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DIX-HUITIÈME ENTRETIENDE CE QUIL FAUT OBSERVER QUAND ON TIRE LES VOIX POUR LA RÉCEPTION [A LHABIT] OU PROFESSION DES SOEURS
Il y a fort longtemps que quelques Soeurs me firent une question par laquelle elles me demandaient quelle méthode et quel motif il fallait avoir pour donner sa voix, tant aux filles que lon reçoit au Noviciat quà celles que lon veut admettre à la Profession. Et bien que la question soit ancienne, pour y avoir 1 longtemps quelle ma été faite, je ny ai toutefois guère pensé et suis toujours demeuré votre débiteur jusques à maintenant que jy répondrai, disant que le motif que lon doit avoir pour donner sa voix consiste en deux points. Le premier est quil faut que ce soit à des personnes bien appelées de Dieu; le second, quelles aient les conditions requises pour votre manière de vie. Or, je fais ici ce discours, parce quil ma semblé plus à propos de traiter de ce sujet par forme dentretien et colloque familier 2 que den faire un sermon; dautant quen cette façon, cette matière se pourra traiter plus librement et familièrement. Et quant à la première partie, les Novices y auront leur part ; mais pour la seconde, elles auront patience jusques à lannée qui vient, que nous la redirons sil en est besoin.
1. parce quil y a 2. conférence familière
Or donc, quant à ce premier point, quil faut quune fille soit bien appelée de Dieu pour être reçue en Religion, quand je parle de cet appel et vocation, il ne faut pas penser que jentende parler des vocations générales, telle quest celle par laquelle Notre-Seigneur appelle tous les hommes au christianisme; ni encore de ces paroles si redoutables qui sont en lEvangile a: Plusieurs sont appelés, mais peu sont élus. Dieu appelle tous les hommes à être chrétiens parce quil désire de donner à tous la vie éternelle b; mais pour cela tous ne viennent pas, quoique tous soient invités, et partant peu sont élus. Cest-à-dire, il y en a quelques-uns qui correspondent et suivent lattrait de Dieu, mais peu viennent, en comparaison des appelés. Ce premier point est bien général et bien redoutable. Mais parlons plus en particulier de ces vocations. Plusieurs sont bien appelés de Dieu en la Religion, et néanmoins il y en a encore peu délus, cest-à-dire il y en a peu de ceux-là qui maintiennent et conservent leur vocation. Ceux-ci sont bien appelés, mais quoiquils aient bien commencé, ils ne sont toutefois pas fidèles à correspondre à la grâce ni à persévérer à faire ce qui peut conserver leur vocation et la rendre bonne et assurée. Il y en a dautres qui nétant point bien appelés, néanmoins étant venus, ils ont été élus, et leur vocation a été bonifiée et ratifiée de Dieu ; et ceci est un autre point. Dautres viennent par dépit et ennui en Religion, et quoiquil semble que ces vocations ne soient point bonnes, on en
a. Matt., XX, 16 ; XXII, 14. b. I Tim., II, 4.
a néanmoins vu qui, y étant ainsi entrés, ont été des choisis et élus; et cest encore un autre point. Nous mettrons tous ces points les uns sur les autres, et tâcherons de les tous reconnaître, pour voir et trouver la bonne vocation. Plusieurs sont encore incités dentrer 3 en Religion par quelque désastre et infortune quils ont eu au 4 monde; dautres, par le défaut de la 5 santé, ou beauté corporelle, desquels souventes fois la vocation est très bonne, et bien quils aient un motif qui de soi nest pas bon, néanmoins Dieu sen sert pour appeler telles personnes à la Religion. Enfin ce sont des choses inscrutables que les voies de Dieu c, et une chose admirable, belle et aimable que la variété des vocations et des moyens desquels Dieu se sert pour appeler ses créatures, lesquels doivent être honorés et révérés par nous autres mortels. Vous voyez donc combien cest une chose grande et bien difficile que de reconnaître une bonne vocation; néanmoins, cest la première chose qui est requise pour donner sa voix, de savoir si cette fille proposée est bien appelée et si sa vocation est bonne. Comment donc, y ayant une si grande variété de vocations et de si différents motifs, pourrons-nous reconnaître les bonnes davec les mauvaises, et comment est-ce que lon pourra faire pour nêtre pas trompés ? Oh ! certes, il est vrai que cest une chose de grande importance que celle-ci et laquelle est bien difficile néanmoins elle ne lest pas tant que nous soyons entièrement frustrés des moyens de reconnaître
e. Rom., XI, 33
3. invités à entrer 4. dans le 5. manque de
quand une vocation est bonne. Or, entre plusieurs que je pourrais alléguer, je dirai celui-ci comme le meilleur de tous: que la bonne vocation nest autre chose quune volonté ferme et constante qua la personne appelée, de vouloir servir Dieu en la manière et au lieu auquel la divine Majesté lappelle; et cela est la meilleure marque que lon puisse avoir pour reconnaître quand une vocation est bonne. Mais remarquez que, quand je dis une volonté ferme et constante de vouloir servir Dieu en la manière et au lieu où Dieu lappelle, je ne dis pas quelle fasse, dès le commencement, tout ce quil faut faire en sa vocation avec une fermeté et constance si grande quelle soit exempte de toute répugnance, difficulté ou dégoût en ce qui est de sa vocation. Non, je ne dis pas cela, ni moins que cette fermeté et constance soit telle quelle la rende exempte de faire des fautes, ni si ferme quelle ne vienne jamais à chanceler ni varier en lentreprise quelle a faite de pratiquer les moyens qui la peuvent conduire à la perfection. Oh ! non, certes, ce nest pas cela que je veux dire, car tout homme est sujet à telle passion, changement et vicissitude, et tel aimera aujourdhui une chose qui ne laimera pas demain; un jour ne ressemble jamais à lautre. Tel aimera aujourdhui lhumilité et dira que cest une aimable vertu, que cest la plus belle et la plus nécessaire de toutes, et en ce temps-là voudrait employer toutes ses forces pour lacquérir; et le lendemain en sera dégoûté, ou bien ne la prisera ni estimera pas tant quil faisait hier. Lon dira bien que cest une grande vertu, mais bien quelle soit grande, si nest-elle pas la plus aimable de toutes à cause quil faut tant de peine pour lacquérir que cest pitié, et puis, après cela, encore nen a-t-on point ou peu. Voyez combien nous sommes variables et sujets à linconstance !. Ce nest donc pas parmi ces divers mouvements et accidents quil faut juger de la fermeté et constance de la volonté au bien que lon a une fois embrassé; mais oui bien si parmi cette variété de divers mouvements et accidents la volonté demeure ferme à ne point quitter le bien quelle a une fois embrassé; encore quelle sente le dégoût ou le refroidissement en lamour de lhumilité, elle ne laisse pas pour cela de se servir et user des moyens quelle sait ou qui lui sont marqués pour lacquérir. Cest en cela que nous voyons la constance de la volonté, tellement 8 que, pour avoir une marque dune bonne vocation, il ne faut point une constance sensible, mais qui soit en la partie supérieure de lesprit, et quelle soit effective. Il nest pas requis pour savoir si Dieu veut que nous soyons Religieux ou Religieuses, que sa divine Majesté nous parle sensiblement, ou nous envoie du Ciel quelque Ange pour nous signifier sa volonté; ni moins est-il besoin davoir des révélations pour ce sujet. Il ne faut non plus lexamen de dix ou douze docteurs de la Sorbonne pour examiner si linspiration est bonne ou mauvaise, sil la faut suivre ou non ; mais il faut bien cultiver et correspondre au premier mouvement, et puis 7 ne se faut point mettre en peine sil
