
1. Traduit depuis le commencement du volume jusqu'ici par M. l'abbé Fanien. La fin de cette homélie et les deux suivantes ont été traduites par M. Jeannin.
pourquoi parmi les saints, Dieu a-t-il nommé les uns et non pas les autres? Car il n'a pas donné leurs noms à tous les saints ni de l'Ancien, ni du Nouveau Testament. Observons déjà que cette parité de conduite et dans l'Ancien et dans le Nouveau Testament prouve que tes deux Testaments émanent d'un seul et même Seigneur. Dans le Nouveau Testament, le Christ a donné à Simon le nom de Pierre, et aux fils de Zébédée, Jacques et Jean, le surnom de fils du tonnerre. Voilà les seuls dont il ait changé lui-même les noms; pour ce qui est des autres, il leur a laissé les noms qu'ils avaient, dès le principe, reçu de leurs parents. Dans l'Ancien Testament, Dieu changea le nom d'Abraham et celui de Jacob; mais ceux de Joseph, de Samuel, de David, d'Elie, d'Elisée et des autres prophètes, il ne les changea pas, il laissa ces grands saints avec les noms qu'ils avaient toujours portés. Ainsi donc, première question : pourquoi, parmi les saints, les uns ont-ils changé de nom, et les autres non? Deuxième question: pourquoi le Seigneur nomme-t-il ceux-ci dans un âge avancé, ceux-là dès leur naissance et parfois même avant? Pierre, Jacques et Jean, c'est dans un âge avancé qu'ils reçoivent de Jésus-Christ un nouveau nom, et Jean-Baptiste est nommé avant qu'il ait vu le jour: Un ange dit Seigneur vint et dit : ne crains pas, Zacharie, voici que ta femme Élisabeth enfantera un fils à qui tu donneras le nom de Jean. (Luc, I, 13.) Vous le voyez, il n'est pas encore né, et déjà il est nommé. La même chose arrive dans l'Ancien Testament, la ressemblance est entière dans le Nouveau, Pierre, Jacques et Jean reçoivent leurs surnoms lorsqu'ils sont déjà dans l'âge viril, Jean-Baptiste reçoit son nom avant de naître : dans l'Ancien, Abraham et Jacob changent de nom au milieu de leur vie; :l'un s'appelait d'abord Abram, et il s'appela Abraham ; l'autre se nommait d'abord Jacob et il se nomma Israël; Isaac, au contraire, reçoit son nom dès le sein de sa mère. Dans le Nouveau Testament, l'ange dit à Zacharie : Ta femme concevra dans son sein et enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jean; et dans l'Ancien, Dieu dit à Abraham : Sara, ta femme, enfantera un fils, et tu lui donneras le nom d'Isaac. Donc, encore une fois, première question Pourquoi des nones donnés à ceux-ci et pas à ceux-là? et deuxième question: Pourquoi ceux qui reçoivent de Dieu un nom, le reçoivent-ils (79) les uns. dans le cours de leur âge, les autres avant leur naissance, et cela dans l'un et l'autre Testament? La seconde question sera traitée tout d'abord ; de la solution que nous en donnerons sortira une lumière qui éclairera la première. Voyons donc ceux qui ont reçu de Dieu leurs noms dès le principe ; remontons jusqu'à l'homme qui, le premier, fut nommé de Dieu. Ainsi ramenées à leur origine, nos questions recevront une solution radicale. Qui donc a, le premier, reçu de Dieu son nom ? Quel autre, sinon celui qui fut le premier formé par la main divine? Il n'y avait pas d'homme en effet qui pût nommer le premier homme. Comment donc Dieu nomma-t-il le premier homme? Adam, nom hébreu, nom étranger à la langue hellénique, et qui signifie : de terre. Le mot Eden aussi veut dire terre vierge; tel était le lieu dans lequel Dieu planta le Paradis. Dieu, dit la Genèse, planta la Paradis dans l'Eden, vers l'Orient (Gen. II, 8) : ce qui nous montre que le Paradis n'était pas l'oeuvre de la main de. l'homme. C'était une terre vierge que, la charrue n'avait pas touchée , ni ouverte en sillon ; une terre qui ne connaissait pas la main du laboureur, mais qui avait produit des arbres, fécondée uniquement par l'ordre de Dieu. De là le