6. de sorte 7. il
vient des dégoûts et des refroidissements touchant cela ; car si lon tâche de tenir toujours sa volonté bien ferme à vouloir rechercher le bien qui nous est montré, Dieu ne manquera pas de faire réussir 8 le tout à sa gloire. Or, quand je dis ceci, je ne parle pas seulement pour nous autres, mais pour les filles qui sont encore au monde, desquelles certes on doit avoir de la jalousie et du soin de leur 9 aider parmi leurs bons désirs. Quand elles ont le premier mouvement un peu fort, rien ne leur est difficile, il leur semble quelles franchiraient toutes les difficultés; mais quand elles viennent 10 à sentir quelques vicissitudes, et que ces sentiments ne sont plus si sensibles en la partie inférieure, il leur semble aussi que tout soit perdu et quil faille tout quitter: car lon veut lors, et puis lon ne veut pas. Ce que lon sent alors nest pas suffisant pour faire quitter le monde. Je le voudrais bien, disent-elles, mais je ne sais pas si cest la volonté de Dieu que je sois Religieuse, dautant que linspiration que je sens à cette heure ne me semble pas assez forte. Il est bien vrai que je lai eue plus forte que maintenant, mais comme elle nest pas de durée, cela me fait douter quelle ne soit pas bonne. Jen ai ouï parler à mes père et mère, ou bien à quelque autre je ne sais où, et ainsi lenvie men est venue, mais cela sest 11 aussitôt passé ; ce qui me fait croire que telle inspiration nest pas de Dieu. Enfin il faut faire mille examens pour connaître si elles suivront cette inspiration. Certes, quand je rencontre telles âmes, je ne
8. tourner 9. pour les 10. commencent. 11. est
métonne point de leurs dégoûts et refroidissements, ni moins crois-je que pour iceux leur vocation en soit moins bonne ; mais il faut seulement en cela avoir soin de les aider en leur apprenant à ne se point étonner de ces changements et vicissitudes, mais les encourager à demeurer fermes parmi iceux. Et bien, leur faut-il dire, cela nest rien ; si bien vous avez été persuadée à vous faire Religieuse par vos parents ou par qui que ce soit, dites-moi, navez-vous pas senti linspiration ou mouvement dans votre coeur pour la recherche dun si grand bien? Oui, disent-elles, il est bien vrai ; mais cela sest aussitôt passé. Oui bien, peut-être, la force de ce sentiment, mais non pas en telle sorte quil ne vous en soit demeuré aucune affection pour cela, puisque vous dites que vous sentez toujours je ne sais quoi qui vous attire de ce côté-là. Et ce qui me met en peine, dites-vous, cest que cet attrait ne vous semble pas assez fort pour une telle résolution. Or je réponds à ces sortes de gens : Ne vous mettez pas en peine de ce sentiment sensible, ne lexaminez pas tant; contentez-vous de la constance de votre volonté, laquelle parmi tout cela ne perd point son premier dessein ou laffection dicelui; soyez seulement soigneuses de le bien cultiver et de bien correspondre à ce premier mouvement. Ne vous souciez point de quel côté il vient, car Dieu a plusieurs moyens dappeler ses serviteurs ou servantes à son service ; il ne se sert pas seulement de la prédication qui, comme une divine semence, est jetée en la terre de nos coeurs par la bouche des prédicateurs. Il est vrai que lon se sert de ce moyen ici plus que de nul autre pour la conversion des hérétiques et infidèles. Et plusieurs ont été touchés, par le moyen des prédicateurs, non seulement à se faire chrétiens, mais aussi ont été appelés de Dieu à des vocations particulières : comme fut saint Nicolas de Tolentin, lequel étant en un sermon dun bon Père qui prêchait le martyre de saint Etienne, et oyant dire que saint Etienne vit les cieux ouverts et le Fils de Dieu assis à la dextre 12 de son Père d, il fut tellement touché quil se résolut 13 à cet instant-là de quitter le monde; et depuis ce moment il neut point de repos quil ne se fût fait Religieux; ce quil fit après avoir déclaré son dessein, et étant reçu, il devint un si bon Religieux que, comme tel, il vécut et mourut saintement. Les exemples de ceux qui ont été appelés de Dieu comme lui par la prédication sont presque innombrables. Dautres ont été touchés par la lecture des borts livres; dautres pour avoir ouï lire des paroles sacrées de lEvangile, comme saint François et saint Antoine, lesquels oyant dire ces paroles : Va, vends tout ce que tu as et le donne aux pauvres, et me suis e; ou bien : Quiconque veut venir après moi, quil renonce à soi-même, prenne sa croix et me suive f, et plusieurs autres, quittèrent tout, et firent avec un courage admirable ce que Notre-Seigneur leur commandait par la lecture. Combien y en a t-il qui ont été appelés de Dieu
d. Act., VII, 55. e. Matt., XIX, 21. f. Ibid., XVI, 24 ; Luc., IX, 23.
12. droite 13. résolut
par le moyen de la lecture des bons livres ? Certes, cest une chose innombrable. Vous savez que deux gentilshommes, lisant la Vie de saint Antoine, furent tellement touchés de Dieu, quils quittèrent à cet instant le service de lempereur de la terre pour servir le Dieu du Ciel. Entre tous les livres, la grande Guide des pécheurs, de Grenade, a servi à plusieurs pour leur faire faire 14 une forte détermination de quitter le monde et de se rendre Religieux, ainsi que plusieurs mont assuré ; aussi est-ce un livre excellent que celui-ci, où lon remarque les traits les plus admirables et les plus pénétrants qui se puissent dire. .Jai ouï raconter à des Religieux, comme plusieurs personnes avaient été touchées de Dieu de quitter le monde en lisant ce livre; et moi, jai parlé à plusieurs qui mont assuré quelles avaient reçu leur vocation en le lisant. Vous avez sans doute lu la Vie du bienheureux Père saint Ignace de Loyola, Fondateur et premier Père des Jésuites : il fut touché de Dieu par la lecture des bons livres. Il était gentilhomme de fort bon lieu, brave selon le monde et grand guerrier. Le commencement de sa conversion fut par un désastre qui lui arriva: un coup darquebuse lui vint atteindre la cuisse et la lui rompit, tellement quil le fallut emporter en son logis pour le panser. Etant tout ennuyé pour se voir ainsi réduit, il demanda des livres de guerre pour se divertir. Mais on lui apporta la Fleur des Saints, non point celle qua fait le Père Ribadeneira, car il nétait pas encore né, mais dautres Fleurs
14. prendre
qui étaient jà 15 alors ; et en les lisant, il fut touché de telle sorte quil quitta tout et se résolut dêtre soldat de Jésus-Christ. Il fit cette résolution 16 si efficace quil ne se donna point de repos quil ne leût mise à exécution, et a été un grand serviteur de Dieu. Il y en a dautres qui ont été touchés par des ennuis et désastres qui leur sont venus 17, ce qui les a fait dépiter contre le monde à cause quil sétait moqué deux ou les avait trompés; et eux, fâchés davoir reçu un tel affront et fâcherie, lont quitté comme par dépit. Notre-Seigneur sest souvent servi de tels moyens pour appeler plusieurs personnes à son service, quil neût pu avoir en autre façon. Car, combien que Dieu soit tout-puissant et puisse tout ce quil veut, si est-ce quil ne veut point nous ôter la liberté quil nous a une fois donnée; et quand il nous appelle en son service, il veut que ce soit de notre bon gré et non par force ni par contrainte. Car si bien ceux-ci viennent à Dieu comme dépités contre le monde qui les a fâchés, ou bien à cause de quelques travaux 18 ou afflictions qui les tourmentent, si ne laissent-ils pas pour cela de se donner à Dieu dune franche liberté; et certes, souventes fois telles personnes ont bien réussi et ont été de grands serviteurs de Dieu, même quelquefois plus grands que ceux qui y sont entrés par des motifs plus apparents. Vous aurez peut-être lu ce que raconte Platus, dun gentilhomme, brave 19 selon le monde,
15. existaient déjà 16. il prit cette résolution dune manière 17. arrivés 18. peines, souffrances 19. accompli
lequel étant un jour bien paré et frisé, sur un cheval bien empanaché, ne mettait son soin que de plaire aux dames quil muguettait; et comme il bravait, voilà que son cheval le passa chevalier, et le renversa par terre au milieu de la rue dans un monceau de boue, dont il sortit tout sale et crotté. Ce pauvre jeune homme fut si honteux et confus, que, tout en colère, il se résolut à cet instant de se faire Religieux, disant : Ah ! traître monde, tu tes moqué de moi, mais je me moquerai aussi de toi; tu mas joué dun trait, mais je ten jouerai bien dun autre, car je naurai jamais part avec toi : dès cette heure je me résous fermement de me faire Religieux. Et de fait, il fut reçu en Religion où il vécut fort saintement; et néanmoins sa vocation venait dun dépit. Il y en a eu dautres desquels les motifs ont été encore plus mauvais que celui-ci; car jai ouï raconter à un Capucin une chose qui est arrivée de notre temps, cest pourquoi je suis bien aise de la dire. Ce bon Père donc me dit en parlant des vocations, quun gentilhomme, brave desprit et de corps et de fort bon lieu, voyant passer un jour des Pères de leur Ordre, se prit à dire à des jeunes seigneurs, ses compagnons, qui étaient avec lui : Il me prend envie de savoir comme vivent ces pieds déchaux 20, et pour cela, de me rendre parmi eux, non point à dessein dy toujours demeurer, ains seulement pour trois semaines ou un mois, pour remarquer tout ce quils font, afin de men rire et 21 moquer par après avec vous autres. Ayant fait ainsi son complot, il poursuit
20. déchaussés 21. den rire et men
fort et ferme son entreprise, si bien que là 22 à quelque temps il fut reçu. Mais la divine Providence qui sétait servie de ce moyen pour le retirer du monde, bonifia et rectifia sa vocation en convertissant sa fin et son intention, de mauvaise quelle était en bonne. Certes, son intention était très mauvaise; car quest-ce, je vous prie, entrer en Religion pour voir ce que lon y fait, à dessein den sortir pour sen rire et moquer avec ses compagnons? Cétait à la vérité une très mauvaise fin, si Dieu ne leût changée ; ce quil fit, car ce jeune gentilhomme en pensant prendre les autres fut pris lui-même; nayant passé que peu de jours en la Religion où il était entré, il fut soudain tout à fait changé, persévéra fidèlement en sa vocation, et depuis a été un grand serviteur de Dieu. Voici encore un exemple qui est de notre âge 23. Le Révérend Père Général des Feuillants, qui certes a été un grand serviteur de Dieu et un homme de grande sainteté (lequel jai connu et ai ouï de ses prédications), entra néanmoins au service de Dieu pour une fin qui nétait point tant bonne, car il semblait que cétait plutôt pour chercher lhonneur et sa commodité 24 que pour y être appelé de Dieu ; il acheta son abbaye, ou bien son père lacheta pour lui. Et cependant, sa vocation fut tellement bonifiée et rectifiée de Dieu, et il a tellement réformé sa vie, quil a été un miroir de vertu; cest lui qui a réformé les Feuillants et les a remis en leur première perfection.
22. de là 23. temps 24. son avantage
Il y en a dautres, ainsi que nous avons dit tantôt, de qui la vocation nest de soi pas meilleure que celle-ci. Ce sont ceux qui vont en Religion à cause de quelque défaut corporel ou naturel, comme pour être boiteux, borgnes, ou pour être laids et tels autres défauts; et, ce qui semble encore pire, cest quils y sont portés par leurs parents, lesquels trop souvent, quand ils ont des enfants qui ont ces défauts que nous venons de dire ou quelques autres, les laissent au coin du feu, disant: Ils ne sont pas bons pour le monde, il les faut mettre en Religion ; ce sera autant de décharge pour notre maison. Sur cela, ils se mettent en peine de leur trouver des bénéfices. Les enfants, parce que cest leur père qui prend soin deux, se laissent conduire où lon veut, sous lespérance de vivre du bien de lautel. Dautres ont une grande quantité denfants: Et bien, disent-ils, il faut décharger la maison, envoyant les cadets en Religion, afin que les aînés aient tout et quils puissent paraître au monde; ceux-là seront bons pour être de lEglise, ils vivront trop bien au coin de lautel. Mais bien souvent Dieu fait voir la grandeur de sa clémence et miséricorde, en se servant de ces fins et intentions, qui delles-mêmes ne sont nullement bonnes, pour faire de telles personnes de grands serviteurs de sa divine Majesté, laquelle se fait voir en ceci très admirable. Ainsi ce divin Artisan se plaît à faire de beaux édifices avec des bois fort tortus et qui nont nulle apparence dêtre propres à chose du monde. Et tout ainsi quune personne qui ne sait que cest de la menuiserie, voyant quelque bois tout tortu en la boutique dun menuisier, sétonnerait dentendre dire que dicelui lon puisse faire quelque beau chef-doeuvre (car, dirait-il, si cela est comme vous dites, combien de fois faudra-t-il passer le rabot par dessus, avant que den pouvoir faire un tel ouvrage), ainsi la divine Providence fait pour lordinaire de beaux chefs-doeuvre avec des bois tortus; et en somme fait entrer en son festin les boiteux et les aveugles g, pour nous faire voir quil ne sert de rien davoir deux yeux et deux jambes pour aller en Paradis; quil vaut mieux aller au Ciel avec une jambe, un oeil ou un bras, que den avoir deux et se perdre h. O Dieu, cest sans nulle comparaison ! Or, telles sortes de gens étant venus ainsi en Religion, ont souvent fait de grands fruits et persévéré fidèlement en leur vocation. Il y en a eu dautres qui ont été bien appelés, qui néanmoins nont pas persévéré; ains, après avoir demeuré 25 quelque temps, ils ont tout quitté. Et de ceci nous avons lexemple de Judas, lequel nous ne pouvons douter quil ne fût bien appelé; car Notre-Seigneur le choisit et lappela à lapostolat de sa propre bouche quand il dit : Je vous ai choisis, ce nest pas vous qui mavez choisi i, car personne ne peut aller à Dieu sil nest appelé de lui J. Tirez-moi, dit lEpouse, et je courrai après lodeur de vos parfums k; par lesquelles paroles elle montre quil faut quelle soit tirée pour
g. Luc., XXV, 21. h. Matt., XVIII, 8, 9 ; Marc. IX, 42. 1. Joan., XV, 16. j. Ibid., VI, 44, 66. k. Cant., I, 3.