nom d'Eden, c'est-à-dire terre vierge, que Dieu,lui donna. Mais cette terre vierge était la figure de la Vierge par excellence. De même, en effet, que la terre dEden, sans recevoir aucun germe, vit sortir de son sein le Paradis, asile du premier homme, de même la Vierge Marie, sans recevoir la semence de l'homme, a enfanté le Christ, Sauveur du genre humain. Lors donc que le juif vous dira : Comment une vierge a-t-elle pu enfanter? répondez-lui Comment une terre vierge a-t-elle produit ces arbres miraculeux du Paradis? Car, je le répète, le mot Eden signifie en langue hébraïque terre vierge ; si mon assertion laisse un doute à quelqu'un, qu'il interroge ceux qui savent la langue des Hébreux, et il s'assurera que j'interprète comme il faut le mot Eden. Je ne cherche pas à profiter de votre ignorance pour faire passer de faux raisonnements; non, je tiens à vous munir d'un argument sans réplique, et je raisonne aussi rigoureusement que je ferais en face d'adversaires instruits. L'homme ayant donc été formé de la terre d'Eden, c'est-à-dire vierge, s'appela Adam, du nom de sa mère. Ainsi font les hommes, ils donnent souvent aux enfants les noms de leurs mères. Dieu donc ayant tiré l'homme de la terre, le nomma Adam, du nom de sa mère. Elle se nommait Eden, lui se nomma Adam. 4. Mais quelle utile conclusion tirer de là? Chez les hommes, lorsqu'on donne aux enfants les noms de leurs mères, c'est pour faire honneur à celles-ci. Mais Dieu, dans quelle vue donna-t-il au premier homme le nom de sa mère? quel était son dessein? Grand ou petit, il en avait un; car il ne fait rien sans motifs, rien au hasard : en tout il agit avec une raison et une sagesse profondes, puisque sa prudence est sans mesure. Eden veut dire la terre, et Adam, le terrestre, créature sortie de la poussière, née du limon de la terre. Pourquoi donc ce nom-là? Pour rappeler à l'homme la bassesse de sa nature. Dieu, par cette appellation, avait comme gravé sur l'airain l'humilité de notre nature, afin que ce nom, qui est à lui seul toute une leçon d'humilité, apprît à l'homme à ne pas concevoir de lui-même une trop haute estime. Que nous soyons terre, nous le savons parfaitement, nous, à qui l'expérience l'enseigne tous les jours; mais Adam n'avait vu mourir personne, et jamais le spectacle d'un cadavre retombant en poussière n'avait frappé sa vue; son corps était d'une merveilleuse beauté; il brillait tel qu'une statue d'or sortant du moule. Craignant donc que, ébloui de tant d'éclat il ne s'enflât d'orgueil, il lui donna comme contre-poids à ses brillants avantages, un nom qui serait pour lui une leçon permanente d'humilité. D'ailleurs le diable ne devait pas tarder de l'exciter à l'orgueil, il allait bientôt lui dire : Vous serez comme des dieux. (Gen. III, 5.) Ce nom, qui apprend au premier homme qu'il était terre, Dieu le lui imposait pour éloigner de son esprit l'idée qu'il fût semblable à Dieu; par ce nom, Dieu prémunissait la conscience de l'homme; au moyen de cette appellation, il le mettait en garde contre les futurs piéges de l'esprit malin. En effet, faire en sorte que l'homme se souvint de sa parenté avec la terre, lui donner ainsi la juste mesure de sa noblesse, c'était presque lui dire en propres termes : Si quelqu'un vient te dire : tu seras comme Dieu, souviens-toi seulement de ton nom, il t'avertira suffisamment de repousser une semblable pensée. Souviens-toi de ta mère, que ton origine te rappelle le peu que tu es. On ne veut pas t'humilier, mais (81) on redoute pour toi l'entraînement de l'orgueil. Saint Paul dit aussi : Le premier homme fut Adam, tiré de la terre et terrestre; c'est comme interprétation du mot Adam qu'il ajoute: tiré de la terre et terrestre. Le second homme est le Seigneur descendu du ciel. O hérétique, tu entends l'Apôtre dire que le Seigneur est le second homme, et tu prétends qu'il n'a point pris de chair ! Se peut-il une impudence semblable? Est-il homme celui qui n'a pas de chair? Si l'Apôtre appelle le Seigneur homme et même second homme, le définissant par la nature et par le nombre, c'est afin de te montrer doublement sa parenté avec nous. Quel est donc le second homme? Le Seigneur qui est du ciel. Mais, dit l'hérétique, voilà précisément ce qui me scanda