25. y être demeurés
courir. Et certes, quand Notre-Seigneur dit à ses Apôtres quil les a choisis, il ne fait nulle exception, ains. il parle de Judas aussi bien que des autres. Donc ,il était bien appelé; Notre-Seigneur ne se pouvait tromper en le choisissant, car il avait le discernement des esprits. Doù vient donc quétant si bien appelé, il ne persévéra pas en sa vocation ? Oh! voyez-vous, cest quil abusa de sa liberté, et ne se voulut pas servir des moyens que Dieu lui donnait pour ce sujet; mais au lieu de les embrasser et en user à son profit, il fit tout le contraire, en abusant et les rejetant; et quant et quant il se perdit. Car cest une chose certaine que quand Dieu appelle quelquun à quelque vocation, il soblige, par conséquent, par sa prudence et Providence divine, de lui fournir toutes les conditions requises pour se rendre parfait en sa vocation. Quand il appelle quelquun au christianisme, il soblige de lui fournir tout ce qui est requis pour être bon chrétien; tout de même, quand il appelle quelquun pour être prêtre ou évêque, il soblige aussi de lui fournir tous les moyens nécessaires à sa charge; et quand il appelle quelquun pour être Religieux ou Religieuse, il leur promet à même temps de leur donner les moyens requis pour être parfaits en cette vocation. Or, quand je dis que Notre-Seigneur soblige, il ne faudrait pas penser que ce soit nous qui layons obligé à ce faire en nous faisant Religieuses, car on ne saurait lobliger comme nous nous obligeons les uns les autres ; mais Dieu soblige soi-même par soi-même, poussé et provoqué à ce faire par les entrailles de son infinie bonté et miséricorde l ; tellement que, me faisant Religieux, Notre-Seigneur sest obligé de me fournir tout ce quil faut que jaie pour être bon Religieux, non point par devoir, mais par sa miséricorde et infinie Providence; tout ainsi que quand un roi lève des soldats pour faire la guerre, sa prudence et prévoyance veut quil prépare des armes pour ses soldats, car quelle apparence y a-t-il de les envoyer combattre sans armes ? Que sil ne le fait, il est taxé dune grande imprudence, dautant quils le sont allés trouver sous lespérance quil les fournirait de 26 toutes les armes propres à faire leurs fonctions. Mais trouvant que le prince na point pensé aux armes et aux munitions qui sont requises à une telle entreprise, il est soudain jugé digne de risée. Or, la divine Providence ne manque jamais de soin ni de prudence touchant ceci; et pour nous le mieux faire croire, elle sy est obligée, en sorte quil ne faut jamais entrer en doute quil y ait de sa faute quand nous ne réussissons pas bien. Mais remarquez que quand je dis que Dieu sest obligé à fournir les aides requises 27 ceux quil appelle en quelque vocation, je nentends pas de dire quil ne les donne quà ceux à qui il les a promises 28. Oh ! non, car je me tromperais, dautant que souvent il les a données et les donne encore à ceux à qui il ne les a pas promises et auxquels il ne sest point obligé. Par exemple: voilà un homme que Djeu na pas appelé
I. Luc., I, 78.
26. leur fournirait 27. laide requis, les secours requis 28. promis
pour être prêtre ni évêque, et qui néanmoins, sachant quil y a quelque bénéfice ou un évêché vacant, il se met à courir la poste et emploie tous ceux quil sait avoir du crédit à la cour pour lobtenir du roi; et enfin, par la faveur de plusieurs personnes, il est fait et créé évêque. Or, Dieu ne la pas appelé pour lêtre, et partant il ne sest pas obligé de lui donner les conditions requises pour être bon évêque ; aussi ne les donne-t-il pas toujours. Pourtant, la libéralité de Notre-Seigneur est telle et si grande, quil ne laisse pas pour cela quelquefois de les donner comme sil sy était obligé; mais à ceux quil a choisis, il ne manque jamais. Et ce que je dis dun évêque, je le dis de toutes sortes de vocations quelles quelles soient. Il y a encore une chose à remarquer, qui est que Dieu ne sest pas obligé à donner toutes les conditions requises tout à coup 29, ni les rendre parfaits en leur vocation en un instant. Lon se tromperait, car les Religions ne seraient pas nommées hôpitaux, comme elles sont. Jai déjà montré ailleurs que, de tout temps, les Religions ont été appelées hôpitaux, et les Religieux dun nom grec qui veut dire guérisseurs, qui sont dans les hôpitaux pour se guérir les uns les autres, comme les lépreux de sainte Brigitte. Il ne faut donc pas penser quentrant en Religion nous soyons parfaits tout promptement, car jai déjà dit plusieurs fois que nous ne venons pas parfaits en la Religion, mais oui bien pour tendre à la perfection. Et cette Congrégation, non plus que toutes les autres
29. tout dun coup, tout de suite
Religions, nest pas une assemblée de filles parfaites, ains de filles qui tendent et prétendent à la perfection ; cest une école où lon vient pour apprendre les moyens quil faut tenir pour se perfectionner, et pour ce faire, il est nécessaire davoir la volonté ferme et constante dembrasser les moyens de nous perfectionner selon notre vocation et lInstitut où nous sommes appelés. Ce nest donc pas les mines tristes, les faces pleureuses et les personnes soupirantes 30 qui sont toujours les mieux appelées ; ni celles qui mangent le plus de crucifix, qui ne veulent bouger des églises, qui sont toujours parmi les hôpitaux, ni encore ceux qui commencent avec grande ferveur. Il ne faut point regarder les larmes des pleureurs, ni écouter les soupirs des soupirants, ni faire considération sur les mines et cérémonies extérieures pour reconnaître ceux qui sont bien appelés ; mais à ceux qui ont une bonne volonté ferme et constante de vouloir être guéris, et qui pour cela travaillent avec fidélité pour recouvrer la santé spirituelle. Il ne faut point aussi tenir pour une marque dune bonne vocation ces ferveurs qui font que lon ne se contente point en sa vocation, mais que lon samuse à quelques désirs, qui sont pour lordinaire vains et apparents, dune plus grande sainteté de vie; car pendant que lon samuse à rechercher ce qui le plus souvent nest pas parfait, lon ne fait pas ce qui nous peut rendre parfaits en celle que nous avions embrassée. Nous avons un exemple de ceci en un jeune homme qui était prêtre de lOratoire, lequel était si fervent quil
30. qui soupirent de désir
lui semblait que la manière de vie des Pères de lOratoire nétait pas assez parfaite pour contenter sa ferveur ; cest pourquoi il pensa quil devait sortir de là pour entrer en une Religion formelle 31. Ce que voyant, le bon Père Philippe de Néri, qui était son Supérieur, ly conduisit par la main; et le voyant entrer avec tant de ferveur au lieu 32 où il savait par divine inspiration quil ne devait point demeurer, il se prit à pleurer à chaudes larmes, tellement que ces bons Religieux, qui jugeaient que cétait dabondance de consolation, lui dirent: Hé, mon Père, il faut que la consolation que vous ressentez soit bien grande! vous feriez bien mieux de modérer un peu vos larmes que non pas de les laisser couler de la sorte. Mais ce bienheureux Philippe de Néri, illuminé dune lumière toute divine, leur répondit : Ah! je ne pleure pas à cause de la consolation que je ressens, mais je jette des larmes de compassion de voir ce jeune homme quitter une manière de vie pour en prendre une autre et que, y entrant avec une si grande ferveur, il ny persévèrera néanmoins pas. Ce qui arriva puis après, ainsi quil lavait prédit. Voilà donc comme les jugements de Dieu sont occultes et secrets, et comme vous voyez que les uns, étant entrés en Religion par dépit et par moquerie, y persévèrent; et les autres, y étant bien appelés et ayant commencé avec grande ferveur, finissent mal et quittent tout. Cest donc une chose très difficile que de savoir si une fille est bien appelée de Dieu, pour lui donner sa voix;
31. qui a reçu sa constitution définitive 32. là
car si bien je la vois fervente, peut-être ne persévèrera-t-elle pas. Ce sera son mal ; ne laissez pas de lui donner votre voix, si vous voyez quelle ait cette volonté constante de se vouloir guérir et être pansée, car si elle veut recevoir les aides que Notre-Seigneur sest obligé de lui donner, elle persévérera. Et même, bien quil ne les lui eût pas promises, ne sy étant pas obligé, dautant quil ne lavait pas appelée, elle peut néanmoins se rendre capable de les recevoir. Que si elle le fait seulement pour un temps et quelle ne persévère pas après quelques années, à son dam ! vous nen pouvez mais, cest elle et non vous qui en êtes la cause. Voilà donc, ce me semble, en quoi consiste cette première partie; mais avant que de commencer la seconde, les Soeurs Novices se retireront et prieront Dieu pour nous pendant que nous parlerons de lautre. Il ne me reste maintenant à dire que ce qui appartient à vous autres Professes, qui est ma seconde partie: à savoir, les conditions que doivent avoir les filles que lon reçoit céans ; en second lieu, celles quon reçoit au Noviciat, et troisièmement, celles que lon admet à la Profession. Quant à la première réception, je nai guère à dire là-dessus, car on ne peut pas beaucoup connaître (je dis quant à la première entrée pour lessai) ces filles qui viennent avec une si bonne mine que rien plus. Parlez-leur: à leur dire 33, elles feront tout ce que lon voudra. Elles ressemblent à saint Jean et à saint Jacques auxquels Notre-Seigneur demandant sils boiraient bien le calice
33. à les entendre
de sa Passion, répondirent hardiment et franchement que oui m; et cependant ils labandonnèrent la nuit de sa Passion. Ces filles en font de même: elles font tant de prières, tant de révérences, elles témoignent tant de bonne volonté que lon ne les peut bonnement éconduire; et en effet, lon ny doit pas faire de trop grands regards 34, ce me semble. Je ne parle pas à cette heure en forme de prédicateur, mais par simple conférence en laquelle chacun dit son opinion; voilà pourquoi je ne dis pas quil ne le faille pas faire, mais oui bien quil me semble que lon ny doit pas avoir grahd regard. Je dis ceci pour lintérieur, car certes, il est bien difficile en ce temps-là de le pouvoir connaître, principalement des filles qui viennent ici de loin; tout ce que lon peut faire, cest de savoir qui elles sont et telles choses qui regardent lextérieur et le temporel, puis leur ouvrir la porte et les mettre à leur premier essai. Si ce sont des filles du lieu 35, lon peut observer leurs façons de faire, et, par la conversation que lon a avec elles, reconnaître quelque chose de leur intérieur; mais je trouve quil est encore bien malaisé, car elles tiennent toujours la meilleure mine et posture quelles peuvent. Il me semble que pour ce qui est de la santé corporelle et infirmités du corps, lon ny doit point faire ou fort peu de considération, dautant quen notre Institut lon y peut recevoir les infirmes et imbéciles 36 comme les fortes et robustes, puis
m. Matt., XX, 22. 34. grandes considérations35. de la ville, de ce lieu 36. faibles
quil a été fait en partie pour elles; pourvu que les infirmités ne soient si pressantes quelles les rendent tout à fait incapables dobserver la Règle et inhabiles à 37 faire ce qui est de leur vocation. Mais excepté cela, je ne leur refuserais jamais ma voix, non pas même quand elles nauraient quune jambe, ou quelles seraient aveugles ou manchottes; si nonobstant cela elles avaient les autres conditions requises à cette vocation, je leur donnerais ma voix. Et que la prudence humaine ne vienne point ici dire : Et sil se présentait toujours de telles personnes, les faudrait-il recevoir ? . Je dis que oui ; pourvu, comme jai dit, quelles eussent toujours les conditions de lesprit qui sont requises à cette vocation, je ne voudrais faire nulle considération sur leurs défauts du corps. Oui, mais si toutes étaient aveugles ou malades, qui les servirait ? Ne vous mettez pas en peine de cela, car il narrivera pas ; laissez-en le soin à la divine Providence, laquelle y saura bien pourvoir, et y appellera les fortes nécessaires à leur service. Sil sen présente des infirmes, Dieu soit béni; sil sen présente des robustes, à la bonne heure! Le monde use pour lordinaire de tels discours quand il voit entrer plusieurs personnes en Religion, et, comme en désapprouvant leur retraite, dit : Et si tous les hommes et femmes se faisaient Religieux et Religieuses, qui maintiendrait le monde ? nous le verrions bientôt prendre fin. Mais, encore disent-ils, qui les nourrirait? Oh! prudence humaine, ne vous mettez pas en peine de cela, car il narrivera pas; il
37. incapables de
nen demeurera toujours que trop dans le monde. Il y avait une fille qui était aveugle, laquelle poursuivait en votre Maison de Paris; et pendant que jy étais, plusieurs personnes semployèrent pour la faire recevoir; elle le désirait fort. Cétait une très bonne fille et jeusse bien désiré quon leût en cela consolée. Et à la vérité, si elle neût eu des conditions qui ne le permettaient pas, je lui eusse donné ma voix nonobstant quelle fût aveugle; car en somme, les maladies qui nempêchent point dobserver la Règle ne doivent point être considérées en ces Maisons ici. Voilà ce que jai à dire touchant la première réception. Venons à la seconde, qui est de recevoir une fille au Noviciat. Je ne trouve pas quil y ait de grandes difficultés ; néanmoins on y doit faire plus de considérations quen la première réception, car on a bien plus de moyens de remarquer leurs humeurs, actions et habitudes. Lon voit bien si elles sont colères ou tendres, ou telles autres passions ; mais tout cela ne les doit point empêcher dêtre admises au Noviciat, ni ne doit point retenir les Soeurs de leur donner leurs voix, pourvu quelles aient une bonne volonté de samender, de se soumettre et de se servir des médecines et médicaments propres à leur guérison. Et bien quelles aient de la répugnance à ces remèdes et les prennent avec grande difficulté, cela ne veut rien dire, pourvu quelles ne laissent pas den user ; car les médecines sont toujours amères au goût, et nest pas possible de les prendre avec la suavité que lon ferait si elles étaient bien appétissantes ; mais pour cela elles ne laissent pas de faire leur opération, et quand elles la font meilleure cest lorsquelles font plus de travail et de peine. Tout de même en est-il dune fille qui a ses passions fortes: elle est colère et pour cela elle fait plusieurs manquements, faisant dix ou douze ruades 38 par jour. Or, si avec cela elle veut bien être corrigée et mortifiée, et quon lui donne les remèdes propres à sa guérison, combien quelle les prenne avec travail 39 et sen fâche un peu, il ne faut pas pour cela lui refuser sa voix, car elle a non seulement la volonté de guérir, mais encore elle prend les remèdes qui lui sont donnés pour ce sujet, quoique avec peine et difficulté. Il y en a dautres qui ont été mal nourries 40 et civilisées 41, et qui auront la nature 42 rude et grossière 43. Il ny a point de doute que celles-ci naient plus de peine et de difficulté que les autres qui ont le naturel plus doux et traitable, et quelles seront plus sujettes à faire des fautes que celles qui ont été mieux nourries. Mais si néanmoins elles veulent bien être guéries et témoignent une volonté ferme à vouloir se servir des remèdes, quoi quil leur coûte, je leur donnerais ma voix nonobstant ces chutes; car ces personnes-là, après beaucoup de travail, font de grands fruits en la Religion, deviennent de grands serviteurs et servantes de Dieu et acquièrent une vertu forte et solide; car la grâce de Dieu supplée au défaut de la nature, et il ny a point de doute que souvent où il y a moins de naturel il y a plus de grâce.