Voilà le premier nom suffisamment justifié. Adam fut ainsi appelé du nom de sa mère, pour qu'il ne portât point ses prétentions plus haut que son pouvoir, et qu'il ne donnât pas prise à son artificieux ennemi , qui viendrait le tenter en lui disant vous serez comme des dieux. Passons maintenant à quelqu'autre qui ait reçu de Dieu son nom avant sa naissance , et terminons ce discours. Quel est donc le premier après Adam qui ait reçu de Dieu son nom dès le sein de sa mère ? C'est Isaac. Voici, dit le Seigneur à Abraham que Sarra ta femme concevra dans son sein et enfantera un fils, et tu le nommeras Isaac. Or, après qu'elle l'eut mis au monde, elle le nomma Isaac, en disant: Dieu m'a fait un sujet de ris. Pourquoi ? Car qui croirait qu'on dût jamais dire à Abraham que sa femme allaiterait un fils ? (Gen. XVIII,19 et XXI, 3, 67.) Soyez attentifs, il y a ici un mystère. L'Ecriture ne dit pas : enfanterait, mais allaiterait; il ne fallait pas que l'on pût soupçonner le petit enfant d'être supposé. Or, le lait garantissait la vérité de l'enfantement, en sorte qu'Isaac, lui aussi, n'avait qu'à se souvenir de son nom, pour trouver dans le miracle de sa naissance une parfaite instruction. Elle dit : Dieu m'a fait un sujet de ris, parce que c'était une merveille de voir une femme dans un âge avancé et avec des cheveux blancs, allaiter et tenir un enfant à la mamelle. Mais le nom d'Isaac, c'est-à-dire ris, était un souvenir permanent de la grâce de Dieu, et l'allaitement confirmait le prodige de la naissance. La nature n'était pour rien dans cette naissance , la grâce avait tout fait. C'est pourquoi saint Paul dit : comme Isaac nous sommes des enfants de promission. (Gal. IV, 28.) La naissance d'Isaac est la figure de celle du chrétien; d'un côté comme de l'autre, c'est la grâce qui opère; d'un côté comme de l'autre, ?e nouveau-né sort d'un sein refroidi et stérile Isaac du sein d'une femme âgée, le chrétien du sein des eaux. L'analogie est visible entre l'une et l'autre naissance , entre l'une et l'autre grâce. Partout la nature est inerte, partout c'est la grâce de Dieu qui opère. Voilà le sens de cette parole : comme Isaac nous sommes des enfants de promission. Reste encore néanmoins un point à éclaircir pour que la comparaison soit complète. Saint Jean dit (I, 13) que les chrétiens ne naissent pas du sang, ni de la volonté de la chair : en est-il de même d'Isaac ? Oui, car l'Ecriture dit : Ce qui arrive d'ordinaire aux femmes avait cessé chez Sarra (Gen. XVIII, 11.) Les sources du sang étaient taries, la matière de la génération disparue, l'énergie de la nature anéantie, et c'est alors que Dieu fait paraître sa vertu. Voilà que nous avons tiré de ce nom d'Isaac toute l'instruction qu'il renferme. Il nous reste à parler d'Abraham, des fils de Zébédée et de Pierre; mais pour ne pas vous fatiguer par ma longueur, remettant ces objets à une autre entretien, je finirai ici mon discours, en vous exhortant, vous qui êtes nés à la manière d'Isaac, à imiter la douceur d'Isaac, sa modestie et toute sa conduite, afin que, aidés des prières de ce juste et de celles de ces prélats, vous puissiez tous parvenir dans le sein d'Abraham, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui, soient au Père, gloire, honneur et puissance, ainsi qu'à l'Esprit saint et vivifiant, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
|