38. actes dimpatience, de colère 39. peine 40. mal élevées 41. sont malhonnêtes 42. le naturel 43. grossier, incivil
Donc, quoique les filles que lon reçoit au Noviciat aient beaucoup de mauvaises habitudes, le coeur rude et grossier, témoignant à leur visage davoir beaucoup de passions (car quand on craint, on devient pâle ; quand on nous avertit de quelque chosé qui nous fâche, la couleur monte au visage et lon devient rouge, ou bien la fâcherie nous tire les larmes des yeux), tout cela ne doit point retenir de donner sa voix, pourvu que cette fille veuille être guérie. En somme, pour recevoir une fille au Noviciat, il ne faut savoir sinon si elle a une bonne volonté de vivre en une grande soumission, se servant des moyens qui lui sont donnés pour se perfectionner; car ayant cela, je lui donnerais ma voix. Et voilà, ce me semble, tout ce qui se peut dire touchant cette seconde réception. Venons maintenant à la troisième, qui est une chose de très grande importance; à savoir, la réception des filles à la Profession. En ceci il est requis dune plus grande considération, et il me semble que lon y doit observer trois choses. La première, que les filles que lon propose pour la Profession soient saines, non de corps comme jai déjà dit (car je ny voudrais faire nulle considération, si ce nétait en des choses qui le méritassent), mais jentends saines de coeur et desprit; cest-à-dire, quelles aient le coeur bien disposé pour vivre en une entière souplesse et soumission. La deuxième, quelles aient lesprit bon et quand je dis un bon esprit, je nentends pas dire de ces grands esprits qui sont pour lordinaire vains et pleins de suffisance, qui étaient au monde des boutiques de vanité et qui viennent en Religion, non pas pour shumilier, mais comme sils voulaient faire des leçons de philosophie et théologie, voulant tout conduire et gouverner. Cest à ces esprits quil faut bien prendre garde; non quil nen faille point recevoir, car si lon voit quils puissent ou veuillent être changés et humiliés, ils pourront bien, avec le temps et la grâce de Dieu, faire cette métamorphose, quayant été au monde une boutique de vanité, ils en soient en Religion une dhumilité; ce qui arrivera sans doute si, avec fidélité, ils se servent des remèdes qui leur sont donnés pour leur guérison; car cest une chose assurée que, qui est fidèle aux 44 petites choses, Dieu le constituera sur des grandes n. Quand je parle donc dun esprit bon, jentends parler dun esprit médiocre, qui ne soit ni trop grand ni trop petit. Oh! certes, quand une fille n lesprit ainsi fait, cest une bonne condition, car ces esprits-là font toujours beaucoup sans que pour cela ils le sachent. Ils sappliquent à faire et sadonnent aux vertus solides; ils sont traitables et lon na pas beaucoup de peine à les conduire, car facilement ils comprennent combien cest une chose bonne de se laisser gouverner. La troisième chose quil faut observer, cest si cette fille a bien travaillé pendant lannée de son Noviciat; si elle n bien souffert et bien profité des médecines quon lui a données, propres à la guérir de son mal, si elle a bien voulu souffrir, si elle a fait valoir les résolutions quelle fit en
n. Matt., XXV, 21, 23. 44. dans les
entrant en son Noviciat, de changer et amender ses mauvaises humeurs et inclinations, car lannée du Noviciat lui n été donnée pour cela. Que si lon voit quelle persévère fidèlement en sa bonne résolution, que sa volonté demeure ferme pour continuer à se vouloir amender, et que lon ait remarqué quelle se soit appliquée à se réformer et se former selon la Règle et les Constitutions, et que cette volonté lui dure toujours, voire de vouloir mieux faire, cela est un très bon signe et une bonne condition pour lui donner sa voix. Vous me dites que lon voit bien que cette fille travaille à son amendement et témoigne une bonne volonté, mais par ci par là elle ne laisse pas de faire de grandes fautes et même assez souvent: comme lon peut connaître quelle ait cette bonne volonté de samender, puisque en toute lannée de son Noviciat ses chutes ont été si fréquentes ? Or voyez-vous, bien quen cette année-là elle doive travailler à la réformation de ses moeurs et habitudes, ce nest pas à dire pour cela quelle ne doive point faire de chutes, ni quelle doive à la fin de son année être parfaite; car regardez au sacré collège de Notre-Seigneur, les Apôtres encore quils fussent bien appelés, et quils eussent bien travaillé en la réformation de leur vie, combien firent-ils de fautes non seulement en la première année, mais aussi en la seconde et troisième. Tous disaient et promettaient merveille, voire même de suivre Notre-Seigneur à la mort et dans la prison o, mais la nuit de la Passion, que lon vint prendre leur bon Maître, tous labandonnèrent p
o. Luc., XXII, 33. p. Matt., XXVI, 56.
et mêmement 45 les trois que Notre-Seigneur, ce me semble, caressait le plus, auxquels il avait découvert ses secrets, les menant toujours avec lui et à la montagne de Thabor et au jardin des Olives ; ces trois-là, dis-je, qui semblaient être les plus forts pour résister aux assauts de leurs passions, firent aussi de grandes fautes. Le glorieux saint Pierre, qui était si fervent, combien en fit-il ? Certes, il était grandement sujet à faire des échappées, mais pour cela il ne fut point rejeté de Notre-Seigneur, dautant quil connaissait bien quil avait toujours la volonté de samender ferme et constante. Il fit de grandes fautes la première année de son noviciat, mais il en fit encore de plus grandes la seconde, et celle quil fit en la troisième encore plus grande que toutes les autres, car ce fut en icelle quil renia son doux Maître et Seigneur. Sa nature était cause en partie quil faisait de ces fréquentes et plus lourdes fautes. Saint Jean, qui avait un naturel plus doux, nétait pas si sujet à ces saillies ; néanmoins, il ne laissa pas de quitter son Maître et de senfuir avec les autres, bien que ce ne fut pas pour longtemps, car il retourna, puis il ne le quitta jamais plus. Mais saint Jacques, non seulement labandonna quand il fut question de mourir, ains en ceci il fit encore pis que les autres, car il ne retourna point le trouver. Voilà donc comme les chutes ne doivent point être cause que lon rejette une fille, quand parmi tout cela elle demeure avec une forte volonté de se redresser et de se vouloir servir des moyens que lon lui donne pour ce sujet.
45. même
Cest tout ce que jai à dire touchant les conditions que les filles que lon veut recevoir à la Profession doivent avoir, et ce que les Soeurs doivent observer pour leur donner leurs voix. Je ne sais pas que dire davantage sur ce sujet si lon ne me demande là-dessus quelque chose. Vous me dites, sil se trouvait une fille qui fût fort sujette à se troubler pour de petites choses, que son esprit fût souvent plein de chagrin et dinquiétude, et que, parmi tout cela, elle ne témoignât guère damour pour sa vocation; et que néanmoins, cela étant passé et son coeur accoisé 46, elle promît de faire des merveilles, ce quil faudrait faire ? Il est tout certain quune telle fille étant si changeante nest pas propre pour la Religion. Mais parmi tout cela, ne veut-elle point être guérie ? Ne veut-elle point quon lui applique les remèdes propres à sa guérison ? Si cela est, il lui faut ouvrir la porte et la mettre dehors. Lon ne sait, dites-vous, si cela procède faute de volonté de se guérir, ou bien quelle ne comprenne pas en quoi consiste la vraie vertu. Voyez-vous, si après lui avoir fait bien entendre ce quil faut quelle fasse pour son amendement elle ne le fait pas, ains se rend incorrigible, il la faut rejeter, parce quil est tout certain que cela ne procède pas faute de jugement, ni de pouvoir comprendre en quoi consiste la vertu, ni moins encore de ce quil faut quelle fasse pour son amendement; mais que cest par le défaut de la volonté qui na ni persévérance, ni constance à se servir de ce quelle sait être requis
46. tranquillisé
pour son amendement. Et partant, encore quelle dise quelquefois quelle fera monts et merveilles, je vois néanmoins quelle ne le fait pas, ains persévère en cette inconstance de volonté, je ne lui donnerais pas ma voix. Vous dites, ma chère fille, quil y en a qui sont si tendres quelles ne peuvent supporter quon les corrige sans se troubler, et que cela les rend malades fort souvent. Si cela est, il leur faut ouvrir la porte; car puisquelles sont malades et quelles ne veulent pas quon leur applique les remèdes propres à leur guérison, lon voit clairement que, faisant ainsi, elles se rendent incorrigibles, ne donnant point despoir de pouvoir être guéries. Pour ce qui est de cette tendreté, cest un si grand mal, que lon ne saurait avoir trop de zèle pour sen délivrer. La tendreté, tant sur lesprit que sur le corps, est lun des plus grands empêchements qui soient en la vie religieuse, et partant il faut avoir un très grand soin de ne pas recevoir celles qui en sont démesurément atteintes. La tendreté de lesprit est encore plus dangereuse que celle du corps, dautant que lesprit étant plus noble que le corps, cette maladie layant atteint en est plus difficile à guérir. Si tant est que celle qui a ce mal ne veuille pas souffrir quon lui applique les emplâtres sur sa plaie, je ne lui donnerais pas ma voix. Et pourquoi? Parce que ne voulant point se servir des remèdes qui lui sont propres, elle ne peut point être affranchie de son mal, ni recouvrer sa santé. Vous demandez encore ce que lon doit juger dune fille qui témoigne souvent par ses paroles quelle se repent dêtre entrée en Religion ? Certes, si elle persévère en ces dégoûts de sa vocation et à se repentir, et que lon voie que cela la rende lâche et négligente à se former selon lesprit de sa vocation, il la faut mettre dehors. Vous me dites comme lon connaîtra si cela vient par exercice 47 ou tentation? Cette demande est bonne, mais elle est bien difficile néanmoins cela se peut connaître par le profit quelle fera de telles pensées, dégoûts ou repentir, si avec simplicité elle se découvre de telle chose et quelle soit fidèle à se servir des remèdes quon lui donnera là-dessus; car Dieu ne permet jamais rien pour notre exercice quil ne veuille que nous en tirions profit, ce qui se fait toujours quand on est fidèle à se découvrir et, comme jai dit, simple à croire et à faire ce que lon nous dit: cest la vraie marque que lexercice de cette fille vient de Dieu. Mais quand on voit quelle use de son propre jugement, que la volonté est puis après 48 séduite et gâtée, persévérant en son dégoût, alors la chose est en mauvais état et quasi sans remède. Quant à celle qui rit sur tout ce quon lui dit, ainsi que vous me dites, il lui faut demander le sujet qui la meut 49 à rire. Elle dit quelle ne le sait. Ni moi aussi 50 je ne sais pas de quoi elle rit. Dites-vous quelle ne sétonne de rien quon lui dise, ains va toujours son train ordinaire. Ne fait-elle pas son profit de ce quon lui dit, ou si elle ne samende pas de ce quon la corrige ? Fait-elle plus détat de son propre jugement
47. épreuve48. ensuite49. lexcite50. moi non plus
et de son propre esprit que de la direction quon lui donne? En cela, se rend-elle incorrigible ? Si cela est, je ne lui donnerais pas ma voix; mais si elle se veut amender et quelle veuille quon la guérisse, en ce cas je ne ferais nulle difficulté de la lui donner. Mais vous me dites, ma chère fille, que lestime quelle a de tout ce quelle fait est si grande, quil semble quelle ne fasse point détat de tout ce quon lui dit. Si elle veut être sainte dune sainteté particulière, cest autre chose, mais certes, ces saintetés-là sont toujours à craindre. Que si lon veut être saint dune vraie sainteté, il faut quelle soit commune, comme celle de Notre-Seigneur et de Notre-Dame. De plus, la sainteté nest jamais connue de ceux qui la possèdent, et celui qui est saint, plus il lest, et moins pense-t-il lêtre. Que dites-vous, ma chère fille ? comme vous pourrez faire pour connaître tels esprits pour leur donner en bonne conscience votre voix, puisque vous ne pouvez avoir connaissance de ces esprits-là, sinon par le moyen de la Supérieure? Il les faut bien observer; et puis, vous en êtes bien informée par ce qui sen dit au Chapitre; car, pourquoi est-ce que les Chapitres se tiennent, sinon afin quentendant les opinions de toutes les Soeurs, lon se résolve mieux soi-même sur ce que lon doit faire ? Elle est forte, dites-vous, en son propre jugement: elle le sera donc bientôt en sa propre volonté. Mais ne veut-elle point se corriger de cela ? Si elle juge, comme vous dites, les actions des autres, il la faut enseigner 51 à
51. il faut lui apprendre
ne le plus faire, à se juger soi-même et non les autres. Que si elle sait si bien remarquer ce qui est propre aux autres et non à soi-même, hé, que voulez-vous faire à cela ? ce sont des misères de lesprit humain. La Supérieure et la Maîtresse des Novices sont bien obligées à cette Soeur de ce quelle sait si bien remarquer ce quil faut quelles fassent! De tout cela il la faut bien instruire à sen corriger, et lui enseigner quen lisant les Règles et Constitutions elle remarque ce qui la concerne seulement, car il faut quelle samende. Vous dites si la Supérieure et la Maîtresse ne disent rien des filles au Chapitre, et quayant remarqué que cette fille manque souvent de promptitude à lobéissance, ou à telles autres observances, si vous ne devez pas laisser den parler ou de lui donner votre voix? Il faut, ma chère fille, aller simplement en cette besogne, et faire en cela ce que la conscience vous dicte. Oh.! certes, encore que les choses sont petites en soi, il ne faut pas pour cela laisser de les faire avec beaucoup de soin et daffection, car rien nest petit en Religion, et qui méprise les petites observances viendra bientôt à négliger les grandes d. Mais il faut considérer si cette Soeur ne se veut pas amender de cela (à cause que ce nest que petite chose à ses yeux) et quelle se rende incorrigible ; car cela serait très mauvais. O ma chère fille, dites-vous si lon pourrait faire des épreuves aux Novices, en leur disant quelque chose qui les pourrait bien mortifier, que les Professes mêmes, toutes Professes quelles
q. Luc., XVI, 10.
sont, auraient prou peine de supporter? Véritablement, il ne faudrait pas quune Professe, voulant éprouver la patience dune Novice, lui aille donner en pleine récréation un coup de poing sur le nez ! Mais il est vrai que lon peut demander congé à la Supérieure de les éprouver, et il est toujours mieux de le faire par obéissance que de sa propre volonté; car il y aurait danger que, voulant mortifier les autres, vous noubliassiez de vous mortifier vous-même. Vous dites maintenant si, quand lon aurait quelque créance 52 que les parents dune fille lauraient sollicitée de se mettre 53 en Religion, lon ne la pourrait pas bien éprouver sur cela ? Il 54 se pourrait bien faire. Mais quoique son père et sa mère leussent persuadée de se faire Religieuse, sa vocation ne laisserait pas dêtre bonne, puisque, comme nous avons dit, Dieu se sert souvent de ces voies-là pour attirer à soi ses créatures; et quand bien 55 sa vocation ne serait pas bonne au commencement, Dieu la peut rectifier. Mais ce quil faut savoir de cette fille, est si elle a une bonne volonté de vivre en parfaite obéissance et soumission. Dites-vous, ma fille, sil faut faire considération de donner sa voix à une fille qui nest pas cordiale, ou qui nest pas égale à lendroit de toutes les Soeurs, faisant voir quelle a plus dinclination à lune quà lautre? Il ne faut pas être si rigoureuse pour toutes ces petites choses, car cette inclination est la dernière pièce de notre
52. assurance, certitude 53. à entrer 54. cela 55. lors même que
renoncement. Avant que lon puisse arriver à ce point de navoir pas dinclination à lune plus quà lautre, et que ces affections soient tellement mortifiées quelles nen paraissent point, il y faut du temps. Certes, la grande sainte Paule qui était si sainte, aimait tellement son mari et ses enfants quelle pleurait toujours tant à leur trépas quelle en pensait mourir de douleur, tant son inclination daimer était grande, sans quelle y pût remédier. Elle ne laissait pas pour cela dêtre une grande Sainte, ni dêtre bien résignée à la volonté de Dieu. Vous désirez savoir si lon ne peut pas conférer avec la Supérieure des filles dont on ne connaît pas assez lesprit ? Cela se fait au Chapitre, mais il se peut encore faire en particulier. Que dites-vous, ma fille ? Si le sentiment des autres Soeurs était tout contraire à ce que vous savez, et quil vous vînt linspiration de dire quelque chose que vous avez reconnue, qui est à lavantage de cette Soeur, sil ne faudrait pas laisser 56 de le dire ? Oh ! certes non, quoique le sentiment des autres soit tout contraire au vôtre et que vous soyez seule en cette opinion; car cela pourra leur servir encore pour se résoudre à ce quelles doivent faire. Le Saint-Esprit réside aux 57 Communautés, et sur la variété des opinions on se résout de faire ce que lon juge être plus expédient pour la gloire de Dieu. Or, quant à cette inclination que vous avez que les autres donnent leur voix ou quelles ne la donnent pas, combien que vous donniez ou ne donniez pas la vôtre, doit
56. omettre 57. dans les
être méprisée et rejetée comme une autre tentation. Mais de dire parmi les Soeurs : Je donnerais bien ma voix à cette Soeur, mais je voudrais bien que les autres ne lui donnassent pas la leur, cest ce quil ne faut jamais faire ni dire. Vous craignez quen disant votre sentiment, qui est contraire à tous les autres, vous ne vous trompiez en votre propre jugement. Oh! pardonnez-moi, ma chère fille, ce nest pas là le propre jugement ; il faut dire simplement et véritablement ce que Dieu vous inspire. Que dites-vous, ma chère fille? car je ne vous entends point; les enfants font tant de bruit à 58 la rue quils mempêchent de bien entendre ce que vous dites. Dites-vous, ma fille, que quand on ordonne quelque chose à une fille, elle dit quil est bien difficile de le faire et dobserver un tel point des Constitutions. Mais voyez-vous que pour cela elle laisse de le faire? Car ce nest rien davoir des difficultés quand on ne laisse pas pour elles de faire ce quil faut; quelquefois on fait 59 ces difficultés plus grandes quelles ne sont pas et cela se fait facilement. Cest pourquoi il ne faut pas tant prendre garde à ce quelle dit quà ce quelle fait. Et vous, ma fille, vous dites que vous connaissez des Religieuses lesquelles, encore que les filles demandent plusieurs fois leurs habits pour sortir, disant quelles ne sauraient sobliger à une telle vocation, elles ne les leur donnent pourtant pas, et que lon attend jusques au dixième mois de leur Noviciat. Que si elles ont persévéré
58. dans 59. croit
en leur désir jusque là, on les renvoie; mais si cela se passe 60 on ne laisse pas de les garder. Cela est bon, mais je ne voudrais pas les retenir de force 61 quand elles voudraient sortir avant ce temps-là, ni prescrire aucun temps pour les renvoyer; je voudrais bien avoir un peu de patience pour voir si ce dégoût se passerait 62 . Il est vrai quil y en a dont lon a de la peine à reconnaître 63 lesprit, et vous avez raison, ma fille, de demander si lon ne pourrait pas retarder leur Profession. Oui, cela se peut faire afin de les mieux reconnaître. Vous demandez sil faut faire quelque considération quand on saperçoit quil y a des filles qui font leurs actions pour les yeux de la Supérieure ou de la Maîtresse. Celles-là ont une bonne fin, mais il leur faut apprendre à la purifier. Il est quelquefois bon de faire quelque chose pour ses Supérieurs, car puis après, on vient à le faire purement pour Dieu. A ce propos, je vous dirai quil y avait dernièrement une bonne femme laquelle me vint trouver avec résolution de ne point pardonner à une personne qui lavait offensée; et comme je la persuadais à le faire, après beaucoup de résistance elle me dit quelle le ferait pour lamour de moi, et non pour lamour de Dieu. Jeus bien de la peine par après à len faire dédire. Or, celles que vous dites qui font 64 pour les yeux des Supérieurs, et plus pour un que pour un autre, en font de même: elles montrent bien par là quelles font ce quelles font pour la
60. passe 61. par force 62. passerait 63. connaître 64. agissent
créature et non pour le Créateur; car si elles le faisaient pour lui, tous Supérieurs leur seraient égaux. Mais que voulez-vous! cela se peut bien purifier. Vous demandez encore si une fille était sourde ou quelle eût telle autre infirmité, si elle pourrait être reçue ? Cest ce que jai déjà dit, que je ne voudrais faire nulle considération aux infirmités du corps, si elles nétaient bien pressantes toutefois, la surdité rend quasi une personne incorrigible, car on a de la peine à la faire amender, dautant quon ne lui peut faire entendre ce quil faut quelle fasse; mais pour les autres, je ny voudrais guère regarder. Oh! ma chère fille, nest-ce pas ce que jai déjà dit : Si tout le monde se faisait Religieux, qui le maintiendrait ? Ainsi en dites-vous : Si lon ne recevait que des infirmes, qui les servirait ? Il ne nous faut pas être si prudents, car Dieu saura bien appeler les fortes au soulagement des faibles. Eh bien, ma chère fille, si une Soeur était sujette à parler par complaisance et flatterie, il lui faudrait pardonner et lui apprendre à ne le plus faire, sil se peut; mais voyez-vous, il faut du temps pour mortifier les passions et inclinations. En tous ces manquements, il faut faire comme nous faisons en la confession. Voilà un homme qui se vient confesser à moi; il saccuse davoir blasphémé deux cents fois le nom de Dieu : je lui dis plusieurs choses pour son amendement, je le vois plein de bonne volonté de samender, je lui donne sur cela labsolution. Sil revient une autre fois et me dit: Je maccuse davoir blasphémé cent fois le nom de Dieu. Oh ! certes, je lui donne labsolution; car je vois clairement son amendement, et partant je juge quil ne veut pas demeurer incorrigible. Ainsi en faut-il faire des filles quand on voit quelles samendent; encore quelles ne laissent pas de commettre des fautes, il ne les faut pas rejeter, car par lamendement elles témoignent de ne vouloir pas demeurer incorrigibles. Vous dites si une fille qui naurait pas guère 65 de bonnes conditions, et qui, outre cela, serait quasi toujours en linfirmerie, sil ne faudrait pas faire considération pour lui donner sa voix, car étant toujours malade, à n ne la peut pas éprouver ni reconnaître son esprit. Je réponds à cela que si elle na pas les conditions propres 66 pour être de 67 cette vocation, il ny a point de doute quil y faut regarder; mais pour ce qui est de ses infirmités corporelles, je ne voudrais pas que lon y fit trop de considération, si elles nétaient telles quelles lempêchassent dobserver la Règle. Et pour ce qui est de reconnaître son esprit, certes, lon reconnaît mieux le naturel et lesprit dune personne en la maladie quen nulle autre chose, et la maladie est une continuelle épreuve. Navez-vous plus rien à dire? Quelle heure est-il ? Avez-vous dit Complies? et quand les voulez-vous dire? Allez donc, car jai peur de faire une irrégularité. Or sus, mes chères Filles, je supplie Notre-Seigneur quil vous bénisse. Dieu vous donne laccomplissement de tous vos désirs et sa sainte paix. Amen.
65. qui naurait guère 66. convenables 67. en
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